tag:theconversation.com,2011:/au/topics/justice-21606/articlesjustice – The Conversation2024-03-21T15:42:38Ztag:theconversation.com,2011:article/2260942024-03-21T15:42:38Z2024-03-21T15:42:38Z#MeTooGarçons : « 80% des violences ont lieu ou commencent avant l’âge de 18 ans »<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/583163/original/file-20240320-30-k0hlnv.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=21%2C28%2C4790%2C3491&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Selon les chiffres de l'enquête Virage (2015) au cours de leur vie, 3,9 % des hommes interrogés ont subi des violences sexuelles, contre 14,5 % des femmes</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.pexels.com/fr-fr/photo/silhouette-de-l-homme-448834/">Pexels</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p><em>Les comédiens <a href="https://www.france24.com/fr/france/20240227-metoogar%C3%A7ons-les-hommes-victimes-minoritaires-en-chiffres-et-minor%C3%A9s-dans-leurs-traumatismes-violences-agressions-sexuelles-tabou">Aurélien Wiick</a> puis Francis Renaud ont récemment révélé les abus à caractère sexuel dont ils auraient victimes plus jeunes de la part de réalisateurs ou producteurs de <a href="https://theconversation.com/la-face-cachee-de-lexception-culturelle-francaise-un-cinema-dauteur-au-dessus-des-lois-224003">cinéma</a>, donnant lieu à la première vague <a href="https://www.lefigaro.fr/cinema/metoogarcons-accuse-d-agressions-sexuelles-par-deux-hommes-dominique-besnehard-se-defend-20240302">#MeTooGarçons en France</a>.
Cette récente prise de parole s’inscrit dans un <a href="https://theconversation.com/violences-sexuelles-familiales-la-triste-realite-des-donnees-154492">phénomène de plus grande ampleur</a> dénonçant les <a href="https://theconversation.com/violences-sexuelles-sur-mineurs-pourquoi-la-question-dun-age-legal-de-consentement-fait-debat-153987">violences et agressions sexuelles commises sur mineurs</a>. La sociologue Lucie Wicky, doctorante à l’EHESS et l’Ined, interroge la spécificité des violences sexuelles subies par les hommes. Ses premiers résultats de recherche questionnent la conception même de l’enfance et de son statut dans la société.</em></p>
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<h2>Vous êtes la première chercheuse en France à vous intéresser en détail aux violences sexuelles commises sur des hommes. Comment avez-vous travaillé ?</h2>
<p>J’ai mobilisé <a href="https://virage.site.ined.fr/">l’enquête Virage, conduite en 2015 par l’Ined</a>, qui est la dernière grande enquête probabiliste de ce type en France, portant sur plus de 27,000 répondants (questionnaire téléphonique) de 20 à 69 ans vivant en France métropolitaine. On estime que l’échantillon est représentatif et la méthodologie – proche de la première enquête sur les violences envers les femmes qui date d’il y a 25 ans <a href="https://www.santepubliquefrance.fr/docs/violences-envers-les-femmes-et-etat-de-sante-mentale-resultats-de-l-enquete-enveff-2000">(Enveff, 2000)</a> – intègre la question des violences subies sur les douze derniers mois ainsi que tout au long de la vie.</p>
<p>L’enquête interroge des éléments biographiques, traite les violences des plus énonciables aux plus intimes (psychologique, physique puis sexuelle) en investissant aussi bien les espaces de vie considérés comme publics (milieu scolaire, professionnel, espaces publics) que privés (couple, ancienne relation, famille et entourage). La méthodologie est très spécifique dans ce type d’enquêtes : les questionnaires ne mobilisent pas les termes de « violences » ou « viols », empreints de lourdes représentations, mais listent plutôt des faits et laissent à chaque répondant la possibilité de répondre par oui ou non, car beaucoup d’enquêtés n’ont pas identifié les violences comme telles.</p>
<p>Je me suis aussi appuyée sur l’enquête « Contexte de la sexualité en France » qui <a href="https://www.ined.fr/fichier/rte/2/Publications/Autres/CSF-dossierdepresse0307.pdf">date de 2006</a> pour explorer le rapport aux normes de genre et de sexualité des hommes qui ont déclaré des violences. Enfin, j’ai réalisé 50 entretiens biographiques avec des hommes qui avaient déclaré des violences sexuelles dans le cadre de l’enquête Virage et accepté un entretien complémentaire. J’ai aussi interrogé 10 femmes pour avoir un point de comparaison.</p>
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<figcaption><span class="caption">#MeTooGarçons, témoignage de l’acteur Aurélien Wiick (<em>C hebdo</em>, février 2024).</span></figcaption>
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<p>Il existe assez peu de données plus récentes du fait de l’investissement que ce type d’enquêtes nécessite, ce qui en dit aussi long sur la prise en compte de ces violences et de leurs poids par les pouvoirs publics. Les enquêtes de <a href="https://mobile.interieur.gouv.fr/Interstats/Sources-et-methodes-statistiques/Glossaire/Victimation">victimation du ministère</a> ou les sources judiciaires ne sont pas toujours fiables car les dépôts de plaintes et leur suivi ne sont pas représentatifs : peu de victimes déposent plainte et ces dernières ne donnent pas toujours lieu à des poursuites.</p>
<p>J’émets d’ailleurs l’hypothèse qu’avec l’émergence des mouvements #MeToo et une <a href="https://theconversation.com/violences-sexuelles-contre-les-hommes-une-prise-de-conscience-progressive-57325">certaine prise de conscience sociétale</a> vis-à-vis de ces violences, les chiffres seraient plus importants si l’enquête était reproduite aujourd’hui. Les différentes vagues du mouvement ont certainement participé à la prise de conscience des violences subies par les victimes elles-mêmes. Une partie de mes recherches se concentre justement sur cette question de la qualification des violences comme telles.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/lopera-un-univers-propice-aux-violences-sexistes-et-sexuelles-222421">L’opéra, un univers propice aux violences sexistes et sexuelles ?</a>
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<h2>Dans quel sens ?</h2>
<p><a href="https://www.ined.fr/fr/recherche/chercheurs/Wicky+Lucie">Ma thèse</a> porte sur les violences subies par les hommes à différents moments de leur vie, enfants, adolescents ou adultes, et la façon dont ils les qualifient et les énoncent. En réalisant les entretiens, je me suis rendue compte que certains enquêtés ont du mal à qualifier de « violence sexuelle » les faits subis, et plus spécifiquement lorsque ces derniers ont été commis à l’adolescence ou à l’âge adulte.</p>
<p>En revanche, lorsque les faits sont survenus à l’enfance (principalement avant 11 ans), ils expriment plus « facilement » les choses une fois les faits qualifiés. Beaucoup parlent d’ailleurs des faits à la troisième personne pour les mettre à distance. La majorité décrit des violences sexuelles commises par d’autres hommes, généralement des adultes, toujours en situation de domination.</p>
<p>Cela m’a amené à retravailler la définition même de violence de genre et j’assume de requalifier certains faits décrits par les enquêtés comme étant des agressions sexuelles même lorsque ces derniers ne l’énoncent pas de cette façon. Leurs récits décrivent des pratiques sexuelles contraintes par des rapports de domination interactionnels et structurels, autrement dit, des dominations liées aux rapports de pouvoir : genre, statut social, âge, etc.</p>
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<p>Ce qui m’a aussi frappé, c’est l’intérêt public centré sur les faits en termes de gradation allant des attouchements aux viols, <a href="https://theses.fr/2011IEPP007">dans un carcan juridique plutôt hétéronormé</a> – c’est-à-dire où l’hétérosexualité est la norme – mais qui ne reflète pas forcément le ressenti et la gravité perçue. Ainsi, pour beaucoup d’enquêtés, c’est bien l’exposition aux violences par la répétition, la durée, leur fréquence, l’environnement, la proximité avec l’auteur – sans forcément qu’il y ait systématiquement violences avec pénétration – qui influence le sentiment de gravité.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/culture-pornographique-et-tele-realite-quand-linceste-envahit-nos-ecrans-220437">Culture pornographique et télé-réalité : quand l’inceste envahit nos écrans</a>
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<h2>Comment expliquez-vous ce phénomène de « silenciation » et non de tabou que vous décrivez dans vos travaux ?</h2>
<p>Il faut distinguer « silenciation » et tabou. D’une part, les hommes ayant subi des violences sexuelles évoquent surtout des faits commis durant l’enfance et l’adolescence (80 % des violences sexuelles déclarées ont lieu ou ont commencé avant l’âge de 18 ans), moins une fois adultes. Pour les femmes, ce sont des violences qui existent et perdurent tout au long de la vie. Et quand elles déposent plainte, comme le montrait récemment une <a href="https://journals.sagepub.com/doi/full/10.1177/1748895819863095">enquête parue au Royaume-Uni en 2019</a>, leurs paroles sont moins prises en compte que les hommes, pour qui la plainte mène plus souvent au procès.</p>
<p>Comme les femmes, les hommes parlent rarement de ces violences subies enfants, mais plutôt adultes. Toutefois, contrairement aux femmes, leur parole est plus facilement prise au sérieux lorsqu’ils énoncent les violences, ils sont plus soutenus par leurs proches, sauf lorsqu’ils sont homosexuels. Dans ces cas-là, comme pour les femmes, on leur incombe la responsabilité de leur agression, comme si leurs corps étaient, de fait, sexualisés, et on les rappelle à l’ordre hétérosexuel en les responsabilisant des violences sexuelles qu’ils ont subies. Autrement dit, la société considère que les « hommes sont des enfants avant 11 ans, alors que les femmes sont des “filles” quel que soit leur âge aux violences », sauf s’ils s’identifient comme gays.</p>
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<figcaption><span class="caption">Anne-Claude Ambroise-Rendu, « L’histoire de la reconnaissance de l’inceste subi par les garçons », 2022.</span></figcaption>
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<p>Mais le dénominateur commun est bien que tous et toutes ont été agressés principalement par des hommes (adultes, parfois mineurs eux aussi, d’après les entretiens ils sont toujours plus âgés que les victimes mais les données ne permettent pas d’être aussi précis). À partir de là, je ne pense pas qu’on puisse parler de tabou mais en revanche on peut parler de silenciation.</p>
<p><a href="https://journals.openedition.org/popvuln/4281">D’après mes résultats</a>, ces pratiques opèrent à différents niveaux. Structurellement tout d’abord, avec par exemple la création tardive d’un numéro, le <a href="https://www.allo119.gouv.fr/presentation">119</a>, gratuit depuis 2003, <a href="https://www.cairn.info/revue-nouvelles-questions-feministes-2013-1-page-16.htm">mais aussi des signalements</a> qui n’aboutissent pas et des <a href="https://www.cairn.info/viol--9782724624007.htm">plaintes qui ne donnent rien</a>.</p>
<p>Tout concourt à rappeler aux victimes que leurs récits n’aboutiront pas à des actes ou une répression des violences. Ces pratiques structurelles imprègnent l’institution familiale : lorsqu’il y a violence, on n’en parle pas, on ne réagit pas. Et bien sûr il y a le niveau de silenciation imposé par le ou les auteurs des faits. Très souvent ces derniers sont minorés ou intériorisés comme étant « normaux », y compris par les auteurs qui vont parler d’« initiation » à la sexualité ou de « jeux » par exemple.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/inceste-la-fin-dun-tabou-politique-153666">Inceste : la fin d’un tabou politique ?</a>
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<h2>Comment expliquer qu’aujourd’hui il existe une prise de parole aussi importante ?</h2>
<p>Je montre que ces violences sont tributaires d’un rapport de domination lié à l’âge, social ou biologique, mais aussi générationnel. Il y a eu plusieurs événements qui ont aidé à prendre la parole publiquement ; les premiers témoignages d’inceste de femmes dans les années 1980, avec le témoignage marquant d’<a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/auvergne-rhone-alpes/isere/grenoble/l-incroyable-temoignage-d-eva-thomas-victime-d-inceste-vous-avez-eu-une-belle-histoire-d-amour-avec-votre-pere-vous-pourriez-etre-contente-2515632.html">Eva Thomas en 1986</a>, premier témoignage à visage découvert, puis les <a href="https://www.fayard.fr/livre/histoire-de-la-pedophilie-9782213672328/ie-9782213672328/">affaires de pédocriminalité</a> dans les années 1990 où l’on voit émerger une certaine parole des hommes. <a href="https://www.cairn.info/revue-apres-demain-2010-3-page-12.htm">L’affaire Outreau</a> en revanche a eu des conséquences lourdes quant à la prise en compte de la parole des enfants, <a href="https://www.cairn.info/revue-societes-et-representations-2016-2-page-59.htm">dans les années 2000</a>.</p>
<p>Je fais l’hypothèse que les années 2010/2015 marquent un tournant, avec la constitution d’associations comme <a href="https://colosse.fr/">Colosse pied d’argile</a> dans le rugby ou <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/auvergne-rhone-alpes/rhone/lyon/a-lyon-la-parole-liberee-tourne-la-page-et-publie-un-livre-blanc-2010217.html">La Parole Libérée</a> dénonçant le silence dans l’Église et à l’origine de l’affaire Philippe Barbarin par exemple. Les violences sont dénoncées par « secteurs » où elles s’exercent : le sport, l’Église, la famille (avec <a href="https://www.liberation.fr/societe/familles/metooinceste-depuis-deux-ans-des-temoignages-par-milliers-et-des-enseignements-tires-20230921_UKJHZLZFWNDDRPS4PM3BHNX3Q4/">#MeTooInceste</a> par exemple), etc.</p>
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<figcaption><span class="caption">Association Colosse Pied d’Argile, présentation, YouTube.</span></figcaption>
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<p>L’émergence des réseaux sociaux constitue de nouveaux espaces de prise de parole pour les hommes comme pour les femmes. Ces effets sociohistoriques et ceux de la légitimation de la parole impulsée plutôt par des personnalités, produit aujourd’hui une prise de parole plus importante que dans le passé, qui amène à une certaine visibilité, associée à une partielle prise de conscience sociale de la réalité des violences sexuelles, pourtant observée et décrite de longue date.</p>
<p>C’est là où l’effet générationnel joue aussi un rôle : les hommes ayant grandi dans les années 1950, jusqu’aux années 1980 environ, ont vécu dans l’idée qu’un enfant se tait et que sa parole n’a pas d’importance. À table, en public, avec les adultes… Un enfant ne parle pas, dans sa famille comme dans l’espace public.</p>
<p>La domination masculine et adulte s’illustre ici à travers la figure de l’homme tout puissant, le « chef de famille » au rôle hégémonique au sein du foyer. Ce dernier ne laisse alors pas d’espaces de parole possibles. C’était aussi constitutif de la façon dont on envisageait les masculinités, valorisée à travers une certaine forme de violence dans le passé, moins aujourd’hui. C’est d’ailleurs aussi pour cela que des hommes ayant subi des violences après le début de leur construction de genre – à l’adolescence ou jeune adulte – ont du mal à s’envisager comme victimes.</p>
<h2>Comment analysez-vous ces changements d’époque ?</h2>
<p>Mon travail de recherche questionne en filigrane le concept de l’enfance qui a été longtemps dominant : celui où la hiérarchie sociale et les besoins des adultes passent avant ceux des enfants.</p>
<p>La parole de ces derniers est déconsidérée, silenciée et leur corps n’est pas respecté. Quand on force un enfant à faire un bisou à un adulte, quand on le contraint physiquement, on lui rappelle que l’adulte a le contrôle de son corps, et que son corps ne lui appartient pas.</p>
<p>Or, ne pas parler aux enfants, ne pas leur apprendre que leur corps est à eux, ne pas prendre en compte leur parole, leur mobilisation (pensons aux <a href="https://basta.media/Mobilisation-reprimee-dans-les-lycees-et-facs-Une-volonte-de-museler-la-jeunesse-par-la-violence">grèves lycéennes</a> par exemple et la forte répression en réponse) entrave leur compréhension de la violence mais aussi leur autonomie et façonne ainsi leur mise en vulnérabilité.</p>
<p>Peut-être doit-on aujourd’hui repenser le <a href="https://www.cairn.info/revue-mouvements-2023-3-page-14.htm">statut de mineur</a> et ce qu’il recouvre pour mieux protéger les enfants – et peut-être aussi envisager de les <a href="https://www.cairn.info/revue-du-crieur-2020-1-page-106.htm">laisser se protéger eux-mêmes</a>.</p>
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<p><em>Propos recueillis par Clea Chakraverty.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/226094/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Lucie Wicky a reçu des financements de l'Ined et l'Université de Strasbourg. </span></em></p>Les violences sexuelles à l’encontre des garçons relèvent de rapports de domination liés au genre, à l’âge mais aussi un effet générationnel, englobant une vision spécifique des enfants.Lucie Wicky, Doctorante, EHESS, Ined, Institut National d'Études Démographiques (INED)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2244282024-03-04T16:56:42Z2024-03-04T16:56:42ZL’ordonnance de protection contre les violences conjugales : un dispositif sous-employé<p><em>« Mieux protéger les femmes » : telle est l’ambition de l’ordonnance de protection, créée en 2010. Ce dispositif doit permettre à la justice d’intervenir en urgence dans des situations de violence au sein des couples, sans qu’il soit nécessaire de porter plainte ou d’engager une procédure pénale. Pourtant, cet outil juridique demeure étonnamment peu employé. Dans une enquête inédite, Les Femmes et les enfants d’abord, publiée le 7 mars <a href="https://www.cnrseditions.fr/catalogue/sciences-politiques-et-sociologie/les-femmes-et-les-enfants-d-abord/">aux éditions du CNRS</a> la sociologue Solenne Jouanneau mêle ethnographie, analyses statistiques et cadres juridiques et administratifs. Elle écrit, « il s’agit d’une part de comprendre comment le projet féministe d’affirmer le droit des femmes à être protégées contre la violence de leur (ex-) partenaire s’est retrouvé confié à une justice familiale largement aveugle aux enjeux de genre. ». Extraits choisis de l’introduction.</em></p>
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<p>La France n’est pas le seul pays à disposer d’un tel <a href="https://data.unwomen.org/evaw/database">instrument</a> […]. Au sein de l’Union européenne, des mesures comparables existent en Suède (depuis 1988), en Angleterre (depuis 1996) ou encore en Espagne (depuis 2004). Cependant, alors que les tribunaux états-uniens délivrent chaque année entre 600 000 et 700 000 décisions de <a href="https://www.researchgate.net/publication/283321707_Responding_to_Domestic_Violence_The_Integration_of_Criminal_Justice_Human_Services">ce type</a>, que les justices espagnole et anglaise en prononcent respectivement <a href="https://www.vie-publique.fr/rapport/280560-activite-2020-2021-comite-national-de-lordonnance-de-protection-cnop">40 000 et 25 000 par an</a>, le succès rencontré par le dispositif en France demeure plus que mitigé. […] Néanmoins, avec 54 procédures instruites au fond en 2010 et 5 845 en 2021, le recours à ce dispositif demeure rare au regard <a href="https://www.justice.gouv.fr/sites/default/files/migrations/portail/art_pix/DACS_Ordonnance%20de%20protection_Guide_2020_08.pdf">du nombre d’affaires poursuivies au pénal</a>.</p>
<p>À titre d’exemple, selon les données du ministère de la Justice, les juridictions pénales françaises, en 2015, ont audiencé 26 200 affaires de violences <a href="https://www.justice.gouv.fr/documentation/etudes-et-statistiques/traitement-judiciaire-violences-conjugales-2015">sur ex-conjoint</a>, tandis que les affaires familiales n’ont pas statué sur plus de 2 846 demandes de protection.</p>
<p>Comment expliquer la difficile implantation de ce dispositif de protection dans le système judiciaire français, quand, dans les pays nord-américains et européens qui en sont dotés, ce type d’instrument connaît un succès de bien plus grande ampleur ? Telle est la question que le présent ouvrage entend traiter en revenant sur les conditions d’invention, de transcription juridique et de mise en œuvre judiciaire de l’ordonnance de protection. […]</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/violences-conjugales-et-si-lon-cessait-de-considerer-les-victimes-uniquement-comme-publics-vulnerables-216757">Violences conjugales : et si l’on cessait de considérer les victimes uniquement comme « publics vulnérables » ?</a>
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<h2>L'instrumentalisation des enfants</h2>
<p>Hiver 2016. Matinée. Odile Durand est coordinatrice du tribunal aux affaires familiales de Marcylle. Diplômée de Sciences Po Paris, cette ancienne juge des enfants a les cheveux courts, porte un tailleur-pantalon à la coupe stricte et un collier fantaisie rouge vif. Assise à son bureau, elle parcourt le dossier d’ordonnance de protection avec lequel elle va débuter sa journée.</p>
<p>Après s’être assurée de la validité de la procédure, elle parcourt la requête et les documents qui l’accompagnent (une main courante, une plainte et une série d’attestations produites par des administrations et des particuliers). Le dossier, ouvert à 9 h 33, est refermé à 9 h 48. La requête a été déposée par une femme de 44 ans de nationalité française. Cadre dans une entreprise privée, elle met en cause le comportement du père de sa fille, un homme de 63 ans au chômage.</p>
<p>[…]</p>
<blockquote>
<p>Avocate de Madame (en demande)</p>
</blockquote>
<ul>
<li>Monsieur est marié avec une autre femme, mais il a une relation adultère avec ma cliente depuis quinze ans. Ils ont une fille de 9 ans, Maeva. Monsieur a reconnu l’enfant. Madame est victime de la jalousie maladive de Monsieur. Il contrôle sa vie à distance. Tout est dans le dossier que je vous ai remis Madame la juge : il lui envoie des SMS toute la journée, l’appelle jusqu’à vingt fois par jour. Madame doit se justifier sur son emploi du temps, Monsieur exige qu’elle rentre chez elle directement après le travail, lui interdit de fréquenter d’autres hommes, refuse qu’elle fasse la bise à ses collègues de sexe masculin. Il l’accuse constamment de le tromper. Madame a essayé de le quitter plusieurs fois mais chaque fois Monsieur menace de se suicider avec leur fille […]. La fillette explique que son père lui ordonne de surveiller sa mère en son absence […] et de lui relater son emploi du temps, le tout sous couvert de menace […].Un juge des enfants a été saisi […].</li>
</ul>
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<figcaption><span class="caption">Violences faites aux femmes : l’ordonnance de protection au tribunal de grande instance de Bobigny, 2019.</span></figcaption>
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<h2>Les violences physiques</h2>
<p>Hiver 2016. Début d’après-midi. Cheveu court, lunettes en écailles et costume de ville gris clair, le juge Raphaël Plavard, la trentaine, s’apprête à débuter son audience de cabinet de l’après-midi. Alors que sa greffière part vérifier que « l’OP est complète », il me tend le dossier.</p>
<p>Celui-ci comporte une plainte faisant état de violences physiques, d’insultes et de menaces de mort (« Je vais te tuer sale pute, c’est pas une pute qui va me manger mon argent »), un certificat médical de l’unité médico-légale constatant un hématome au niveau des yeux, des contusions sur les épaules, un choc émotionnel intense et lui accorde une ITT de cinq jours. Alors que je finis de parcourir le dossier, la greffière revient avec les justiciables, tous deux originaires du Cameroun. L’époux est chauffeur poids lourd. L’épouse, femme de ménage, est actuellement sans emploi et dispose pour tout revenu de l’allocation de solidarité spécifique. Seule cette dernière est assistée d’une avocate.</p>
<blockquote>
<p>JAF. – Nous sommes là parce que Madame a déposé une requête en ordonnance de protection à l’encontre de Monsieur. Avant de laisser la parole à l’avocate de Madame, je vous indique que le parquet, avisé de cette demande de protection, indique qu’aucune procédure pénale n’est actuellement en cours et qu’il ne s’oppose pas à la délivrance de l’OP.> Avocate de Madame (en demande).</p>
</blockquote>
<ul>
<li>Le couple est marié depuis sept ans, trois enfants. Le premier épisode de violences remonte à six ans, lors de la troisième grossesse de Madame. Le second a eu lieu il y a trois mois, en présence de leur fille. Madame a été battue par son époux. Suite à un troisième épisode de violence, où elle a été contrainte de s’enfermer dans la salle de bains et d’appeler la police, Madame a quitté le domicile. Depuis, Madame est hébergée par le 115 avec les trois enfants. Elle demande une interdiction d’entrer en contact avec elle ; la jouissance du domicile conjugal, charge à Monsieur de continuer à régler la moitié du loyer. S’agissant des enfants, Madame demande la résidence habituelle, l’exercice exclusif de l’autorité parentale, une contribution de 150 euros par enfant. […]</li>
</ul>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/violence-conjugale-pourquoi-la-notion-de-controle-coercitif-pourrait-produire-plus-de-justice-215743">Violence conjugale : pourquoi la notion de « contrôle coercitif » pourrait produire plus de justice</a>
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<h2>L’ordonnance de protection s’applique à toutes les catégories de couples</h2>
<p>Ces deux scènes décrivent ce qui se joue dans les toutes premières minutes du dispositif judiciaire de lutte contre les violences conjugales que ce livre entend étudier.</p>
<p>Instaurée par la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000022454032/">loi du 9 juillet 2010</a>, renforcée par les <a href="https://www.gouvernement.fr/action/la-loi-pour-l-egalite-reelle-entre-les-femmes-et-les-hommes">lois du 4 août 2014</a> et du <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000039684243">28 décembre 2019</a>, l’ordonnance de protection est applicable à toutes les catégories de couples (mariés, pacsés, concubins, non-cohabitants) ou d’ex-couples.</p>
<p>Elle garantit à toute personne affirmant être victime de la violence d’un (ex-) partenaire de passer en urgence devant un·e juge aux affaires familiales pour solliciter des mesures visant à faciliter et sécuriser la séparation.</p>
<p>Certaines de ces mesures sont de nature pénale et à visée sécuritaire : dissimulation d’adresse, interdiction de porter une arme ou d’entrer en contact avec certaines personnes. D’autres sont de nature civile et organisent la séparation du couple et ses conséquences en tenant compte des risques occasionnés par le contexte de violences.</p>
<p>Cette procédure civile dotée d’implications pénales rompt avec les <a href="https://www.odilejacob.fr/catalogue/sciences-humaines/sociologie/demariage_9782738102096.php">logiques de pacification et de conciliation</a> qui dominent la justice familiale dans les procédures classiques de séparation depuis plus <a href="https://www.odilejacob.fr/catalogue/sciences-humaines/droit-justice/au-tribunal-des-couples_9782738130532.php">d’une trentaine d’années</a>, notamment en autorisant la prononciation temporaire de mesures d’éloignement et de restriction des droits parentaux du conjoint violent.</p>
<h2>Un dispositif né de la lutte contre les violences faites aux femmes</h2>
<p>Comme l’atteste la distance sociale qui sépare les justiciables des deux affaires évoquées en exergue (l’une est cadre, française et blanche, l’autre, au chômage, est femme de ménage, immigrée et racisée), faire face à la violence d’un (ex-) partenaire intime quand on est une femme n’est pas une affaire de classe, de race ou de religion. <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/les_violences_contre_les_femmes-9782707168948">Expérience genrée</a>, elle a pour objet de générer la soumission de celles qui la subissent et constitue, pour ceux qui l’exercent, un moyen de <a href="https://www.ojp.gov/ncjrs/virtual-library/abstracts/coercive-control-how-men-entrap-women-personal-life">maintenir</a> leurs privilèges masculins dans l’espace conjugal ou familial.</p>
<p>Cette violence de genre s’exprime par des pratiques contrôlantes, voire coercitives et empruntant <a href="https://www.ojp.gov/ncjrs/virtual-library/abstracts/typology-domestic-violence-intimate-terrorism-violent-resistance">à différentes formes de violence</a> (verbale, psychologique, physique, sexuelle, économique ou encore administrative).</p>
<p>Ces pratiques visent <a href="https://journals.openedition.org/cedref/1501">l’appropriation matérielle</a> des femmes, l’extorsion répétée de leur consentement afin de pouvoir jouir de leur corps, des ressources offertes par <a href="https://www.syllepse.net/l-ennemi-principal-_r_87_i_584.html">leur travail (re)productif</a>, <a href="https://journals.openedition.org/framespa/646">domestique</a> et <a href="https://documentation.insp.gouv.fr/insp/doc/CAIRN/_b64_b2FpLWNhaXJuLmluZm8tVEdTXzAyNl8wMTk1/le-care-nbsp-soin-a-autrui-et-objet-de-controverses">émotionnel</a>, ou encore le maintien de <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/le_genre_du_capital-9782348044380">l’inégale répartition des ressources économiques</a> entre les partenaires.</p>
<p>De tels comportements peuvent intervenir à l’occasion de désaccords au sein du couple sur des aspects très ordinaires de la vie quotidienne (répartition et réalisation des tâches domestiques, parentalité, sexualité, gestion de l’argent, pratiques culturelles et religieuses, etc.), ou à des moments plus exceptionnels (grossesse, perte d’emploi et difficultés financières, maladie, séparation et organisation de ses conséquences).</p>
<p>Il arrive aussi fréquemment que ces comportements se poursuivent au-delà de la séparation, certains hommes refusant de renoncer à la relation de pouvoir instaurée lors de la vie conjugale.</p>
<h2>L’apport des « fémocrates »</h2>
<p>Appréhendées comme des faits divers regrettables mais totalement imprévisibles jusqu’à la fin des années 1960, ces violences font l’objet d’une théorisation alternative par les féministes matérialistes dans les années 1970.</p>
<p>Cherchant à analyser la contribution de ces violences à la (re)production de la domination patriarcale, <a href="https://fr.scribd.com/document/373540151/Jalna-Hanmer-Violence-Et-Controle-Social-Des-Femmes-1977">Jalna Hanmer</a> et bien d’autres démontrent la manière dont la violence et/ou la peur de la subir constituent un des ressorts fondamentaux du contrôle social que les hommes exercent sur les femmes.</p>
<p>Elles sont aussi les premières à dénoncer en quoi l’invisibilisation des mécanismes sous-jacents <a href="https://www.syllepse.net/un-silence-de-mortes-_r_87_i_330.html">à la perpétration de la violence</a> et la relative inaction de l’État face à ces actes contribuent à puissamment légitimer la domination masculine.</p>
<p>En instituant ce fait social en cause publique et politique, les féministes – dont celles qui évoluent dans le champ du pouvoir et que l’on qualifiera dans ce livre de fémocrates pour insister sur leur double qualité de <a href="https://catalogue.nla.gov.au/catalog/2249091">féministes et de bureaucrates</a> – ont forcé le champ du pouvoir à considérer ces violences comme un problème public, c’est-à-dire comme un <a href="http://www.pressesdesciencespo.fr/fr/book/?GCOI=27246100990050">problème susceptible d’être résolu par l’État</a> et relevant, en conséquence, de <a href="https://www.decitre.fr/livres/la-culture-des-problemes-publics-9782717856101.html">la responsabilité de ses administrations</a>.</p>
<p>L’étatisation de la lutte contre les violences masculines au sein du couple s’est alors traduite, à compter des années 1990, par l’élaboration et la mise en œuvre d’une succession de plans d’action publique destinés à résorber le phénomène. Ces politiques sont indubitablement nourries par l’expertise féministe et le <a href="https://www.cairn.info/dictionnaire-des-politiques-publiques--9782724615500-page-555.htm">référentiel</a> des violences faites aux femmes mis en circulation par les <a href="https://documentation.insp.gouv.fr/insp/doc/CAIRN/_b64_bFpLWNhaXJuLmluZm8tTlFGXzQyMV8wMTAx/le-feminisme-d-etat-et-les-violences-de-genre-en-france-nbsp-avancees-et-limites-de-la-politique-de-">instances onusiennes et européennes</a>.</p>
<h2>Judiciarisation ou juridicisation</h2>
<p>Elles comprennent un volet social principalement délégué aux associations féministes spécialisées dans l’accompagnement et l’hébergement des victimes. Mais ces plans de lutte se dotent aussi rapidement d’un <a href="https://pur-editions.fr/product/6984/lutter-contre-les-violences-conjugales">volet judiciaire</a> visant à dynamiser et renforcer la <em>judiciarisation</em> de ces violences en transformant les modalités de sa <a href="https://www.ojp.gov/ncjrs/virtual-library/abstracts/typology-domestic-violence-intimate-terrorism-violent-resistance"><em>juridicisation</em></a>.</p>
<p><a href="https://www.cairn.info/revue-politix-2009-2-page-73.htm">Cette distinction</a> est importante. Par judiciarisation, on entend la propension des professionnel·le·s du droit à appréhender les actes de violence et de maltraitance au sein du couple comme des infractions ou des litiges relevant de l’arène judiciaire l’autorité régulatrice des juges.</p>
<p>En France, ce processus <a href="https://anamosa.fr/livre/la-paix-des-menages/">remonte au XIXᵉ siècle</a>. Néanmoins, jusqu’au début des années 1990, l’intervention judiciaire n’a pas vocation à protéger les femmes de la violence des hommes. Principalement circonscrite à la répression des violences létales, elle vise surtout à assurer « la défense des valeurs conjugales dans l’intérêt de l’ordre social », ce qui, dans bien des cas, revient <a href="https://www.ens-lyon.fr/evenement/recherche/quand-il-ny-pas-mort-dhommes-socio-histoire-du-feminicide-en-france-1791-1976">à légitimer l’exercice du patriarcat</a> en rappelant le périmètre légal des conditions d’exercice de la puissance maritale et/ou paternelle.</p>
<p>La juridicisation, quant à elle, désigne la manière dont les normes sociales se transposent « dans des règles et des dispositifs juridiques explicites », en vue de diminuer « la marge d’autonomie laissée aux acteurs pour adopter d’autres conduites que celles prescrites par le <a href="https://www.cairn.info/sociologie-du-droit-et-de-la-justice--9782200246457-page-27.htm">droit</a> ».</p>
<h2>Transcrire dans la loi le droit politique des femmes à être protégées</h2>
<p>En matière de violences dans le couple, le déclenchement de ce processus découle principalement de l’activisme des fémocrates. Il a timidement débuté lors de la réforme du Code pénal de 1992, via la reconnaissance du caractère aggravé de ces violences en raison de la relation intime et/ou conjugale entretenue par l’auteur et la victime.</p>
<p>Il s’est accéléré à compter de la seconde moitié des années 2000 avec l’adoption de près de sept lois visant à faciliter et améliorer les conditions de leur judiciarisation entre 2004 et 2020.</p>
<p>Ces textes ont élargi le périmètre d’intervention de la justice en matière de violences au sein du couple. Ils ont aussi invité les magistrat·e·s du parquet et du siège à contribuer plus activement que par le passé à la prise en charge de ce contentieux. Si, au départ, l’injonction prend la forme d’une incitation à poursuivre et punir plus systématiquement les auteurs de ces violences, ensuite elle prend également la forme d’une exhortation à mieux protéger leurs victimes, via la prononciation de mesures à même de faciliter et de sécuriser le processus de séparation.</p>
<p>Ce nouvel impératif judiciaire, né dans le giron des politiques de lutte contre les violences faites aux femmes, s’observe dans la plupart des lois adoptées au cours des années 2000. Il connaît toutefois un accomplissement sans précédent avec la création de l’ordonnance de protection, en ce que celle-ci revient a priori à reconnaître et à transcrire dans la loi le droit politique des femmes à être protégées de la violence de leur (ex-) partenaire.</p>
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<p><em>Les lieux et les personnes ont été <a href="https://hal.science/halshs-00739600">anonymisés</a>. Les prénoms et noms de famille attribués en remplacement ont été choisis de manière à conserver leur caractère d’indicateur significatif quant à l’origine sociale ou géographique des enquêté·e·s.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/224428/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Solenne Jouanneau ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Comment l’ordonnance de protection visant à empêcher les violences faites aux femmes dans le cadre conjugal aboutit paradoxalement à instituer un seuil de violence « juridiquement acceptable » ?Solenne Jouanneau, Maîtresse de conférences HDR en Science Politique, Institut d’Etudes Politiques de Strasbourg, Université de StrasbourgLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2220152024-01-29T08:32:00Z2024-01-29T08:32:00ZLe procès pour génocide intenté contre Israël est le moment le plus glorieux de la politique étrangère de l'Afrique du Sud depuis trois décennies<p>Le 11 janvier 2024, l'Afrique du Sud a <a href="https://www.icj-cij.org/case/192">traduit</a> Israël devant la Cour internationale de justice (CIJ) pour violation de la <a href="https://www.un.org/fr/genocideprevention/genocide-convention.shtml">Convention sur le génocide de 1948</a>. Cette accusation porte sur les bombardements indiscriminés et le siège de Gaza par Israël à la suite de l'attaque meurtrière du 7 octobre contre Israël par le Hamas, qui a coûté la vie à 1 200 Israéliens.</p>
<p>Plus de 25 000 Palestiniens, dont au moins la moitié sont des enfants, <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2043356/gaza-plus-25000-morts-israel-poursuit-bombardements">auraient été tués</a> dans les attaques de représailles israéliennes. Le siège a provoqué une crise humanitaire, avec des civils ayant du mal à se procurer de la nourriture et n'ayant pas accès aux hôpitaux, qui ont été <a href="https://www.aa.com.tr/fr/monde/gouvernement-de-gaza-isra%C3%ABl-a-d%C3%A9truit-plus-de-61-des-maisons-dans-la-bande-de-gaza/3079004">presque totalement détruits</a>.</p>
<p>L'équipe d'avocats sud-africains a plaidé auprès de la Cour pour l'instauration de <a href="https://theconversation.com/south-africas-genocide-case-against-israel-expert-sets-out-what-to-expect-from-the-international-court-of-justice-220692">mesures provisoires</a> - des ordonnances temporaires visant à mettre fin à des dommages irréparables, incluant un cessez-le-feu immédiat - pendant que la Cour examine le bien-fondé de l'affaire.</p>
<p>En tant qu'observateurs des relations internationales de l'Afrique du Sud, nous considérons cette initiative comme le couronnement de la politique étrangère du pays depuis la fin de l'apartheid en 1994.</p>
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Read more:
<a href="https://theconversation.com/south-africas-foreign-policy-under-ramaphosa-has-seen-diplomatic-tools-being-used-to-provide-leadership-as-global-power-relations-shift-218966">South Africa's foreign policy under Ramaphosa has seen diplomatic tools being used to provide leadership as global power relations shift</a>
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<p>La libération de l'Afrique du Sud est parfois présentée comme le <a href="https://global.oup.com/academic/product/postscripts-on-independence-9780199479641?cc=us&lang=en&%20;">dernier acte</a> de la décolonisation du XXe siècle : l'apogée de la solidarité du <a href="https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMDictionnaire/1517">tiers-monde</a>. La nouvelle approche du pays en matière de politique étrangère symbolisait les espoirs des pays qui luttaient pour la liberté. Le document de discussion de l'ANC (aujourd'hui au pouvoir) de 1994 <a href="https://www.anc1912.org.za/policy-documents-1994-foreign-policy-perspective-in-a-democratic-south-africa/">déclarait</a> : </p>
<blockquote>
<p>une Afrique du Sud démocratique sera solidaire de tous ceux dont la lutte se poursuit.</p>
</blockquote>
<h2>De Mandela à Ramaphosa</h2>
<p>Nelson Mandela, le premier président de l'Afrique du Sud démocratique, <a href="https://www.dakaractu.com/Les-combats-de-Mandela-pour-la-paix-et-la-justice-en-Afrique_a57484.html">plaidait en faveur des droits de l'homme</a>, parfois même aux dépens des <a href="https://www.icirnigeria.org/mandela-begged-abacha-not-to-execute-ken-saro-wiwa-and-companions/">partenaires africains</a>. Cette promesse initiale a été progressivement mise en veilleuse. </p>
<p>En 1995, par exemple, Mandela a supplié le chef d'État militaire nigérian de l'époque <a href="https://www.liberation.fr/planete/1998/06/09/nigeria-mort-brutale-du-dictateur-abacha-le-chef-d-etat-aurait-ete-victime-d-une-crise-cardiaque_240764/">Sani Abacha</a> d'épargner la vie de <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/ken-saro-wiwa/">Ken Saro-Wiwa</a> et de huit autres militants Ogoni. Ils étaient des critiques de l'inaction du gouvernement nigérian à l'égard des compagnies pétrolières étrangères qui causent des dommages à l'environnement, ils furent accusés d'avoir assassiné des chefs ogoni. Les supplications de Mandela étaient restées lettre morte et ils furent <a href="https://www.hrw.org/legacy/french/reports/nigeria96/6.htm">exécutés</a>.</p>
<p>Dans sa <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1995/11/12/le-commonwealth-suspend-le-nigeria-apres-la-pendaison-d-opposants-l-ecrivain-ken-saro-wiwa-et-huit-autres-militants-de-la-cause-ogonie-ont-ete-executes-vendredi-10-novembre_3883656_1819218.html">réponse cinglante</a>, Mandela avait demandé que le Nigeria soit exclu du Mouvement des non-alignés et du Commonwealth jusqu'à ce qu'il établisse un régime démocratique. L'Afrique du Sud avait également rappelé son ambassadeur à Lagos pour consultations.</p>
<p>Depuis la fin des années 1990, sous les présidences successives de Thabo Mbeki, Jacob Zuma et Cyril Ramaphosa, le gouvernement sud-africain a souvent apporté son soutien à des régimes autoritaires dans le Sud, souvent au détriment des luttes populaires. Parmi les exemples, on peut citer la <a href="https://www.theguardian.com/world/2011/sep/27/dalai-lama-banned-south-africa">Chine</a>, la <a href="https://www.actionsa.org.za/human-rights-will-be-the-light-that-guides-actionsas-foreign-policy/">Russie</a>, le <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2017/07/07/arrestation-d-al-bachir-la-cpi-juge-que-l-afrique-du-sud-a-manque-a-son-devoir-mais-s-abstient-de-sanction_5157268_3212.html">Soudan</a> et le <a href="https://www.aljazeera.com/opinions/2023/6/8/south-africa-is-failing-and-its-failing-zimbabwe-too">Zimbabwe</a>. </p>
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Read more:
<a href="https://theconversation.com/south-africa-and-russia-president-cyril-ramaphosas-foreign-policy-explained-198430">South Africa and Russia: President Cyril Ramaphosa's foreign policy explained</a>
