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Au Brésil, le « cratère » à remonter le temps du climat

L’un des membres de l’équipe de forage brésilienne mandatée pour réaliser les prélèvements dans la tourbière de Colônia. Moises Saman/Magnum, CC BY-NC-ND

Située au sud de la ville de São Paulo au Brésil, la « dépression de Colônia », gigantesque cratère de 3,6 km de diamètre dont la formation est probablement due à un impact météoritique, constitue un véritable eldorado pour les paléoclimatologues, spécialistes des climats du passé.

Cette dépression marécageuse s’est formée au cœur de la forêt atlantique brésilienne, l’une des forêts tropicales humides les plus riches de la planète. L’âge de la formation de Colônia est estimé à trois millions d’années ; son remplissage sédimentaire constitue autant d’archives géologiques, biologiques et climatiques uniques sur l’histoire de la Terre, et plus particulièrement celle des tropiques de l’hémisphère sud.

Des informations inédites

Les études sur le climat qui s’intéressent au temps long – c’est-à-dire qui observent la succession des cycles glaciaires et interglaciaires – sont très rares. Car seuls quelques prélèvements (on parle aussi d’« enregistrements ») peuvent permettre de reconstituer l’évolution en continu de ces climats du passé.

Il en est ainsi des carottes de glace prélevées en Antarctique ; celles-ci ont permis de reconstituer les climats sur 8 cycles glaciaires et interglaciaires, ce qui correspond à 800 000 ans. Quant à celles réalisées dans les océans, elles permettent de reconstruire jusqu’à 103 cycles glaciaires et interglaciaires au cours des dernières 2,7 millions d’années.

Concernant les régions tropicales, on connaît pour l’hémisphère nord les enregistrements de Fuquene et de Funza (Colombie) et ceux de Bosumtwi (Ghana) qui ont permis de « remonter » à 1 million d’années. Pour l’hémisphère sud, les carottes réalisées dans le Lynch Crater en Australie auront permis d’explorer les variations climatiques sur les derniers 230 000 ans.

Avec les recherches conduites dans le cratère de Colônia, on va donc pouvoir, pour la première fois, préciser l’évolution des climats de la zone tropicale de l’hémisphère sud en continu et sur un temps très long. Toutes les informations que cette étude générera seront ainsi totalement nouvelles.

Vue générale du bassin de Colônia. Moises Saman/Magnum Photos, CC BY-NC-ND
La forêt tropicale recouvre encore partiellement le bassin. Moises Saman/Magnum Photos, CC BY-NC-ND

Le prélèvement de 1989

À Colônia, une première carotte de 7,80 mètres de profondeur a été réalisée en 1989 et ses résultats publiés en 2009. Cet enregistrement a permis de montrer le potentiel scientifique de la dépression de Colônia en mettant en lumière un dépôt sédimentaire régulier permettant d’établir une chronologie fiable ; ce prélèvement a aussi montré que le sédiment contenait des grains de pollen, intéressants pour étudier l’évolution de la forêt tropicale.

Cette première étude a permis de remonter jusqu’à 120 000 ans environ, c’est-à-dire un cycle glaciaire/interglaciaire complet. Les analyses de pollen réalisées sur cette carotte de 7,80 mètres ont montré comment la forêt tropicale répondait aux variations des cycles de l’insolation et des précipitations ; elles ont également mis en lumière les différences avec les enregistrements effectués dans les régions tempérées, montrant notamment le maintien d’une forte biodiversité dans cette région pendant l’époque glaciaire.

Une deuxième carotte, prélevée en 2014 à 14 mètres de profondeur (et dont les résultats sont en cours de publication), a montré un changement important de composition du sédiment vers 9 mètres de profondeur, avec non plus de la tourbe mais la présence d’argiles lacustres. Celles-ci indiquent que la dépression, avant de se combler sous la forme de la tourbière marécageuse que nous observons aujourd’hui, était formée par un lac. Cette carotte a été datée à sa base à 200 000 ans.

Ces informations ont ouvert de nouvelles perspectives d’analyses, car les variations du niveau des lacs sont de manière générale davantage reliées aux conditions climatiques régionales que la formation d’une tourbière.

De nouveaux prélèvements à 50 mètres

La mission de prélèvements à 50 mètres, réalisée à l’été 2017 dans le cadre du projet Tropicol et documentée par le travail photographique de Moises Saman de l’Agence Magnum, visait à réaliser un nouvel échantillon plus profond afin de travailler sur les longues échelles de temps et de répondre à des nouvelles questions scientifiques.

Pour atteindre ces 50 mètres de profondeur, une entreprise de forage brésilienne a été mandatée avec un double objectif : forer et récupérer le matériel issu du forage. Laurent Augustin, ingénieur foreur au Centre de carottage et de forage national (C2FN), a accompagné tout le processus pour garantir la qualité des prélèvements.

Le forage s’est effectué en 37 tronçons de 150 cm de longueur. Deux carottes de 50 mètres ont ainsi été récupérées, situées à 4 mètres l’une de l’autre et décalées de 80 centimètres en hauteur. Il s’agissait d’assurer un recouvrement maximum du dépôt sédimentaire.

