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Au Japon, des histoires d’eau et de fleurs bleues

Hanashōbu (Iris ensata) du jardin Meigetsu-in, à Kamakura en mai 2021. M.P-Traversaz, CC BY-NC-ND

Sur l’archipel japonais, la saison des pluies (juin-juillet) marque un tournant important dans le fil des saisons. Son nom Tsuyu, qui réunit les kanji 梅 « prune » et 雨 « pluie », nous rappelle que les averses accompagnent la récolte des prunes vertes, ume.

Deux femmes sous la pluie (1925-1936), par Ohara Koson (1877-1945). Rawpixel Ltd/Flickr, CC BY

Au même moment, d’innombrables variétés d’iris colorés viennent embellir les jardins comme pour faire oublier la morosité ambiante.

Les iris japonais comportent trois espèces : ayame (Iris sanguinea), kakitsubata (Iris leavigata) et hanashōbu (Iris ensata), suivant la forme de leurs corolles et leur affection plus ou moins prononcée pour l’eau.

Les témoignages d’amour leur étant consacrés sont abondants et la poésie traditionnelle leur rend de délicats hommages. Un haïku bien connu, composé par Kobayashi Issa en 1803, évoque leurs couleurs vives rappelant un arc-en-ciel :

Fleurs d’iris,
pareilles à l’arc-en-ciel,
s’élèvent.

La fine fleur des arts

La culture de ces fleurs élancées remonte à l’époque des Contes d’Ise, Ise monogatari (794-1185).

Couple s’apprêtant à traverser le pont Yatsubashi (1765-1770), de Suzuki Harunobu (1725-1770). Tokyo National Museum/ColBase

L’un de ces contes se déroule justement près d’un étang d’iris. Situé dans la province de Mikawa, il présente un pont de bois formé de huit segments. Ce pont, nommé yatsubashi, fut par la suite maintes fois mis en scène dans la peinture classique.

L’édifice est indissociable des iris d’eau et de célèbres jardins en présentent une réplique, tels ceux du sanctuaire Meiji-jingu à Tokyo ou ceux du temple Meigetsu-in à Kamakura.

Élément de la culture populaire nippone, ce même pont décore également les cartes du mois de mai du jeu de cartes Hanafuda, ainsi que plusieurs œuvres célèbres.

L’une des plus fameuses est probablement celle réalisée par Ogata Korin, maître de l’école artistique Rinpa. L’artiste de l’époque Edo (1603–1868) réalisa plusieurs séries de somptueux panneaux de type byōbu. Il est possible de contempler ces œuvres, couvertes de feuilles d’or, au musée Nezu de Tokyo et au Metropolitan Museum of Art de New York. Ces chefs-d’œuvre de style Rinpa, ainsi que les estampes d’Edo, auraient inspiré le peintre Van Gogh pour ses iconiques iris peints en 1889.

Les paravents aux iris d’Ogata Korin (1658-1716), partie droite réalisée après 1709. Wikimedia

Sphères d’indigo

Suivant de près les iris, les hortensias viennent alléger les cœurs lassés par les longues pluies du mois de juin. Cultivés depuis des siècles, ils sont le symbole de l’été arrivant.

Illustration botanique d’Hydrangea macrophylla « Otaksa » issue de Flora Japonica, de Philipp Franz Sielbold, publié en 1870. Wikimedia

Deux types d’arbustes aux inflorescences distinctes cohabitent sur l’archipel ; celles rassemblées en sphères, les gaku ajisai (Hydrangea macrophylla) et celles formant des plateaux, nommées sawa ajisai (H. serrata). Ces dernières rassemblent des fleurs aux imposants sépales colorés et de plus petits au centre.

Endémiques du Japon, les ajisai figurent déjà dans le Man’yōshū, anthologie de poésie du VIIIe siècle, ainsi que dans des ouvrages d’ikebana datant de la période Muromachi (1333–1568).

Il faudra en revanche attendre le XVIIIe pour que les premières identifications botaniques soient réalisées.

Deux médecins et botanistes, Engelbert Kaempfer puis Carl Peter Thunberg, décrivirent à cette époque de nombreux genres, dont ceux qui deviendront plus tard les Hydrangeas.

Le botaniste clandestin et amoureux

L’histoire de la rencontre entre botanistes européens et ces grandes fleurs bleues est particulièrement romanesque et intimement liée à celle de Philipp Franz von Siebold.

À l’époque de la fermeture de l’archipel, où seuls quelques notables néerlandais avaient le privilège d’accoster, Sielbold parvint à y entrer en se faisant passer pour l’un d’entre eux. Il séjournera ainsi 6 ans au Japon, de 1823 à 1829, où il enseignera la médecine occidentale à la demande du Shogun.

Kusumoto Otaki (1807-1865), par Carl Hubert de Villeneuve (1800-1874). Wikimedia

Il épousa par la suite la Japonaise Kusumoto Taki, qu’il surnommait « Otaksa ». De cette union naîtra une fille, Kusomoto Ine, qui deviendra la première femme docteur en médecine du Japon et médecin attitrée de la cour impériale.

Durant tout son séjour, Siebold ne cessa de se passionner pour la nature japonaise et conserva des relations étroites avec ses confrères vivant en Europe. Il échangea ainsi bon nombre d’objets de valeurs et de spécimens botaniques. Cependant, les envois de documents de cartographie, considérés comme secrets par le shogunat, conduiront à son expulsion en 1829.

