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Assurance-chômage : faut-il renforcer le contrôle des chômeurs ?

Suivre les allocataires, ce n’est pas uniquement lutter contre des refus d’emplois qui n’expliquent que quelques dixièmes de points de chômage. Nicolas Tucat / AFP

Si la réforme de l’assurance-chômage doit entrer en vigueur au 1er juillet, l’opposition ne désespère pas d’obtenir son retrait. Rassemblés devant l’agence Pôle emploi d’Aubervilliers (Seine-Saint-Denis) le mardi 8 juin, les députés socialistes ont par exemple dénoncé une réforme « brutale » et « injuste », invoquant notamment les résultats d’une étude d’impact de l’Unédic.

D’après celle-ci, la nouvelle réforme de l’assurance-chômage conduira à une baisse de l’allocation journalière pour 1,15 million de chômeurs, tout en augmentant la durée moyenne de versement de 3 mois. L’objectif reste une baisse des dépenses de 2,3 milliards d’euros.

Contrairement à la tendance actuelle en Europe, cette réforme semble s’écarter du modèle de flexisécurité, construit notamment au Danemark. Celui-ci, souvent représenté sous la forme d’un triangle, associe flexibilité des règles d’embauches et de licenciements, générosité des indemnités de chômage et une politique active dans le suivi des chômeurs.

Éviter les contresens

Ce dernier sommet du triangle s’invite régulièrement dans le débat public. À en croire certains chiffres, le stock d’emplois inexploités de l’économie française serait considérable et une meilleure orientation des chômeurs pourrait alors constituer un levier efficace dans la lutte contre le chômage de masse.

À bien y regarder, les chiffres ne semblent cependant pas si explicites. La réduction et la quantité d’emplois vacants ne paraissent pas constituer l’enjeu prioritaire du contrôle des chômeurs.

Les concepts d’« emplois vacants » et d’« emplois non pourvus » s’avèrent souvent utilisés de manière interchangeable. Il s’agit pourtant de deux notions différentes. Eurostat, l’agence statistique de l’Union européenne, définit un emploi vacant comme « un poste nouvellement créé et non pourvu, ou qui deviendra vacant sous peu et que l’employeur souhaite pourvoir immédiatement ou dans un délai déterminé ».

Ainsi, tous les emplois de l’économie française sont-ils restés vacants au moins quelques jours avant d’être pourvus. Le concept d’emploi vacant ne fournit par conséquent aucune information sur la durée de vacance d’un emploi ou la propension des chômeurs à refuser des propositions d’embauche.

La mauvaise compréhension de cet indicateur conduit de nombreux commentateurs à un contresens. La présence d’emplois vacants signale en effet avant tout un marché du travail en bonne santé : plus l’économie crée de nouveaux emplois, plus le nombre de postes vacants est élevé.

Pas faute de candidats

À ce titre, les résultats de l’économie française demeurent inquiétants. Contrairement à une idée répandue, la France présente un des taux de vacance les plus faibles du continent européen. Celui-ci est de 1,4 % contre 2,4 % pour les Pays-Bas, 2,1 % pour l’Allemagne et 1,8 % pour la Suède. Derrière la France, on retrouve l’Italie (0,9 %), l’Espagne (0,7 %) et la Grèce (0,3 %). Cela peut s’interpréter comme le signe d’un marché du travail français sclérosé avec peu de séparations et peu de créations de postes.

Le concept d’emploi non pourvu renvoie, lui, à une autre réalité aux contours incertains. Dans les faits, il n’existe d’ailleurs pas de mesure précise des offres d’emplois non pourvues. En 2018, sur 3,2 millions d’offres d’emploi déposées à Pôle emploi, 343 000 n’ont pas trouvé preneur.

Pôle emploi

L’ensemble de ces échecs de recrutement ne semble pas attribuable à l’absence de candidat. Loin de là, comme le montrent les chiffres de Pôle emploi qui, depuis 2011, indique les raisons pour lesquelles une offre n’a pas abouti à un recrutement : 112 000 d’entre elles, en 2018, ont fait l’objet d’un retrait suite à la disparition du besoin de recrutement, 157 000 faute d’avoir trouvé un candidat adéquat et 74 000 restent disponibles. Sont généralement concernés des postes aux qualifications très spécifiques et de temps partiel.

