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Au cinéma, l’identité amérindienne trop souvent malmenée

Ajuawak Kapashesit dans le film Indian Horse. Allociné

A l'occasion de la sortie du film de Martin Scorsese, Killers of the Flower Moon, fresque sur le drame méconnu des Amérindiens Osage dans les années 1920, nous republions cet article qui mentionne d'autres productions récentes et questionne la représentation des Amérindiens dans le cinéma américain.


Un chef amérindien déclara jadis à des Blancs : « Votre civilisation va nous détruire. Mais votre magie le [cinéma] va nous rendre immortels ». Ces propos, extraits du documentaire canadien Reel Injun de Neil Diamond et Catherine Bainbridge (2009), étaient on ne peut plus clairvoyants si on les replace dans leur contexte. Car en plus de 100 ans d’histoire, l’industrie cinématographique a réalisé plus de 4 000 films sur les Amérindiens. Comme l’explique Anne Garrait-Bourrier, c’est bien « le genre cinématographique qui a le plus repris les anciens stéréotypes historiques liés à l’image de l’Indien pour en faire le centre d’« histoires », avec un h minuscule, qui n’avaient plus rien à voir avec les réalités de la conquête de l’Ouest ».

Hollywood, notamment à partir de ses westerns des années 1930 à 1950, a exploité à l’extrême l’image de l’Indien et l’a fait évoluer au gré de la conjoncture (goûts des cinéastes, volontés des producteurs, attentes des spectateurs), allant ainsi du « sauvage sanguinaire » au « noble sauvage » en passant par l’« Indien New Age ».

Toutefois, et bien que le jeu soit une composante essentielle des cultures amérindiennes (comme l’attestent les nombreux écrits missiologiques et anthropologiques), un aspect est resté peu visible voire minoré : la figure du sportif. C’est à partir de cette idée que le cinéaste Stephen Campanelli, s’inspirant du roman de Richard Wagamese, a abordé, dans Indian Horse (2017), la question identitaire des Amérindiens qui, entre tradition et modernité, se situent dans un entre-deux culturel.

Générations sacrifiées

Le héros, tourné vers la vie occidentale tout en se nourrissant de son héritage indien, des droits et devoirs qui y sont associés, cherche inlassablement sa place. Le film raconte l’histoire dramatique d’un jeune garçon ojibwa – Saul Indian Horse – qui, enlevé à sa famille pour intégrer de force un pensionnat catholique en 1961, doit oblitérer sa culture.

Il trouve temporairement son salut dans le hockey, un sport qui lui permet de s’épanouir et d’intégrer une équipe professionnelle. Toutefois, le racisme latent auquel il est confronté a raison de lui. Il jette l’éponge et finit par sombrer dans l’alcoolisme et la misère. Après des années d’errance, sauvé in extremis de la mort, il décide de se repentir en retournant sur les lieux de son enfance. Et là, en foulant l’ex-patinoire du pensionnat de Saint-Jerome, il prend conscience – sous forme de flash-backs – d’un autre mal qui le ronge depuis toujours : les abus sexuels dont il fut victime.

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Le pensionnat est ici décrit comme un lieu de souffrance, une dé-amérindianisation voire un génocide culturel : on voit à plusieurs reprises dans le film des enfants amérindiens subir de vrais abus psychiques et physiques. Il faut dire que le gouvernement canadien avait mis en place une politique visant à éradiquer les langues et cultures autochtones, fournissant ainsi des explications sur les taux élevés d’alcoolisme, de suicide et autres fléaux sociaux qui affectèrent grandement la communauté amérindienne, tout comme les Inuits par la suite.

S’appuyant sur les propos de Richard Wagamese, le réalisateur Stephen Campanelli a pris soin de mentionner ces quelques informations dans le générique de fin, entrecoupées par des images d’archives montrant la vie de jeunes Amérindiens dans les pensionnats :

« Entre la fin des années 1800 et 1996, plus de 150 000 enfants indigènes ont été envoyés dans des pensionnats. Selon les archives, au moins 6 000 enfants sont morts pendant leur séjour dans ces établissements. Mais on estime qu’ils sont des milliers de plus. En 2008, le gouvernement canadien a finalement présenté des excuses et mis en place une commission de vérité et de réconciliation chargée d’établir la vérité. Nous encourageons tout le monde à ouvrir son cœur et son esprit à la souffrance et à la douleur infligées à des générations d’enfants et de familles indigènes par des politiques d’assimilation agressives sanctionnées par le gouvernement. »


