tag:theconversation.com,2011:/au/topics/13-novembre-110130/articles13 Novembre – The Conversation2022-09-15T18:13:19Ztag:theconversation.com,2011:article/1900872022-09-15T18:13:19Z2022-09-15T18:13:19ZPodcast « Facteur (mal)chance » : Le rescapé du Bataclan devenu paraplégique<iframe src="https://embed.acast.com/601af61a46afa254edd2b909/631ef8e0c105ac00172b22ee" frameborder="0" width="100%" height="190px"></iframe>
<p><iframe id="tc-infographic-569" class="tc-infographic" height="100" src="https://cdn.theconversation.com/infographics/569/0f88b06bf9c1e083bfc1a58400b33805aa379105/site/index.html" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-ecouter-les-podcasts-de-the-conversation-157070">Comment écouter les podcasts de The Conversation ?</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Pourquoi certaines personnes ont-elles de la chance et d’autres n’en ont pas ? Est-ce simplement le hasard ? Comment se fait-il que l’on s’estime parfois chanceux dans notre malheur ? Est-il vraiment possible d’attirer la chance à soi ? Et si oui, comment ?</p>
<p>Dans son dernier livre, <em>Provoque ta chance !</em> (Éditions Albin Michel), Christophe Haag, chercheur en <a href="https://theconversation.com/fr/topics/psychologie-comportementale-64120">psychologie sociale</a> et professeur en comportement organisationnel à l’emlyon business school, tente d’apporter des éléments de réponses à ces questions. Comme pour ses précédents travaux sur la <a href="https://theconversation.com/bonnes-feuilles-lemotion-le-virus-le-plus-contagieux-sur-terre-117866">contagion émotionnelle</a> entre les individus, il recourt à la méthode de la « tératologie », autrement dit l’étude de cas extrêmes, du « pas ordinaire », pour mieux comprendre la normalité.</p>
<p>Dans ce premier épisode de notre série de podcasts « Facteur (mal)chance », Christophe Haag revient sur le parcours de Damien Meurisse, présent au Bataclan au soir du <a href="https://theconversation.com/fr/topics/13-novembre-110130">13 novembre</a> 2015 et victime de plusieurs accidents graves dans sa vie, dont l’un qui l’a rendu paraplégique en 2018. Pourtant, comme vous le découvrirez, ce dernier s’estime plutôt appartenir au camp des veinards…</p>
<hr>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/482976/original/file-20220906-12-pfmb9y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/482976/original/file-20220906-12-pfmb9y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/482976/original/file-20220906-12-pfmb9y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=881&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/482976/original/file-20220906-12-pfmb9y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=881&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/482976/original/file-20220906-12-pfmb9y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=881&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/482976/original/file-20220906-12-pfmb9y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1107&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/482976/original/file-20220906-12-pfmb9y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1107&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/482976/original/file-20220906-12-pfmb9y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1107&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption"></span>
</figcaption>
</figure>
<p><em>Podcast conçu et animé par Thibault Lieurade, Réalisé par les équipes techniques de l’EM Lyon et Romain Pollet. Chargé de production, Rayane Meguenni</em>.</p>
<p><em>Musique : « Episodes », Azoora feat. Graciellita, 2011</em></p>
<p><em>Le livre « Provoque ta chance ! Pourquoi certains en ont et d’autres pas » de Christophe Haag a été publié le 2 mars 2022 aux <a href="https://www.albin-michel.fr/provoque-ta-chance-9782226450586">Éditions Albin Michel</a> et le 24 août 2022 en <a href="https://www.audiolib.fr/livre/provoque-ta-chance-9791035410698/">livre audio</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/190087/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christophe Haag ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le sort semble s’être acharné sur Damien Meurisse toute sa vie. Pourtant ce dernier s’estime chanceux. Pourquoi ? Éléments de réponse avec Christophe Haag, chercheur en psychologie comportementale.Christophe Haag, Professeur HDR en comportement organisationnel, EM Lyon Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1756852022-01-27T19:22:09Z2022-01-27T19:22:09ZVente de la radio d'une victime du 13 Novembre : le secret médical bafoué<p>Le 22 janvier 2022, le média en ligne <em>Mediapart</em> publiait un article au titre explicite : <a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/220122/un-chirurgien-de-l-ap-hp-cherche-vendre-aux-encheres-la-radio-d-une-blessee-du-13-novembre">« Un chirurgien de l’AP-HP cherche à vendre aux enchères la radio d’une blessée du 13 Novembre » (2015)</a>. Le procès de ce professionnel s'est ouvert mercredi 21 septembre au tribunal correctionnel de Paris, avant de reprendre ce mercredi 28.</p>
<p>Au-delà de l’indécence et du caractère profondément inapproprié de la commercialisation d’un document privé auquel sont attachées la signification et la représentation, dans notre mémoire nationale, du carnage terroriste du Bataclan, cet acte bafoue l’un des principes de la déontologie médicale : le secret.</p>
<p>En médecine, la confidentialité, et donc l’impératif du secret, constitue en effet l’un des fondements de la relation de confiance. Rappelons ici quelques notions fondamentales du secret dont le médecin est à la fois moralement garant et juridiquement comptable. Divulguer une donnée personnelle, en l’occurrence un cliché radiologique dont la signification n’est pas anodine et incarne une tragédie intime, c’est rompre un engagement. Cela explique la rigueur de l’encadrement déontologique du secret, dont il me semble indispensable de préciser la teneur.</p>
<h2>Un engagement qui ne saurait être trahi</h2>
<p>Alors que tant de données personnelles peuvent être diffusées aujourd’hui de manière indifférenciée ne serait-ce que sur les réseaux sociaux, la valeur du secret médical demeure encore, dans sa signification traditionnelle, de l’ordre d’un engagement qui ne saurait être trahi. </p>
<p>Le <a href="https://www.conseil-national.medecin.fr/medecin/devoirs-droits/serment-dhippocrate">serment d’Hippocrate</a> prescrit au médecin une éthique de l’attitude et de la discrétion : « je promets et je jure d’être fidèle aux lois de l’honneur et de la probité. […] Admis(e) dans l’intimité des personnes, je tairai les secrets qui me seront confiés ». Servir avec compétence la personne vulnérable dans la maladie, lui porter l’assistance que requiert son état de santé, ne saurait se faire sans lui témoigner considération et sollicitude. Respecter le secret de ce qui est confié ou évoqué au cours de ces moments d’intimité et de dévoilement que constitue la relation de soin, revient à reconnaître la personne dans des droits : aucune circonstance ne saurait les compromettre. </p>
<p>Le devoir de loyauté s’impose à un professionnel qui exerce ses missions dans un espace d’intimité que doivent sauvegarder certaines limites intangibles. Il importe donc de pouvoir être assuré que les professionnels de santé et du médico-social sauront accueillir une parole, quelle qu’en soit la teneur, témoignant une attention d’autant plus exigeante qu’elle tient à la singularité d’une relation conditionnée par le « respect du secret ». </p>
<p>Alors que l’on ne sait rien d’eux à titre personnel, les professionnels de santé (mais il en est de même dans le champ du médico-social) seront amenés, pour ce qui les concerne, à connaître notre existence, à découvrir nos comportements, à en connaître des aspects les plus intimes de notre personne et de nos vulnérabilités, notamment dans les circonstances difficiles qui exposent à des dilemmes décisionnels. Ce rapport asymétrique n’est tenable que pour autant que des principes intangibles soient honorés, protecteurs des droits de la personne au respect de son secret et de son intégrité.</p>
<p>L’attention ainsi accordée à notre sphère privée, à la confidentialité des échanges lorsqu’ils relèvent de ce qui semble le plus personnel, conditionne pour beaucoup la qualité d’un engagement confiant dans le soin. Le respect du secret médical relève donc de la dignité même d’un acte de soin constamment respectueux des valeurs de la personne, quelles que soient les contraintes, si ce n’est à caractère exceptionnel pour des raisons judiciaires circonstanciées. Penser l’éthique et la déontologie médicales, c’est comprendre que certaines limites ne peuvent pas être transgressées.</p>
<h2>Le principe du secret à l’épreuve du réel</h2>
<p>Le professionnel de santé est amené, du fait de sa fonction, à connaître de ses patients une part d’intimité qu’ils ne partagent qu’avec quelques-uns de leurs plus proches. Dans bien cas du reste, la personne souhaite les préserver de la révélation d’une information médicale qui les affecterait trop douloureusement ou qui modifierait le regard qu’ils leur porterait. Les dilemmes sont évidents à ce propos lorsqu’il s’agit par exemple de la maladie d’Alzheimer ou de maladies mentales, avec nombre d’enjeux, ne serait-ce qu’en termes de responsabilité. Le secret engage le soignant et lui impose, au-delà même du seul respect de la confidentialité, des obligations d’ordre moral dont il ne saurait s’exonérer. C’est ainsi qu’il est reconnu digne de respect dans sa fidélité aux valeurs indispensables à l’exercice intègre de ses missions.</p>
<p>Le secret professionnel auquel sont astreints les médecins est défini par l’article 4 du Code de déontologie médicale : </p>
<blockquote>
<p>« Le secret professionnel, institué dans l’intérêt des patients, s’impose à tout médecin dans les conditions établies par la loi. Le secret couvre tout ce qui est venu à la connaissance du médecin dans l’exercice de sa profession, c’est-à-dire non seulement ce qui lui a été confié, mais aussi ce qu’il a vu, entendu ou compris. »</p>
</blockquote>
<p>Le Code pénal prévoit dans son <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000006070719/LEGISCTA000006181756/#LEGISCTA000006181756">article 226-13</a> que </p>
<blockquote>
<p>« la révélation d’une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par son état ou sa profession, soit en raison d’une fonction ou d’une mission temporaire est punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. »</p>
</blockquote>
<p>Le législateur affirme également dans <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000227015/">la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé</a> que « toute personne prise en charge par un professionnel, un établissement, un réseau de santé ou tout autre organisme participant à la prévention et aux soins a droit au respect de sa vie privée et du secret des informations la concernant ».</p>
<p>Néanmoins, sur le terrain, l’effectivité d’une telle résolution n’est pas toujours établie. Trop souvent encore, dans la salle d’attente d’un hôpital, la personne est appelée publiquement par son nom sans tenir compte de son droit à la confidentialité. Dans un Ehpad, est-il possible de préserver le secret médical d’une personne dont le comportement révèle une maladie neurologique qui affecte ses capacités cognitives et sa faculté de discernement ? Qu’en est-il ainsi d’un <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000036515027/">« secret partagé »</a> souvent à l’insu de la personne et à son détriment ?</p>
<p>Qu’en est-il de l’usage des données personnelles (ne seraient-ce que celles archivées dans de dossier médical partagé), de leur protection, lorsque l’on constate la vulnérabilité des systèmes informatisés et que, parfois, la routinisation des pratiques contribue à banaliser les procédures préconisées notamment dans la constitution de fichiers ?</p>
<p>La sécurisation et l’évaluation des protocoles justifient des recueils systématisés de données dans un contexte d’exercice professionnel qui, en dépit de <a href="https://www.dmp.fr">procédures administratives strictes</a> peut inciter à perdre en vigilance éthique. Ainsi, dans le contexte de la pandémie, l’analyse par la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) du projet de décret autorisant la création d’un traitement de données à caractère personnel <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000042740251">relatif à la gestion et au suivi des vaccinations contre le coronavirus SARS-CoV-2</a>, détaille les mesures de prudence qui s’imposent lorsque le respect du secret professionnel risque d’être compromis : </p>
<blockquote>
<p>« La Commission rappelle que seules les personnes habilitées et soumises au secret professionnel doivent pouvoir accéder aux données du SI « Vaccin Covid », dans les strictes limites de leur besoin d’en connaître pour l’exercice de leurs missions. » L’article 1 du <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000042739429">décret n° 2020-1690 du 25 décembre 2020</a> institue « la création d’un traitement automatisé de données à caractère personnel dans le cadre de la campagne de vaccination contre la Covid-19, dénommé “Vaccin Covid” »</p>
</blockquote>
<p>Enfin, la médiatisation de certaines hospitalisations, voire de prouesses médicales, enfreint parfois des règles pourtant applicables en toutes circonstances.</p>
<p>Cela pour dire qu’il conviendrait aujourd’hui de prendre en compte les conséquences d’événements publics qui interrogent les conditions de respect du secret médical en milieu hospitalier. Quelles significations lui reconnaître, dans un contexte sociétal qui prône la vertu de transparence tout en revendiquant les plus fortes protections contre les intrusions du numérique dans notre sphère privée ?</p>
<h2>Des arbitrages parfois difficiles</h2>
<p>Le secret médical peut être considéré ainsi comme un droit fondamental d’autant plus essentiel à la personne qui éprouve souvent le sentiment de perdre en respectabilité et en maîtrise de soi du fait des conséquences de certaines maladies. La révélation non seulement du secret de la maladie, mais aussi de la dimension intime du vécu de la maladie, met en cause la relation de confiance et peut avoir des conséquences péjoratives sur celui qui s’en remet pourtant à un soignant pour le protéger. </p>
<p>L’évolution, par exemple, d’une maladie neurologique dégénérative, un épisode de crise dans le contexte d’une pathologie psychiatrique, les signes apparents du traitement d’un cancer (alors qu’il est tant question du <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b4129_proposition-loi">droit à l’oubli</a>), et parfois certaines séquelles, constituent des données personnelles que l’on n’est pas assigné à dévoiler. </p>
<p>À l’annonce d’une maladie d’Alzheimer, je l’ai évoqué précédemment, le neurologue peut être confronté au dilemme de ne pas avoir à évoquer le diagnostic avec le conjoint, sur demande de la personne malade qui souhaite éviter que sa sphère privée soit envahie par une révélation de nature à compromettre un statut familial et social qu’elle souhaite sauvegarder. C’est dire la difficulté de certains arbitrages, lorsque des enjeux supérieurs pourraient prévaloir. </p>
<blockquote>
<p>« Le médecin devra respecter le droit du patient à la confidentialité. Il est conforme à l’éthique de divulguer des informations confidentielles lorsque le patient y consent ou lorsqu’il existe une menace dangereuse réelle et imminente pour le patient ou les autres et que cette menace ne peut être éliminée qu’en rompant la confidentialité. »<br>
<br><em><a href="https://www.wma.net/fr/policies-post/code-international-dethique-medicale-de-lamm/">Code international d’éthique médicale</a>, Association médicale mondiale, 2006</em></p>
</blockquote>
<p>En bénéficiant du consentement de la personne, certains éléments anonymes tirés de son dossier médical peuvent être utilisés à des fins scientifiques. Cela n’a rien à voir avec la commercialisation de l’image radiologique de la victime d’un acte de barbarie qui affecte de surcroît l’ensemble des personnes assassinées et la mémoire des survivants, pour ne pas dire une certaine idée de la dignité. </p>
<h2>Digne et comptable des secrets qui nous sont confiés</h2>
<p>Observons que certaines dérogations justifiées au secret sont fixées notamment par le Code pénal dans l’<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000032207682/2016-03-16">article 434-3</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Le fait, pour quiconque ayant eu connaissance de privations, de mauvais traitements ou d’atteintes sexuelles infligés à un mineur de quinze ans ou à une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge, d’une maladie, d’une infirmité, d’une déficience physique ou psychique ou d’un état de grossesse, de ne pas en informer les autorités judiciaires ou administratives est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende. Sauf lorsque la loi en dispose autrement, sont exceptées des dispositions qui précèdent les personnes astreintes au secret dans les conditions prévues par l’article 226-13. »</p>
</blockquote>
<p>Le Code de la santé publique précise également les contours des dérogations au secret médical, dans l’<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000031929082/2016-01-28">article L. 1110-4</a> : </p>
