Améliorer l’accompagnement des personnes et simplifier le régime d’assistance sociale, voilà les objectifs déclarés du projet de Loi 71, déposé le 11 septembre à l’Assemblée nationale par la ministre responsable de la Solidarité sociale et de l’Action communautaire, Chantal Rouleau.
Ces changements à la Loi sur l’aide aux personnes et aux familles visent à moderniser certains aspects des programmes d’aide financière de dernier recours au Québec, notamment en misant sur l’accompagnement en emploi et vers la participation sociale. On fusionne de plus les programmes d’aide sociale et de solidarité sociale dans un nouveau Programme d’aide financière de dernier recours. Toutefois, ce n’est pas la seule modification proposée par le gouvernement à ces programmes.
En effet, en juillet, Québec a publié un projet de règlement permettant aux bénéficiaires du Programme d’aide sociale et du Programme de solidarité sociale de gagner plus d’argent s’ils travaillent. Québec veut ainsi les inciter à intégrer le marché du travail et à sortir de la pauvreté.
En tant que chercheur travaillant sur les questions liées à la sécurité financière des personnes en situation de handicap, il me semble clair que la bonification proposée ne changera pas la donne, car elle est minime et insuffisante.
Les programmes du Québec, des « trappes à pauvreté »
Au Québec, à l’heure actuelle (cela devrait changer dans la prochaine année), il existe trois programmes principaux pour les personnes ayant besoin de soutien financier :
le Programme d’aide sociale (PAS), pour les personnes sans « contraintes à l’emploi » (ou avec des contraintes temporaires),
le Programme de solidarité sociale (PSS), pour les personnes ayant des « contraintes sévères à l’emploi » à long terme,
le Programme de revenu de base (PRB), destiné aux personnes ayant participé au PSS pendant plusieurs années. Le PRB se distingue des deux premiers programmes par des prestations plus élevées et des règles assouplies.
Malheureusement, si le gouvernement du Québec a amélioré la situation des prestataires du PRB, cela n’est pas le cas pour ceux et celles du PAS et du PSS. Par exemple, à l’heure actuelle, les bénéficiaires des programmes PAS et PSS ne peuvent garder que jusqu’à 200 $ par mois de revenus de travail, en plus de leurs prestations d’aide sociale. Passée cette limite, le gouvernement coupe leur prestation dollar pour dollar.
Ainsi, une personne qui travaillerait 14 heures par semaine au salaire minimum (15,75 $) gagnerait l’équivalent de 882 $ brut par mois. Si cette même personne était prestataire du PAS ou du PSS, elle ne pourrait garder que 200 $ de ce montant. Le reste, 682 $, serait coupé de sa prestation.
Le projet de règlement, présenté cet été et devant être adopté au courant de l’automne, vise à permettre dorénavant aux bénéficiaires de ces programmes de garder 10 % de chaque dollar dépassant la limite de 200 $ de revenus de travail permis par mois. Le 90 % restant serait déduit de la prestation à laquelle ils ont droit.
Ainsi, une personne travaillant 14 heures par semaine au salaire minimum pourrait maintenant garder 268,20 $ par mois (200 $ + (10 % * 682 $)). Clairement pas assez pour réellement sortir de la pauvreté.
Hausser les plafonds des revenus de travail favorise l’intégration en emploi
Au cours d’une recherche sur l’emploi des personnes ayant une déficience intellectuelle ou autistes effectuée en 2023 et 2024, j’ai pu rencontrer de nombreux bénéficiaires du Programme de solidarité sociale (PSS).
Presque toutes ces personnes ont dit que l’emploi était une priorité pour elles, mais que la limite de 200 $ les décourageait de travailler, même à temps partiel, puisqu’elles ne pourraient garder aucun revenu additionnel. Les familles, quant à elles, indiquaient qu’elles étaient inquiètes de la potentielle perte de prestations d’assistance sociale si leur proche travaillait à long terme.
La situation était différente lorsque je discutais avec des bénéficiaires du Programme de revenu de base (PRB). Ce programme permet aux bénéficiaires de conserver un montant plus élevé en revenus de travail (environ 15 000 $ par année, plus 85 % des revenus additionnels) sans être pénalisé.