Il convient de rapporter ces données aux 3,2 millions de propositions d’emplois déposées auprès de Pôle emploi. Les projets de recrutement abandonnés faute de candidat représenteraient ainsi moins de 4,9 % des créations d’emplois potentielles. On comprend alors aisément que le refus de propositions d’emplois n’explique que quelques dixièmes de points du taux de chômage.

Faut-il pour autant en déduire que le renforcement du suivi des chômeurs, pour qu’ils s’orientent au mieux vers les postes à pourvoir, est inutile ? La réponse à cette question ne semble pas aussi triviale qu’il n’y paraît.

Générosité et contrôle

La focalisation du débat autour des problématiques de la fraude et du coût des indemnités tend à faire oublier un élément essentiel : la vocation première de l’assurance-chômage reste la protection des travailleurs contre les risques de perte de revenus. Dans des économies où la souplesse du marché du travail compte de plus en plus parmi les facteurs de compétitivité, un système d’assurance-chômage généreux facilite la mobilité professionnelle.

À l’image des économies d’Europe du Nord, l’évaluation de l’architecture de l’indemnisation du chômage doit se faire en fonction de plusieurs critères : sa capacité à couvrir efficacement les travailleurs contre les risques induits par la flexibilité et les incitations à la reprise d’emploi.

À partir de données danoises, les économistes Michael Rosholm et Michael Svarer ont démontré dans un article publié en 2008 que l’obligation de participer à un programme de formation augmentait de manière significative la probabilité de sortir du chômage. Cet effet apparaît même avant le début de la formation. Une autre étude sur données néerlandaises calcule un taux de sortie du chômage aux Pays-Bas multiplié par deux pour les chômeurs dont les prestations ont été suspendues temporairement.

Le Danemark fait partie des économies qui ont le contrôle le plus étroit des demandeurs d’emploi – Les scores varient de 1 (contrôle le moins strict) à 5 (contrôle le plus strict). Kristine Langenbucher (2015)

Ces systèmes d’indemnisation présentent deux points communs : ils sont particulièrement généreux et font le pari de l’individualisation en renforçant le suivi et le contrôle des demandeurs d’emploi.

Au Danemark, les indemnités chômage peuvent représenter jusqu’à 90 % du salaire de référence et être perçues pendant 2 ans. Selon une étude de l’OCDE publiée en 2015, ce pays compte aussi parmi les plus rigoureux d’Europe en matière de contrôle des chômeurs avec les Pays-Bas, la Suède et la Suisse.

Loin d’une logique punitive

Les travailleurs danois se voient ainsi proposer le contrat suivant : une sécurisation des revenus et des parcours professionnels en contrepartie de nouvelles obligations assurant leur insertion sur le marché du travail. Les économies d’Europe du Nord apportent la preuve qu’il est possible d’améliorer la protection financière contre le risque de chômage en contrepartie d’un renforcement du suivi des chômeurs.

Dans la lignée de travaux portant sur l’architecture optimale de l’indemnisation du chômage, nous avons évalué les conséquences de l’introduction d’un système de flexisécurité en France. Il apparaît clairement qu’un renforcement du suivi des travailleurs dès leur entrée au chômage devient un substitut efficace à la réduction des indemnités.

Pareille réforme permet d’alléger le coût pour le contribuable sans pour autant réduire le niveau de protection des chômeurs. Bien au contraire, les gains obtenus par un meilleur accompagnement permettent d’augmenter le montant des indemnités sous réserve d’une recherche active d’emploi. Cette hausse sous condition des allocations avec la durée du chômage semble même fortement inciter à rechercher un emploi et à participer aux programmes de formation.

Loin d’une logique punitive, le contrôle des chômeurs devient alors un moyen de concilier maîtrise des coûts et couverture efficace du risque de chômage grâce à une individualisation de l’accompagnement et des indemnités. À cet égard, le big data et le développement de la science des données restent d’ailleurs des outils encore sous-exploités pour le suivi des chômeurs.

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