<blockquote>
<p>« Le secret médical ne fait pas obstacle à ce que les informations concernant une personne décédée soient délivrées à ses ayants droit, dans la mesure où elles leur sont nécessaires pour leur permettre de connaître les causes de la mort, de défendre la mémoire du défunt ou de faire valoir leurs droits, sauf volonté contraire exprimée par la personne avant son décès. »</p>
</blockquote>
<p>Ces exceptions ne sauraient pour autant atténuer la signification d’un authentique pacte qui conditionne pour beaucoup la faculté de consentir, avec certaines contreparties, à un suivi médical et à une relation de soin. </p>
<p>L’exigence d’une certaine réciprocité tient ainsi à l’effectivité d’obligations dont le médecin, et plus globalement tout professionnel de santé ou du médico-social, doivent comprendre la signification. Il s’avère nécessaire également de préciser les règles de nature à protéger la personne de toute forme d’intrusion, que ce soit dans le cadre du recueil et du croisement d’informations relatives à sa santé sous forme numérisée, ou dans les pratiques de certaines disciplines médicales, comme la génétique ou la psychiatrie. </p>
<h2>Confidentialité des données à caractère personnel</h2>
<p>La sensibilité toute particulière de données personnelles, susceptibles de concerner des tiers au sein de la famille ou d’une communauté, est évidente et requiert des encadrements rigoureux. Il est précisé dans l’<a href="https://rm.coe.int/1680084838">article 16</a> du Protocole additionnel à la Convention pour la protection des droits de l’homme et la biomédecine, relatif aux tests génétiques à des fins médicales, que « toute personne a droit au respect de sa vie privée, et notamment à la protection des données à caractère personnel la concernant obtenues grâce à un test génétique ».</p>
<p>C’est dire que le respect du secret ne saurait être assumé sans prendre en compte d’éventuels dilemmes auxquels, en pratique, il confronte. Les responsabilités sont en l’occurrence non seulement interrogées, mais plus encore soumises à la difficulté d’arbitrages qui s’imposent parfois dans l’urgence ou dans des contextes à la fois incertains et évolutifs. </p>
<p>Il semble, dans ce domaine de la réflexion éthique, indispensable de privilégier la loyauté, l’effort de discernement, la concertation, la collégialité, l’intégrité et la transparence afin d’éviter un arbitraire préjudiciable à tous.</p>
<p>À l’époque révolue de la transmission orale de l’information médicale ou sous forme de documents « papier » certainement peu sécurisés, se substitue aujourd’hui celle du recueil numérisé des « datas ». Les données médicales dites « sensibles » font l’objet de systèmes de protection spécifiques susceptibles d’éviter leur divulgation à mauvais escient, cela d’autant plus que leur suivi n’est plus assuré exclusivement et directement par des professionnels de santé. Elles sont « hébergées » dans des plates-formes dont il est dit que la sécurisation des transmissions et des conservations est rigoureusement assurée. </p>
<p>Qu’en est-il du secret médical dans ce contexte d’innovations technologiques et du virtuel, dès lors que de surcroît des fichiers peuvent être croisés et permettre, par recoupements et appariements, de parvenir à l’identification de personnes qui seraient par exemple atteintes de maladies chroniques ou transmettre un virus ? </p>
<p>Doit-on considérer et admettre que les évolutions à la fois d’ordre culturel, de nature scientifique ou des impératifs de santé publique justifieraient de dénaturer le secret médical, voire d’en abolir le caractère absolu ? </p>
<h2>Les lignes directrices de la Commission européenne</h2>
<p>La [Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne](https://www.vie-publique.fr/fiches/20322-quest-ce-que-la-charte-des-droits-fondamentaux-de-lunion-europeenne#:~:text=La%20Charte%20des%20droits%20fondamentaux%20de%20l’Union%20europ%C3%A9enne%20(UE,au%20sein%20de%20l’UE.&text=am%C3%A9liorer%20la%20protection%20des%20droits%20fondamentaux.) affirmait, à bon escient, la nécessité de « renforcer la protection des droits fondamentaux à la lumière de l’évolution de la société, du progrès social et des développements scientifiques et technologiques ».</p>
<p>Il y a quelque chose de l’ordre du sacré dans la formulation même du mot « secret ». Cela justifie que nous comprenions ensemble le sens des principes et des valeurs inaliénables qu’engage son respect dans une société démocratique vulnérable à tant d’enfreintes et de menaces qui fragilisent ses fondements.</p>
<p>L’Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP) a saisi les instances ordinales médicales pour donner la suite qu’elles estimeront opportune à la tentative de vente aux enchères d’une représentation symbolisée par la radiographie d’une victime d’un acte terroriste. </p>
<p>J’aurais pu consacrer mon propos à <a href="https://www.conseil-national.medecin.fr/code-deontologie/devoirs-generaux-medecins-art-2-31/article-3-principes-moralite-probite">l’article 3 du Code de déontologie médicale</a> (art. R. 4127-3 du code de la santé publique) : « Le médecin doit, en toutes circonstances, respecter les principes de moralité, de probité et de dévouement indispensables à l’exercice de la médecine ». J’ai préféré invoquer de manière spécifique le principe du secret médical qui constitue l’un des fondements de la morale médicale.</p>
<p>Ce cliché n’a pas été divulgué par un professeur de médecine du point de vue de son intérêt à des fins scientifiques, mais selon l’estimation de la signification et de la valeur d’une image à caractère personnel dans le cadre d’une transaction commerciale. Cette démarche inconvenante, même si depuis il y a eu rétractation, avive les souffrances des survivants, alors que tant de moments éprouvants du procès en cours en ont déjà suffisamment <a href="https://www.la-croix.com/France/Au-proces-attentats-13-novembre-2015-souffrance-victimes-ricochet-2021-10-06-1201179134">accentué l’intensité</a>. </p>
<p>Le respect du secret de l’autre, de ce qu’il vit de plus intime, est l’expression à son égard d’une sollicitude, d’une prévenance, d’une bienveillante, d’une discrétion et de notre souci de la protéger de toute souffrance indue. C’est pourquoi j’estime que sa transgression, sous quelque forme que ce soit, ne peut pas nous laisser indifférents. Il s’agit là d’un devoir de vigilance collective.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/175685/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Emmanuel Hirsch ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La mise aux enchères de la radiographie d’une victime du 13 Novembre, par son chirurgien, avait provoqué un tollé. Le procès du médecin vient de s'ouvrir à Paris. Quels enjeux pour ce jugement ?Emmanuel Hirsch, Professeur d'éthique médicale, Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1678142021-09-19T18:44:51Z2021-09-19T18:44:51ZLutte antiterroriste : les mailles du filet français sont encore bien trop larges<p>L’ouverture du procès de certains des auteurs des assassinats de masse commis à Paris dans la nuit du 13 au 14 novembre 2015 a été l’occasion de questionner une nouvelle fois d’éventuelles <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/08/28/pourrais-tu-me-rassurer-que-ces-dossiers-sont-traites-le-recit-des-rates-de-la-police-belge-avant-les-attentats-du-13-novembre_6092587_3224.html">défaillances des services de renseignement</a> dans le suivi des personnes suspectées de velléités terroristes. Il peut certes être tentant de chercher à conjurer l’effroi suscité par un crime de cette ampleur en le rapportant à une erreur humaine qui pourrait être aisément corrigée, nous garantissant ainsi du renouvellement de tels faits. Mais la réalité est autrement complexe et il serait tout aussi illusoire que dangereux de prétendre prévenir tout risque d’attentat terroriste.</p>
<p>Ceci étant posé, il est en revanche possible – et même souhaitable – de chercher à améliorer la capacité des autorités en charge de la lutte antiterroriste à détecter les projets de crimes suffisamment tôt pour pouvoir interpeller leurs auteurs au stade de leur préparation. À cet égard, deux caractéristiques du système français méritent d’être sérieusement interrogées.</p>
<h2>Une trop grande dépendance au pouvoir exécutif</h2>
<p>En premier lieu, la justice antiterroriste souffre aujourd’hui d’une trop grande dépendance à l’égard du pouvoir exécutif. À rebours des <a href="https://search.coe.int/cm/Pages/result_details.aspx?ObjectId=09000016805c9d1f">recommandations du Conseil de l’Europe</a>, comme des standards applicables au <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX%3A32017R1939">procureur de l’Union européenne</a>, le procureur national antiterroriste – comme l’ensemble des magistrats du parquet – ne bénéficie d’aucune garantie d’indépendance à l’égard du pouvoir exécutif. Le garde des Sceaux décide seul de sa nomination, de sa discipline et son éventuelle révocation, le conseil supérieur de la magistrature n’émettant en la matière qu’un avis simple.</p>
<p>Cette situation est d’autant plus problématique que les mesures de surveillance mises en œuvre par les services de renseignement avant même la phase judiciaire sont décidées par le <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000043887651">seul premier ministre</a>, l’autorité indépendante que constitue la commission nationale de contrôle des activités de renseignement n’émettant en la matière <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000035937600">qu’un avis consultatif</a>.</p>
<p>En conséquence, notre ordre juridique n’offre aujourd’hui que bien peu de garanties contre le risque de politisation de la lutte antiterroriste, c’est-à-dire le risque que d’autres considérations que la seule prévention et la répression des crimes n’entrent en jeu. On pense évidemment à l’utilisation abusive de la qualification terroriste, que la Cour de cassation a pu censurer dans <a href="https://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/chambre_criminelle_578/5993_10_35897.html">l’affaire dite « de Tarnac »</a> ou qui s’est donnée à voir dans les <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2015/11/27/les-militants-de-la-cop21-cible-de-l-etat-d-urgence_4818885_3224.html">perquisitions menées au domicile de militants écologistes</a> lors de la proclamation de l’état d’urgence en novembre 2015.</p>
<h2>Une politisation contre-productive ?</h2>
<p>Mais de façon tout autant – sinon plus – préoccupante, cette politisation peut aussi avoir pour effet d’empêcher ou de différer abusivement la poursuite d’infractions terroristes avérées. Au-delà de la volonté de ménager les relations diplomatiques avec tel ou tel gouvernement « ami » dont les ressortissants pourraient être impliqués dans des attentats – à l’image, emblématique, de l’immense difficultés des autorités étasuniennes à enquêter sur rôle de personnes de nationalité saoudienne <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/09/03/sous-la-pression-de-familles-de-victimes-joe-biden-avance-vers-la-declassification-des-documents-de-l-enquete-sur-le-11-septembre_6093352_3210.html">dans les attentats de New York</a> – ce risque se matérialise par la difficulté des services à appréhender d’autres formes de terrorisme que celles correspondant aux représentations des gouvernants.</p>
<p>Ainsi, les attentats de Madrid du 11 mars 2004, revendiqués par Al Qaida, <a href="https://www.cairn.info/revue-hermes-la-revue-2006-3-page-73.htm">furent initialement attribués à l’organisation basque ETA</a> par le gouvernement conservateur de l’époque. Si l’on veut qu’aucune autre considération que la nécessité de prévenir et sanctionner la criminalité terroriste n’interfère dans l’action des autorités répressives, il est urgent de leur conférer l’indépendance dont elles devraient bénéficier dans une société démocratique.</p>
<h2>Restreindre la notion juridique de terrorisme</h2>
<p>En second lieu, améliorer la capacité des autorités de police et de justice à identifier en temps utile des projets d’attentat avérés suppose d’en finir avec la propension contemporaine du législateur à étendre indéfiniment le <a href="https://journals.openedition.org/revdh/12023">filet répressif</a>, au risque d’en distendre considérablement les mailles.</p>
<p>Depuis l’origine, la notion juridique de terrorisme présente un caractère particulièrement extensif. Le critère permettant de faire basculer un crime ou un délit dans cette catégorie offre en effet une marge d’appréciation presque sans limites aux autorités, puisqu’il leur suffit d’invoquer la volonté <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000032751714">« de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur »</a>.</p>
<p>Outre que la notion d’ordre public en matière pénale et répressive présente un caractère particulièrement malléable, déterminer ce qui est « intimidant » ou « terrifiant » implique une irréductible subjectivité.</p>
<p>Si le caractère « terroriste » des assassinats de masse que nous avons connus au cours des dernières années ne prête pas à discussion, tel n’est pas le cas de l’écrasante majorité des faits poursuivis à ce titre, qui le sont du chef du <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006418432">délit d’association de malfaiteurs</a> : à moins qu’elle ne soit clairement revendiquée, comment caractériser la finalité terrorisante d’un acte lorsqu’on ne se situe qu’au stade des actes préparatoires, telles des réunions durant lesquelles aucun projet précis n’est encore envisagé ou de <a href="https://www.cairn.info/revue-deliberee-2017-2-page-16.htm">simples repérages ?</a></p>
<p>C’est ainsi que la qualification terroriste tend mécaniquement à s’étendre à un nombre de plus en plus élevé de faits, au risque de contribuer à <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2016/08/SIZAIRE/56077">l’éparpillement des forces répressives</a>.</p>
<h2>Tendance à la dispersion</h2>
<p>Pourtant, les pouvoirs publics ne cessent de vouloir allonger la liste des infractions terroristes ou assimilées, depuis le délit d’apologie du terrorisme, qui sanctionne le seul fait de présenter sous un jour favorable un <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000029755573">attentat ou ses auteurs</a>, jusqu’à celui de consultation d’un site Internet relayant de tels propos. Un délit censuré par le Conseil constitutionnel au motif, précisément, de <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2017/2016611QPC.htm">l’absence de nécessité de cette nouvelle infraction</a> au regard de l’ensemble des prérogatives dont disposent d’ores et déjà les pouvoirs publics.</p>
<p>Cette tendance à la dispersion est encore aggravée par le développement, au cours de la dernière décennie, d’une surveillance de plus en plus débridée des réseaux numériques.</p>
<p>La loi du 24 juillet 2015 a ainsi introduit la possibilité pour les services de renseignement de procéder à la captation généralisée et indifférenciée de nos échanges informatiques dans le but d’y détecter une éventuelle <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000043887520">menace terroriste</a>. Au risque, là encore d’amenuiser la capacité des autorités à distinguer les projets criminels de la multitude des propos plus ou moins tendancieux pouvant être tenus sur Internet.</p>
<p>On ne saurait dès lors trop saluer le coup d’arrêt portée à ce mouvement par la Cour de Justice de l’Union européenne. Dans un <a href="https://www.dalloz-actualite.fr/sites/dalloz-actualite.fr/files/resources/2020/10/c-51118.pdf">arrêt de principe du 6 octobre 2020</a>, elle a ainsi jugé que la surveillance de masse des activités informatiques ne pouvait intervenir que pour faire face à des</p>
<blockquote>
<p>« activités de nature à déstabiliser gravement les structures constitutionnelles, politiques, économiques ou sociales fondamentales d’un pays » et qui :</p>
<p>« se distinguent, par leur nature et leur particulière gravité, du risque général de survenance de tensions ou de troubles, même graves, à la sécurité publique ».</p>
</blockquote>
<p>En nous invitant à resserrer les mailles du filet, elle nous rappelle que le strict encadrement des pouvoirs publics, loin d’être un obstacle, constitue une condition sine qua non de l’efficacité de la répression.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/167814/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Vincent Sizaire ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>En matière de lutte antiterroriste, deux caractéristiques du système français méritent d’être sérieusement interrogées.Vincent Sizaire, Maître de conférence associé, membre du centre de droit pénal et de criminologie, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1678082021-09-15T19:12:29Z2021-09-15T19:12:29ZProcès terroristes : des trajectoires pour comprendre, juger et réparer<p>Le procès <a href="https://www.francetvinfo.fr/faits-divers/terrorisme/attaques-du-13-novembre-a-paris/proces-des-attentats-du-13-novembre-2015/recit-proces-du-13-novembre-comment-le-monde-judiciaire-s-est-mobilise-pour-reprendre-le-dessus-sur-cette-nuit-dhorreur_4712045.html">« V13 »</a>, en référence aux attentats du vendredi 13 novembre 2015 à Paris, a débuté le 8 septembre et s’annonce long (huit mois), difficile et inédit.</p>