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<p>La politique étrangère sud-africaine est souvent décrite comme <a href="https://open.uct.ac.za/items/9dbfd78a-e95b-469c-8131-f2bd263f385d">incohérente</a>, <a href="https://www.jstor.org/stable/10.18772/22010105027.14">peu claire et peu sincère</a>. </p>
<p>La Palestine demeure le seul dossier de libération d'un peuple sur lequel le soutien de l'Afrique du Sud a été indéniablement constant. </p>
<h2>Solidarité avec la Palestine</h2>
<p>Pendant la guerre froide, les États sud-africain de l'apartheid et israélien ont <a href="https://www.sahistory.org.za/archive/unspoken-alliance-israels-secret-relationship-apartheid-south-africa-sasha-polakow-suransky">collaboré</a> sur des questions militaires, diplomatiques et nucléaires. Les mouvements de libération de ces deux pays - à savoir l'Organisation de libération de la Palestine (OLP) et le Congrès national africain (ANC) - pratiquaient une forme alternative d'internationalisme. Il s'agissait d'un internationalisme subversif, inspiré par la solidarité des peuples du tiers-monde. </p>
<p>En 1974, lorsque le chef de l'OLP, Yasser Arafat, <a href="https://www.un.org/unispal/wp-content/uploads/1974/11/a238ec7a3e13eed18525624a007697ec_French.pdf">s'est adressé</a> à l'Assemblée générale des Nations unies, devenant ainsi le premier dirigeant de mouvements de libération à le faire, il a demandé que ce droit soit étendu à d'autres mouvements de libération. Arafat avait profité de l'occasion pour dénoncer le régime d'apartheid avec la même véhémence que celle qu'il mettait à critiquer Israël.</p>
<p>Deux ans plus tard, le président de l'ANC de l'époque, <a href="https://theconversation.com/south-africas-anc-is-celebrating-the-year-of-or-tambo-who-was-he-85838">Oliver Tambo</a>, a pris la parole devant la même instance et a <a href="http://www.gutenberg-e.org/pohlandt-mccormick/pmh03i.html">salué</a> le leadership d'Arafat sur cette question tout en exprimant sa “solidarité inébranlable” avec les Palestiniens.</p>
<p>Outre le soutien diplomatique, les deux mouvements partageaient les mêmes tactiques de résistance.</p>
<p>La faction d'Arafat au sein de l'OLP, le Fatah, a aidé l'ANC et d'autres mouvements de résistance <a href="https://global.oup.com/academic/product/armed-struggle-and-the-search-for-state-9780198292654?lang=en&cc=gb">à acquérir des formations et des armes</a>. Il est important de noter que les relations entre Tambo et Arafat étaient basées sur la confiance. En 1988, Tambo a demandé à Arafat de l'aider à obtenir des fonds des pays du Moyen-Orient et a demandé à l'OLP de devenir l'administrateur financier des fonds provenant de cette région. </p>
<h2>Le pilier</h2>
<p>Cette cohérence d'approche et de soutien s'est reflétée dans le dossier de l'Afrique du Sud devant la Cour Internationale de Justice, ramenant ainsi la promesse de libération au coeur de la conscience nationale sud-africaine. Cette initiative illustre une clarté souvent négligée dans la politique étrangère du pays en raison de ses <a href="https://open.uct.ac.za/items/9dbfd78a-e95b-469c-8131-f2bd263f385d">incohérences</a> qui ont abouti à des choix contradictoires au 21e siècle. </p>
<p>Elle reste fidèle aux <a href="https://www.foreignaffairs.com/articles/south-africa/1993-12-01/south-africas-future-foreign-policy">principes fondateurs</a> de la politique post-apartheid. Non seulement cela était nécessaire dans l'approche du pays sur les questions internationales, mais cela revêt également une importance capitale pour la restauration de l'estime de soi. </p>
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Read more:
<a href="https://theconversation.com/south-africas-foreign-policy-new-paper-sets-the-scene-but-falls-short-on-specifics-188253">South Africa's foreign policy: new paper sets the scene, but falls short on specifics</a>
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<p><a href="https://theconversation.com/south-africas-legal-team-in-the-genocide-case-against-israel-has-won-praise-who-are-they-221019">L'équipe sud-africaine</a> à La Haye comprenait des opposants au gouvernement de l'ANC. Alors que les membres de l'équipe exposaient les arguments juridiques et éthiques contre les ambitions génocidaires d'Israël, la nation les observait avec espoir. </p>
<p>Pouvait-on enfin s'attendre à ce que sa diplomatie soit à la hauteur des idéaux élevés que le pays s'était fixés à la fin de l'apartheid? </p>
<p>La comparution de l'Afrique du Sud devant la Cour internationale de Justice confirme le besoin de retrouver la boussole morale que le gouvernement de l'ANC a <a href="https://pari.org.za/new-book-state-capture-in-south-africa-how-and-why-it-happened/">perdue</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/222015/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>The authors do not work for, consult, own shares in or receive funding from any company or organisation that would benefit from this article, and have disclosed no relevant affiliations beyond their academic appointment.</span></em></p>La uestions palestine demeure le seul dossier de libération d'un peuple sur lequel le soutien de l'Afrique du Sud a été indéniablement constant.Peter Vale, Senior Research Fellow, Centre for the Advancement of Scholarship, University of Pretoria., University of PretoriaVineet Thakur, Assistant Professor, International Relations, Leiden UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2208942024-01-25T14:48:35Z2024-01-25T14:48:35ZJuger les violences conjugales : une audience historique sur le contrôle coercitif en France<p>Une <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/esprit-de-justice/qu-est-ce-que-le-controle-coercitif-5150470">audience historique</a> a eu lieu à la Cour d’appel de Poitiers le 29 novembre 2023. Pour chaque dossier de violence conjugale/intrafamiliale, la Cour a appliqué le cadre du contrôle coercitif en faisant le lien entre les comportements quotidiens des accusés et la restriction qu’ils produisaient sur la vie et les droits humains des victimes. Les décisions de la Cour sont attendues à la fin du mois de janvier.</p>
<p>« Nous avons voulu tenir une audience symbolique, pour en faire un jalon dans la prise en compte judiciaire du contrôle coercitif » ont déclaré la première présidente <a href="https://www.librairiedalloz.fr/livre/9782369450900-elle-l-a-bien-cherche-la-justice-et-la-lutte-contre-les-violences-faites-aux-femmes-gwenola-joly-coz/">Gwenola Joly-Coz</a> et le procureur général <a href="https://www.linkedin.com/posts/ec-eric-corbaux-78a3a8a6_le-13-d%C3%A9cembre-jai-eu-le-plaisir-d%C3%AAtre-activity-7140963261486714882-apXl/">Eric Corbaux</a>.</p>
<p><a href="https://www.dunod.com/sciences-humaines-et-sociales/controle-coercitif-au-coeur-violence-conjugale">Le contrôle coercitif</a> désigne « une conduite malveillante qui s’approprie les ressources, les opportunités et les privilèges disponibles dans l’espace interpersonnel ou familial. Il comprend la violence physique et/ou sexuelle, l’intimidation, l’isolement, l’exploitation et le contrôle. Il s’étend sur des années, souvent sur des décennies après la séparation physique des couples, par le harcèlement, la surveillance, le <a href="https://theconversation.com/pervers-narcissiques-pourquoi-ce-terme-donne-limpression-quils-sont-partout-184961"><em>stalking</em></a>, l’utilisation d’enfants et de tiers pour contrôler le comportement des victimes, au travail, à l’école, sur les réseaux sociaux et lors des loisirs. Il provoque la peur et la souffrance, appauvrit et isole les victimes et les fait se sentir subordonnées, dégradées, <a href="https://global.oup.com/academic/product/coercive-control-9780197639986">« sans valeur »</a>. Il atteint les droits humains de la victime et affecte indissociablement les <a href="https://www.cairn.info/revue-enfances-et-psy-2022-2-page-177.htm">enfants</a>».</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/violence-conjugale-pourquoi-la-notion-de-controle-coercitif-pourrait-produire-plus-de-justice-215743">Violence conjugale : pourquoi la notion de « contrôle coercitif » pourrait produire plus de justice</a>
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<p>Face aux limites du modèle traditionnel de lutte contre les violences faites aux femmes, qui cible en premier lieu les agressions, un nombre croissant de pays a adopté le modèle du contrôle coercitif reconnaissant que les violences conjugales/intrafamiliales se rapprochent <a href="https://theconversation.com/violence-conjugale-pourquoi-la-notion-de-controle-coercitif-pourrait-produire-plus-de-justice-215743">plus d’une captivité que d’une agression</a>. En France, l’appréhension du contrôle coercitif a été appuyée par la volonté de magistrats avant-gardistes. Il restait encore, jusqu’à l’audience du 29 novembre dernier, son introduction décisive <a href="https://link.springer.com/chapter/10.1007/978-981-15-0653-6_2">au cœur même des audiences</a> en tant que lieu de parole et de mise en scène de la démonstration.</p>
<h2>Une audience volontairement pédagogique</h2>
<p>Cette audience correctionnelle spécialisée marque un tournant dans la <a href="https://www.boutique-dalloz.fr/l-emprise-et-les-violences-au-sein-du-couple-p.html">lutte contre les violences intrafamiliales</a> (VIF) en s’intéressant au contrôle coercitif exercé par les accusés et à l’atteinte qu’il produit aux droits humains des victimes.</p>
<p>Empreinte d’une solennité particulière, l’audience est présidée par la première présidente Gwenola Joly-Coz, magistrate spécialisée et reconnue pour sa connaissance des concepts à l’œuvre en matière de VIF. Le siège du ministère public est tenu par le procureur général lui-même, Eric Corbaux. Volontairement pédagogique, l’audience vise à montrer que l’on peut juger des infractions pénales en les contextualisant dans le concept psychosocial de contrôle coercitif. Elle va au-delà, révélant que la focalisation sur la dynamique relationnelle et le contrôle coercitif exercé par l’accusé révèle l’atteinte qu’il produit aux droits humains de la victime, au-delà de l’impact sur la santé et sur les conditions de vie de celle-ci.</p>
<p>Pour l’une des affaires présentées, la Cour constate la surveillance par l’accusé du quotidien de la victime, le contrôle de ses déplacements, de l’alimentation – « on n’achète pas ce que je veux, <em>mais ce qu’il veut</em> », déclare la plaignante – y compris par l’instrumentalisation de l’origine de la victime et par sa déshumanisation. L’accusé lui aurait ainsi dit :</p>
<blockquote>
<p>« Tu peux manger ce qui est périmé dans le frigo, de toute façon vous les Malgaches vous mangez ce qu’en France même les chiens ne mangent pas. »</p>
</blockquote>
<p>Le contrôle coercitif s’exerçait aussi par le contrôle de l’accès de la victime au travail, notamment par des techniques comme la privation de sommeil afin de l’empêcher d’y aller. La victime a expliqué que son conjoint mettait la musique à fond le soir. Elle était alors plongée dans une extrême fatigue le lendemain. Alors qu’elle avait un emploi en Charente-Maritime, elle a déclaré avoir dû partir en Alsace « pour travailler tranquillement ».</p>
<h2>L’aboutissement du processus de reconnaissance du contrôle coercitif en France</h2>
<p>En France, la reconnaissance du contrôle coercitif a débuté avec son évocation par l’École Nationale de la Magistrature à l’occasion du Grenelle des Violences conjugales en 2019, par des <a href="https://www.youtube.com/watch?v=bwsihqIOJw8">conférences internationales et interprofessionnelles</a> y compris <a href="https://www.parisnanterre.fr/actualite-de-la-recherche/actes-du-colloque-enfants-au-coeur-des-violences-conjugales">à l’Assemblée nationale</a>, des propositions de consécration en <a href="https://www.researchgate.net/publication/360756577_Violences_au_sein_du_couple_pour_une_consecration_penale_du_controle_coercitif">droit pénal</a> et <a href="https://www.dalloz-actualite.fr/node/comment-mieux-lutter-contre-feminicides-libres-propos-sur-controle-coercitif">civil</a> reprises par des <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/10/05/violences-sexistes-et-sexuelles-le-faible-nombre-de-condamnations-incite-a-trouver-de-nouvelles-facons-de-travailler_6144436_3232.html">magistrats</a>, des <a href="https://efis.parisnanterre.fr/copa75/rapport-final-de-la-recherche-copa75/">professionnels de la protection de l’enfance</a>, la <a href="https://www.gendarmerie.interieur.gouv.fr/crgn/publications/manuel-de-prise-en-charge-des-violences-conjugales">formation</a> des forces de l’ordre, des <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/cion_afetr/l15b4907_rapport-information">députés</a>, des <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/05/03/le-controle-coercitif-une-notion-plus-precise-pour-lutter-contre-les-feminicides_6171846_3224.html">ministres</a>, jusqu’à sa priorisation dans le <a href="https://medias.vie-publique.fr/data_storage_s3/rapport/pdf/289498.pdf">Plan rouge VIF</a> et la proposition d’en faire un principe organisateur des <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000048453110">pôles spécialisés violences intrafamiliales</a> créées le 1<sup>er</sup> janvier 2024 dans les 200 juridictions de France, 136 tribunaux judiciaires et 64 cours d’appel.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/bwsihqIOJw8?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Conférence internationale interprofessionnelle sur le contrôle coercitif par Women for Women France.</span></figcaption>
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<p>En 2024, l’École nationale de la magistrature franchit une nouvelle étape en créant le <a href="https://formation.enm.justice.fr/_layouts/15/OFL_Architecture/Pages/Formation.aspx?ControlMode=Display&List=7204d6c1-386e-442b-8cbc-6de445483e84&id=26113&QueryMode=Standard&Onglet=DroitActif&MotsCles=CAVIF&Page=1&Web=a90b7895-9138-4902-b297-6c130d7a9ad4">cycle d’approfondissement sur les violences intrafamiliales</a>. Gwenola Joly-Coz et Eric Corbaux dirigeront la session inaugurale en mars 2024, entièrement dédiée aux concepts de la lutte contre les violences faites aux femmes et notamment au contrôle coercitif.</p>
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<h2>Une audience novatrice</h2>
<p>Pour l’audience pionnière du 29 novembre, la Cour comprenait trois magistrats : la Première présidente, un assesseur homme président de la chambre des mineurs et une assesseure femme conseillère à la chambre de la famille, réunissant de compétences pénale/mineur/civile préfigurant le pôle spécialisé. Elle a jugé cinq dossiers. Certains couples avaient des enfants.</p>
<p>Plusieurs innovations de tenue d’audience sont remarquables :</p>
<ul>
<li><p>La projection sur grand écran des textos des agresseurs aux victimes venant matérialiser non seulement les preuves, mais l’impact direct de leur lecture</p></li>
<li><p>La projection de la grille d’évaluation du danger utilisée par les policiers et les gendarmes lors de l’audition des victimes</p></li>
<li><p>La lecture du <a href="https://memo-de-vie.org/">mémo de vie</a> de la victime par l’assesseure juge aux affaires familiales (JAF), un aide-mémoire préparé par la victime pour se souvenir elle-même de son parcours de violence, rédigé avant d’aller déposer plainte.</p></li>
</ul>
<p>Ce dispositif permet de montrer la manière dont un individu exerce du contrôle et des contraintes sur une victime.</p>
<h2>« Il voulait contrôler tout ce que je faisais »</h2>
<p>La cour a ainsi pu constater dans la même affaire la « chosification » de la victime par l’agresseur : « je t’ai ramenée de Madagascar », lui aurait-il dit. Il semblait aussi contrôler les relations sociales de la victime, y compris par l’instrumentalisation de l’enfant du couple, en décourageant les parents de la victime à maintenir le lien avec elle au motif que leurs appels dérangeraient le rythme de l’enfant.</p>
<p>On apprend de l’<a href="https://www.capital.fr/votre-argent/ordonnance-de-non-conciliation-1344492">ordonnance de non-conciliation</a> – qui organise les rapports entre époux – que la résidence de l’enfant est fixée chez la mère, mais l’autorité parentale est conjointe et le droit de visite et d’hébergement du père est exercé à l’amiable. La première présidente indique devoir « s’intéresser à la situation de l’enfant ».</p>
<p>Elle rappelle que la plainte se termine par cette phrase : « il voulait le contrôle sur tout ce que je faisais » – ce que l’accusé a « justifié » car « Madame n’était pas conforme » à ce qu’il attendait en « la ramenant » de Madagascar, ce qui l’aurait « rendu fou ».</p>
<p>L’accusé, condamné en première instance pour menaces de mort, mais relaxé pour harcèlement en l’absence de certificat médical attestant la dégradation de l’état de santé de la victime, est absent à l’audience.</p>
<p>Son avocat, méconnaissant l’enjeu du contrôle coercitif, demande l’indulgence de la Cour en instrumentalisant une nouvelle fois l’enfant, qui, selon lui, « doit voir son père ». Il décrit un changement de comportement de son client tel que même la victime aurait « voulu retirer sa plainte ». À la question de l’assesseure étonnée de ce changement, l’avocat répond que l’homme reprend sa vie, ce pourquoi il a « récupéré son permis de chasse ». Un frisson traverse la Cour et la salle.</p>
<p>Le procureur général regrette l’absence de l’accusé et souligne le contrôle de Monsieur sur Madame tout le long de la vie conjugale, qui – même en l’absence de certificat médical montrant la détérioration de la santé et des conditions de vie de la victime –, est illustré par le faisceau des témoignages et des faits constitutifs. Il demande la condamnation.</p>
<p>À partir de cette affaire, le contrôle coercitif a été cité dans tous les dossiers par la première présidente et le procureur général, lequel a souligné l’atteinte qu’il produit aux droits humains fondamentaux de la victime : liberté, autodétermination, et dignité.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220894/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Andreea Gruev-Vintila ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La Cour d'Appel de Poitiers marque un tournant dans le traitement judiciaire des VIF avec une audience axée sur le contrôle coercitif comme atteinte aux droits humains des victimes.Andreea Gruev-Vintila, Maîtresse de conférences HDR en psychologie sociale, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2202362024-01-11T16:42:04Z2024-01-11T16:42:04ZOn peut accéder à votre smartphone à votre insu… à quelles conditions est-ce légal ?<p>Il est assez fréquent d’entendre parler de compromission de smartphones aujourd’hui : ces intrusions permettent d’accéder aux données qui sont stockées sur le téléphone, ou d’y implanter un logiciel espion. Aujourd’hui, c’est en fait la complexité des smartphones qui les rend si vulnérables aux intrusions (architecture, fonctionnement) et si difficiles à sécuriser complètement d’un point de vue technique.</p>
<p>Le <a href="https://theconversation.com/derriere-pegasus-le-mode-demploi-dun-logiciel-espion-164742">scandale Pegasus</a> a révélé en 2021 au grand public que des intrusions ou attaques de téléphones peuvent se faire à distance, quand elles ont été utilisées contre des journalistes (de Mediapart notamment) pour le compte de gouvernements étrangers. Même <a href="https://www.wired.com/story/bezos-phone-hack-mbs-saudi-arabia/">Jeff Besos</a>, le CEO d’Amazon, aurait été piraté à distance par une simple vidéo envoyée via la messagerie WhatsApp.</p>
<p>À l’inverse, l’exploitation de failles dans des téléphones sécurisés destinés aux criminels permet aussi aux forces de l’ordre de démanteler d’importants réseaux criminels – c’est le cas par exemple dans <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/06/30/encrochat-sky-ecc-a-bruxelles-ouverture-d-un-mega-proces-de-trafiquants-de-drogue_6180005_3210.html">l’affaire EncroChat</a> dont les procès sont en cours.</p>
<p>Ces exemples illustrent la tension permanente entre le besoin d’accéder aux données protégées pour des enquêtes menées afin de protéger des citoyens, et le besoin de protéger les citoyens contre les abus de ces accès. Alors, faut-il sécuriser au maximum les téléphones d’un point de vue technique, ou au contraire aménager des « portes dérobées » pour les services de police et de renseignement ?</p>
<h2>Qui a – et aura – le droit de pénétrer dans les smartphones ?</h2>
<p>En France, le code de procédure pénale et le code de la sécurité intérieure autorisent respectivement les services de police judiciaire et les services de renseignement à capter les données informatiques, c’est-à-dire à récupérer des informations telles qu’elles apparaissent sur l’écran d’une personne (ou sur des périphériques externes), sans qu’elle en soit informée.</p>
<p>Depuis la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000038261631">loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice</a>, il est même possible d’utiliser des moyens de l’État soumis au secret de la défense nationale afin d’enregistrer, de conserver ou de transmettre les données telles qu’elles sont stockées dans un système informatique. À cela s’ajoute la possibilité pour l’État de mandater des experts – en l’occurrence des sociétés privées spécialisées – afin de pénétrer dans lesdits systèmes.</p>
<p>En 2023, le Gouvernement a tenté une nouvelle fois d’accroître les moyens à la disposition des forces de police en insérant dans le <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/dossierlegislatif/JORFDOLE000047538699/">projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la Justice 2023-2027</a> une disposition relative à l’activation à distance des appareils électroniques à l’insu de leur propriétaire ou de leur possesseur afin de procéder à leur localisation en temps réel, à l’activation du micro ou de la caméra et à la récupération des enregistrements.</p>
<p>Cette disposition très <a href="https://www.laquadrature.net/2023/05/31/transformer-les-objets-connectes-en-mouchards-la-surenchere-securitaire-du-gouvernement/">controversée</a> a été en partie censurée par le Conseil constitutionnel le 16 novembre 2023. Celui-ci a considéré que l’activation à distance du micro ou de la caméra d’un appareil électronique porte une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée, notamment parce qu’elle permet <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2023/2023855DC.htm">d’écouter ou de filmer des tiers qui n’ont aucun lien avec l’affaire en cours</a>.</p>
<p>Seule a été déclarée conforme à la Constitution la possibilité de géolocaliser en temps réel une personne grâce à l’activation à distance de son téléphone ou de tout autre appareil informatique tels que des tableaux de bord de véhicule.</p>
<h2>Comment les intrusions sont-elles possibles techniquement ?</h2>
<p>Indépendamment de la légalité d’une telle action, on peut pénétrer techniquement dans un smartphone en exploitant ses « vulnérabilités », c’est-à-dire en utilisant les <a href="https://ieeexplore.ieee.org/document/7546516">failles existantes au niveau matériel ou logiciel</a>.</p>
<p>L’exploitation des vulnérabilités est aujourd’hui protéiforme, tant les intrusions sont multiples et concernent plusieurs niveaux. Les attaques peuvent être effectuées à distance, à travers le réseau, ou directement sur le téléphone si celui-ci est accessible physiquement, par exemple un téléphone saisi lors d’une perquisition. Dans ce cas, les attaquants utilisent par exemple une <a href="https://ieeexplore.ieee.org/document/9581247">« attaque par canal auxiliaire »</a> (la consommation électrique d’un téléphone peut notamment révéler des informations) ; créent des erreurs artificielles (par <a href="https://doi.org/10.1016/j.cose.2021.102471">« injection de fautes »</a>), ou attaquent physiquement les cartes à puces ou microprocesseurs. Ces attaques permettent de récupérer les clefs de chiffrement qui permettent d’accéder aux données de l’utilisateur stockées sur le téléphone. C’était le sujet par exemple du projet européen <a href="https://exfiles.eu/">EXFILES</a>.</p>
<p>Si l’on progresse dans les <a href="https://theconversation.com/objets-connectes-quels-risques-pour-la-protection-de-la-vie-privee-et-que-peut-on-y-faire-208118">couches du téléphone</a>, il est possible d’exploiter les failles des systèmes d’exploitation des téléphones (leurs bugs, en d’autres termes). Plus un système est complexe et a de fonctionnalités, plus il est difficile de le sécuriser, voire de <a href="https://doi.org/10.22667/JOWUA.2015.09.31.003">définir les propriétés de sécurité attendues</a>.</p>
<p>Par ailleurs, dans la plupart des cas, une attaque ne suffit pas à elle seule à s’introduire dans le téléphone cible, c’est pourquoi un <a href="https://www.darkreading.com/application-security/operation-triangulation-spyware-attackers-bypass-iphone-memory-protections">exploit moderne</a> combine de nombreuses <a href="https://securelist.com/trng-2023/">vulnérabilités et techniques de contournement des contre-mesures présentes</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/objets-connectes-quels-risques-pour-la-protection-de-la-vie-privee-et-que-peut-on-y-faire-208118">Objets connectés : quels risques pour la protection de la vie privée, et que peut-on y faire ?</a>
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<p>Enfin, les intrusions peuvent cibler les applications installées sur le smartphone ou les protocoles de communication. Dans ce cas, ce sont des phases critiques de l’utilisation des applications qui sont visées : comme la négociation des clés, l’appairage des appareils ou encore les mises à jour des <em>firmwares over-the-air</em>. Par exemple, en 2019, l’équipe <a href="https://googleprojectzero.blogspot.com/2019/08/the-fully-remote-attack-surface-of.html">« Project Zero »</a> de Google a découvert des <a href="https://googleprojectzero.blogspot.com/2019/08/the-fully-remote-attack-surface-of.html">vulnérabilités exploitables à distance sur les iPhones</a> (pourtant réputés pour leur bon niveau de sécurité), qui permettaient de prendre le contrôle du téléphone avec un simple SMS.</p>
<p>Comme cette équipe, de nombreux chercheurs et fabricants découvrent et rapportent les vulnérabilités simplement pour qu’elles soient corrigées. En revanche, d’autres entreprises en tirent bénéfice en créant des « exploits » – des ensembles de vulnérabilités et techniques complexes, qui permettent d’exploiter les téléphones contre leurs utilisateurs et sont vendus au plus offrant – États compris, pour des sommes pouvant atteindre <a href="https://www.pcmag.com/news/iphone-hacks-are-flooding-the-market-says-ios-exploit-buyer">plusieurs millions d’Euros</a>.</p>
<h2>Faut-il sécuriser davantage ou au contraire aménager des « portes dérobées » ?</h2>
<p>En 10 ans, le niveau de sécurité a considérablement évolué. Les opérateurs privés multiplient les mesures techniques pour s’assurer d’un niveau de sécurité de plus en plus élevé, avec de <a href="https://security.googleblog.com/2022/12/memory-safe-languages-in-android-13.html">nouveaux langages de programmation</a> par exemple, ou des modes à haut niveau de sécurité, comme le mode <a href="https://support.apple.com/en-us/105120">« lockdown » sur les iPhones</a>, qui désactivent de nombreuses fonctionnalités, et réduisent donc la <a href="https://doi.org/10.1109/TSE.2010.60">« surface d’attaque »</a>.</p>
<p>Pourtant, il est impossible de proposer des systèmes complexes et sûrs à 100 %, notamment parce que le facteur humain existera toujours. Dans certains cas, le téléphone peut être compromis de manière complètement transparente pour l’utilisateur, c’est une attaque « zéro clic ». Dans d’autres, l’intervention de l’utilisateur reste nécessaire : cliquer sur un lien ou ouvrir une pièce jointe est considérée comme une attaque « un clic ». En tout état de cause, la <a href="https://doi.org/10.1145/3469886">ruse</a>, la contrainte physique, psychologique ou <a href="https://www.courdecassation.fr/toutes-les-actualites/2022/11/07/code-de-deverrouillage-dun-ecran-de-telephone-et-cryptologie">juridique</a> reste bien souvent un moyen efficace et rapide d’accéder aux données.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/568574/original/file-20240110-19-bvuj4z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="illustration humoristique montrant ce qui se passe dans l’imagination d’un geek et ce qui se passe en vrai" src="https://images.theconversation.com/files/568574/original/file-20240110-19-bvuj4z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/568574/original/file-20240110-19-bvuj4z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=364&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/568574/original/file-20240110-19-bvuj4z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=364&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/568574/original/file-20240110-19-bvuj4z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=364&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/568574/original/file-20240110-19-bvuj4z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=457&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/568574/original/file-20240110-19-bvuj4z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=457&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/568574/original/file-20240110-19-bvuj4z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=457&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Les faiblesses humaines représentent parfois le maillon faible le plus facile à exploiter dans une cyberattaque.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://xkcd.com/538">xkcd</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0/">CC BY-NC</a></span>
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<p>Les difficultés croissantes à pénétrer les smartphones poussent les services de police, notamment par la voix de leur <a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2023/10/20/casser-le-chiffrement-des-messageries-un-serpent-de-mer-politique-inapplicable_6195665_4408996.html">ministre</a> en octobre 2023, à demander régulièrement la mise en place de « portes dérobées » (ou <a href="https://inria.hal.science/hal-01889981/document">« backdoors »</a>) qui permettent de donner un accès privilégié aux téléphones.</p>
<p>Ainsi, dans les années 90, la NSA souhaitait imposer aux fabricants et opérateurs de télécommunication une puce de chiffrement, le <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Clipper_chip">« Clipper Chip »</a>, qui incluait une telle porte dérobée permettant aux services de renseignement de déchiffrer les communications.</p>
<p>Dans la même veine, les forces de police contactent parfois les fabricants pour qu’ils leur donnent un accès à l’équipement, ce qui occasionne des tensions avec les opérateurs privés. En 2019, <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2020/01/17/deverrouillage-des-telephones-la-justice-americaine-relance-son-offensive-contre-apple_6026191_3234.html">Apple avait refusé un tel accès au FBI</a>, qui avait fini par utiliser une attaque matérielle sur le téléphone en question.</p>
<p>Plus récemment, en novembre 2023, de nombreux chercheurs s’opposaient à un article du règlement européen eIDAS qui forcerait les navigateurs à <a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2023/11/02/inquietudes-autour-d-un-reglement-europeen-sur-la-securite-des-navigateurs-web_6197816_4408996.html">inclure des certificats imposés par les gouvernements</a> européens. De tels certificats permettraient d’intercepter les communications sécurisées (HTTPS) des citoyens, sans que les éditeurs de navigateurs ne puissent révoquer ces certificats s’ils étaient utilisés de manière abusive.</p>
<p>Nous pensons que réduire la sécurité des systèmes en y introduisant des portes dérobées nuit à la sécurité de tous. Au contraire, augmenter la sécurité des smartphones protège les citoyens, en particulier dans les pays où les libertés individuelles sont contestées.</p>
<p>Si la <a href="https://www.aclu.org/news/national-security/the-privacy-lesson-of-9-11-mass-surveillance-is-not-the-way-forward">surveillance de masse</a> et l’insertion de <a href="https://www.aclu.org/news/privacy-technology/7-reasons-government-backdoor-iphone-would-be-catastrophic">backdoors</a> dans les produits sont un danger pour la démocratie, est-ce qu’exploiter des vulnérabilités existantes serait un moyen plus « démocratique » de collecte des informations à des fins judiciaires ? En effet, ces techniques sont nécessairement plus ciblées, leur coût élevé… et si ces failles sont exploitées massivement elles sont rapidement détectées et corrigées. Avec la constante augmentation de la sécurité des téléphones, jusqu’à quand cela sera-t-il économiquement possible pour les services de police et judiciaires ?</p>
<p>En effet, bien que l’élimination de toutes les vulnérabilités soit sans doute illusoire, est-ce que le coût de leur découverte et de leur <a href="https://www.cpomagazine.com/cyber-security/russian-firm-looks-to-corner-the-market-on-mobile-zero-day-exploits-with-standing-offer-of-up-to-20-million/">exploitation devient exorbitant</a> ou bien est-ce que l’évolution des techniques de <a href="https://www.mandiant.com/resources/blog/time-to-exploit-trends-2021-2022">découverte de vulnérabilités permettra de réduire leur cout</a> ?</p>
<hr>
<p><em>Le PEPR Cybersécurité et son projet <a href="https://www.pepr-cybersecurite.fr/projet/rev/">REV</a> (ANR-22-PECY-0009) sont soutenus par l’Agence nationale de la recherche (ANR), qui finance en France la recherche sur projets. Elle a pour mission de soutenir et de promouvoir le développement de recherches fondamentales et finalisées dans toutes les disciplines, et de renforcer le dialogue entre science et société. Pour en savoir plus, consultez le site de l’<a href="https://anr.fr/">ANR</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220236/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Aurélien Francillon a reçu des financements de l'ANR, la commission Européenne, l'US AIR Force Research Labs, Siemens, Amadeus, SAP, Google.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Noémie Véron a reçu des financements de l'ANR. </span></em></p>Il est possible d’accéder à distance aux informations d’un téléphone via des « portes dérobées », mais c’est légal dans des conditions bien spécifiques – et débattues.Aurélien Francillon, Professeur en sécurité informatique, EURECOM, Institut Mines-Télécom (IMT)Noémie Véron, Maître de conférences en droit public, Université de LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2207272024-01-11T14:27:15Z2024-01-11T14:27:15ZIsraël devant la Cour internationale de justice : celle-ci est-elle devenue un substitut à un Conseil de sécurité dysfonctionnel ?<p>Le 29 décembre, l’Afrique du Sud a déposé devant la <a href="https://www.icj-cij.org/fr/accueil">Cour internationale de justice</a> (CIJ), une <a href="https://www.icj-cij.org/sites/default/files/case-related/192/192-20231228-app-01-00-en.pdf">Requête introductive d’instance</a> contre l’État d’Israël. </p>
<p>La Requête stipule que ses actions dans la bande de Gaza, initiées au nom de son droit à la légitime défense, dans la foulée des attaques menées par le Hamas le 7 octobre 2023, revêtaient « un caractère génocidaire ».</p>
<p>La CIJ a tenu des audiences publiques sur la requête le 11 et 12 janvier à La Haye. </p>
<p>Le fait que <a href="https://theconversation.com/south-africas-genocide-case-against-israel-expert-sets-out-what-to-expect-from-the-international-court-of-justice-220692">l’Afrique du Sud ait choisi de déposer sa requête devant la CIJ</a> n’est pas anodin. En effet, non seulement le bureau du procureur de la <a href="https://www.icc-cpi.int/fr">Cour pénale internationale</a>, qui enquête sur la situation en Palestine depuis plusieurs années, <a href="https://theconversation.com/la-guerre-a-gaza-la-cour-penale-internationale-et-la-lutte-contre-limpunite-219523">n’aboutit pas à des résultats concrets</a>, mais le Conseil de sécurité, l’organe qui devrait être le principal garant du maintien de la paix et de la sécurité internationale, apparaît foncièrement <a href="https://theconversation.com/gaza-war-deadlock-in-the-security-council-shows-that-the-un-is-no-longer-fit-for-purpose-219772">dysfonctionnel</a>. </p>
<p>À l’inverse, la CIJ en est venue à jouer un rôle de plus en plus diligent. <a href="https://www.ejiltalk.org/provisional-but-not-always-pointless-compliance-with-icj-provisional-measures/">Au cours des 10 dernières années</a>, la Cour a ainsi prononcé plus d’ordonnances (11) que durant ses cinquante premières années d’existence (10).</p>
<p>Mes travaux sur la <a href="https://www.pulaval.com/livres/de-la-responsabilite-de-proteger-les-populations-menacees-l-emploi-de-la-force-et-la-possibilite-de-la-justice">responsabilité de protéger</a> et sur le <a href="https://www.cairn.info/annuaire-francais-de-relations--9782376510550-page-95.htm">droit de la guerre</a> m’ont conduit à porter une attention particulière aux modes alternatifs de règlement des différends, notamment par l’intermédiaire des tribunaux internationaux. Deux organes sont fréquemment mentionnés : la Cour internationale de justice et la Cour pénale internationale (CPI).</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Des personnes sont assises de chaque côté dans une vaste pièce" src="https://images.theconversation.com/files/568670/original/file-20240110-30-2p1xe4.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/568670/original/file-20240110-30-2p1xe4.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/568670/original/file-20240110-30-2p1xe4.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/568670/original/file-20240110-30-2p1xe4.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/568670/original/file-20240110-30-2p1xe4.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/568670/original/file-20240110-30-2p1xe4.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/568670/original/file-20240110-30-2p1xe4.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La Cour internationale de justice lors d’une audience.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(UN Photo/CIJ-ICJ/Frank van Beek)</span></span>
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</figure>
<h2>Des compétences différentes</h2>
<p>La CIJ est le principal organe judiciaire de l’Organisation des Nations unies (ONU). Elle dispose d’une compétence universelle sur les différends d’ordre juridique pouvant survenir entre États. </p>
<p>De son côté, la CPI tire sa compétence d’un traité entré en vigueur en 2002, et dont Israël n’est pas signataire. Ses responsabilités sont d’enquêter et de poursuivre des personnes physiques pour crimes graves de droit international (crimes contre l’humanité, crimes de guerre, génocides et crimes d’agression).</p>
<p>Alors que la CIJ doit être sollicitée par un État avant de pouvoir se saisir d’un contentieux, comme c’est le cas avec la démarche engagée par l’Afrique du Sud, la CPI dispose de l’autorité pour ouvrir une enquête et éventuellement déposer une accusation contre un individu.</p>
<h2>Avant Israël, la Russie</h2>
<p>Dans sa requête contre Israël, l’Afrique du Sud avance que les actions de l’État hébreu (et son défaut de prendre des mesures pour contrecarrer les incitations « directes et publiques » à commettre de telles actions) témoigneraient « de l’intention spécifique… d’entraîner la destruction d’une partie substantielle de la population palestinienne en tant que partie d’un groupe national, racial et ethnique plus large de Palestiniens dans la Bande de Gaza ». </p>
<p>De ce fait, avance l’Afrique du Sud, Israël contreviendrait aux « obligations » lui incombant en vertu de la <a href="https://www.ohchr.org/fr/instruments-mechanisms/instruments/convention-prevention-and-punishment-crime-genocide">Convention pour la prévention et la Répression du Crime de Génocide</a>, dont elle est signataire. </p>
<p>La question que la CIJ est appelée à trancher consiste uniquement, selon l’Afrique du Sud, à déterminer si les actions qui sont identifiées dans la Requête sont ou non « susceptibles de relever des dispositions » de la Convention. La Cour n’a pas à se prononcer sur le fond à ce stade. Le cas échéant, cela pourrait prendre des années. </p>
<p>On se rappellera qu’une <a href="https://icj-cij.org/sites/default/files/case-related/182/182-20220227-APP-01-00-FR.pdf">Requête</a> similaire avait également été déposée par l’Ukraine contre la Russie dans la foulée de l’« opération militaire spéciale » initiée par cette dernière le 24 février 2022. </p>
<p>La Russie était alors accusée d’avoir mensongèrement allégué « que des actes de génocide avaient été commis dans les oblasts ukrainiens de Louhansk et de Donetsk » afin de lui permettre de justifier une intervention armée. L’Ukraine affirmait que cette intervention avait engendré « des violations graves et généralisées des droits de la personne de la population ukrainienne ». Dès le 16 mars 2022, la CIJ rendait son <a href="https://www.icj-cij.org/sites/default/files/case-related/182/182-20220316-ord-01-00-fr.pdf">Ordonnance</a> et intimait à la Russie de « suspendre immédiatement les opérations militaires ».</p>
<h2>Les limites de la CIJ</h2>
<p>Dans le cas de la requête de l’Afrique du Sud, une ordonnance de la CIJ pourrait suivre au cours des prochaines semaines étant donné l’urgence de la situation.</p>
<p>Or, il ne faut pas faire preuve de trop d’optimisme. Car même dans le cas où la Cour indiquerait comme mesure conservatoire la suspension immédiate des opérations militaires, comme elle l’a fait dans le cas de l’Ukraine, et même si cette ordonnance avait bel et bien un « caractère obligatoire », comme l’a avancé la Cour en 2001 dans une autre <a href="https://icj-cij.org/sites/default/files/case-related/104/104-20010627-JUD-01-00-FR.pdf">affaire</a>, cela ne signifierait pas que la situation sur le terrain soit appelée à changer. </p>
<p>Malgré leur caractère obligatoire, les mesures d’exécution sont souvent difficiles à mettre en œuvre dans des situations hautement sensibles et controversées.</p>
<h2>Le nouveau rôle des pays tiers</h2>
<p>Ce qui est relativement nouveau, c’est que la Cour internationale de justice accepte désormais d’entendre des requêtes, telle celle parrainée par l’Afrique du Sud, présentées par un État partie à un traité ou une convention, qui allèguent un manquement à ses obligations <em>erga omnes partes</em>. De telles obligations reposent en effet sur les valeurs que les États partagent en commun et que tout État a donc un intérêt à faire respecter, sans égard au fait d’avoir ou non soi-même subi les conséquences d’un manquement.</p>
<p>Ainsi, en 2019, la Gambie a déposé une <a href="https://icj-cij.org/sites/default/files/case-related/178/178-20191111-APP-01-00-FR.pdf">Requête</a> contre le Myanmar, concernant ses actions envers les membres de la communauté rohingya. C’est aussi sur cette base d’obligations <em>erga omnes partes</em> que le Canada et les Pays-Bas ont déposé en juin 2023 une <a href="https://www.icj-cij.org/sites/default/files/case-related/188/188-20230608-req-01-00-fr.pdf">Requête</a> contre la Syrie l’accusant de contrevenir à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.</p>
