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laboratoire – The Conversation
2023-08-16T14:22:51Z
tag:theconversation.com,2011:article/210355
2023-08-16T14:22:51Z
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Vers une valorisation des ressources végétales boréales
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/541991/original/file-20230809-27838-bwvns3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=7%2C1%2C1011%2C680&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le kalmia à feuilles étroites est une plante envahissante typique des écosystèmes boréaux. Sa prolifération peut nuire au reboisement de zones soumises à des perturbations</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.inaturalist.org/observations/28905420">Jacques Ibarzabal/iNaturalist</a></span></figcaption></figure><p>Les plantes produisent des molécules pour interagir avec leur environnement et pour se protéger contre les menaces extérieures. Ces molécules peuvent également présenter des propriétés – antioxydantes, anti-inflammatoires, antibactériennes – qui sont bénéfiques pour la santé humaine. Ces propriétés sont valorisées par les médecines traditionnelles et inspirent le développement de médicaments par les chimistes contemporains. </p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/plantes-de-la-foret-boreale-de-la-medecine-traditionnelle-autochtone-a-la-medecine-moderne-200154">Plantes de la forêt boréale : de la médecine traditionnelle autochtone à la médecine moderne</a>
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<p>La majorité des médicaments sur le marché sont des <a href="https://www.nature.com/articles/nchem.2479">produits naturels ou en dérivent</a>. Entre autres, plusieurs classes d’antibiotiques utilisées pour combattre les infections bactériennes sont basées sur la structure chimique de produits naturels.</p>
<p>Par exemple, l’érythromycine A est un antibiotique naturel, produit par un micro-organisme. Elle est utilisée pour combattre différentes infections bactériennes. On prépare un autre antibiotique, la clarithromycine, en modifiant la structure de l’érythromycine A. </p>
<p>Les produits biosourcés, qui tirent leur origine du vivant, trouvent aussi des applications dans des domaines variés incluant les <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/ics.12564">produits cosmétiques</a>, les compléments alimentaires, les phytosanitaires et <a href="https://pubs.acs.org/doi/full/10.1021/acs.jafc.2c06938">l’alimentation animale</a>. </p>
<p>Notre groupe de recherche au laboratoire LASEVE de l’Université du Québec à Chicoutimi s’intéresse à la valorisation des produits naturels issus de la forêt boréale. Le choix des espèces étudiées s’appuie en partie sur les usages traditionnels des plantes, par les communautés autochtones. </p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/523895/original/file-20230502-16-gbwpsg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/523895/original/file-20230502-16-gbwpsg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/523895/original/file-20230502-16-gbwpsg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/523895/original/file-20230502-16-gbwpsg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/523895/original/file-20230502-16-gbwpsg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/523895/original/file-20230502-16-gbwpsg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/523895/original/file-20230502-16-gbwpsg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><strong>Cet article fait partie de notre série <a href="https://theconversation.com/ca-fr/topics/foret-boreale-138017">Forêt boréale : mille secrets, mille dangers</a></strong></p>
<p><br><em>La Conversation vous propose une promenade au cœur de la forêt boréale. Nos experts se penchent sur les enjeux d’aménagement et de développement durable, les perturbations naturelles, l’écologie de la faune terrestre et des écosystèmes aquatiques, l’agriculture nordique et l’importance culturelle et économique de la forêt boréale pour les peuples autochtones. Nous vous souhaitons une agréable – et instructive – balade en forêt !</em></p>
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<h2>À la découverte de molécules fascinantes</h2>
<p>Les molécules d’intérêt sont souvent extraites en macérant les plantes dans différents solvants (eau, éthanol, glycérine). Des tests biologiques permettent d’évaluer rapidement les bienfaits des extraits. Il est par exemple possible de mesurer le pouvoir antibiotique de produits naturels en traitant des bactéries cultivées au laboratoire. </p>
<p>Les tests biologiques permettent également de faciliter la sélection et l’isolation des molécules ayant les propriétés les plus intéressantes ; on parle alors de « fractionnement bio-guidé ». </p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/542407/original/file-20230811-15-wiokuj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="schéma" src="https://images.theconversation.com/files/542407/original/file-20230811-15-wiokuj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/542407/original/file-20230811-15-wiokuj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=169&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/542407/original/file-20230811-15-wiokuj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=169&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/542407/original/file-20230811-15-wiokuj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=169&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/542407/original/file-20230811-15-wiokuj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=212&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/542407/original/file-20230811-15-wiokuj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=212&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/542407/original/file-20230811-15-wiokuj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=212&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Schéma de principe de l’approche de découverte de nouvelles substances bioactives à partir de la biomasse forestière.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Jérôme Alsarraf)</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<h2>Le peuplier baumier comme antibactérien</h2>
<p>Le staphylocoque doré résistant à la méticilline (SARM) compte parmi les six bactéries causant la majorité des décès liés à la résistance aux antibiotiques à l’échelle mondiale. La résistance des bactéries aux antibiotiques <a href="https://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736(21)02724-0/fulltext">compromet notre capacité à combattre les infections bactériennes</a>. Dans ce contexte, la découverte de nouvelles classes d’antibactériens devient un enjeu de santé publique. </p>
<p>Nous avons notamment identifié une famille de molécules antibactériennes extraites des <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0040403912021338">bourgeons de peuplier baumier (<em>Populus balsamifera</em>)</a>. Ces composés originaux, nommés balsacones, sont actifs contre le SARM. De plus, contrairement à <a href="https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fmicb.2019.02341/full">d’autres antibiotiques</a>, leur usage ne semble pas induire de résistance chez les bactéries traitées. </p>
<p>Cependant, les rendements d’isolation des balsacones à partir du bourgeon de peuplier baumier sont faibles. En d’autres termes, pour un kilogramme de plante, nous n’arrivons à obtenir qu’environ 10 milligrammes de molécules ; des quantités bien trop faibles pour étudier les propriétés de ces molécules dans le détail. </p>
<p>Les balsacones demeurent néanmoins des produits prometteurs dans la lutte contre la résistance des bactéries.</p>
<h2>Une production plus verte</h2>
<p>Les molécules d’intérêt sont habituellement obtenues par synthèse, c’est-à-dire en assemblant successivement différents « blocs de construction » pour aboutir à la molécule souhaitée. Les approches classiques utilisent des « blocs de construction » simples issus de l’industrie pétrolière. Ces méthodes sont fastidieuses et nécessitent plusieurs étapes de synthèse qui reposent sur l’emploi de matières premières nocives et non renouvelables. </p>