<p>Le nombre de parties civiles, d’accusés, l’importance du dossier, la durée et la complexité de l’instruction qui a duré quatre ans et la gravité des faits jugés en font un <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/09/08/le-proces-des-attentats-du-13-novembre-2015-s-est-ouvert-a-paris_6093906_3224.html">procès historique</a>.</p>
<p>Depuis 2017, plusieurs attentats djihadistes (issus de la dernière <a href="https://www.senat.fr/rap/r14-388/r14-3882.html">vague djihadiste</a> couvrant les attentats de 2012 à aujourd’hui) ont été jugés lors de procès souvent très médiatisés et la justice française n’en est pas à son coup d’essai.</p>
<h2>Faire sens</h2>
<p>Ces procès pour terrorisme ont une portée d’autant plus importante qu’ils sont un lieu de confrontation, une confrontation fortement cadrée et arbitrée, dont l’issue doit permettre une réparation. Celle-ci passe, entre autres, par ce que l’on pourrait appeler une <a href="https://www.persee.fr/doc/mhnly_1966-6845_2011_num_8_1_1556">« mise en sens »</a> dont chacun peut se saisir selon ses fonctions ou ses besoins.</p>
<p>En France, c’est devant une <a href="http://www.justice.gouv.fr/organisation-de-la-justice-10031/lordre-judiciaire-10033/cour-dassises-speciale--23412.html">cour d’assises spécialement composée</a> de magistrats professionnels que les chemins des victimes et des accusés vont à nouveau se croiser.</p>
<p>Sous l’autorité du président, la cour, afin de juger, va devoir comprendre et faire comprendre. Le procès rend visible les années d’enquête et la construction d’une vérité qui est soumise au regard d’un collectif de professionnels, mais aussi d’un auditoire composé des victimes, des familles, de journalistes, de chercheurs et de citoyens désireux de voir la justice en action. Construire du sens permet de rendre un jugement équitable et passe par différents procédés.</p>
<h2>Relier un acte à une personne</h2>
<p>Les juges doivent notamment, pour pouvoir juger, relier un acte à une personne, assigner une responsabilité. Dans <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/la_fabrique_du_droit-9782707144720"><em>La fabrique du droit</em></a>, Bruno Latour écrit :</p>
<blockquote>
<p>« tout le droit peut ainsi être saisi comme un effort obsessionnel pour rendre l’énonciation assignable. Ce que vous avez dit vous engage ».</p>
</blockquote>
<p>Nous avons pu constater, en assistant à des procès pour terrorisme, qu’au sein de notre système pénal, la parole de l’accusé est capitale, de même que la compréhension de son parcours de vie et de sa personnalité. La cour cherche à élucider les motivations et l’état d’esprit de l’accusé au moment de commettre son acte. Au-delà des intentions et des causes, il s’agit de comprendre de quelle manière et par quels moyens l’accusé en est arrivé à passer à l’action criminelle.</p>
<p>Si la cour juge des faits, elle juge aussi l’individu dont la vie ne s’arrête pas au crime. Il s’agit d’éviter la récidive, mais aussi de prévenir un phénomène qui touche la <a href="https://www.cairn.info/le-spectre-de-la-radicalisation--9782810906666-page-13.htm">société dans son ensemble</a>.</p>
<p>Ainsi entend-on les différents acteurs judiciaires, parler de parcours, d’histoire et de trajectoire. Bien que le terme « trajectoire » ne revête aucune signification juridique, il fait sens lorsque l’on parle de ce processus de rationalisation, d’objectivation et de construction de sens à partir d’éléments biographiques et de caractéristiques personnelles propres à chaque accusé.</p>
<h2>Comprendre le contexte de l’accusé</h2>
<p>Parmi les principes qui fondent notre état de droit, il y a <a href="http://www.justice.gouv.fr/loi-du-15-aout-2014-12686/lindividualisation-de-la-peine-12688/">l’individualisation des peines</a> qui vise à adapter la peine au niveau de gravité des faits mais aussi à la situation de l’accusé. Adapter la peine nécessite que la cour comprenne le maillage dans lequel se trouve l’accusé au moment de passer à l’action. Le terme de « maillage » se réfère à la définition de la <a href="http://palimpsestes.fr/textes_philo/morin/defi-complexite.pdf">complexité</a> donnée par Edgar Morin et désigne le contexte de l’accusé : son état d’esprit, son réseau et ses relations, son environnement familial, social, professionnel, ses valeurs et ses besoins.</p>
<p>Il désigne aussi la genèse de ce contexte qui ne peut se réduire à une simple « capture d’écran », il s’agit de comprendre comment ce contexte est advenu et comment l’accusé s’y inscrit.</p>
<p>Comprendre la trajectoire de l’accusé ne le dédouane pas de sa responsabilité, sauf dans certains cas bien spécifiques où l’<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/id/LEGISCTA000006149818/2020-11-10/">irresponsabilité pénale</a> est prouvée devant la cour comme ce fut le cas pour <a href="https://www.francetvinfo.fr/faits-divers/affaire-sarah-halimi/l-article-a-lire-pour-comprendre-le-debat-sur-l-irresponsabilite-penale_4602993.html">Kobili Traoré</a> ou encore <a href="https://www.afvt.org/juger-le-terrorisme-lenjeu-du-discernement/">Mamoye Dianifaba</a>. Mais dans l’immense majorité des affaires de terrorisme, les auteurs sont jugés responsables de leurs actes. Le processus de trajectorisation, parce qu’il suppose une construction de sens, permet d’entamer un processus de réparation pour les victimes et d’adapter la peine afin d’éviter que l’accusé ne récidive. Il ne s’agit pas ici d’une trajectoire préexistante que l’on s’emploierait à « révéler » mais bien d’une construction permise, orchestrée et cadrée par le dispositif juridique pénal.</p>
<p>Que nous apprennent donc les procès d’attentats terroristes sur l’élaboration d’une trajectoire ? Comment le dispositif rend-il possible cette construction ? Quelles sont ses limites ?</p>
<h2>L’organisation de l’audience</h2>
<p>En fonction de la gravité des actes jugés, l’organisation d’un procès devant une cour d’assises demande un long travail de préparation. L’une des principales difficultés est de réactualiser et de rendre appréhendable l’enquête, en partant de la ou des scènes de crime, pour remonter au fil des indices et des preuves jusqu’aux accusés. Mais c’est aussi comprendre le déroulement des faits et leur genèse en s’intéressant à l’accusé et à son parcours. On peut observer un schéma organisationnel récurrent dans ces procès.</p>
<p>L’audience est ouverte sur la présentation des faits et des accusés dont l’identité est déclinée. Ensuite, l’enquête est exposée et permet de comprendre les faits et leurs conditions de réalisation. Les témoignages de l’entourage puis l’interrogatoire de l’accusé ainsi que les expertises psy et l’enquête de personnalité, permettent de comprendre la radicalisation (dans le cas des procès terroristes qui nous intéressent) mais également ce qui a pu conduire les accusés à se radicaliser et dans certains cas à passer à l’action violente.</p>
<p>L’enfance, l’adolescence, les événements et les rencontres ayant marqué la vie de l’accusé sont décrits et analysés. L’auditoire, la cour mais aussi l’accusé replongent ainsi dans un passé qui est fouillé. Le réquisitoire, les plaidoiries et le jugement viennent enfin conclure le procès.</p>
<h2>La parole pour construire une trajectoire</h2>
<p>L’oralité des débats et le fait qu’ils doivent être contradictoires permettent un travail collectif. Le président, en recentrant les débats, en distribuant la parole et en veillant au respect du rituel judiciaire, prévient un certain nombre de débordements.</p>
<p>La trajectoire n’est pas linéaire et ne repose pas sur de simples liens de causalités (« l’accusé a vécu cela donc il fait cela »), en ce sens elle n’a aucune vocation prédictive, même si elle doit permettre à la cour de prévenir une récidive. Sa construction se fait lorsque les juges effectuent des allers-retours entre différents événements et différentes périodes de la vie de l’accusé qui n’est pas exposée de manière chronologique, mais en fonction de ce qui est entendu et des questions suscitées.</p>
<p>C’est lorsque l’enquêteur de personnalité aura présenté son compte-rendu, quand nous aurons entendu les différents experts, les témoins, l’accusé (dont les discours divergent parfois beaucoup), qu’à l’issue des débats contradictoires et des confrontations, les juges vont statuer sur une vérité (la vérité judiciaire).</p>
<p>C’est seulement une fois que tous les éléments permettant aux juges de rendre leur verdict sont rassemblés et ont été débattus qu’une trajectoire se dessine. C’est cette trajectoire que les juges vont continuer de tracer avec le verdict.</p>
<p>Lors de l’audience, chaque témoignage est entendu (ou lu lorsque le témoin ne peut se présenter à la barre). Les interrogatoires des accusés par le président et les questions de la cour qui suivent sont des moments très attendus et la seule occasion pour l’accusé de s’exprimer et d’être entendu par l’auditoire, et à travers lui, la société.</p>
<h2>L’usage du silence</h2>
<p>Malheureusement certains accusés font le choix d’un silence maîtrisé et instrumentalisé. Ce fut le cas de Salah Abdeslam lors de son premier procès en 2018, mais aussi celui de Mehdi Nemmouche en 2019. Ce dernier était jugé pour l’attentat au <a href="https://www.francetvinfo.fr/faits-divers/tueries/fusillade-au-musee-juif-de-bruxelles/">musée juif de Bruxelles de 2014</a>. Il a refusé de s’exprimer tout au long de son procès, usant continuellement de son droit au silence (de son « DAS » comme il s’amusait à le répéter). La stratégie du silence est récurrente dans les procès terroristes et ouvertement promue par l’état islamique. <a href="https://www.cairn.info/revue-archives-de-politique-criminelle-2019-1-page-221.htm">Denis Salas</a>, ancien magistrat, écrit à ce sujet :</p>
<blockquote>
<p>« Le silence serait le code de référence d’un dispositif de résistance face à la loi de l’ennemi. Il poursuivrait une stratégie de dissimulation (la taqya) qui cache une volonté de continuer le combat sous une apparente passivité. »</p>
</blockquote>
<p>Aucun membre de la famille de Mehdi Nemmouche n’est venu témoigner à l’audience. Il a déclaré <a href="https://www.rtbf.be/info/societe/detail_proces-du-musee-juif-mehdi-nemmouche-indique-qu-il-se-tait-pour-proteger-quelqu-un-revivez-notre-direct?id=10138194">à ce propos le 6 février 2019</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Je ne vois pas ce que les affaires familiales viennent faire là-dedans. »</p>
</blockquote>
<p>Ce sont finalement les captations vidéos des interrogatoires menées par les enquêteurs, exceptionnellement projetées à l’audience, qui ont permis à la cour et à l’auditoire d’accéder à la parole de Mehdi Nemmouche. Dans ces vidéos, on découvre un homme tout à fait différent de celui présent dans le box depuis le début de son procès, tantôt joueur, tantôt moralisateur, tantôt critique. Lors de la septième audition notamment (sur les huit diffusées), Nemmouche s’est montré particulièrement communicant, répondant volontiers aux questions portant sur la géopolitique, l’histoire de la Syrie, il parle de ses lectures, de la Seconde Guerre mondiale et de la guerre d’Algérie. Mais aux questions portant sur sa famille ou son enfance, il répond « DAS » et lorsque les enquêteurs lui demandent s’il aurait préféré ne pas être placé par les services sociaux en famille d’accueil, il répond : « C’est un parcours comme un autre ». Un peu plus tard il explique en <a href="https://www.rtbf.be/info/societe/detail_proces-du-musee-juif-suite-du-visionnage-des-auditions-filmees-de-nemmouche-direct-commente?id=10140206">riant</a>) :</p>
<blockquote>
<p>« Pour un enfant de la DDASS, j’exerce mon DAS. Je fais des rimes, je vais pouvoir réclamer des droits d’auteur. »</p>
</blockquote>
<h2>L’expérience du récit de soi</h2>
<p>À l’inverse, les accusées du <a href="https://www.lefigaro.fr/actualite-france/dossier/attentat-rate-notre-dame-bonbonnes-de-gaz-proces-avocats-accuses-rachid-kassim-septembre-2016-attaque-terrorisme-police-justice">procès de l’attentat échoué</a> aux bonbonnes de gaz (2016), principalement des femmes, se sont énormément livrées à la cour, parfois sur des événements très intimes. La correspondance entre Ornella Gilligmann et Inès Madani <a href="https://www.europe1.fr/societe/ines-madani-lado-timide-de-sevran-qui-se-faisait-passer-pour-un-djihadiste-sur-internet-3921155">qui s’est faite passer pour un combattant djihadiste</a> rentré de Syrie a fait l’objet de nombreux débats. Ornella Gilligmann était alors persuadée d’avoir affaire à un homme dont elle était tombée <a href="https://www.lefigaro.fr/actualite-france/2019/09/30/01016-20190930LIVWWW00004-attentat-rate-paris-notre-dame-ines-madani-proces-terrorisme-Daech-ei-djihadistes-ornella-gilligmann-bonbonnes-gaz.php">« follement amoureuse »</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Moi, je me sentais revivre avec cet homme. J’étais en confiance. »</p>
</blockquote>
<p>Derrière les noms et les visages, il a été possible de mettre des histoires et des vécus. Les témoignages des victimes mais aussi le regard et les témoignages de leurs proches, les auditions des experts, les questions qui parfois les ont confrontées aux incohérences de leurs discours, et enfin l’expérience du récit de soi sont autant d’éléments susceptibles d’avoir ébranlé des certitudes, des croyances et des postures fortement affirmées avant que le procès n’ait lieu. Au moment des <a href="https://www.lefigaro.fr/actualite-france/2019/10/14/01016-20191014LIVWWW00001-proces-attentat-rate-notre-dame-plaidoiries-verdict-terrorisme-islamisme.php">derniers mots</a> des accusés, Inès Madani, principale accusée, déclare :</p>
<blockquote>
<p>« J’ai beaucoup de regrets. J’ai honte d’être ici aujourd’hui. C’est une humiliation pour mes proches et pour moi aussi. Je reconnais les faits. Je présente mes excuses. Aux personnes que j’ai entraînées dans ma chute. Je m’excuse auprès de ma famille. »</p>
</blockquote>
<p>Au terme du procès, les accusés peuvent faire le choix de s’inscrire ou de se réinscrire dans une trajectoire que le procès leur aura permis d’appréhender et/ou de s’approprier, ou bien d’en demeurer résolument coupé. Dans un cas comme dans l’autre ce choix détermine en partie la suite de la vie de l’accusé, mais également, celle d’une partie des victimes qui pourront entamer un nouveau chapitre de leur vie.</p>
<hr>
<p><em>L’autrice effectue sa thèse sous la direction d’Olivier Gapenne.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/167808/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Claire Littaye a reçu des financements de l'Agence de l'Innovation de Défense (Ministère des armées). </span></em></p>Que nous apprennent donc les procès terroristes sur l’élaboration de la trajectoire de l'accusé ? Comment le dispositif rend-il possible cette construction ? Quelles sont ses limites ?Claire Littaye, Doctorante, Université de Technologie de Compiègne (UTC)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1503342020-11-22T17:20:50Z2020-11-22T17:20:50ZBonnes feuilles : « Les mémoriaux du 13 novembre »<p><em>Les attentats qui ont frappé la France cette dernière décennie ont donné lieu à de nombreux ouvrages tentant de comprendre, décrypter et analyser le phénomène djihadiste, la terreur et les émotions qui ont accompagné ces événements. Alors que s'ouvre le procès des attentats du 13 Novembre 2015, The Conversation publie un extrait de l’ouvrage dirigé par Sarah Gensburger et Gérôme Truc, consacré à la mémoire de ces attentats, et intitulé <a href="https://www.ehess.fr/fr/ouvrage/m%C3%A9moriaux-13-novembre">Les mémoriaux du 13 novembre, Paris, Éditions de l’EHESS, 2020</a>, et plus particulièrement un texte de Gérôme Truc issu du chapitre 4, « Ce que disent les messages du 13 novembre ».</em></p>
<hr>
<p>Déposer un message dans un mémorial de rue, à la suite d’un attentat, participe d’un rituel de deuil collectif. Le geste tire tout son sens du fait que d’autres le font en même temps que nous, l’ont fait avant ou le feront après. N’ajouter que quelques mots, un simple « Pray for Paris » ou « Je suis Paris » est déjà une manière de s’affirmer comme membre de la communauté de deuil qui prend forme.</p>
<p>Mais celle-ci ne se confond pas nécessairement avec la communauté nationale ni avec celle que forment les habitants de la ville attaquée. Ses frontières sont floues, car ce ne sont en fait pas un, mais plusieurs « nous » qui se manifestent ainsi dans <a href="https://www.puf.com/content/Sid%C3%A9rations_Une_sociologie_des_attentats">l’épreuve</a>, qui se superposent les uns aux autres, peuvent se recouper, se cumuler, mais jamais ne se confondent.</p>
<h2>Les « nous » du 13 Novembre</h2>
<p>Depuis une même position, certains ont le sentiment d’appartenir au « nous » frappé, ils estiment qu’ils auraient pu être à la place des victimes, tandis que d’autres compatissent à leur sort sans pour autant s’identifier à elles, en distinguant le nous et le vous : « Nous sommes de tout cœur avec vous ».</p>
<p>C’est toute la différence entre un message que l’on signe en tant que Français, considérant les attentats du 13 Novembre comme une attaque contre tout le pays, et un autre signé d’un Lillois ou d’un Marseillais, qui se déclare solidaire des Parisiens. Cette ambigüité est récurrente dans les réactions aux attentats dans les sociétés occidentales.</p>