<p>La reconnaissance par la CIJ de telles obligations <em>erga omnes partes</em> revendiquées par un État n’étant pas directement impliqué apparaît comme une innovation majeure. Elle permet, à défaut d’empêcher en amont qu’un État ne contrevienne à ses obligations, de lui rappeler en aval et publiquement ses obligations. </p>
<h2>Assumer un rôle émergent en maintien de la paix</h2>
<p>Au-delà de la question qu’aura à trancher la Cour, le plus important reste le rôle que les États semblent désormais vouloir lui faire jouer en lui soumettant de telles requêtes. La CIJ a compétence en matière de règlement pacifique des différends et, par extension, elle a un rôle à jouer dans le maintien de la paix et de la sécurité internationale. Mais si ses ordonnances ne sont pas suivies d’effets, sont-elles seulement destinées à marquer les esprits, ce qui contribuerait à politiser la justice internationale ?</p>
<p>S’il est certes douteux qu’une ordonnance incite un État à mettre un terme à sa conduite et à ses activités sur le terrain, la procédure elle-même demeure toutefois importante. Elle peut permettre de documenter une situation et d’établir les faits d’une manière telle qu’il pourrait être plus difficile d’en faire abstraction par la suite. </p>
<p>Ainsi, dans le cas de la Syrie, l’<a href="https://www.icj-cij.org/sites/default/files/case-related/188/188-20231116-ord-01-00-fr.pdf">Ordonnance</a> rendue par la Cour la sommait de prendre « toutes les mesures en son pouvoir afin de prévenir les actes de torture et autres… traitements cruels, inhumains ou dégradants », et lui intimait de « prendre des mesures effectives pour prévenir la destruction et assurer la conservation de tous les éléments de preuve relatifs aux allégations ». Ces éléments pourraient ultérieurement être utilisés dans le cadre de procédures judiciaires ou afin de justifier des réparations.</p>
<p>À cet égard, la Cour pourrait également faciliter la création et l’accès au terrain d’une mission visant à établir les faits et à documenter les circonstances. Il s’agit là d’un aspect important du règlement des différends qui peut contribuer au maintien de la paix et de la sécurité internationale. </p>
<p>Le défi pour la Cour consistera à assumer ce rôle émergent en matière de maintien de la paix et de la sécurité internationale et à naviguer à travers ces questions d’interprétation qui demeurent éminemment politiques. Les décisions que les juges ont à prendre seront capitales pour le futur d’un ordre international qui apparaît pour le moment bien désordonné.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220727/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-François Thibault ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La Cour internationale de justice élargit de plus en plus son mandat, palliant au dysfonctionnement du Conseil de sécurité, qui devrait être le principal garant du maintien de la paix dans le monde.Jean-François Thibault, Professeur en relations internationales, École des hautes études publiques, Université de MonctonLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2200542024-01-02T16:25:57Z2024-01-02T16:25:57ZAttentats, agressions : comment l’injonction de soins peut-elle être utilisée par la justice ?<p>Après <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/12/06/attentat-de-paris-le-terroriste-avait-initialement-prevu-d-attaquer-une-cible-juive_6204271_3224.html">l’attentat perpétré à Paris le 2 décembre dernier</a>, la <a href="https://www.la-croix.com/debat/Faut-permettre-lEtat-delivrer-injonctions-soins-2023-12-04-1201293312">presse</a> et les <a href="https://www.ouest-france.fr/faits-divers/attentat/attaque-a-paris-gerald-darmanin-veut-que-les-autorites-puissent-demander-une-injonction-de-soins-66708d68-9201-11ee-8602-1e868188f4e2">politiques</a> se sont penchés sur une mesure pouvant être appliquée par les praticiens de la justice et de la santé : l’injonction de soins. En effet, le mis en cause venait d’arriver au terme de cette mesure après la fin de <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000006070719/LEGISCTA000006181747/">son sursis probatoire</a>.</p>
<p>La mesure d’injonction de soins, ordonnée par la justice, permet d’enjoindre une personne condamnée à suivre des soins de nature psychiatrique et/ou psychologique en dehors du milieu carcéral. Si la personne décide de ne pas suivre les soins, elle s’expose à sa réincarcération pour non-respect de ses obligations.</p>
<p>Cette mesure a été créée par la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/LEGISCTA000006094059">loi n°98-468 du 17 juin 1998</a> relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu’à la protection des mineurs. Alors qu’elle concernait initialement les auteurs d’infractions à caractère sexuel, son champ d’application n’a cessé de s’élargir à d’autres infractions et cadres procéduraux.</p>
<h2>Lutter contre la récidive</h2>
<p>La mesure d’injonction de soin a été créée par le législateur après la médiatisation de <a href="https://www.leparisien.fr/faits-divers/reclusion-a-perpetuite-pour-les-freres-jourdain-28-10-2000-2001724762.php">crimes sexuels</a> commis par des <a href="https://www.lemonde.fr/ete-2007/article/2006/08/23/guy-georges-le-tueur-de-l-est-parisien_805633_781732.html">individus déjà connus de la justice</a>. Elle répondait à la volonté de prévenir la récidive des auteurs d’infractions sexuelles, en leur imposant un suivi post-pénal de nature judiciaire et médico-social.</p>
<p>L’injonction de soins a été instaurée dans le cadre de la peine de suivi sociojudiciaire qui oblige le condamné à se soumettre à des <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000006070719/LEGISCTA000006181732/">mesures de surveillance</a> et d’assistance une fois la peine de réclusion ou d’emprisonnement effectuée. Elle s’applique pendant une durée pouvant aller jusqu’à dix ans dans le cadre d’une condamnation pour un délit et jusqu’à vingt ans pour une condamnation criminelle.</p>
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<p>L’objectif initial de cette loi était de mener des individus vers des opportunités de soins, alors qu’ils n’y auraient pas nécessairement recours eux-mêmes, de façon à limiter leur risque de récidive. Néanmoins, progressivement, les mesures prévues dans le cadre de la loi de 1998 ont été perçues comme insuffisantes.</p>
<p>Au début des années 2000, la médiatisation de faits divers dramatiques (le meurtre de <a href="https://www.ladepeche.fr/article/2008/06/17/460209-assassinat-nelly-cremel-perpetuite-gateau-30-ans-mathey.html">Nelly Cremel</a> en 2005, l’enlèvement et le <a href="https://www.francetvinfo.fr/france/viol-d-enis-evrard-condamne-a-30-ans-de-reclusion_245897.html">viol d’Enis</a> en 2007 et <a href="https://www.leparisien.fr/essonne-91/en-2009-l-effroi-apres-le-viol-et-le-meurtre-d-une-joggeuse-02-09-2016-6087131.php">l’assassinat de Marie-Christine Hodeau</a> en 2009), cristallise les débats publics autour de la prévention de la récidive et des soins ordonnés aux délinquants. En 2009, Michèle Alliot-Marie, alors ministre de la Justice exprimait vouloir, en réponse à la délinquance sexuelle, <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2009/10/02/nicolas-sarkozy-exige-de-nouvelles-mesures-contre-la-recidive-des-delinquants-sexuels_1248342_3224.html">« la castration chimique ou la prison »</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">L’affaire Nelly Cremel en 2005.</span></figcaption>
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<p>Dans ce contexte social et politique, pas moins de <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000249995">six lois</a> ont été <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000786845/#:%7E:text=%C2%AB%20La%20juridiction%20p%C3%A9nale%20ne%20peut,en%20%C3%A9tat%20de%20r%C3%A9cidive%20l%C3%A9gale">adoptées</a> afin de <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000615568">prévenir</a> la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/dossierlegislatif/JORFDOLE000017758194/#:%7E:text=Projets%20de%20lois-,Loi%20n%C2%B0%202007%2D1198%20du%2010%20ao%C3%BBt%202007%20renfor%C3%A7ant,des%20majeurs%20et%20des%20mineurs&text=Communiqu%C3%A9%20de%20presse%20du%20Conseil,des%20majeurs%20et%20des%20mineurs">délinquance</a> entre <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000018162705">2004</a> et <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000021954436#:%7E:text=LOI%20n%C2%B0%202010%2D242,proc%C3%A9dure%20p%C3%A9nale%20(1) %20 %2D %20L %C3 %A9gifrance">2010</a>. Le soin apparaît alors comme l’instrument par excellence de lutte contre la récidive.</p>
<h2>Une disposition progressivement élargie</h2>
<p>Bien que la <a href="https://www.senat.fr/rap/l06-358/l06-358.html">Commission des lois</a> rapportait l’opacité entourant la mesure d’injonction de soins et son application, <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000801164">plusieurs</a> <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000786845/#:%7E:text=%C2%AB%20La%20juridiction%20p%C3%A9nale%20ne%20peut,en%20%C3%A9tat%20de%20r%C3%A9cidive%20l%C3%A9gale">lois</a> <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000615568">ont</a> <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000022454032/#:%7E:text=au%20sein%20%E2%80%A6-,LOI%20n%C2%B0%202010%2D769%20du%209%20juillet%202010%20relative,derni%C3%A8res%20sur%20les%20enfants%20(1)">élargi</a> et <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000043403203#:%7E:text=%E2%80%98inceste%20%E2%80%A6-,LOI%20n%C2%B0%202021%2D478%20du%2021%20avril%202021%20visant,de%20l%E2%80%99inceste%20(1)&text=Recherche %20simple %20dans %20le %20code %20Rechercher %20dans %20le %20texte%E2%80%A6">renforcé son cadre d’application</a>. Les dispositions légales du suivi sociojudiciaire se sont progressivement élargies à plusieurs faits de nature violente.</p>
<p>Désormais, l’injonction de soins peut concerner des personnes placées sous main de justice aux profils pluriels condamnées pour des faits d’atteintes à la vie, de violences conjugales, pour des actes de terrorismes et de destructions et dégradations par moyens dangereux. Ainsi, le domaine d’application de l’injonction de soins dépasse aujourd’hui le seul cadre de la peine de suivi sociojudiciaire puisque les personnes peuvent être soumises à cette mesure dans divers cadres légaux (mesures de sûreté, aménagements de peines, peines probatoires).</p>
<p>Pour être soumis à une injonction de soins, il faut qu’un expert psychiatre détermine qu’il est opportun que la personne entre dans un processus de soins.</p>
<p>Récemment, une <a href="https://repeso.hypotheses.org/">équipe de chercheurs</a> a procédé à l’analyse de rapports d’expertises et constate que les indications de soins « viennent en réponse à une question implicite qui serait : le prévenu ou l’accusé pourrait-il bénéficier de soins sous contrainte et ceux-ci contribueraient-ils à éviter, sinon limiter, une réitération d’actes similaires de sa part ? » Selon les auteurs, l’opportunité de soins ne serait pas toujours appréciée en fonction des pathologies ou des troubles de la personne, mais plutôt selon l’intérêt de la mesure de soins pénalement ordonnée pour limiter la récidive et accompagner l’auteur de l’infraction.</p>
<h2>Comment mesurer le véritable effet de cette mesure ?</h2>
<p>La mise en place de l’injonction de soins correspond à un enchevêtrement de différentes modalités d’application et à une articulation entre les acteurs de la chaîne pénale et du soin. En effet, la personne placée sous main de justice doit, en plus de ses soins, respecter diverses obligations et se soumettre à des mesures de contrôle. Tout manquement à ces obligations pourra conduire à son retour en détention. Afin de justifier l’exécution et le respect de ses obligations, elle doit rencontrer un conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation. Ce dernier assure également le suivi de la personne dans les différents aspects de sa situation.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1731392072815436191"}"></div></p>
<p>Dans le cadre de la mise en œuvre de son injonction de soins, la personne doit rencontrer plusieurs fois par an un médecin coordonnateur. Il est désigné par le juge de l’application des peines pour faire le lien entre les professionnels de la santé et les professionnels de la justice. Le médecin coordonnateur a un double rôle de conseil. Il conseille la personne placée sous main de justice dans le choix du professionnel assurant sa prise en soins (nommé médecin ou psychologue traitant). Il conseille également le médecin psychiatre ou le psychologue traitant dans l’orientation et la mise en place des soins. Ce dernier professionnel n’a aucun contact avec les acteurs de la chaîne pénale. Toutes les informations relatives aux soins sont transmises au médecin coordonnateur, qui en assure la diffusion aux acteurs compétents.</p>
<p>L’application de cette mesure nécessite une articulation et un maillage important entre les professionnels du champ sanitaire et les professionnels du champ judiciaire, ce qui peut parfois engendrer des difficultés. Les acteurs en présence ne partagent pas nécessairement les mêmes objectifs dans la mise en œuvre de l’obligation judiciaire, qui s’applique pendant une durée relativement longue. En effet, les professionnels ont un rôle distinct dans l’accompagnement des personnes et l’application de cette mesure qui s’inscrit dans une double dimension de soins et de contrôle. De plus, le manque de moyens humains dans les différentes institutions peut avoir un impact sur le temps dédié aux échanges pluridisciplinaires.</p>
<p>À ce jour, aucune statistique publique ne permet d’analyser le nombre de recours à l’injonction de soins. Cette absence de statistiques et d’évaluation conduit à s’interroger sur l’impact des réformes successives sur le recours à l’injonction de soins et sur la diversification – ou non – du profil des personnes qui y sont soumises.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220054/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Lisa Colombier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’injonction de soins concernait initialement les auteurs d’infractions à caractère sexuel. Depuis, son champ d’application n’a cessé de s’élargir à d’autres infractions.Lisa Colombier, Doctorante en sociologie et en droit, Université de StrasbourgLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2195782023-12-14T19:05:21Z2023-12-14T19:05:21ZComment la « double peine » du projet de loi immigration renforce la confusion des pouvoirs<p>Objet de la crise politique majeure de cette fin d’année, le projet de loi sur l’immigration doit être examiné en commission mixte paritaire ce 18 décembre 2023.</p>
<p>Alors que le dissensus entre le gouvernement et les parlementaires de la droite porte sur certaines mesures à haute visée symbolique (régularisation des travailleurs sans papiers dans les métiers dits « en tension », suppression de l’aide médicale de l’État, etc.), l’entente semble plus grande sur le renforcement de la « double peine ». Pourtant, ces mesures n’en sont pas moins inquiétantes pour ce qu’elles disent des rapports entre les pouvoirs exécutif et judiciaire, et plus largement du lien entre peine et expulsion.</p>
<h2>« Méchant avec les méchants »</h2>
<blockquote>
<p>« L’aménagement de peine n’est possible que pour les Français qui, sortant de prison, veulent ou doivent se réintégrer à la société française. Ce qui n’est pas la vocation de l’étranger, qui lui doit quitter le territoire ».</p>
</blockquote>
<p>La messe était dite par le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, vendredi 1<sup>er</sup> décembre 2023, lors de l’examen du projet de « loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration » par la commission des lois de l’Assemblée nationale.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/EHN2sYZG0Co?wmode=transparent&start=1" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Gérald Darmanin, 1ᵉʳ décembre 2023.</span></figcaption>
</figure>
<p>Pour anodines qu’elles paraissent, ces déclarations résument en réalité la teneur du projet politique réservé aux étrangers auteurs d’infractions, et plus largement l’ambition affichée par le ministre d’être <a href="https://www.bfmtv.com/replay-emissions/bfm-story/story-1-immigration-des-gentils-et-des-mechants-02-11_VN-202211020616.html">« méchant avec les méchants »</a>.</p>
<p>Une sévérité justifiée par une criminalité étrangère prétendument endémique, pourtant démentie tant par la <a href="http://www.cepii.fr/PDF_PUB/lettre/2023/let436.pdf">recherche</a> que par la <a href="https://www.justice.gouv.fr/condamnations">statistique pénale</a>. Cette dernière établit notamment qu’en plus de ne représenter que 16 % des condamnations, les étrangers sont dans près de 98 % des cas auteurs de délits le plus souvent liés à une plus forte précarité socio-économique.</p>
<h2>Délinquant étranger, étranger délinquant</h2>
<p>Pour s’assurer qu’à la sanction pénale suive l’expulsion – ce qu’une vaste <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/2001/11/21/des-associations-partent-en-campagne-contre-la-double-peine_4150738_1819218.html">campagne associative</a> a popularisé comme « double peine » au début des années 2000 –, le gouvernement entend faire voter plusieurs dispositifs qui soulignent l’incompatibilité entre les objectifs du pouvoir exécutif et ceux de l’institution judiciaire. Car cette dernière ne fait, à tout le moins officiellement, aucune distinction à raison de la nationalité dans les <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000029363621">fonctions de la peine</a>.</p>
<p>De façon assez inédite, est donc clairement assumée l’idée d’un dédoublement de la finalité punitive : réhabilitatrice pour les uns, relégatoire pour les autres. Ainsi s’achève la mue, déjà entamée par un empilement de normes répressives ces dernières décennies, du délinquant étranger – à réinsérer tant bien que mal – en étranger délinquant – à expulser coûte que coûte.</p>
<p>Il est, dans ce contexte, saisissant de relire Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, affirmer en <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/12/cri/2002-2003-extra/20031008.asp">2003</a> à l’Assemblée nationale que :</p>
<blockquote>
<p>« ce n’est pas parce qu’une personne n’a pas la nationalité française […] que ses chances de réinsertion doivent être à jamais compromises et que sa famille doit être punie avec elle. Un même délit doit entraîner une même peine pour tous, ni plus ni moins. »</p>
</blockquote>
<p>Accusé à tort d’avoir aboli la double peine, le ministre n’avait en réalité fait qu’introduire dans la loi de nouvelles catégories d’étrangers pouvant s’en prémunir. Des garanties qui, pourtant pensées pour protéger la vie privée et familiale, sont aujourd’hui menacées jusque dans leur principe même.</p>
<h2>Instrumentalisation du pénal</h2>
<p>Alors qu’existent depuis <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000319514">1981</a> une série de protections (dites « relatives » ou « quasi-absolues ») contre l’arrêté d’expulsion, étendues en <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000322095">1989</a> à l’interdiction judiciaire du territoire français (ITF), la loi actuellement en vigueur prévoit qu’une partie d’entre elles (celles « relatives » en matière d’expulsion) peuvent être écartées lorsque l’étranger a été condamné à une peine de cinq années d’emprisonnement.</p>
<p>Or par une subtilité qui aura échappée au plus grand nombre, le projet de loi non seulement étend cette exception à l’ensemble des protections contre l’arrêté d’expulsion et l’ITF, mais surtout l’applique en cas de condamnation pour une infraction punie de cinq ans d’emprisonnement (ou dix ans pour les protections « quasi-absolues ») ainsi qu’en cas de violences intrafamiliales. Et ce, quel que soit la durée et le type de sanction réellement décidés par le juge au regard des circonstances de l’infraction, de la personnalité de son auteur ainsi que de sa situation matérielle, familiale et sociale.</p>
<p>Cette atteinte à l’<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000029370560">individualisation de la peine</a> est d’autant plus préoccupante que l’écart entre les peines prononcées et celles encourues est massif en matière délictuelle. Selon l’économiste <a href="https://www.dalloz-actualite.fr/interview/qu-est-ce-qui-influence-prononce-des-peines-0">Arnaud Philippe</a> en effet, « les peines prononcées ne représentent en moyenne que 8 % de l’encouru, 4 % si on ne prend que la partie ferme ».</p>
<p>Pour prendre exemple sur l’ex-président de la République susmentionné, la loi autorisait la Cour d’appel de Paris à prononcer une peine de dix ans d’emprisonnement plutôt que celle de <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/05/17/proces-des-ecoutes-nicolas-sarkozy-condamne-en-appel-a-trois-ans-de-prison-dont-un-an-ferme_6173682_3224.html">trois ans, dont un ferme</a>, finalement décidée.</p>
<h2>L’appel d’air de la répression</h2>
<p>Fatalement, ce passage d’un registre des peines prononcées à celui des peines encourues fait également entrer dans le spectre répressif immensément plus de personnes : en 2021, 853 étrangers ont été condamnés à cinq ans de prison (ou plus), mais plus de 30 000 pour une infraction punie d’au moins autant (contre plus de 116 000 Français). Le spectre pourrait s’étendre encore davantage en cas d’abaissement du seuil de l’encouru à trois ans (et cinq ans pour les protections « quasi-absolues »), comme l’avait décidé la commission des lois du Sénat.</p>
<p>Un terrain d’entente doit également être trouvé sur l’extension des délits permettant au juge de prononcer une <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000038313436">ITF</a>. Alors que le gouvernement en ajoutait trois (violences légères à l’encontre du conjoint, violences à l’encontre des forces de l’ordre, vol avec une circonstance aggravante) à une liste déjà longue de plusieurs centaines d’infractions, le Sénat a souhaité inclure tous ceux punis de trois ans ou plus d’emprisonnement. Quelle que soit l’option retenue, est encore exalté le potentiel bannissant de l’infraction et détournée la finalité de la peine.</p>
<h2>Ordre public et arbitraire</h2>
<p>La perte en puissance du pénal semble dans le même temps bénéficier à l’administration, qui verrait sa faculté de mobiliser la « menace pour l’ordre public » à l’appui d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF), ouverte en <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000032164264">2016</a>, encore débridée.</p>
<p>Dénuée de toute définition juridique, cette notion est laissée à la libre appréciation des préfets et présente donc un réel risque d’arbitraire. Des faits de corruption active, par exemple, pourront dans certains cas être considérés comme menaçant l’ordre public, mais pas un vol simple (ou inversement). Si sa validité constitutionnelle tient notamment à la satisfaction théorique d’une double exigence de proportionnalité et de motivation, le Conseil d’État estime pour sa part, de <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000007656164/">longue date</a>, que la « menace pour l’ordre public » ne peut se fonder sur la seule existence d’une condamnation pénale, mais doit prendre en compte la situation actuelle de l’individu dans sa globalité.</p>
<p>Toutefois, le caractère nébuleux de l’ordre public permet au préfet d’invoquer une telle menace de façon à la fois stéréotypée et automatisée à la moindre interaction avec la justice pénale – <a href="https://www.bondyblog.fr/societe/droit-des-etrangers-comment-la-menace-a-lordre-public-est-elle-instrumentalisee/">parfois même en l’absence d’infraction</a>. C’est ainsi qu’un <a href="https://www.dalloz.fr/documentation/Document?id=TA_PARIS_2023-11-03_2310732">ressortissant bangladais</a> à récemment fait l’objet d’une telle qualification suite à une peine d’un mois d’emprisonnement avec sursis pour des faits de vente à la sauvette, et d’une amende de 640€ pour conduite sans permis. Les exemples sont légion.</p>
<h2>L’OQTF détournée de son objet initial</h2>
<p>Néanmoins certains garde-fous limitaient encore un tant soit peu son usage excessif. En 1989, les protections contre l’expulsion furent également étendues à la reconduite à la frontière (<a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/les-pieds-sur-terre/oqtf-1833900">ancêtre de l’OQTF</a>) et ne souffrent depuis d’aucune exception. Ainsi, les parents d’enfants français, les étrangers entrés en France avant 13 ans ou encore ceux gravement malades ne peuvent, <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000043982303">parmi d’autres</a>, jamais faire l’objet d’une OQTF – l’administration devant se retrancher sur l’arrêté d’expulsion si elle parvient à justifier une menace « grave » pour l’ordre public.</p>
<p>Le projet de loi entend désormais faire table rase de l’ensemble de ces protections (à l’exception des mineurs) au profit d’un examen global du droit au séjour de la personne.</p>
<p>Celui-ci serait réalisé lorsque le préfet envisage de prendre une OQTF, et tiendrait inévitablement compte de l’existence d’une menace pour l’ordre public (comme l’impose le <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000042776874">code des étrangers</a> à l’occasion d’une demande de titre de séjour). La commission mixte paritaire pourrait s’accorder sur une mention explicite à une telle menace pour écarter le bénéfice des protections. Quoi qu’il en soit, cet élément reste hautement dommageable en ce qu’il prévaut sur tous les autres : vie privée et familiale en France, situation professionnelle, durée de présence sur le territoire, etc. Et quand bien même le juge administratif restera en charge du contrôle de la légalité de l’OQTF, leur notification – qui a lieu le plus souvent en prison quelques jours avant la libération de l’étranger – continueront à se dérouler dans des conditions <a href="https://oip.org/wp-content/uploads/2017/12/rapport_oqtf_en_detention_dec_2017.pdf">peu compatibles</a> avec le droit au recours effectif, notamment les délais.</p>
<h2>Vers une double peine sans peine ?</h2>
<p>À l’arrivée, ces changements achèveraient la mutation progressive d’une mesure initialement pensée pour acter, dans des cas précis, la situation irrégulière d’un individu et permettre son éloignement, en véritable instrument discrétionnaire de répression.</p>
<p>Le même risque d’arbitraire se retrouve avec les conséquences tirées d’une violation des « principes de la République » qui seraient nouvellement introduits, et dont la qualification juridique des faits échapperait là encore à l’institution judiciaire (laquelle n’est déjà pas exempte de subjectivité).</p>
<p>Demain, l’administration pourra-t-elle, sans autre forme de procès, refuser ou retirer un titre de séjour à une personne qu’elle considère avoir bafoué les « symboles de la République » (et par suite l’expulser) ? Tout porte à le croire. Sur la base de quels critères ? De quel socle de valeurs communes ? Dit autrement, allons-nous vers une double peine sans peine ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/219578/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Julien Fischmeister est membre de la section française de l'Observatoire international des prisons et du Gisti.</span></em></p>Les mesures portant sur la « double peine » inquiètent sur ce qu'elles disent du rapport entre les pouvoirs exécutif et judiciaire, et plus largement du lien entre peine et expulsion.Julien Fischmeister, Doctorant en droit, Université Grenoble-Alpes, Université Libre de Bruxelles (ULB)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2189412023-12-04T16:54:54Z2023-12-04T16:54:54ZProcès Dupond-Moretti : qu’est-ce que l’intention pénale, atout dans la défense du ministre ?<p>Accusé d’avoir <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2023/11/05/proces-dupond-moretti-pourquoi-le-ministre-de-la-justice-est-accuse-de-prises-illegales-d-interets_6198355_4355770.html">abusé de ses fonctions pour prendre sa revanche sur des juges croisés au cours de ses années de plaidoiries</a>, le ministre de la Justice Éric Dupond-Moretti sort de son procès en bénéficiant d’une relaxe, libre. La décision surprend l’opinion, puisque les juges reconnaissent néanmoins que les faits sont établis d’après les premiers propos rapportés à la sortie de l’audience : comment est-ce possible ?</p>
<p>En principe, accepter qu’un délit puisse être commis, sans qu’il ne soit puni, contreviendrait à notre organisation sociale, qui <a href="http://cahiers.kingston.ac.uk/pdf/cpa8.1.althusser.pdf">repose</a> – <a href="https://doi.org/10.7202/038029ar">fictivement</a> – sur le <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k61325137">Contrat social</a> de Rousseau. À gros traits, <a href="https://doi.org/10.3917/huma.294.0048">nous acceptons de renoncer à certaines de nos libertés, avec la garantie de pouvoir profiter de celles qui nous restent</a> :</p>
<blockquote>
<p>« J’accepte qu’il soit interdit de tuer mon voisin parce que sa musique est trop forte, mais en échange, je veux avoir la garantie que je puisse être tranquillement chez moi ! »</p>
</blockquote>
<p>Et pour ce faire, il faut que la <a href="https://theconversation.com/justice-une-confiance-a-restaurer-161596">justice</a> fonctionne, qu’elle vienne réguler la société quand le besoin s’en fait sentir – sanctionner le voisin bruyant, par exemple.</p>
<p>Mais alors, notre justice déraillerait-elle, au point de relaxer une personne qui aurait pourtant commis le délit qui lui est reproché ? Loin de là, et c’est la logique juridique qui nous le démontre.</p>
<p>Sans plonger dans ce qu’il <em>serait</em> bien de faire ou d’interdire, la science du droit doit en principe regarder ce qui <em>est</em> effectivement, en <a href="https://www.cairn.info/les-grands-auteurs-aux-frontieres-du-management--9782376875239-page-281.htm">essayant</a> d’éloigner l’affect et le subjectif, selon la <a href="https://library.oapen.org/bitstream/id/40f462a5-662c-442f-a3fc-10fa272bb78e/external_content.pdf#page=82">théorie du juriste autrichien</a> <a href="https://mafr.fr/media/assets/kelsen.pdf">Hans Kelsen</a>. Disséquons alors les attendus du droit pénal pour condamner ou non, sans nous attarder sur la notion de « justice » <a href="https://www.cairn.info/revue-archives-de-philosophie-2016-3-page-453.htm">qui peut prendre bien des définitions</a> <a href="https://www.cairn.info/revue-interdisciplinaire-d-etudes-juridiques-2016-1-page-5.htm">selon les personnes qui prononcent ce mot</a>.</p>
<p><div data-react-class="InstagramEmbed" data-react-props="{"url":"https://www.instagram.com/p/C0PCW2xIKBk/?hl=fr","accessToken":"127105130696839|b4b75090c9688d81dfd245afe6052f20"}"></div></p>
<h2>Comment définir l’intention ?</h2>
<p>Le Garde des Sceaux est donc <a href="https://www.francetvinfo.fr/politique/eric-dupond-moretti/proces-d-eric-dupond-moretti-le-ministre-de-la-justice-relaxe-en-l-absence-d-element-intentionnel-caracterisant-un-conflit-d-interets_6213504.html">relaxé pour défaut d’intention</a> par la <a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/cour-justice-republique-eric-dupont-moretti">Cour de justice de la République</a> (CJR). Qu’est-ce donc alors que cette intention qui fait défaut ? Malheureusement, c’est là que le bât blesse : <a href="https://www.academia.edu/98109838/Thesis_La_recherche_de_lintention_en_droit_p%C3%A9nal_contemporain_XIXe_XXe_si%C3%A8cles_The_Search_for_Intent_in_Contemporary_Criminal_Law_XIXe_XXe_Centuries_">il n’existe tout simplement pas de définition</a>. Précisons ce point : en ouvrant un dictionnaire, nous pouvons effectivement y trouver ce concept, sans qu’il ne devienne monosémique pour autant. En essayant de l’appliquer concrètement, nous serions bien ennuyés.</p>
<p>Soyons plus pragmatiques et regardons ce que pourrait être l’intention criminelle dans l’un des dictionnaires les plus fameux de la science juridique :</p>
<p>Cette définition semble elle-même convoquer d’autres notions connexes de l’intention, comme la psychologie, la volonté, la résolution intime ou encore l’élément moral, autant de mots qui ne comportent pas d’acception univoque. Cette première analyse peut être confirmée par une <a href="https://voyant-tools.org/?corpus=5acf65acef7314199a47d9ed362fd4a5">rapide étude lexicale</a>, mise en forme par un nuage de mots :</p>
<p>Par ailleurs, toujours selon cette définition, l’intention est requise par la loi pour les crimes et les délits. C’est effectivement vrai depuis l’entrée en vigueur du <em>Nouveau code pénal</em> en 1994 qui, de manière tout aussi claire que lapidaire, dispose que :</p>
<blockquote>
<p>« Il n’y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre. » (<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000006070719/LEGISCTA000006149817">article 121-3</a>)</p>
</blockquote>
<p>Une nouvelle fois, nous comprenons dans les grandes lignes ce que cela signifie : une personne ne peut être reconnue coupable d’un <a href="https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F1157">crime ou d’un délit</a>, que si elle <a href="https://www.village-justice.com/articles/causes-irresponsabilite-attenuation,15841.html">voulait délibérément</a> le commettre. Nous évacuons donc d’emblée les hypothèses de responsabilité qui impliqueraient des personnes avec des troubles mentaux ou de très jeunes enfants : il n’y avait pas de volonté dirigée vers le mal, donc pas d’intention.</p>
<p>Seulement, en y regardant de plus près, nous ne sommes toujours pas plus avancés sur ce que nous devons mettre derrière le vocable « intention », et le <a href="https://www.cairn.info/lecons-de-droit-penal-general--9782340019386-page-109.htm">Code pénal ne s’y aventure pas lui non plus</a>.</p>
<h2>Une entorse au droit pénal ?</h2>
<p>Au cours de nos recherches, qui essayent d’établir le cheminement historique de l’intention aux XIX<sup>e</sup> et XX<sup>e</sup> siècles, nous avons pu constater <a href="https://doi.org/10.35562/cliothemis.178">que cette notion n’était d’ailleurs même jamais définie</a>. Nous l’avons dit, à partir de 1994, la loi impose une intention pour punir ; avant, cette même obligation existait sans texte pour l’exiger formellement. Alors que le droit pénal doit être <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/les-decisions/tables-analytiques?decision=All&years=All&year_one=&year_from=&year_to=&text=%22principe+de+l%C3%A9galit%C3%A9%22">rigoureusement circonscrit</a> pour éviter les dérives, et que les infractions doivent être précises, <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/actualites/communique/decision-n-2012-240-qpc-du-4-mai-2012-communique-de-presse">au risque d’être invalidées</a>, cette intention a su frayer son chemin pour finalement s’imposer. C’est certainement parce qu’elle nous semble logique qu’elle a pu le faire. C’est certainement aussi parce qu’elle nous semble tomber sous le sens, qu’elle n’est pas précisée concrètement.</p>
<p>Cette torsion des grands principes du droit pénal, <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/le-bloc-de-constitutionnalite/declaration-des-droits-de-l-homme-et-du-citoyen-de-1789">garantis par des textes constitutionnels</a> (plus haute protection juridique), permet donc d’en arriver à un tel résultat : des faits sont réalisés, mais l’intention n’est pas prouvée, il est donc impossible de condamner. Peut-être qu’avec des contours précis, ces situations n’arriveraient pas.</p>
<h2>La justice que nous permettent nos lois</h2>
<p>Alors que les controverses risquent de viser la <a href="https://x.com/MathildePanot/status/1729867710136471576">légitimité</a> de la <a href="https://www.vie-publique.fr/eclairage/19542-la-cour-de-justice-de-la-republique-une-institution-contestee">CJR</a>, le <a href="https://www.causeur.fr/relaxe-de-dupond-moretti-on-ne-savait-plus-ou-etait-le-scandale-270751">comportement du ministre Dupond-Moretti</a>, ou autres éléments extrajuridiques, nous pourrions tout simplement dire que nous avons les décisions de justice permises par nos textes, <a href="https://www.senat.fr/rap/1988-1989/i1988_1989_0271_01.pdf#page=61">adoptés sans débats particuliers concernant l’intention</a>.</p>
<p>Pour rationaliser une décision qui pourrait sembler inique, prenons un autre exemple. Jean et Jeanne ont tous les deux un stylo BIC bleu. Jeanne prend un stylo BIC bleu sur la table et s’en va ; Jean s’aperçoit que son stylo a disparu. Peut-on dire que Jeanne est une voleuse ? Tout dépendra de l’intention : si Jeanne a pris le stylo tout en sachant qu’il n’était pas sien, le vol pourrait être retenu. Si Jeanne a pris le stylo, tout en pensant qu’il s’agissait du sien, le vol pourrait être écarté. Dans la seconde hypothèse, nous pourrions alors dire que les faits de vol sont établis – Jeanne a pris le stylo –, mais qu’il n’y a pas d’élément intentionnel – elle n’a pas voulu délibérément mal faire et voler.</p>
<p>Mais comment prouver l’intention de Jeanne ? <a href="https://www.google.fr/books/edition/Intention/_D1xjNXFT8cC?hl=fr&gbpv=1&dq=anscombe+intention">Certaines branches de la philosophie</a> se sont essayées à décrypter et démontrer les intentions, mais rien n’est certain à 100 %. Encore plus récemment, un neurobiologiste est venu relancer une <a href="https://books.openedition.org/editionscnrs/50837">vieille querelle</a> : pouvons-nous réellement exprimer des intentions ? Sa réponse, loin de faire l’unanimité scientifique, est pour le moins tranchée : <a href="https://www.latimes.com/science/story/2023-10-17/stanford-scientist-robert-sapolskys-decades-of-study-led-him-to-conclude-we-dont-have-free-will-determined-book">nous serions des machines dotées d’émotions, guidées par des réactions chimiques du cerveau</a>.</p>
<p>Au milieu de tous ces débats, les <a href="https://theconversation.com/dou-vient-la-souffrance-au-travail-des-magistrats-201699">juges font ce qu’ils peuvent</a> en s’accommodant de textes lacunaires sur le sujet, et <a href="https://theconversation.com/peut-on-detecter-le-mensonge-grace-a-limagerie-medicale-200504">d’études scientifiques</a> encore trop rares et sans consensus. Nous ne pouvons donc raisonnablement pas jeter l’opprobre sur le système judiciaire. En revanche, nous pourrions nous émouvoir de la survivance d’une notion comme l’intention, qui permet des <a href="https://www.cairn.info/revue-les-cahiers-de-la-justice-2015-4.htm">décisions à géométrie variable</a>, en introduisant une très grande part d’inconnue dans la constitution des infractions.</p>
<h2>Juste en droit, mais pas au regard de la société ?</h2>
<p>Pour pouvoir condamner Jeanne dans notre exemple, l’infraction a besoin d’un <a href="https://www.dalloz.fr/documentation/Document?id=DZ%2FOASIS%2F000416">élément matériel</a>, rejoint par un <a href="https://www.dalloz.fr/documentation/Document?id=DZ%2FOASIS%2F000417">élément moral</a> (en simplifiant). L’absence de l’un, ou de l’autre, fait obstacle à ce que l’on puisse punir.</p>
<p>Un élément matériel, décrit en début d’article par <a href="https://www.instagram.com/p/C0PCW2xIKBk/?hl=fr">l’illustration satirique d’Allan Barte</a> comme un « délit […] “établi” », est insuffisant sans intention : il manque la seconde moitié de l’infraction. Vu sous cet angle, le défaut d’intention est loin d’être une broutille ; en forçant le trait, c’est bien elle qui constitue la moitié de l’infraction – et donc de la condamnation.</p>
<p>Néanmoins, ce qui semble se dégager de cette critique satirique, reprise en d’autres termes <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/le-ministre-eric-dupond-moretti-relaxe-dans-son-proces-pour-prise-illegale-d-interet-par-la-cjr-8622025">par la presse</a> ou les <a href="https://x.com/JLafarguette/status/1729942931899830371">citoyens</a> et <a href="https://x.com/nRenardPaname/status/1729920688343912723">citoyennes</a>, c’est l’aspect injuste d’une telle situation : on voit, à partir du dessin, que ces personnes ne peuvent pas croire que le ministre de la Justice n’ait pas été malintentionné. Et c’est bien là le cœur du problème de l’intention : à défaut de preuve irréfutable, de pouvoir lire dans les pensées et obtenir une certitude, nous opposons des croyances à d’autres croyances, <a href="https://esprit.presse.fr/article/michael-foessel/de-la-croyance-au-savoir-et-retour-43234">quittant parfois les rives du savoir</a> – aux frontières poreuses avec la croyance justement. La situation n’est pas marginale, puisqu’elle concerne – presque – tous les crimes et les délits, créant une zone trouble pleine d’incertitudes.</p>
<p>Là, dans la « boîte noire intentionnelle », les différentes parties du procès, des procureurs qui accusent aux avocats qui défendent, vont pouvoir jouer non pas sur la réalité des faits – qui sont souvent démontrés par des preuves solides la plupart du temps –, mais sur le contexte, la personnalité de l’accusé, toutes ces petites choses qui nous permettent de reconstruire une représentation de l’intention. En voici deux exemples, offerts par <a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/s151795026/jacques-verges">Maître Verges</a> (à partir de 52s.) et Maître Dupond-Moretti (à partir de 31m. et 18s.) :</p>
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<p>Il pourrait être urgent alors, au lieu de nous focaliser sur une institution rarement convoquée, la CRJ, de nous pencher sur un concept manié tous les jours dans les tribunaux : l’intention qui fait défaut.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/218941/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alexandre Frambéry-Iacobone ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Comment accepter qu’un délit puisse être commis, sans qu’il ne soit puni ? Plongée dans les arcanes du droit français pour mieux comprendre la notion d’intention pénale.Alexandre Frambéry-Iacobone, Doctor Europeus en droit (mention histoire du droit – label européen) / chercheur post-doctoral, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2162202023-12-03T16:57:27Z2023-12-03T16:57:27ZLe président élu pourrait ne jamais gouverner : la tentative de coup d’État judiciaire au Guatemala provoque une mobilisation jamais-vu<p>La victoire historique de forces progressistes et anticorruption au Guatemala lors des élections présidentielles en août a provoqué une bataille judiciaire et politique d’ampleur inédite, dont l’issue déterminera dans une grande mesure l’avenir de la démocratie dans ce pays. </p>
<p>Bernardo Arévalo et Karina Herrera, le binôme présidentiel du parti Semilla, ont créé la surprise lors du premier tour des élections générales, le 25 juin, puis lors de leur victoire en août. Mais Arévalo pourrait ne pas réussir à devenir officiellement président, en janvier, si les tentatives d’entrave se poursuivent.</p>
<p>En effet, <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2016383/guatemala-bernardo-arevalo-president-corruption">trois fonctionnaires, qui se trouvent sur une liste d’acteurs corrompus et antidémocratiques dressée par le département d’État américain, complotent pour voler son élection</a>. C’est du moins ce qu’en concluent les Guatémaltèques, qui manifestent leur colère depuis des semaines en manifestant partout au pays.</p>