De retour en Allemagne, après un séjour à Batavia, il se consacra à la culture des plantes nippones dans de grandes serres qu’il fit construire. Rapportées comme de précieux souvenirs, c’est ainsi que les plantes de l’archipel se développèrent en Europe. Parmi elles, Hydrangea macrophylla ‘Otaksa’ dénommée ainsi en hommage à sa bien-aimée épouse, l’hosta (Hosta sieboldiana)… mais aussi la renouée du Japon, itadori (Reynoutria japonica).

Cette dernière, désormais bien connue en Europe, est devenue la plante invasive la plus dévastatrice pour les écosystèmes du continent. Ravages causés par le bouturage d’un unique spécimen rapporté par bateau !

Malgré l’incident de la renouée, le travail de Siebold n’en demeure pas moins remarquable. Reconnu par les scientifiques japonais, un musée à Nagasaki lui est d’ailleurs consacré en place de son ancienne résidence.

Les pétales de l’infidélité

La fascinante histoire des hortensias ne cesse de surprendre. Si aujourd’hui ces derniers sont le symbole de la saison des pluies et désormais celui de la ville de Nagasaki, ils furent peu aimés au temps des samouraïs.

Hortensias (Hydrangea serrata) des jardins Hase-dera, à Kamakura en juin 2021. M.P-Traversaz, CC BY-NC-ND

Ces fleurs aux couleurs changeantes étaient à l’époque considérées comme un symbole d’infidélité alors que les iris étaient davantage réputés du fait de leurs feuilles rappelant la forme de sabres katana, attributs de la bravoure du samouraï.

La couleur indigo des hortensias est la plus fréquente, mais le panel de nuances s’étend du pourpre au cobalt, en passant par le rose et le violet, suivant les caractéristiques du milieu de culture.

Ainsi, les inflorescences tendent vers le rose lorsque le sol est davantage calcaire et moins acide. À l’origine de cette versatilité, il y un pigment sensible, la delphinidine, qui induit le bleuissement en fonction de l’acidité et de la concentration en aluminium du sol.

Jardins d’hortensias du temple Hase-dera, à Kamakura en juin 2021. M.P-Traversaz, CC BY-NC-ND

Nombreux sont les jardins à mettre en scène les hortensias en lisière de forêt, leur apportant ainsi ombre et fraîcheur. Parmi eux, la forêt d’hortensias du temple Hase et l’allée menant au temple Meigetsu-in, tous deux situés à Kamakura, constituent des lieux d’observation prisés.

Après cette spectaculaire floraison s’étalant sur plusieurs semaines, les pluies diluviennes viennent malheureusement délaver les fleurs indigo comme le ferait un large pinceau à lavis. Lorsque les orages sont terminés, début juillet, les quelques fleurs restantes sont alors bien grises, privées de leurs éclatantes couleurs.

La peine est cependant de courte durée, d’autres fleurs estivales venant à leur tour orner les jardins.

Elévation spirituelle

L’une des floraisons emblématiques de l’été japonais est celle du lotus (Nelumbo nucifera). Cette vivace aquatique, aux corolles blanches ou rosées est appelée hasu.

Avec leurs magnifiques fleurs érigées par-dessus les étangs boueux, elles sont des symboles de pureté et d’élévation spirituelle dans la pensée bouddhiste.

Lotus (Nelumbo nucifera) dans les jardins d’eau du sanctuaire Tsurugaoka Hachiman-gū, à Kamakura en juin 2021. M.P-Traversaz, CC BY-NC-ND

De grands étangs jouxtant temples et sanctuaires les mettent à l’honneur. Les plus appréciés étant ceux de Shinobazu à Tokyo et de Tsurukaoga Hachiman-gū à Kamakura.

Les Japonais s’y pressent tôt le matin pour mieux apprécier le déploiement des fleurs fanant en début d’après-midi. Ces jardins et leurs symboliques fortes contribuent à ancrer la fleur dans le paysage artistique asiatique.

La fleur de lotus n’est pas la seule à être appréciée, les racines le sont également pour leur saveur. Appelées renkon, les Japonais aiment les ajouter dans leurs recettes et les emploient comme tonique médicinal.

Bonheur estival

Autres vedettes de la belle saison, les ipomées (Ipomoea nil) entrent en scène début juillet.

Ipomées bleues (Ipomoea nil), à Takayama en juillet 2021. M.P-Traversaz, CC BY-NC-ND

Nommées asagao, littéralement « visage du matin », elles s’épanouissent à l’aube comme le lotus. Importées de Chine durant l’époque Nara (710-794) pour leurs vertus médicinales, c’est durant la période Edo qu’elles devinrent populaires comme symbole estival.

Depuis, de nombreux marchés proposent un grand nombre de plants aux couleurs toutes plus vives les unes que les autres.

Le plus grand d’entre eux est celui d’Iriya, le Iriya Kishibojin. Ce marché se tient chaque année début juillet près du temple Shingenji, à Tokyo et expose de multiples variétés, les bleues et les violettes étant les plus prisées.

Ipomées du marché d’Iriya, série des Trente-six fleurs (Sanjûrokkasen), Utagawa Hiroshige II, 1866. Wikimedia

Le marché floral d’Irya, déjà populaire au au XIXe siècle, fut d’ailleurs immortalisé par Hitagawa Hiroshige II.

Avec les éventails sensu, les cloches à vent furin et les feux d’artifice hanabi, nommés poétiquement « fleurs de feu », les ipomées sont des symboles d’un été heureux.

Après les fortes chaleurs estivales, l’arrivée de la fraîcheur de l’automne est très attendue par les Japonais. Cette nouvelle saison offrira le théâtre idéal pour de nouvelles contemplations botaniques !

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