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Assises de la forêt et du bois : les trois dilemmes de la politique forestière française

Un membre d'un groupement forestier citoyen observe les conséquences de la coupe de résineux abattus par des forestiers sur une parcelle, dans le Parc naturel régional du Morvan, près de Dun-Les-Places, dans le centre de la France, le 3 septembre 2021. Jean-Philippe Ksiazek / AFP

Le gouvernement a organisé fin 2021 les « Assises de la forêt et du bois » dans un contexte marqué par un intérêt croissant de la société envers les enjeux forestiers et l’avenir de la filière bois.

Depuis quelques années maintenant, le sujet forestier (re)devient politique, s’émancipe de son cadrage technico-administratif et de son cloisonnement socioprofessionnel.

Dans une récente note publiée chez Terra Nova, Barbara Pompili, ministre de la Transition écologique, résume de manière explicite les termes de ce débat politique :

« la fin de la priorité à la fonction de production sur les autres services environnementaux. »

Cette proposition de changement de paradigme, confortée par les orientations de la récente Stratégie forestière européenne, vient rouvrir le débat sur les principes de la gestion durable définis dans les années 1990.

Le risque est de voir cette forme de politisation du sujet forestier aboutir à un affrontement idéologique opposant économie et écologie. Pour tenter d’éviter cet écueil, nous proposons un recadrage du débat autour de trois (autres) grands dilemmes politiques à traiter pour affronter les défis contemporains : le dilemme de la souveraineté, le dilemme de la multifonctionnalité et le dilemme démocratique.

Le dilemme de la souveraineté

La forêt constituait aux XVIIe et XVIIIe siècles une ressource stratégique pour l’État, avant de devenir un sujet d’intérêt marginal et relativement négligé par les pouvoirs publics. Depuis quinze ans, elle est de nouveau une composante déterminante de la politique de transition énergétique et de la Stratégie nationale bas carbone.

La réaffirmation de cette souveraineté nationale sur les forêts s’est traduite par la mise en œuvre d’une politique de soutien à l’investissement à l’aval (Fonds chaleur, Fonds Bois) et d’incitation à la mobilisation de bois afin d’opérer une relance productive de la filière.

Les résultats sont peu concluants (peu d’augmentation de mobilisation de la biomasse, augmentation du déficit de la balance commerciale), mais cette stratégie inspirée des modèles allemands et scandinaves ne fait l’objet d’aucune remise en cause.

Au contraire, elle est renforcée à travers une augmentation des soutiens à l’investissement, voire le recours à des mesures protectionnistes, sans interrogation sur les raisons structurelles de l’échec de cette politique. Il existe pourtant d’autres options que cette stratégie dictée par une vision centralisée du développement économique et une conception productiviste de la relance industrielle.

Comme le suggère la Stratégie européenne pour la bioéconomie de 2018, il est possible de s’appuyer sur les dynamiques locales et régionales pour encourager l’émergence de différentes formes de bioéconomie circulaire, favorisant la synergie au sein des chaînes de valeur entre les territoires ressource et les systèmes industriels.

Cette logique de développement endogène, adaptée à l’hétérogénéité de la forêt française, implique de renoncer en partie à la souveraineté nationale sur les forêts pour laisser les territoires définir leur propre trajectoire de valorisation. Elle implique aussi d’assumer que la stratégie bas carbone se raisonne à l’échelle européenne et que notre approvisionnement en produits bois continuera en partie de dépendre de nos partenaires européens.

Le dilemme de la multifonctionnalité

La multifonctionnalité est un principe « constitutionnel » de la politique forestière nationale. Il reconnaît que la forêt contribue à fournir un ensemble de biens et services d’intérêts individuels et collectifs.

Sans le remettre en question en tant que principe général, les débats actuels sur les coupes rases et la sylviculture intensive témoignent de la difficulté à le mettre en œuvre et à trouver un compromis social et politique sur le terrain technique : par exemple, entre les pratiques de plantation résineuse et les défenseurs de la sylviculture à couvert continu.