<p>La pénurie à venir des ressources fossiles, combinée avec les enjeux environnementaux entourant la pétrochimie, appelle au <a href="https://pubs.rsc.org/en/content/articlelanding/2006/gc/b604483m">développement d’alternatives plus durables</a>. Pour pallier ces limitations, une stratégie consiste à employer des produits naturels comme « blocs de construction » pour la synthèse de molécules à haute valeur ajoutée. Ces blocs de constructions remplacent avantageusement les produits issus du pétrole. </p>
<p>Cette approche, dite de xylochimie lorsque les « blocs de construction » <a href="https://pubs.rsc.org/en/content/articlelanding/2020/gc/d0gc01484b">proviennent du bois</a>, contourne l’usage de matières premières non renouvelables. L’idée derrière cette méthode est de simplifier la séquence de synthèse en utilisant des molécules biosourcées. De plus, la variété des précurseurs naturels disponibles permet de diversifier les produits accessibles et de découvrir de nouveaux dérivés. </p>
<p>En nous appuyant sur ce principe, nous avons synthétisé plusieurs balsacones en une seule étape de synthèse, en <a href="https://pubs.acs.org/doi/abs/10.1021/acssuschemeng.0c01545">combinant deux molécules biosourcées</a>. </p>
<p>La procédure mise en œuvre repose sur plusieurs principes de la <a href="https://pubs.rsc.org/en/content/articlelanding/2010/CS/B918763B">chimie dite « verte »</a>. Elle a aussi permis de produire des molécules inédites apparentées aux balsacones afin de mieux comprendre les paramètres structuraux qui confèrent aux balsacones leurs <a href="https://www.mdpi.com/2079-6382/10/6/620">vertus antibactériennes</a>. </p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/542404/original/file-20230811-4652-8jnelf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="schéma" src="https://images.theconversation.com/files/542404/original/file-20230811-4652-8jnelf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/542404/original/file-20230811-4652-8jnelf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=169&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/542404/original/file-20230811-4652-8jnelf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=169&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/542404/original/file-20230811-4652-8jnelf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=169&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/542404/original/file-20230811-4652-8jnelf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=212&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/542404/original/file-20230811-4652-8jnelf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=212&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/542404/original/file-20230811-4652-8jnelf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=212&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Principe de l’approche de synthèse xylochimique (droite) comparativement à l’approche de synthèse classique (gauche).</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Jérôme Alsarraf)</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<h2>Valoriser les trésors de la forêt boréale</h2>
<p>L’industrie forestière génère annuellement plus de 1,7 million de tonnes d’écorces au Québec. </p>
<p>Ces résidus demeurent peu exploités, malgré leur forte teneur en molécules aux propriétés intéressantes. </p>
<p>Notre laboratoire travaille au développement de méthodes pour valoriser ces sous-produits de l’exploitation forestière, en identifiant les molécules qu’ils contiennent et en caractérisant leurs propriétés biologiques. </p>
<p>Nous nous intéressons également à d’autres espèces végétales issues de la forêt boréale et impliquées indirectement dans l’aménagement de cette dernière. Par exemple, le kalmia à feuilles étroites (<em>Kalmia angustifolia</em>) est une plante envahissante typique des écosystèmes boréaux. Sa prolifération peut nuire au reboisement de zones soumises à des perturbations telles que des épidémies d’insectes ravageurs ou des feux, dont la fréquence et la sévérité sont <a href="https://cdnsciencepub.com/doi/10.1139/cjfr-2019-0094">susceptibles de s’accentuer dans le contexte actuel de changement climatique</a>. </p>
<p>Les travaux de notre équipe ont montré que cette espèce contient une molécule pouvant être utilisée pour produire la balsacone A, un composé aux propriétés antibactériennes. </p>
<p>En procédant à la récolte du kalmia à feuilles étroites, nos approches d’extraction et de transformation de biomolécules pourraient permettre d’augmenter la valeur ajoutée de cette biomasse, dans une démarche d’économie circulaire. </p>
<p>Ainsi, les extraits végétaux provenant de la forêt boréale peuvent conduire à la découverte de nouvelles substances contribuant notamment à répondre à des enjeux de santé publique mondiaux. </p>
<p>L’utilisation de molécules naturelles comme blocs de constructions pour préparer des dérivés plus complexes permet aussi de générer des produits à haute valeur ajoutée de façon plus respectueuse de l’environnement. </p>
<p>Dans ce contexte, l’étude des produits naturels permettra de contribuer de manière importante au développement durable et à la productivité des forêts.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/210355/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jérôme Alsarraf est membre du Centre de recherche sur la boréalie (CREB).
Jérôme Alsarraf a reçu des financements du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada (CRSNG) et du Mathematics of Information Technology and Complex Systems (Mitacs). </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>André Pichette est membre de l’Ordre des chimistes du Québec (OCQ) André Pichette a reçu des financements de Fonds de recherche du Québec - Santé (FRQS) Conseil de Recherches en Sciences Naturelles et Génie du Canada (CRSNG)- Alliance - Mathematics of Information Technology and Complex Systems (MITACS) - Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC).</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Jean Legault est membre de l'ordre des chimistes du Québec. Il a reçu des financements du FQRNT, FRQS, CRSNG et MITACS.
</span></em></p>
Les plantes boréales produisent des molécules qui sont valorisées par les médecines traditionnelles et qui inspirent le développement de médicaments par les chimistes contemporains.
Jérôme Alsarraf, Professeur de Chimie, Université du Québec à Chicoutimi (UQAC)
Andre Pichette, Professeur en chimie des produits naturels, Université du Québec à Chicoutimi (UQAC)
Jean Legault, Professeur-chercheur en biochimie et pharmacologie, Université du Québec à Chicoutimi (UQAC)
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/195689
2022-12-27T21:42:52Z
2022-12-27T21:42:52Z
Les « pierres zen » du lac Baïkal enfin expliquées
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/500803/original/file-20221213-16302-qafzka.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=3%2C3%2C2530%2C1259&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Un galet d’une dizaine de centimètres, initialement posé à la surface du lac gelé, se retrouve après quelques semaines en équilibre au sommet d’un piédestal de glace sur le lac Baïkal (gauche), et au bout de quelques heures dans un lyophilisateur en laboratoire (droite, plus petite échelle).</span> <span class="attribution"><span class="source">©Olga Zuma (gauche), Nicolas Taberlet et Nicolas Plihon (droite)</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p>Avez-vous déjà succombé au plaisir coupable de jeter une pierre sur un lac gelé, dans l’espoir de briser la couche de glace ? Sur les rives du lac Baïkal, situé en Sibérie, toute tentative est vouée à l’échec, car la glace atteint au cours des mois d’hiver une épaisseur d’un à trois mètres.</p>
