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Après les bosons et les fermions, voici les anyons avec leurs propriétés quantiques exotiques

Réfrigérateur à dilution permettant d'obtenir des températures proches du zéro absolu nécessaires à l'observation des anyons. Gwendal Feve, Author provided

Dans notre monde tridimensionnel, la mécanique quantique qui décrit le monde microscopique n’autorise l’existence que de deux types de particules : les fermions et les bosons. Chacun aura entendu parler de l’électron, la particule élémentaire de la famille des fermions qui assure le transport du courant électrique. Chez les bosons, c’est le photon, la particule élémentaire associée à la propagation de la lumière qui nous est sans doute la plus familière.

Les fermions et les bosons ont des comportements collectifs complètement différents. Les fermions tendent à se repousser spatialement ou à s’« exclure ». C’est cette faculté qui permet d’expliquer des phénomènes aussi variés que la structure électronique des atomes, la stabilité des étoiles à neutrons ou bien la différence entre les métaux, conducteurs du courant électrique, et les isolants. Les bosons, au contraire, ont tendance à se regrouper spatialement permettant ainsi d’expliquer certaines propriétés de la lumière ou encore les phénomènes de superfluidité ou de supraconductivité, tous deux liés à la condensation d’un grand nombre de bosons dans un même état.

Dans la théorie quantique, on parle de statistiques quantiques fermioniques et bosoniques pour décrire mathématiquement les comportements distincts d’un ensemble de fermions et de bosons.

La physique quantique en deux dimensions

La situation est complètement différente dans un univers bidimensionnel où d’autres types de quasi-particules exotiques, différentes des fermions et des bosons, peuvent exister.

Elles apparaissent dans certains types de conducteurs électriques bidimensionnels dans lesquels les électrons interagissent très fortement entre eux. Les mouvements collectifs des électrons sont alors parfaitement décrits par le déplacement de nouveaux objets élémentaires, appelés « anyons ». Au contraire des fermions qui s’excluent complètement, et des bosons qui peuvent tous condenser dans le même état, les anyons peuvent former de petits paquets de particules s’excluant mutuellement.

Les quasi-particules émergent dans un système d’un grand nombre de particules en interaction. Le mouvement collectif des particules considérées initialement peut être décrit par le mouvement d’objets simples, élémentaires. Ce sont ces nouveaux objets que l’on appelle quasi-particules.

Si l’existence des anyons et leurs propriétés quantiques, intermédiaires entre celles des fermions et des bosons, ont été prédites théoriquement il y a quarante ans, leur nature fondamentalement différente était restée inaccessible jusqu’ici. Seules certaines de leurs propriétés exotiques avaient pu être observées par les nombreux travaux théoriques et expérimentaux qui leur ont été consacrés. Par exemple, des chercheurs ont dévoilé en 1997 leur charge électrique fractionnaire, c’est-à-dire égale à une fraction de la charge élémentaire d’un électron. Mais, en dépit de nombreux travaux durant les trente dernières années, aucune signature expérimentale claire de statistique fractionnaire n’a pu être observée jusqu’ici.

Des physiciens créent les conditions d’observation des anyons

Pour sonder les propriétés quantiques des anyons, il a fallu revenir au cœur des différences de comportement entraînées par la statistique quantique. Les chercheurs du laboratoire de Physique de l’École Normale Supérieure, ont utilisé un collisionneur au sein d’une puce électronique fabriquée par des physiciens du Centre de Nanosciences et de Nanotechnologies.

La puce permettant de réaliser, dans un conducteur électrique bidimensionnel, des collisions entre anyons. Author provided

Cette puce permet de réaliser, dans un conducteur électrique bidimensionnel, des collisions entre anyons. Les collisionneurs quant à eux sont les instruments de choix pour caractériser les effets de statistique quantique. Ils permettent aux physiciens, en observant les résultats d’une collision entre deux particules, de quantifier la tendance des quasi-particules à se regrouper ou à s’exclure. Pour conclure définitivement à l’existence des anyons, ces quasi-particules ni vraiment fermions ni vraiment bosons, nous avons mis en place des conditions particulières d’expérience. Des conditions susceptibles de préserver les propriétés quantiques des anyons. C’est dans un conducteur microscopique dont le diamètre est comparable à celui d’un cheveu et à des températures ultra basses, plus de dix mille fois inférieures à la température ambiante – soit proche du zéro absolu – que tout s’est joué.

L’idée est d’observer le comportement des particules suite à leur collision. Les particules peuvent emprunter deux bras de sortie, séparés par une « lame séparatrice ». On regarde leur comportement « de groupe ». Pour simplifier, dans le cas de fermions, lors d’une collision, les électrons empruntent systématiquement des bras de sortie distincts – c’est une conséquence du principe d’exclusion qui sous-tend la statistique des fermions. Lorsque les conditions sont réunies pour former des anyons, le résultat de la collision est différent : les anyons peuvent se regrouper en paquets de charge dans un même bras de sortie.

Le résultat des expériences a permis de caractériser une tendance des anyons à se regrouper en paquets de particules : un comportement complètement différent de celui des électrons qui leur ont donné naissance, et qui correspond au comportement quantique attendu pour des anyons. Ces expériences confirment le rôle combiné des fortes corrélations entre électrons et de la dimensionnalité du conducteur dans l’émergence d’anyons aux propriétés intermédiaires entre les fermions et les bosons.

Vers le calcul quantique topologique

En élargissant le spectre des particules connues dans les systèmes bidimensionnels, ces résultats sont une avancée remarquable pour la physique fondamentale et pour les scientifiques qui peuvent désormais manipuler des objets élémentaires aux propriétés nouvelles.

Certains types d’anyons ont des propriétés très prometteuses pour la recherche en calcul quantique topologique si nécessaire pour avancer vers l’ordinateur quantique. Un ordinateur du futur dont les opérations de calcul seraient basées sur les échanges de positions d’anyons. Rappelons que les opérations de calcul quantique usuelles sont basées sur la manipulation d’états quantiques dont la fragilité constitue pour l’instant un verrou technologique majeur. Elles pourraient bénéficier des travaux publiés aujourd’hui.

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