Menu Close
Un manifestant tient une pancarte appelant à la réparation, alors que le pape François arrive à un événement public à Iqaluit, au Nunavut, le 29 juillet 2022, à l’occasion de sa visite au Canada. La Presse Canadienne/Nathan Denette

Après les excuses du pape, voici le temps des réparations

Nombreux sont ceux qui s’interrogent sur les récentes excuses présentées par le pape François au sujet des pensionnats pour autochtones au Canada lors de sa visite en Alberta, ainsi que sur ses déclarations à Québec et à Iqaluit. Les atrocités historiques laissent des marques, et les excuses peuvent représenter un acte de reconnaissance et offrir un sentiment de justice aux personnes qui ont été la cible de violences institutionnelles.

Les gens ont deux critères :

  1. Authenticité : les déclarations du pape sont-elles un reflet authentique de la « repentance » de l’Église et de son engagement à changer ?

  2. Responsabilité : les déclarations du pape témoignent-elles de la volonté et de la détermination de l’Église à s’attaquer aux causes et aux effets systémiques de préjudices donnés ?

Les gens attendent de voir si l’Église catholique romaine endossera la responsabilité institutionnelle du génocide, des abus sexuels, de la torture et de la mort de milliers d’enfants autochtones.

Des excuses complètes reconnaîtraient les méfaits de l’Église, mais aussi sa complicité avec le pouvoir colonial canadien dans la répression des résistances autochtones pour accéder aux terres. Les liens entre l’extraction des ressources et le retrait des enfants des communautés autochtones, ainsi que les attaques contre les communautés tout au long de ce processus, ont été occultés. Pour changer cet état de fait, les réparations seront importantes.

Prévention de la violence

En tant qu’universitaire métis, ayant des ancêtres cris et gwichins, je suis déterminé à promouvoir l’amélioration des conditions de vie et du bien-être des populations autochtones au Canada.

J’ai récemment été chercheur principal à l’Université Concordia d’un projet intitulé « Indigenous Healing Knowledges ». Lors d’une conférence où des aînés, des gardiens du savoir et de jeunes Autochtones ont parlé de ce qu’ils ont appris de leurs expériences et de leurs approches de la guérison, de nombreux survivants ont exprimé l’idée que les gens sont plus susceptibles de se rétablir, et ce, rapidement, lorsque

la violence à leur égard a été reconnue, et non minimisée.

Le rétablissement est plus probable lorsqu’ils sont en sécurité, ont reçu des soins et ont été traités avec dignité.

Des aînés attentifs dans la foule
Des aînés autochtones écoutent le pape François présenter des excuses lors d’un événement public à Iqaluit, au Nunavut, le 29 juillet 2022. La Presse Canadienne/Nathan Denette

L’utilisation d’un langage précis, en référence à la violence, est une réponse sociale positive et juste, essentielle au rétablissement du bien-être. La réconciliation doit être précédée de la vérité. L’absence de vérité historique entraîne des distorsions désagréables pour les groupes ciblés.

Des excuses inefficaces

Andy Molinsky, professeur en comportement organisationnel à la Brandeis International Business School, distingue quatre types d’excuses inefficaces.

Deux types d’excuses décrits par Molinsky sont apparents dans les déclarations du pape : les « excuses excessives » (ou « je suis tellement désolé, je me sens tellement mal ») qui attirent l’attention sur les sentiments de la personne plutôt que sur ce qui a été fait. Et les « excuses incomplètes », qui se manifestent par des expressions du type « je suis désolé que cela soit arrivé, je suis désolé que vous vous sentiez ainsi » et utilisent un langage passif.

Par exemple, en attirant l’attention sur ses propres sentiments de tristesse, le pape François a négligé de reconnaître la violence sexuelle extrêmement répandue qui a détruit de nombreuses vies dans les pensionnats. Dans ses remarques du 28 juillet, il fait référence au caractère « diabolique » des abus sexuels, mais ne dit pas expressément qu’il y a eu des abus sexuels dans les pensionnats.

Il a déclaré que l’Église catholique au Canada se trouve sur une nouvelle voie après avoir été dévastée par « le mal perpétré par certains de ses fils et filles ».