<p>Les attentats du 7 juillet 2005 à Londres, par exemple, furent perçus au Royaume-Uni comme un événement concernant d’abord et avant tous les Londoniens, plutôt que le pays dans son ensemble, tandis que ceux du 11 septembre 2001 aux États-Unis ont à l’inverse été vécus comme une attaque contre l’ensemble du pays, et pas seulement contre New York et Washington.</p>
<p>Les attentats d’Oslo et Utøya, le 22 juillet 2011, furent de même assimilés à une attaque contre toute la <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/14608944.2014.918593">nation norvégienne</a>, bien qu’ils aient ciblé les élus et les jeunes d’un mouvement politique spécifique. Que nous disent les <a href="http://archives.paris.fr/r/137/hommages-aux-victimes-des-attentats-de-2015/">messages des mémoriaux du 13 novembre</a> à ce propos ?</p>
<p>Paris et la France y sont massivement présents, dans des proportions sensiblement similaires : 40,5 % des messages pour Paris, 40,2 % pour la France. Une différence apparaît toutefois dès lors que l’on distingue les mentions en toutes lettres des symboles graphiques.</p>
<p>« Paris » ou « Parisien/Parisienne » est écrit dans 27,9 % des messages, et évoqué par la représentation d’un symbole, principalement la tour Eiffel ou le logo du Paris Saint-Germain, dans 12,6 % des cas. Les proportions sont strictement inverses pour la France : 12,6 % de mention en toutes lettres et 27,5 % d’évocations graphiques, le plus souvent un drapeau tricolore ou l’usage de bleu/blanc/rouge. […]</p>
<p>Après ces niveaux de réaction classiques que sont la ville, la nation et le monde, viennent les références à des entités collectives davantage spécifiques au 13 novembre.</p>
<p>Il s’agit d’abord de la communauté des professionnels et amateurs de musique et de rock, présente dans 3,2 % des messages, puis de celle des habitants et habitués des quartiers et lieux frappés, que l’on retrouve dans 2 % des messages, tel celui-ci où on lit « À mes voisins du quartier morts dans les attentats du 13 novembre 2015. Nous ne vous oublierons jamais », ou cet autre commençant par « NOUS, habitants de ce quartier… », dans lequel un collectif de riverains rappelle son attachement à l’un des bistrots frappés, le Comptoir Voltaire.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/370090/original/file-20201118-13-cd17pd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/370090/original/file-20201118-13-cd17pd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/370090/original/file-20201118-13-cd17pd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=833&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/370090/original/file-20201118-13-cd17pd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=833&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/370090/original/file-20201118-13-cd17pd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=833&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/370090/original/file-20201118-13-cd17pd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1047&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/370090/original/file-20201118-13-cd17pd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1047&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/370090/original/file-20201118-13-cd17pd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1047&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Document 3908W1-11, collecté devant le Comptoir Voltaire.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Archives de Paris</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Un effet de site très net s’observe dans les deux cas. La mention d’un « nous » local monte à 13 % pour les messages collectés devant le Comptoir Voltaire, alors que sa part oscille entre 0,7 % et 3,6 % sur les autres lieux. L’attentat du Comptoir Voltaire, qui ne fit aucun mort hormis le kamikaze qui s’y est fait exploser, fut <a href="https://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb450048935">totalement éclipsée</a> dans les médias par les autres attaques, ce qui semble avoir exacerbé la réaction de ses riverains.</p>
<p>De même, c’est presque exclusivement devant le Bataclan que se concentrèrent les références à la musique et au rock, représentant sur ce site 4 % des messages collectés, contre une douzaine ailleurs en tout et pour tout. On notera au passage que réagir aux attentats sur ce mode peut conduire des personnes assistant régulièrement à des concerts au Bataclan à des résolutions diamétralement opposées : les uns écrivent <a href="http://archives.paris.fr/arkotheque/visionneuse/visionneuse.php?arko=YTo3OntzOjQ6ImRhdGUiO3M6MTA6IjIwMjAtMTEtMTgiO3M6MTA6InR5cGVfZm9uZHMiO3M6MTE6ImFya29fc2VyaWVsIjtzOjQ6InJlZjEiO2k6MTQ7czo0OiJyZWYyIjtpOjc0MTE4O3M6MjA6InJlZl9hcmtfZmFjZXR0ZV9jb25mIjtzOjg6ImhvbW1hZ2VzIjtzOjE2OiJ2aXNpb25uZXVzZV9odG1sIjtiOjE7czoyMToidmlzaW9ubmV1c2VfaHRtbF9tb2RlIjtzOjQ6InByb2QiO30=#uielem_move=354.5%2C211&uielem_islocked=0&uielem_zoom=75&uielem_brightness=0&uielem_contrast=0&uielem_isinverted=0&uielem_rotate=F">sur un billet pour un concert</a> prévu dans cette salle « Nous n’irons plus jamais » (phrase soulignée deux fois) – ce qui se comprend comme une volonté de respecter la mémoire de ceux qui y ont perdu la vie –, un autre, au contraire, « Je reviendrai écouter de la musique au Bataclan, comme je le fais depuis 30 ans », tout en précisant bien qu’il aura alors une pensée pour toutes les victimes, – manière d’indiquer qu’il ne cèdera pas aux terroristes et à la peur.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/370091/original/file-20201118-23-x7kx62.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/370091/original/file-20201118-23-x7kx62.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/370091/original/file-20201118-23-x7kx62.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/370091/original/file-20201118-23-x7kx62.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/370091/original/file-20201118-23-x7kx62.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/370091/original/file-20201118-23-x7kx62.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/370091/original/file-20201118-23-x7kx62.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/370091/original/file-20201118-23-x7kx62.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Devant le Bataclan, le 11 janvier 2016.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Patrice Clavier/Archives de Paris</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Réagir en tant que musulmans</h2>
<p>Parmi ces « nous » du 13 Novembre, il y a aussi celui que forment celles et ceux qui réagissent aux attentats en tant que musulmanes ou musulmans, pour se désolidariser explicitement des terroristes, souligner que le Coran n’appelle pas à tuer et que l’islam est une religion de paix.</p>
<p>Leurs messages, qui représentent 1,5 % du corpus, sont restés dans les mémoriaux jusqu’à ce que les Archives de Paris les collectent. C’est vrai également des messages en arabe, qui sont au nombre de 60, ce qui en fait l’une des langues étrangères les plus présentes, au même niveau que l’allemand, juste après l’anglais, l’italien et l’espagnol.</p>
<p>Cela indique qu’il n’y eut pas, ou peu, de censure islamophobe et/ou arabophobe dans les mémoriaux, tandis que l’on sait, pour l’avoir observé, que les messages à caractère raciste y avaient en revanche une durée de vie très limitée, de sorte qu’ils ne constituent qu’une infime partie du fonds constitué par les Archives de Paris (0,2 %).</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/370092/original/file-20201118-15-11xdm33.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/370092/original/file-20201118-15-11xdm33.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/370092/original/file-20201118-15-11xdm33.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/370092/original/file-20201118-15-11xdm33.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/370092/original/file-20201118-15-11xdm33.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/370092/original/file-20201118-15-11xdm33.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/370092/original/file-20201118-15-11xdm33.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/370092/original/file-20201118-15-11xdm33.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Devant le Bataclan, le 21 décembre 2015.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Patrice Clavier/Archives de Paris</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Il y a enfin un mode de réaction au 13 Novembre, un dernier « nous », que je n’avais jusqu’alors jamais rencontré, autour d’autres attentats : des réactions en tant que parents.</p>
<p>Étant donné que les victimes du 13 novembre étaient dans l’ensemble relativement jeunes (la moyenne d’âge des personnes décédées est de 35 ans), et que l’accent a précisément été mis dans les médias sur leur jeunesse – cette <a href="https://www.liberation.fr/france/2016/11/11/l-insaisissable-generation-bataclan_1527805">« génération Bataclan »</a> qui fit la une du quotidien <em>Libération</em> le 16 novembre 2015 – il semble que certains se soient sentis concernés du fait de leur condition de parents (ou grands-parents, dans quelques cas). Ils ne se sont pas dit qu’ils auraient pu être à la place des victimes, devant un concert au Bataclan ou en terrasse d’un café un vendredi soir, mais que leurs enfants ou petits-enfants auraient pu l’être, eux. Près de 1 % du corpus consiste ainsi en messages qui sont signés en tant que « maman », « papa » ou « mamie » et/ou les victimes sont désignées comme des « enfants » – bien qu’il n’y ait eu qu’une seule mineure, Lola Ouzounian, âgée de 17 ans, parmi les personnes tuées ce soir-là.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/370093/original/file-20201118-13-695nz7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/370093/original/file-20201118-13-695nz7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/370093/original/file-20201118-13-695nz7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=443&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/370093/original/file-20201118-13-695nz7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=443&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/370093/original/file-20201118-13-695nz7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=443&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/370093/original/file-20201118-13-695nz7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=557&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/370093/original/file-20201118-13-695nz7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=557&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/370093/original/file-20201118-13-695nz7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=557&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Document 3904W3-22, collecté devant le Bataclan.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Archives de Paris</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Bien entendu, ces titres auxquels on compatit au sort des victimes ne sont pas exclusifs les uns des autres ; ils peuvent au contraire se cumuler. Ont ainsi pu être récoltés devant le Bataclan des messages anonymes se terminant par « Parisienne et maman » ou « une maman du 11<sup>e</sup> ».</p>
<p>C’est vrai aussi pour les musulmans : « Je suis Paris, je suis jeune, je suis musulman, je suis français », dit un autre message collecté au même endroit. Autant de raisons de se sentir concerné.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/150334/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Cette recherche, réalisée en partenariat avec les Archives de Paris, a bénéficié du soutien du CNRS dans le cadre de l'appel "attentats-recherche".</span></em></p>Que nous apprend le contenu des mémoriaux apparus à Paris après les attentats du 13 novembre ? Bonnes feuilles.Gérome Truc, Sociologue, chargé de recherche CNRS, ISP, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1500052020-11-12T21:56:11Z2020-11-12T21:56:11Z13 Novembre et traumatisme : « La mémoire collective influence profondément la mémoire individuelle »<p><em>Mercredi 8 septembre 2021 s’ouvrira le procès des attentats du 13 novembre 2015. Cet épisode judiciaire hors-norme, qui durera plusieurs mois, constituera à n’en pas douter une étape majeure pour les victimes et leurs proches.</em><br>
<em>Directeur d’études à l’École pratique des hautes études de Paris, Francis Eustache est à la tête de l’unité de recherche <a href="https://nimh.unicaen.fr/fr/accueil/">« Neuropsychologie et imagerie de la mémoire humaine »</a>. En 2016, il a initié, avec l’historien Denis Peschanski, le <a href="https://www.memoire13novembre.fr/">programme « 13-Novembre »</a>, dédié à la compréhension des mémoires traumatiques. Il nous en présente les premiers résultats.</em></p>
<hr>
<p><strong>The Conversation France : Le procès qui va s’ouvrir mercredi pourrait-il raviver le traumatisme subi par les victimes de ces terribles attentats ?</strong></p>
<p><strong>Francis Eustache :</strong> Les réponses à cette question sont complexes et diffèrent d’une personne à l’autre. Le procès est certes redouté, mais il est attendu depuis plusieurs années. Il ne s’agit pas d’un événement imprévu, qui surgirait brutalement, comme lorsque la personne est confrontée à un autre événement traumatique. Il occupe au contraire une place espérée dans cette longue chronique, une forme d’aboutissement qui n’est pas un point final.</p>
<p>Cela va toutefois sans nul doute être une épreuve difficile, et toutes les victimes n’y participeront pas. Pour des raisons logistiques, et aussi parce que certaines personnes ne veulent pas voir, pas raconter. Ou ne le peuvent pas. C’est en particulier le cas de certaines personnes qui ont été endeuillées par les attentats. Mais le procès va néanmoins participer à la reconstruction des victimes d’une manière générale. Au-delà de l’établissement des culpabilités et de l’attribution des peines, en faisant appel à la narration, il va participer, en approchant la vérité des faits, à la réécriture des événements dans leur mémoire. Et, je l’espère, ce nouveau récit partagé contribuera, lentement, à procurer non seulement un peu de réconfort, mais aussi à prendre de la distance par rapport à l’émotion exacerbée et au chagrin. Sans pour autant oublier.</p>
<p>Dans ce contexte, au cours des mois à venir, chaque personne qui s’exprimera dans l’espace public devra avoir conscience qu’elle porte une responsabilité dans la façon dont elle rendra compte de cet événement. Ce qui se dit dans l’enceinte du tribunal est une chose, ce que l’on porte sur la place publique en est une autre. Il y a une ligne rouge à ne pas franchir, il faut éviter de sombrer dans la surenchère, d’entrer dans des détails inutiles. D’autant plus que le procès va durer plusieurs mois. Sinon, il y a un risque réel de dommages supplémentaires pour les victimes. On peut établir une analogie avec le cabinet du médecin, où s’expriment des propos importants pour la thérapie du patient, mais qui n’ont pas vocation d’être divulgués.</p>
<p><em>In fine</em>, il s’agit pour nos sociétés démocratiques de montrer qu’elles sont capables, non seulement de répondre au terrorisme, mais aussi d’accompagner les victimes avec dignité. La façon dont ce long procès va se dérouler, devant nous tous, est aussi importante en ce sens ; l’éthique de notre société y est convoquée.</p>
<p><strong>TCF : Pouvez-vous nous en dire plus sur le programme « 13-Novembre », que vous avez initié avec l’historien Denis Peschanski ? Comment cette idée a-t-elle germé dans vos esprits ?</strong></p>
<p><strong>FE :</strong> Le programme « 13-Novembre » a démarré en avril 2016. Prévu pour durer 12 ans, il est articulé autour de deux études principales : l’étude « 1000 » (pour 1 000 participants) et l’étude « Remember ».</p>
<p>Nous avons divisé les participants en quatre cercles, selon leur proximité à l’événement. Le cercle 1 correspond aux personnes directement exposées aux attentats. Le cercle 2, aux personnes qui vivent ou travaillent dans les quartiers visés, mais n’étaient pas présentes au moment de l’attaque. Le cercle 3 est constitué par les personnes qui vivaient en région parisienne à l’époque (à l’exclusion des personnes des 2 premiers cercles). Enfin, dans le cercle 4, on retrouve des personnes qui vivaient en province, plus précisément dans 3 villes : Caen, Metz et Montpellier. Les personnes des cercles 2, 3 et 4 ont appris la survenue de l’attentat à la radio, à la télévision, par téléphone, etc.</p>
<p>Concrètement, les participants ont d’abord intégré l’étude 1000, qui a consisté en des entretiens filmés, puis 200 d’entre elles, appartenant uniquement aux cercles 1 et 4, ont intégré Remember. Cette seconde étude implique quant à elle des examens médicaux, psychologiques et en imagerie cérébrale (IRM). Elle vise principalement à comprendre pourquoi certaines personnes, confrontées à un tel événement, développent un trouble de stress post-traumatique tandis que d’autres vont être résilientes. L’idée est d’identifier les mécanismes à l’œuvre, et les éléments qui les renforcent ou les résorbent.</p>
