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Étudier en prison aide à sortir des circuits de délinquance

A l’intérieur de la section universitaire de la prison des Deux Palais à Padoue, Italie. Elton Kalica, Fourni par l'auteur

À rebours des discours sécuritaires foisonnants en période de pré-campagne électorale, le garde des Sceaux Éric Dupont-Moretti a récemment défendu la vocation de réinsertion de la prison lors d’un déplacement en Alsace. Différents modes de réinsertion existent en effet en France depuis la loi pénitentiaire de 2009 (Loi n ° 2009-1436, ministère de la Justice) qui, en vue d’assurer la réinsertion des détenus, fixe un nouveau principe pour les pratiques d’éducation et de formation des détenus et les soumet à une obligation d’activité. Parmi eux l’école et l’enseignement universitaire, à distinguer de la formation professionnelle.

Si l’école est active et présente de manière diffuse dans tous les établissements pénitentiaires français, les effets du parcours éducatif sur le processus de réhabilitation des détenus et sur la prévention de la récidive ne sont, apparemment, pas immédiats : la littérature sur le sujet est faible et il manque encore des études longitudinales qui peuvent le confirmer pleinement.

Ils ne sont pas non plus aussi évidents par rapport à ceux obtenus par la formation professionnelle bien qu’ils soient plus incisifs et plus profonds comme il ressort des études en cours de l’auteur (voir aussi L’exercice effectif du droit aux études universitaires en milieu carcéral. L’expérience française. Rassegna italiana di criminologia, en cours de publication).

L’étude en milieu carcéral ne se limite pas aux concepts d’apprentissage : elle offre bien plus et de manière transversale en contribuant à l’amélioration de plusieurs aspects de la vie quotidienne. Des observations effectuées sur le terrain et des résultats des entretiens réalisés au cours de mes recherches menées pendant 4 ans dans les prisons de France et d’Italie, et les études mises en évidence par le courant d’études de la Convict Criminology ont montré contrairement à l’opinion apparemment la plus répandue, que l’étude en prison produit des effets immédiats et à long terme.

Des effets sur la santé

Les effets les plus immédiats se retrouvent dans le domaine de la santé mentale et physique de la personne détenue. Dès les premières semaines de scolarité, les observations effectuées sur le terrain donnent lieu à une estime de soi croissante, à un soin particulier de la personne, à l’apparence physique et à une amélioration de l’humeur.

En conséquence, les effets s’étendent à des sphères plus profondes : l’amélioration du sommeil, la réduction des cigarettes chez les fumeurs compulsifs. De nombreux détenus et médecins témoignent également d’un moindre recours aux calmants et aux médicaments psychotropes et la volonté de se désintoxiquer. L’étude interrompt en effet un dialogue intérieur fait de colère et de désespoir.

Par les nombreux témoignages de médecins, psychologues et psychiatres pénitentiaires, il ressort que les détenus ont moins recours aux médicaments parce que ce vide qui produit de l’angoisse et de la consternation est compensé, et permet au détenu d’échapper d’une négligence existentielle parce qu’on se confronte avec les autres, on a moins recours aux provocations constantes parce qu’on prend conscience qu’il y a une autre façon de réagir et d’obtenir les choses. Enfin, l’étude écarte la pensée de la mort, de la dépression, du suicide. Alors que les actes d’automutilation, comme des brûlures, coupures sur la peau, avaler des lames ou des substances toxiques sont courants en prison, on observe qu’ils diminuent chez les personnes engagées dans un processus éducatif (L’exercice effectif du droit aux études universitaires en milieu carcéral. L’expérience française. Rassegna italiana di criminologia, en cours de publication).

Intéressant à cet égard le témoignage S., 31 ans, détenu en Maison d’arrêt :

« La dépression est un vortex capable de tout aspirer, c’est pourquoi il faut le bloquer au plus vite en s’accrochant à une pensée, à une chose à faire. Quand je ressentais cette angoisse grandir en moi, je me levais de ma couchette et j’allais étudier. L’anxiété s’apaisait peu après et les choses que je faisais me faisaient me sentir utile » (entretien fait le 6 juin 2019).

L’amélioration des relations interpersonnelles

La recherche actuelle de l’auteur s’est concentrée sur un échantillon de 35 ex-détenus (hommes et femmes) qui ont effectué un parcours d’études en présentiel en milieu carcéral (principalement en maisons d’arrêt) en référence surtout aux études supérieures et universitaires.