Pathologiser les survivants

J’ajouterais un cinquième aspect à la liste des excuses inefficaces de Molinsky : la pathologisation des victimes/des survivants.

Un homme en robe cléricale blanche coiffé d’une calotte est assis et parle
Le pape François prend la parole lors d’un événement public à Iqaluit, au Nunavut, le 29 juillet 2022, au cours de sa visite au Canada. La Presse Canadienne/Nathan Denette

En déplaçant le sujet de la violence vers le traumatisme d’autrui, on dissimule la violence, on en fait disparaître les auteurs et on peut en arriver à blâmer les victimes. Ce glissement occulte la délibération, la planification et le piégeage. Se concentrer sur la pensée de la victime est une stratégie utilisée par les auteurs d’actes criminels, et leurs complices, pour discréditer les victimes et leurs revendications.

Prendre les enfants, prendre les terres

Linda Coates et Allan Wade, deux chercheurs basés en Colombie-Britannique qui étudient la violence et le langage, ont démontré que les représentations de la violence des agresseurs dans divers médias impliquent quatre opérations linguistiques : elles dissimulent la violence, voilent la responsabilité de l’agresseur, occultent la résistance de la victime et blâment et pathologisent les victimes.

Le problème de la violence est inextricablement lié à celui de sa représentation. Ainsi, les camps de prisonniers pour enfants sont présentés comme des « pensionnats » ; la violence comme un « traumatisme » ; la résistance comme une « résilience » ; et la « réconciliation » remplace les « réparations ».

Enfin, il y a une différence entre les excuses et le pardon. Les excuses peuvent être coercitives si elles ne font que transférer la responsabilité de la « réconciliation » ou du « passer à autre chose » aux victimes/aux survivants.

Réparer les préjudices

Pour que l’histoire s’aligne sur les réalités des abus de l’État, un plan d’action doit suivre les excuses.

En ce qui concerne les réparations, les récentes excuses du pape ont été accompagnées d’appels à l’action lancés par les autochtones, notamment par Cindy Blackstock, Murray Sinclair, Pamela Palmater et d’autres chefs autochtones.

Malgré les termes obscurs utilisés dans les excuses du pape, sa visite pourrait marquer une nouvelle avancée, si l’Église catholique soutient et met en œuvre les actions décrites dans les 94 appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation. Tant l’Église que nos structures juridiques, éducatives et de gouvernance à travers le Canada ont encore beaucoup de chemin à parcourir.

Lors d’une récente conférence sur le droit et la santé mentale, tenue à Lyon, en France, des juristes ont affirmé qu’une mise en œuvre plus complète de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones répondrait à de nombreuses préoccupations des peuples autochtones. Une grande partie de la richesse du Canada provient de ce qui a été pris aux peuples autochtones.

La réparation de cette injustice aidera les nations autochtones dans leur processus d’autogouvernance.

Un autre rôle important de l’Église catholique romaine est de rendre une partie des terres volées aux peuples autochtones. L’Église doit également se tourner vers ses formidables actifs existants pour honorer rapidement les sommes que les entités catholiques ont accepté de payer dans le cadre du règlement de 2006. Les dirigeants de l’Église disent maintenant qu’il leur faut cinq ans pour réunir l’objectif actuel de 30 millions de dollars.

Des hommes en habit clérical noir passent devant un homme assis en habit clérical blanc
Des cardinaux marchent à côté du pape François lors du dernier événement public de sa visite papale au Canada, alors qu’il se prépare à quitter Iqaluit, au Nunavut, le 29 juillet 2022. La Presse Canadienne/Nathan Denette

Un autre pays

Au Canada, les communautés autochtones continuent d’être confrontées à la pénétration de la société colonisatrice, notamment par les industries extractives, et les défenseurs des terres sont arrêtés.

Les dirigeants de l’Église ne peuvent pas détourner le regard et prétendre que l’Église n’a aucun lien avec ces préjudices.

Les valeurs de l’Église comprennent le respect et la promotion de la dignité humaine, la dévotion spirituelle à la [famille et la communauté], la charité et la justice sociale.

Si elles étaient étendues aux peuples et aux nations autochtones, le Canada serait un pays très différent.

This article was originally published in English

Want to write?

Write an article and join a growing community of more than 182,300 academics and researchers from 4,942 institutions.

Register now