Dans ce contexte, la multifonctionnalité implique soit de hiérarchiser clairement les fonctions de la forêt, soit d’ouvrir un espace d’arbitrage sur la répartition spatiale des fonctionnalités forestières. La première conduira à un compromis technique fragile et régulièrement contesté sur les « bonnes » pratiques sylvicoles (établir une surface minimum de coupe rase par exemple). La deuxième implique de réintégrer la forêt dans les politiques d’aménagement du territoire et de redéfinir en profondeur la fiscalité forestière.

La première est aujourd’hui privilégiée, alors que la ségrégation spatiale des fonctions forestières s’opère de fait : les contraintes à la mobilisation du bois déterminent les zones faisant l’objet d’une gestion productive et les zones peu ou pas gérées. Sans prise en compte politique de cette situation, les tensions sur les espaces productifs et les problèmes liés à la non-gestion (incendies, maladies, dépérissements) s’accentueront.

La répartition spatiale des fonctions forestières est une composante fondamentale de l’aménagement forestier, mais il est nécessaire de l’intégrer aussi dans les outils d’aménagement du territoire afin de conduire une planification maîtrisée et légitimée de l’évolution des forêts en s’appuyant sur les outils existants tels que les schémas de cohérence territoriale et les plans locaux d’urbanisme.

Le dilemme démocratique

Enfin, la politique forestière souffre d’un manque de légitimité. Son absence prolongée du débat public a contribué à entretenir le faible niveau de connaissance et d’appropriation du sujet par les citoyens. Alors même qu’elle cristallise, parfois excessivement, les inquiétudes liées à la crise environnementale. Cette situation interroge aussi sur son assise démocratique et les conditions dans lesquelles ses orientations sont soumises à un débat large.

Pendant longtemps, la politique sectorielle forestière a été élaborée sur la base d’un modèle de prise de décision néo-corporatiste impliquant un nombre restreint de responsables de l’administration centrale et de représentants des intérêts industriels et forestiers.

Depuis une vingtaine d’années, l’État a soutenu l’organisation des acteurs professionnels et interprofessionnels afin d’élargir la base consultative et de favoriser la coordination des intérêts. Les représentants de la société civile et les organisations environnementales ont été davantage intégrés aux arènes de consultation (Conseil supérieur de la forêt et du bois par exemple). Mais ils demeurent minoritaires, ce domaine d’action publique étant organisé selon une perspective interprofessionnelle dans l’objectif de consolider une logique de filière.

Cette configuration de l’assise démocratique de la politique forestière contribue à limiter la capacité d’ouverture du débat forestier à la diversité des acteurs qui aujourd’hui revendiquent un droit de regard sur l’avenir de la forêt.

Pourtant, il existe une alternative, qui implique l’ouverture des arènes (notamment infranationales) de décision (et pas uniquement de consultation). Elle risque de contribuer à fragiliser la dynamique interprofessionnelle et à affaiblir la cohésion nationale de la filière : cette évolution semble toutefois inéluctable et nécessite non seulement de réformer les organes de gouvernance, mais aussi d’améliorer les conditions de définition et de cadrage des problèmes publics afin de pacifier les conditions du débat démocratique.

L’État doit réaffirmer son rôle politique

À travers cette lecture des différents « dilemmes », l’objectif est bien de contribuer à l’amélioration nécessaire du cadrage des défis à relever pour refonder une politique forêt-bois de long terme.

Aucun de ces dilemmes ne se résoudra en privilégiant radicalement l’une ou l’autre des options, mais bien en trouvant des compromis et des ajustements sur la base d’un débat ouvert et argumenté. En filigrane de ces enjeux est interrogée la capacité de l’État à favoriser et à organiser la diversité et l’hétérogénéité des trajectoires de transition écologique dans les territoires.

Miser sur la subsidiarité et le développement endogène ne signifie pas moins d’État, cela implique au contraire de sa part un effort important d’orchestration politique et une capacité de projection sur un horizon temporel compatible avec les enjeux forestiers et la crise climatique.

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