La relation avec d’autres personnes, la confrontation avec d’autres modes de pensée, la comparaison des modèles positifs et l’échange de communication avec l’enseignant génèrent une attente constructive qui motive et guide. Se donner un but, un objectif, se préparer à la prochaine rencontre avec le professeur rend le temps de la prison moins accablant.

En fonction des résultats de la recherche empirique menée on remarque moins de conflits avec les agents de surveillance et moins de bagarres entre détenus à l’intérieur des quartiers de prisons comme en témoigne un surveillant-chef d’une maison d’arrêt.

« Parmi les détenus qui se trouvent en prison, ceux qui vont à l’école sont moins violents et moins agressifs que les autres. Le changement est perceptible dès les premiers mois. Les détenus respectent davantage les règles, demandent les choses avec plus de gentillesse, ils améliorent leur langage, leur façon de se comporter envers les autres devient de plus en plus compréhensif, patients. Nous comprenons tout de suite, avant même les professeurs, qui continuera et qui est réellement motivé à poursuivre ses études » (M., 50 ans, en service depuis 1991, entretien réalisé le 6 novembre 2019).

La culture par le biais de l’éducation assume donc un rôle : elle est vécue comme facteur de rachat et inclusion, favorise un savoir-faire réflexif, un parcours introspectif, une nouvelle idée d’ordre, une nouvelle planification de vie. Pour cette raison, parier sur la culture et la formation peut être un élément important pour promouvoir la réadaptation et la réinsertion des détenus.

Les effets sur les familles

L’engagement culturel, ponctuel et continu, de la personne qui décide d’étudier en prison a un effet étonnamment positif sur les dynamiques familiales. L’étude stimule un dialogue constructif, le lexique utilisé dans les rencontres est meilleur, la façon de poser les questions change, la personne est moins agressive, les rapports sont moins tendus et les enfants sont les premiers à apprécier ce type de changement.

Par exemple, la femme d’un détenu me confie que son fils craignait son père, même s’il n’avait jamais été violent envers lui, ni envers son épouse, mais à chaque fois il inventait des prétextes parce qu’il ne voulait pas aller lui rendre visite en prison. Les deux se connaissaient très peu et le mari, complètement pris par ses soucis, n’était pas en mesure de vraiment parler. Il n’y avait pas de dialogue. Après que son mari ait commencé le parcours éducatif, il s’est montré plus intéressé aux problèmes de l’enfant, à sa vie. Il l’écoutait plus, savait parler de manière plus douce et plus attentive reprenant peu à peu le contact avec son fils, entraînant un cercle vertueux. De fait, la colère et l’incompréhension des membres de la famille se traduisent souvent par l’absence de visite, ce qui fait que le détenu est plus nerveux et irascible en section ou fortement déprimé. La famille est une aide et un point de référence substantiel pour ceux qui vivent en détention et toutes les modalités pour renforcer ce type de liens doivent être absolument encouragées.

Avec l’étude, on acquiert un langage plus approprié, à mieux maîtriser la colère réprimée et la frustration. Ces compétences acquises augmentent progressivement la capacité de communication et la confiance en soi permettant au détenu-étudiant d’avoir plus de chances de trouver un emploi mieux rémunéré une fois libéré comme il ressort des nombreux exemples étudiants détenus italiens qui ont fait leurs études universitaires en prison.

Elton Kalica, chercheur en sociologie à l’université de Padoue et auteur de deux livres : La pena di morte viva. Ergastolo, 41 bis e diritto penale del nemico, Meltemi, Roma, 2019 et a dirigé avec Simone Santorso, Farsi la galera. Spazi e culture del penitenziario, Ombre Corte, Verona, 2018. E.Kalica, Fourni par l'auteur

Nous citerons ainsi le cas de Elton Kalica condamné à de nombreuses années de prison qui a obtenu un diplôme en prison en poursuivant ses études de doctorat en sociologie une fois libre. Il est actuellement chercheur à l’Université de Padoue.

