Ce mercredi 16 novembre doit décoller, après plusieurs reports, la fusée SLS de la NASA – celle qui amènera des humains sur la Lune dans le cadre du programme Artémis. L’année 2022 a aussi été marquée par le décollage du nouveau lanceur Vega-C de l’Agence spatiale européenne et aussi par les annonces de développement de microlanceurs, de moins de 30 mètres de haut, d’un grand nombre de nouveaux entrants européens qui veulent eux aussi proposer un accès à l’espace.
Fin 2023, ce sera le tour d’Ariane 6, successeur de la mythique Ariane 5 – qui a récemment lancé le James Webb Telescope dans l’espace, parmi ses nombreuses missions (plus de 110) et qui doit prendre la relève de celle-ci mais aussi du lanceur russe Soyouz.
Un des objectifs est de permettre des lancements moins onéreux, notamment face à la concurrence des lanceurs privés comme Falcon ou Falcon Heavy de SpaceX qui sont partiellement réutilisables.
De nos jours, les nouveaux lanceurs doivent être performants, c’est-à-dire efficaces et légers, mais aussi les moins chers et les plus modulaires possible. Toutes ces exigences nécessitent des innovations technologiques et industrielles permanentes et une coopération européenne pour assumer les coûts.
Comment fonctionne une fusée ?
Une fusée, ou « lanceur », est un empilement de pièces ayant chacune un rôle pour former un « étage », soit un ensemble de réservoirs alimentant un moteur. Chaque étage fait sa part de la mission pour arracher le véhicule à la gravité terrestre et l’emmener jusqu’à l’orbite de libération du satellite.
Ainsi, le premier étage est particulièrement puissant pour décoller – grâce aux boosters latéraux pour Ariane 5 et 6 par exemple. Il est largué dès que les réservoirs sont vides, et le second étage poursuit la mission selon la trajectoire programmée, pour arriver au point visé dans l’espace. Le dernier étage poursuit sa route jusqu’au largage du cargo.
Installé en partie haute du lanceur, l’ordinateur de bord déroule le programme de vol, pilote la fusée automatiquement et communique avec le centre de contrôle à terre. Les corrections de trajectoire se font automatiquement et les mesures enregistrées par les capteurs à bord sont envoyées au sol pour une analyse en direct de la bonne marche du système.
[Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde. Abonnez-vous aujourd’hui]
Une fusée transporte des « objets » de différentes natures : des satellites bien sûr, mais aussi des sondes spatiales qui iront explorer le système solaire, des « rovers » pour découvrir les surfaces des planètes ou des comètes, du fret pour la station spatiale internationale ou même… des astronautes. Ce chargement est localisé tout en haut de la fusée, installé sur le dernier étage, et emmitouflé dans la coiffe. Celle-ci est conçue pour protéger le fragile objet à bord et pour être aérodynamique, c’est-à-dire que sa forme limite les frottements avec l’air de l’atmosphère pour brûler moins de carburant. Une fois à environ 120 kilomètres d’altitude (au bout de 3 minutes de vol sur Ariane 5), il n’y a quasiment plus d’air et la coiffe de protection peut être larguée. Comme une fleur qui s’ouvre, elle se sépare en deux grands pétales qui se détachent de la fusée et retombent dans la mer.
Ces derniers étages de la fusée ne sont actuellement pas récupérés, mais pour des questions environnementales et économiques, beaucoup d’études cherchent les solutions technologiques permettant leur récupération et leur réutilisation.
Read more: Détruire des fusées pour protéger la Terre
Les moteurs
Pour s’arracher de la gravité terrestre, les fusées utilisent des moteurs d’une puissance extraordinaire, utilisant des carburants et comburants à « poudre » ou liquides, qui, mis en contact, génèrent des gaz de combustion détendus dans la tuyère du moteur, ce qui engendre la fameuse poussée libératrice.
Les modes de propulsion solide et liquide sont actuellement utilisés sur Ariane 5 et Ariane 6, mais, à l’avenir, on utilisera probablement principalement la propulsion liquide. Celle-ci permet d’arrêter un moteur, de moduler sa poussée, notamment pour récupérer un premier étage en contrôlant son retour sur Terre, plutôt que de le laisser couler au fond de l’eau.
Ces moteurs sont moins puissants unitairement que les moteurs à poudre d’Ariane par exemple, mais on peut les assembler en fagot pour un premier étage et utiliser le même moteur pour le second étage.
Innover pour mieux voler
Le satellite dans la coiffe a besoin d’un maximum de place et de masse pour emporter le plus de fonctions et de carburant possible pour son propre usage. Les éléments de la fusée doivent donc être les plus légers possibles, tout en restant résistants et rigides pour supporter de grosses accélérations, des environnements vibratoires élevés, des variations de température allant de la cryogénie à plusieurs centaines de degrés Celsius, tout en étant les plus minces possibles.
