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Au pays de la gastronomie, qui sauvera le secteur de la restauration ?

Les ratios d'endettement et de solvabilité des établissements traditionnels ont de quoi inquiéter. Franck Fife / AFP

La situation financière du secteur de la restauration traditionnelle est clairement inquiétante. Entre un quart des bars et restaurants, selon les estimations du guide Gault & Millau, et 40 %, d’après l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie, risqueraient de faire faillite des suites de la crise sanitaire du coronavirus. Qu’en est-il lorsque l’on regarde d’un peu plus près les comptes de ces établissements ?

Sur un échantillon de 14 667 établissements de type restauration traditionnelle (soit près de 15 % de l’ensemble de la population étudiée) extrait de la base Diane-Bureau van Dijk, 51 % seraient dans la zone rouge si l’on s’en tient au ratio d’endettement (endettement net/capitaux propres). Ce résultat doit toutefois être relativisé car, comme le confirme Éric Pichet, professeur à Kedge Business School et spécialiste d’analyse financière, ce secteur reste faiblement capitalisé. En effet, ce sont les charges de personnel qui constituent la majeure partie des coûts d’un restaurant.

Si l’on se réfère à un autre ratio populaire, celui de solvabilité (montant des ressources propres/total du bilan) on constate que bien un tiers de restaurants est en situation de grande fragilité financière (ratio en deçà des 20 % recommandés pour une saine gestion de l’établissement). Les craintes des instances professionnelles apparaissent donc tout à fait fondées.

Cette situation n’est pas surprenante quand on sait que le secteur a déjà été durement touché par la crise des « gilets jaunes » et plus récemment par les mouvements sociaux de décembre 2019 liés à la réforme des retraites.

Des aides insuffisantes

L’État, par l’intermédiaire de son ministre de l’Action et des Comptes publics, Gérald Darmanin, a promis une annulation de 750 millions d’euros de charges fiscales le 15 avril dernier. Cette mesure concerne à la fois le secteur de l’hôtellerie, de la restauration, des arts, spectacles et activités récréatives.

Selon nos calculs, ce montant correspondrait au mieux à un mois d’exonération de contributions.

C’est bien insuffisant dans la mesure où nous en sommes déjà à plus d’un mois d’inactivité et que les restaurants ne vont vraisemblablement pas pouvoir rouvrir rapidement après le 11 mai. On parle d’ailleurs de réouvertures avec aménagements, ce qui signifierait moins de couverts dans de nombreux établissements, et donc des pertes significatives de chiffres d’affaires.

N’oublions pas enfin que la clientèle étrangère risque de manquer cruellement aux établissements les plus prestigieux pendant un temps encore incertain. Ajoutons à cela que la rentabilité de certains de ces établissements dépend pour une partie non négligeable des recettes de leur hôtel, aujourd’hui nulles.

Comment aller plus loin ?

Plusieurs acteurs économiques sont aujourd’hui en mesure de compléter l’aide de l’État. D’abord, le secteur des assurances est sollicité pour venir en aide aux entreprises en difficulté, même si ces dernières ne sont pas au plan contractuel couvertes pour ces risques de nature sanitaire. Le secteur n’est pas obligé d’agir mais sa réputation pourrait pâtir d’une fin de non-recevoir.

En effet, les sociétés d’assurance n’ont pour le moment pas à se plaindre de la situation actuelle qui génère un nombre plus faible de sinistres à couvrir. La Mutuelle d’assurance des instituteurs de France (MAIF) a, par exemple, décidé récemment de reverser 100 millions d’euros à ses sociétaires détenteurs d’un contrat auto en leur proposant de simplement percevoir cette somme ou de l’offrir à trois associations qui œuvrent particulièrement pendant la pandémie (Assistance publique – Hôpitaux de Paris, Institut Pasteur, Secours populaire).

La redistribution de ces surplus accumulés par l’ensemble des sociétés d’assurance pourrait donc être redirigée vers des entreprises des secteurs les plus touchés, sous forme, par exemple, de baisses voire d’exonérations de paiement.

Les consommateurs eux aussi se mobilisent pour générer de la trésorerie et tenter de sauver leurs établissements favoris via des sites comme « Sauve ton resto » ou encore « J’aime mon bistrot ». Ces sites permettent de passer des précommandes solidaires dès maintenant auprès de restaurants fermés en vue du déconfinement. Les partenaires fondateurs de « J’aime mon bistrot » participent aussi à l’effort de solidarité en créditant 50 % additionnels sur les 20 000 premières commandes.

Le site web « J’aime mon bistrot » montre la fonctionnalité de précommande solidaire. Site web

L’État pourrait rapidement généraliser ce genre de cagnottes (pas seulement pour ce secteur d’ailleurs) et abonder ainsi en fonction des préférences des consommateurs. Une participation à cet élan populaire de type mécénat apparaît nécessaire dans la mesure où les sommes dépensées aujourd’hui sous forme de commandes anticipées ne le seront vraisemblablement pas plus tard.

Une traduction en anglais de ces sites, accompagnée d’une promotion dédiée permettrait en outre de toucher un public étranger, amoureux de notre gastronomie et prêt, à n’en pas douter, à la soutenir en ces temps difficiles.

Bientôt un fonds d’investissement dédié ?

Le plan de relance annoncé par l’exécutif le 24 avril dernier semble aller dans cette direction. À court terme, le fonds de solidarité créé au début de la crise sera renforcé et son accès élargi à des entreprises de taille plus importante (20 salariés).

Les mesures de chômage partiel seront également prolongées au-delà du 11 mai pour les entreprises qui ne pourront redémarrer à cette date.

Pour compléter le dispositif, un fonds d’investissement (avec l’aide des banques et des sociétés d’assurance) est envisagé. Ses contours, qui porteront notamment sur l’orientation des fonds, devraient être annoncés le 14 mai prochain. Il serait à ce sujet judicieux que le besoin de soutien différencié des artisans du fait maison entre dans l’équation. Leurs problématiques restent en effet bien spécifiques par rapport aux établissements recourant massivement aux produits de l’industrie agroalimentaire !

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