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En revenant sur l’histoire de ces générations sacrifiées, Indian Horse installe un certain nombre de débats sur la vérité historique, sur les conditions sociales actuelles, sur le destin de ces peuples devenus étrangers et marginalisés sur leurs propres territoires. L’évocation de ces témoignages douloureux constitue un levier dramaturgique important à travers lesquels sont abordés, avec plus ou moins de force, les questions de pauvreté dans les réserves, de dépendance à l’alcool ou à la drogue, de violences intercommunautaires voire familiales ; autant de blessures intérieures qui ont poussé certains enfants au suicide. Ce long métrage vient ainsi renouveler un genre cinématographique qui a eu tendance trop longtemps à imposer un modèle déformé voire humiliant de l’Indien dans des intrigues souvent manichéennes.

Donner la parole aux Amérindiens

Un changement dans l’histoire du cinéma qui a commencé à s’opérer à la fin des années 1970, avec la production d’un cinéma « pro-Indien » souhaitant montrer une vision plus réaliste de la situation amérindienne, et qui déboucha ces dernières années sur une production contemporaine hyperréaliste, voire désabusée comme The Rider de Chloé Zhao (2017), The Grizzlies de Miranda De Pencier (2018) et, bien évidemment, Indian Horse.

Les cinéastes d’aujourd’hui, à l’instar de Stephen Campanelli, donnent la parole aux Amérindiens eux-mêmes, sans maquillage ni faux-semblants, sans clichés susceptibles de mettre la communauté en danger dans ce qu’elle a de plus fragile : la préservation de son patrimoine culturel et religieux. Ce cinéma est, comme le souligne Anne Garrait-Bourrier, « messager d’une autre voix, plus corrosive et sans concession : celle du réel américain ».

Indian Horse s’inscrit aussi, d’une certaine façon, dans la lignée des films sportifs en présentant l’importance du jeu dans la culture traditionnelle indienne – « Le jeu, ma survie » déclare Saul dans le film – et le rôle joué par les pensionnats dans l’appropriation par les Amérindiens de pratiques sportives modernes.

Ces institutions incluent dans leur cursus les pratiques physiques et plus particulièrement le sport, devenu partie intégrante de la culture nationale et incarnant les valeurs d’un système qui encourage l’esprit de compétition, l’individualisme, le succès. Le sport scolaire, pensé comme un facteur d’assimilation, devient un substitut aux pratiques ludo-sportives ancestrales.

Ces écoles, à l’instar de Carlisle et Haskell, permettent l’émergence de sportifs de haut niveau d’origine amérindienne comme James Francis Thorpe ou William Mills dont les parcours sont repris dans les biopics Jim Thorpe – All American (1951) et Running Brave (1983). Cette insertion remarquable des Amérindiens dans le monde sportif ne masque pas pour autant les dérives inhérentes à la société nord-américaine d’alors.


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Le racisme ambiant côtoie les exploitations commerciales, tout comme l’utilisation de l’indianité comme faire valoir sportif prend rapidement et durablement des allures de pseudototémisme, exploitant les symboles culturels amérindiens dans les différentes composantes de la société. Les athlètes amérindiens, même s’ils ne font pas l’objet d’interdiction de jeu, sont, tout comme leurs homologues de couleur, les victimes d’épithètes à caractères racistes ou autres insultes. Le film reprend cela via l’accueil reçu par l’équipe amérindienne des « Moose » dans le championnat régional, par Saul au sein de l’équipe des « Monarchs » de Toronto, et dans la caricature du joueur dans la presse.

Au regard de l’histoire fictionnelle tragique de Saul ou bien réelle de Thorpe, Indian Horse dénonce les injures et les cruels affronts dont les Amérindiens ont été victimes. David Q. Voigt insiste sur ce fait à travers ces quelques mots :

« […] peut-être aucun groupe ne dut faire face à autant de sarcasmes sans pitié que ne le firent les Amérindiens ».

Ce n’est certainement pas la bêtise populaire et médiatique qui a eu raison de la carrière professionnelle de Saul mais bien une conjonction de facteurs et de traumatismes auxquels plusieurs « générations volées » ont dû faire face.

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