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Aquitaine–Limousin–Poitou-Charentes : la gauche en son bastion

Alain Rousset, le président sortant en bonne place pour se succéder à lui-même. Nicolas Tucat / AFP

Dans un contexte national morose pour la majorité socialiste, la grande région Aquitaine–Limousin–Poitou-Charentes apparaissait comme un bastion de la gauche, l’une des trois ou quatre régions susceptibles de sauver son honneur. Au PS, on s’interrogeait toutefois sur l’effet de la fusion des régions, et on redoutait une réticence des sympathisants à voter pour Alain Rousset hors d’Aquitaine. On craignait aussi une poursuite de l’érosion du vote de gauche, confirmée par les municipales et départementales. La perte d’une ville ou d’un département pour un parti de gouvernement entraîne en effet un reflux mécanique de sa capacité à mobiliser. Elle induit une désorganisation des sections locales du parti, rouages clés des campagnes électorales, et l’étiolement des réseaux de militants.

Alain Rousset partait néanmoins favori. Sa candidature avait fait l’unanimité à gauche, et il avait foi dans son bilan et son programme. À droite, les candidats ne se bousculant pas, Alain Juppé imposa Virginie Calmels (LR et Modem), son adjointe à l’Économie à la mairie de Bordeaux. Ce choix fut initialement contesté par les sarkozystes, qui déploraient qu’elle ne soit pas membre du parti, qu’elle ait fait ses armes dans l’industrie de la télé-réalité, et qu’elle manque d’expérience politique. L’enjeu semblait toutefois limité, personne n’escomptant une victoire dans la grande région. On sait que lorsqu’un parti majeur investit une personne relativement jeune et dépourvue d’expérience politique, a fortiori une femme, c’est souvent que l’élection est jugée difficile… Il s’agit de l’aguerrir ou, plus cyniquement, de montrer patte blanche en matière de renouvellement des candidats ou de respect de la parité ou de la diversité.

Duel de genres et de générations

Au cours de la campagne, les sondages ont toutefois montré une progression constante des intentions de vote en faveur de la liste de Virginie Calmels, à mesure que celles pour la liste d’Alain Rousset déclinaient. Le croisement des courbes, qui a marqué la fin de la campagne, peut s’interpréter comme la conjonction de quatre phénomènes.

Tout d’abord, Virginie Calmels a pu accéder aux médias nationaux, à la faveur d’un réseau construit au gré de sa carrière chez Canal+ et Endemol France. Elle a participé à des émissions télévisées et radiophoniques de divertissement, qui lui ont permis de se faire connaître et de toucher un autre public que celui d’Alain Rousset. Ce dernier a multiplié les meetings en région et a surtout été présent dans les médias aquitains. Alain Rousset s’est principalement adressé à un électorat anciennement présent dans la région, notamment en Aquitaine, assidu des médias locaux, et le connaissant bien. Virginie Calmels s’est davantage tournée vers l’électorat nouvellement arrivé en Aquitaine, et vers celui des deux autres régions, peu familier d’Alain Rousset.

En second lieu, les intentions de vote en faveur de la liste PS se sont érodées à mesure que la campagne prenait un tour national. Les attentats du 13 novembre, la COP21, la crise des réfugiés, l’intervention en Syrie, l’annonce des mauvais chiffres du chômage pour le troisième trimestre ont saturé l’espace médiatique. Alain Rousset, qui entendait focaliser sa campagne sur son bilan, a pâti de l’impopularité de la majorité. La cote de François Hollande est certes remontée en flèche après les attentats du 13 novembre, mais il s’agissait plus d’une approbation de sa gestion des attentats que d’un changement d’opinion sur son bilan et sur l’action du gouvernement.

Cette focalisation sur les enjeux nationaux et internationaux a induit une campagne particulière. Le débat sur le bilan et les programmes a été occulté par l’opposition caricaturale entre deux personnalités : d’un côté, un homme, sexagénaire, professionnel de la politique, cumulant les mandats dans le temps (président depuis 1998) et dans l’espace (par ailleurs député) ; et de l’autre une femme, quadragénaire, quasiment novice en politique, issue du monde l’entreprise, et clamant sa volonté de faire de la politique autrement.

