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Anticiper les tsunamis grâce aux mathématiques

Une image de modélisation pour permettre une évaluation « enrichie » des risques. Atman Kendira/CMLA, Author provided

En 2050, on estime que 80 % de la population mondiale sera urbaine et que 80 % des villes seront implantées sur les côtes. Pour protéger au mieux le littoral et ses habitants d’événements destructeurs, on étudie le phénomène des tsunamis.

La recherche s’organise aujourd’hui pour trouver de telles solutions, à l’image du projet interdisciplinaire [« Défi littoral »](«Défi littoral» initié par le CNRS et auquel participe activement le Centre de mathématiques et de leurs applications (CMLA) de l’École normale supérieure de Cachan Université Paris-Saclay et CNRS. Le CMLA coordonne dans ce cadre, avec plusieurs partenaires, le projet « Debriefing » qui s’intéresse notamment à la question de l’impact côtier et de la prise en compte du transport/dépôt des débris. Les travaux couvrent de nombreux aspects : acquisition de données, estimation de la source, propagation des ondes, apprentissage statistique et évaluation des risques.

Émulateur statistique

Pour l’estimation des impacts de vagues de tsunamis, on a recours à un « émulateur statistique », un type d’abaque numérique qui retourne des indicateurs de risques ou de dégâts. Cet émulateur est un condensé de simulations numériques de tsunamis. Un plan d’expérience numérique permet d’explorer l’espace des configurations de tsunamis en lançant plusieurs dizaines de simulations numériques dont chacune peut prendre plusieurs minutes de calcul sur des clusters de milliers de processeurs.

On obtient alors un « métamodèle » (littéralement, « modèle sur les modèles ») dont l’évaluation est beaucoup plus rapide – de l’ordre de la seconde –, ce qui permet l’analyse de sensibilité et statistique pour évaluer les incertitudes et identifier les paramètres les plus sensibles aux risques (type de bathymétrie et topographie, type d’ondes, type de sol, etc.). L’émulation peut alors potentiellement permettre des avertissements en temps réel en fonction des caractéristiques incertaines – glissements de terrain ou tremblement de terre –, qui provoquent le tsunami. Cela peut également aider à fournir une évaluation des risques pour une région donnée ou une zone côtière avec beaucoup d’activité humaine, l’émulateur couvrant bien les gammes possibles d’événements probables.

Des effets parfois contre-intuitifs

Il est a priori naturel de penser que de petites îles situées au large des côtes protègent le littoral en amortissant la puissance des vagues d’un tsunami. En réalité, il a été observé après le tsunami qui a ravagé l’Asie du Sud-Est fin 2010 que le run-up, c’est-à-dire la hauteur maximale de vague, était amplifié sur les zones côtières situées derrière les îles Mentawai, au large de Sumatra (Indonésie) par rapport au run-up sur les lieux adjacents, non influencés par la présence d’îles.

Pour mieux comprendre ce phénomène, Thémistoklis Stefanakis, qui a consacré sa thèse à l’étude des phénomènes d’amplification des tsunamis sous la direction conjointe de Nicolas Vayatis et de Frédéric Dias, a mis au point un dispositif numérique expérimental composé d’une île conique sur un fond plat en face d’une plage inclinée. L’objectif : trouver l’amplification maximale du run-up avec peu d’incertitude et un nombre minimum de simulations. Après l’exécution de deux cents simulations, l’analyse montre que dans aucun des cas l’île n’offre pas de protection à la zone côtière située derrière elle. Au contraire, le run-up s’en trouve amplifié d’un facteur 1,7 au pire des cas. Cette découverte est importante pour les plans de prévention des risques de submersions marines.

Immersion numérique en 3D

L’ENS Cachan s’est également dotée d’un dispositif immersif 3D nommé Shiva (Shared Interaction and Visualization Area) dans le cadre du Programme d’investissement d’avenir et des équipements d’excellence (projet « Digiscope »). L’équipement Shiva est constitué d’une dalle murale en verre de 5,5 mètres de longueur par 2 mètres de hauteur, et fournit une vision tridimensionnelle stéréoscopique au moyen de lunettes 3D actives. Des caméras infra-rouge permettent aussi l’interaction humaine avec la scène, ou bien au moyen de dispositifs de _tracking _de type joystick, ou bien directement par l’immersion de l’humain dans la scène. La visualisation des vagues de tsunamis permet une évaluation « enrichie » du risque.

Dans une collaboration en cours entre le CMLA et Serge Guillas, professeur à University College London (UCL), l’équipement SHIVA est mis à profit pour visualiser des déferlements côtiers de tsunamis sur les données bathymétriques et topographiques réelles. Google Earth, par exemple, est utilisé comme environnement de visualisation dans lequel on y incruste des données de hauteur d’inondation en zone péri-côtière.

Urgence et planification

À la détection d’un tremblement de terre majeur, il faut identifier dans l’urgence les zones à risques et planifier les opérations de prévention et de secours, éventuellement prévoir l’évacuation de zones côtières à forte activité humaine. Pour des zones identifiées comme sensibles ou à fort risque (forte population, risque de pollution, etc.), des pré-études permettent la constitution de cartes de risques. Dans le contexte d’une alerte et de l’arrivée imminente d’un tsunami dans une zone d’activité, les « dimensions » à appréhender sont alors nombreuses : géographie et caractéristiques locales de la zone (port, digues…), infrastructure urbaine avec notamment les axes routier, moyens de secours à proximité.

Idéalement, il conviendrait de réaliser des simulations numériques de vagues et d’inondations couplées à des simulations discrètes (dites « multi-agents ») ou l’on tient compte de l’évacuation des populations et du déploiement des secours. De telles informations accessibles par un grand écran de visualisation en centre opérationnel pourraient permettre d’appréhender la situation et l’environnement, de confronter plusieurs scénarios, de planifier les secours ou d’organiser les évacuations de la population vivant dans les zones à risques.

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