<p>Cependant, au fil du temps, la déception initiale peut se transformer en stupeur lorsque les conditions météorologiques sont favorables : la pierre qui reposait initialement sur la surface gelée se retrouve en équilibre délicat au sommet d’un piédestal de glace. Ce phénomène rare, appelé « zen stones », en référence aux jardins japonais qui présentent des empilements de galets en équilibre, demeurait jusqu’à présent inexpliqué.</p>
<p>Au cours de l’hiver, l’épaisseur de la glace varie : elle peut croitre sur sa face inférieure (lorsque l’eau du lac gèle), mais elle diminue également sur sa face supérieure. Si en Europe occidentale cette diminution est due à la fonte, les conditions météorologiques particulières de la région du lac Baïkal conduisent la glace à se « sublimer ». Ce changement d’état de l’eau, peu courant dans la vie quotidienne, fait que la glace se vaporise directement dans l’atmosphère sans passer par sa phase liquide. La glace du lac Baïkal se sublime et conduit à des taux d’ablation de quelques millimètres par jour de la face supérieure du lac.</p>
<p>Nos travaux <a href="http://doi.org/10.1073/pnas.2109107118">ont montré</a> que la formation des pierres zen est due à l’ablation différentielle de la glace, c’est-à-dire une disparité dans sa vitesse de sublimation (et donc d’érosion) sous le galet et loin du galet. La face supérieure de la glace diminue constamment partout sur le lac mais ce processus, qui a besoin de la lumière du jour, est entravé par la présence d’un galet, dont l’ombre crée un déficit dans l’apport d’énergie solaire.</p>
<p>Ainsi, contrairement à une croyance répandue selon laquelle le pied pousse sous le galet, ce dernier protège la glace sur laquelle il repose, alors que le reste de la surface du lac gelé s’abaisse. Ce processus est analogue à la formation des <a href="https://planet-terre.ens-lyon.fr/ressource/Img407-2012-12-10.xml">cheminées de fée</a>, pour lesquelles un rocher solide protège une colonne de sédiment moins résistant à l’érosion due aux pluies et au gel.</p>
<h2>Le lac Baïkal au laboratoire</h2>
<p>Nous avons reproduit à petite échelle la formation des pierres zen en laboratoire à l’aide d’un « lyophilisateur ». Cet appareil contient une chambre hermétique dans laquelle les faibles pression et température conduisent à la sublimation de la glace.</p>
<p>Un cylindre de métal de quelques centimètres initialement posé sur un bloc de glace se retrouve après quelques heures au sommet d’un délicat piédestal. Nous avons choisi d’utiliser des métaux car leurs propriétés thermiques (conductivité, capacité calorifique, émissivité) sont bien connues, mais l’expérience de laboratoire fonctionne également avec un disque de pierre naturelle.</p>
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<p>Ce dispositif nous a ainsi permis de confirmer le mécanisme de formation des pierres zen en milieu naturel, mais également de tester différentes configurations, de façon rapide et reproductible grâce à un taux de sublimation près de dix fois plus rapide au laboratoire. La présence de la dépression observée sous les galets naturels est due à un effet subtil absent de nos expériences de laboratoire.</p>
<p>En effet, le galet (mais aussi la glace) possède une température supérieure au zéro absolu et émet ainsi un rayonnement électromagnétique. Mais, alors que le rayonnement solaire est majoritairement émis dans les longueurs d’onde visibles, celui provenant du galet est maximum dans l’infrarouge lointain, pour des longueurs d’onde autour de 10 micromètres. Dans nos expériences, le disque métallique et la glace sont à la même température et leurs émissions dans le domaine de l’infrarouge se compensent. Inversement, sur le lac Baïkal, le galet peut avoir une température plus élevée que la glace, pendant une partie de la journée. Ainsi, cette source d’énergie supplémentaire accélère la sublimation au voisinage du galet et conduit à la dépression dont le contour épouse celui de la pierre.</p>
<p>Les pierres zen sont des phénomènes aussi rares qu’éphémères. En effet, le processus de sublimation, même s’il est fortement ralenti sous la pierre, conduit le pied à s’affiner indéfiniment jusqu’à ce que le galet chute. La durée de vie de ces structures sur le lac Baïkal est de l’ordre de deux à trois semaines, et seuls quelques privilégiés ont la chance d’assister à ce spectacle.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/195689/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Nicolas Taberlet a reçu des financements de la Fédération Marie Ampère de Physique. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Nicolas Plihon a reçu des financements de l'Agence Nationale de la Recherche.</span></em></p>
Les « pierres zen » sont posées sur un délicat piédestal de glace. Comment se forment-elles ?
Nicolas Taberlet, Maître de conférences en physique, ENS de Lyon
Nicolas Plihon, Directeur de Recherche CNRS, ENS de Lyon
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/182158
2022-05-18T17:58:57Z
2022-05-18T17:58:57Z
Centrales hydroélectriques : comprendre la fissuration des turbines pour prolonger leur durée de vie
<p>En 2021, 12 % de la production électrique en France a été assuré par les 2 300 <a href="https://bilan-electrique-2021.rte-france.com/production_totale/">centrales hydroélectriques présentes sur le territoire</a>. Pour soutenir la transition énergétique et suivre les recommandations du dernier rapport du GIEC, la part de l’énergie hydroélectrique doit être plus importante.</p>
<p>Dans ce contexte, les installations hydroélectriques vont devoir travailler davantage hors des conditions optimales initialement prévues. L’évolution de ces conditions vers des plages de fonctionnement étendues (débit, hauteur de chute) entraîne des sollicitations mécaniques plus importantes sur les différents équipements, en particulier sur la turbine.</p>
<p>De nombreuses recherches scientifiques sont donc menées pour mieux sélectionner les matériaux des turbines afin d’augmenter leur durée de vie. Il faut également <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0043164811003358">développer des revêtements protecteurs</a> qui permettraient de retarder l’apparition de fissures dans les aubes de turbines, dont une des causes est l’implosion de bulles de vapeur d’eau générées par le mouvement de la turbine.</p>
<p>Les turbines de type Francis, équipant par exemple la centrale des Brévières en aval du barrage de Tignes, en Savoie, sont particulièrement sujettes à la « cavitation », qui peut créer ces fissures.</p>
<h2>Qu’est-ce qu’est la cavitation ?</h2>
<p>Lorsque l’on chauffe un liquide, des bulles apparaissent : c’est l’« ébullition ». De façon similaire, l’eau liquide se transforme en vapeur lorsque l’on diminue la pression, et des bulles de vapeur apparaissent : ce phénomène est appelé « cavitation ». À proximité d’une turbine, l’apparition de ces bulles de vapeur d’eau est causée par la chute locale de la pression, provoquée par la rotation de la turbine couplée à la rapide vitesse d’écoulement de l’eau.</p>
<p>Les bulles sont libres de se déplacer dans le liquide. Lorsqu’elles atteignent une région où la pression de l’eau est plus importante, elles implosent violemment. Si la bulle est éloignée de la surface de la turbine, son implosion s’effectue de manière symétrique et la bulle rétrécit jusqu’à disparaitre.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/460259/original/file-20220428-22-s9sx53.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/460259/original/file-20220428-22-s9sx53.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/460259/original/file-20220428-22-s9sx53.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=244&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/460259/original/file-20220428-22-s9sx53.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=244&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/460259/original/file-20220428-22-s9sx53.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=244&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/460259/original/file-20220428-22-s9sx53.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=307&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/460259/original/file-20220428-22-s9sx53.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=307&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/460259/original/file-20220428-22-s9sx53.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=307&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">La baisse de pression provoque l’apparition d’une bulle d’eau vapeur dans l’eau liquide. Quand la bulle arrive dans une zone de forte pression, elle implose. À proximité d’une surface, comme une pale de turbine par exemple, cela provoque un jet d’eau et des ondes de choc qui créent des dommages sur le matériau.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Julien Hofmann</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>En revanche, si la bulle se trouve proche de la surface de la turbine, son implosion, équivalente à un effondrement, s’effectue en direction de la turbine. Cette implosion génère un jet de liquide et des ondes de choc. L’interaction de ces deux phénomènes frappant la surface provoque la détérioration de la turbine habituellement fabriquée en acier inoxydable : piqûres, fissuration, arrachement de matière.</p>