<p>Candidate au doctorat en science politique à l’Université de Montréal, je travaille, dans le cadre de ma thèse, sur les usages des droits humains par les acteurs politiques guatémaltèques.</p>
<h2>Le pacte des corrompus</h2>
<p>Quel a été le déroulé des évènements dans ce pays d’Amérique centrale de 17 millions d’habitants, ayant connu la démocratie seulement lors d’une courte période de 1944 à 1954, puis plus récemment, depuis 1985 ?</p>
<p>Dès les jours suivant le premier tour de juin, une coalition de partis perdants tentait de faire invalider les résultats au moyen de divers recours légaux et administratifs. Cette initiative était soutenue officieusement par l’actuel président depuis 2020, Alejandro Giammattei, et ses alliés, placés à des postes clés de l’État, en particulier au sein du système judiciaire. </p>
<p>Ceux qu’on appelle le <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/07/14/au-guatemala-les-interferences-du-pacte-des-corrompus-dans-l-election-presidentielle_6181991_3210.html">« pacte des corrompus »</a> est ainsi une une alliance informelle d’élites économiques et politiques conservatrices, liées au crime organisé, impliquées dans de nombreuses affaires de corruption et toutes relativement proche du gouvernement sortant.</p>
<p>Tous voient d’un très mauvais œil l’investiture de Bernardo Arévalo, dont le parti propose un programme anticorruption. Le trio de fonctionnaires à la tête de la contestation actuelle est composé de la procureure générale Consuelo Porras, du procureur du bureau spécial contre l’impunité (FECI) Rafael Curruchiche et du juge Fredy Orellana. </p>
<p>Le processus électoral précédant le premier tour avait été entaché d’irrégularités. En particulier, plusieurs candidats et candidates s’étaient vus interdire de participer, sous des prétextes souvent douteux. Le parti Semilla n’étant pas alors pris au sérieux, il avait pu se présenter. Aucun observateur n’avait par ailleurs relevé de fraude au moment du scrutin lui-même, ou de manquements pouvant amener à remettre en question les résultats. </p>
<p>Puis le 20 août, malgré une faible participation (44 %), la victoire de Sémilla a été écrasante, remportant 70 % des suffrages exprimés contre 30 % pour l’UNE de Sandra Torres. Cette dernière est connue par ailleurs pour ses pratiques clientélistes et ses liens avec différents membres du « pacte des corrompus ».</p>
<h2>Les résultats électoraux attaqués</h2>
<p>Comme l’avaient déjà illustré les attaques durant l’entre deux tours, ceux et celles dont les intérêts sont particulièrement menacés par le programme d’Arévalo n’ont pas accepté un tel dénouement. Les offensives administratives et légales se sont donc multipliées. Elles tentent d’un côté de faire invalider le parti Semilla lui-même et de l’autre, de poursuivre en justice, pour des motifs fallacieux, certaines personnalités centrales du mouvement. </p>
<p>Les ripostes de la part du parti et de ses soutiens ont été immédiates, mais le manque de transparence et d’indépendance du système judiciaire rend ces stratégies peu efficaces pour les vainqueurs de l’élection. </p>
<p>Le principal espoir résidait dans la possibilité que le Tribunal Suprême Electoral (TSE) considère le processus électoral encore en cours jusqu’à l’investiture d’Arévalo, prévue pour le 14 janvier. </p>
<p>Mais le 30 octobre, le TSE a finalement tranché et a déclaré la période électorale terminée, entérinant la suspension de Semilla. Une nouvelle offensive, le 16 novembre a vu <a href="https://www.bnnbloomberg.ca/guatemala-prosecutors-seek-to-revoke-president-elect-s-immunity-1.1999669">l’émission de 27 mandats d’arrêt afin de placer en détention provisoire plusieurs personnalités liées à Semilla et à l’opposition, et tente de faire révoquer l’immunité d’Arévalo</a>.</p>
<h2>Des manifestations d’une ampleur inédite</h2>
<p>En réaction aux manœuvres du « pacte des corrompus », et dans un contexte de nette régression démocratique depuis plusieurs années, les Guatémaltèques sont descendus dans les rues, à travers des <a href="https://www.liberation.fr/international/amerique/le-guatemala-se-mobilise-pour-defendre-son-futur-president-20231025_7NKB7NUO35CYDKPEPYPPEZJNVA/">mobilisations à la portée immense</a>, au sein d’un mouvement populaire absolument inédit. </p>
<p>Le mot d’ordre est avant tout la démission de Consuelo Porras et de Rafael Curruchiche, et au-delà, du président Giammattei. Ceux-ci constituent en effet les clés de voûte de l’offensive du pouvoir en place contre Semilla, et plus généralement, de cette tentative de coup d’État judiciaire.</p>
<p>Ces mobilisations, loin d’être les seules de ces dernières années, ont toutefois été inédites par leur durée. On a assisté à plus d’un mois de blocage et plus de 15 jours de mise à l’arrêt quasi totale du pays – interrompue par des négociations avec le gouvernement. </p>
<p>Elles l’ont été aussi par leur ampleur. Elles réunissent des dizaines de milliers de personnes, réparties dans tout le pays. Habituellement, ce sont les manifestations au sein de la capitale qui sont les plus médiatisées. Ici, grâce aux réseaux sociaux notamment, de nombreux autres lieux de protestation de l’intérieur du pays ont été placés au centre de l’attention. </p>
<p>Elles l’ont été également par leur inventivité. Certes, les manifestations sont traditionnellement des espaces d’expressions artistiques, mais ici la danse, les chants, voire le yoga, ont pris une place exceptionnelle. </p>
<p>Dernier aspect fondamental de ces événements : le soutien immense que les organisations de peuples autochtones ont démontré à l’égard de la défense du processus électoral. Si ces groupes sont traditionnellement très actifs politiquement, leurs revendications d’ampleur nationale et leur engagement aux côtés d’autres secteurs politiques montrent qu’il s’agit d’un moment crucial pour la politique guatémaltèque.</p>
<h2>Un tournant pour le Guatemala ?</h2>
<p>L’analyse des derniers développements me permet donc de dresser deux constats :</p>
<p>1) Le succès d’Arévalo a montré que les aspirations à une solide démocratie demeuraient largement partagées. Les citoyennes et citoyens expriment aujourd’hui un souhait de transformation profonde, en particulier en termes de transparence et de justice sociale. Ces projets sont, de surcroît, soutenus par des acteurs traditionnellement conservateurs (comme c’est notamment le cas des jeunes entrepreneurs).</p>
<p>2) L’issue de ces évènements a le potentiel de créer un précédent important, en montrant la mesure dans laquelle il est possible (ou non) de freiner, voire de renverser un processus de fermeture autoritaire et d’érosion démocratique qui semblait bien en marche. Les acteurs prodémocratiques disposent encore d’une marge de manœuvre pour tenter de faire avancer leurs revendications. </p>
<p>Les prochains mois et les prochaines années nous montreront si les événements en cours sont les points de départ de véritables changements de paradigmes, ou de simples soubresauts dans la trajectoire historique et politique du Guatemala.</p>
<p>En effet, malgré tout l’espoir dont ces évènements sont porteurs, les défis restent immenses. Si le président Arévalo parvient à être investi, son parti ne gouvernera qu’avec une minorité au sein du Congrès. Par ailleurs, il faut prendre en compte les conditions structurelles du Guatemala, produits d’une trajectoire historique mouvementée (un <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2012/07/12/au-guatemala-les-plaies-a-vif-de-la-guerre-civile_1732841_3210.html">conflit armé interne de 1960 à 1996</a>, de très fortes inégalités, une violence endémique, le manque de capacité de l’État, un racisme systémique envers les peuples autochtones, une forte dépendance économique). Ce sont des éléments qui, malgré toute la bonne volonté politique du monde, prendront des décennies à être transformés.</p>
<p>La communauté internationale aura-t-elle un rôle à jouer ? Comme on peut le lire dans cette <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/10/08/l-europe-et-la-france-doivent-faire-pression-sur-le-gouvernement-sortant-du-guatemala-afin-qu-il-respecte-l-expression-de-la-volonte-populaire_6193137_3232.html">tribune du journal français <em>Le Monde</em></a>, signée par plus de 80 intellectuels, politiques et magistrats francophones, la communauté internationale doit exercer toute la capacité de pression possible sur le gouvernement sortant afin qu’il respecte l’expression de la volonté populaire.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/216220/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Garance Robert est membre de l'ODPC, de l'ÉRIGAL et de la Chaire du recherche du Canada Participation et Citoyenneté-s.</span></em></p>La victoire des forces progressistes au Guatemala lors des dernières élections a provoqué une bataille judiciaire et politique, dont l’issue déterminera l’avenir de la démocratie dans ce pays.Garance Robert, Candidate au doctorat en science politique, Université de MontréalLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2157432023-11-15T21:14:34Z2023-11-15T21:14:34ZViolence conjugale : pourquoi la notion de « contrôle coercitif » pourrait produire plus de justice<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/555247/original/file-20231023-19-44di7g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C12%2C2800%2C1982&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La création d'une infraction de contrôle coercitif en France pourrait être une avancée significative pour l'égalité femme-homme. Cette nouvelle législation pourrait contribuer à la protection de 213 000 femmes dont 82% de mères et de leurs 398 310 enfants covictimes de violences conjugales.</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nd/4.0/">CC BY-ND</a></span></figcaption></figure><p>Cette dernière décennie, des <a href="https://www.vie-publique.fr/rapport/289498-lutte-contre-les-violences-intrafamiliales-rapport-chandler-verien">législateurs</a>, des <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/10/05/violences-sexistes-et-sexuelles-le-faible-nombre-de-condamnations-incite-a-trouver-de-nouvelles-facons-de-travailler_6144436_3232.html">magistrats</a>, des <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/05/03/le-controle-coercitif-une-notion-plus-precise-pour-lutter-contre-les-feminicides_6171846_3224.html">ministres</a>, des <a href="https://www.labase-lextenso.fr/gazette-du-palais/GPL452d8">avocats</a>, des <a href="https://www.gendarmerie.interieur.gouv.fr/cegn/actus/colloque-la-detection-des-violences-au-sein-du-couple">forces de l’ordre</a> et des <a href="https://www.womenforwomenfrance.org/fr/a-propos-de-nous/actualites/le-controle-coercitif-un-concept-essentiel-dans-les-violences-conjugales">associations</a> de nombreux pays ont reconnu l’échec des approches de la violence conjugale qui la définissaient à partir d’« actes » épisodiques.</p>
<p>Un nombre croissant de pays a donc adopté le modèle du contrôle coercitif pour redéfinir la violence conjugale comme atteinte aux droits et aux ressources plutôt qu’agression. En d’autres termes, reconnaître qu’il s’agit <a href="https://www.womenforwomenfrance.org/fr/a-propos-de-nous/actualites/le-controle-coercitif-un-concept-essentiel-dans-les-violences-conjugales">d’actes délibérés ou d’un schéma comportemental</a> de contrôle d’une personne par une autre.</p>
<h2>Vers une inscription législative ?</h2>
<p>Ainsi en 2021, la <a href="https://hudoc.echr.coe.int/fre#%7B%22itemid%22:%5B%22001-213869%22%5D%7D">Cour européenne des droits de l’homme</a> a affirmé que la définition juridique de la violence conjugale doit inclure « les manifestations de comportement de contrôle et de coercition » et que cette modification du cadre juridique et réglementaire doit avoir lieu « sans tarder ».</p>
<p>En 2023, s’appuyant sur des entretiens avec plusieurs centaines de professionnels, victimes, associations et universitaires français, le <a href="https://medias.vie-publique.fr/data_storage_s3/rapport/pdf/289498.pdf">Plan rouge VIF</a> de la mission parlementaire Chandler-Vérien chargée par la Première ministre Elisabeth Borne d’améliorer le traitement judiciaire des violences conjugales a proposé en priorité la traduction du contrôle coercitif dans la loi et sa mise au cœur des futures campagnes d’information et de la formation des professionnels.</p>
<p>Bérangère Couillard, la ministre chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, a elle aussi affiché <a href="https://twitter.com/BCouillard33/status/1705252762450079761">son intérêt</a> pour cette appréhension de la violence conjugale. Sa prédécesseuse Isabelle Rome, magistrate, avait déjà défendu la création d’une <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/05/03/le-controle-coercitif-une-notion-plus-precise-pour-lutter-contre-les-feminicides_6171846_3224.html">infraction</a> spécifique. En effet, une infraction de contrôle coercitif en France pourrait être une avancée significative pour l’égalité femme-homme. Cette nouvelle législation pourrait contribuer à la protection de <a href="https://arretonslesviolences.gouv.fr/sites/default/files/2020-11/Lettre%20n%C2%B016%20-%20Les%20violences%20au%20sein%20du%20couple%20et%20les%20violences%20sexuelles%20en%202019.pdf">213 000 femmes</a>, dont <a href="https://www.ihemi.fr/sites/default/files/publications/files/2019-12/flash_21_violences_au_sein_du_couple_.pdf">82 % de mères</a>, et de leurs <a href="https://www.haut-conseil-egalite.gouv.fr/IMG/pdf/hce_-_tableau_de_bord_d_indicateurs_-_politique_de_lutte_contre_les_violences_conjugales.pdf">398 310 enfants</a> covictimes de violence conjugale, empêcher le meurtre et le <a href="https://arretonslesviolences.gouv.fr/sites/default/files/2021-12/Lettre%20n%C2%B017%20-%20Les%20violences%20au%20sein%20du%20couple%20et%20les%20violences%20sexuelles%20en%202020.pdf">suicide</a> de centaines de partenaires, d’ex-partenaires et d’enfants chaque année.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Ilustration d’une mère protège son enfant de l’ombre d’une main qui les menace." src="https://images.theconversation.com/files/555244/original/file-20231023-21-gnspmo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/555244/original/file-20231023-21-gnspmo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=480&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/555244/original/file-20231023-21-gnspmo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=480&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/555244/original/file-20231023-21-gnspmo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=480&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/555244/original/file-20231023-21-gnspmo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=603&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/555244/original/file-20231023-21-gnspmo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=603&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/555244/original/file-20231023-21-gnspmo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=603&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Shutterstock.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Le contrôle coercitif atteint de nombreux droits, à commencer par le droit à l’autonomie, à la dignité et à l’autodétermination.</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<h2>Un crime de liberté</h2>
<p>Le contrôle coercitif a été qualifié de <a href="https://global.oup.com/academic/product/coercive-control-9780195384048">« crime de liberté »</a> par Evan Stark car il piège les victimes et produit une captivité analogue à la prise d’otage dans la vie privée. Il atteint de nombreux droits, à commencer par le droit à l’autonomie, à la dignité et à l’autodétermination.</p>
<p>La responsabilité des auteurs doit être exigée. À moins que ses éléments constitutifs ne soient envisagés comme un seul comportement malveillant et qui devra être arrêté, ce schéma de violence et d’exploitation peut se poursuivre pendant des années en passant sous le radar des tiers, qu’il s’agisse d’entourage de la victime ou de professionnels.</p>
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<p>La situation française décrite dans le livre <a href="https://www.dunod.com/sciences-humaines-et-sociales/controle-coercitif-au-coeur-violence-conjugale"><em>Le Contrôle coercitif : au cœur de la violence conjugale</em></a> (2023) permet de dresser les constats suivants : l’incrimination actuelle de la violence conjugale échoue à condamner et responsabiliser les auteurs, ainsi qu’à protéger les victimes, principalement des femmes et des enfants ; l’absence de contrôle social et de sanction juridique favorise l’aggravation et la récidive ; la situation des victimes ressemble plus à une captivité qu’à une agression.</p>
<h2>Un « véritable système d’impunité »</h2>
<p>Le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes a d’ailleurs qualifié le taux de condamnation des auteurs de violence conjugale de <a href="https://www.haut-conseil-egalite.gouv.fr/IMG/pdf/hce_-_indicateurs_violences_conjugales_-_2019-2.pdf">« véritable système d’impunité »</a>. L’écart entre les infractions sanctionnées et la réalité de la violence telle qu’elle est <a href="https://www.ciivise.fr/wp-content/uploads/2021/10/Avis-meres-en-lutte.pdf">vécue par les victimes</a> peut <a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/181119/justice-la-perte-de-confiance">éroder leur confiance dans la justice</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/justice-une-confiance-a-restaurer-161596">Justice : une confiance à restaurer</a>
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<p>L’absence de responsabilisation des auteurs se reflète aussi dans l’augmentation des homicides conjugaux pour la deuxième année consécutive. En 2022, <a href="https://mobile.interieur.gouv.fr/Publications/Securite-interieure/Etude-nationale-sur-les-morts-violentes-au-sein-du-couple-pour-l-annee-2022">118 femmes, 29 hommes et 12 enfants ont été tués</a>. En 2021, <a href="https://www.interieur.gouv.fr/actualites/actualites-du-ministere/etude-nationale-sur-morts-violentes-au-sein-du-couple-2021">121 féminicides</a> ont été officiellement recensés, un état de la situation encore plus alarmant si l’on ajoute les <a href="https://arretonslesviolences.gouv.fr/sites/default/files/2022-11/Lettre%20n%C2%B018%20-%20Les%20violences%20au%20sein%20du%20couple%20et%20les%20violences%20sexuelles%20en%202021.pdf">684 femmes ayant tenté de se suicider</a> ou s’étant suicidées suite au « harcèlement » de leur (ex-) partenaire. Cet échec, qui a lieu malgré les <a href="https://www.ccomptes.fr/fr/publications/la-politique-degalite-entre-les-femmes-et-les-hommes-menee-par-letat">efforts déployés</a>, met en exergue le lien entre l’inefficacité de l’appréhension actuelle de la violence conjugale et sa focale sur des actes qui sont des mauvais marqueurs de ses formes les plus dangereuses.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/Ujk27hrL1JY?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Isabelle Lonvis-Rome, ancienne ministre déléguée chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, souhaite que la notion de « contrôle coercitif », qui recoupe les comportements de prédation déployés par un homme pour assujettir sa conjointe, soit mieux prise en compte par la justice. Public Sénat.</span></figcaption>
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<p>La <a href="https://www.researchgate.net/profile/Andreea-Gruev-Vintila/publication/360756577_Violences_au_sein_du_couple_pour_une_consecration_penale_du_controle_coercitif/links/6289e95c6e41e5002d3a6107/Violences-au-sein-du-couple-pour-une-consecration-penale-du-controle-coercitif.pdf">situation en France</a> n’est pas unique. Lorsque la ministre britannique de l’Intérieur a découvert en 2014 que l’Angleterre dépensait davantage pour la lutte contre la violence conjugale que pour la défense nationale, cependant que ni les homicides conjugaux ni les plaintes pour violence conjugale n’avaient diminué, elle a appelé à une <a href="https://www.gov.uk/government/news/government-to-create-new-domestic-abuse-offence">approche entièrement nouvelle</a> et adopté le <em>contrôle coercitif</em> pour remplacer les quatorze incriminations utilisées jusqu’alors. En réponse à un dilemme similaire, en 2018, le parlement écossais a adopté à l’unanimité le <a href="https://www.legislation.gov.uk/asp/2018/5/contents/enacted">Domestic Abuse (Scotland) Act</a>, un crime construit autour d’éléments de contrôle coercitif et passible d’une peine maximale de 14 ans de prison, comme l’homicide.</p>
<h2>Surveillance, isolement, intimidation, contrôle</h2>
<p>Depuis la publication du livre <a href="https://global.oup.com/academic/product/coercive-control-9780195384048"><em>Coercive Control. How Men Entrap Women in Personal Life</em></a> en 2007 par l’un de nous, plus de 1 000 monographies et d’innombrables témoignages de personnes victimes survivantes soutiennent l’idée selon laquelle c’est le contrôle coercitif, et non la violence physique, qui devrait être le principal objectif de l’intervention de l’État dans les cas de violence conjugale, y compris pour l’arrestation et la poursuite des auteurs, l’aide aux victimes, la protection des enfants et des politiques coordonnées.</p>
<p>Le livre <em>Coercive Control</em> montre que 75 % des incidents de violence domestique qui mènent à des arrestations sont des agressions répétées, presque toujours commises dans le contexte d’autres comportements qui vont des agressions sexuelles au harcèlement, surveillance/<em>stalking</em>, menaces et autres tactiques pour intimider les victimes, les isoler et les contrôler en prenant leur argent, les privant de ressources, en micro-régulant leurs vies et celles de leurs enfants.</p>
<p>Dans la plupart des cas de contrôle coercitif, la violence et/ou les agressions sexuelles s’inscrivent dans un contexte d’intimidation, d’isolement et de contrôle. La surveillance commence à la maison et s’étend sur toutes les activités des victimes, y compris le travail, implique les enfants et d’autres membres de la famille et même des professionnels qui deviennent espions, informateurs ou victimes.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/555261/original/file-20231023-25-p29st0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Illustration -- monstre mâle hurlant sur une femme et un enfant." src="https://images.theconversation.com/files/555261/original/file-20231023-25-p29st0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/555261/original/file-20231023-25-p29st0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=711&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/555261/original/file-20231023-25-p29st0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=711&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/555261/original/file-20231023-25-p29st0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=711&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/555261/original/file-20231023-25-p29st0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=894&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/555261/original/file-20231023-25-p29st0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=894&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/555261/original/file-20231023-25-p29st0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=894&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Le contrôle coercitif des femmes par les hommes est la cause et le contexte le plus important des violences envers les enfants et des homicides d’enfants hors zone de guerre.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>Si la partenaire adulte est généralement la cible principale du contrôle coercitif, un délinquant qui cherche à monopoliser les ressources et les privilèges disponibles dans l’espace familial peut cibler toute personne qui lui fait obstacle, y compris les enfants, mais aussi les professionnels des forces de l’ordre, de la justice et des services sociaux. <a href="https://www.legislation.gov.uk/asp/2018/5/contents/enacted">L’inclusion par l’Écosse de la « maltraitance des enfants »</a> parmi les éléments du crime de contrôle coercitif montre à quel point il est facile pour la police et les magistrats de passer à côté de la fréquence à laquelle des enfants de tous âges sont enrôlés comme complices ou transformés en victimes adjacentes par des auteurs de contrôle coercitif qui n’ont aucune animosité envers leurs enfants, mais veulent simplement les utiliser pour blesser ou contrôler leurs mères.</p>
<p>Ces tactiques produisent sur les victimes adultes et leurs <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1162908823000373">enfants</a> des effets qui vont de la peur paralysante, la subordination, la dépendance psychologique, l’appauvrissement, le <a href="https://global.oup.com/academic/product/coercive-control-in-childrens-and-mothers-lives-9780190922214">sabotage du lien mère-enfant</a>, à la mort à petit feu, aux idées suicidaires, aux tentatives de suicide, ou la mort.</p>
<h2>Et les enfants ?</h2>
<p>Le contrôle coercitif des femmes par les hommes est la cause et le contexte le plus important des <a href="https://global.oup.com/academic/product/the-coercive-control-of-children-9780197587096">violences envers les enfants et des homicides d’enfants hors zone de guerre</a>. Cela survient souvent après une séparation, dans le contexte de procédures judiciaires relatives à la résidence de l’enfant et aux droits parentaux ou pendant les droits de visite, quand l’agresseur sent que la seule façon de punir sa partenaire est de <a href="https://global.oup.com/academic/product/coercive-control-in-childrens-and-mothers-lives-9780190922214">saboter sa relation avec l’enfant</a>, blesser ou tuer les enfants, comme nous l’avons tragiquement vécu cette année avec <a href="https://www.leparisien.fr/hauts-de-seine-92/courbevoie-92400/infanticide-dans-les-hauts-de-seine-une-petite-fille-de-3-ans-succombe-a-ses-blessures-12-05-2023-UDIZS7ZYLBCS7JN2V5MVUN4JEE.php">l’homicide de la petite Chloé, 5 ans, par son père</a> dont la mère avait demandé le divorce et contre lequel elle avait obtenu une ordonnance de protection.</p>
<p>L’enfant est <a href="https://journals.sagepub.com/doi/pdf/10.1177/09646639221089252">victime adjacente</a> dans ces cas dont le risque n’est déchiffrable qu’à l’aune du contrôle coercitif sur la mère. L’importance d’étendre aux enfants la protection dans une loi sur le contrôle coercitif a été soulignée par une <a href="https://www.researchgate.net/publication/366393524_Contribution_au_Rapport_UNSRVAW_violence_a_l%27egard_des_femmes_et_des_enfants_dans_les_affaires_concernant_la_residence_des_enfants_les_droits_de_visite_l%27autorite_parentale_-_France">contribution française</a> à un <a href="https://undocs.org/Home/Mobile">rapport de l’ONU</a> sur la violence faite aux femmes et aux filles, et par une <a href="https://www.dalloz-actualite.fr/node/comment-mieux-lutter-contre-feminicides-libres-propos-sur-controle-coercitif">proposition d’inclure le contrôle coercitif dans le code civil</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/215743/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>La notion de « contrôle coercitif » permet de définir la violence conjugale comme atteinte aux droits humains et aux ressources plutôt qu’agression.Evan Stark, Professeur émérite, sociologue, Rutgers UniversityAndreea Gruev-Vintila, Maîtresse de conférences HDR en psychologie sociale, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2167552023-11-07T17:26:22Z2023-11-07T17:26:22ZPourquoi il est nécessaire de distinguer violence de genre et violence intrafamiliale<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/557723/original/file-20231106-15-7ns1kf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C6%2C4493%2C3711&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Contrairement à l’Espagne, ou à la Belgique, les violences de genre, c'est-à-dire prenant en compte l'asymétrie des situations des femmes et des hommes dans le processus des violences, ne sont pas reconnues en tant que telle en France.</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Les manifestations à l’occasion de la <a href="https://www.culture.gouv.fr/Actualites/Journee-internationale-de-lutte-contre-les-violences-faites-aux-femmes">journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes</a> le 25 novembre sont l’occasion, notamment pour les associations, de dénoncer l’insuffisance des mesures prises par l’État pour lutter contre les féminicides. Les mesures adoptées lors du <a href="https://www.egalite-femmes-hommes.gouv.fr/sites/efh/files/2022-09/dossier-de-presse-septembre-2022-grenelle-des-violences-conjugales-trois-ans-d-action-et-d-engagement-du-gouvernement.pdf">Grenelle sur les violences conjugales</a> de 2019 sont venues compléter les dispositifs existants d’accueil et de protection des victimes. Pour autant, le nombre de féminicides diminue peu, encore 118 en 2022 selon le <a href="https://www.interieur.gouv.fr/sites/minint/files/medias/documents/2023-09/DAV-RA_morts_violentes-2023_08_10.pdf">ministère de l’Intérieur</a>.</p>
<p>Comment expliquer le manque apparent d’efficacité des politiques mises en œuvre ? <a href="https://www.cairn.info/revue-nouvelles-questions-feministes-2013-1-page-96.htm">La dimension systémique des violences</a>, conséquence des inégalités structurelles femmes/hommes, est peu prise en compte, au profit d’une approche reposant principalement sur des comportements individuels dysfonctionnels, laquelle est favorisée par l’assimilation des violences conjugales aux violences intrafamiliales (VIF) incluant parents et enfants et présupposant qu’il s’agit des mêmes ressorts de violence. Pour comprendre les manques des politiques de luttes contre les violences faites aux femmes, j’ai analysé les débats parlementaires des différentes lois adoptées depuis plus d’une dizaine d’années et réalisé 30 entretiens avec des acteurs et actrices nationaux et territoriaux de cette politique.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-proteger-les-enfants-exposes-a-des-images-de-guerre-violentes-216943">Comment protéger les enfants exposés à des images de guerre violentes ?</a>
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<h2>Un millefeuille juridique plutôt qu’une loi-cadre</h2>
<p>Contrairement à <a href="https://sosvics.eintegra.es/Documentacion/00-Genericos/00-04-Legislacion/00-04-047-FR.pdf">l’Espagne</a> depuis 2004, ou à la <a href="https://sarahschlitz.be/adoption-de-la-loi-stopfeminicide-la-belgique-premier-pays-europeen-a-se-doter-dune-loi-globale-contre-les-feminicides/">Belgique</a> cette année, les violences de genre, c’est-à-dire prenant en compte l’asymétrie des situations des femmes et des hommes dans le processus des violences, ne sont pas reconnues en tant que telle en France. Il n’existe pas de loi-cadre basée sur une approche multidisciplinaire de la prévention et du traitement des violences.</p>
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<p>Les arguments opposés à une loi-cadre reposent sur l’organisation judiciaire et la nécessité d’améliorer l’application des lois déjà existantes. En France, le choix a été celui <a href="https://www.cairn.info/revue-nouvelles-questions-feministes-2023-1-page-101.htm">du millefeuille juridique</a>, chaque nouvelle loi ayant pour ambition d’améliorer les dispositifs mis en place par la précédente.</p>
<p>Trois problèmes se posent. Le premier est l’absence de principes généraux dans les exposés des motifs (préambule aux lois) qui reposent sur l’énoncé des chiffres, leur ampleur justifiant l’action publique. Ils n’analysent ni les processus des violences ni ne parlent d’inégalités entre les femmes et les hommes. Au cours des débats il est toutefois question de la « spécificité des violences conjugales », laquelle est ramenée au phénomène de l’emprise, reconnu depuis la <a href="https://www.senat.fr/seances/s202006/s20200609/s20200609001.html#section15">loi du 30 juillet 2020</a> et qui « permet de comprendre le silence des victimes et leur comportement craintif, qui fait croire à tort à une acceptation de leur sort ». Cette spécificité repose ainsi sur une <a href="https://www.cairn.info/revue-cahiers-du-genre-2019-1-page-51.htm">approche psychologisante</a> de rapports interpersonnels négligeant ainsi le contexte social et culturel qui a pu favoriser ces violences (image des femmes, construction de la masculinité, etc.).</p>
<p>Le deuxième est que ces lois s’inscrivent dans le cadre de la lutte contre la délinquance d’où l’accent mis sur la sanction et la protection des victimes mais la prévention sociale (agir sur l’environnement social) n’est que peu abordée.</p>
<p>La troisième, conséquence des deux précédents, est que les violences conjugales sont assimilées aux violences intrafamiliales, ce qui laisse à penser qu’elles relèvent des mêmes processus et dispositifs. Ainsi, la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000022454032/">loi du 9 juillet 2010</a> relative aux violences spécifiquement faites aux femmes, s’est vue rajouter les violences au sein des couples et l’incidence de ces dernières sur les enfants, fruit d’une fusion avec une proposition de loi du Sénat. Plus récemment, la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000039684243">loi du 28 décembre 2019</a> visant à agir contre les violences au sein de la famille était, au moment du dépôt, une proposition de loi contre les violences faites aux femmes avant que le Sénat ne change son titre.</p>
<h2>Les femmes avec les enfants</h2>
<p>Dans le cadre juridique actuel, les violences conjugales s’articulent avec les violences intrafamiliales et ce sont donc les professionnels chargés de la protection de l’enfance qui gèrent les cas. Par exemple, c’est le juge aux affaires familiales qui délivre les ordonnances de protection, dispositif central de la lutte contre ces violences visant à interdire à l’auteur d’être en contact avec les victimes. Les caisses d’allocations familiales sont devenues partie prenante de la politique de lutte contre les violences conjugales avec le <a href="https://www.egalite-femmes-hommes.gouv.fr/lancement-du-pack-nouveau-depart-dans-le-premier-territoire-pilote">dispositif Nouveau départ</a>, un accompagnement global sans multiplier les interlocuteurs avec un pack pour faciliter le départ du domicile (jouets, vêtements pour les enfants, protection périodique, etc.).</p>
<p>Dans la police, les groupes « VIF » sont la plupart du temps intégrés dans la même unité que la brigade des mineurs. Certes, forces de l’ordre et magistrats reçoivent des formations devenues obligatoires depuis la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000029330832">loi du 4 août 2014</a> pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes et qui se sont devenues plus fréquentes depuis le Grenelle. Néanmoins, les modules sur les violences conjugales sont intégrés le plus souvent dans des modules plus généraux sur les VIF et les violences sur mineurs.</p>
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<figcaption><span class="caption">Violence basée sur le genre : que faire ?</span></figcaption>
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<p><a href="https://www.aniscg.org/">Le nombre d’intervenants sociaux en commissariats et gendarmeries</a> (ISCG) ne cesse d’augmenter depuis une dizaine d’années (450 en 2023) afin d’améliorer l’accueil des victimes. La majorité sont des assistants sociaux, des éducateurs spécialisés ou des conseillers en économie sociale et familiale. Comme nous l’explique un enquêteur en brigade de protection de la famille, l’ISCG sert également à l’évaluation des risques encourus par les enfants : « leur évaluation de la situation prend en compte le risque que fait courir la mère à ses enfants et peut entraîner un placement ». Ainsi, de victimes du point de vue du couple, les femmes peuvent devenir coupables du point de vue de la protection de l’enfance.</p>
<h2>Violences de genre <em>versus</em> parentalité</h2>
<p>Lors des discussions sur la création de l’ordonnance de protection, qui permet des mesures d’éloignement de l’auteur des faits de la victime, par la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000022454032/">loi du 9 juillet 2010</a>, celle-ci a été confiée au juge aux affaires familiales alors que la proposition de loi envisageait le juge délégué aux victimes. Pour les sociologues <a href="https://www.cairn.info/revue-droit-et-societe-2018-2-page-305.htm">Solenne Jouanneau et Anna Matteoli</a> ce choix met en lumière la crainte du législateur d’une instrumentalisation par les femmes de droits difficiles à obtenir par ces dernières dans les procédures classiques sur l’autorité parentale, le droit de visite, etc.</p>
<p>Outre la complexité de confier à un juge civil une mesure pénale, la lente et difficile mise en œuvre de cette ordonnance, qui reste peu utilisée, s’explique aussi par ce rattachement au droit de la famille. De même, la remise en cause de l’autorité parentale des pères en cas de violences conjugales continue de faire l’objet de discussions animées au <a href="https://www.senat.fr/seances/s201911/s20191106/s20191106_mono.html">Parlement</a>.</p>
<p>Rappelons que selon <a href="https://virage.site.ined.fr/fichier/s_rubrique/29712/plaquette.result.virage.2020_violences12mois.fr.pdf">l’enquête Virage</a> réalisé par l’Ined (Institut national d’études démographiques), 16 % des femmes séparées déclarent des violences multiformes de leur ex-conjoint et que nombre de féminicides sont le fait d’ex-conjoints.</p>
<h2>La question de l’autorité parentale</h2>
<p>Dès la loi de 2010, une brèche avait tenté d’être ouverte mais sans succès. L’amendement avait été supprimé parce qu’il remettait en cause les principes de coparentalité, père et mère devant contribuer à l’éducation de l’enfant. Si aujourd’hui <a href="https://www.cairn.info/revue-l-ecole-des-parents-2023-2-page-56.htm">l’idée qu’un conjoint violent ne peut pas être un bon père</a> ne fait plus autant débat qu’en 2010 en raison de l’impact des violences conjugales sur les enfants qui sont mieux reconnues, la remise en cause de l’autorité parentale demeure néanmoins très limitée.</p>
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<figcaption><span class="caption">Violences conjugales, une justice à la peine – Sénat en action.</span></figcaption>
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<p>La loi du 30 juillet 2020 rend possible la suspension du droit de visite et d’hébergement de l’enfant mineur au parent sous contrôle judiciaire, donc en cas de crime uniquement. Une proposition de loi qui vise « à mieux protéger et accompagner les enfants victimes de violences intrafamiliales », a été adoptée en première lecture à l’Assemblée nationale le 9 février 2023 mais <a href="https://www.senat.fr/seances/s202303/s20230321/s20230321013.html#section1767">revue par le Sénat le 21 mars</a>. Ce dernier a refusé le retrait automatique de l’autorité parentale en cas de condamnation pour un crime sur l’autre parent ayant entraîné une ITT de plus de huit jours lorsque l’enfant a assisté aux faits. Il a également écarté la proposition de suspension automatique tout le temps de la procédure pénale au regard de la présomption d’innocence. La suspension de l’autorité parentale est envisagée dans le cadre de la protection du mineur, pas nécessairement de celle de sa mère du fait des tensions entre coparentalité et mise à distance des auteurs. On comprend d’autant mieux les difficultés d’une meilleure mise en œuvre des ordonnances de protection.</p>
<p>In fine, la succession de lois et de dispositifs apparaissent comme des palliatifs visant certes à améliorer l’accueil des victimes et leur protection mais ne prenant pas en compte l’origine systémique des violences. La spécificité des violences de genre s’en trouve diluée dans une approche interpersonnelle. Alors que la première étape féministe et politique avait été de sortir les violences conjugales de la sphère privée pour en faire un problème public, c’est comme si leur reconnaissance passait par le réenfermement des femmes dans la famille.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/216755/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sandrine Dauphin a reçu des financements de l'ANR pour la réalisation de sa recherche. </span></em></p>De nombreuses lois ont pour ambition d’améliorer l’accueil des victimes et leur protection mais elles ne prennent pas en compte l’origine systémique des violences.Sandrine Dauphin, Docteure en sciences politiques, directrice de projet, Institut National d'Études Démographiques (INED)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2158602023-10-26T17:57:27Z2023-10-26T17:57:27ZGuinée : le procès du massacre du 28 septembre 2009, un grand pas pour la lutte contre l’impunité<p>Depuis plus d’un an se déroule à Conakry le procès historique de l’ancien chef d’État guinéen, le capitaine <a href="https://theconversation.com/guinee-un-proces-pour-lhistoire-191793">Moussa Dadis Camara</a>, et de dix de ses co-accusés, soupçonnés d’être les responsables du <a href="https://www.hrw.org/fr/report/2009/12/17/un-lundi-sanglant/le-massacre-et-les-viols-commis-par-les-forces-de-securite-en">massacre du 28 septembre 2009</a>.</p>
<p>Annoncé, puis <a href="https://theconversation.com/guinee-linterminable-attente-du-proces-des-auteurs-du-massacre-du-28-septembre-2009-168860">sans cesse repoussé sous la précédente présidence d’Alpha Condé</a> (2010-2021), ce procès a finalement débuté 13 années après les faits, le jour anniversaire du massacre, à la suite d’une décision du colonel Mamady Doumbouya, le nouvel homme fort du pays depuis le <a href="https://theconversation.com/guinee-un-coup-detat-previsible-167937">coup d’État du 5 septembre 2021</a>. Il représente un moment unique dans l’histoire de ce pays d’Afrique de l’Ouest, marquée depuis des décennies par des <a href="https://www.memoire-collective-guinee.org/">régimes autoritaires et des violations massives des droits humains</a> commises dans une totale impunité.</p>
<h2>Treize ans d’attente, un an de procès</h2>
<p><a href="https://www.hrw.org/fr/report/2009/12/17/un-lundi-sanglant/le-massacre-et-les-viols-commis-par-les-forces-de-securite-en">Le 28 septembre 2009</a> et les jours suivants, les forces de sécurité guinéennes ont réprimé un rassemblement politique pacifique qui avait réuni dans un stade de la capitale, Conakry, des manifestants venus exprimer leur hostilité au maintien au pouvoir du capitaine Moussa Dadis Camara, alors président de la junte militaire dite « Conseil national pour la démocratie et le développement » (CNDD), à la tête du pays depuis le putsch militaire du 8 décembre 2008.</p>
<p>À cette occasion, comme a pu l’établir une <a href="https://www.fidh.org/IMG/pdf/rapport_onu.pdf">commission des Nations unies</a>, plus de 150 personnes avaient été tuées, des milliers d’autres blessées et plus d’une centaine de femmes avaient été violées. Les forces de sécurité avaient ensuite cherché à dissimuler les faits en déplaçant les corps vers des fosses communes.</p>