Enfin, les médias ont été abusés par des sondages indiquant que la liste conduite par Virginie Calmels arriverait en tête au soir du premier tour. Ces enquêtes ont été réalisées pour la première fois à l’échelle de la grande région, ce qui implique des résultats délicats à « redresser », et de manière peu rigoureuse : par Internet et selon la méthode des quotas. La marge d’erreur était logiquement importante : ainsi, le score de Virginie Calmels a été surestimé de deux points, et celui d’Alain Rousset minoré de trois.

Le PS résiste, le FN triple son score et la droite patine

Au soir du premier tour, le PS arrive largement en tête, avec plus de 30 % des voix, devant la liste d’union de la droite (27 %) et le FN (23 %). La liste EELV dépasse tout juste le seuil de 5 %, lui permettant d’envisager une fusion, ce qui n’est pas le cas pour le Front de Gauche (4,85 %) et les 5 autres listes.

On peut tirer trois enseignements de ces résultats.

En premier lieu, la grande région résiste bien en tant que terre de gauche. Le PS arrive en tête en Aquitaine (sauf en Lot-et-Garonne, où le FN domine), y compris dans les Pyrénées-Atlantiques, département nouvellement dirigé par le Modem. Il domine aussi en Haute-Vienne et en Creuse, où l’on attendait une victoire de la droite. La liste de Virginie Calmels l’emporte quant à elle dans les quatre départements de Poitou-Charentes, région jadis dirigée par Ségolène Royal. C’est une victoire symbolique importante, mais le repli du PS est limité. La droite confirme aussi son implantation en Corrèze, fief de François Hollande. Mais globalement, la liste du PS ne démérite pas : elle capitalise sur sa forte implantation en Aquitaine ainsi que sur un vote personnel en faveur d’Alain Rousset. Président charismatique, bien connu de l’électorat, très investi dans sa région, il jouit d’une bonne image, aussi bien dans les milieux économiques que dans les zones rurales.

En second lieu, le FN confirme son implantation dans la grande région, où il était historiquement peu présent. Il triple son score des régionales de 2010. Avec près de 32 %, il arrive largement en tête en Lot-et-Garonne, et dépasse les 20 % dans les Landes et la Gironde, terres de gauche par excellence. Son leader, Jacques Colombier, n’a pas l’aura médiatique d’autres responsables du FN, mais il bénéficie de la dynamique du parti à l’échelle nationale.

Enfin, la liste d’union de la droite – qui regroupait Les Républicains (LR), l’UDI, le MODEM et CPNT – déçoit, malgré son succès en Poitou-Charentes et en Corrèze. Elle est, comme partout en France, victime de la montée du Front national et de l’image de Nicolas Sarkozy, guère plus populaire que François Hollande. Elle obtient des résultats en deçà des attentes, souvent inférieurs à ceux des dernières départementales. Elle paie probablement le prix d’une campagne trop focalisée sur les médias nationaux, de la notoriété limitée de Virginie Calmels et d’une polarisation excessive sur la ville de Bordeaux – dont la tête de liste est maire adjoint. Elle y réalise certes un beau score (36,8 % contre 32,4 % au PS), mais est nettement devancée en Gironde, et n’arrive qu’en troisième rang en Lot-et-Garonne et en Dordogne.

Au lendemain du premier tour, Alain Rousset semble donc en bonne position pour l’emporter, à la faveur notamment de la fusion de sa liste avec celle d’EELV, et des réserves de voix à gauche (écologistes dissidents, Front de gauche, Lutte ouvrière, Nouvelle donne). À droite, elles sont ténues : la liste « Debout la France » a obtenu 3,35 % des voix, mais ses électeurs vont plus probablement se tourner vers le Front national. En conséquence, Virginie Calmels a appelé dès dimanche soir les électeurs du Front national à faire échec au PS, en contradiction avec la ligne politique de son mentor Alain Juppé. Il y a, toutefois, peu de chances pour qu’elle soit entendue. Et cet appel pourrait bien, au contraire, lui coûter des voix au centre.

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