<p><strong>TCF : Pourriez-vous nous rappeler en quoi consiste le trouble de stress post-traumatique ?</strong></p>
<p><strong>FE :</strong> Le trouble de stress post-traumatique survient après un événement durant lequel la victime perçoit qu’elle est en péril, que son intégrité physique (ou celle d’une personne dont elle est proche) est potentiellement menacée. Face à cette situation, la personne se sent totalement démunie.</p>
<p>De façon arbitraire, selon les critères actuels, on évoque le diagnostic de trouble de stress post-traumatique si les symptômes perdurent un mois après cet événement traumatique. Avant cette période, on parle de stress aigu. Celui-ci se rapproche davantage du stress auquel tout un chacun a pu être confronté (sans qu’il n’y ait forcément de lien avec un événement traumatique) : celui d’un entretien important, d’une soutenance de thèse… Ses effets s’estompent généralement en quelques jours. Dans le trouble de stress post-traumatique, au contraire, les conséquences du stress sont durables.</p>
<p>Le symptôme principal qui caractérise ce trouble est ce que l’on appelle les reviviscences (ou les « intrusions ») : les personnes revoient des images (ou réentendent des sons, perçoivent des odeurs, etc.) qui appartiennent à la scène du traumatisme.</p>
<p><strong>TCF : En quoi ces intrusions diffèrent-elles des souvenirs ?</strong></p>
<p><strong>FE :</strong> Il ne faut pas confondre ces intrusions avec des souvenirs : un souvenir est quelque chose de construit. Vous vous souvenez de ce que vous avez fait dimanche dernier, vous revoyez les images, mais vous avez conscience que ces images appartiennent au passé. Le souvenir est contextualisé : vous savez comment vous étiez arrivé là, ce qui s’est passé avant, après, etc.</p>
<p>Les intrusions au contraire sont des éléments disparates, désorganisés, chaotiques. Elles sont très sensorielles, très émotionnelles. Et, à la différence d’un souvenir, elles surgissent dans le présent : l’individu qui en est victime les perçoit comme si l’événement se produisait à nouveau. C’est pour cela que l’on parle de blessés psychiques : la blessure causée par le traumatisme demeure béante du fait de ces intrusions incessantes.</p>
<p>Face à ces intrusions, la personne développe des mécanismes d’évitement, pour se protéger. Mais ces mécanismes protecteurs finissent par être tellement envahissants qu’ils deviennent à leur tour des symptômes. Par exemple, pour des attentats comme le 13 Novembre, qui ont lieu en présence de nombreuses personnes, la victime va avoir tendance à éviter les foules, à rencontrer peu de gens, elle va éviter les salles de spectacles, les lieux clos, et sa vie sociale va se restreindre en conséquence.</p>
<p>À tout cela s’ajoutent des réactions végétatives : sursauts, cauchemars, qui constituent d’autres stigmates de cette blessure. Enfin, d’autres symptômes et comorbidités vont parfois accompagner ce « noyau central » : dépression, anxiété, addictions, difficultés d’interactions sociales… Mais quoi qu’il en soit, le cœur du syndrome est bien cette capacité à réguler les intrusions. Elles sont au centre du trouble, tout le reste gravite autour, avec des expressions différentes d’une personne à l’autre.</p>
<p><strong>TCF : L’étude Remember a justement étudié les mécanismes de contrôle de ces intrusions. Comment s’est-elle déroulée ?</strong></p>
<p><strong>FE :</strong> La grande force de cette étude réside dans son design général et dans le nombre important de participants. L’étude porte sur deux groupes principaux : l’un est constitué de personnes qui étaient au Bataclan, ou sur les terrasses attaquées, l’autre est un groupe « contrôle » (des habitants de Caen qui n’ont pas été directement impactés par les attentats – il s’agit du cercle 4).</p>
<p>Le groupe des victimes directes des attentats est ensuite subdivisé en deux sous-groupes, selon que ces participants ont développé un trouble de stress post-traumatique ou se sont avérés résilients. Enfin, les membres de chacun de ces deux sous-groupes sont appariés en fonction de leur situation précise face aux scènes des attentats (s’ils étaient dans la fosse du Bataclan, sur une terrasse, plus loin, ils étaient policiers, médecins, etc.).</p>
<p>Ce design est, scientifiquement parlant, extrêmement solide. De plus, le grand nombre de participants (200 personnes, dont environ 120 membres du cercle 1), permet des analyses statistiques très puissantes.</p>
<p>Pour savoir pourquoi certaines victimes sont capables de maîtriser la survenue des intrusions typiques du trouble de stress post-traumatique tandis que d’autres n’y parviennent pas, nous avons centré nos analyses sur l’IRM de haute résolution. Cette technologie permet, d’une part d’étudier la morphologie du cerveau, pour détecter d’éventuelles modifications d’un groupe à l’autre. D’autre part, l’IRM fonctionnelle permet quant à elle de mesurer l’activité du cerveau pendant que le participant réalise une tâche, en l’occurrence de visualiser le cerveau d’un sujet qui tente de repousser une intrusion.</p>
<p><strong>TCF : Il ne s’agissait bien sûr pas de réveiller les intrusions traumatiques chez les sujets…</strong></p>
<p><strong>FE :</strong> Non, évidemment, pour des raisons éthiques évidentes. Grâce à Pierre Gagnepain, qui avait déjà expérimenté cette méthodologie dans un autre cadre, nous avons conçu une expérience appelée « <em>think – no think</em> » (« penser – ne pas penser ») permettant de générer des intrusions « neutres », c’est-à-dire, non traumatiques, en faisant l’hypothèse que ces intrusions neutres allaient mettre en œuvre les mêmes mécanismes cérébraux que les intrusions traumatiques. Pour prendre une image : si vous conduisez votre voiture et que quelque chose surgit devant vous, vous allez immédiatement appuyer sur le frein, qu’il s’agisse d’un sanglier ou d’un enfant ! La réaction émotionnelle qui s’ensuit est différente, mais les mécanismes qui permettent le contrôle sont les mêmes.</p>
<p>Le <em>think – no think</em> consiste à faire surapprendre aux participants des associations entre des couples de concepts. Par exemple le mot écrit « bateau » et l’image d’une maison. Après cet apprentissage, quand le participant voit écrit le mot bateau, immédiatement lui vient à l’esprit l’image d’une maison, de façon quasi irrépressible. On mime ainsi la survenue de l’intrusion traumatique, sans le traumatisme.</p>
<p>Ensuite, une fois dans l’IRM, on demande à la personne, lorsqu’elle voit le mot bateau écrit en lettres rouges, d’essayer de chasser l’image de la maison, qui survient d’abord de façon irrépressible. On mesure l’activité du cerveau dans cette situation précise.</p>
<p>Les résultats de ces travaux ont fait l’objet <a href="https://presse.inserm.fr/stress-post-traumatique-nouvelles-pistes-pour-comprendre-la-resilience-au-trauma/38240/">d’une publication dans la revue <em>Science</em> en début d’année</a>.</p>
<p><strong>TCF : Pouvez-vous nous expliquer ce qu’ils révèlent ?</strong></p>
<p><strong>FE :</strong> Nous avons découvert que la capacité à réfréner les intrusions, qui permet la résilience, s’explique notamment par des capacités de contrôle de la mémoire qui sont sous-tendues par des structures en réseau coordonnées par le cortex frontal, situé en avant du cerveau.</p>
<p>Quand une personne résiliente se trouve face au mot bateau écrit en rouge, et cherche donc à repousser l’intrusion de l’image associée, toutes les connexions neuronales de cette zone se synchronisent avec d’autres structures cérébrales, ce qui lui permet de contrôler les régions du cerveau impliquées dans la mémoire, les émotions, les perceptions d’une façon extrêmement efficace. Plus efficace même que ce que l’on observe chez les personnes du groupe contrôle, qui n’ont pas été confrontées directement aux attentats, ce qui constitue un résultat particulièrement intéressant. Notre travail ne souligne donc pas seulement les mécanismes défaillants, mais aussi, et c’est essentiel, ceux qui sont amplifiés pour permettre aux victimes de surmonter l’adversité.</p>
<p>La publication dans <em>Science</em>, utilisant l’imagerie fonctionnelle des intrusions dans le trouble de stress post-traumatique, souligne ce point critique du contrôle de la mémoire. Mais le trouble de stress post-traumatique a d’autres conséquences sur la mémoire, ce que ressentent très bien les victimes puisqu’il s’agit de leur mémoire autobiographique, celle qui est en lien avec leur identité personnelle.</p>
<p>Un autre volet du programme, qui utilise cette fois-ci des données psychopathologiques et neuropsychologiques, montre que la mémoire autobiographique, qui sert de base à la projection dans le futur, est aussi profondément modifiée. Le traumatisme, et ce qui s’écrit autour de lui, prend une place centrale, au détriment des intérêts antérieurs de la victime.</p>
<p>La compréhension des mécanismes qui président à ces changements est essentielle, et les leviers pouvant les modifier le sont plus encore, car ils pourraient constituer des pistes thérapeutiques nouvelles.</p>
<p><strong>TCF : Sait-on d’où proviennent les différences observées d’un individu à l’autre ? Certaines personnes étaient-elles « prédestinées » à être résilientes, en raison de leur bagage génétique, de leur entourage social ?</strong></p>
<p><strong>FE :</strong> Nous n’avons pas encore tous les éléments pour pouvoir répondre à ces questions bien évidemment cruciales. Les données sont en train d’être analysées, ce qui prend du temps. Par ailleurs, le suivi de l’évolution de ces patients nous fournira des informations complémentaires. À terme, nous espérons identifier les éléments défavorables, qui entraînent un stress post-traumatique, et les éléments qui favorisent au contraire la résilience.</p>
<p>Dans notre étude, nous avons déjà constaté que les professionnels (policiers, membres des professions médicales…) étaient mieux protégés vis-à-vis de ce trouble que les autres victimes. Probablement en raison de leur formation, et du fait qu’elles sont intervenues avec un but, un rôle précis à jouer. On sait en effet que la mémorisation est renforcée par l’accès au contexte dans lequel se produit le souvenir.</p>
<p>L’exemple typique est le souvenir flash : si vous demandez à des personnes ce qu’elles faisaient le 11 septembre 2001, elles vous décriront probablement très précisément ce qu’ils étaient en train de faire. Elles s’en souviennent très bien (ou croient s’en souvenir très bien, car comme tout souvenir, celui-ci évolue au fil du temps), parce qu’elles ont ressenti une émotion forte au moment de l’événement. Le contexte était renforcé, et le souvenir est donc particulièrement durable. Dans le cas des attentats du 13 novembre 2015, une enquête du CREDOC (Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie), associée à notre programme, a montré que 90 % de la population en France avait formé un tel souvenir flash.</p>
<p>Mais si un événement crée une émotion extrême, comme chez les victimes, l’effet est contraire. La mémorisation ne fonctionne plus comme à l’état normal et il y a production de ces éléments disparates, qui vont devenir des intrusions. L’activité de certaines régions du cerveau impliquées dans les émotions (comme le circuit amygdalien notamment) devient désordonnée, ce qui a pour conséquence de perturber le fonctionnement du circuit hippocampique, impliqué dans la mémorisation de souvenirs entourés de leur contexte.</p>
<p>Les souvenirs flash sont donc des souvenirs dont le contexte est renforcé alors que les intrusions sont dépourvues de ce contexte, d’où leur caractère désordonné et incontrôlable.</p>
<p><strong>TC : Ce « point de rupture émotionnel » varie-t-il d’une personne à l’autre ?</strong></p>
<p><strong>FE :</strong> Il varie d’une situation à l’autre, objectivement, mais au-delà de cela, de nombreux paramètres l’influencent : la nature de l’événement, sa <a href="https://www.larousse.fr/encyclopedie/divers/ph%C3%A9nom%C3%A9nologie/79096">phénoménologie</a>, la façon dont la personne l’a ressenti, la façon dont elle va être aidée ensuite… Mais aussi en partie en lien avec des aspects génétiques, et avec le vécu de la personne (a-t-elle déjà subi des traumatismes, comment y a-t-elle réagi, etc.).</p>
<p>Parmi ces éléments, la façon dont la personne a vécu l’événement initial, dont elle a réagi dans les premières heures après le traumatisme, semble compter beaucoup. On sait qu’il est important de procurer rapidement après l’événement des interventions psychologiques de qualité, comme celles offertes par les personnels des <a href="https://solidarites-sante.gouv.fr/systeme-de-sante-et-medico-social/securite-sanitaire/article/les-cellules-d-urgence-medico-psychologique-cump">cellules d’urgence médico-psychologiques</a> (CUMPs), qui sont particulièrement bien organisées dans notre pays.</p>
<p>Soulignons aussi l’importance des contacts sociaux : certaines personnes vont s’isoler, tandis que dans d’autres cas, les membres de l’environnement vont réussir à interagir avec elle, à l’aider à surmonter cet état. C’est un point délicat, car il recouvre une grande part de subjectivité : certaines personnes sont entourées par leurs proches, mais, malgré elles, elles ne parviennent pas à tirer le bénéfice de ce soutien.</p>
<p>En outre, dans des événements de portée nationale, et même historique, comme les attentats du 13 novembre, la façon dont la personne se sent reconnue par les autres, d’une manière beaucoup plus générale, est également très importante : l’existence d’associations de victimes, de commémorations, d’un procès… Cette dynamique est complexe, car le ressenti est différent d’une personne à l’autre, d’autant que les personnes qui ont vécu de tels événements ne peuvent les oublier.</p>
<p><strong>TCF : Ce qui signifie que le traumatisme peut être réactivé ?</strong></p>
<p><strong>FE :</strong> Effectivement, le traumatisme sera potentiellement réactivé par des événements qui ressemblent à ceux qui l’ont créé, ou par d’autres situations traumatiques. Au premier rang de celles-ci figurent d’autres attentats, mais nous étudions aussi l’impact de la pandémie actuelle de Covid-19 et ses conséquences socio-économiques sur les participants à l’étude Remember, dans le cadre d’une étude complémentaire intitulée Remember-pandémie. Il s’agit d’étudier la vulnérabilité et la résilience aux expériences de confinement secondaires à l’épidémie, au moyen d’entretiens téléphoniques avec des psychologues et de questionnaires en ligne.</p>
<p>Il faut bien saisir que les conséquences du traumatisme continuent de s’écrire en lien avec le monde qui évolue autour de la victime. La mémoire collective qui se construit influence profondément la mémoire individuelle. On ne peut pas comprendre la pathologie développée par les individus qui ont été victimes d’un psychotraumatisme dans le cadre d’un événement comme des attentats de l’ampleur de ceux du 13 novembre 2015 si on laisse de côté les dimensions collectives et sociales.</p>
<p>Cela n’entre pas en opposition avec une réponse biologique et médicale. Cependant l’analyse des mécanismes, de leurs intrications, et donc la mise en évidence de potentielles thérapeutiques pertinentes, passe par la compréhension de cette dimension sociale. La possibilité d’une synergie entre la mémoire meurtrie de la victime et la mémoire sociale est l’une des voies de la résilience.</p>
<p>Comme le soulignait déjà en 1925 le sociologue Maurice Halbwachs, auteur de l’ouvrage <a href="http://classiques.uqac.ca/classiques/Halbwachs_maurice/cadres_soc_memoire/cadres_soc_memoire.html">« les cadres sociaux de la mémoire »</a>, tout acte de mémoire est un acte social. On ne peut pas comprendre la mémoire individuelle si on oublie ce point…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/150005/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Francis Eustache ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les attentats du 13 Novembre ont créé un traumatisme tant dans la mémoire collective que dans les mémoires individuelles. Comprendre les mécanismes à l’œuvre permettra de mieux aider les victimes.Francis Eustache, Directeur de l'unité Neuropsychologie et imagerie de la mémoire humaine, Inserm, Ecole Pratique des Hautes Etudes, Université de Caen Normandie, InsermLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1462452020-09-15T20:44:18Z2020-09-15T20:44:18ZBonnes feuilles : « Dix attentats qui ont changé le monde »<p><em>Dans son essai <a href="https://m.armand-colin.com/dix-attentats-qui-ont-change-le-monde-comprendre-le-terrorisme-au-XXIe-siecle-9782200627829">« Dix attentats qui ont changé le monde. Comprendre le terrorisme au XXIᵉ siècle »</a>, le géopoliticien Cyrille Bret revient en détail sur les 10 attaques terroristes les plus marquantes de ces vingt dernières années : le 11 septembre 2001 à New York et Washington (États-Unis) ou « 9/11 » ; le 11 mars 2004 à Madrid (Espagne) ou « 11-M » ; le 1<sup>er</sup> septembre 2004 à Beslan (Russie) ; le 26 novembre 2008 à Mumbai (Inde) ; le 22 juillet 2011 à Utoya et Oslo (Norvège) ; le 18 mars 2015 à Tunis (Tunisie) ; le 13 novembre 2015 à Paris (France) ; le 22 mars 2016 à Bruxelles (Belgique) ; le 4 avril 2017 à Khan Cheikhoun (Syrie) ; et le 15 janvier 2019 à Nairobi (Kenya). La seule énumération des pays frappés suffit à rappeler à quel point le phénomène du terrorisme est devenu universel, au-delà de son hétérogénéité idéologique et opérationnelle. Nous publions ici un extrait de l’introduction, où l’auteur présente la démarche à l’origine de cet ouvrage.</em></p>