Lors du forage à 50 mètres. Marie-Pierre Ledru/IRD, CC BY-NC-ND
Examen en laboratoire d’une section de sédiment prélevée dans la dépression en août 2017. Marie-Pierre Ledru/IRD, CC BY-NC-ND
Détail du sédiment qui permettra d’observer les variations de l’environnement et du climat sur une longue durée et en continu. Marie-Pierre Ledru/IRD, CC BY-NC-ND

Le prélèvement de ces carottes s’est effectué sur deux semaines et a nécessité l’intervention de 8 personnes. Au cours du forage, les visiteurs – étudiants et professeurs des universités de São Paulo et de Campinas ainsi que les habitants des environs – furent nombreux.

À 50 mètres, il devient possible de travailler sur les argiles lacustres, dont le dépôt est plus homogène que les tourbes de la partie superficielle ; et surtout, ce forage donne accès à un temps bien plus long de… 800 000 ans au minimum ! Il est alors possible d’atteindre les mêmes échelles de temps que celles des prélèvements effectués en Antarctique.

Réalisé avec un carottier de 9 cm de diamètre, contre des demi-diamètres de 5 cm lors des enregistrements précédents, le nouveau prélèvement a aussi fourni du matériel en quantité plus importante pour les différentes analyses. Plus de spécialistes des disciplines relatives aux reconstitutions des climats et des environnements des tropiques vont ainsi pouvoir être sollicités.

Après le forage

Depuis le forage de cet été, tous les tubes ont été scannés sans être ouverts à l’Université de São Paulo pour fournir une première image du contenu sédimentaire. Ils ont ensuite été transportés par avion à Aix-en-Provence pour être conservés en chambre froide à 4 °C.

L’analyse de ces prélèvements se fait en plusieurs étapes. Il s’agit d’abord de dater les sédiments pour préciser le cadre chronologique. 3 méthodes sont utilisées pour cette datation : le carbone 14 jusqu’à 40 000 ans, la luminescence jusqu’à 400 000 ans et le paléomagnétisme pour les temps plus anciens. Cette phase qui a démarré en janvier 2018, se prolongera jusqu’à l’été.

Le scanner de l’université de São Paulo. Moises Saman/Magnum Photos, CC BY-NC-ND
Les variations du sédiment à l’intérieur de chaque section apparaissent sur l’écran du scanner. Moises Saman/Magnum Photos, CC BY-NC-ND

En parallèle, depuis janvier, des analyses dites non destructives – parce qu’effectuées sur un demi-diamètre de carotte sans découpage du sédiment – de la géochimie et des composants minéralogiques du sédiment (qui vont montrer les variations relatives au paysage, à l’érosion, aux pluies) sont menées au Centre européen de recherche et d’enseignement des géosciences de l’environnement d’Aix-en-Provence (Cerege).

Lors de l’ouverture des carottes, en janvier, l’autre demi-diamètre prélevé a été entièrement découpé centimètre par centimètre. Sur ces tranches de sédiments, différentes analyses seront conduites : celle des grains de pollen pour étudier les modifications de la composition floristique de la forêt tropicale, son expansion et sa régression en fonction des cycles climatiques ; celle des microcharbons pour identifier les phases d’incendie ; celle des biomarqueurs, composants biochimiques des végétaux reliés au climat ; celle de la microbiosphère (bactéries) ; enfin, la biochimie des parois des pollens servira à reconstituer l’intensité radiative du rayonnement ultra-violet (énergie solaire).

Ces analyses mobilisent différentes équipes dans des universités et centres de recherche au Brésil, en France, en Suisse et aux Pays-Bas.

Toutes ces analyses seront ensuite rassemblées, les résultats obtenus interprétés pour en extraire l’information globale afin de communiquer les nouvelles découvertes dans des publications scientifiques à partir de 2019. Une exposition à destination du grand public est également programmée à São Paulo au musée CienTec pour la fin 2019.

Échantillons prélevés dans le « cratère ». Moises Saman/Magnum Photos, CC BY-NC-ND

Qu’attendre de cette mission ?

Cette mission scientifique conduite dans le cratère de Colônia devrait permettre de mieux comprendre la place des tropiques dans la dynamique climatique globale en répondant notamment à ces questions : quel est le rôle de la circulation tropicale sur les climats globaux ? Comment les variations des pôles sont-elles ressenties sur la zone intertropicale ? Quels sont les facteurs de forçage – température de surface océanique, expansion des glaces aux pôles, CO2, insolation, énergie radiative… – qui sont à l’origine des phases de régression ou d’expansion de la forêt tropicale ?

Ces résultats nous permettront aussi de continuer à explorer le « cratère » en préparant pour 2020 une nouvelle campagne de forage dont l’objectif sera d’aller jusqu’à la base du dépôt sédimentaire, à environ 300 mètres de profondeur, afin d’élucider l’origine de la dépression de Colônia.


Le forage de la dépression de Colônia s’inscrit dans le cadre du projet Tropicol, soutenu par le programme LEFE de l’INSU et le programme Climate Initiative de la Fondation BNP Paribas.

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