Pensons aussi à W.F., détenu pour des délits politiques, qui, une fois diplômé en prison et fort de l’habilitation nécessaire, a obtenu un emploi de professeur de lettres dans l’école publique. C’est aussi le cas de M., condamné à une longue peine. Après avoir obtenu un diplôme en philosophie et publié certains livres, il est actuellement rédacteur d’une importante revue littéraire suisse. L’expérience de C., est également intéressante. Détenu extracommunautaire, diplômé en ingénierie en milieu carcéral, il est depuis deux ans employé dans une entreprise technique très réputée. Nos enquêtes ont montré qu’il ne s’agit pas de cas isolés.

Philippe Maurice, ancien détenu et gracié en 1981 est devenu chercheur au CNRS et spécialiste en histoire médiévale.

En France, l’histoire de Philippe Maurice est certainement célèbre. Cet ancien détenu, condamné à mort par la justice française en 1980 puis gracié, est devenu historien au cours de sa détention après avoir obtenu son doctorat à l’université de Tours.

Il s’est spécialisé en histoire médiévale et est désormais chargé de recherche au CNRS. À cet égard, on pourrait aussi citer des cas internationaux déjà connus par les médias tels Darrion Cockrell ancien membre de gang devenu l’un des meilleurs enseignants du Missouri.

Les obstacles

Malgré la reconnaissance désormais unanime de l’étude dans le parcours de réinsertion des condamnés, la réalité reste plutôt contrastée et les parcours d’études se heurtent à de nombreuses difficultés.

En effet, comme je l’ai observé dans mes recherches, bien que les prisonniers soient fortement motivés pour obtenir un diplôme ou reprendre les parcours de formation culturelle prématurément interrompus, l’étude en milieu carcéral se produit souvent par « stop et go ». En effet les nombreuses fragilités psychologiques et émotionnelles, amplifiées par l’incarcération, entravent souvent le processus d’apprentissage.

Ainsi tel a peur d’être trompé par sa femme ou angoisse à l’idée de ne pouvoir revoir ses enfants. Tel autre est miné par le décès d’un parent, un rapport disciplinaire jugé injuste, une audience qui a mal tourné… Ces facteurs peuvent provoquer un état de profonde dépression mettant souvent fin au travail entrepris.

Des obstacles de type technico-gestionnaire et sécuritaires parasitent voire paralysent aussi le processus.

La mise en place et déroulement des cours dépendent largement de la surveillance et des moyens économiques attribués à cette activité. Or les recherches font état d’une forte disproportion entre moyens sécuritaires et services éducatifs (et même psychologiques) au regard des besoins réels des prisonniers et de leur réinsertion future dans la société.

Un caprice culturel ?

L’étude en prison, en particulier le parcours universitaire, est considérée à divers titres par l’administration pénitentiaire comme un caprice culturel bénéficiant à quelques heureux élus, et donc comme une perte de temps, en particulier pour les surveillants.

Les surveillants montrent une certaine réticence face à la présence d’externes, capables d’émettre un jugement critique sur la prison. De cette manière, les cours prévus par la loi se limitent dans la plupart des cas à des cours essentiels en privilégiant nettement les cours à distance, bien que, comme il a été remarqué lors de cette recherche, ils n’aient pas les mêmes effets sur les détenus.

Le droit d’étudier : une mesure à élargir ?

En l’Italie, l’expérience des études universitaires en prison est répandue et implique à ce jour 31 universités, environ 1000 détenus-étudiants inscrits et 70 pénitenciers. En France seule l’université Paris Diderot propose des cours au sein de la prison de la Santé et de Fresnes.

Par ailleurs, la possibilité d’étudier n’est pas donnée à tous : ce sont les éducateurs du SPIP (Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation) qui font une sélection préalable parmi ceux qui peuvent accéder aux cours, or souvent les détenus n’ont même pas connaissance de ces dispositifs.

Ces derniers font l’objet de communication assez aléatoire, souvent en fonction de l’ouverture d’esprit du directeur et du commandant de la sécurité et non des droits que devraient protéger les détenus.

C’est en partant de ce constat que j’ai proposé, avec le soutien du Centre de Recherches en Histoire des Idées de l’Université Côte d’Azur et le laboratoire Mesopolhis d’Aix-Marseille Université, de lancer une initiative expérimentale afin de sensibiliser les universités françaises et la direction de l’Administration pénitentiaire (DAP) pour essayer de créer un circuit éducatif semblable au circuit italien. L’objectif étant de sensibiliser les professionnels et instaurer un dialogue avec l’aide d’experts français et italiens pour promouvoir de nouvelles lignes d’intervention.

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