<hr>
<h2>Dix attentats peuvent-ils résumer un siècle encore jeune ?</h2>
<p>Toutes les victimes du terrorisme sont égales en malheur et en dignité. Mais tous les attentats n’ont pas la même portée. En matière de violence politique, il n’est rien de plus indigne que la compétition des bilans qui fixe l’importance d’un événement au nombre des victimes qu’il a faites. La place historique d’un attentat ne se mesure pas à la douleur qu’il inflige : elle est toujours maximale et inacceptable. Mais la signification politique dépend d’autres éléments qu’il faut mettre en évidence. Il en va du récit collectif des communautés meurtries.</p>
<p>Au fil des deux décennies écoulées, bien plus d’une dizaine d’attentats ont marqué des villes, des régions et des pays. L’analyse détaillée de dix attentats ne saurait donc suffire à rendre compte des évolutions du XXI<sup>e</sup> siècle, ni même à retracer l’histoire de la violence politique depuis 2001. Sélectionner, c’est éliminer. Et choisir les événements emblématiques, c’est s’exposer à la critique d’en avoir négligé d’autres par incompétence, oubli ou biais idéologique.</p>
<p>Les limites d’une telle sélection sont trop évidentes pour qu’il soit nécessaire de les détailler. Ainsi, pour analyser la propagation de l’hyperterrorisme d’Al-Qaïda en Europe, il aurait fallu non seulement décrire les attentats de Madrid en 2004 mais aussi passer en revue les dizaines d’attentats revendiqués par Al-Qaïda perpétrés contre des Européens au Maghreb et au Moyen-Orient. Il aurait été utile de consacrer un chapitre entier aux attentats de Londres en 2005 car ils ont suscité dans la démocratie parlementaire la plus ancienne d’Europe un tournant sécuritaire préoccupant.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/RjM-6S3i-f8?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>De même, pour dresser un état des lieux du terrorisme en France aujourd’hui, il aurait fallu analyser aussi précisément les attentats de janvier 2015 contre la rédaction de <em>Charlie Hebdo</em> et contre les clients de l’Hypercacher de la porte de Vincennes que les attentats du 13 novembre 2015 au Stade de France, dans les rues du quartier de la République et au théâtre du Bataclan. Et pour comprendre « l’africanisation » du terrorisme, il aurait été nécessaire de ne pas se limiter aux attentats perpétrés par les Chebabs à Nairobi en 2013 et en 2019 mais de détailler aussi les exactions de Boko Haram au Nigeria ou encore d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) au Sahel.</p>
<p>Enfin, la radicalisation violente de l’extrême droite occidentale mériterait une analyse non seulement à travers le cas d’Anders Behring Breivik mais aussi dans les attentats perpétrés en 2019 à Christchurch en Nouvelle-Zélande et à Halle en Allemagne en 2020. Les attentats commis contre la Russie auraient pu eux aussi être davantage détaillés. L’explosion criminelle d’un charter de touristes russes le 31 octobre 2014 au-dessus du Sinaï et les attentats du métro de Saint-Pétersbourg le 3 avril 2017 auraient trouvé leur place dans l’analyse du « moment Daech » en Europe.</p>
<p>Mais l’ambition de cet ouvrage n’est pas encyclopédique. Il faut le juger non sur son exhaustivité mais sur la justesse dans son analyse des « effets de terreur ».</p>
<p>Nous avons donc identifié les événements terroristes qui ont eu le plus de poids politique dans les deux décennies ouvertes par le 11 septembre. Dans cette sélection à la fois macabre et difficile, plusieurs critères ont été retenus.</p>
<p>Tout d’abord et avant tout, nous avons cherché à mettre en évidence ce que nous avons constaté à travers le monde : chaque culture politique, chaque communauté nationale est obsédée par « ses » attentats historiques. C’est un des effets recherchés de la terreur : enfermer une communauté sur elle-même, la rendre nombriliste.</p>
<p>Ainsi, la France et la Belgique ont-elles entamé des examens de conscience douloureux suite aux attentats de 2015 et 2016. Mais Français et Belges ne doivent pas oublier que d’autres États ont eux aussi été frappés par des acteurs identiques et selon des scénarios proches. On néglige, tout à sa douleur, le fait que le terrorisme devient une violence politique universelle. Nous avons donc choisi de mettre en lumière des attentats qui ont pu nous paraître éloignés, dans le temps et l’espace, pour rappeler combien d’autres pays sont eux aussi en proie aux doutes et à l’horreur face au terrorisme. Qui, en France et en Europe, hormis les spécialistes, a sérieusement pris en compte les attentats de Mumbai en 2008 ou de Nairobi en 2013 et en 2019 ? Ces événements ont pourtant pesé sur l’histoire nationale et sur les destinées mondiales. Et surtout, les terroristes, eux, se comparent entre eux et rivalisent à travers la planète. On verra à quel point les attentats de Mumbai de 2008, négligés en Europe, auront servi de modèle tragique à la campagne de Daech en Europe et en Afrique.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/cplLWgPE2vQ?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Le deuxième objectif de cet ouvrage est de montrer ce qui, dans les vies politiques, chez nous et à travers le monde, est en passe de changer. Les attentats terroristes, les réactions officielles et populaires à ces violences, les réformes juridiques et administratives qui en découlent transforment rapidement des cultures politiques. Dans les actions violentes les plus choquantes, les traditions ressurgissent, les tensions oubliées se ravivent, les mouvements d’opinion se précisent. La crise terroriste joue le rôle d’un révélateur des situations politiques.</p>
<p>Ainsi, la Norvège a pris douloureusement conscience, en 2011, de l’islamophobie qui travaille une partie de son opinion. De même, l’Inde de la prospérité s’est tragiquement remémoré le conflit non résolu du Cachemire en 2008 lors des attaques de Mumbai. À chaque fois, nous avons essayé de mesurer ce qui se manifestait des cultures politiques à travers les violences terroristes.</p>
<p>Enfin, nous avons choisi ici d’aborder les attentats par leurs conséquences. Ces dix attentats ont eu des effets de souffle considérables sur la vie collective et individuelle. Dans les réactions officielles comme dans les protestations individuelles, ce sont nos passions fondamentales qui ont été réactivées : la douleur, l’indignation, la colère et le dégoût au premier chef. Mais il nous a semblé essentiel d’aller au-delà de ces réactions immédiates. Si ces événements ont acquis un statut historique, c’est qu’ils ont cristallisé des conflits latents et eu des effets durables et profonds. Ils sont des conséquences et des symptômes bien sûr, mais ils sont aussi des causes. L’Inde a ainsi accéléré son tournant identitaire après les attentats de Mumbai. La radicalisation hindouiste était certes déjà présente auparavant, mais elle a pris un virage essentiel en 2008. De même, la présidentialisation du régime russe s’est explicitement affirmée en 2004 après les attentats de Beslan.</p>
<p>Pour commémorer les victimes, analyser dix attentats est assurément dérisoire. Et pour dresser une encyclopédie du terrorisme contemporain, c’est bien insuffisant. En revanche, pour repérer les événements qui ont modifié le cours politique de notre jeune siècle, la relecture de ces dix événements emblématiques est éclairante. Elle permet de saisir ce que chaque vague terroriste a de spécifique.</p>
<p>Et d’apercevoir, dans un moment critique, les tendances à l’œuvre dans les traditions politiques nationales et internationales.</p>
<p>Il faut donc scruter les faits eux-mêmes pour les connaître et identifier leur portée politique et leur puissance symbolique. Puis mettre à jour leurs rouages et mesurer la propagation, par cercles concentriques, de l’« effet de terreur » dans le temps, l’espace et les différentes strates de la société.</p>
<h2>Décrypter les « effets de terreur »</h2>
<p>Décrypter les attentats et comparer leurs impacts politiques respectifs permet de dissiper plusieurs illusions entretenues sur le phénomène terroriste.</p>
<p>Cette « brève histoire de la violence politique » fait apparaître une erreur récurrente, qui fait prendre la partie pour le tout. Depuis le 11 septembre 2001, « terroriste » est devenu synonyme de « djihadiste ». Or, malheureusement, le terrorisme n’est pas l’apanage des mouvements islamistes. Comme l’ont montré les années 1970, la violence terroriste est aussi utilisée dans des luttes sociales, ethniques, nationales sans rapport avec le fanatisme religieux. Réduire la lutte contre le terrorisme à un conflit entre islam politique armé et Occident civilisé est bien illusoire et même fort dangereux. L’extrême droite a commencé à utiliser le meurtre de masse contre des civils comme instrument de propagande. L’exemple tragique des attentats de Norvège en 2011 et de Nouvelle-Zélande en 2019 doit résonner comme un avertissement.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1106583583576199168"}"></div></p>
<p>Une deuxième illusion sur le terrorisme à abandonner concerne les auteurs des violences terroristes. Là encore, l’ombre portée du 11 septembre ne doit pas induire en erreur. Les organisations infra-étatiques clandestines n’ont pas le monopole du terrorisme car les États eux-mêmes l’ont abondamment utilisé, qu’il s’agisse des États totalitaires ou des dictatures affaiblies. L’exemple tragique des attaques chimiques perpétrées par le régime de Bachar Al-Assad en Syrie au fil de la décennie doit nous prémunir contre cette idée : tout acteur politique, quel que soit son statut juridique, peut être tenté de recourir à des tactiques terroristes.</p>
<p>Une dernière illusion à bousculer est commune à tous ceux qui consacrent leur travail au terrorisme, aux attentats et aux terroristes. L’histoire du XXI<sup>e</sup> siècle ne se résume pas à cette forme de violence politique. Une Histoire du monde écrite par les terroristes ou par les services de lutte contre le terrorisme ressemblerait sans doute à un catalogue d’attaques. La révolution numérique, les défis démographiques, la propagation du populisme dans les démocraties, la montée en puissance militaire de la Chine, les pandémies, etc., tout cela serait passé sous silence ou minoré.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/358121/original/file-20200915-24-b1oxq5.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Couverture du livre « Dix attentats qui ont changé le monde »" src="https://images.theconversation.com/files/358121/original/file-20200915-24-b1oxq5.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/358121/original/file-20200915-24-b1oxq5.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=921&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/358121/original/file-20200915-24-b1oxq5.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=921&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/358121/original/file-20200915-24-b1oxq5.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=921&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/358121/original/file-20200915-24-b1oxq5.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1157&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/358121/original/file-20200915-24-b1oxq5.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1157&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/358121/original/file-20200915-24-b1oxq5.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1157&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Ce texte est extrait de « Dix attentats qui ont changé le monde » de Cyrille Bret, qui vient de paraître aux éditions Armand Colin.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Armand Colin éditions</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Par leurs effets et les réactions de tout le corps social, les attentats terroristes significatifs donnent des éléments essentiels pour comprendre la vie collective. Miroirs déformants, symptômes éloquents, tournants stratégiques, ils jalonnent eux aussi notre expérience commune.</p>
<p>En somme, les crises terroristes ont un triple pouvoir de révélation, de concentration et d’accélération des processus politiques. La crise terroriste rend douloureusement évidentes des tendances encore mal connues : elle a une puissance de révélation. Elle concentre en elle les tensions et les conflits d’une communauté politique – c’est sa fonction de condensation ou de concentration.</p>
<p>Et enfin, elle précipite les évolutions politiques comme un accélérateur de la vie collective. Ce sont ces trois fonctions de l’attentat que nous avons mises en évidence tout au long du livre.</p>
<p>Dix attentats ne créent pas à eux seuls un nouveau monde. Mais ils le changent durablement.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/146245/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Cyrille Bret ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Cet ouvrage présente une analyse détaillée de dix attentats qui ont endeuillé le siècle – des États-Unis à l’Inde en passant par le Kenya, la Syrie, la Russie, la France ou encore la Norvège.Cyrille Bret, Géopoliticien, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1355862020-04-05T16:50:05Z2020-04-05T16:50:05ZComment la France compte-t-elle ses morts ?<p>Depuis le début de l’épidémie de Covid-19, l’avalanche d’informations sur le nombre des morts laisse une impression contradictoire: ils seraient comptés jour après jour mais mal estimés.</p>
<p>Comment donc s’y prend-on en France pour décompter les morts, et que valent les chiffres?</p>
<p>Nous décrirons ici le mode de comptage par temps calme pour comprendre comment il a dû s’adapter dans la tempête que constitue l’épidémie de Covid-19, mais aussi à la suite des autres épidémies et catastrophes survenues depuis vingt ans, comme la canicule de 2003, les attentats de Paris en 2015 ou les grippes meurtrières des derniers hivers.</p>
<h2>Compter les décès par temps calme: un système bien rodé mais qui prend du temps</h2>
<p>En France, les décès sont enregistrés de façon systématique depuis <a href="https://theconversation.com/la-statistique-publique-face-a-lurgence-du-decompte-des-morts-135773">plusieurs siècles</a>, dans les registres paroissiaux des sépultures sous l’Ancien Régime, puis dans les registres municipaux de décès tenus par les officiers d’état civil.</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/325313/original/file-20200403-74220-14gcwdo.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/325313/original/file-20200403-74220-14gcwdo.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=845&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/325313/original/file-20200403-74220-14gcwdo.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=845&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/325313/original/file-20200403-74220-14gcwdo.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=845&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/325313/original/file-20200403-74220-14gcwdo.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1062&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/325313/original/file-20200403-74220-14gcwdo.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1062&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/325313/original/file-20200403-74220-14gcwdo.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1062&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Registre paroissial, ici registre des baptêmes Eglise Saint Gervais de Paris.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Fichier:Registre_des_bapt%C3%AAmes_%C3%A9glise_Saint-Gervais_de_Paris.JPG">Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ces informations sont envoyées à l’Insee, tandis que les certificats médicaux contenant les causes de décès sont protégés par le secret médical et réservés à l’Inserm. L’exploitation de ces deux séries produit en routine une batterie d’indicateurs permettant de suivre la mortalité et les causes de décès avec un grand détail.</p>
<p>Or il faut du temps pour que les bulletins remontent des mairies à l’Insee ou à l’Inserm et soient correctement traités. L’Insee publie le nombre des décès dans le mois qui suit, tandis que le centre spécialisé de l’Inserm, le <a href="https://www.cepidc.inserm.fr/">CépiDc</a>, publie la statistique des causes de décès une ou plusieurs années après, tant est complexe le <a href="https://www.cepidc.inserm.fr/le-circuit-administratif-du-certificat-de-deces">cheminement des informations</a> (figure 1).</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/325497/original/file-20200405-74255-rc1wwv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/325497/original/file-20200405-74255-rc1wwv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/325497/original/file-20200405-74255-rc1wwv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=294&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/325497/original/file-20200405-74255-rc1wwv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=294&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/325497/original/file-20200405-74255-rc1wwv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=294&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/325497/original/file-20200405-74255-rc1wwv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=369&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/325497/original/file-20200405-74255-rc1wwv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=369&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/325497/original/file-20200405-74255-rc1wwv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=369&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Figure 1. Cheminement papier de la transmission des informations.</span>