<h2>Des turbines aux essais en laboratoire</h2>
<p>Afin de comprendre les détériorations provoquées par la cavitation sur les turbines, différents équipements sont développés en laboratoire. Deux d’entre eux permettent d’accélérer le processus d’endommagement par rapport aux conditions réelles.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/460763/original/file-20220502-21-xj6od4.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/460763/original/file-20220502-21-xj6od4.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/460763/original/file-20220502-21-xj6od4.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/460763/original/file-20220502-21-xj6od4.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/460763/original/file-20220502-21-xj6od4.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/460763/original/file-20220502-21-xj6od4.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/460763/original/file-20220502-21-xj6od4.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Turbine Francis aux aubes érodées par la cavitation, après de précédentes réparations par apport et soudage d’acier inoxydable.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Turbine_Francis#/media/Fichier:Turbine_Francis_Worn.JPG">Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le premier outil est un « tunnel d’essais » : l’eau est accélérée à plusieurs dizaines de mètres par seconde afin de produire la chute de pression nécessaire à l’apparition des bulles. Du fait de l’importante vitesse d’écoulement de l’eau, ce type d’essais est qualifié d’« hydrodynamique ».</p>
<p>Le second type d’équipement est un processeur à ultrasons, très utilisé dans le cadre des études sur la cavitation. Les ondes générées dans l’eau font chuter la pression du liquide et des bulles de cavitation naissent : ces essais sont de type « vibratoire ».</p>
<p>Les deux équipements utilisés engendrent des conditions extrêmes d’érosion par cavitation qui permettent d’encadrer les conditions dans un écoulement réel : trous de faibles profondeurs (quelques centaines de nanomètres) et grande fréquence d’apparition (plusieurs milliers par seconde par millimètre carré) pour les essais vibratoires contre des trous de fortes profondeurs (quelques microns) et à basse fréquence (quelques centaines par seconde par millimètre carré) pour l’essai hydrodynamique.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/460261/original/file-20220428-20-42jk0m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/460261/original/file-20220428-20-42jk0m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=393&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/460261/original/file-20220428-20-42jk0m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=393&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/460261/original/file-20220428-20-42jk0m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=393&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/460261/original/file-20220428-20-42jk0m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=493&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/460261/original/file-20220428-20-42jk0m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=493&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/460261/original/file-20220428-20-42jk0m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=493&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Image par microscopie électronique à balayage de fissures de cavitation sur de l’acier inoxydable. Le matériau a été soumis à des essais de cavitation vibratoire pendant 9h.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Julien Hofmann</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Après plusieurs dizaines de minutes d’exposition, les aciers inoxydables, principaux matériaux utilisés pour la fabrication des turbines, se fissurent. Les conditions d’essais en laboratoire sont évidemment plus agressives que les endommagements réels sur les turbines !</p>
<h2>Observer la formation de fissures</h2>
<p>Les fissures sont observées à la surface des matériaux grâce à la microscopie électronique, afin d’en déterminer leur dimension et leur orientation, l’influence de la nature chimique du matériau, la perte de matière, le type de sollicitations mécaniques, etc.</p>
<p>L’observation « en volume » est quant à elle réalisée grâce à la tomographie aux rayons X : cette technique d’imagerie, équivalente à un scanner médical dans des gammes d’énergies différentes, permet d’obtenir des informations de l’intérieur du matériau.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/460764/original/file-20220502-14592-rqqhx1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/460764/original/file-20220502-14592-rqqhx1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=452&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/460764/original/file-20220502-14592-rqqhx1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=452&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/460764/original/file-20220502-14592-rqqhx1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=452&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/460764/original/file-20220502-14592-rqqhx1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=568&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/460764/original/file-20220502-14592-rqqhx1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=568&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/460764/original/file-20220502-14592-rqqhx1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=568&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Tunnel d’essais hydrodynamiques, où les matériaux sont endommagés par la cavitation avant d’être analysés par microscopie électronique et par tomographie aux rayons X.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Julien Hofmann</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Pour suivre la propagation de ces fissures dans l’espace et dans le temps, nous développons un appareil capable de générer des bulles de cavitation s’insérant au sein de grands instruments, tel que l’European Synchrotron Radiation Facility (ESRF, Grenoble). Nous pourrons ainsi observer des fissures submicroniques.</p>
<p>Les résultats issus des essais en laboratoire vont permettre dans un premier temps de mieux sélectionner les matériaux pour la fabrication des turbines en fonction de la vitesse d’écoulement de l’eau et de la hauteur de l’installation hydroélectrique, puis, dans un second temps, de développer des revêtements protecteurs pour les turbines du futur.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/182158/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Julien Hofmann a reçu des financements de la Fondation Grenoble INP.
Ce projet a été financé par la Chaire Hydro'like portée par la Fondation Grenoble INP grâce au mécénat de General Electric.</span></em></p>
Les pales des turbines hydroélectriques sont sujettes à des dommages, notamment liés à la cavitation. Comment les étudier ?