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<p>L’étape de cette première année de procès tend à démontrer que les arguments mis en avant durant des années, sous la présidence d’Alpha Condé, par les autorités politiques pour justifier le report de l’ouverture d’un jugement visaient surtout à masquer <a href="https://www.rfi.fr/fr/podcasts/invit%C3%A9-afrique/20230411-massacre-du-28-septembre-en-guin%C3%A9e-alpha-cond%C3%A9-ne-voulait-pas-organiser-ce-proc%C3%A8s">leur souhait qu’un tel jugement n’ait pas lieu</a>. Elle démontre aussi que porte ses fruits la détermination de l’actuel chef d’État, le colonel Mamady Doumbouya, lui-même au pouvoir après un putsch militaire du 5 septembre 2021.</p>
<p>En dépit d’imprévus, comme la <a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20230621-guin%C3%A9e-le-proc%C3%A8s-du-massacre-du-28-septembre-ajourn%C3%A9-apr%C3%A8s-une-gr%C3%A8ve-des-gardiens-de-prison">grève des gardiens de prison</a> ou le <a href="https://www.justiceinfo.net/fr/117294-proces-conakry-menace-questions-financieres.html">boycott des avocats</a> réclamant une aide juridictionnelle pour leurs clients, le procès des 11 accusés se déroule dans des conditions satisfaisantes devant le tribunal criminel, à Conakry.</p>
<p>Le capitaine Moussa Dadis Camara et ses acolytes du CNDD – qui comparaissent tous détenus après une courageuse décision du président du tribunal – sont accusés de meurtres, de violences sexuelles, d’actes de torture et d’enlèvements, chefs d’accusation pour lesquels ils risquent la prison à vie si leur culpabilité est reconnue. Tous ont plaidé non coupable pour l’ensemble de ces chefs d’accusation.</p>
<p>Le tribunal chargé de leur procès siège dans des locaux neufs financés par le budget national. Il est composé exclusivement de magistrats guinéens, qui appliquent le droit pénal guinéen. Au rythme de trois journées d’audiences par semaine, le procès est retransmis en direct à la télévision nationale. Loin d’occasionner des troubles dans le pays (y compris en Guinée forestière, le fief de plusieurs des accusés), il captive la population guinéenne, qui suit avec intérêt les débats au cours desquels ses anciens gouvernants sont jugés comme des criminels de droit commun.</p>
<p>Tandis que le Bureau du Procureur de la Cour pénale internationale (CPI) avait annoncé en 2009 l’ouverture d’un <a href="https://www.icc-cpi.int/fr/guinea">examen préliminaire</a> pour déterminer s’il y avait lieu d’ouvrir une enquête, la Guinée avait aussitôt affirmé avoir la capacité et la volonté de juger elle-même les auteurs des crimes de septembre 2009. Après avoir assisté à l’ouverture du procès, le Bureau du Procureur de la CPI a finalement décidé de clôturer son examen préliminaire.</p>
<p>Avec l’actuel procès, la démonstration est donc faite que même un État tel que la Guinée, aux moyens limités et à la stabilité politique relative, peut organiser efficacement et équitablement des procès d’auteurs de graves violations des droits humains.</p>
<h2>Un procès imparfait, mais conduit dans la dignité</h2>
<p>Certes, tout n’est pas parfait. Pour certaines ONG, le <a href="https://www.hrw.org/fr/news/2023/07/13/en-guinee-le-proces-historique-lie-au-massacre-du-stade-en-2009-repris">choix d’écarter des poursuites pour crimes contre l’humanité</a> – une incrimination pourtant incorporée dans le code pénal guinéen – semble minimiser l’ampleur et la gravité des crimes perpétrés dans ce pays de 13 millions d’habitants. Elles relèvent également que certains responsables du massacre ne sont pas dans le box des accusés.</p>
<p>La présidence du tribunal peine parfois à diriger les débats et à les recentrer sur les faits et sur la question essentielle de la responsabilité pénale des accusés. Le ministère public est mis en difficulté en raison de la <a href="https://revuedlf.com/droit-international/massacre-du-28-septembre-2009-la-guinee-a-lepreuve-du-principe-de-complementarite/">faible qualité de l’information judiciaire conduite par le pool des juges d’instruction</a> et du manque de preuves scientifiques. Les avocats de la partie civile paraissent ne pas maîtriser l’ensemble des questions juridiques et se perdent quelquefois dans des points secondaires.</p>
<p>Une partie seulement de la longue liste de près de 700 victimes s’étant constituées parties civiles a pu être entendue à ce jour. Les accusés, quant à eux, tiennent, des heures durant, des propos décousus, tandis que leurs avocats ne semblent avoir aucune réelle stratégie, si ce n’est celle de gagner du temps et d’ajouter de la confusion. Le procès traîne ainsi en longueur, nul ne pouvant prédire quand il s’achèvera, alors que des préoccupations demeurent quant à son <a href="https://www.justiceinfo.net/fr/117294-proces-conakry-menace-questions-financieres.html">financement</a> et quant aux réparations pour les victimes.</p>
<p>Malgré tout, les aspects positifs l’emportent amplement sur les imperfections d’une justice guinéenne <a href="https://www.justiceinfo.net/fr/37929-guinee.html">inexpérimentée en matière de jugement de violations des droits humains</a> de cette ampleur. On peut ainsi relever que le procès se tient de manière digne. Le ministère public et les parties civiles sont incisifs quand il le faut. Les accusés peuvent leur répondre autant qu’ils le souhaitent. La sécurité des témoins semble assurée.</p>
<h2>La mise au jour des faits</h2>
<p>Au fil des audiences, les déclarations des uns et des autres permettent de reconstituer les faits d’une terrifiante journée de l’histoire contemporaine de Guinée, où des militaires ont cru pouvoir mater des manifestants pour leur audace, sans jamais avoir à rendre compte de leurs actes. <a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20230327-affaire-du-28-septembre-en-guin%C3%A9e-les-six-premiers-mois-d-un-proc%C3%A8s-historique">La spontanéité des débats</a> met en lumière le calvaire des victimes lors du massacre, les séquestrations et mauvais traitements dans les jours qui ont suivi, les menaces sur les témoins, les manœuvres des chefs de la junte pour masquer les preuves dans les rues, les hôpitaux et les cliniques, les échanges entre membres de la junte pour se dédouaner, ainsi que la tentative d’assassinat du capitaine Moussa Dadis Camara en décembre 2009 (menée par le lieutenant Toumba Diakité lorsqu’il comprit que Dadis Camara tentait de lui attribuer la responsabilité du massacre).</p>
<p>Cette spontanéité des débats est servie, il est vrai, par certains des accusés. D’un côté, il y a ceux qui nient contre toute évidence leur implication. C’est le cas du chef de la junte, le <a href="https://www.humanite.fr/monde/guinee-conakry/guinee-conakry-les-bouffonneries-de-moussa-dadis-camara-a-la-barre-780778">capitaine Moussa Dadis Camara</a>, du ministre de la Sécurité présidentielle, le capitaine Claude Pivi, du ministre chargé des Services spéciaux, le commandant <a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20230510-proc%C3%A8s-du-28-septembre-en-guin%C3%A9e-la-version-de-moussa-tiegboro-camara-remise-en-cause">Moussa Tiégboro Camara</a>, de l’un des adjoints du commandant Tiégboro, le lieutenant Blaise Guemou, ou encore du garde du corps du lieutenant Toumba, l’adjudant Cécé Raphaël Haba.</p>
<p>Ils ont été vus et entendus par les victimes et les témoins au stade ou à proximité, et exerçaient les principales responsabilités sur les unités de l’armée, de la gendarmerie et de la police alors déployées. Pour autant, à les entendre, ils n’auraient eu aucun rôle actif et leurs attributions étaient limitées.</p>
<p>De l’autre côté, il y a ceux qui, désormais, se font accusateurs. Tel est le <a href="https://www.rfi.fr/fr/podcasts/reportage-afrique/20221123-proc%C3%A8s-du-28-septembre-toumba-un-accus%C3%A9-devenu-star-en-guin%C3%A9e">cas du lieutenant Toumba Diakité</a> qui, ayant rapidement compris que le capitaine Dadis Moussa Carama chercherait à le présenter comme le principal exécutant du massacre, a pris le parti d’impliquer la plupart des autres accusés dans la commission des faits. Tel est le cas également du <a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20230710-guin%C3%A9e-marcel-guilavogui-accuse-moussa-dadis-camara-d-avoir-organis%C3%A9-le-massacre-du-28-septembre">sous-lieutenant Marcel Guilavogui</a>, qui a fini par déclarer que le capitaine Dadis Moussa Camara est bien l’homme ayant ordonné le massacre.</p>
<h2>Une victoire pour la justice en Afrique ?</h2>
<p>C’est sans doute ce « spectacle » étonnant des puissants – ayant perdu de leur superbe et se retrouvant soumis à des questions précises qu’ils tentent d’esquiver maladroitement – qui <a href="https://www.justiceinfo.net/fr/108875-proces-28-septembre-conakry-comme-serie-tele.html">fascine tant la population guinéenne</a> et, plus largement d’Afrique de l’Ouest.</p>
<p>Le procès est, en effet, très commenté, particulièrement sur les réseaux sociaux. Il peut offrir d’importants enseignements pour d’autres pays où la justice doit être rendue pour des crimes internationaux. Il s’agit, en soi, d’une victoire pour tous ceux qui croient que la justice en Afrique peut établir la responsabilité des auteurs de violations massives des droits humains, y compris ses suspects de haut rang, dès lors que le pouvoir exécutif la laisse travailler en toute indépendance.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/215860/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Catherine Maia ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Ce procès hors norme dure depuis maintenant plus d’un an. Il constitue une réelle percée pour la justice en Guinée et ailleurs en Afrique.Catherine Maia, Professeure de droit international à l’Université Lusófona (Portugal) et professeure invitée à Sciences Po Paris (France), Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2152962023-10-23T18:05:31Z2023-10-23T18:05:31ZEt si les délinquants choisissaient eux-mêmes leurs punitions ?<p><a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/5763587">Récidive</a>, <a href="https://theconversation.com/surpopulation-carcerale-souhaite-t-on-encore-reinserer-nos-condamnes-204650">surpopulation carcérale</a>, soupçons que les autorités cherchent surtout à remplir leurs caisses grâce aux amendes… Le système pénal français semble grippé. L’approche punitive y est centrale. Au cours des siècles, diverses formes de punition ont été utilisées pour dissuader les contrevenants potentiels, comme la punition corporelle, la privation de liberté ou les pénalités financières. Si la première a été abandonnée, les deux suivantes restent aujourd’hui les sanctions les plus courantes.</p>
<p>Plusieurs alternatives reposant moins sur la logique de punition et plus sur les besoins des délinquants potentiels ont été proposées pour améliorer le système pénal, comme la <a href="https://www.erudit.org/en/journals/crimino/1900-v1-n1-crimino144/004751ar.pdf">justice réhabilitative ou la justice réparatrice</a>. La première vise à traiter les délinquants à travers l’éducation, la réinsertion ou des traitements médicaux. La seconde accorde un rôle majeur aux victimes et prévoit que les contrevenants puissent assumer les conséquences de leurs actions et s’engager dans des formes de réparation au bénéfice des victimes.</p>
<p>Mais une autre stratégie oubliée mériterait qu’on s’y attarde : plutôt que de se concentrer sur une peine quasi unique appliquée suite à l’infraction par les autorités compétentes, le système judiciaire en général pourrait permettre aux délinquants de <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/kykl.12313">choisir leur sanction parmi un ensemble d’alternatives prédéfinies</a>.</p>
<p>Par exemple, un contrevenant coupable de dépôt sauvage d’ordures pourrait se voir proposer le choix entre une amende et des heures de travaux d’intérêt général visant à nettoyer des espaces ayant fait l’objet de tels dépôts. Ici, la nouveauté ne réside pas dans les options en tant que telles – elles sont souvent déjà à la disposition du juge – mais dans le fait de laisser le choix au contrevenant.</p>
<h2>Les « menus de sanctions »</h2>
<p>Cette idée n’est pas nouvelle, comme l’illustre dans la Bible la proposition divine au roi David :</p>
<blockquote>
<p>« Va dire à David : Ainsi parle l’Éternel : Je te propose trois fléaux ; choisis-en un […] » (1 Chapitre 21 :10-13)</p>
</blockquote>
<p>Dans un cadre plus contemporain, Michael Cicconetti, un juge de l’Ohio, a souvent été cité pour son recours aux « menus de sanctions » parmi lesquelles le contrevenant doit effectuer un choix. Par exemple, une femme qui était partie sans payer sa course en taxi a eu le choix entre une <a href="https://abcnews.go.com/US/ohio-judge-unusual-punishments-people-jail/story?id=33440871">peine de prison et le fait d’effectuer le trajet à pied</a>. Dans une autre <a href="https://www.dailymail.co.uk/news/article-3219097/America-s-eccentric-judge-Eye-eye-lawman-uses-personal-sentences-like-making-woman-walk-30-miles-skipped-cab-fare-telling-bike-thief-ride-charity-ordering-man-dress-chicken.html">affaire relative à un vol de bicyclette</a>, le voleur s’est vu proposer le choix entre une activité à vélo en faveur d’un organisme de bienfaisance ou un séjour en prison.</p>
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<p>Au Brésil, un braconnier reconnu coupable d’infractions environnementales a eu le choix entre faire <a href="https://www.law.du.edu/documents/ect-study/greening-justice-book.pdf">un an de bénévolat dans un centre de réhabilitation de lamantins et purger une peine de prison</a>.</p>
<h2>Un risque que la peine perde son effet dissuasif ?</h2>
<p>Pour les partisans d’une approche rationnelle du comportement humain, qu’il s’agisse de chercheurs ou simplement de monsieur tout le monde, donner aux délinquants le pouvoir de choisir leur peine semble être un pas dans la mauvaise direction. <a href="https://www.cairn.info/revue-regards-croises-sur-l-economie-2014-1-page-209.htm">Dans une approche économique du crime</a>, la décision d’enfreindre une loi résulte d’un arbitrage rationnel entre les gains espérés de l’infraction et les risques encourus, notamment la possibilité de se faire prendre et de se voir appliquer la sanction prévue. Sur cette base, l’ajout d’une option de sanction à une option préexistante, en laissant le choix au contrevenant, ne peut que diminuer l’effet dissuasif. En effet, le délinquant « rationnel » optera pour la punition la moins sévère parmi les options disponibles.</p>
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<p>Cependant, cette perspective d’un être humain comme uniquement calculateur et rationnel néglige souvent des <a href="https://theconversation.com/la-finance-est-elle-irrationnelle-62322">aspects comportementaux concrets</a> qui peuvent rendre le « menu de sanctions » plus efficace que la traditionnelle sanction unique. Par exemple, la nature de la sanction ou la <a href="https://psycnet.apa.org/doiLanding?doi=10.1037%2Fa0030655">qualification du contrevenant</a>, ne serait-ce qu’à travers les <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/kykl.12186">mots employés</a>, peut influencer la manière dont les individus réfléchissent, élargir leur champ de raisonnement, les incitant soit à faire un calcul économique (évaluer les coûts et les bénéfices) <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0749597814000454">soit à réfléchir sur des bases éthiques</a> (ce qui est moralement correct versus ce qui est incorrect).</p>
<h2>Une piste prometteuse pour modifier les comportements</h2>
<p>Tout d’abord, l’introduction d’une peine non monétaire dans un menu des sanctions (comme obliger un tagueur à présenter des excuses publiques et à nettoyer et repeindre les murs tagués) pourrait dissuader les individus de <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.2307/2667052">se contenter de comparer les coûts et bénéfices directs liés à leurs actions</a> en reléguant les aspects sociaux et éthiques au second plan. </p>
<p>Le menu, plutôt que de mentionner des unités monétaires (comme le montant de l’amende encourue) peut pousser à une réflexion plus vaste, et offrir plus d’espace à des <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0749597814000454">dimensions non-directement liées au calcul</a> (gravité sociale de l’acte, conséquences pour la victime, modalités de réparation). Ces options, lorsqu’elles sont bien conçues, <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/0956797613506438">par exemple en attirant l’attention sur la notion de temps plutôt que d’argent</a>, sont plus susceptibles d’activer un mode de raisonnement éthique.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/surpopulation-carcerale-souhaite-t-on-encore-reinserer-nos-condamnes-204650">Surpopulation carcérale : souhaite-t-on encore réinsérer nos condamnés ?</a>
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<p>Ensuite, une sanction unique peut indiquer aux individus qu’on cherche à réduire leur liberté, ce qui peut induire un <a href="https://theconversation.com/psycho-comment-le-confinement-peut-provoquer-le-contraire-de-leffet-voulu-135168">phénomène de réactance</a>, c’est-à-dire une réaction psychologique où le sentiment de liberté empêchée renforce le désir de faire ce qui est interdit. En offrant un choix plus vaste, on peut atténuer cette tendance à aller à l’encontre de l’objectif encouragé par le régulateur, et ainsi favoriser le respect de la loi.</p>
<p>Enfin, l’ajout de sanctions non monétaires peut dissiper les suspicions à l’égard d’autorités qui peuvent sembler se soucier davantage de maximiser leurs recettes que de réduire des comportements indésirables. Par exemple, les <a href="https://theconversation.com/les-radars-de-la-colere-109352">radars automatiques</a> ont été accusés d’être des <a href="https://www.mediapart.fr/studio/documentaires/france/radar-la-machine-cash">machines à cash</a>. Ce soupçon diminuerait certainement en proposant un menu de sanctions. Plutôt que de se voir infliger une amende, un <a href="https://theconversation.com/securite-routiere-une-politique-au-point-mort-82852">conducteur surpris en excès de vitesse</a> pourrait choisir : soit il règle l’amende, soit il participe à une initiative visant à sensibiliser d’autres conducteurs aux conséquences des excès de vitesse.</p>
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<p>Les menus de sanctions pourraient donc être une piste prometteuse pour changer les comportements et améliorer l’efficacité de notre système pénal. Quelques points nécessitent néanmoins une attention particulière.</p>
<p>Concevoir des menus de sanctions efficaces reste un défi car leur impact global est mal connu. Ces menus pourraient notamment conduire à un traitement inégal en favorisant certains délinquants par rapport à d’autres. Par exemple, les individus riches pourraient opter pour des amendes plutôt que l’emprisonnement et vice versa pour les personnes financièrement défavorisées. Il est donc important de prendre en considération cette hétérogénéité lors de la conception de ces menus de sanctions afin de ne pas amplifier les disparités existantes.</p>
<p>Il semble aussi primordial de tenir compte des circonstances dans lesquelles les menus de sanctions sont les plus susceptibles d’améliorer les objectifs sociétaux. Par exemple, la conception de menus de sanctions efficaces nécessite probablement un certain degré de personnalisation, et leur utilisation peut être conditionnée pour les primodélinquants ou les infractions mineures. En bref, offrir aux contrevenants leur mot à dire sur la sanction qui leur sera appliquée pourrait constituer une façon prometteuse de repenser le système pénal. Si l’usage des menus de sanction reste encore limité, il existe quelques réussites édifiantes. Après avoir opté pour le bénévolat, le braconnier brésilien a connu une transformation radicale : il est devenu l’un des principaux défenseurs de la faune sauvage du pays.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/215296/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Dans certaines circonstances, un « menu de sanctions » où le contrevenant choisit lui-même sa punition pourrait être plus efficace qu’une sanction unique définie par les autorités.Naoufel Mzoughi, Chargé de recherches en économie, InraeGilles Grolleau, Professor, ESSCA School of ManagementMurat Mungan, Professor of law; professor of economics (courtesy), director of the Law and Economics Program, Texas A&M UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2158172023-10-19T20:37:58Z2023-10-19T20:37:58Z« Anatomie d’une chute » et la question de l’interprétation du récit<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/554296/original/file-20231017-21-r8dcxu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=16%2C0%2C1537%2C862&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Dans ce film de procès très bavard, le statut littéraire du récit est sans cesse questionné.</span> <span class="attribution"><span class="source">Allociné</span></span></figcaption></figure><blockquote>
<p>« Vous ne contextualisez pas, vous délirez sur un détail ! »<br>
« Un roman n’est pas la vie, un auteur n’est pas un personnage ! »<br>
« Mais un auteur peut exprimer ses idées par ses personnages ! »</p>
</blockquote>
<p>Des bribes d’un cours de licence de lettres ? Des débats lors d’un colloque littéraire ? Non ! Il s’agit de certains échanges entre les personnages du film <em>Anatomie d’une chute</em> de Justine Triet, palme d’or du dernier Festival de Cannes, qui met en scène le procès de l’écrivaine Sandra Voyter, accusée d’avoir tué son mari Samuel.</p>
<p>On pourrait penser que ces échanges sont irréalistes. Mais la littérature s’invite parfois dans des procès bien réels : dans <em>Histoire de la violence</em>, Edouard Louis relate, de manière autobiographique, un épisode traumatique (une agression physique et un viol). Lors du procès, son avocat a renvoyé, dans sa plaidoirie, au récit de l’écrivain, alors que l’avocate de l’accusé a déclaré qu’Edouard Louis « avait confondu son roman avec la réalité ». La procureure elle, a appelé à <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/10/24/au-proces-de-riadh-b-accuse-d-agression-sexuelle-par-edouard-louis-l-uvre-litteraire-omnipresente_6057212_3224.html">trouver une « vérité judiciaire » et non « littéraire »</a>.</p>
<p>La manière dont le film de Justine Triet traite la question du couple, du genre, de l’innocence et de la culpabilité a été abondamment commentée. Mais une autre question irrigue le film : celle de l’interprétation du récit littéraire (les deux protagonistes du couple étant, l’une écrivaine à succès, l’autre aspirant écrivain), notamment lorsque ce récit joue sur certaines marges troubles, entre fiction et non-fiction, représentation artistique et fidélité mimétique au réel et lorsqu’il se confronte à d’autres récits, qui ont leurs propres critères de cohérence, de validité, de recevabilité : le récit juridique, mais aussi le récit journalistique, le récit psychanalytique, le récit médical, le récit d’expert, etc.</p>
<p>Chaque catégorie peut par ailleurs se décliner en une multitude de récits : les récits des avocats comme ceux des experts peuvent être diamétralement opposés, par exemple. Le passage d’une langue à l’autre dans le film – de l’anglais au français et vice-versa – nous fait d’ailleurs littéralement entendre cette polyphonie.</p>
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<h2>L’autofiction, ou l’art de brouiller les limites entre fiction et réalité</h2>
<p>« What do you want to know ? » (« Que voulez-vous savoir ? ») demande, au tout début du film, Sandra à l’étudiante venue l’interroger. Elle veut savoir ce qui relève de la réalité et de la fiction dans les écrits de Sandra Voyter, et si l’écrivaine pense qu’on ne peut inventer, créer, qu’à partir de la réalité. Or la production littéraire de Sandra se situe dans un genre qu’on peut appeler <a href="https://theconversation.com/faut-il-en-finir-avec-lautofiction-72690">l’autofiction</a>. </p>
<p>Le terme a été employé pour la première fois en 1977 par l’écrivain et critique <a href="http://www.editions-galilee.fr/f/index.php?sp=liv&livre_id=2812">Serge Doubrovsky</a> (pour qualifier son récit, <em>Fils</em>). Il mêle ce qu’on pourrait croire a priori opposé : l’autobiographie et la fiction. L’autofiction est en effet un récit inspiré par la vie de l’autrice ou de l’auteur du récit, mais un récit qui se permet de romancer, d’imaginer, qui ne veut pas se plier aux critères de sincérité, d’authenticité, de conformité aux faits qu’on associe souvent à l’autobiographie traditionnelle (et au « pacte autobiographique » tel qu’il a été défini par <a href="https://www.editionspoints.com/ouvrage/le-pacte-autobiographique-philippe-lejeune/9782020296960">Philippe Lejeune</a>).</p>
<p>Le terme <em>autofiction</em> a donné lieu à de multiples définitions et à de multiples critiques, comme <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/autofiction-philippe-gasparini/9782020973977">l’a montré</a> le chercheur <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/est-il-je-roman-autobiographique-et-autofiction-philippe-gasparini/9782020589338">Philippe Gasparini</a>. Il n’est notamment pas aisé de le distinguer du roman autobiographique comme <a href="https://www.honorechampion.com/fr/champion/10584-book-08534510-9782745345103.html">l’a résumé Sylvie Jouanny</a>, on peut distinguer deux tendances : l’une, référentielle, qui repose sur l’homonymie entre narrateur/narratrice, auteur/autrice et personnage et qui considère que « l’autofiction est un roman qui traite de la réalité, fût-ce dans le recours à la fiction », l’autre, fictionnelle, qui défend « la fiction plus que l’autobiographie » et s’intéresse au travail de « fictionnalisation de soi » (cette fictionnalisation pouvant remettre en cause l’homonymie entre narrateur/narratrice, auteur/autrice et personnage).</p>
<p>Dans <em>Anatomie d’une chute</em>, il est admis que Sandra Voyter écrit de l’autofiction en s’inspirant des éléments de sa vie (notamment l’accident de son fils, mais aussi ses relations avec son père). Lorsque l’étudiante, au début du film, essaie de distinguer ce qui est réel de ce qui est inventé, Sandra esquive et déplace le sujet de la conversation. Mais, tout au long du film, elle va devoir répondre aux questions de la police, de ses avocats, avant et pendant le procès.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/554799/original/file-20231019-30-mxpz19.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/554799/original/file-20231019-30-mxpz19.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=324&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/554799/original/file-20231019-30-mxpz19.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=324&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/554799/original/file-20231019-30-mxpz19.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=324&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/554799/original/file-20231019-30-mxpz19.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=408&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/554799/original/file-20231019-30-mxpz19.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=408&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/554799/original/file-20231019-30-mxpz19.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=408&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Pour l’avocat général (Antoine Reinartz), l’œuvre de fiction produite par l’accusée contient des éléments qui sont de nature à l’incriminer.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Allociné</span></span>
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<p>Elle va devoir parler d’elle, de ses livres, et chaque élément de son discours va être disséqué, chacun des mots prononcés (ou échappés, comme lorsque l’étudiante appelle l’accusée par son prénom durant le procès) va être analysé comme on pourrait le faire dans une explication de texte.</p>
<h2>« Alors, on va vraiment entrer dans un débat littéraire ? »</h2>
<p>C’est lorsqu’un des livres de Sandra est brandi au procès, malgré les protestations d’une des avocates de la défense (« On ne juge pas des livres, on juge des faits ») qu’on se retrouve au cœur de questions débattues dans le monde de la recherche et de la critique littéraires.</p>
<p>Reprenons les échanges entre l’accusation et la défense et la manière dont ces débats incarnent différentes manières de lire l’œuvre littéraire.</p>
<p>Les questions posées sont fondamentales dès qu’il s’agit d’interpréter une œuvre littéraire : qui parle ? (le personnage ou l’auteur/l’autrice ?) Peut-on comprendre le sens d’un extrait (d’un livre ou d’un enregistrement – celui de la dispute du couple –) sans le mettre en rapport avec un contexte plus large ? Qui décide du sens d’un texte (la personne qui produit le discours ? Celle qui le reçoit ?)</p>
<p>L’accusation veut lire l’extrait d’un livre de Sandra Voyter, qui raconte les pensées d’un personnage qui éprouve le désir de tuer. L’accusation établit clairement un lien mimétique entre ce passage et la mort de Samuel : Sandra aurait préfiguré dans son roman son désir de tuer.</p>
<p>Pour la défense, c’est inacceptable : « Vous ne contextualisez pas ! Vous délirez sur un détail » ! L’extrait n’est pas contextualisé, il ne s’agit que d’un personnage secondaire, qui d’ailleurs ne passe pas à l’acte. Même dans le régime du texte littéraire, il ne s’agit que d’un fantasme, pas d’un fait. La défense reproche à l’accusation de surinterpréter en faisant d’un passage secondaire le cœur du livre – ce à quoi l’accusation répond que la défense avait également relevé ce passage, ce qui voudrait dire qu’elle le considérait bien comme significatif.</p>
<p>La défense insiste : il faut distinguer l’autrice du personnage. Le point de vue du personnage n’engage pas l’autrice. Il existe une différence entre le monde de la fiction (du personnage) et celui de la réalité (de l’autrice).</p>
<p>L’accusation se justifie alors sur ce dernier point : « Les livres de Sandra Voyter font partie du procès, elle y met son existence, notamment son couple ». Les livres de l’accusée appartiennent au récit de soi, d’inspiration autobiographique, on peut donc faire cette adéquation entre personnage et autrice puisqu’il ne s’agit pas de fiction.</p>
<p>Pour la défense, il ne s’agit pas d’autobiographie, mais d’autofiction, un genre qui se permet de réintroduire de la fiction dans l’écriture de soi. La défense essaie de ridiculiser la lecture de la littérature comme mimétique de la réalité (« Vous allez nous dire que Stephen King est un serial killer ? »), l’accusation la justifie (« La femme de Stephen King n’a pas été retrouvée morte ! »)</p>
<h2>La littérature ou le jeu avec les limites</h2>
<p>Par rapport au trouble suscité par le récit littéraire, l’enregistrement de la dispute entre Sandra et son mari semble pouvoir constituer un récit fiable. Mais en réalité cette dispute se révèle être, comme le dit l’avocat de la défense, un « document ambigu » tout aussi ambigu que le texte de Sandra Voyter, pour deux raisons.</p>
<p>D’une part, comme le texte cité par l’accusation, l’enregistrement n’est qu’un extrait, qu’un moment de la relation entre deux personnes et ne peut représenter toute leur vie. Sandra Voyter le dit : l’enregistrement n’est pas la réalité, car il n’est qu’une partie de la réalité – tout comme elle dit au psychanalyste, joué par le metteur en scène Wajdi Mouawad, qui rapporte le récit de ses sessions avec Samuel : « Mais ce que vous dites n’est qu’une petite partie de la situation globale ». Il s’agit bien de leurs échanges, de leurs mots, de leurs voix, mais ce n’est pas eux – tous leurs êtres, la somme de leurs échanges, de leurs interactions, de leurs corps : on ne peut jamais saisir l’entièreté d’un être ni d’une relation.</p>
<p>D’autre part, alors qu’on croit a priori, avec cet enregistrement, être à coup sûr dans le domaine de la réalité, des faits (et non de la fiction et de la représentation) on apprend, via l’avocat de la défense, que Samuel enregistrait des moments de sa vie et les retranscrivait, qu’il cherchait à faire de « l’autofiction » (le mot est prononcé) en s’inspirant de la méthode de son épouse. On pense ici à différentes productions de littérature contemporaine qui donnent une part de plus en plus importante à des documents matériels : <a href="https://theconversation.com/loeuvre-dannie-ernaux-a-lheure-de-la-reconnaissance-internationale-115166">Annie Ernaux</a>, qui retranscrit son journal intime (dans <em>Se perdre</em> ou <em>Je ne suis pas sortie de ma nuit</em>), qui introduit des reproductions de photographies dans ses livres (tout comme Édouard Louis), Neige Sinno qui reproduit dans <em>Triste Tigre</em> les articles de presse parlant de son enfance et de l’arrestation de son beau-père pour viol.</p>
<p>On pense plus généralement aux productions, qui se développent depuis les années 1960, que la chercheuse Marie-Jeanne Zenetti appelle, après l’écrivain Magnus Enzensberger, des <a href="https://classiques-garnier.com/factographies-l-enregistrement-litteraire-a-l-epoque-contemporaine.html">factographies</a>. Les factographies cherchent une nouvelle manière de dire le réel en captant des images, des sons, des discours. Elles peuvent se manifester formellement par des compilations de notes, des retranscriptions, des reproductions d’archives. Dans ces récits à l’« écriture enregistreuse », il s’agit de « jouer au document et avec le document » comme le dit Marie-Jeanne Zenetti.</p>
<p>L’enregistrement fait par Samuel Voyter n’est-il pas aussi un objet littéraire ? La défense se demande ainsi si Samuel n’aurait pas provoqué la dispute pour avoir de la matière pour son livre. L’ordre traditionnel (la littérature qui vient après la vie, retranscrit la vie, représente la vie) est inversé : il y aurait d’abord la littérature (l’envie d’écrire, la mise en scène) et ensuite la vie. On retrouve les propos tenus par Sandra Voyter dans un ancien entretien : « Mon travail, c’est de brouiller les pistes pour que la fiction détruise le réel » et le commentaire des journalistes : « On a l’impression que ça vient de ses livres, qu’elle l’a déjà écrit ».</p>
<p>Dernier récit et dernier doute du film : lorsque l’enfant du couple, Daniel, fait le récit de son trajet avec son père, pour emmener leur chien chez le vétérinaire. Il rapporte les propos de Samuel, qui aurait filé une métaphore entre l’état du chien et le sien, pour préparer son fils à sa mort prochaine. « Ce récit est extrêmement subjectif » déclare l’accusation. S’agit-il d’une interprétation ? D’une invention ? Ou Daniel se met-il lui aussi à pratiquer l’autofiction ?</p>
<h2><em>Anatomie d’une chute</em> ou les mises en abyme du récit</h2>
<p>En filmant le public du procès, la réalisatrice met en abyme notre situation de spectatrices et spectateurs : nous regardons le public qui regarde le procès, ce public qui frémit à l’annonce d’un éventuel rebondissement – tout comme nous. Le film nous renvoie à nos attentes et nos projections sur le type de récit que nous avons envie de voir (ou d’entendre, ou de lire…)</p>
<p>Ainsi, dans une émission de débat télévisé de deuxième partie de soirée représentée dans le film – sur laquelle tombe Sandra Voyter en zappant – la question de sa culpabilité ou de son innocence n’est plus liée aux faits, mais, plus cyniquement (ou d’un point de vue plus littéraire ?) à l’intérêt de l’un ou l’autre récit : « L’idée d’une écrivaine qui assassine son mari est tellement plus intéressante que celle d’un prof qui se suicide ».</p>
<p>D’un côté, les émois potentiellement romanesques du couple, le lien dangereux entre fiction et non-fiction, de l’autre la mort banale d’un homme qui a échoué en tant qu’écrivain. La conclusion judiciaire du procès a l’air d’entériner le second récit (le suicide), puisque Sandra est acquittée, mais c’est bien le premier récit (la femme coupable) qui est interrogé et mis en scène. Parce que c’est ce que le public (le public du procès, le public du film) voulait voir ?</p>
<p>« Je crois qu’il y a eu trop de mots dans ce procès et j’ai plus rien à dire », déclare Sandra Voyter aux journalistes à la sortie du tribunal. De fait, on parle beaucoup dans <em>Anatomie d’une chute</em> (nous avons pu commenter le film dans cet article en ne parlant quasiment que de dialogue verbal, sans mentionner les autres manifestations du langage cinématographique !) – jusqu’au silence final de Sandra : la multitude des récits n’aboutit pas à une vérité proclamée, mais à l’indicible, à l’invérifiable, à l’opacité (ce qui est devenu quasiment un topos romanesque). Se refuser à toute conclusion rassurante, est-ce une déconstruction du récit traditionnel… ou une variation sur un type de récit dont nous avons déjà l’habitude, un récit ouvert, un récit réflexif, un récit qui joue sur la mise en abyme de lui-même, bref le récit d’un film littéraire ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/215817/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Laelia Véron ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le film de Justine Triet joue sur les frontières troubles entre fiction et non-fiction, représentation artistique et fidélité au réel.Laelia Véron, Maîtresse de conférence en stylistique et langue française, Université d’OrléansLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2105772023-10-11T17:22:32Z2023-10-11T17:22:32ZLe traitement pénal de l'exploitation sexuelle en France : droit, genre et culture<p>C’est sous le terme de « traite des Blanches » que la traite à des fins d’exploitation sexuelle fait son apparition <a href="https://books.openedition.org/pucl/744?lang=fr">dans l’arène internationale</a> à la fin du XIX<sup>e</sup> siècle, suite à la révélation de la présence de prostituées mineures étrangères (notamment anglaises) dans des maisons closes bruxelloises. Le scandale dépasse rapidement les frontières de la Belgique et remplit les colonnes des journaux occidentaux pour se muer en panique morale. La figure de la victime y est stylisée, unanimement décrite comme très jeune, naïve, innocente, arrachée à sa famille et contrainte à la prostitution dans un autre pays que le sien par des hommes violents et sans scrupule.</p>
<p>Bien que différents travaux aient procédé à l’invalidation rigoureuse du « scandale », en montrant à partir des archives de l’époque <a href="http://pul.uclouvain.be/book/?gcoi=29303100956300">son absence d’étayage empirique</a>, le terme de « traite des Blanches » se répand rapidement. Il alimente notamment, pendant les décennies qui suivent, le combat abolitionniste contre la prostitution réglementée, au nom de la défense des droits des femmes.</p>
<p>En établissant un parallèle avec la traite des Noirs, définitivement abolie quelques décennies plus tôt seulement, cette expression convoque l’imaginaire de l’esclavage et lui ajoute un <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/le_mythe_de_la_traite_des_blanches-9782707158093">ressort dramatique auquel la population européenne est particulièrement sensible</a> : les victimes sont ici blanches, par leur couleur de peau autant que par la virginale innocence qui leur est prêtée.</p>
<p>Le contexte colonial de l’époque, qui lie largement question raciale, morale sexuelle et identité nationale, et les crispations nationalistes du début du siècle, motivent l’engagement des gouvernements dans la lutte contre la traite : en contrôlant les prostituées et leurs déplacements, <a href="https://www.sup.org/books/title/?id=16574">il s’agit aussi d’éviter les métissages menaçant la nation dans son intégrité raciale et sexuelle</a>.</p>
<p><a href="https://treaties.un.org/Pages/ViewDetails.aspx?src=IND&mtdsg_no=VII-11-a&chapter=7&clang=_fr">La Convention des Nations unies pour la répression de la traite des êtres humains et de l’exploitation de la prostitution d’autrui</a>, adoptée en 1949, ancre donc dans le droit international une position abolitionniste liant inextricablement traite et prostitution et faisant de toute personne en situation de prostitution la figure par excellence de l’innocence bafouée, dénuée de puissance d’agir et de libre arbitre.</p>
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<p>Si la panique morale suscitée par la traite des Blanches au tournant du XX<sup>e</sup> siècle évolue ensuite quant aux projections qu’elle convoque, le grand récit auquel elle s’adosse, et qui s’articule autour des figures de la victime et de l’exploiteur, présente pourtant certaines continuités. Nous en questionnons ici les rémanences à partir d’une enquête sur le traitement pénal contemporain de l’exploitation sexuelle en France.</p>
<h2>La « traite », de l’atteinte au corps des femmes à celle de l’intégrité nationale</h2>
<p>À partir des années 1990, dans un contexte de chute des régimes socialistes et d’agitation des peurs liées aux migrations en provenance de l’Est, la traite est de plus en plus souvent problématisée comme une question sécuritaire, et non plus seulement comme une atteinte aux droits des femmes. Nombre de chiffres circulent alors pour attester de l’ampleur du phénomène, perçu comme une des formes d’expression du crime organisé en lien avec l’immigration irrégulière. Bien qu’ils présentent des variations importantes résultant de leur construction peu stabilisée, leur mobilisation joue un rôle non négligeable dans l’adoption d’une profusion de textes et d’instruments nationaux et internationaux consacrés à la lutte contre la traite.</p>
<p>Parmi ceux-ci, le <a href="https://treaties.un.org/Pages/ViewDetails.aspx?src=ind&mtdsg_no=XVIII-12-a&chapter=18&clang=_fr">Protocole de Palerme</a>, adopté par les Nations unies en 2000, pose une définition internationale du phénomène incluant différentes formes d’exploitation (au-delà de la seule exploitation sexuelle). Il rappelle par ailleurs que le « consentement » initial de la victime (à la prostitution, par exemple) est indifférent pour caractériser légalement l’infraction.</p>
<p>Les débats qui l’entourent témoignent du fait qu’au début du XXI<sup>e</sup> siècle, la lutte contre la traite suscite toujours de vives controverses relatives notamment au contrôle des frontières comme à celui du corps des femmes.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1087794685492580358"}"></div></p>
<p>En France, <a href="http://editionslesperegrines.fr/fr/books/la-fin-du-tapin">pays de tradition abolitionniste</a> depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, <a href="https://www.senat.fr/rap/r13-046/r13-0462.html">l’augmentation rapide de la part des étrangères parmi les personnes en situation de prostitution à partir des années 1990</a> facilite l’introduction de l’infraction de traite dans le code pénal en 2003 (<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000006070719/LEGISCTA000006165299/#LEGISCTA000006165299">articles 225-4-1 et suivants</a>), au nom d’une équivalence rapidement posée entre prostitution étrangère et exploitation. Celle-ci réactive la figure idéaltypique de la victime de traite comme jeune prostituée étrangère travaillant sur le trottoir, naïve, vulnérable, innocente et exposée à la violence brute de ses exploiteurs.</p>