<span class="attribution"><span class="source">CépiDc</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Les systèmes statistiques à l’épreuve de la canicule de 2003</h2>
<p>La canicule survenue début août 2003 a entraîné <a href="https://pdfs.semanticscholar.org/4875/05b6a96310c4bc03adc2972dae1fa39b5f4c.pdf">près de 15 000 décès</a> supplémentaires en France en l’espace de 10 jours, principalement chez les personnes âgées. Mais on ne l’a su que <a href="https://www.ined.fr/fichier/s_rubrique/18797/pop_et_soc_francais_399.fr.pdf">bien plus tard</a>.</p>
<p>Sur le moment, ce ne fut pas la statistique publique qui sonna l’alerte mais les urgentistes et les entreprises de <a href="https://pdfs.semanticscholar.org/4875/05b6a96310c4bc03adc2972dae1fa39b5f4c.pdf">pompes funèbres</a>.</p>
<p>On découvrait ainsi que la statistique publique était mal armée pour déceler en temps réel les épidémies ou les catastrophes. Il fallut l’adapter pour qu’elle produise des premiers chiffres sans attendre les bilans annuels ou mensuels. </p>
<p>C’est ainsi que l’Insee délivre désormais des chiffres quotidiens des décès à Santé publique France qui en tire un bilan hebdomadaire pour la <a href="https://www.santepubliquefrance.fr/maladies-et-traumatismes/maladies-et-infections-respiratoires/grippe/documents/bulletin-national/bulletin-epidemiologique-grippe-semaine-11.-saison-2019-2020">surveillance de la grippe saisonnière</a>.</p>
<p>Le système est devenu très réactif grâce à la transmission électronique d’une fraction croissante des bulletins de décès entre les mairies et l’Insee (<a href="https://insee.fr/fr/information/4470857">88 % en 2019</a>). Les médecins, à leur tour, ont commencé à expédier des certificats de décès dématérialisés (figure 2), mais ce progrès est encore en cours: 18 % seulement des décès sont certifiés électroniquement en 2020, ce qui réduit la capacité du système à assurer la surveillance immédiate des épidémies.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/325412/original/file-20200404-74198-sim84i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/325412/original/file-20200404-74198-sim84i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/325412/original/file-20200404-74198-sim84i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=281&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/325412/original/file-20200404-74198-sim84i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=281&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/325412/original/file-20200404-74198-sim84i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=281&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/325412/original/file-20200404-74198-sim84i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=353&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/325412/original/file-20200404-74198-sim84i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=353&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/325412/original/file-20200404-74198-sim84i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=353&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Figure 2, transmission électronique.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Cepidc</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Le bilan de la grippe : autour de 14 000 décès lors des hivers 2016-2017 et 2017-2018</h2>
<p>Cette nouvelle organisation a cependant permis d’améliorer la surveillance de la grippe hivernale. L’excès de mortalité qui l’accompagne est estimé de façon indirecte en comparant semaine après semaine les décès observés aux décès « attendus », c’est-à-dire aux courbes des décès qui découlent des variations saisonnières ordinaires estimées à l’aide de modèles (figure 3).</p>
<p>Depuis 2014, quatre hivers ont connu des épidémies de grippe particulièrement meurtrières, repérables par autant de pics sur la figure : les hivers 2014-2015, 2016-2017, 2017-2018 et 2018-2019. En comparaison, les épidémies des hivers 2015-2016 et 2019-2020, n’ont entraîné qu’une faible surmortalité, la grippe ayant été moins grave.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/379216/original/file-20210118-13-1094xu5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/379216/original/file-20210118-13-1094xu5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/379216/original/file-20210118-13-1094xu5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=376&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/379216/original/file-20210118-13-1094xu5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=376&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/379216/original/file-20210118-13-1094xu5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=376&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/379216/original/file-20210118-13-1094xu5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=472&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/379216/original/file-20210118-13-1094xu5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=472&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/379216/original/file-20210118-13-1094xu5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=472&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Figure 3. Nombres de décès hebdomadaires attendus et observés de juin 2014 à décembre 2020 toutes causes de décès confondues.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Santé publique France et Insee</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>À l’issue de chaque épidémie de grippe, Santé publique France peut donc estimer le niveau de surmortalité. Les chiffres publiés sont impressionnants : <a href="http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2018/34/2018_34_1.html">environ 20 000 décès supplémentaires</a> dans les hivers 2016-2017 et 2017-2018, et 12 000 dans l’hiver 2018-2019.</p>
<p>En revanche, la dernière épidémie de grippe, celle de l’hiver 2019-2020, <a href="https://www.santepubliquefrance.fr/maladies-et-traumatismes/maladies-et-infections-respiratoires/grippe/documents/bulletin-national/bulletin-epidemiologique-grippe-semaine-11.-saison-2019-2020">n’a pas dégagé de surmortalité notable</a>, et il en sera sans doute de même pour celle de l’hiver 2020-2021.</p>
<p>Il faut toutefois rappeler que les décès excédentaires observés dans les épisodes de grippe les plus sévères ne sont pas tous imputables à la grippe elle-même, même si elle a pu y contribuer. On estime que la grippe est directement à l’origine d’environ 70 % de la surmortalité dans les hivers les plus meurtriers, soit environ 14 000 décès en 2016-2017 et autant en 2017-2018, suivis de l’hiver 2018-2019, avec environ 8 000 décès.</p>
<h2>Des chiffres publiés chaque jour, mais que valent-ils ?</h2>
<p>Moyennant quelques adaptations, le système utilisé pour la surveillance de la grippe saisonnière a été repris pour le <a href="https://www.santepubliquefrance.fr/maladies-et-traumatismes/maladies-et-infections-respiratoires/infection-a-coronavirus/documents/bulletin-national/covid-19-point-epidemiologique-du-7-janvier-2021">bilan hebdomadaire de l’épidémie de Covid-19</a>.</p>
<p>Mais, comme pour la grippe saisonnière, ce n’est qu’en fin d’épidémie, après un certain délai, qu’il sera possible de quantifier la surmortalité due au Covid-19. Or les autorités de santé, qui souhaitent communiquer chaque soir un bilan journalier des décès, aimeraient disposer de décomptes en temps réel.</p>
<p>Elles ne peuvent s’appuyer pour cela sur les deux systèmes décrits plus haut. L’Insee a beau publier dorénavant le nombre journalier des décès par département, comparé à celui observé l’an dernier à la même époque, cette information particulièrement précieuse pour suivre l’épidémie couvre tous les décès sans distinction de cause (rappelons que la cause de décès n’est pas traitée par l’Insee mais par l’Inserm) et elle n’est disponible qu’avec un <a href="https://insee.fr/fr/information/4470857">délai de 10 jours</a> (7 jours pour une estimation moins précise à partir des seuls bulletins transmis électroniquement).</p>
<p>L’Inserm, de son côté, ne peut produire le décompte journalier des décès par Covid-19 en temps réel, vu la faible part des certificats de décès électroniques remplis par les médecins.</p>
<h2>Une troisième source de données, mais ne couvrant que les décès hospitaliers</h2>
<p>Santé publique France se tourne donc vers une troisième source pour estimer le nombre journalier de décès par Covid-19 : le Système d’information pour le suivi des victimes d’attentats et de situations sanitaires exceptionnelles (<a href="https://esante.gouv.fr/projets-nationaux/si-suivi-des-victimes-dattentats-et-de-situations-sanitaires">SI-VIC</a>). Mis en place à la suite des attentats terroristes de Paris de novembre 2015, ce système récupère le nombre de décès par Covid-19 transmis chaque jour par chaque hôpital. Avant l’épidémie de Covid-19 il laissait donc de côté les décès survenus à domicile ou en maison de retraite (Ehpad). </p>
<p>Or un peu plus de la moitié des personnes meurent à l’hôpital (<a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/4204068">53 % en 2020</a>), près d’un quart à domicile (24 %), et une sur sept en maison de retraite (13%) (le reste mourant dans un lieu public ou un lieu non précisé dans le bulletin de décès). </p>
<p>En cours d’épidémie de Covid-19, au printemps 2020, un système de collecte complémentaire a été mis en place pour faire remonter les décès survenus en maison de retraite.</p>
<p>Le bilan publié le 17 janvier 2021 dénombre <a href="https://www.santepubliquefrance.fr/maladies-et-traumatismes/maladies-et-infections-respiratoires/infection-a-coronavirus/articles/infection-au-nouveau-coronavirus-sars-cov-2-covid-19-france-et-monde">21 359 décès par Covid-19 survenus en Ehpad</a> depuis le début de l’épidémie, qui s’ajoutent donc aux 48 924 survenus à l’hôpital, soit près de la moitié en plus.</p>
<p>Le nombre de décès par Covid-19 survenus à l’hôpital et en maison de retraite sous-estime la mortalité réelle, mais probablement pas de beaucoup – les décès à domicile seraient <a href="https://dc-covid.site.ined.fr">peu nombreux</a> (ils sont 4% en Suède, 5% en Angleterre-Galles, et 6% aux États-Unis). </p>
<h2>Disposer des nombres de décès détaillés par sexe et âge</h2>
<p>Le décompte journalier du nombre de décès dus au Covid-19, même s’il ne correspond pas exactement à la réalité, est cependant utile pour suivre la progression de l’épidémie et repérer les changements dans la vitesse de propagation.</p>
<p>Mais il faut disposer d’informations plus détaillées sur le nombre des décès par sexe et âge pour pouvoir répondre à des questions élémentaires sur la mortalité par Covid-19 : les hommes meurent-ils vraiment plus que les femmes ? La part des jeunes tend-elle à augmenter ? De façon plus générale, comment le risque de mortalité varie-t-il selon le sexe et l’âge ? Ces variations se retrouvent-elles dans d’autres pays ? Certains pays sont-ils plus frappés que d’autres?</p>
<p>L’Institut national d’études démographiques (Ined) offre sur son site internet une <a href="https://dc-covid.site.ined.fr/">base de données internationale</a> fournissant ce type d’information pour différents pays, en les actualisant semaine après semaine, et en les assortissant pour chaque pays de notices sur les sources et la qualité des informations. L’objectif est de stimuler la recherche sur la démographie des décès par Covid-19 en facilitant l’accès aux données de base.</p>
<p>À titre d’exemple, nous nous sommes appuyés sur ces données pour examiner deux questions. D’abord, le Covid-19 tue-t-il surtout des personnes âgées comme on le dit souvent ? Ou tue-t-il à tout âge ? La réponse est : les deux. Pour situer la mortalité qu’il occasionne, nous la comparons à la figure 4 à l’ensemble de la mortalité (toutes causes de décès confondues) et à celle due à la grippe.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/378258/original/file-20210112-15-1r5co8z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/378258/original/file-20210112-15-1r5co8z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/378258/original/file-20210112-15-1r5co8z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=592&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/378258/original/file-20210112-15-1r5co8z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=592&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/378258/original/file-20210112-15-1r5co8z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=592&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/378258/original/file-20210112-15-1r5co8z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=744&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/378258/original/file-20210112-15-1r5co8z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=744&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/378258/original/file-20210112-15-1r5co8z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=744&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Figure 4. Distribution par âge des décès (%). Comparaison entre les décès par Covid-19, ceux de la grippe de 2015, et l’ensemble des décès de l’année 2018, France.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Auteurs</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>La répartition par âge des décès dus au Covid-19 est proche de celle de la mortalité générale. De nos jours, on meurt la plupart du temps à des âges élevés et rarement dans la jeunesse ou à l’âge adulte. C’est vrai aussi de la mortalité due au Covid-19 ; mais les décès aux âges élevés, à plus de 75 ans, sont un peu plus fréquents avec le Covid-19 qu’avec l’ensemble des autres causes de décès, et ceux avant 75 ans, un peu moins fréquents. </p>
<p>Elle se rapproche de ce point de vue de la mortalité due à la grippe, qui tue de façon encore plus prononcée préférentiellement les personnes âgées, et nettement moins les jeunes et les adultes.</p>
<h2>La surmortalité des hommes par rapport aux femmes : une courbe à deux « bosses »</h2>
<p>Seconde question examinée ici : on sait que le <a href="https://www.futura-sciences.com/sante/actualites/coronavirus-hormones-sexuelles-feminines-protegeraient-formes-graves-covid-19-61222/">Covid-19 tue plus les hommes que les femmes</a>, mais de combien plus ? </p>
<p>Sachant que c’est vrai aussi de la mortalité générale : à tout âge, un homme a un risque de mourir dans l’année plus élevé qu’une femme du même âge. Un homme de 70 ans a par exemple un risque double de celui d'une femme de 70 ans. </p>
<p>Il en de même à 40 ans, le risque est double, même s’il est bien plus faible à la fois pour les hommes et pour les femmes. La figure 5 indique les variations de cette surmortalité masculine selon l’âge. </p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/378259/original/file-20210112-17-1r699me.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/378259/original/file-20210112-17-1r699me.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/378259/original/file-20210112-17-1r699me.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=617&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/378259/original/file-20210112-17-1r699me.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=617&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/378259/original/file-20210112-17-1r699me.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=617&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/378259/original/file-20210112-17-1r699me.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=775&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/378259/original/file-20210112-17-1r699me.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=775&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/378259/original/file-20210112-17-1r699me.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=775&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Fig.5 Surmortalité des hommes par rapport aux femmes selon l’âge. Comparaison entre les décès par Covid-19 et l’ensemble des décès de l’année 2018, France.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Calculs des auteurs utilisant les données de l’Ined</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Elle révèle deux « bosses », la surmortalité des hommes atteignant des sommets aux âges de jeune adulte – les décès, très peu fréquents à ces âges, sont dus principalement aux accidents, notamment ceux de la circulation – et aussi entre 55 et 74 ans. </p>