Dans nos entrevues, toutes les personnes qui bénéficiaient de ce programme nous ont dit que cette limite plus élevée avait changé leur façon de considérer l’emploi. Elles étaient nombreuses à avoir décidé de rejoindre des programmes de pré-employabilité afin d’acquérir les compétences nécessaires à leur intégration sur le marché du travail à terme. Les familles affirmaient également être rassurées et voir d’un bon œil la participation de leur proche au marché du travail grâce à la flexibilité des règles de ce programme.
Ces différences d’attitude semblent montrer que les assouplissements aux règles entourant les revenus de travail sont des mesures incitatives fortes pour l’intégration en emploi des bénéficiaires de programme d’assistance sociale.
Une mesure qui ne permettra pas de sortir de la pauvreté
À l’heure actuelle, ni les montants du PAS ni ceux du PSS n’atteignent le seuil de pauvreté. Cela veut dire que les bénéficiaires vivent en situation de pauvreté partout au Québec.
Si l’emploi peut être un important levier pour l’inclusion sociale, il s’agit également d’un des moyens pour réduire le niveau de pauvreté des personnes. Hélas, il est peu probable que de permettre aux bénéficiaires de garder seulement 10 % des revenus dépassant 200 $ soit un incitatif suffisant pour qu’ils essaient d’intégrer le marché du travail, avec le risque de perdre leurs prestations d’assistance sociale à long terme.
De plus, même en prenant en considération les déductions et autres avantages fiscaux auxquels les bénéficiaires pourraient avoir droit s’ils travaillent, il n’est pas clair que ces personnes tireraient un réel avantage financier à travailler dans ces conditions. Cela est d’autant plus vrai que bon nombre d’entre elles ne produisent pas de déclaration de revenus, que ce soit parce qu’elles n’ont pas de revenus à déclarer ou ne sont pas en mesure de le faire, et n’ont donc pas accès aux mesures qui pourraient les aider.
La proposition gouvernementale est d’autant plus insuffisante qu’aucune bonification du montant des prestations du PAS et du PSS n’a été introduite dans le nouveau Plan d’action gouvernemental visant la lutte à la pauvreté et l’exclusion sociale (2024-2029).
Le Québec, bon dernier au Canada
Les données sur les régimes d’aide sociale partout au Canada permettent de comparer le cas du Québec avec les autres provinces et territoires. Si le Québec se démarque par la flexibilité de son Programme de revenu de base, cela n’est pas le cas pour le PAS et le PSS.
En fait, en ce qui concerne les revenus de travail permis, le Québec se classe parmi les derniers au Canada. Toutes les provinces et tous les territoires permettent soit de garder des revenus de travail plus élevés (exception faite du Yukon), soit ont des taux de réduction moins sévères.
Le projet de règlement ne changera pas cette situation.
Faire mieux
Le Québec se distingue par la richesse de ses programmes sociaux et par le caractère innovant de son Programme de revenu de base. Pourtant, la province est encore très en retard en lien avec les revenus de travail permis au PAS et au PSS.
Malheureusement, il est clair que la mesure proposée est insuffisante et maintiendra un obstacle à l’intégration en emploi des bénéficiaires du PAS et du PSS ainsi qu’à leur sortie de la pauvreté. Dans un contexte d’inflation encore forte, de crise du logement et d’augmentation de l’itinérance, le gouvernement du Québec devrait miser sur des mesures permettant aux bénéficiaires du PAS et du PSS de travailler plutôt que de leur imposer des limites extraordinairement punitives.
Cela serait d’ailleurs d’actualité, car le gouvernement travaille actuellement à la mise à jour de la Stratégie pour l’intégration et le maintien en emploi des personnes handicapées.
Puisque bien des bénéficiaires du PAS et du PSS sont également des personnes handicapées au sens de la loi provinciale, l’arrimage avec les programmes d’assistance sociale est d’autant plus important.
La période de consultation sur le projet de règlement s’est terminée à la mi-août. Le gouvernement devra maintenant prendre en compte les avis formulés par les citoyens et les organisations en lutte à la pauvreté et en handicap. Espérons qu’il fera mieux.