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AOC viticoles : quand le terroir crée de la valeur

Le terroir désigne bien plus qu'une zone géographique. Massimo Santi / Shutterstock

Les AOC viticoles font parler d’elles ! Il y a un mois, face à la polémique suscitée par la décision d’exclure purement et simplement 64 communes de l’aire de production de la zone d’appellation du vin de Bourgogne, le projet a finalement été ajourné. À l’inverse, depuis mi-février, l’AOC Côtes-d’Auvergne a entamé le processus d’extension de son aire géographique à sept nouvelles communes.

Carte des vins de France. Vin-vigne.com

Dans les deux cas, un coup de projecteur est mis sur la notion de terroir, subtil mélange entre ressources naturelles et identité humaine. Certes, le vin reste une activité un peu particulière, qui s’est très tôt structurée et organisée. Indissociable de son terroir, elle rappelle à la fois tout l’importance des ressources territoriales, mais aussi l’intérêt – et les difficultés – à développer collectivement une activité sur laquelle les acteurs sont aussi des concurrents.

Des délimitations jamais tracées

Selon la Bible, le premier viticulteur fut Noé, généralement plus connu pour son arche que pour son vin. Devenue boisson des Dieux dans la Mésopotamie des premières civilisations, puis des héros et des rois dans l’Égypte et la Grèce antique, le vin s’est rapidement affirmé comme une activité agricole très répandue, intimement liée à l’histoire et la culture des régions où il est cultivé.

En France, on ne plaisante pas avec la qualité du vin ! Déjà, Charlemagne, en consommateur averti et producteur du désormais célèbre grand cru Corton-Charlemagne du vignoble bourguignon, faisait édicter une ordonnance visant à en assurer la qualité. Il faut attendre le XIXe siècle et Napoléon III pour que le vin entre dans la modernité, l’empereur assurant notamment une notoriété très forte au champagne, mais aussi les premiers travaux de recensement et d’analyse des vins de France.

Un vendangeur met des raisins à l’intérieur d’un panier en osier pendant la récolte dans un vignoble en Bourgogne. Philippe Desmazes/AFP

En 1856, apparaît la première classification « des départements viticoles par ordre d’importance, relativement à l’étendue des vignobles et à la qualité des produits », dans lequel l’actuel vignoble bourguignon est d’ailleurs plutôt mal classé.

À partir de 1935, est créée l’AOC (appellation d’origine contrôlée), dont la réglementation est confiée à Institut national de l’origine et de la qualité (INAO). Ces appellations sont d’abord applicables aux seuls vins et eaux-de-vie, puis étendues aux autres produits agro-alimentaires

Dans l’affaire récente en Bourgogne, c’est ici que le bât blesse. En effet, le travail de délimitation de la zone d’AOC des vins de la région, entrepris en 1937, n’a jamais été achevé, se contentant de poser des limites maximales à la zone de production, sans plus de détails.

Le tollé a donc mis en lumière le caractère hautement stratégique, et potentiellement conflictuel, du territoire.

AOC et terroir : des destins liés

Rien de vraiment étonnant, dans une activité par définition étroitement liée à sa zone de production. L’INAO donne la définition suivante du terroir :

« Un espace délimité dans lequel une communauté humaine construit au cours de son histoire un savoir-faire collectif de production, le terroir est fondé sur un système d’interactions entre un milieu physique et biologique, et un ensemble de facteurs humains. Là se trouvent l’originalité et la typicité du produit. »

Dans le souci de protéger la production, le cahier des charges de l’AOC édicte des règles du jeu contraignantes faites de limites géographiques, donc, mais aussi de précisions sur les cépages autorisés, leur plantation, les caractéristiques de la vendange (taux de sucre naturel ou degré de fermentation, notamment), ainsi que les rendements autorisés. Aujourd’hui en France, 363 vins et eaux-de-vie bénéficient d’une AOC.

Pour les producteurs, des enjeux sensibles

Dans une AOC viticole, quelle qu’elle soit, cohabitent deux types de producteurs : d’un côté des vignerons, qui sont présents depuis le travail de la vigne jusqu’à la commercialisation du vin ; de l’autre des viticulteurs, qui travaillent la vigne et vendent ensuite leur vendange à des vinificateurs, souvent des caves coopératives. Ils sont à la fois collègues, parce qu’œuvrant collectivement pour la réputation de leur vin au sein de l’AOC, mais aussi concurrents, parce qu’en compétition pour la commercialisation et l’exportation.

Un vigneron inspecte les vignobles à Chambolle-Musigny en Bourgogne. Eric Feferberg/AFP

Or, la question de la délimitation du terroir a des conséquences fortes pour ces exploitants : sortir de la zone AOC, c’est une moins-value de la production assurée, estimée par certains à 50 %. En d’autres termes, pour un coup de crayon sur une carte, l’exploitant peut voir son chiffre d’affaires amputé de moitié. On comprend mieux les réactions de certains !

Ainsi l’AOC peut être analysée comme un bien commun imparfait ou « bien club », puisqu’elle a de facto des conditions d’accès, et donc d’exclusion (localisation, qualité). Il s’agit donc un réseau d’entreprises, potentiellement concurrentes, qui collaborent sur un terroir au sein d’une marque commune, mettant ainsi en œuvre une stratégie collective de territoire.

Un terroir à périmètre variable ?

C’est d’ailleurs la notion de terroir même qui est ici remise en question. Si l’affaire du Bourgogne a attiré plus particulièrement l’attention sur le Chablis, elle pointe du doigt la vision très administrative du terroir, réduit à une simple zone géographique. Pourtant, comme le stipule sans ambiguïté la définition de l’AOC donnée par l’INAO, le terroir intègre la dimension humaine, c’est-à-dire la culture, l’histoire et le savoir-faire.

L’occasion de rappeler, aussi, que la création de valeur se fait plus souvent qu’on ne le pense par la rencontre entre des individus et leur territoire.

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