<p>La surmortalité masculine due au Covid-19 est plus importante que celle pour l’ensemble des causes de décès à tout âge, sauf chez les enfants et les jeunes adultes ; elle a par ailleurs le même profil par âge avec deux bosses. La première bosse peut s’expliquer par des comportements plus à risque chez les jeunes hommes que chez les jeunes femmes (relations sociales maintenues, moindre observation des gestes barrière), un peu comme pour la mortalité accidentelle. La deuxième bosse pourrait venir de comorbidités (hypertension, diabète) plus fréquentes chez les hommes que chez les femmes.</p>
<h2>Une spécificité française</h2>
<p>Retrouve-t-on ce profil à deux bosses dans les autres pays ? Non, il semble assez spécifique à la France, comme le montre la figure 6 qui compare la surmortalité masculine avec le Covid-19 en France, en Angleterre-Pays de Galles et aux États-Unis. </p>
<p>La surmortalité masculine française est plus importante que celle observée en Angleterre-Galles à tout âge. C’est vrai également quand on compare la France aux États-Unis, sauf avant 25 ans et entre 35 et 54 ans où la surmortalité masculine est plus élevée aux États-Unis. </p>
<p>Le profil français à deux bosses ne se retrouve ni en Angleterre-Galles ni aux États-Unis. Seules des analyses plus fines prenant en compte les comorbidités pourront aider à comprendre ces différences de profil.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/378260/original/file-20210112-23-1wwaerj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/378260/original/file-20210112-23-1wwaerj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=631&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/378260/original/file-20210112-23-1wwaerj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=631&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/378260/original/file-20210112-23-1wwaerj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=631&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/378260/original/file-20210112-23-1wwaerj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=793&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/378260/original/file-20210112-23-1wwaerj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=793&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/378260/original/file-20210112-23-1wwaerj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=793&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Fig.6 Surmortalité des hommes par rapport aux femmes à différents âges pour le Covid-19. Comparaison France, Angleterre-Galles et États-Unis.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Calculs des auteurs utilisant les données de l’Ined</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>En pleine épidémie ou catastrophe, la remontée et le traitement des informations même accélérés se font avec quelques jours de décalage, et ne couvrent pas tous les décès. Alors que la plupart des pays font face à une deuxième vague de l’épidémie parfois plus meurtrière que la première, les données statistiques disponibles restent fragmentaires. Il faudra encore attendre plusieurs mois pour pouvoir décompter précisément tous les morts et examiner quelles catégories ont été les plus affectées.</p>
<hr>
<p><em>Cet article a été mis à jour pour refléter les données en état au 17 janvier 2021.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/135586/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Gilles Pison a reçu des financements de l'Agence nationale de la recherche française et des National Institutes of Health américains</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>France Meslé a reçu des financements de Fonds AXA pour la recherche, Fondation SCOR, Agence nationale de la recherche. </span></em></p>Comment le décompte des décès, qui prend du temps, s’adapte-t-il lors d’une crise ? Des graphiques de comparaisons internationales inédits illustrent son potentiel d’information en temps réel.Gilles Pison, Anthropologue et démographe, professeur au Muséum national d'histoire naturelle et chercheur associé à l'INED, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)France Meslé, Démographe, Institut National d'Études Démographiques (INED)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1067612018-11-13T01:03:54Z2018-11-13T01:03:54ZLe 13 novembre et nous<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/245081/original/file-20181112-83596-lxibrp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=3%2C0%2C1270%2C804&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Place de la République à Paris, le 15 novembre 2015.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/a/a6/Dozens_of_mourning_people_captured_during_civil_service_in_remembrance_of_November_2015_Paris_attacks_victims._Western_Europe%2C_France%2C_Paris%2C_place_de_la_R%C3%A9publique%2C_November_15%2C_2015.jpg/1280px-thumbnail.jpg">Mstyslav Chernov/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Le calendrier des commémorations peut recéler des coïncidences éclairantes. Au moment même où nous invoquons le <a href="https://www.lemonde.fr/centenaire-14-18/article/2018/11/10/musee-d-orsay-philarmonie-arc-de-triomphe-macron-poursuit-les-commemorations-du-11-novembre_5381854_3448834.html?">souvenir des millions de morts de la Première Guerre mondiale</a>, nous commémorerons aussi les <a href="http://www.lefigaro.fr/culture/2018/11/10/03004-20181110ARTFIG00044-trois-ans-apres-les-attentats-du-13-novembre-le-bataclan-cherche-a-tourner-la-page.php">dizaines de victimes des attentats du 13 novembre 2015</a> à Paris.</p>
<h2>Du 11 novembre 1918 au 13 novembre 2015</h2>
<p>Aussi différents soient-ils par leurs contextes et leurs enjeux respectifs, ces deux événements nous créent nécessité d’articuler histoire et mémoire, de combiner analyse rationnelle des faits et examen des représentations collectives. Qu’importent les macabres comparaisons de bilan : ces deux événements font désormais partie de notre conscience commune. Tout comme les attentats du 11 septembre 2001 ont modifié l’<a href="https://thinkglobalschool.org/911-the-day-that-reshaped-the-american-identity/">identité nationale et la vision du monde des Américains</a>, les attaques du 13 novembre 2015 ont modifié la perception que la France a d’elle-même.</p>
<p>Ce qui se joue, dans la commémoration de l’armistice de 1918, c’est la <a href="http://www.lefigaro.fr/histoire/centenaire-14-18/2018/11/09/26002-20181109ARTFIG00123-la-premiere-guerre-mondiale-en-chiffres.php">fin d’une boucherie industrielle</a> où le continent entier s’est résolument dirigé vers le suicide. Ce qui est en jeu dans la commémoration du 13 novembre 2015, c’est l’impact du terrorisme djihadiste militarisé sur nos sociétés ouvertes. Si la France a laissé dans le premier conflit mondial une grande partie de sa jeunesse et de sa confiance en l’avenir, elle a perdu plusieurs de ses certitudes dans la séquence d’attentats de 2015 et 2016 à Paris, <a href="https://www.la-croix.com/France/Securite/Attentat-de-Nice">Nice</a> ou de la porte de <a href="https://www.francetvinfo.fr/faits-divers/attaque-au-siege-de-charlie-hebdo/recit-porte-de-vincennes.html">Vincennes</a>.</p>
<p>Trois ans après le 13 novembre 2015, le choc de la violence s’est un peu éloigné. Mais nos questions fondamentales attendent toujours leurs réponses.</p>
<p>Qu’avons-nous vécu au juste ? Une série d’attentats supplémentaires particulièrement meurtriers ? Ou bien un véritable tournant dans notre récit collectif ? Et que sommes-nous finalement devenus ? <a href="https://www.nonfiction.fr/article-8780-entretien-la-guerre-civile-naura-pas-lieu-avec-david-djaiz.htm">Un peuple en guerre civile larvée ?</a> Ou bien une <a href="https://www.lepoint.fr/societe/en-direct-l-hommage-de-la-france-aux-victimes-des-attentats-du-13-novembre-27-11-2015-1985231_23.php">nation plus consciente, plus résiliente et plus soudée</a> ? Ces interrogations nous obsèdent. Elles nous habitent. Le 13 novembre nous a bouleversé. Reste désormais à savoir ce que nous pouvons faire, dans nos représentations collectives, du 13 novembre.</p>
<h2>Qu’avons-nous donc vécu ?</h2>
<p>Aux abords du Stade de France, les premières attaques suicides à l’explosif menées sur le territoire national. Dans les rues du XI<sup>e</sup> arrondissement de Paris, des mitraillages indiscriminés sur les passants. Et, dans la salle de concert du Bataclan, des assassinats méthodiques à l’arme automatique au fil d’une prise d’otage sanglante. Le bilan criminel nous a choqué. Il continue à nous soulever d’horreur. Ce qui nous est arrivé, c’est une <a href="https://www.franceinter.fr/emissions/affaires-sensibles/affaires-sensibles-18-septembre-2017">des plus graves séries d’attaques terroristes perpétrées sur le sol européen</a> avec les attentats de Madrid en 2004.</p>
<p>Retracer le déroulement précis des attaques, établir les responsabilités et trouver les commanditaires, toutes ces missions incombent <a href="https://www.lemonde.fr/police-justice/article/2018/11/10/trois-ans-apres-le-13-novembre-l-enquete-touche-a-sa-fin_5381687_1653578.html?">aux autorités judiciaires et aux services d’enquête</a>. Ces recherches sont indispensables. Mais elles ne suffiront pas pour la mémoire collective. Comme toujours en matière de terrorisme, l’effet social des attentats excède largement l’impact criminel direct.</p>
<p>C’est que l’attentat terroriste est tout à la fois une <strong>action directe</strong> et une <strong>stratégie indirecte</strong>. Un meurtre physique immédiat et un meurtre symbolique différé. Dans les attentats du 13 novembre, les premières victimes sont les 130 morts et les 413 blessés causés par les balles et les ceintures d’explosif. Mais les victimes indirectes sont l’ensemble de la population française et, par-delà, les opinions publiques à travers le monde.</p>
<p>Coordonner des attaques dans un temps réduit et un lieu circonscrit, créer un effet de choc puis de panique : tout cela concourt, dans la tactique terroriste, à créer un sentiment de « vulnérabilité généralisée » selon le concept de Michael Walzer dans <a href="http://lirsa.cnam.fr/medias/fichier/waltzer2__1262768604159.pdf"><em>Guerres justes et injustes</em></a> : n’importe qui peut être frappé n’importe où et n’importe quand. C’est du moins la conviction que les terroristes cherchent à répandre. Ils prennent en otage toute notre vie quotidienne.</p>
<p>En tuant dans les stades, une salle de spectacle, les restaurants et les rues, les terroristes du 13 novembre 2015 ont cherché à établir une panique durable et universelle dans la population française. Nul n’est à l’abri, pas même les musulmans. À faire de nous tous des victimes indirectes des attentats pour un temps indéfini, <a href="https://theconversation.com/la-lutte-contre-le-terrorisme-une-gouvernance-par-lincertitude-84713">celui de l’incertitude</a>. Et à nous faire douter de la solidité de nos institutions.</p>
<p>C’est toute la différence entre un coup d’État et un attentat : avec des moyens limités, les terroristes essaient de prendre le contrôle d’une société, non dans les faits mais dans les représentations. Daech n’a pas la capacité, loin s’en faut, d’établir un califat réel en Europe. Mais il a le pouvoir de nous y faire croire.</p>
<p>Qu’avons-nous donc vécu le 13 novembre 2015 ? Après coup, nous devons le voir clairement : <strong>une tentative d’intimidation collective visant la soumission psychologique.</strong> Mais pas une défaite réelle.</p>
<h2>Que sommes-nous devenus ?</h2>
<p>La terreur crée souvent son antidote. Du moins à court terme. Face aux attentats, les autorités politiques, la société civile et l’opinion publique se sont instantanément mobilisées dans un esprit de résistance. À l’échelon national et à l’échelon international. Trois ans après, on se souvient avec émotion des discours de solidarité et <a href="https://www.letemps.ch/opinions/symboles-13-novembre-renaissent-twitter">des symboles de résilience</a>. Trois ans après, la guerre civile visée par l’organisation État islamique a-t-elle été évitée ? Ou bien son risque est-il toujours présent ?</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/56l5K3IDPJE?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>L’objectif de l’organisation État islamique, le 13 novembre 2015, a été d’ouvrir une ligne de front au cœur même de la paix civile française et européenne. D’installer l’idée que les champs de bataille syriens et les rues parisiennes appartenaient au même espace-temps. Tout a été fait pour <strong>brouiller la frontière entre la guerre et la paix.</strong> Le but du terrorisme, comme l’avait bien dénoncé Kant, c’est de plonger les esprits dans un état de guerre perpétuelle.</p>
<p>Les criminels ont agi avec les armes automatiques et les explosifs utilisés sur les théâtres syrien, irakien et turc. Ils ont soigneusement mis en scène des attaques coordonnées dans le temps et concentrées dans l’espace. Au Bataclan et dans les revendications sur Internet, ils ont explicitement lié leurs actes avec les opérations de l’armée française au Moyen-Orient dans le cadre de l’opération Chammal. À Paris comme ailleurs, les terroristes ont essayé de faire passer des attentats pour des offensives militaires et de <a href="https://theconversation.com/les-djihadistes-homegrown-soldats-bien-reels-dune-nation-virtuelle-50166">se faire passer pour des soldats</a>. Cette tactique n’est pas l’apanage du terrorisme contemporain. C’est bien souvent le détour pris par un adversaire inférieur militairement et politiquement pour prendre un ascendant symbolique sur une population.</p>
<p>Toutefois, trois ans après les attentats, nous devons raison garder. Les attentats ont voulu installer l’illusion d’un conflit sur le territoire national et la crainte d’une guerre civile. Ce n’est aujourd’hui pas le cas, quelles que soit l’ampleur des risques sécuritaires et des tensions dans notre société. Nous ne sommes pas entrés dans la période de division et de fractionnement que les terroristes ont prophétisés pour la faire advenir. Nous ne sommes pas devenus plusieurs nations au sein d’une même société. Nous ne vivons pas un état de guerre permanent.</p>
<h2>Que pouvons-nous faire ?</h2>
<p>Le choc est passé. Le deuil continue. Aujourd’hui, notre première obligation est de nous souvenir. Les autorités politiques, les associations de victimes et les médias rempliront leur office mémoriel pour mobiliser la société civile. Mais nous devons nous garder de revivre l’angoisse de ces attentats. Le temps de la <em>catharsis</em> est venu. Nous devons aujourd’hui nous souvenir sans revivre. Voilà la contrepartie de ce premier devoir de mémoire.</p>
<p>Malgré leur horreur, les attentats du 13 novembre n’ont pas bouleversé en profondeur notre vie collective. <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2015/12/23/de-l-etat-de-droit-a-l-etat-de-securite_4836816_3232.html?">Giorgio Agamben</a> a beau le redouter et <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2001/12/CHOMSKY/8234">Noam Chomsky l’annoncer</a>, les sociétés contemporaines n’ont pas basculé dans un état d’exception permanent. L’état d’urgence a pris fin et la société civile a veillé à préserver les droits fondamentaux au fil des législations antiterroristes adoptées en nombre dans le sillage des attentats.</p>
<p>En dépit des efforts des terroristes, les meurtres n’ont pas ouvert un front dans notre société. Le terrorisme sous toutes ses formes et dans toutes ses inspirations est toujours potentiellement présent dans notre pays. En raison de son agitation politique et sociale séculaire, en raison de son passé colonial, en raison de sa posture stratégique active, la France et les Français subissent des attaques terroristes depuis plus de deux siècles.</p>
<p>Des attentats anarchistes des années 1890 avec Ravachol aux attentats d’ultra-gauche des années 1980 avec Action directe et des attentats indépendantistes algériens, corses ou basques aux massacres perpétrés par Al-Qaida, la population française sait que son mode de vie et son mode d’être au monde l’exposent à des attentats terroristes. Il ne s’agit ni du prix à payer pour rayonner dans le monde ni de la « juste rétribution » d’une attitude néocoloniale. Il s’agit d’une confrontation à l’ordre du monde où les tactiques indirectes, les tentatives d’intimidation collectives et les effets de terreur font partie intégrante de la vie quotidienne.</p>
<p>Notre seconde obligation est de prendre conscience : oui, nous sommes exposés. Non, nous ne sommes pas démunis. Face aux attentats, nous ne nous soumettons pas à la domination par la terreur. Nous avons accepté de modifier certains aspects de notre existence quotidienne en supportant contrôles et vérifications, palpations et fouilles. Mais nous ne tolérerons pas de mettre en cause nos idéaux de liberté et d’autonomie.</p>
<p>Le 13 novembre fait partie de nous : il constitue un jalon dans notre prise de conscience collective. Mais le 13 novembre n’est pas nous car nous ne réglons pas notre existence commune sur lui.</p>
<hr>
<p><em>L’auteur a récemment publié « Qu’est-ce que le terrorisme » (éditions Vrin, Paris, 2018).</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/106761/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Cyrille Bret ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Qu’avons-nous vécu au juste ? Une série d’attentats supplémentaires particulièrement meurtriers ? Ou bien un véritable tournant dans notre récit collectif ? Et que sommes-nous finalement devenus ?Cyrille Bret, Géopoliticien, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.