<p>En pratique pourtant, les étrangères en situation de prostitution, désormais nettement majoritaires sur la voie publique, restent prises dans les ambivalences de la politique anti-traite, entre humanitarisme et répression. Comme l’illustrent les <a href="https://www.cnrseditions.fr/catalogue/sciences-politiques-et-sociologie/la-traite-des-etres-humains-en-france/">législations contrastées adoptées au nom de la lutte contre l’exploitation sexuelle</a>, en <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000006070719/LEGISCTA000006165299/#LEGISCTA000006165299">2003</a> et <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000006070719/LEGISCTA000006165304/2013-08-07/#LEGISCTA000027811028">2013</a> notamment (criminalisant alternativement la vente, puis l’achat de services sexuels), <a href="https://www.cnrseditions.fr/catalogue/sciences-politiques-et-sociologie/la-traite-des-etres-humains-en-france">elles sont ainsi tout à la fois, ou tour à tour, perçues comme des victimes absolues et des coupables de trouble à l’ordre public et/ou de séjour irrégulier</a>.</p>
<p>Les procès jugeant trafiquants et proxénètes, peu étudiés par les sciences sociales, constituent alors des espaces d’observation singuliers de la manière dont s’incarnent, au pénal, les figures tutélaires de la victime et de l’exploiteur. Celles-ci constituent en effet l’armature, depuis plus d’un siècle, du « grand récit » autour duquel s’organisent la traite et son combat.</p>
<h2>La traite au tribunal : une infraction « culturelle » ?</h2>
<p>S’intéresser aux procès pour exploitation sexuelle dans une perspective sociologique conduit d’abord à constater, chez les professionnels du droit, la prégnance des hiérarchisations spontanées fondées sur l’origine et la « culture » prêtées aux auteurs et victimes.</p>
<p><a href="https://anr.fr/Projet-ANR-13-FRAL-0014">Au cours de notre recherche</a>, <a href="https://www.sciencespo.fr/ceri/fr/content/la-traite-des-etres-humains-saisie-par-les-institutions-une-comparaison-france-allemagne-pro">nous</a> avons mené environ cinquante entretiens avec des magistrats et des avocats et observé une trentaine d’audiences correctionnelles. Ces matériaux révèlent le caractère routinier de la distinction établie, au pénal, entre proxénétisme « roumain », « nigérian » et « chinois ».</p>
<p>Le proxénétisme dit « roumain » est perçu comme particulièrement sordide. S’inscrivant souvent dans la conjugalité (l’homme tirant profit de la prostitution de sa compagne), il résulterait d’une culture marquée par un rapport dévoyé à la sexualité et l’absence de tabous sexuels intrafamiliaux. Empêchant les femmes de se reconnaître comme victimes, cette culture s’opposerait en tout point à une culture dite occidentale : celle-ci se caractériserait au contraire par un souci d’égalité des genres et une conception familialiste de la conjugalité adossée à l’exclusivité amoureuse et sexuelle.</p>
<p>Le proxénétisme dit « chinois », quant à lui, est généralement associé à un fonctionnement « entrepreneurial » entre personnes envisageant la prostitution comme une ressource migratoire et mues par des considérations économiques.</p>
<p>Dans ces deux cas, les victimes présumées dérogent ainsi à l’image de victime idéale, naïve et abusée.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1206869302143586304"}"></div></p>
<p>Au contraire, l’exploitation sexuelle au sein de la communauté nigériane se distinguerait par une emprise psychologique inédite exercée sur les victimes via le recours à des rituels de magie noire organisés avant le départ du Nigéria et censés garantir le remboursement de la dette exorbitante qu’elles contractent pour le voyage vers l’Europe.</p>
<p>Présentées comme généralement non consentantes et dupées, les victimes, très jeunes, <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/les_damnees_de_la_mer-9782348041075">perdraient en outre souvent leur virginité lors de viols pendant le voyage ou à leur arrivée en France</a>. Au terme d’un <a href="https://theconversation.com/les-imaginaires-sexuels-coloniaux-ont-faconne-les-mentalites-des-societes-occidentales-103132">mouvement conjugué d’exotisation, d’ethnicisation et de sexualisation des corps</a>, les victimes nigérianes semblent ainsi pouvoir préserver, dans les imaginaires, l’idéal de pureté et de réserve sexuelle classiquement associé au genre féminin, et singulièrement aux victimes de traite à des fins d’exploitation sexuelle.</p>
<p>Le mythe s’effondre pourtant brutalement si les victimes recourent elles-mêmes à l’achat d’une autre femme pour rembourser plus vite leur dette, un <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-africaine-2020-3-page-51.htm">processus courant dans la communauté nigériane</a>. Ceci bouscule l’ordre des genres articulé autour des figures de l’homme violent exploitant la sexualité de femmes sous emprise, d’une part, et de la « victime idéale » entravée dans l’exercice de son libre arbitre, d’autre part. Aux yeux des magistrats, la victime-auteure voit alors généralement sa qualité de proxénète primer sur celle de victime.</p>
<h2>Des frontières sexuelles aux frontières nationales : le corps de la nation</h2>
<p>À partir de ces observations, plusieurs pistes de réflexion se dégagent. D’abord, face à une <a href="https://theconversation.com/prostitution-comment-travaille-t-on-sur-des-elements-denquete-sensible-178353">matière décrite par les professionnels du droit comme difficile à saisir</a>, le caractère banal et routinier des classements fondés sur l’origine semble permettre de réduire la complexité des situations. Cependant, en assignant des traits immuables aux personnes censées composer ces cultures conçues comme homogènes, cette pensée par groupes n’est pas sans effet sur le jugement pénal : elle contribue à caractériser l’infraction et à en hiérarchiser les auteurs et les victimes.</p>
<p>L’enquête sur les bancs du tribunal montre ainsi que c’est dans leur articulation avec des normes de genre et de sexualité que la portée de ces codifications culturalistes peut être saisie. En effet, le traitement pénal des victimes comme des auteurs d’exploitation sexuelle est <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/la_matrice_de_la_race-9782707159052">inéluctablement rapporté à leur altérité avec un idéal type de sexualité pensée comme « blanche »</a>, c’est-à-dire ni vénale ni contrainte. Autrement dit, la <a href="https://www.ucpress.edu/book/9780520262461/carnal-knowledge-and-imperial-power">sexualité reste centrale dans la manière dont les sociétés occidentales post-coloniales pensent leur caractère supposément civilisé, en opposition à un « autre » barbare"</a>.</p>
<p>En définissant le droit en matière d’exploitation de la sexualité tarifée, ce ne sont donc pas seulement les frontières juridiques de l’infraction que tracent les acteurs judiciaires. Ce sont aussi, et surtout, les frontières morales et nationales d’un ordre public qui apparaît indissociable d’un ordre des genres et des sexualités.</p>
<hr>
<p><em>Le projet <a href="https://anr.fr/Projet-ANR-13-FRAL-0014">ProsCrime</a> est soutenu par l’Agence nationale de la recherche (ANR), qui finance en France la recherche sur projets. Elle a pour mission de soutenir et de promouvoir le développement de recherches fondamentales et finalisées dans toutes les disciplines, et de renforcer le dialogue entre science et société. Pour en savoir plus, consultez le site de l’<a href="https://anr.fr/">ANR</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/210577/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mathilde Darley ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Une enquête montre que le traitement pénal des affaires de traite et proxénétisme est influencé par de nombreux stéréotypes culturels et de genre.Mathilde Darley, Chargée de recherche au CNRS, directrice adjointe du CESDIP et chercheuse associée au Centre Marc Bloch de Berlin, Centre national de la recherche scientifique (CNRS)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2085232023-08-21T15:46:31Z2023-08-21T15:46:31Z2023 : le coup de grâce au jury populaire ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/540460/original/file-20230801-27-6kaua9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=6%2C0%2C2156%2C1556&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Croquis représentant la salle d'audience de la cour d'assises du Pas-de-Calais lors du procès de l'affaire de pédophilie d'Outreau (2004). Les jurés sont assis autour du magistrat (en rouge).</span> <span class="attribution"><span class="source">Laurence De Vellou / AFP</span></span></figcaption></figure><p>Il y a encore quelques mois, en France, les crimes étaient jugés devant une <a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/cour-d-assises-jury-populaire-jures">cour constituée de citoyens tirés au sort</a>. Depuis le 1<sup>re</sup> janvier 2023, ces jurés des <a href="https://theconversation.com/podcast-21-millisecondes-devant-la-cour-dassises-5-5-120946">Cours d’assises</a> ont perdu <a href="https://www.rfi.fr/fr/france/20230102-les-cours-d-assises-remplac%C3%A9es-en-partie-par-des-cours-criminelles-la-r%C3%A9forme-de-la-justice-entre-en-vigueur">environ 50 % des affaires</a> auparavant portées devant eux. Viols, coups et blessures entraînant la mort sans intention ou vols à main armée : ce sont désormais les toutes nouvelles <a href="https://theconversation.com/justice-que-va-changer-la-generalisation-des-cours-criminelles-departementales-197464">Cours criminelles départementales</a>, ou CCD, qui s’en chargent. Et elles ne sont composées que de magistrats professionnels !</p>
<p>Alors que la participation des gouvernés à l’exercice du pouvoir devient une question de plus en plus brûlante, ce <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/11/03/l-effacement-programme-du-jury-populaire-de-cour-d-assises-porte-atteinte-a-la-liberte-l-humanite-et-la-citoyennete_6148296_3232.html">recul historique interroge</a>. Pourtant, cette même perspective historique nous permet de comprendre que le jury était pensé pour périr dès ses prémices…</p>
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<h2>Un jury français d’inspiration anglaise</h2>
<p>Revenons en arrière, plus précisément au XVIII<sup>e</sup> siècle, à la fin de l’Ancien Régime. Le système judiciaire français est aux abois pour nombre de penseurs de l’époque. <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k9691133s/f270.item">Montesquieu</a> critique vertement le régime en place, <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k312564h/f98.item">Voltaire</a> s’empare de procès célèbres pour en démontrer l’iniquité, le <a href="https://doi.org/10.4000/rde.5556">baron d’Holbach</a> importe et traduit de la littérature anglaise pour sensibiliser l’opinion sur d’autres manières d’opérer : nous sommes dans une période qualifiée d’anglophilie. « L’herbe est toujours plus verte de l’autre côté de la barrière » diront certains, et c’est chez nos voisins anglais, qui disposent d’une organisation étatique et judiciaire différente, que nous sommes allés puiser notre inspiration.</p>
<p>C’est alors qu’un auteur milanais, Cesare Beccaria, publie un opuscule, <a href="https://gallica.bnf.fr/blog/09022021/des-delits-et-des-peines-de-cesare-beccaria?mode=desktop"><em>Des délits et des peines</em></a>, qui finit de cristalliser les tensions et mène, pour partie, à la Révolution française de 1789.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/539277/original/file-20230725-25-nk1buz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/539277/original/file-20230725-25-nk1buz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=939&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/539277/original/file-20230725-25-nk1buz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=939&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/539277/original/file-20230725-25-nk1buz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=939&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/539277/original/file-20230725-25-nk1buz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1180&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/539277/original/file-20230725-25-nk1buz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1180&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/539277/original/file-20230725-25-nk1buz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1180&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Source : Bibliothèque nationale de France.</span>
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<p>Désireux de rompre avec l’ancien, les révolutionnaires vont alors majoritairement adopter les idées venues d’autres pays. Ici, nous nous concentrons sur le jury, et c’est précisément sous la Révolution qu’il est mis en place. Certes, les <a href="https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1881_num_12_1_6223_t1_0490_0000_1">débats parlementaires autour de ce nouvel organe de la justice sont houleux</a>. Mais la peur du <a href="https://rdv-histoire.com/programme/le-gouvernement-des-juges-en-france-du-moyen-age-nos-jours">gouvernement des juges</a>, l’hostilité profonde à l’encontre des juristes et le désir de poser de nouvelles fondations conduisent à la victoire du système accusatoire et l’instauration du jury.</p>
<p>Voulu au civil et au pénal, il n’intervient finalement qu’au pénal, exclusivement pour les crimes (les offenses punies d’au moins 15 ans d’enfermement). Il est convoqué à deux phases du procès : la mise en accusation, forme de préparation du jugement (le jury vérifie qu’il y a assez de preuves pour mener vers une seconde phase, celle du jugement), et le jugement en lui-même (le jury tranche sur la réalité des faits : à la fin des auditions, il répond par oui ou non à des questions telles que « est-ce que M. X est coupable d’avoir tué sa femme ? »). Le juge opère uniquement en bout de course, pour prononcer la peine édictée par le code pénal et qui correspond à l’infraction retenue par le jury de jugement.</p>
<p>Le cadre est en place : grâce à la Révolution française, <a href="https://doi.org/10.3917/amx.032.0083">nourrie par diverses influences exogènes</a>, nous disposons de Codes qui écrivent les interdits, de jurés populaires pour contrer la toute-puissance des magistrats, et de juges qui, en matière criminelle, appliquent la peine correspondante à l’infraction retenue par les jurés-citoyens. Néanmoins, cette toile de maître se craquèle bien vite.</p>
<h2>Le pouvoir du jury contesté dès sa création</h2>
<p>Dès leur mise en place en 1791, les jurés attisent le feu des critiques des parlementaires, juges, avocats… Les jurés-citoyens auraient notamment tendance à confondre leurs attributions entre accusation et jugement. En 1808, Napoléon <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k4800785/f269.item">réforme la procédure pénale</a> pour pallier ce problème. Le jury d’accusation est le premier pion à tomber : la mise en accusation retourne aux juges. Le jury de jugement, quoiqu’attaqué, survit à cette première étape, sur le fil.</p>
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<p>Nous l’avons dit, l’institution du jury a été importée d’Angleterre ou, plus généralement, du fonctionnement de la justice dans les pays de <a href="https://www.larousse.fr/encyclopedie/divers/Common_Law/114241"><em>common law</em></a>. Le principe de répartition des pouvoirs entre les jurés et le juge est simple : aux jurés les faits, aux juges le droit. Cette répartition a vécu un temps en France, avant de faire l’objet de nouveaux chamboulements. Les gouvernements en place souhaitaient <a href="https://www.cairn.info/revue-idees-economiques-et-sociales-2017-2-page-41.htm">guider</a> le jury sur des voies qu’ils considéraient plus acceptables, ou les commander indirectement.</p>
<p>En effet, l’une des principales critiques contre le jury tient dans sa <a href="https://www.persee.fr/doc/rural_0014-2182_1984_num_95_1_3024">générosité à l’égard des accusés</a>. Au fil des ans, le législateur n’a de cesse que de modifier les attributions des jurés ou la procédure pénale pour essayer d’endiguer ce phénomène. Ce faisant, il rogne sur certains principes matriciels du jury tel qu’importé, ce qui nous pousse à parler de « jury à la française », tant notre modèle s’éloigne du patron qui nous servit de mètre étalon.</p>
<h2>Le détricotage progressif de tout ce qui fait un jury-citoyen autonome</h2>
<p>Si la mise en accusation a tout bonnement été retirée des missions du jury en 1808, le pouvoir de jugement, lui, sera conservé mais réduit à peau de chagrin au gré des réformes successives.</p>
<p>Six grandes étapes marquent cette érosion progressive, parfois insidieuse, qui se cache derrière des stratégies politiques de canalisation du jury. Dès lors que les acquittements deviennent trop nombreux, le <a href="https://www.academia.edu/98109838/Thesis_La_recherche_de_lintention_en_droit_p%C3%A9nal_contemporain_XIXe_XXe_si%C3%A8cles_The_Search_for_Intent_in_Contemporary_Criminal_Law_XIXe_XXe_Centuries_#page=219">gouvernement imagine une réforme judiciaire pour inciter les jurés à mieux condamner</a>.</p>
<p>En <a href="https://ledroitcriminel.fr/la_legislation_criminelle/anciens_textes/code_penal_1810/code_penal_1810_1.htm">1810</a>, le code pénal napoléonien est promulgué. Celui-ci ne reconnaît que les circonstances aggravantes. De fait, si les jurés admettent un meurtre, la sanction est automatiquement la peine de mort. Les jurés ont donc tendance à acquitter les personnes qui disposent de circonstances atténuantes à leurs yeux, pour éviter une sanction qu’ils estiment trop rigoureuse.</p>
<p>En <a href="https://criminocorpus.org/fr/reperes/textes-juridiques-lois-decre/textes-juridiques-relatifs-la-recidive/25-juin-1824-loi-contenant-diverses-modifications-au-code-penal/">1824</a>, les circonstances atténuantes sont introduites. Seuls les magistrats peuvent les accorder. Les jurés craignent alors que ces circonstances ne soient pas retenues… et continuent d’acquitter excessivement selon les pouvoirs publics.</p>
<p><a href="https://criminocorpus.org/fr/reperes/textes-juridiques-lois-decre/textes-juridiques-relatifs-la-recidive/28-avril-1832-loi-contenant-des-modifications-au-code-penal-et-au-code-dinstruction-criminelle/">1832</a> marque un tournant majeur. Face à l’échec de la réforme de 1824, le législateur réagit et mélange les attributions.</p>
<p>Désormais, ce sont exclusivement les jurés qui peuvent prononcer des circonstances atténuantes (ou aggravantes). Selon les hypothèses, les <a href="https://criminocorpus.org/fr/reperes/textes-juridiques-lois-decre/textes-juridiques-relatifs-la-recidive/28-avril-1832-loi-contenant-des-modifications-au-code-penal-et-au-code-dinstruction-criminelle/">juges récupèrent un pouvoir officiel de mitigation de la pénalité</a> sous certaines limites.</p>
<p>Auparavant les jurés déterminaient l’infraction. Désormais, ils décident indirectement de la sanction, puisque ce sont les circonstances atténuantes ou aggravantes retenues qui déterminent en partie la pénalité. La situation est paradoxale : c’est en augmentant les pouvoirs de jurés honnis que le législateur les guide sur la voie de la sévérité.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/539320/original/file-20230725-29-op9sd1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/539320/original/file-20230725-29-op9sd1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=733&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/539320/original/file-20230725-29-op9sd1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=733&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/539320/original/file-20230725-29-op9sd1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=733&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/539320/original/file-20230725-29-op9sd1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=921&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/539320/original/file-20230725-29-op9sd1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=921&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/539320/original/file-20230725-29-op9sd1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=921&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="attribution"><span class="source">Alexandre Frambéry-Iacobone, La recherche de l’intention en droit pénal contemporain (XIXe-XXe siècles), thèse droit, Bordeaux, 2022.</span></span>
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<p>La date de <a href="https://www.senat.fr/rap/l96-275/l96-27511.html">1932</a> montre un nouveau revirement : on décide que les jurés, après avoir statué sur la culpabilité, retrouvent les magistrats pour délibérer sur la peine, offrant l’illusion qu’ils auraient un mot à dire sur le choix véritable de la sanction. Le revers de la médaille tient en ce que les jurés sont ancrés, toujours plus, dans le giron de la magistrature.</p>
<p>En pleine Seconde Guerre mondiale, et plus précisément en <a href="https://www.dalloz-actualite.fr/interview/selon-francois-saint-pierre-cour-d-assises-perdu-son-intelligence-et-son-ame-depuis-1941">1941</a>, sous la gouvernance de Vichy, l’ultime barrière est franchie : juges et jurés délibèrent ensemble sur la pénalité – depuis 1932 –, et sont désormais rejoints par les juges concernant la culpabilité ; ils n’ont plus d’autonomie réelle. Pour certains, à cette date, “la <a href="https://www.dalloz-actualite.fr/interview/selon-francois-saint-pierre-cour-d-assises-perdu-son-intelligence-et-son-ame-depuis-1941">Cour d’assises a perdu son intelligence et son âme</a>”.</p>
<p>En <a href="https://ledroitcriminel.fr/la_legislation_criminelle/code_de_procedure_penale/anciennes_versions/cpp_leg_1957.htm">1959</a> est adopté le nouveau Code de procédure pénale. D’aucuns pourraient penser que le recul démocratique acté sous Vichy, entremêlant jurés et juges, ne tiendrait pas. Il est pourtant confirmé par cette réforme. Les chiffres guident la main d’un législateur qui ne tremble pas : depuis que juges et jurés statuent ensemble en 1941, le <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-de-droit-p%C3%A9nal-2001-1-page-175.htm">taux d’acquittement a chuté de 25 à 8 %</a>.</p>
<h2>2023 : le coup de grâce ?</h2>
<p>Avec la création des cours criminelles départementales, le champ d’action des jurés est encore réduit. Des crimes qui étaient jugés par des citoyens depuis la Révolution française sont désormais exclusivement jugés par des <a href="https://theconversation.com/dou-vient-la-souffrance-au-travail-des-magistrats-201699">magistrats professionnels</a>.</p>
<p>Et il ne s’agit que de la face visible de l’iceberg. Le discrédit des jurés s’exprime également par la <a href="https://questions.assemblee-nationale.fr/q14/14-56902QE.htm">correctionnalisation</a> massive des crimes. Ceux-ci deviennent de simples délits, jugés sans jurés, par un <a href="https://doi.org/10.3917/drs1.111.0269">agile tour de passe-passe</a> qui peut être procédural ou législatif.</p>
<p>Si ces correctionnalisations sont <a href="https://www.village-justice.com/articles/correctionnalisations-solutions-demonstrations-une-justice-inefficace,31403.html">parfois salvatrices</a>, elles s’inscrivent malgré tout dans une continuité du détricotage du rôle des jurés. Il en va de même avec l’institution des cours criminelles, qui soulève d’ailleurs de <a href="https://twitter.com/benjaminfiorini/status/1673332383011971072?s=46&t=jcPIBcJ4-4lvlrNtPZmUQw">nombreuses</a> <a href="https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20210913/lois.html">réserves</a>.</p>
<p>Difficile de ne pas y voir une nouvelle manifestation de la <a href="https://journals.openedition.org/questionsdecommunication/2334">défiance historique</a> que les pouvoirs publics ont à l’encontre du jury, qui coûterait trop cher, serait chronophage, laxiste… En somme, <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5803576q/f297.image.r=raige">« quand on veut tuer son chien, on dit qu’il a la rage »</a> et le jury populaire a depuis longtemps été accusé de tous les maux. Prochaine étape, la suppression totale des jurés ? L’épée de Damoclès, suspendue par un fil au-dessus du jury, <a href="https://www.francetvinfo.fr/economie/emploi/metiers/droit-et-justice/reforme-de-la-justice-dans-quelques-annees-le-jury-populaire-aura-disparu-pour-toutes-les-affaires-estime-le-president-de-l-association-des-avocats-penalistes_4371871.html">ne semble pas si fictive</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/208523/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alexandre Frambéry-Iacobone ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Avec la généralisation des cours criminelles, les jurys populaires jugent 50 % moins d’affaires. Pourquoi et comment la participation des citoyens à la Justice a-t-elle été réduite au fil des ans ?Alexandre Frambéry-Iacobone, Doctor Europeus en droit (mention histoire du droit – label européen) / chercheur post-doctoral, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2117042023-08-21T15:45:23Z2023-08-21T15:45:23ZJustice climatique : pourquoi la victoire des enfants du Montana crée un précédent important<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/543422/original/file-20230818-21-3rxdd6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=27%2C18%2C5979%2C3989&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Dans de nombreux endroits du monde, les citoyens se mobilisent pour lutter contre le dérèglement climatique.</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>En juin dernier s’ouvrait le procès de seize jeunes habitants du Montana contre leur État au sujet du dérèglement climatique. Le <a href="https://www.france24.com/fr/am%C3%A9riques/20230814-proc%C3%A8s-climatique-dans-le-montana-une-victoire-historique-pour-de-jeunes-am%C3%A9ricains">verdict</a>, rendu ce 14 août 2023, leur a donné raison, et pourrait ainsi faire jurisprudence.</p>
<p>L’affaire a débuté par une plainte de seize adolescents en 2020 et est désormais connue sous le nom de <a href="https://climatecasechart.com/case/11091/">« Held versus l’État du Montana »</a>, du nom de Rikki Held, une adolescente de 22 ans ayant grandi dans un ranch confronté aux fléaux des feux de forêt, des températures extrêmes et des sécheresses répétées.</p>
<p>Celle-ci faisait valoir que les politiques énergétiques de son État violaient le droit constitutionnel des jeunes plaignants à « un environnement propre et sain ». Un droit surnommé « amendement vert » et inscrit dans la <a href="https://leg.mt.gov/bills/mca/title_0000/chapters_index.html">Constitution du Montana</a> depuis les années 1970. Les jeunes plaignants affirmaient plus précisément que les lois de l’État encourageant l’extraction de combustibles fossiles et interdisant la prise en compte de ses effets sur le climat lors de l’<a href="https://deq.mt.gov/public/mepa">examen environnemental</a> pour l’attribution de permis donnés à des entreprises d’énergies fossiles, violaient ce droit constitutionnel à un environnement propre et sein.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1691204899940233217"}"></div></p>
<p>La décision de la juge Kathy Seeley en <a href="https://westernlaw.org/wp-content/uploads/2023/08/2023.08.14-Held-v.-Montana-victory-order.pdf">faveur des jeunes</a> crée un puissant précédent concernant le rôle de ces <a href="https://www.ncelenviro.org/issue/green-amendment/">« amendements verts »</a> dans les actions en justice concernant le dérèglement climatique.</p>
<p>Ce procès, qui s’est déroulé devant le tribunal de district du Montana, a été le premier aux États-Unis à s’appuyer sur le droit constitutionnel d’un État à un environnement propre et sain pour contester les politiques de l’État qui alimentent le dérèglement climatique. Au vu du succès rencontré, ce ne sera pas le dernier.</p>
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<h2>Qu’est-ce qu’un amendement vert ?</h2>
<p>La Constitution américaine ne possède pas d’amendement vert, mais plusieurs constitutions de ses états en possèdent un.</p>
<p>La Pennsylvanie, le Montana, Hawaï, le Massachusetts et l’Illinois ont par exemple tous modifié leur constitution sous l’influence des mouvements écologistes des années 1970 afin de reconnaître le droit des citoyens à un environnement propre et sain. Car ces amendements sont des dispositions constitutionnelles, ils fonctionnent comme des limites à ce que le gouvernement peut ou ne peut pas faire.</p>
<p>Mais les premières affaires visant à tester ces nouveaux droits constitutionnels en <a href="https://casetext.com/case/payne-v-kassab">Pennsylvanie</a> et dans l’<a href="https://law.justia.com/cases/illinois/supreme-court/1984/56315-7.html">Illinois</a> n’ont guère eu de succès. Dans les années 1990, la Cour suprême de l’Illinois avait ainsi <a href="https://law.justia.com/cases/illinois/supreme-court/1995/76775-7.html">annihilé</a> l’amendement vert de cet état, en assurant que le droit à l’environnement ne constituait pas une base sur laquelle un citoyen pouvait intenter une action en justice.</p>
<p>En 1999, cependant, alors que les amendements verts étaient pratiquement oubliés, une affaire dans le Montana a <a href="https://casetext.com/case/meic-v-dep-of-env-quality">discrètement rappelé</a> le droit constitutionnel de ses habitants à un environnement propre et sain.</p>
<p>L’affaire d’alors avait été portée devant les tribunaux par des groupes locaux de défense de l’environnement qui s’inquiétaient de la qualité de l’eau d’un projet de mine d’or. À l’époque, les lois du Montana permettaient à l’État de délivrer des permis pour des projets qui déverseraient des polluants dans les eaux du Montana sans procéder à un quelconque examen environnemental. La Cour suprême du Montana avait alors estimé qu’une telle loi violait le droit fondamental des habitants à un environnement propre et sain et qu’elle était inconstitutionnelle.</p>
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<img alt="Paysage de foret du Montana" src="https://images.theconversation.com/files/543428/original/file-20230818-21-9ha979.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/543428/original/file-20230818-21-9ha979.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/543428/original/file-20230818-21-9ha979.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/543428/original/file-20230818-21-9ha979.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/543428/original/file-20230818-21-9ha979.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/543428/original/file-20230818-21-9ha979.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/543428/original/file-20230818-21-9ha979.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les forêts du Montana sont confrontées à de nouvelles menaces en raison de l'augmentation des températures. Le pin à écorce blanche, une espèce fondamentale, est de plus en plus menacé par des maladies et des insectes qui, auparavant, ne pouvaient pas prospérer dans l'habitat de haute montagne.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/custer-gallatin-national-forest-beartooth-mountains-2276900613">Shutterstock</a></span>
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<p>Le <a href="https://casetext.com/case/robinson-twp-v-pa-pub-util-commn">second succès</a> d’un amendement vert s’est produit quatorze ans plus tard en Pennsylvanie. Au début des années 2010, cet état avait adopté une loi qui donnait à l’industrie pétrolière et gazière le droit de commencer la <a href="https://www.epa.gov/uog/process-unconventional-natural-gas-production">fracturation hydraulique</a>, ou <a href="https://theconversation.com/fr/topics/fracking-184"><em>fracking</em></a>, n’importe où dans l’État. Cette loi empêchait les autorités locales de prendre des décisions en matière d’aménagement du territoire afin de restreindre ou de limiter la fracturation sur leur territoire. La Cour suprême de Pennsylvanie <a href="https://casetext.com/case/robinson-twp-v-pa-pub-util-commn">a ainsi invalidé</a> cette loi au motif qu’elle violait le droit constitutionnel des Pennsylvaniens à un environnement propre et sain.</p>
<p>Cette décision avait alors déclenché une explosion d’intérêt pour les amendements verts.</p>
<p>À Hawaï, des groupes d’intérêt public ont dans la foulée commencé à contester l’approbation par l’État de la production d’électricité à forte intensité de carbone au motif qu’elle violait le droit des Hawaïens à un environnement propre et sain. Hawaï s’appuie désormais sur son amendement vert pour <a href="https://law.justia.com/cases/hawaii/supreme-court/2023/scot-22-0000418.html">rejeter les nouvelles sources d’électricité à forte intensité de carbone</a></p>
<p>En 2022, <a href="https://nygreen.pace.edu/">New York</a> est devenu le premier État depuis les années 1970 à adopter un amendement vert. Actuellement, l’<a href="https://apps.azleg.gov/BillStatus/BillOverview/79167">Arizona</a>, le <a href="https://www.cga.ct.gov/asp/cgabillstatus/cgabillstatus.asp?selBillType=Bill&bill_num=HJ37&which_year=2023">Connecticut</a>, l’<a href="https://www.legis.iowa.gov/legislation/BillBook?ba=HJR10&ga=90">Iowa</a>, le <a href="https://apps.legislature.ky.gov/record/23rs/hb140.html">Kentucky</a>, le <a href="https://legislature.maine.gov/LawMakerWeb/summary.asp?ID=280086900">Maine</a>, le <a href="https://www.leg.state.nv.us/App/NELIS/REL/82nd2023/Bill/9946/Overview">Nevada</a>, le <a href="https://www.njleg.state.nj.us/bill-search/2022/SCR15">New Jersey</a>, le <a href="http://www.nmlegis.gov/Legislation/Legislation?chamber=H&legType=JR&legNo=4&year=23">Nouveau-Mexique</a>, le <a href="https://wapp.capitol.tn.gov/apps/BillInfo/Default.aspx?BillNumber=HJR0050&ga=113">Tennessee</a>, le <a href="https://capitol.texas.gov/BillLookup/History.aspx?LegSess=88R&Bill=HJR119">Texas</a>, le <a href="https://legislature.vermont.gov/bill/status/2020/PR.9">Vermont</a>, <a href="https://app.leg.wa.gov/billsummary?BillNumber=4205&Year=2021&Initiative=false">Washington</a> et la <a href="http://www.wvlegislature.gov/bill_status/resolution_history.cfm?year=2023&sessiontype=rs&input4=9&billtype=jr&houseorig=h&btype=res">Virginie-Occidentale</a> envisagent d’adopter des amendements verts.</p>
<h2>Succès au Montana</h2>
<p>Ce qui rend le récent procès du Montana d’une ambition sans précédent par rapport aux précédentes tentatives ou victoires qui l’ont précédé, c’est que ce recours en justice ciblait directement l’État et sa responsabilité dans le problème global du dérèglement climatique, dont les effets sont perceptibles au Montana comme ailleurs.</p>
<p>Bien que les avocats de l’État aient affirmé que le Montana n’avait qu’une faible responsabilité et aucun impact significatif sur le changement climatique mondial, l’avocat des plaignants a fait valoir que le Montana avait mené une politique énergétique désastreuse. La juge a elle déterminé que le Montana était responsable du rejet de 166 millions de tonnes de CO<sub>2</sub> dans l’atmosphère chaque année, soit l’équivalent de pays comme l’Argentine (47 millions d’habitants), les Pays-Bas (18 millions d’habitants) ou le Pakistan (248 millions d’habitants). À titre de comparaison, le Montana ne compte qu’un million d’habitants.</p>
<p>Sur la base des nombreuses preuves scientifiques présentées lors du procès en juin, la juge Seeley a donc conclu que les jeunes du Montana subissaient effectivement les effets du changement climatique qui se produit dans le Montana et que ces effets pouvaient être attribués à la loi de l’État que les plaignants ont contestée.</p>
<p>La juge Seeley a également estimé que le fait de déclarer inconstitutionnelle la loi de l’État interdisant la prise en compte des incidences sur le climat lors de l’évaluation environnementale permettrait d’atténuer davantage les préjudices subis par les jeunes. C’est sur cette base qu’elle a déclaré la loi de l’État inconstitutionnelle.</p>
<p>Ce résultat constitue un précédent inédit en matière de litiges climatiques et démontre une nouvelle façon d’invoquer les amendements verts pour obtenir des changements environnementaux. Il suggère que dans d’autres États dotés d’amendements verts, les lois nationales ne peuvent pas interdire la prise en compte des émissions de gaz à effet de serre et de leur impact sur le climat dans le cadre de l’évaluation environnementale.</p>
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<img alt="Pancarte avertissant sur le danger des feux de forets, avec derrière une montagne et de la fumée" src="https://images.theconversation.com/files/543430/original/file-20230818-27-6dhqe6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/543430/original/file-20230818-27-6dhqe6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/543430/original/file-20230818-27-6dhqe6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/543430/original/file-20230818-27-6dhqe6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/543430/original/file-20230818-27-6dhqe6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/543430/original/file-20230818-27-6dhqe6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/543430/original/file-20230818-27-6dhqe6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La fumée des incendies de forêt est devenue un élément indésirable de la vie estivale et automnale dans certaines régions du Montana.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/troy-montana-july-17-2021-extreme-2009686334">Dan Van Pelt</a></span>
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</figure>
<p>Mais dans l’affaire présente Held versus l’État du Montana, la juge Seeley avait clairement indiqué, bien avant le procès, <a href="https://climatecasechart.com/case/11091/">qu’elle n’avait pas le pouvoir d’ordonner</a> à l’État d’élaborer un plan correctif pour lutter contre le changement climatique.</p>
<p>En outre, la législature du Montana <a href="https://www.desmog.com/2023/04/03/montana-repeals-state-energy-policy-as-climate-trial-nears/">a abrogé</a> les politiques de l’État en faveur de l’extraction des combustibles fossiles deux mois seulement avant le début du procès, et un juge ne peut généralement pas se prononcer sur la constitutionnalité d’une loi abrogée. Par conséquent, la question de savoir si les politiques de l’État en faveur de l’extraction des combustibles fossiles violaient le droit constitutionnel des citoyens à un environnement propre et sain est une question qui se posera un autre jour et dans une autre affaire.</p>
<p>Une porte-parole du procureur général du Montana a également déclaré que <a href="https://apnews.com/article/climate-change-youth-montana-trial-c7fdc1d8759f55f60346b31c73397db0">l’État prévoyait de faire appel</a> de la décision de la juge Seeley.</p>
<h2><strong>Impact sur les litiges fédéraux relatifs au climat</strong></h2>
<p>Personne ne sait encore comment ce jugement historique du Montana influera un autre procès médiatique de jeunes, qui demandent eux des comptes concernant l’inaction climatique américaine à l’échélon national. Ce procès intenté en 2015 par 21 jeunes et le climatologue James Hansen vise directement les… tats-Unis et plusieurs responsables du pouvoir exécutif, en assurant que le gouvernement a violé leur droit à la vie garanti notamment par le cinquième et neuvième amendement et la common law, ainsi que son devoir souverain de protection ses citoyens en encourageant et en autorisant la combustion de combustibles fossiles.</p>
<p>Car la Constitution américaine ne possède pas d’« amendement vert » dans la Constitution américaine, ce procès, baptisé <a href="https://climatecasechart.com/case/juliana-v-united-states/">l’affaire Juliana (nom de famille d’une plaignante) versus États-Unis</a>, s’appuie notamment sur le neuvième et cinquième amendement de la Constitution des États-Unis, ainsi que sur la doctrine de la <a href="https://ir.law.fsu.edu/articles/719/">confiance publique de la common law</a>. Le neuvième et cinquième amendement n’ont toutefois jamais été interprétés comme un droit environnemental assimilable à un amendement vert. Toutefois, la doctrine de la confiance publique <a href="https://casetext.com/case/foundation-v-commonwealth-6?q=161%20A.3d%20911&sort=relevance&p=1&type=case">a été prise en compte dans la jurisprudence de certains États en matière d’amendements verts</a></p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1636475287583051781"}"></div></p>
<p>Dans les États qui disposent d’amendements verts, les défenseurs du climat s’appuieront certainement sur l’affaire des jeunes du Montana lorsqu’ils contesteront les lois des États qui empirent le dérèglement climatique.</p>
<p>Ces dernières années, nous avons assisté à une érosion de nos lois environnementales par le biais de la <a href="https://www.nytimes.com/interactive/2020/climate/trump-environment-rollbacks-list.html">politique</a> et des <a href="https://www.supremecourt.gov/opinions/21pdf/20-1530_n758.pdf">tribunaux</a>. Cela a alimenté de <a href="https://news.climate.columbia.edu/2021/04/22/rights-of-nature-lawsuits/">nouvelles revendications juridiques de droits environnementaux aux États-Unis</a>, au <a href="https://theconversation.com/court-decision-in-youth-climate-lawsuit-against-ontario-government-ignites-hope-206275">Canada</a> et dans d’autres pays.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/211704/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Amber Polk ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L'affaire repose sur le droit constitutionnel du Montana à « un environnement propre et sain ». Un droit similaire existe dans d'autres États ; d'autres procès pourraient donc suivre.Amber Polk, Assistant Professor of Law, Florida International UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2052522023-08-08T14:02:53Z2023-08-08T14:02:53ZUn revenu de base garanti pour un système alimentaire plus juste et plus durable<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/524926/original/file-20230508-40482-cjmogq.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=36%2C18%2C3971%2C2975&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Une agricultrice de la ferme urbaine Roots Community Food Centre, dans le nord-ouest de l'Ontario, récolte les courges Gete-Okosomin.</span> <span class="attribution"><span class="source">(C. Levkoe)</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p>Le système alimentaire canadien <a href="https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/62f0014m/62f0014m2022014-fra.htm">subit des bouleversements constants</a>. Perturbations de la chaîne d’approvisionnement, inflation des prix et évènements météorologiques extrêmes sont en cause. </p>
<p>Évidemment, la population ressent les effets de ces tensions : en 2021, près de 16 % des ménages provinciaux ont <a href="https://proof.utoronto.ca/wp-content/uploads/2022/08/Household-Food-Insecurity-in-Canada-2021-PROOF.pdf">connu une certaine forme d’insécurité alimentaire</a>.</p>
<p>Des programmes fédéraux tels que la <a href="https://www.canada.ca/fr/services/prestations/ae/pcusc-application.html">Prestation canadienne d’urgence (PCU)</a> et le récent <a href="https://www.canada.ca/fr/immigration-refugies-citoyennete/nouvelles/2023/04/le-ministre-fraser-presente-les-investissements-du-budget-de-2023-pour-fournir-un-nouveau-remboursement-propose-pour-lepicerie.html">remboursement des épiceries</a> témoignent des interventions gouvernementales directes sur le revenu pour garantir l’équité en période d’urgence, y compris l’accès à la nourriture.</p>