On utilise par exemple des alliages d’aluminium ou des matériaux composites à fibre de carbone, comme on en trouve sur les skis ou les vélos, mais mis en forme pour fabriquer les grandes structures qui constitueront la charpente ou la colonne vertébrale de la fusée.
Les matériaux peuvent être recouverts d’autres matériaux pour les protéger thermiquement : du liège (et oui !), des mousses polymères, des films sophistiqués… le tout enduit d’une peinture ayant des propriétés thermiques et électriques adéquates.
Ces assemblages peuvent être complexes et donc coûteux. Pour une fusée commerciale comme Ariane, soumise à la concurrence des autres fusées internationales, la diminution des coûts est le principal enjeu. Les activités de recherche et développement sont donc orientées vers ces gains de coût tout en maintenant la performance des produits. On cherche par exemple à améliorer les procédés de fabrication pour utiliser moins de matière et produire plus vite en limitant l’impact environnemental ; et une idée éprouvée en aéronautique ou dans l’éolien peut fournir une véritable innovation pour nos fusées.
Des lanceurs réutilisables
Réutiliser un ou plusieurs étages d’un lanceur limite le nombre d’étages fabriqués, ce qui réduit l’impact environnemental du secteur et a un intérêt économique direct. Mais, avant de les remettre en vol, il faut pouvoir les récupérer et les « revalider ».
Les agences spatiales et les industriels du secteur travaillent ainsi à acquérir la capacité technologique de récupération (développer les systèmes de récupération, savoir récupérer avec le bon niveau de précision par exemple) et pour valider les techniques de revalidation (diagnostiquer l’état de santé, éventuellement réparer). Ces connaissances permettront de statuer sur l’intérêt économique de la réutilisation, car elle dépend notamment du type et de l’architecture de la fusée et de la cadence de lancement visée – qui impacte le rythme de production.
Aujourd’hui, on vise à réutiliser le premier étage de la fusée (les boosters ou le premier étage à propulsion liquide) : celui-ci ne monte pas très haut et n’aura pas à subir une rentrée atmosphérique trop sévère, au contraire du dernier étage qui emmène le satellite en orbite et qui subira, pour rentrer, la traversée de l’atmosphère à de très grandes vitesses, comme la navette américaine (« shuttle »), dont les besoins de protection thermique sont bien plus importants et exigent des solutions technologiques complexes et encore difficiles à revalider de manière économe.
Le mode de retour est aussi très discuté : récupérer un premier étage « debout » comme le fait SpaceX est jugé aujourd’hui la solution la plus simple – c’est ce qui est envisagé pour Themis, le lanceur réutilisable développé par le CNES et ses partenaires allemands et japonais. Pour des étages allant en orbite, des solutions de retour à l’horizontale avec des surfaces ailées sont des pistes à creuser, en alternative à des solutions avec des boucliers et des parachutes qui sont récupérés de manière moins précise.
Le grand jeu de lego spatial et international
Pour assembler tous ces éléments, il faut de véritables coopérations internationales. Si Ariane est née française, elle est complètement européenne depuis déjà des décennies, et plus de 20 pays y contribuent.
VEGA-C est une petite fusée voulue par les pays européens pour compléter notre gamme de lanceurs et faire en sorte que l’Europe puisse transporter tous types de satellites vers toutes les orbites possibles. Les Européens optimisent les budgets et les programmes : VEGA-C et Ariane 6 se partagent le même booster à propergol solide, le P120C, qui est le premier étage sur VEGA-C et l’un des deux ou quatre boosters d’Ariane 6.
Les programmes spatiaux sont très chers. À titre d’exemple, le développement d’Ariane 6 et de son nouveau pas de tir coûte plus de 4 milliards d’euros. Jouer la carte de l’Europe, c’est partager les coûts et permettre à chaque pays qui le souhaite de faire participer son industrie et ses laboratoires à ces projets exigeants et valorisants.
Si les budgets de ces programmes peuvent sembler exorbitants, les retombées pour le citoyen sont aussi très importantes à travers les évolutions techniques et scientifiques engendrées qui peuvent ensuite servir d’autres secteurs : en France, pour 1 euro investi, on estime que 20 euros de retombées économiques sont générées. La France est d’ailleurs le premier pays européen qui investit dans le spatial, le second pays mondial derrière les États-Unis, rapporté au nombre d’habitants.
Cet article est basé sur un épisode du podcast « Raconte-moi l’espace », une série produite par le Centre National d’Etudes Spatiales (CNES).