Julien Hofmann, Doctorant en science des matériaux, Institut polytechnique de Grenoble (Grenoble INP)
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/181639
2022-05-10T21:47:47Z
2022-05-10T21:47:47Z
Il neige du fer au cœur d’une lune de Jupiter
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/458839/original/file-20220420-22-sfv15q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=4%2C2%2C1558%2C827&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Des turbulences générées par la chute de particules (en blanc), pour mieux comprendre l'intérieur des planètes et leur champ magnétique.</span> <span class="attribution"><span class="source">Quentin Kriaa</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p>Sur ces images, nous regardons des volutes turbulentes alimentées par la chute de billes de verre dans de l’eau. C’est notre modèle simplifié de la <a href="https://progearthplanetsci.springeropen.com/articles/10.1186/s40645-015-0069-y">« neige de fer »</a> qui existe dans le noyau de certaines planètes.</p>
<p>Certaines planètes génèrent leur propre champ magnétique grâce au mouvement de métal liquide dans leur noyau – un processus nommé « dynamo », à l’œuvre sur Terre. En effet, la Terre est suffisamment grande pour que la pression y induise une solidification du métal liquide depuis le centre du noyau vers sa périphérie, favorisant ainsi de grands mouvements de convection qui alimentent le champ magnétique de notre planète.</p>
<p>En revanche, sur de petites planètes telluriques, la pression est trop faible pour permettre cette cristallisation depuis le centre de la planète. Cette dernière peut même être inversée : elle se fait alors depuis la périphérie du noyau, à la frontière avec le manteau. C’est un <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0019103514005715">scénario plausible pour Ganymède</a>, un satellite de Jupiter.</p>
<p>Dans ce cas, quand le métal liquide cristallise à la périphérie du noyau, des flocons de fer se forment, plus denses que le métal liquide. Sans rien sous leurs pieds pour les retenir, ils chutent vers le centre de la planète par gravité, et fondent lorsqu’ils atteignent des températures trop élevées – comme la neige.</p>
<p>Avec nos expériences, nous essayons de comprendre ce qui alimente le mouvement de dynamo dans ces petites planètes. Une des <a href="https://agupubs.onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1002/2014JE004781">hypothèses</a> est que le métal liquide est brassé par cette « neige » de flocons de fer solide qui chutent dans le métal liquide.</p>
<h2>Du noyau au labo</h2>
<p>Pour modéliser et mieux comprendre ce phénomène de « neige de fer », la physique doit être simplifiée. Cristallisation et fonte des flocons sont temporairement mises de côté, la forme complexe des flocons est approchée par une sphère, et les matériaux sont remplacés.</p>
<p>Ainsi, regardons-nous en laboratoire l’<a href="http://nonlineaire.univ-lille1.fr/SNL/media/2022/resumes/qkriaa/kriaa_quentin.pdf">écoulement</a> que génère la chute de sphères de verre (alias les flocons) dans de l’eau (alias le métal liquide, de même viscosité que l’eau). En sondant l’intérieur de l’écoulement grâce à une nappe laser verticale, nos photos révèlent que la chute des particules de verre, en blanc, ne laisse pas le fluide indifférent : elles produisent des nuages turbulents, aux tourbillons visibles à l’aide de rhodamine, un colorant orange. On observe un phénomène très similaire de turbulence quand on met du sucre dans son café (si les grains sont assez nombreux et concentrés !).</p>
<p>Ces images délivrent une observation fascinante : sur chacune des trois photos, il tombe exactement 1 gramme de sphères de verre, mais plus les particules sont grosses (de gauche à droite), plus le nuage qu’elles génèrent est petit et éphémère. Car c’est bien la présence des particules qui alimente la turbulence ; dès lors que les particules s’échappent des tourbillons, ces derniers ralentissent avant de s’immobiliser, la viscosité de l’eau dissipant fatalement tout mouvement.</p>
<p>La tendance des grosses particules à être peu sensibles aux tourbillons, et à donc s’en séparer rapidement, est un effet d’inertie qui nous est quotidien : dehors, pour une vitesse de vent donné, une petite plume d’oisillon suit mieux et plus longtemps le vent qu’une grande plume de pigeon, moins sensible aux mouvements d’air. Du fait de cette inertie, le gramme de petites particules est plus à même d’entretenir un nuage turbulent par sa simple sédimentation dans de l’eau initialement immobile.</p>
<h2>Pour les flocons, il existe plusieurs façons de « forcer » l’écoulement</h2>
<p>Plusieurs précédents travaux sur la neige de fer n’ont pas permis de trancher si les flocons brassent notablement le fluide au cours de leur chute, si bien que l’étude de leur sédimentation a <a href="https://agupubs.onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1002/2014JE004781">parfois été évacuée</a>. Pourtant, nos expériences, dont les résultats seront bientôt soumis pour publication, suggèrent que les flocons peuvent avoir différents comportements qui meuvent le métal liquide, notamment en un nuage turbulent.</p>
<p>En revanche, ces mêmes travaux ont montré que la dynamo peut provenir d’une « convection compositionnelle » : la fonte de nombreux flocons à une profondeur donnée accumulerait un excès de fer liquide, plus dense que le reste du métal liquide, aboutissant fatalement à une plongée rapide de cette neige fondue en profondeur – comme le ferait une nappe d’eau surplombant de l’huile. C’est ce que nous allons maintenant étudier en réalisant une neige de sucre dans de l’eau, pour ajouter à notre modèle l’ingrédient de la fonte des flocons, modélisée par la dissolution du sucre.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/181639/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Benjamin Favier a reçu des financements de l’Agence Nationale de la Recherche (ANR-20-CE49-0010 COLOSSe).</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Michael Le Bars est membre du laboratoire IRPHE (CNRS, Aix Marseille Univ, Centrale Marseille). Il a reçu des financements de l’Union Européenne via le programme ERC / Horizon 2020 (bourse 681835-FLUDYCO-ERC-2015-CoG). </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Quentin Kriaa ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Le champ magnétique de certains corps célestes est d’origine mal connue. Pourrait-il être généré par les cristaux tourbillonnant et fondant dans du métal liquide ?
Quentin Kriaa, Doctorant en mécanique des fluides, IMéRA
Benjamin Favier, Chercheur, Aix-Marseille Université (AMU)
Michael Le Bars, Directeur de Recherche au CNRS, spécialisé en mécanique des fluides géophysiques et astrophysiques, Aix-Marseille Université (AMU)
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/181396
2022-04-26T13:33:37Z
2022-04-26T13:33:37Z
Des cellules humaines pour remplacer les rats de laboratoire
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/459797/original/file-20220426-22-qa3ni3.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=12%2C79%2C1008%2C787&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">En prélevant un petit morceau de peau, il est possible de laisser pousser les cellules qui s’y trouvent dans une boîte pétri et de les transformer en neurones en environ un mois.</span> <span class="attribution"><span class="source">(Camille Pernegre)</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p>Pour évaluer si un composé est prometteur pour traiter une maladie, il est usuel de l’étudier d’abord chez l’animal. Cela permet de voir si le composé a des chances de guérir la maladie. Cependant, les modèles animaux récapitulent rarement tous les aspects d’une maladie. L’alternative est de représenter cette maladie à partir de cultures cellulaires. Si au premier abord, la boîte de Petri semble bien différente d’une personne atteinte d’une maladie, la réalité pourrait être bien différente lorsqu’on les regarde de plus près.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/quels-types-doublis-sont-les-plus-lies-a-la-maladie-dalzheimer-162905">Quels types d’oublis sont les plus liés à la maladie d’Alzheimer ?</a>
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<p>L’Alzheimer a été guérie plus de <a href="https://alz-journals.onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1002/trc2.12179">400 fois en laboratoire</a>. Comment, alors, pouvons-nous toujours considérer l’Alzheimer comme incurable ? Simplement parce qu’elle a seulement été guérie <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC4594046/#fn34">chez l’animal</a>. Or, une souris ne développe pas naturellement l’Alzheimer ; il faut la provoquer. Pour cela, nous utilisons nos maigres connaissances sur ce qui déclenche l’Alzheimer et reproduisons le tout chez la souris. Bref, ces souris n’ont pas l’Alzheimer : elles sont plutôt atteintes de notre conception imparfaite de l’Alzheimer.</p>