<p>Il a été évoqué que ce <a href="https://theconversation.com/does-ottawas-grocery-rebate-signal-a-shift-to-a-broader-guaranteed-basic-income-203132">nouveau remboursement des épiceries</a>, qui a été distribué par le biais du système de crédit pour la taxe sur les produits et services (TPS/TVH), ouvrait la voie à l’atteinte d’un revenu de base garanti. </p>
<p>Or, un revenu de base garanti doit passer par des paiements réguliers, et non un remboursement ponctuel. </p>
<p>Un revenu de base garanti pourrait jouer un rôle clé dans la lutte contre <a href="https://www.northernpolicy.ca/upload/documents/publications/reports-new/tarasuk_big-and-food-insecurity-fr.pdf">l’insécurité alimentaire individuelle et familiale</a> chez les personnes les plus vulnérables. Et il permettrait de s’assurer que chacun puisse répondre à ses besoins de base avec dignité.</p>
<h2>Ce que disent les recherches</h2>
<p>Les groupes et réseaux en faveur d’un revenu de base au Canada s’entendent sur la mise en place d’une <a href="https://basicincomecoalition.ca/fr/qu-est-revenu-de-base/revenu-de-base-que-nous-voulons/">évaluation du revenu</a>, impliquant des transferts d’argent aux personnes dont les revenus sont inférieurs à un certain seuil.</p>
<p>En tant qu’experts en systèmes alimentaires durables, nous suggérons qu’un revenu de base garanti pourrait non seulement être un outil important pour aborder l’accès économique à l’alimentation, mais également pour soutenir la durabilité de l’ensemble du système alimentaire.</p>
<p>Nous nous appuyons sur nos recherches réalisées en collaboration avec <a href="https://basicincomecoalition.ca/fr/">Coalition Canada</a>, un réseau de groupes de défense du revenu de base. Nos recherches ont réuni des équipes interdisciplinaires de chercheurs et de professionnels pour <a href="https://basicincomecoalition.ca/en/actions/case-for-basic-income/">développer une série d’études de cas</a> examinant le revenu de base dans différents secteurs. Ces secteurs comprennent les arts, la finance, la santé, les municipalités et le système de justice pénale.</p>
<p>Notre travail s’est concentré sur les secteurs de <a href="https://basicincomecoalition.ca/wp-content/uploads/2023/03/1.-Case-for-agriculture-March-3-2023.pdf">l’agriculture</a> et de la <a href="https://basicincomecoalition.ca/wp-content/uploads/2022/08/Fisheries-basic-income-case-formatted-July-2022.pdf">pêche</a>, avec l’implication des membres de l’Union nationale des fermiers, de l’Union paysanne, d’Ecotrust Canada et de l’Alliance des pêcheurs autochtones.</p>
<p>Dans l’ensemble, nos recherches suggèrent qu’un revenu de base garanti pourrait avoir un impact significatif sur les incertitudes économiques auxquelles sont confrontées les <a href="https://www.nfu.ca/fr/policy/towards-a-national-agricultural-labour-strategy-that-works-for-farmers-and-farm-workers/">agriculteurs</a> et les <a href="https://doi.org/10.1007/s10393-005-6333-7">communautés de pêcheurs</a> du Canada. Cet outil pourrait également contribuer à une <a href="https://theconversation.com/lautonomie-alimentaire-nest-pas-suffisante-il-faut-viser-un-systeme-alimentaire-sain-et-juste-195416">transition plus juste et durable du système alimentaire</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/lautonomie-alimentaire-nest-pas-suffisante-il-faut-viser-un-systeme-alimentaire-sain-et-juste-195416">L’autonomie alimentaire n’est pas suffisante. Il faut viser un système alimentaire sain et juste</a>
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<h2>Réduire l’incertitude économique</h2>
<p>L’un des impacts potentiels d’un revenu de base garanti serait de réduire l’incertitude économique pour les travailleurs les plus vulnérables des secteurs de l’agriculture et des pêcheries. </p>
<p>Les personnes employées dans le secteur de la transformation alimentaire et de la pêche ainsi que les ouvriers agricoles sont particulièrement vulnérables au chômage saisonnier, aux bas salaires, aux avantages sociaux inéquitables, et aux conditions de travail dangereuses, y compris des <a href="https://doi.org/10.1016/j.aquaculture.2021.736680">taux élevés d’accidents du travail et de maladies professionnelles</a>.</p>
<p>Un revenu de base garanti pourrait offrir aux individus une plus grande sécurité financière et un plus grand contrôle sur leurs choix d’emploi et ainsi contribuer à résoudre les inégalités raciales, de classe et de genre <a href="https://doi.org/10.15353/cfs-rcea.v9i2.521">qui prévalent dans le travail lié aux systèmes alimentaires</a>.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Une moissonneuse-batteuse récolte une culture de blé dans un champ" src="https://images.theconversation.com/files/523316/original/file-20230427-20-qzpm6j.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/523316/original/file-20230427-20-qzpm6j.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=366&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/523316/original/file-20230427-20-qzpm6j.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=366&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/523316/original/file-20230427-20-qzpm6j.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=366&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/523316/original/file-20230427-20-qzpm6j.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=461&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/523316/original/file-20230427-20-qzpm6j.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=461&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/523316/original/file-20230427-20-qzpm6j.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=461&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Un revenu de base garanti pourrait avoir un impact significatif sur les incertitudes économiques auxquelles font face les travailleurs-euses des industries agricoles et de la pêche au Canada.</span>
<span class="attribution"><span class="source">La Presse Canadienne/Jeff McIntosh</span></span>
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</figure>
<h2>Soutenir les nouveaux pêcheurs et agriculteurs</h2>
<p>Un deuxième impact potentiel d’un revenu de base garanti pourrait être de soutenir la relève dans les secteurs de l’agriculture et de la pêche. Dans l’ensemble du Canada, la main-d’œuvre des industries de la <a href="https://atlanticfisherman.com/the-greying-of-the-fleet/">pêche commerciale</a> et de <a href="https://www150.statcan.gc.ca/n1/daily-quotidien/220511/dq220511a-fra.htm">l’agriculture</a> vieillit.</p>
<p>Soutenir les nouveaux agriculteurs et pêcheurs, en particulier ceux qui utilisent des pratiques socialement et écologiquement durables, est essentiel pour construire un système alimentaire plus résilient.</p>
<p>La relève en agriculture et dans le milieu de la pêche commerciale <a href="https://foodsecurecanada.org/fr/communaute-et-reseaux/nouveaux-agriculteurs-et-pecheurs">fait face à d’importantes barrières</a> liées aux coûts élevés d’entrée tels que l’accès à la terre et aux équipements ou l’achat d’un bateau et d’une licence de pêche combinés à des prix fluctuants et incertains pour leurs produits.</p>
<p>Bien qu’un revenu de base garanti ne puisse pas à lui seul résoudre ces défis, il pourrait offrir une <a href="https://www.nfu.ca/wp-content/uploads/2020/04/Income-Stability-Supplement-Proposal.pdf">plus grande stabilité économique aux nouveaux agriculteurs et pêcheurs</a>, particulièrement dans l’optique où ils doivent investir dans les infrastructures et la formation.</p>
<h2>Se préparer aux futurs facteurs de stress</h2>
<p>Un revenu de base garanti pourrait également constituer une étape vers la construction d’une résilience face aux facteurs de stress persistants, tels que la crise climatique et les évènements météorologiques extrêmes, en plus de permettre de se préparer aux urgences futures.</p>
<p>La pandémie de Covid-19 a démontré que ceux et celles ayant des revenus plus stables et des conditions de travail flexibles sont <a href="https://doi.org/10.3389/fsufs.2021.614368">mieux équipés pour s’adapter aux chocs imprévus</a>. Par exemple, pendant la pandémie, les entreprises de transformation de produits de la mer de type <a href="https://open.library.ubc.ca/soa/cIRcle/collections/ubctheses/24/items/1.0390311">« du bateau à la fourchette »</a> ont mieux résisté aux perturbations de la chaîne d’approvisionnement des produits de la mer en raison de capacité d’adaptation et de leur proximité avec les consommateurs.</p>
<p>Actuellement, les agriculteurs et pêcheurs à petite échelle bénéficient de moins de soutien, car la plupart des <a href="https://doi.org/10.3389/fmars.2020.539214">subventions vont aux grandes entreprises industrielles</a>. Cependant, ces petits producteurs jouent un rôle crucial dans <a href="https://theconversation.com/the-future-of-food-is-ready-for-harvest-103050">l’approvisionnement alimentaire des marchés régionaux et locaux</a>, ce qui peut servir de tampon important en période de crise, réduisant le stress lié aux chaînes d’approvisionnement de longue distance.</p>
<p>La mise en place d’un revenu de base garanti serait une mesure proactive pour <a href="https://doi.org/10.1080/19320248.2015.1004220">soutenir des moyens de subsistance équitables</a> pour les petits agriculteurs et pêcheurs.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Des personnes se tiennent sur le pont d’un petit bateau de pêche qui flotte dans le port d’un plan d’eau" src="https://images.theconversation.com/files/523094/original/file-20230426-20-ukmpko.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/523094/original/file-20230426-20-ukmpko.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=439&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/523094/original/file-20230426-20-ukmpko.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=439&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/523094/original/file-20230426-20-ukmpko.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=439&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/523094/original/file-20230426-20-ukmpko.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=551&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/523094/original/file-20230426-20-ukmpko.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=551&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/523094/original/file-20230426-20-ukmpko.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=551&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Des pêcheurs autochtones quittent le port de Saulnierville, Nouvelle-Écosse en octobre 2020.</span>
<span class="attribution"><span class="source">La Presse Canadienne/Andrew Vaughan</span></span>
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</figure>
<h2>Les prochaines étapes pour le système alimentaire</h2>
<p>Un revenu de base garanti aurait le potentiel d’apporter de nombreux impacts positifs. Mais il ne devrait pas remplacer les programmes gouvernementaux existants de soutien à l’agriculture et à la pêche tels que les subventions, la recherche publique et la formation et les programmes de développement des compétences.</p>
<p>Un revenu de base garanti ne devrait pas non plus remplacer les programmes contributifs tels que les <a href="https://www.canada.ca/fr/services/prestations/ae/assurance-emploi-pecheur.html">prestations d’assurance-emploi pour les pêcheurs</a>. Un revenu de base garanti offrirait un soutien aux pêcheurs dont les revenus sont trop faibles pour être admissibles à l’assurance-emploi ou qui sont dans l’incapacité de partir en mer.</p>
<p>Des recherches et des efforts politiques supplémentaires seront essentiels pour mieux comprendre comment un revenu de base garanti pourrait chevaucher d’autres formes de soutien financier telles que les assurances, les prêts et le financement climatique.</p>
<p>Des recherches supplémentaires seront également essentielles pour comprendre comment un revenu de base garanti pourrait soutenir les travailleurs migrants recrutés dans le cadre du <a href="https://www.canada.ca/fr/emploi-developpement-social/programmes/travailleurs-etrangers-temporaires.html">Programme des travailleurs étrangers temporaires</a>. Les travailleurs migrants sont essentiels à la transformation des produits de la pêche, de la viande et de l’horticulture.</p>
<p>Il est également nécessaire de réfléchir de manière systématique et holistique au rôle du revenu de base dans l’ensemble du système alimentaire. La seule façon de le faire est d’obtenir davantage de contributions des communautés agricoles et de pêche et des communautés autochtones en collaboration avec des organisations de lutte contre la pauvreté, de souveraineté alimentaire et de justice alimentaire.</p>
<p>Nous pensons qu’un revenu de base garanti est un outil prometteur pour contribuer à la durabilité et à la justice dans les secteurs de l’agriculture et de la pêche, tout en encourageant le développement de réseaux intersectoriels, de recherches et de politiques communes.</p>
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<p><em>Les auteurs tiennent à souligner la contribution des équipes d’auteurs de la série de documents de Coalition Canada sur le revenu de base.</em></p>
<p><em>Cet article a été traduit de l’anglais par Marie-Camille Théorêt, assistante de recherche de <a href="https://theconversation.com/profiles/bryan-dale-1145023/">Bryan Dale</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/205252/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Kristen Lowitt a reçu des financements du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Charles Z. Levkoe a reçu des financements du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada et du gouvernement de l'Ontario.</span></em></p>Le revenu de base garanti est un outil prometteur pour contribuer à la durabilité et à la justice dans les secteurs de l’agriculture et de la pêche.Kristen Lowitt, Assistant Professor, Environmental Studies, Queen's University, OntarioCharles Z. Levkoe, Canada Research Chair in Equitable and Sustainable Food Systems, Lakehead UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2105972023-07-30T15:13:09Z2023-07-30T15:13:09ZPolice et justice : l’apaisement par les principes constitutionnels est-il possible ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/539919/original/file-20230728-27-6n3k7n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=17%2C22%2C2977%2C1949&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Plusieurs faits de violence de la part de policiers durant ou en marge des émeutes récentes ont donné lieu à des tensions avec la justice. Photo d'illustrattion, 2010.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/sockrotation/4946990578/">Foomandoonian/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p>Les protestations de policiers à Marseille, et <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/07/26/police-les-services-en-pointe-contre-la-delinquance-de-voie-publique-sont-les-plus-affectes-par-le-mouvement-de-grogne_6183525_3224.html">leur débrayage</a> ont essaimé dans d’autres régions de France après qu’un fonctionnaire de police ait été placé en <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/07/21/a-marseille-quatre-policiers-mis-en-examen-pour-violences-en-reunion_6182862_3224.html">détention provisoire</a> suite à des faits survenus en marge des <a href="https://theconversation.com/emeutes-au-dela-des-eclats-le-reflet-de-vies-brutalisees-209239">émeutes récentes</a>.</p>
<p>La mesure avait été contestée par certains syndicats, et dénoncée par Frédéric Veaux, directeur général de la police nationale, <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/07/25/policiers-la-protestation-s-etend-au-dela-de-marseille-le-risque-de-la-crise-de-trop-pour-gerald-darmanin_6183270_3224.html">engendrant de vives tensions</a> avec la magistrature et le monde politique.</p>
<p>Frédéric Veaux <a href="https://www.leparisien.fr/faits-divers/frederic-veaux-patron-de-la-police-avant-un-eventuel-proces-un-policier-na-pas-sa-place-en-prison-23-07-2023-6O2DQ7IKSJEUPG3QZ2A4UW75IU.php">avait notamment déclaré</a> : « je considère qu’avant un éventuel procès, un policier n’a pas sa place en prison ». La phrase avait créé une vaste polémique autour de l’indépendance de la justice et de la légitimité de la détention des forces de l’ordre dans le cadre d’un procès. Pourtant, de forts principes constitutionnels demeurent présents et peuvent être l’outil d’apaisement de ce moment de crise institutionnelle.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/justice-une-confiance-a-restaurer-161596">Justice : une confiance à restaurer</a>
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<h2>Une querelle de « principes »</h2>
<p>En 2022, le secrétaire général du syndicat Alliance <a href="https://www.leparisien.fr/faits-divers/le-probleme-de-la-police-cest-la-justice-a-paris-un-rassemblement-polemique-apres-laffaire-du-pont-neuf-02-05-2022-5ET4Z33QZBBGHLECSOECVTVHWQ.php">avait pu déclarer</a> : « le problème de la police, c’est la justice ». Ces deux fleurons de la fonction publique française et piliers de l’état de droit sont en effet, constitutionnellement, <a href="https://www.cairn.info/revue-archives-de-politique-criminelle-2011-1-page-29.htm">placés en étroite relation antagoniste</a>.</p>
<p>Le premier principe qui gouverne leur rapport est le principe de séparation des pouvoirs rappelé par <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/le-bloc-de-constitutionnalite/declaration-des-droits-de-l-homme-et-du-citoyen-de-1789">l’article 16 de la Déclaration de 1789</a> – déclaration qui a la même valeur que la Constitution elle-même depuis une <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/1971/7144DC.htm">décision du Conseil constitutionnel du 16 janvier 1971</a> – qui est promu en France comme « garantie » de l’existence même de la Constitution et comme principe d’organisation de la société démocratique.</p>
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<p>Cette séparation des pouvoirs n’est pas seulement proclamée par de grands textes et de grands auteurs, elle fait l’objet d’une mise en pratique organisée par le texte même de la Constitution du 4 octobre 1958 qui reprend le dogme de Montesquieu de l’organisation de l’État en trois pouvoirs : judiciaire, exécutif et législatif.</p>
<p>Ces derniers sont <a href="https://www.vie-publique.fr/parole-dexpert/270289-la-separation-des-pouvoirs">séparés</a> dans leurs fonctions afin que chaque « pouvoir arrête le pouvoir » comme le rappelle la maxime issue de <a href="https://gallica.bnf.fr/essentiels/anthologie/montesquieu"><em>L’esprit de loi</em></a>, 1748. De tels mots ne signifient certes pas une absence totale de circulation mais a minima que chacun des trois pouvoirs puisse être garanti de son « indépendance ».</p>
<p>D’autres principes viennent seconder la séparation des pouvoirs pour la garantir effectivement. Ainsi en est-il du gouvernement qui « dirige » les administrations (<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000006527483">article 20 de la Constitution</a>) mais surtout du dogme de <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000006527555">l’article 64 de la Constitution</a> qui proclame « l’indépendance de la justice » judiciaire (l’indépendance des juges administratifs est quant à elle garantie par la jurisprudence du Conseil constitutionnel) telle que garantie par le président de la République et le Conseil supérieur de la magistrature.</p>
<h2>Nul ne peut revenir sur une décision de justice</h2>
<p>Appliquée au cas présent, cette maxime signifie donc bel et bien que nul ne peut revenir sur une décision de justice et que seule la justice peut être amenée à trancher un cas d’espèce en fait, en droit et en autorité.</p>
<p>Un principe général anime ainsi <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/publications/titre-vii/l-egalite-devant-la-justice-penale-dans-la-jurisprudence-du-conseil-constitutionnel-a-propos">l’action des juges</a> depuis Saint Louis, le principe d’égalité devant la loi et la justice (proclamé par l’article 6 de la Déclaration de 1789) signifiant que les administrations, les policiers, les chefs d’État comme les citoyens ordinaires sont tous logés à la même enseigne.</p>
<p>Les juges sont également tenus à l’individualisation des peines (<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000006527434">article 8 de la Déclaration de 1789</a>) qui impose qu’une décision de justice soit nécessairement prise en considération des faits d’une espèce, des circonstances ayant animé l’auteur de l’acte, etc.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/7eRHVWjTrrs?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Les mots de la sociologie de la déviance : « La coopération police/justice », par Christian Mouhanna (septembre 2022).</span></figcaption>
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<p>Aussi, si l’on place suffisamment de confiance dans l’état de droit, toute décision de justice prise à l’égard de n’importe quelle autorité, personne ou institution est prise suivant des conditions d’indépendance de manière la plus en adéquation avec les faits de l’espèce, comme cela est garanti par la Constitution.</p>
<p>Il n’est pas anodin qu’ici, les <a href="https://www.leparisien.fr/faits-divers/policier-ecroue-la-justice-seule-legitime-pour-decider-rappelle-le-conseil-superieur-de-la-magistrature-24-07-2023-DJME3AP3NRGX7HS4AHC2AB2NFE.php">premières réactions</a> aux propos du directeur général de police nationale soient venues du conseil supérieur de la magistrature, organe garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire, qui s’est logiquement positionné comme chantre du rétablissement de la paix entre ces administrations.</p>
<h2>La porosité de la « pratique »</h2>
<p>Il ne faut pour autant pas omettre les faits de l’espèce : un policier en exercice est mis en cause dans l’exercice du maintien de l’ordre pour des violences (délit pénal) et a ainsi été jugé par un juge indépendant, ainsi qu’un autre : le juge des libertés pour décider de sa détention provisoire.</p>
<p>Outre que les conditions de la détention provisoire sont prévues par le code pénal et qu’elles ont nécessairement été respectées en l’espèce par des circonstances liées à l’individualisation de la peine et du prononcé de cette mesure provisoire (la loi est la même pour tous), il est nécessaire de rappeler que lorsqu’un fonctionnaire se rend coupable de délits pénaux, il est justiciable de la justice ordinaire et <a href="https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F13944">redevient un simple citoyen</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/pourquoi-lenquete-police-population-du-ministere-de-linterieur-est-trompeuse-142098">Pourquoi l’enquête « police-population » du ministère de l’Intérieur est trompeuse</a>
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<p>Comme tout agent public, le policier peut également être poursuivi par sa hiérarchie, au niveau disciplinaire, indépendamment des poursuites pénales. La loi est « dure » (<em>dura lex sed lex</em>), elle ne prévoit donc aucune complaisance pour les fonctionnaires du maintien de l’ordre.</p>
<p>Il reste la particularité de leur mission. Celle-ci est garantie par leur serment, cf. Art. L. 434-1 A. :</p>
<blockquote>
<p>« Préalablement à sa prise de fonctions, tout agent de la police nationale ou de la gendarmerie nationale déclare solennellement servir avec dignité et loyauté la République, ses principes de liberté, d’égalité et de fraternité et sa Constitution par une prestation de serment. »</p>
</blockquote>
<p>Cette mission place les agents en gardiens du respect de la loi, et peut justifier que leur hiérarchie considère moralement qu’un « policier n’a pas sa place en prison » dans le cadre d’une détention provisoire.</p>
<p>Toutefois, la réalité se trouvant, comme toujours en droit constitutionnel, dans la nuance, les organes de garantie de l’indépendance judiciaire ont – avec autant de force et de contradiction pourtant – raison de répliquer que seuls les juges peuvent rendre la justice. De plus, on objectera que tout fonctionnaire est tenu au respect d’une obligation cardinale issue non seulement des textes mais de la jurisprudence et de la pratique : celle de neutralité de sa parole et son action (qualifiée de devoir de réserve), expliquant le caractère rare et particulièrement commenté de la prise de parole du président de la police nationale.</p>
<h2>Une relation paradoxale</h2>
<p>En matière de relation entre police et justice, le paradoxe dû à la porosité des frontières est partout.</p>
<p>D’abord du fait que les juges sont des fonctionnaires qui reçoivent, à ce titre, comme toutes les administrations (rappelons le dogme de l’article 20 de la Constitution) des ordres émanant d’un ministre, celui de la justice, qui peut leur adresser des instructions (le Conseil constitutionnel le <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2021/2021927QPC.htm">rappelle</a>. Ceci semble directement contredire l’indépendance de ses juges.</p>
<p>Enfin parce que le président de la République est le garant de l’indépendance de la justice, ce qui paraît <a href="https://www.cairn.info/revue-apres-demain-2011-4-page-16.htm">contradictoire</a> avec sa qualité de première autorité administrative de la France.</p>
<p>Pourtant, l’administration peut garantir l’indépendance des juges autant que l’intégrité des forces de l’ordre dans un état de droit. C’est d’ailleurs ce que martèle l’article 64 qui place la confiance dans les mains du président afin qu’il exerce clairement ses fonctions dans le respect de l’indépendance de l’autorité judiciaire. C’est la mission d’arbitrage que lui assigne l’<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000006527459">article 5 de la Constitution</a> et qu’Emmanuel Macron a rappelé dans son discours concernant l’affaire en cours.</p>
<p>L’un des seuls facteurs de fonctionnement du système – dont l’existence n’est pas directement prévue par les textes – est celui de la confiance dans l’autorité judiciaire, dans l’exercice du maintien de l’ordre, dans l’égalité devant la loi mais surtout dans la démocratie.</p>
<p>Malheureusement, dans un climat politique délétère, toute prise de parole publique est susceptible d’alimenter un incendie de défiance. Le rappel des principes républicains permet seul de percevoir la contre-productivité de toute tension entre police et justice qui n’ont qu’un but commun : celui de l’apaisement des conflits inter-individuels au fondement de toute société moderne depuis des siècles.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/210597/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anne-Charlène Bezzina ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La police et la justice, piliers de l’état de droit sont constitutionnellement, placés en étroite relation antagoniste. Pourtant la Constitution garantit aussi leur indépendance.Anne-Charlène Bezzina, Constitutionnaliste, docteure de l'Université Paris 1 Sorbonne, Maître de conférences en droit public à l'université de Rouen, Université de Rouen NormandieLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2089612023-07-04T20:13:28Z2023-07-04T20:13:28ZÉtat d’urgence : ne pas confondre régime d’exception et gestion de crise<p>Dès la première nuit de violences et de dégradations commises dans le sillage de la révolte de la jeunesse populaire suscitée par le décès du jeune Nahel à Nanterre, plusieurs voix se sont élevées pour réclamer la <a href="https://www.france24.com/fr/france/20230630-malgr%C3%A9-les-pressions-sur-sa-droite-emmanuel-macron-r%C3%A9siste-%C3%A0-d%C3%A9cr%C3%A9ter-l-%C3%A9tat-d-urgence">proclamation de l’état d’urgence</a>. Institué par la loi du 3 avril 1955, dans une logique explicitement contre-insurrectionnelle, pour lutter contre les forces de libération nationale algériennes, ce régime d’exception a pour objet de conférer au pouvoir exécutif des attributions répressives étendues « en cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public, soit en cas d’événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique ».</p>
<p>Il n’a pas disparu avec la guerre d’Algérie mais a au contraire connu singulière pérennité. Mis en œuvre pour la dernière fois entre novembre 2015 et septembre 2017 à la suite des attentats de Paris, il a notamment été proclamé en <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/cons/id/CONSTEXT000017667804">1985 en Nouvelle-Calédonie</a> à l’encontre de mouvements indépendantistes et en <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000263710">2005</a> pour faire face au mouvement de révolte ayant embrassé les quartiers populaires des grandes villes à la suite, déjà, du décès de deux adolescents lors d’une opération de police.</p>
<p>Sans totalement fermer la porte à cette hypothèse, les pouvoirs publics ont pour l’instant fait le choix d’écarter cette option pour lui privilégier des mesures de police davantage ciblées. En faisant usage de leurs pouvoirs de <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000029946370?idSecParent=LEGISCTA000006149238">police administrative générale</a>, plusieurs maires ont ainsi mis en place dans leur commune des <a href="https://www.leparisien.fr/faits-divers/couvre-feux-en-ile-de-france-votre-commune-est-elle-concernee-01-07-2023-E2GWPIMRI5HEVERFJMEOKQY7AM.php">couvre-feux pour les mineurs</a>, leur faisant défense de quitter leur domicile durant la nuit.</p>
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<p>Compétents pour prendre des mesures similaires <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000006070633/LEGISCTA000006164558?etatTexte=VIGUEUR&etatTexte=VIGUEUR_DIFF&anchor=LEGIARTI000006390227#LEGIARTI000006390227">au niveau départemental ou intercommunal</a>, plusieurs préfets ont également pris des mesures d’interdiction de rassemblement, de <a href="https://www.francebleu.fr/infos/societe/violences-urbaines-plus-aucun-bus-ni-tram-apres-21-heures-sur-tout-le-territoire-2403450">suspension de certains transports collectifs de voyageur après 21h</a> ou encore d’interdiction de transport de matériel destiné <a href="https://www.francebleu.fr/infos/faits-divers-justice/meurthe-et-moselle-feux-d-artifice-interdits-et-surveillance-par-drone-suite-a-la-mort-de-nahel-4744417">à réaliser des feux d’artifice</a>. Parallèlement, le gouvernement a mobilisé un <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/07/03/emeutes-urbaines-le-recours-aux-unites-d-elite-de-la-police-et-de-la-gendarmerie-une-strategie-inedite-et-assumee_6180329_3224.html">très important contingent de policiers</a> et de gendarme chargés, dans les quartiers particulièrement exposés au risque de violences et de dégradations, non seulement de maintenir l’ordre public mais aussi de procéder à l’interpellation des auteurs d’infraction.</p>
<h2>Une mise en œuvre qui ne parait pas fondée</h2>
<p>Traduisant la volonté d’apporter une réponse proportionnée à la gravité de la situation, cette approche s’est pour le moment révélée suffisamment efficace sinon pour faire cesser complètement les troubles, du moins pour éviter qu’ils ne s’aggravent. Dans une telle perspective, quel serait le sens d’une nouvelle proclamation de l’état d’urgence ? Certes, la mise en place de ce dispositif aurait notamment pour effet de renforcer la force juridique des mesures de restriction de liberté d’ores et déjà mises en œuvre.</p>
<p>D’une part, celles-ci n’auraient plus besoin d’être spécialement motivées en fonction des circonstances locales, la simple déclaration d’état d’urgence <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000036537338">suffisant à les justifier</a>. D’autre part, alors que les personnes qui méconnaissent les arrêtés de police <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000045176320">n’encourent qu’une amende</a>, elles seraient désormais <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000034115133">passibles de peines d’emprisonnement</a> et pourraient, à ce titre, être placées en garde à vue. Mais il faut aussitôt rappeler que, dans une société démocratique, les autorités doivent <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2020/2020805DC.htm">user du moins de coercition possible</a> et ne peuvent recourir aux pouvoirs répressifs exorbitants que leurs permettent les régimes d’exception que lorsque leurs moyens d’action habituels s’avèrent manifestement insuffisants. En l’occurrence, ainsi qu’il vient d’être rappelé, ces moyens s’avèrent suffisants à prévenir et sanctionner les troubles à l’ordre public observés ces derniers jours : la mise en œuvre de l’état d’urgence n’apparaît ainsi ni nécessaire, ni même juridiquement fondée.</p>
<h2>Un risque non négligeable d’arbitraire</h2>
<p>Relevons à ce titre que le recours à ce régime d’exception apparaît d’autant moins approprié en l’espèce qu’il est par ailleurs porteur d’un risque non négligeable d’arbitraire. En premier lieu, les critères permettant le déclenchement de l’état d’urgence sont définis de façon particulièrement malléable puisqu’il suffit au gouvernement d’invoquer un « péril imminent » ou, plus vague encore, l’existence d’une « calamité publique ».</p>
<p>Comme le souligne le Conseil d’État dans <a href="https://www.conseil-etat.fr/publications-colloques/etudes/les-etats-d-urgence-la-democratie-sous-contraintes">l’étude annuelle de son rapport pour l’année 2020</a>, cette imprécision a notamment pour effet de favoriser un « usage prolongé » du régime d’exception qui, sur le long terme :</p>
<blockquote>
<p>« déstabilise le fonctionnement ordinaire des institutions, en bouleversant le rôle du Parlement et des institutions territoriales, banalise le risque, restreint les libertés de façon excessive et altère, à terme, la cohésion sociale ».</p>
</blockquote>
<p>En second lieu, la proclamation de l’état d’urgence autorise le préfet et le ministre de l’Intérieur à prendre des mesures restrictives de liberté individuelle elles-mêmes fondées sur un critère particulièrement extensif. Depuis la loi du 20 novembre 2015, il est ainsi possible d’assigner une personne à résidence ou de perquisitionner son domicile dès lors que son comportement est perçu <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000034206287">comme « une menace pour la sécurité et l’ordre publics »</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">Débat sur Médiapart avec des militants ou membres d’associations cultuelles assignés à résidence, décembre 2015.</span></figcaption>
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<p>Cette imprécision aura ainsi permis <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2015/12/10/la-constitutionnalite-de-l-etat-d-urgence-mise-en-cause_4828792_3224.html">d’assigner à résidence des militants écologistes</a> alors même que l’état d’urgence avait été officiellement proclamé pour lutter contre la criminalité terroriste.</p>
<p>Elle aura également eu pour effet une véritable dispersion des forces répressives : moins d’un pour-cent des perquisitions menées dans ce cadre entre novembre 2015 et septembre 2017 <a href="https://theconversation.com/quel-bilan-pour-les-mesures-administratives-de-lutte-contre-le-terrorisme-147163">ayant permis la constatation de potentielles infractions terroristes</a>.</p>
<h2>Des recours possible contre l’état d’urgence mais peu utilisés</h2>
<p>Si l’état d’urgence est proclamé par décret du premier ministre, sa poursuite au-delà de douze jours doit certes <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000006404783">être autorisée par le Parlement</a>. Mais on sait que l’économie générale des institutions de la V<sup>e</sup> République favorise une singulière <a href="https://theconversation.com/changer-de-constitution-pour-changer-de-regime-180160">subordination du pouvoir législatif au pouvoir exécutif</a>.</p>
<p>De fait, il n’existe aucun exemple d’une demande de prolongation de l’état d’urgence qui ait été refusée par les parlementaires. De ce point de vue, le contrôle pratiqué par le juge administratif sur la proclamation et la mise en œuvre de ce régime d’exception s’avère plus tangible. Il souffre néanmoins de deux limites d’importance. D’une part, le Conseil d’État s’interdit de porter son contrôle sur le bien-fondé de la déclaration d’état d’urgence au-delà de <a href="http://www.conseil-etat.fr/fr/arianeweb/CE/analyse/2005-12-09/287777">l’erreur manifeste d’appréciation du gouvernement</a> – ce qui n’est jamais arrivé.</p>
<p>D’autre part, les juridictions administratives ne sont appelées à contrôler la légalité des mesures individuelles auxquelles peuvent être soumises les personnes (perquisition, assignation…) que si elles en font la demande et, en pratique, de <a href="https://juridique.defenseurdesdroits.fr/doc_num.php?explnum_id=17814">longs mois après leur édiction</a>.</p>
<p>Ainsi, le seul recours véritablement effectif ouvert aux citoyens est la possibilité d’en demander la <a href="http://www.conseil-etat.fr/fr/arianeweb/CE/analyse/2015-12-11/395009">suspension en urgence par le juge administratif</a>. Mais combien connaissent l’existence d’une telle voie de droit ? Si celle-ci est en principe ouverte à tout citoyen, ses conditions de mises en œuvre la rende difficilement praticable <a href="https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F2551">sans le concours d’un professionnel du droit</a>.</p>
<p>Dans ces conditions, on ne saurait trop approuver le choix du gouvernement de ne pas recourir à un tel dispositif, semblant ainsi reprendre à son compte la recommandation par laquelle le Conseil d’État, dans le rapport précité, souligne à quel point il est « nécessaire de sortir de la confusion qui s’est installée entre état d’urgence et gestion de crise ».</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/208961/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Vincent Sizaire ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La mise en œuvre de l’état d’urgence n’apparaît ni nécessaire, ni même juridiquement fondée.Vincent Sizaire, Maître de conférence associé, membre du centre de droit pénal et de criminologie, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2080402023-06-21T18:38:49Z2023-06-21T18:38:49ZPourquoi l’attaque à Annecy n’a-t-elle pas été qualifiée de terroriste ?<p>Le 10 juin dernier, l’auteur de l’agression au couteau à Annecy de quatre enfants et des adultes qui s’étaient interposés a été mis en examen pour tentative d’assassinat. Dans les heures et les jours qui ont suivi ce crime, plusieurs voix se sont élevées pour interroger <a href="https://www.la-croix.com/France/Attaque-dAnnecy-pourquoi-justice-estime-nest-pas-acte-terroriste-2023-06-09-1201270883">l’absence de qualification terroriste donnée à ces actes</a>. </p>
<p>L’ensemble des témoignages rapportés par la presse font en effet apparaître qu’au moment des faits, l’agresseur <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/06/09/annecy-le-suspect-abdelmessih-h-est-un-refugie-syrien-chretien-venu-de-suede_6176810_3224.html">a répété agir « au nom de Jésus Christ »</a>. Or, au cours des dernières années, des attaques au couteau commises par des personnes prétendant agir au nom d’une religion – en l’occurrence l’islam – ont très régulièrement été qualifiées de <a href="https://theconversation.com/de-halle-a-manchester-le-terrorisme-est-la-domination-par-la-panique-113935">terroristes</a> par les autorités, que ce soit <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Attentat_de_la_gare_Saint-Charles_de_Marseille">à Marseille en octobre 2017</a>, <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Attentat_du_march%C3%A9_de_No%C3%ABl_de_Strasbourg">à Strasbourg en décembre 2018</a>, ou encore <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Attentat_de_la_basilique_Notre-Dame_de_Nice">à Nice en octobre 2020</a>. Pourquoi donc cette qualification a-t-elle été exclue s’agissant de l’attaque commise à Annecy ?</p>
<h2>Un caractère foncièrement subjectif</h2>
<p>D’un point de vue strictement juridique, cette décision apparaît certes tout à fait régulière. Mais l’honnêteté intellectuelle invite immédiatement à préciser que le choix contraire de retenir la qualification terroriste aurait été tout aussi conforme au cadre légal applicable.</p>
<p>Le propre de cette qualification est en effet de présenter un caractère foncièrement subjectif. Aux termes de l’article 421-1 du code pénal, un crime ou un délit terroriste est en réalité une infraction de droit commun – tel un meurtre, un enlèvement ou encore des destructions par incendie – mais qui se trouve « en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur ».</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/france-mere-des-arts-des-lois-et-du-terrorisme-50995">France, mère des arts, des lois… et du terrorisme</a>
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<p>Une définition qui offre aux autorités répressives une marge d’appréciation considérable. Définir ce qui trouble, ou non, gravement l’ordre public implique déjà une approche nécessairement subjective, dépendant de la sensibilité relative des pouvoirs publics – et des médias – à tel ou tel fait criminel. Mais déterminer si la personne avait également l’intention spécifique d’intimider ou de terroriser autrui par son geste, ouvre inévitablement sur l’arbitraire.</p>
<p>Sauf à ce que l’acte soit clairement revendiqué comme tel, la caractérisation d’une telle intention reposera alors nécessairement, non sur des éléments objectivables, mais sur des éléments au mieux contextuels ou, pire encore, sur l’émotion suscitée par les faits, a fortiori lorsque ces derniers sont fortement médiatisés. </p>
<p>C’est ainsi qu’après le <a href="https://theconversation.com/bonnes-feuilles-les-memoriaux-du-13-novembre-150334">traumatisme</a> suscité par les attentats du 13 novembre 2015, des milliers de personnes ont été perquisitionnées sur le fondement de suspicions particulièrement vagues, la réalité de leur implication <a href="https://theconversation.com/quel-bilan-pour-les-mesures-administratives-de-lutte-contre-le-terrorisme-147163">dans un éventuel projet terroriste</a> n’étant avérée que dans moins de 1 % des cas. En dernière analyse, la qualification d’une infraction comme terroriste recèle ainsi d’un inévitable arbitraire.</p>
<h2>Une situation délicate</h2>
<p>Cette situation pose, d’un point de vue démocratique, plusieurs difficultés. En premier lieu, elle nous expose au risque d’une répression arbitraire ou, à tout le moins, disproportionnée. Bien sûr, il est des crimes dont la dimension véritablement « terroriste » ne souffre en pratique <a href="https://www.cairn.info/revue-les-champs-de-mars-ldm-2002-1-page-131.htm">d’aucune discussion sérieuse</a>, à l’image des attentats de New York du 11 septembre 2001.</p>
<p>Mais il faut avoir l’esprit que la plupart des faits aujourd’hui poursuivis comme acte de terrorisme ne constituent pas des meurtres de masse clairement revendiqués ni même des agressions de rues commises par des personnes isolées mais des actes de participation à des groupements suspectés de fomenter des projets d’attentat – et qualifiés à ce titre d’associations de malfaiteurs terroristes. C’est par exemple sous cette qualification qu’ont été mises en cause la plupart des personnes soupçonnées de revenir ou de vouloir se rendre en <a href="https://www.cairn.info/revue-rhizome-2016-1-page-69.htm">Syrie</a> à l’époque où ce territoire était partiellement sous contrôle de l’organisation de l’État islamique.</p>
