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Au collège et au lycée, bientôt des chefs d’établissement issus du secteur privé

Au lycée Jean de La Fontaine, à Paris, le jour des résultats du bac (session 2020). Martin Bureau / AFP

Un décret en date du 11 août de cette année vient rompre avec le principe à la base du recrutement des chefs d’établissements secondaires depuis plus de deux siècles : celui de « l’esprit de corps » pour une institution appelée d’abord « Instruction publique » puis « Éducation nationale ». En clair, il fallait jusqu’ici avoir exercé dans l’enseignement, ou venir de la catégorie A de la fonction publique, pour pouvoir prétendre à un poste de principal ou proviseur.

Signe des temps et peut-être de temps où l’on en est jusqu’à avoir oublié cet « esprit » et ses raisons historiques, il a été décidé que désormais (jusqu’à concurrence de 10 % des nouveaux recrutés), il existerait une troisième voie au concours de recrutement des personnels de direction : toute personne issue du privé, du secteur associatif ou simplement élue pourra s’y présenter à la seule condition de justifier d’une activité professionnelle d’au moins huit ans.

Actuellement, 82 % des personnels de direction en poste ont été auparavant enseignants dans l’enseignement primaire ou secondaire, 16 % conseillers d’éducation ou psychologues de l’Éducation nationale ; sans compter les 2 % qui sont venus d’autres administrations, via une deuxième voie assez récente.

La justification avancée par le ministère est qu’il s’agit de faire face à la baisse du nombre de candidats et d’ouvrir la profession de chefs d’établissements secondaires à des personnes « au profil managérial et moins exclusivement pédagogique »

Exception scolaire

La référence au « profil managérial » a le mérite de la clarté ; en revanche, celle à des critères « moins exclusivement pédagogiques » dénote une prodigieuse impasse sur les raisons fondamentales de la mise en place du type de recrutement des chefs d’établissement depuis plus de deux siècles : elles n’ont pas grand-chose à voir avec des raisons « pédagogiques », nullement évoquées par ses illustres fondateurs.

La centralisation étatique de l’école française s’est faite selon des modalités très particulières, à proprement parler « extraordinaires » (c’est-à-dire ne relevant pas de l’administration « ordinaire »). On ne peut comprendre le sens et la singularité de la centralisation de l’école française si on ne saisit pas qu’il s’agissait de mettre en place non seulement une administration publique mais une corporation publique.

La reprise même du terme « Université » (« Universitas » signifie « corporation » au Moyen âge) situe bien ce qui est en jeu : créer un corps dont l’esprit serait au service de l’État en place. L’Université impériale qui a été mise en place par Napoléon Ier est plus qu’une administration : elle est une corporation laïque.

Le territoire national est divisé en académies (une par cour d’appel), à la tête desquelles sont placés des recteurs. Il est remarquable que l’Empereur – qui a pourtant mis en place la forte présence des préfets dans les départements – ne veut pas que l’administration de l’école relève de l’administration commune : les enseignants et les chefs d’établissements sont responsables devant une instance – l’académie et son recteur – qui n’a pas d’équivalent (car les régions n’existent pas encore, et les départements sont à un échelon inférieur).

Napoléon considère en effet que l’école (qui est à ses yeux une magistrature d’ordre culturel et spirituel) doit être, à l’instar de la Justice, dirigée de façon spécifique, autonome, et par les siens.

Enfin, et surtout, le dispositif des grades et l’accès aux différents postes sont aménagés de façon à ce que l’on puisse faire carrière, à ce qu’il y ait corps et esprit de corps. Comme le dit lui-même Napoléon,

« il y aurait un corps enseignant si tous les proviseurs, censeurs et professeurs de l’Empire avaient un ou plusieurs chefs, comme les Jésuites avaient un général et des provinciaux ; si l’on ne pouvait être proviseur ou censeur qu’après avoir été professeur (…) ; le corps enseignant étant un, l’esprit qui l’animerait serait nécessairement un ; et, sous ce rapport, le nouveau corps enseignant l’emporterait de beaucoup sur les anciennes corporations ».

Corporation publique

François Guizot, l’auteur de la grande loi de 1833 sur l’école, se situe clairement dans la continuité de Napoléon Ier et de « l’Université » en ce qui concerne le mode d’organisation et de gouvernance de l’école.

« L’autorité souveraine, dit-il, peut diriger l’Instruction publique de deux manières : 1°) par la voie et d’après les principes de l’administration générale et ordinaire 2°) en la confiant à un grand corps formé d’après certaines règles et soumis à un gouvernement spécial (…). Elle ne peut réussir qu’en inspirant un même esprit, une tendance commune […] ».

En définitive, il s’agit de mettre en place non seulement une administration publique, mais une corporation publique (une sorte de « congrégation laïque »), c’est-à-dire un organisme concourant à la réalisation d’une même fin et ayant une inspiration et une unité morale commune.

On en a peut-être (presque) fini avec cela. Mais c’est cela qui est aussi et surtout en jeu. D’autant que l’on met pourtant facilement (et parfois à tout bout de champ) en avant ces temps-ci la République, l’école républicaine, ses exigences, ses droits et ses devoirs.

En définitive, on a peut-être raison d’opérer ces changements dans le recrutement des chefs d’établissement. Mais encore faudrait-il que cela se fasse en toute connaissance de cause : à savoir ce qu’on peut vraiment y gagner, mais aussi ce qu’on peut vraiment y perdre. Tout cela ne saurait se réduire à des considérations d’ordre simplement gestionnaire. Ou alors, il conviendrait de justifier clairement ce choix, aussi politique qu’un autre.

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