<p>En tant que doctorant en psychologie, j’ai complété un stage de recherche au CHUM dans le laboratoire de la professeure Nicole Leclerc avec pour objectif de développer de nouveaux modèles pour étudier l’Alzheimer tout en se délestant de nos théories limitées.</p>
<p>Dans le milieu scientifique moderne, un nouveau composé non testé <a href="https://www.fda.gov/patients/drug-development-process/step-2-preclinical-research">ne peut pas être utilisé pour traiter une maladie humaine</a> puisque cela constitue un risque inacceptable. Il faut donc utiliser un modèle de maladie, qui reproduit nos observations de celle-ci chez l’humain, afin de vérifier si le nouveau composé est prometteur. Les modèles de maladies permettent de développer des traitements et des outils diagnostiques. Ils nous donnent également la possibilité de mieux comprendre les <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC7329115/">processus derrière la maladie étudiée</a>. Les modèles sont ainsi un outil incontournable en science biomédicale.</p>
<h2>Des modèles de maladie du futur</h2>
<p>Étudier une maladie deviendrait plus simple si nous pouvions directement observer et agir sur les cellules qui cessent de fonctionner correctement. Dans le cas de l’Alzheimer, il est impossible de prélever une tranche de cerveau d’une personne vivante afin d’expérimenter sur les neurones qui s’y trouvent. Toutefois, je travaille sur le développement d’une technique qui pourra s’y rapprocher énormément. En prélevant un petit bout de peau du patient, je peux laisser pousser les cellules qui s’y trouvent dans une boîte de Petri et les transformer en neurones en environ un mois.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Main d’un homme portant des gants en caoutchouc bleus et tenant un échantillon liquide bleu dans une boîte de pétri dans un laboratoire de chimie" src="https://images.theconversation.com/files/459169/original/file-20220421-23-qo7498.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/459169/original/file-20220421-23-qo7498.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/459169/original/file-20220421-23-qo7498.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/459169/original/file-20220421-23-qo7498.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/459169/original/file-20220421-23-qo7498.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/459169/original/file-20220421-23-qo7498.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/459169/original/file-20220421-23-qo7498.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Si au premier abord, la boîte de Petri semble bien différente d’une personne atteinte d’une maladie, la réalité pourrait être bien différente lorsqu’on les regarde de plus près.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span>
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<p>La méthode profite du fait que toutes les cellules qui composent le corps d’une personne ont le même code génétique : l’ADN. Ce qui différencie une cellule de peau d’un neurone est simplement les gènes qu’exprime la cellule. Ainsi, je suis en mesure de forcer la cellule de peau à exprimer des gènes typiquement neuronaux pour qu’elle se transforme graduellement en neurone. Ces neurones retiennent les signatures du vieillissement, ce qui est crucial pour étudier les maladies liées au vieillissement. Les avantages sont clairs : on peut produire une colonie de neurones humains provenant d’une personne ayant l’Alzheimer. Les neurones de personnes Alzheimer développeront alors des <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1934590921001612">caractéristiques de l’Alzheimer</a>, ce qui permettra d’étudier la maladie bien plus facilement.</p>
<p>Le neurone ne fonctionne cependant pas en vase clos, d’autres types de cellules interagissent avec lui. Pour améliorer une culture neuronale, on peut donc pousser le concept encore plus loin en produisant des <a href="https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fcell.2020.579659/full">organoïdes</a>. Ce sont des cultures cellulaires comprenant plusieurs types de cellules. Un organoïde de cerveau pourrait donc recréer plus fidèlement le fonctionnement cérébral, et donc être un meilleur modèle de maladies du système nerveux.</p>
<h2>Des modèles de maladies polyvalents</h2>
<p>Si on découvre qu’une cellule présente un fonctionnement anormal chez une personne atteinte de la maladie, on cherchera à comprendre pourquoi elle se comporte ainsi. En observant un modèle de cette maladie, nous pourrons découvrir si ce fonctionnement anormal est similaire à celui observé dans le cerveau des patients. Si c’est le cas, nous pourrons tenter de modifier le fonctionnement de cette cellule chez notre modèle et voir si cela a un effet bénéfique.</p>
<p>Les modèles ont donc comme première fonction de permettre d’étudier plus facilement une maladie. Un bon modèle doit ainsi la représenter de la manière la plus fiable possible. Lorsqu’un modèle est considéré comme suffisamment représentatif de la maladie, il peut être utilisé en études précliniques afin de vérifier si le composé a le potentiel de la soigner sans être nocif. Lorsque la maladie est bien reproduite par le modèle, on peut supposer qu’un traitement qui fonctionne sur celui-ci a des chances de fonctionner chez des personnes atteintes de la maladie. Les cultures cellulaires et organoïdes provenant de patients sont particulièrement prometteuses à cause de cette représentativité. Même si nous ne connaissons pas toutes les caractéristiques d’une maladie, il y a des chances que ces portions inconnues puissent être reproduites dans ces modèles.</p>
<p>Comme elles viennent de véritables patients, ces modèles du futur pourraient avoir une troisième utilité unique : la <a href="https://cellregeneration.springeropen.com/articles/10.1186/s13619-020-00059-z">médecine personnalisée</a>. Tous les patients atteints d’une même maladie sont hétérogènes et donc ne répondent pas de la même manière à un traitement. Lorsque plusieurs types de thérapies existent, il faut s’en remettre aux essais-erreurs pour identifier celle qui convient le mieux à chaque patient.</p>
<p>En 2021, l’équipe de Kimberly K. Leslie à l’université d’Iowa a démontré que les organoïdes pouvaient remédier à ce problème en <a href="https://www.mdpi.com/2072-6694/13/12/2901">prédisant la réponse d’extraits de cancers gynécologiques à différents traitements</a>. La même année, une autre équipe de Singapour et de Hong-kong a démontré qu’on pouvait utiliser les organoïdes pour <a href="https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fonc.2021.622244/full">prédire la réponse de tumeurs naso-pharyngées à la radiothérapie et en ajuster la dose</a>. Grâce à cette méthode, il sera donc possible de sélectionner le traitement le plus prometteur pour un individu en un temps beaucoup plus court. Cependant, elle n’a été testée que chez des modèles animaux et des extraits cellulaires. La faisabilité chez l’humain demeure donc à prouver.</p>
<h2>Des modèles à suivre, mais pas au pied de la lettre</h2>
<p>Un traitement qui fonctionne chez un modèle de maladie ne fonctionnera pas nécessairement chez l’humain. C’est précisément pour cela que l’Alzheimer, ou du moins, sa reconstruction en laboratoire dans un modèle animal, a été « guérie » plus de 400 fois sans jamais fonctionner chez l’humain. De la même façon, il est possible que des composés pouvant réellement ralentir la progression de l’Alzheimer aient été testés, mais qu’ils n’aient pas réussi à guérir ces animaux. Pour des maladies neurodégénératives comme l’Alzheimer, créer un modèle représentatif est particulièrement complexe puisque la maladie n’a pas une seule cause. Nous connaissons des <a href="https://pubs.rsc.org/en/content/chapterhtml/2022/bk9781839162305-00001?isbn=978-1-83916-230-5&sercode=bk">centaines de processus qui seraient déréglés dans l’Alzheimer</a>, impliquant notamment les systèmes nerveux, cardiovasculaire, et immunitaire.</p>
<p>Il n’est pas encore possible de reproduire ces interactions en culture cellulaire. C’est pourquoi même si les modèles du futur permettront de mieux représenter la maladie, et peut-être de découvrir des traitements, il ne faut jamais oublier qu’ils seront toujours imparfaits. La guérison d’un modèle n’équivaudra donc jamais exactement à la guérison d’une maladie.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/181396/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Étienne Aumont a reçu du financement de la part des Instituts de Recherche en Santé du Canada (IRSC). </span></em></p>
Les cultures cellulaires semblent prometteuses pour représenter les maladies. La boîte de Petri ne diffère pas autant d’une personne malade que l’on pourrait croire.