<p>Mais comment alors, sans risquer de basculer dans l’arbitraire, caractériser une volonté d’intimider ou de terrifier <a href="https://www.cairn.info/revue-deliberee-2017-2-page-16.htm">au seul stade des actes préparatoires</a> ? Soulignons par ailleurs que ce risque d’arbitraire ne pose pas seulement difficulté du point de vue des droits des personnes poursuivies ou suspectées. En étendant démesurément le filet pénal, il a aussi pour conséquence un <a href="https://theconversation.com/lutte-antiterroriste-les-mailles-du-filet-francais-sont-encore-bien-trop-larges-167814">potentiel éparpillement des forces répressives</a> affectant leur capacité à répondre en temps utile aux projets d’attentat avérés.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-terreur-un-instrument-politique-171874">La terreur, un instrument politique ?</a>
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<h2>Le risque de la stigmatisation</h2>
<p>En second lieu, le caractère trop malléable de la qualification terroriste fait également courir le risque d’une approche discriminatoire, par les pouvoirs publics, de ce type de criminalité. Comment en effet justifier que, devant un mode opératoire similaire, des actes commis au nom d’une religion soient qualifiés tels quand ceux qui sont commis au nom d’une autre ne le sont pas ? Depuis de nombreuses années, des organisations internationales comme le <a href="https://www.ohchr.org/fr/press-releases/2017/06/counter-terrorism-measures-are-fuelling-racism-un-rights-expert-warns">haut-commissariat aux droits de l’homme de l’ONU</a> ou des organisations non gouvernementales comme Amnesty International alertent sur le fait que :</p>
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<p>« Les discriminations contre les personnes musulmanes dans le cadre de la lutte contre le terrorisme en Europe ont contribué à créer un environnement qui les expose davantage <a href="https://www.amnesty.org/fr/latest/press-release/2021/02/europe-how-to-combat-counter-terror-discrimination/">aux propos haineux et aux attaques</a>. »</p>
</blockquote>
<p>Une situation qui ne pose pas seulement problème en soi, mais aussi en raison du rôle paradoxal qu’une telle stigmatisation peut jouer dans le basculement dans la violence criminelle de jeunes gens qui verront dans un Islam aussi mythifié qu’il est diabolisé par d’autres le <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2018/09/BONELLI/59014">moyen de donner un sens à leur envie de revanche sociale</a>.</p>
<h2>Resserrer la notion juridique</h2>
<p>C’est pourquoi il apparaît aujourd’hui nécessaire de réfléchir, sinon à sa suppression, du moins à un resserrement de la notion juridique de terrorisme pour en limiter le potentiel d’arbitraire. Il ne s’agit nullement de priver les autorités des leurs moyens d’action mais, bien au contraire, de leur permettre de se recentrer sur les projets criminels avérés, lesquels seront d’autant mieux prévenus que leurs critères d’identification sont définis avec davantage de rigueur. </p>
<p>À cet égard, le droit de l’Union européenne nous suggère des pistes intéressantes. <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:32017L0541#d1e614-6-1">La directive du 15 mars 2017 relative à la lutte contre le terrorisme</a> définit en effet les infractions terroristes, de façon sensiblement plus précise que le droit français, comme celles ayant pour objet de « gravement intimider une population », de « contraindre indûment des pouvoirs publics ou une organisation internationale à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir un acte quelconque » ou de « gravement déstabiliser ou détruire les structures politiques, constitutionnelles, économiques ou sociales fondamentales d’un pays ou d’une organisation internationale ».</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/penser-le-terrorisme-le-cas-albert-camus-118847">Penser le terrorisme : le cas Albert Camus</a>
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<p>Loin de s’étendre potentiellement à tout acte perçu comme terrorisant, la définition européenne restreint ainsi <a href="https://www.vie-publique.fr/fiches/20371-actes-juridiques-de-lue-quest-ce-quune-directive#:%7E:text=La%20directive%20est%20un%20acte,quant%20%C3%A0%20eux%20d%C3%A9termin%C3%A9s%20nationalement.">la notion</a> non seulement aux actes d’une particulière gravité – en exigeant notamment des actes explicitement dirigés non contre des personnes isolées, mais contre un groupe de personnes spécifiques – mais aussi aux actes destinés, directement ou indirectement, à faire pression sur les pouvoirs publics. À l’aune d’une telle définition, les attaques commises sans revendication explicite, fut-ce avec une coloration religieuse, n’auraient plus vocation à être qualifiés de terroristes. </p>
<p>Une telle redéfinition ne priverait nullement le pouvoir répressif des moyens de sanctionner ce type d’infractions : elles le seraient simplement en vertu du droit commun. Elle n’empêcherait pas davantage de recourir à des mesures d’enquêtes particulièrement poussées et mises en œuvre par des services spécialisés, s’agissant des crimes ou délits qui, ne relevant plus de la notion de terrorisme, n’en resterait pas moins commis en bande organisée – le régime d’enquête applicable aux faits terroristes n’étant qu’une <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000006071154/LEGISCTA000006138138?etatTexte=VIGUEUR&etatTexte=VIGUEUR_DIFF&anchor=LEGISCTA000038311675#LEGISCTA000038311675">déclinaison d’un régime applicable à la criminalité organisée</a>. En étant limitée aux actes les plus graves, à ceux qui déstabilisent véritablement les structures sociales d’une nation, elle permettrait en revanche de renforcer la condamnation symbolique de ce type de criminalité, quand sa généralisation tend au contraire à la banaliser dangereusement.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/208040/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Vincent Sizaire ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La qualification d’attaque « terroriste » présente un caractère foncièrement subjectif et mérite d’être affiné au regard des diverses attaques récentes comme à Annecy.Vincent Sizaire, Maître de conférence associé, membre du centre de droit pénal et de criminologie, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2031352023-06-05T15:47:12Z2023-06-05T15:47:12ZJustice climatique : ce nouveau front ouvert par les petits États insulaires à l’ONU<p>Le mercredi 29 mars 2023, l’Assemblée générale des Nations unies a adopté par consensus une résolution par laquelle elle <a href="https://press.un.org/fr/2023/ag12497.doc.htm">sollicite l’avis de la Cour internationale de Justice (CIJ)</a> sur les obligations étatiques en matière de changement climatique. La soumission du texte, portée par le Vanuatu, marque une étape décisive d’un point de vue juridique et politique.</p>
<p>Juridiquement d’abord, la <a href="https://documents-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/LTD/N23/063/83/PDF/N2306383.pdf">résolution</a> pose deux questions très générales à la CIJ, principal organe judiciaire des Nations unies.</p>
<p>À moins qu’elle ne mette en œuvre son pouvoir discrétionnaire pour ne pas répondre, ce qui est peu probable, la Cour sera amenée à se prononcer sur les obligations des États en matière de lutte contre le changement climatique « pour les États et les générations futures », mais aussi sur les conséquences juridiques en découlant pour ceux qui auraient violé ces obligations.</p>
<p>Autrement dit, est soulevée la délicate question de la responsabilité des émetteurs de gaz à effet de serre vis-à-vis des dommages causés aux autres États, en particulier aux petits États insulaires en développement, ainsi qu’aux peuples et individus touchés par leurs effets.</p>
<p>Politiquement, l’adhésion collective autour du texte est un signal fort, qui a certes ses limites. Elle est en même temps emblématique de la nouvelle visibilité de l’espace océanien, et d’un glissement narratif : <a href="https://media.un.org/fr/asset/k1g/k1g96fgbeu">ceux qui vivent l’« enfer climatique »</a> deviennent les acteurs qui poussent vers le changement.</p>
<h2>L’incroyable campagne des étudiants du Pacifique</h2>
<p>L’approbation de l’Assemblée générale est d’abord une victoire de la société civile ; hasard du calendrier, s’ouvraient d’ailleurs le même jour devant la CEDH les audiences d’une autre affaire, celle des « retraitées suisses » <a href="https://www.france24.com/fr/plan%C3%A8te/20230329-climat-la-cedh-examine-des-requ%C3%AAtes-contre-la-france-et-la-suisse-une-premi%C3%A8re">du groupe <em>Aînées pour la protection du climat</em></a>.</p>
<p>Tout a commencé il y a quatre ans dans une salle de cours de l’Université du Pacifique, sur le campus de Port-Vila, capitale du Vanuatu. Quelques étudiants, aidés de leurs encadrants, reprennent alors le projet avorté de Palau et des îles Marshall, qui avaient tenté en 2011 de porter le dossier <a href="https://news.un.org/en/story/2011/09/388202">devant la haute juridiction internationale</a>.</p>
<p>Une décennie après, le contexte est plus favorable et, surtout, la campagne de l’<a href="https://www.pisfcc.org/">Association des étudiants des îles du Pacifique luttant contre le changement climatique</a> est menée de façon particulièrement active. La détermination des intéressés n’est pas un exercice de style, dans une partie du monde où les effets du changement climatique sont déjà ressentis de longue date.</p>
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<figcaption><span class="caption">L’ONU adopte une résolution marquant un pas de plus pour la justice climatique. Source : France 24, le 29 mars 2023.</span></figcaption>
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<h2>Une pétition reprise par le Vanuatu</h2>
<p>Le Vanuatu, petit État insulaire mélanésien, est particulièrement exposé aux désastres, comme l’a tragiquement rappelé l’actualité cette année (l’état d’urgence a dû être déclaré à la suite du passage en deux jours des <a href="https://la1ere.francetvinfo.fr/nouvellecaledonie/deja-en-etat-d-urgence-le-vanuatu-fait-le-bilan-apres-le-passage-du-cyclone-kevin-1371858.html">cyclones Judy et Kevin</a> en mars 2023).</p>
<p>Le gouvernement du Vanuatu reprend alors la pétition de ces jeunes au niveau interétatique. Lors de leur 51<sup>e</sup> rencontre organisée à Suva (Fiji), en juillet 2022, les membres du Forum des îles du Pacifique (FIP) appuient officiellement la <a href="https://www.forumsec.org/2022/07/17/report-communique-of-the-51st-pacific-islands-forum-leaders-meeting/">demande auprès de l’ONU</a>, et finissent par rallier la majorité des États de la planète.</p>
<p>C’est la première fois qu’une résolution sollicitant un avis de la CIJ est adoptée par consensus, et, à l’heure de la crise du multilatéralisme, cette cohésion n’est pas anodine. Sa portée doit toutefois être précisée.</p>
<h2>Clarifier les obligations des États</h2>
<p>L’<a href="https://www.un.org/fr/about-us/un-charter/chapter-14">article 96 de la Charte des Nations unies</a> prévoit que l’Assemblée générale ou le Conseil de sécurité « peut demander à la Cour internationale de justice un avis consultatif sur toute question juridique ».</p>
<p>Ces avis, rendus dans le cadre de la compétence consultative de la Cour, n’ont pas de force juridique obligatoire, mais ne sont pas pour autant dénués d’effet. Ils bénéficient d’une très haute autorité morale et participent au développement du droit en donnant des éléments essentiels d’interprétation.</p>
<p>En l’occurrence, la Cour pourrait se prononcer dans les deux années qui viennent, et ainsi permettre d’expliciter les obligations des États en matière de changement climatique, notamment leur obligation de coopération.</p>
<p>Le but en outre est d’influencer les positions des parties lors des négociations dans le cadre du régime du climat, contribuer à doper les ambitions et fournir des arguments juridiques aux États les plus vulnérables. Un tel avis est également susceptible de clarifier l’articulation entre le droit du climat et d’autres pans du droit international, en particulier celui de la protection des droits humains, ou encore celui du droit de la mer.</p>
<p>Le texte de la résolution fait en effet référence, non pas seulement à la Convention-cadre de l’ONU sur le climat et à l’Accord de Paris, mais aussi à une variété d’instruments, comme les Pactes de 1966 – portant respectivement sur les <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/histoire/peinedemort/pacte-international-droits-civils-et-politiques.asp">droits civils et politiques</a> et sur les <a href="https://treaties.un.org/pages/ViewDetails.aspx?src=IND&mtdsg_no=IV-3&chapter=4&clang=_fr">droits économiques, sociaux et culturels</a> –, ou la <a href="https://treaties.un.org/pages/ViewDetailsIII.aspx?src=TREATY&mtdsg_no=XXI-6&chapter=21&Temp=mtdsg3&clang=_fr">Convention de Montego Bay</a>.</p>
<h2>Risque de résistances</h2>
<p>En outre, plus l’opinion des juges sera précise et étayée, plus elle sera à même d’avoir une effectivité au niveau national, en étant reprise par des juges internes, notamment lorsqu’ils sont saisis par la société civile sur les questions climatiques.</p>
<p>Un avis de la CIJ ne pourra pas tout et les initiateurs du projet en sont eux-mêmes parfaitement conscients, comme en témoigne l’allocution du Premier ministre du Vanuatu <a href="https://news.un.org/en/story/2023/03/1135142">Alatoi Ishmael Kalsakau</a>.</p>
<p>En premier lieu, consensus ne veut pas dire unanimité des points de vue. Ce fut une bonne surprise de constater que les États-Unis, dont on craignait, tout comme pour la Chine, qu’ils sollicitent un vote formel, ne s’y soient pas opposés.</p>
<p>Le représentant américain, <a href="https://media.un.org/fr/asset/k1g/k1g96fgbeu">dans la prise de parole ayant suivi l’adoption du texte</a>, a néanmoins fait remonter les « très sérieuses préoccupations » de son gouvernement, arguant qu’un processus judiciaire pourrait compliquer les efforts collectifs, au détriment des voies diplomatiques.</p>
<h2>Le risque de réponses trop « molles »</h2>
<p>En second lieu, la tâche des juges ne va pas être simple. Les 26 avis rendus par la CIJ, le dernier en date étant relatif à <a href="https://www.lepoint.fr/monde/la-cij-rend-son-avis-sur-l-archipel-des-chagos-25-02-2019-2296045_24.php">l’archipel des Chagos</a>, ont connu un succès variable, du fait des contextes politiques entourant ces affaires, mais aussi parce que les réponses apportées… dépendent des questions posées.</p>
<p>En l’occurrence, celles qui sont soumises par la résolution sont particulièrement larges. D’abord formulées par les conseils juridiques, elles passent ensuite le filtre des modifications discutées par les membres onusiens soutenant le texte, et sont ainsi le résultat de compromis.</p>
<p>Elles laissent de ce fait une marge d’action aux juges de La Haye, qui pourront y donner plus ou moins de substance. Or, des réponses trop « molles » vis-à-vis des obligations étatiques en matière de climat, pourraient avoir des effets délétères, et donc contraires à l’objectif poursuivi.</p>
<p>Le dernier risque est celui du télescopage des procédures, deux autres juridictions internationales ayant été récemment sollicitées.</p>
<h2>Télescopage des procédures ?</h2>
<p>En décembre 2022, le Tribunal international du droit de la mer (TIDM) a été saisi d’une <a href="https://www.itlos.org/fileadmin/itlos/documents/cases/31/Cover_Letter_TR.pdf">demande d’avis</a> par la Commission des petits États insulaires sur le changement climatique et le droit international – créée précisément par Tuvalu et Antigua-et-Barbuda pour pouvoir solliciter le Tribunal –, sur les obligations étatiques de protection du milieu marin, en lien avec le changement climatique, au regard de la Convention du droit de la mer.</p>
<p>En janvier 2023, la Colombie et le Chili ont <a href="https://www.corteidh.or.cr/docs/opiniones/soc_1_2023_es.pdf">sollicité un avis</a> de la Cour interaméricaine des droits de l’Homme sur les obligations étatiques en matière de lutte contre l’urgence climatique, au regard du droit international des droits humains. Ces interventions pourraient utilement se compléter, mais elles pourraient aussi, dans une certaine mesure, et au vu des calendriers, diverger sur certains points.</p>
<p>En poussant l’ONU à faire un pas important pour la justice climatique, les voix du Pacifique et celles qui les ont rejointes ont choisi de croire que la <a href="https://www.lawfareblog.com/climate-change-advisory-opinion-requests-risk-and-reward">balance bénéfices-risques leur était favorable</a>. Quoiqu’on ne puisse qu’en avoir des attentes raisonnables, la perspective de la CIJ sur le défi du siècle pourrait bien constituer une contribution non négligeable.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/203135/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Géraldine Giraudeau ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>En saisissant fin mars 2023 la Cour internationale de Justice, les petits États insulaires du Pacifique intensifient leur lutte contre le réchauffement. Que peut-on attendre de cette initiative ?Géraldine Giraudeau, Professeure de droit public, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2036172023-05-17T18:14:55Z2023-05-17T18:14:55ZComment mieux adapter la participation des enfants à la justice : exemples de la France et du Québec<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/526754/original/file-20230517-29-1oge1q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=4%2C18%2C954%2C620&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La participation de l'enfant à une décision de justice doit être envisagée avec des outils et personnels plus adéquats, et de mieux adapter la démarche afin de le protéger davantage.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://pixabay.com/fr/photos/fille-en-marchant-ours-en-peluche-447701/">Pixabay</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><blockquote>
<p>« C’est papa qui a tué maman » dit l’enfant.</p>
<p>« Je sais que je n’ai pas tué sa mère » répond le père.</p>
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<p>Ces échanges ont été entendus lors du procès d’un homme accusé de féminicide puis <a href="https://www.leparisien.fr/seine-saint-denis-93/feminicide-a-aubervilliers-25-ans-de-reclusion-contre-le-meurtrier-de-marie-17-04-2023-36U4ZYJU6VEBZKHPVAMXMEFW2M.php">condamné à 25 ans de réclusion</a> pour les faits, commis récemment en Seine-Saint-Denis.</p>
<p>Dans ce cadre précis, comme dans d’autres affaires telle que <a href="https://www.cairn.info/revue-le-debat-2007-1-page-30.htm?contenu=article">l’affaire dite d’Outreau</a>, la déclaration de l’enfant a été prise comme une « vérité absolue ». Si les faits sont avérés, l’absence d’un avocat auprès de l’enfant lors d’un procès au pénal interroge. Car l’enfant, malgré son statut de mineur, participe aux décisions de justice autant qu’il peut les subir.</p>
<p>Celle-ci interroge d’autant plus en matière de protection de l’enfance, dans la mesure où la mission première du juge pour enfants consiste à protéger le mineur. Pour ce faire, le recueil de la parole de l’enfant en justice s’avère crucial, le juge pouvant ordonner le placement du mineur en vue de faire cesser la situation de risque ou de danger lorsque ceux-ci sont constatés.</p>
<p>L’article 12 de la <a href="https://www.ohchr.org/fr/instruments-mechanisms/instruments/convention-rights-child">Convention internationale des droits de l’enfant de 1989</a> ratifiée par la France en 1990 et le Canada en 1991, dispose que tout enfant capable de discernement a le droit de participer aux décisions (judiciaires ou administratives) qui le concernent selon son âge et son degré de maturité. Or, la parole de l’enfant en justice demeure un sujet complexe.</p>
<p>D’un objet de droit à un sujet de droit, le chemin a été long pour reconnaître à l’enfant un statut judiciaire à part entière dans les sociétés française et québécoise où <a href="https://theses.fr/en/s346169">j’ai mené mes recherches</a>.</p>
<p>Plusieurs auteurs dressent un bilan critique de l’<a href="https://www.librairiedalloz.fr/livre/9782247214679-l-acces-des-enfants-a-la-justice-bilan-critique-mona-pare-marielle-bruning-thierry-moreau-caroline-siffrein-blanc/">accès des enfants à la justice</a>. Ils recommandent d’adapter la justice aux enfants qui sont les principaux concernés par la mesure de protection ordonnée par le juge pour enfants, conformément aux droits nationaux français et québécois.</p>
<h2>En France, de nouvelles mesures en expérimentation</h2>
<p>Le code civil français prévoit à l’<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006427150">article 388-1</a> le droit général de l’enfant d’être auditionné. Plus récemment, la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000045133771">loi du 7 février 2022</a> relative à la protection de l’enfance dite « Loi Taquet », vise à améliorer la situation des enfants protégés. Elle constitue un début de réponse. En effet, cette loi <a href="https://shs.hal.science/halshs-03667639">prévoit</a> la prise en compte de la parole de l’enfant via l’audition systématique, lorsqu’il est présenté <a href="https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F17777">devant le juge pour enfants</a>, et ce en présence d’un avocat et (ou) la désignation d’un administrateur <em>ad hoc</em> pour représenter les intérêts de l’enfant quand ceux-ci sont en opposition avec ceux de ses représentants légaux, de manière plus régulière.</p>
<p>Le 4 avril 2023, une proposition de loi visant à expérimenter la présence systématique de l’avocat auprès de l’enfant en <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/textes/l16b1035_proposition-loi">protection de l’enfance</a> a été enregistrée à la présidence de l’Assemblée nationale. La conférence des bâtonniers, une association d’avocats, est quant à elle favorable à l’expérimentation de la présence systématique de l’avocat <a href="https://www.lexisveille.fr/la-conference-des-batonniers-favorable-lexperimentation-de-la-presence-systematique-de-lavocat">auprès de l’enfant dont la situation nécessite une protection</a>. Cette expérimentation pourrait définitivement induire la consécration d’un nouveau statut judiciaire pour l’enfance protégée.</p>
<h2>La fragile question du discernement</h2>
<p>Concernant les conditions de la participation de l’enfant protégé aux décisions qui le concernent, selon son âge, la pratique varie d’un tribunal à un autre, d’un juge à un autre, et il en va de même au sujet de l’évaluation du discernement du mineur qui relève de l’appréciation souveraine des magistrats.</p>
<p>Il est également à noter que le législateur confie au juge le pouvoir souverain d’apprécier le degré ou le poids de fiabilité à accorder à la parole de l’enfant.</p>
<p>À titre d’illustrations, dans un <a href="https://www.dalloz-actualite.fr/flash/assistance-educative-obligation-d-auditionner-mineur-ou-de-justifier-son-absence-de-discerneme">arrêt du 2 décembre 2020</a>, le juge pour enfants avait décidé qu’il n’était pas de l’intérêt d’un enfant âgé de huit ans d’être entendu.</p>
<p>Sa tante avait pourtant indiqué que le mineur était capable de discernement, mais qu’il n’avait pas été entendu, ni par le juge pour enfants, ni par les juges d’appel. La Cour de cassation a ainsi cassé l’arrêt en question et elle a rappelé que le mineur doit être effectivement entendu et s’il ne l’est pas, le juge doit en motiver les raisons, à savoir son absence de discernement, ce qui n’était pas le cas ici.</p>
<p>Rappelons enfin que la notion de discernement chez l’enfant prend un autre contour en matière pénale (et non pas en matière de protection de l’enfance). En France, une loi de 2021 pose une <a href="https://www.village-justice.com/articles/quel-age-mineur-est-presume-capable-discernement,41288.html">présomption simple de non-discernement avant 13 ans</a> mais qui peut être <a href="http://www.justice.gouv.fr/art_pix/cjpm_ft_presomption_non_discernement.pdf">contre-balancée par les déclarations</a> de différents acteurs (celles de l’enfant, ses proches, des éléments d’enquête, etc.).</p>
<p>Une <a href="https://hal.science/hal-03800225">recherche menée en 2021</a> par les professeures Caroline Siffrein-Blanc et Adeline Gouttenoire a permis d’observer des <a href="https://shs.hal.science/halshs-03667639">pratiques très variables des juges</a>, « certains auditionnant systématiquement l’enfant sans les parents juste avant l’audience, d’autres uniquement si l’enfant en fait la demande, d’autres en fonction de son âge et de son degré de maturité ».</p>
<p>Les avocats et cadres de l’aide sociale témoignent « des difficultés que cela génère : insécurité, impossibilité de préparer l’enfant, stress de se retrouver en présence de ses parents, difficulté de libérer sa parole, ce qui le conduit parfois à garder le silence ».</p>
<h2>Au Québec, une autre procédure de protection</h2>
<p>Le code civil québécois prévoit en son article 34 les conditions générales de l’audition de l’enfant devant « être entendu si son âge et son discernement le permettent ». Or, de manière spécifique, la <a href="https://www.legisquebec.gouv.qc.ca/fr/document/lc/P-34.1">Loi sur la protection de la jeunesse</a> ne prévoit pas la participation du mineur selon ces critères. En effet, en son article 6, la LPJ dispose que :</p>
<blockquote>
<p>« Les personnes et les tribunaux appelés à prendre des décisions au sujet d’un enfant en vertu de la présente loi doivent donner à cet enfant l’occasion d’être entendu. »</p>
</blockquote>
<p>Elle apparaît ainsi « plus respectueuse des droits de l’enfant dans la mesure où elle ne lie pas la participation de l’enfant à son âge ou sa capacité de discernement ». La particularité de cette procédure de protection de la jeunesse réside dans le fait que le mineur est parti à celle-ci, ce qui n’est pas le cas en France. Cela signifie que l’enfant bénéficie, comme les adultes, d’un statut judiciaire à part entière et qu’il peut, entre autres, faire appel de la décision de justice.</p>
<p>De plus, l’un de ses grands avantages consiste en « la désignation [systématique] d’un avocat indépendant auprès de l’enfant. C’est par conséquent une façon d’assurer la participation de l’enfant au tribunal, de manière indirecte (ou directe), selon les capacités du mineur qui lui sont propres et de sa situation familiale ».</p>
<p>Il existe aussi la possibilité pour l’enfant d’être accompagné d’un autre acteur : un <a href="https://fondation-apsommer.org/wp-content/uploads/2018/01/%C2%A9-Fondation-A-et-P-SOMMER-Livret-Profession-CAJ.pdf">chien d’assistance judiciaire</a> au moment de l’audience pour être rassuré.</p>
<p>Ce dernier « accompagne et soutien moralement les personnes qui se disent victimes d’infractions pénales – en particulier les enfants – dans tous les actes de la procédure, de l’audition initiale au jugement. Le chien est spécifiquement formé pour cet objectif ». Cette innovation – qui n’est pas restreinte aux mineurs – <a href="https://www.quebec.ca/justice-et-etat-civil/accompagnement-victimes-crime/temoigner-cour/mesures-aide-temoignage/personne-confiance-chien-soutien">remonte à 2016 au Québec</a> et fait <a href="https://www.peuple-animal.com/article,lecture,1773_le-premier-chien-d-assistance-judiciaire-a-pris-ses-fonctions.html">l’objet d’expérimentations</a> en France depuis peu.</p>
<h2>Des relations à tisser</h2>
<p><a href="https://www.librairiedalloz.fr/livre/9782247214679-l-acces-des-enfants-a-la-justice-bilan-critique-mona-pare-marielle-bruning-thierry-moreau-caroline-siffrein-blanc/">La recherche empirique</a> menée par la professeure Mona Paré dans quatre districts judiciaires au Québec nuance cependant ces résultats et montre que :</p>
<blockquote>
<p>« [Si] la représentation juridique offre une excellente occasion aux enfants d’être entendus par le décideur […] une certaine pratique exclut les enfants les plus jeunes. Ceux-ci ne pouvant alors exprimer leur point de vue et être entendus. »</p>
</blockquote>
<p>Enfin, bien que la participation de l’enfant constitue de manière générale un droit fondamental, il n’en demeure pas moins que par définition celle-ci ne constitue pas un devoir pour l’enfant. Le mineur qui refuse d’être auditionné n’a pas à motiver son refus, conformément au droit de l’enfant au respect de son silence dans le cadre des décisions qui le concernent, que ce soit en France comme au Québec.</p>
<p>Par conséquent, la relation entre l’enfant, l’avocat et le juge reste finalement à tisser. La participation de l’enfant en justice ne peut être effective qu’à la condition de lui apporter des garanties procédurales, d’outils et de moyens adaptés.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/203617/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Amira MAAMERI est membre du Centre Européen de Recherches en droit des Familles, des Assurances, des Personnes et de la Santé (CERFAPS) de l'Université de Bordeaux, du Laboratoire de Recherche Interdisciplinaire sur les Droits de l’Enfant (LRIDE) de l'Université d’Ottawa, et du Centre de Recherche et d’Enseignements sur les Droits de la Personne (CREDP) de l'Université d’Ottawa.
</span></em></p>En France comme au Québec, le statut judiciaire de l’enfant pourrait changer en protection de l’enfance.Amira Maameri, Doctorante en droit, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2043312023-05-10T12:47:12Z2023-05-10T12:47:12ZDonald Trump enfin rattrapé par la justice ?<p><a href="https://theconversation.com/donald-trump-cerne-par-les-affaires-151603">De multiples instructions visant Donald Trump</a> sont en cours depuis des années, mais on a assisté, au cours des dernières semaines, à une accélération des rendez-vous judiciaires dans plusieurs affaires – certaines civiles, d’autres pénales – impliquant l’ancien président.</p>
<p>Si l’on en juge par <a href="https://www.20minutes.fr/monde/4036188-20230509-etats-unis-trump-devra-verser-5-millions-dollars-avoir-agresse-sexuellement-diffame-e-jean-carroll">sa condamnation, le 9 mai, à cinq millions de dollars de dommages et intérêts</a> pour une agression sexuelle commise au milieu des années 1990, et par sa mise en examen début avril pour falsification de comptes dans la <a href="https://www.lefigaro.fr/international/inculpe-a-new-york-donald-trump-contre-attaque-20230404">fameuse affaire Stormy Daniels</a>, ce sont peut-être les « petites affaires » qui briseront, si peu que ce soit, l’impunité de l’ancien président.</p>
<h2>Une multiplicité d’affaires</h2>
<p>Certaines affaires civiles, instruites dans l’État de New York, ont trait aux pratiques financières et fiscales de l’empire Trump et ont déjà donné lieu à la <a href="https://www.lepoint.fr/monde/l-ancien-directeur-financier-de-la-trump-organization-condamne-a-5-mois-de-prison-10-01-2023-2504371_24.php">condamnation de son directeur financier</a> ; d’autres volets pourraient aboutir à un <a href="https://abcnews.go.com/US/trump-back-new-york-deposition-attorney-generals-250/story?id=9855642">procès en octobre</a>.</p>
<p>[<em>Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>L’accusation d’agression sexuelle et de diffamation à l’encontre de l’ancienne journaliste E. Jean Carroll, pour laquelle il vient d’être condamné, <a href="https://www.tysonmendes.com/new-yorks-adult-survivors-act-expands-potential-liability-for-perpetrators-and-institutions/#">a également été jugée au civil</a>, les délais de prescription pour un procès pénal ayant été dépassés. <a href="https://www.leparisien.fr/international/ce-verdict-est-une-honte-donald-trump-va-faire-appel-de-sa-condamnation-pour-agression-sexuelle-09-05-2023-PFS6J2WINJGWPEH52KWSWKDRA4.php">Trump va faire appel</a> et, à ce stade, il est difficile d’évaluer l’impact de ce verdict sur ses partisans et sur le Parti républicain.</p>
<p>Le même flou entoure les quatre procédures de nature pénale intentées par divers procureurs, qui représentent pourtant de plus grandes menaces pour l’ex-président.</p>
<p>Ce sont des épées de Damoclès au-dessus de sa tête… mais elles ne l’empêcheront pas de faire campagne et, peut-être, d’être investi par le camp républicain. En effet, <a href="https://www.politico.com/news/2023/03/31/donald-trump-indictment-00090001">sa base inconditionnelle est persuadée qu’il est innocent</a> et victime d’une « chasse aux sorcières » menée par des procureurs Démocrates, même si au niveau fédéral, ce sont des procureurs indépendants qui sont en charge.</p>
<h2>New York : la première mise en examen d’un ancien président</h2>
<p>La première affaire pénale diligentée par le procureur (démocrate) du comté de New York, <a href="https://www.lefigaro.fr/international/qui-est-alvin-bragg-le-procureur-progressiste-de-new-york-qui-a-inculpe-donald-trump-20230331">Alvin Bragg</a>, dite « affaire Stormy Daniels », dure depuis 2016 et concerne des faits qui se sont produits avant l’élection de Trump.</p>
<p>Malgré des <a href="https://www.theguardian.com/us-news/2023/mar/31/trump-stormy-daniels-affair-hush-money-indictment">rebondissements divers au cours de toutes ces années</a>, ce n’est qu’en avril 2023 que l’ancien président a été <a href="https://theconversation.com/donald-trump-mis-en-examen-quelles-consequences-pour-sa-candidature-a-la-presidentielle-de-2024-203071">mis en examen</a> par le grand jury.</p>
<p>On savait que, pour obtenir le silence de l’ancienne actrice de films pornographiques Stormy Daniels sur une relation sexuelle qu’elle avait eue avec lui en 2006, Donald Trump avait, un mois avant l’élection de 2016, ordonné à son avocat Michael Cohen de verser à celle-ci 130 000 dollars.</p>
<p><a href="https://www.ledevoir.com/monde/etats-unis/787528/qu-est-ce-qui-a-mene-a-l-inculpation-de-donald-trump">Selon l’acte d’accusation dévoilé le 4 avril</a>, Trump aurait ensuite choisi de rembourser cette somme à Cohen en la présentant comme des honoraires pour services juridiques, contrevenant ainsi au droit de l’État de New York qui interdit la falsification de documents commerciaux « avec intention frauduleuse ». Une telle infraction est considérée comme une « felony » (passible d’un an de prison ou plus) si la transaction visait à faciliter ou à dissimuler la commission d’une autre infraction. Ce qui est le cas ici mais le dossier est léger et surtout, si l’ex-président a bien été inculpé, le temps judiciaire est long.</p>
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<p>La prochaine audience à New York est prévue pour le 4 décembre et la défense dispose de quatre mois pour tenter d’obtenir le dessaisissement du juge <a href="https://www.rfi.fr/fr/am%C3%A9riques/20230404-qui-est-juan-merchan-le-juge-charg%C3%A9-de-l-inculpation-de-donald-trump">Juan Merchan</a> (qui a présidé les audiences dans deux affaires dont l’issue a été défavorable à la Trump Organization, la compagnie historique du milliardaire), pour invoquer le dépassement du délai de prescription et pour mettre en avant d’autres éléments relevant de la tactique habituelle de Trump : gagner du temps en usant de toutes les manœuvres dilatoires possibles.</p>
<p>Quoi qu’il en soit, des quatre instructions qui le visent actuellement, celle-ci est sans doute la moins solide, et <a href="https://time.com/6267778/trump-indictment-trial-timeline-2024-election/">si procès il y a, il ne se déroulera pas avant le printemps ou l’été 2024</a>.</p>
<p>Les trois autres affaires pénales concernent les actions de Trump en tant que président. Deux d’entre elles sont instruites au niveau fédéral, la troisième par l’État de Géorgie.</p>
<h2>L’affaire de Géorgie</h2>
<p>En janvier 2022, la procureure du comté de Fulton, Fani T. Willis, a demandé la réunion d’un grand jury « dans le but d’enquêter sur les faits et les circonstances liés à de possibles tentatives visant à perturber l’administration légale des élections 2020 dans l’État de Géorgie ».</p>
<p>Cela inclut les tentatives de la campagne Trump de créer des listes de faux grands électeurs destinées à être envoyées à Washington, et les pressions exercées par celui qui était alors le président sur le secrétaire d’État en charge des élections de Géorgie, Brad Raffensperger.</p>
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<p>La procureure dispose d’éléments de preuve beaucoup plus nombreux que dans l’affaire de New York, car le grand jury a entendu plus de 75 témoins et a en sa possession plusieurs enregistrements démontrant que Trump a cherché à obtenir une modification des résultats de l’élection de novembre 2020. Dans l’un de ces enregistrements, il demande à Raffensperger de lui trouver les 11 780 voix nécessaires pour faire basculer en sa faveur l’élection dans cet État.</p>
<p>Le grand jury, dont le rôle est d’entendre les éléments à charge présentés par les témoins de l’accusation, vient de terminer sa session. Il a conclu à l’absence de fraude durant les élections de 2020 et a annoncé d’éventuelles mises en examen, dont celles de <a href="https://www.salon.com/2022/08/16/legal-expert-giuliani-should-expect-to-be-indicted-after-learning-hes-target-of-georgia-probe_partner/">Rudy Giuliani</a> (alors avocat de Trump) et du sénateur <a href="https://apnews.com/article/donald-trump-georgia-atlanta-88095d01932c62ee4a6dc2db1786ada9">Lindsay Graham</a>, qui ont cherché à faire pression sur les responsables électoraux de l’État. Un autre grand jury qui pourrait se prononcer sur ces mises en examen (et peut-être celle de Donald Trump lui-même) a commencé de siéger début mai. Là aussi, un éventuel procès n’aurait pas lieu avant mi-2024.</p>
<h2>L’affaire du Capitole</h2>
<p>Les deux affaires fédérales sont sérieuses, puisque l’une porte sur le rôle de l’ancien président dans l’incitation à l’insurrection du 6 janvier 2021 et l’autre sur la non-restitution de documents officiels (en violation de la loi sur les documents présidentiels) et de documents classés « confidentiel » et « secret défense ».</p>
<p>Dans le premier cas, le département de la justice (DoJ) a analysé des milliers d’heures de vidéos postées sur les réseaux sociaux pour retrouver les personnes ayant pris d’assaut le Capitole. Sur les quelque 2 000 individus qui ont pénétré dans l’enceinte du Congrès avec des armes, des barres de fer et des drapeaux confédérés, 700 ont été inculpés. 183 ont plaidé coupable (en échange de chefs d’inculpation moins lourds), 78 ont été condamnés, dont 35 à des peines de prison. Pour ceux qui ont plaidé non coupable, les procès ont commencé et les premières peines sont <a href="https://time.com/6133336/jan-6-capitol-riot-arrests-sentences/">lourdes</a>.</p>
<p>Il reste que les <a href="https://theconversation.com/comment-le-discours-populiste-de-donald-trump-a-conduit-a-linsurrection-de-ses-troupes-153002">vrais responsables, à commencer par Donald Trump</a>, n’ont toujours pas été mis en examen malgré de nombreux éléments à charge. Et jusqu’à la nomination le 18 novembre 2022 par le DoJ d’un procureur spécial, Jack Smith, les instructions semblaient avancer à la vitesse de l’escargot. Depuis, les choses se sont accélérées. Le procureur dispose de dépositions à charge et de SMS et de tweets de Trump incitant ses sympathisants à venir manifester à Washington le 6 janvier en annonçant que ce serait « sauvage ».</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1546986701058367492"}"></div></p>
<p>Est-ce suffisant pour prouver « au-delà du doute raisonnable », dans un éventuel procès qui pourrait avoir lieu au mieux mi-2024, que celui qui était encore président avait alors incité ses troupes à l’insurrection contre le Capitole ?</p>
<h2>Le vol de documents officiels</h2>
<p><a href="https://www.justsecurity.org/83034/tracker-evidence-of-trumps-knowledge-and-involvement-in-retaining-mar-a-lago-documents/">Dans cette affaire aussi</a>, on note une accélération des citations à comparaître et des auditions.</p>
<p>Il apparaît que Trump avait, après son départ de la Maison Blanche, <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/trump-a-quitte-la-maison-blanche-avec-des-caisses-de-documents-dont-des-lettres-d-obama-et-kim-jong-un-7626603">conservé par-devers lui des cartons entiers de documents confidentiels</a>, et a refusé de les restituer malgré les nombreuses injonctions judiciaires reçues.</p>
<p>En août dernier, une <a href="https://www.lepoint.fr/monde/trump-annonce-que-sa-residence-en-floride-a-ete-perquisitionnee-par-la-police-federale-09-08-2022-2485779_24.php">perquisition de sa demeure en Floride</a>, autorisée par un juge, a permis de récupérer plusieurs cartons, mais peut-être pas la totalité. Les actes de Trump en la matière peuvent, entre autres, relever de la loi sur l’espionnage ou des règles qui régissent l’obstruction à la justice.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1572821780892454912"}"></div></p>
<p>Dans ces deux affaires, les difficultés tiennent au décalage entre le temps judiciaire et le temps politique aussi bien que médiatique. Surtout, quelles que soient les conclusions du procureur spécial Jack Smith dans les deux affaires, le ministre de la Justice Merrick Garland peut ne pas suivre les recommandations de mise en examen. Il jouit en effet de ce qu’on appelle le pouvoir discrétionnaire du procureur (<a href="https://www.findlaw.com/criminal/criminal-procedure/what-is-prosecutorial-discretion-.html">prosecutorial discretion</a>).</p>
<p>Et même s’il y a inculpation, Trump et ses avocats vont multiplier les refus de se plier aux convocations, les contestations devant les tribunaux et toutes sortes de manœuvres dilatoires. Un procès n’est pas pour demain. Et pendant ce temps se dérouleront les élections primaires et peut-être l’élection présidentielle de novembre 2024. Si un Républicain (Trump ou un autre) était élu, instruction serait évidemment donnée au DoJ de cesser toute enquête. Et si des condamnations étaient prononcées d’ici là, le nouveau locataire de la Maison Blanche aurait sans doute recours au droit de grâce.</p>
<h2>Quid de la primauté du droit ?</h2>
<p>En conséquence, ce sont bien les affaires instruites au niveau des États qui pourraient, un jour, aboutir à une condamnation de l’ancien président et, parce que le droit de grâce du président ne s’applique qu’aux peines prononcées dans le cadre d’affaires fédérales, mettre partiellement fin à son impunité.</p>
<p>Les institutions et juridictions des États auraient le mérite de rappeler l’importance de la primauté du droit (rule of law) et la règle du « Nul n’est au-dessus du droit » affirmée par la Cour suprême dans <a href="https://www.oyez.org/cases/1973/73-1766"><em>U.S. v.Nixon</em> en 1974</a>. Mais la sanction d’inéligibilité ne peut être prononcée qu’au niveau fédéral…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/204331/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anne E. Deysine ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’ancien président est poursuivi dans plusieurs affaires, mais il n’est pas certain que les procès à venir affectent négativement sa campagne en vue de la présidentielle de 2024…Anne E. Deysine, Professeur émérite juriste et américaniste, spécialiste des États-Unis, questions politiques, sociales et juridiques (Cour suprême), Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.