Étienne Aumont, Étudiant au doctorat en psychologie, Université du Québec à Montréal (UQAM)
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/180929
2022-04-25T14:13:55Z
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Percer les secrets du sirop d’érable, une molécule à la fois
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/459131/original/file-20220421-23-kzsxte.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=5%2C2%2C982%2C663&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">De part sa source naturelle particulière et son procédé de fabrication singulier, le sirop d’érable comprend des molécules bioactives dont les bénéfices dépassent largement le simple agrément de la gâterie sucrée.</span> <span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span></figcaption></figure><p>La nature qui nous entoure recèle une quantité phénoménale de molécules aussi variées qu’imperceptibles. Le règne végétal est particulièrement complexe sur le plan chimique. En effet, l’évolution des plantes s’est déroulée sur des centaines de millions d’années et a nécessité que les différentes espèces s’adaptent afin de réagir à divers stress environnementaux et menaces auxquels elles faisaient face. </p>
<p>Au fil de l’évolution, plusieurs espèces ont développé un arsenal de molécules qui leur permettent de s’adapter à l’environnement et à se protéger contre les compétiteurs et prédateurs. Au-delà de leur fonction d’origine, certaines de ces molécules présentent des bénéfices pour la santé des animaux qui les consomment.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-mysteres-du-sirop-derable-tout-est-dans-la-seve-et-les-microbes-180653">Les mystères du sirop d’érable : tout est dans la sève… et les microbes !</a>
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<p>Les progrès accélérés réalisés ces dernières décennies en sciences alimentaires montrent que de nombreuses plantes prodiguent une quantité de bienfaits qui, jusqu’à tout récemment, étaient plutôt méconnus. Mises ensemble, ces découvertes viennent appuyer plus que jamais le fait qu’une alimentation variée et équilibrée offre des bénéfices qui dépassent le simple apport énergétique. Par conséquent, la demande des consommateurs pour des aliments d’origine végétale à plus haute valeur nutritionnelle atteint actuellement des sommets. Cet engouement ne semble non plus pas prêt de s’essouffler.</p>
<p>En revanche, les aliments sucrés tendent à être de plus en plus marginalisés et catégorisés comme exclusivement malsains. Mais, au royaume des sucreries, le sirop d’érable revendique enfin la place qui lui revient ! Ce n’est plus seulement le joyau du patrimoine culinaire canadien ; sa réputation du point de vue nutritionnel s’améliore.</p>
<p>Étant donné sa source naturelle particulière et son procédé de fabrication singulier, le sirop d’érable comprend des molécules bioactives dont les bénéfices dépassent largement le simple agrément de la gâterie sucrée.</p>
<h2>Des bienfaits qui dépassent l’apport énergétique</h2>
<p>Dans l’est du Canada, les mois de mars et avril annoncent le temps des sucres. Des températures plus élevées amènent les érables à convertir leurs réserves énergétiques (stockées sous forme de glucides complexes) en <a href="https://cdnsciencepub.com/doi/10.1139/b03-079">sucres solubles</a> qui se mélangent à l’eau contenue dans l’arbre. En perçant un trou dans le tronc des érables, il devient possible de recueillir la sève aromatisée qui coule de l’intérieur.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Sirop d’érable dans une bouteille en verre sur une table en bois" src="https://images.theconversation.com/files/459344/original/file-20220422-18-zenfms.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/459344/original/file-20220422-18-zenfms.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=461&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/459344/original/file-20220422-18-zenfms.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=461&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/459344/original/file-20220422-18-zenfms.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=461&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/459344/original/file-20220422-18-zenfms.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=580&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/459344/original/file-20220422-18-zenfms.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=580&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/459344/original/file-20220422-18-zenfms.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=580&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le sirop d’érable, or liquide canadien, comprend des molécules bioactives dont les bénéfices dépassent largement le simple agrément de la gâterie sucrée.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span>
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</figure>
<p>La sève obtenue directement des érables est composée approximativement de 98 % d’eau. Environ 40 litres de cette eau d’érable permettent de générer 1 litre de sirop. Lors de ce processus de concentration, les teneurs en sucres et en nutriments augmentent substantiellement. Au fur et à mesure que l’excès d’eau s’évapore par ébullition, la température élevée provoque également une série de réactions chimiques.</p>
<p>Les composants principaux du sirop d’érable sont le saccharose et l’eau. Le glucose et le fructose contribuent également au goût sucré du sirop, mais dans une plus faible mesure. Alors que ces trois glucides simples constituent des sources d’énergie, le sirop d’érable est aussi une excellente source de manganèse et de riboflavine (vitamine B2), ainsi qu’une source non négligeable d’autres <a href="http://www.internationalmaplesyrupinstitute.com/uploads/7/0/9/2/7092109/__nutrition_and_health_benefits_of_pure_maple_syrup.pdf">vitamines et minéraux (zinc, potassium, calcium et magnésium)</a>.</p>
<p>La composition en composés phénoliques (molécules portant un groupement phénol, reconnu pour sa fonction antioxydante) du sirop d’érable est encore plus impressionnante. Depuis le début du XX<sup>e</sup> siècle, les chercheurs y ont découvert plus d’une <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0308814621028235">centaine de ces molécules d’origine végétale</a>. Ces composés, dont plusieurs ont des propriétés antioxydantes, contribuent aux caractéristiques organoleptiques (goût, arôme, couleur) du sirop d’érable et sont principalement responsables de l’émergence de son récent statut de superaliment.</p>
<p>Qui plus est, l’un des constituants phénoliques les plus prometteurs (du point de vue de ses activités biologiques) est une molécule retrouvée nulle part ailleurs que dans le plus célèbre produit d’exportation du Canada.</p>
<h2>Une molécule digne de fierté nationale</h2>
<p>Le québécol – nommé d’après la province d’où provient la majorité de la production acéricole mondiale – est un composé polyphénolique (portant plusieurs groupements phénols) qui a été isolé du sirop d’érable pour la première fois en 2011 par l’équipe du <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S1756464611000090">professeur Navindra Seeram de l’Université du Rhode Island</a>. Ce composé est si exclusif au sirop d’érable qu’il n’est même pas présent dans la sève d’érable brute ! Les connaissances actuelles suggèrent plutôt qu’il serait le produit de réactions chimiques se produisant lors de la transformation de la sève en sirop.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="molécule chimique" src="https://images.theconversation.com/files/458984/original/file-20220420-14-dway8j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/458984/original/file-20220420-14-dway8j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=434&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/458984/original/file-20220420-14-dway8j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=434&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/458984/original/file-20220420-14-dway8j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=434&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/458984/original/file-20220420-14-dway8j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=546&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/458984/original/file-20220420-14-dway8j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=546&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/458984/original/file-20220420-14-dway8j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=546&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Structure du québécol [2,2,3-tris(4-hydroxy-2-méthoxyphényl)propan-1-ol], molécule exclusivement retrouvée dans le sirop d’érable dont on commence à peine à percer les secrets.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Sébastien Cardinal)</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Lors de l’isolation initiale du québécol, il fut démontré que cette molécule avait la capacité d’inhiber la prolifération de cellules spécifiquement associées aux <a href="https://patents.google.com/patent/WO2012167364A1/en">cancers du sein et du côlon dans des tests <em>in vitro</em> (en laboratoire)</a>. Cependant, la quantité isolée du polyphénol étant faible, ces tests ne purent dépasser le stade préliminaire. Ce qu’il faut savoir, c’est que plus de 20 L de sirop d’érable sont nécessaires afin d’isoler moins d’un milligramme de québécol.</p>
<p>Jugeant que ce sirop serait mieux utilisé dans les cuisines que dans les laboratoires, Normand Voyer, professeur au Département de chimie de l’Université Laval, et moi-même avons décidé de nous attaquer à ce problème d’approvisionnement. À cet effet, nous avons publié en 2013, alors que j’étais candidat au doctorat, une voie de synthèse chimique permettant de construire beaucoup plus efficacement, en laboratoire, cette molécule naturelle <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0040403913011878">à partir de précurseurs simples</a>. Ces travaux ayant rendu le québécol beaucoup plus accessible, l’investigation de ses propriétés a pu être poursuivie et approfondi.</p>
<p>Notamment, les groupes des professeurs Normand Voyer et Daniel Grenier de la Faculté de médecine dentaire de l’Université Laval ont publié deux études démontrant les <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0968089616309403?via%3Dihub">propriétés anti-inflammatoires de cette molécule</a>. Ces recherches, qui constituaient également une partie de ma thèse, ont également permis de déterminer la <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0960894X15303048?via%3Dihub">portion active dans la structure de la molécule</a>.</p>
<h2>Un composé encore d’actualité</h2>
<p>Plus récemment, en 2021, une étude issue d’une collaboration entre le groupe du professeur Daniel Grenier et le mien (aujourd’hui établi à l’UQAR) a démontré que les propriétés anti-inflammatoires du québécol pouvaient être mises à profit dans le contexte particulier de la <a href="https://pubs.acs.org/doi/10.1021/acsomega.1c03312">parodontite</a>, une infection sévère des gencives. D’autres études devraient également être publiées cette année, dont l’une présentant le québécol comme un éventuel allié dans le traitement d’une pathologie de la peau.</p>
<p>Bien que les activités biologiques obtenues jusqu’à maintenant pour le québécol soient limitées à des tests <em>in vitro</em>, ces résultats encouragent certainement l’approfondissement de ces études à des systèmes plus complexes. Il est également important de souligner que les résultats obtenus pour le moment l’ont été à partir de la molécule pure isolée. Ces études ne proposent donc pas l’utilisation du sirop d’érable pur comme agent médicamenteux contre différentes pathologies. D’une part, étant donnée la quantité qui devrait être ingérée pour avoir la dose de québécol nécessaire, les méfaits d’une ingestion massive de sucre viendraient occulter tout bienfait. D’autre part, il est pour le moment difficile d’établir quelle sera la distribution de la molécule dans le corps humain lorsqu’elle est administrée sous forme orale.</p>
<p>Quoi qu’il en soit, ces découvertes permettent, une fois de plus, de mettre en lumière le caractère unique du sirop d’érable et contribuent à renforcer son statut d’aliment tout à fait singulier. Peut-être contient-il encore d’autres molécules tout aussi prometteuses qui ne demandent qu’à être découvertes ?</p>
<p>Gageons que ce trésor bien de chez nous n’a pas encore révélé tous ses secrets !</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/180929/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>
Le sirop d’érable, en plus d’être un joyau du patrimoine culinaire canadien, est également un agent sucrant présentant une constitution chimique complexe.
Sébastien Cardinal, Professeur en chimie organique, Université du Québec à Rimouski (UQAR)
Amy McMackin, Candidate MSc Chimie, Université du Québec à Rimouski (UQAR)
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/173102
2022-01-02T17:25:18Z
2022-01-02T17:25:18Z
En 2022, tirons les leçons des controverses sur les origines du SARS-Cov-2
<p>Le Covid-19 est probablement la pandémie et la maladie infectieuse la plus médiatisée de tous les temps. D’autres zoonoses – ces maladies dont l’agent infectieux est issu d’un animal – ont eu aussi un grand retentissement sociétal, comme le sida (virus HIV) qui tue encore plus d’un demi-million de personnes par an dans le monde. </p>
<p>Et d’autres maladies tout aussi terribles, comme le paludisme ou Ebola, frappent tout particulièrement les régions tropicales et on peut regretter qu’elles n’inquiètent guère les habitants et les dirigeants des puissants pays du Nord. </p>
<h2>Émergence du Covid-19, à chacun son hypothèse !</h2>
<p>La question de l’origine du Covid-19 a une part importante dans la médiatisation inédite de la pandémie. Les hypothèses se sont multipliées, évoquant aussi bien le passage naturel à l’humain depuis une chauve-souris – avec ou sans hôte intermédiaire (pangolin, civette, vison, chien viverrin, etc.) – que l’échappement d’un laboratoire de virologie dans la ville chinoise de Wuhan. </p>
<p>Chaque « corporation » y a été de son hypothèse : les scientifiques écologues, dont je suis, ont replacé l’émergence du Covid-19 dans le contexte de l’augmentation inquiétante des émergences de nouvelles maladies zoonotiques, <a href="https://theconversation.com/covid-19-ou-la-pandemie-dune-biodiversite-maltraitee-134712">causées par les atteintes à l’environnement</a>. </p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1243590148757078018"}"></div></p>
<p>Des journalistes ont alerté sur <a href="https://reporterre.net/Les-elevages-de-visons-en-Chine-a-l-origine-du-Covid-19-Les-indices-s-accumulent">le rôle possible des élevages animaux (notamment de visons)</a> comme réacteurs de sélection d’agents infectieux. </p>
<p>Quant aux biologistes moléculaires de laboratoire qui utilisent la transgenèse (insertion de gènes au sein de virus) comme outil de travail quotidien pour <a href="https://theconversation.com/origine-de-la-covid-19-lhypothese-de-laccident-de-laboratoire-doit-elle-etre-etudiee-dun-point-de-vue-scientifique-160825">comprendre la fonction de gènes ou de protéines spécifiques des virus</a>, ils se sont inquiétés du manque de transparence des travaux menés dans les laboratoires de Wuhan en Chine, ville présumée à tort ou à raison lieu d’émergence de la pandémie. Chacun voit donc midi à sa porte, en émettant le souhait (très idéalisé) d’un meilleur comportement dans son domaine sociétal d’intérêt. </p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/origine-de-la-covid-19-lhypothese-de-laccident-de-laboratoire-doit-elle-etre-etudiee-dun-point-de-vue-scientifique-160825">Origine de la Covid-19 : l’hypothèse de l’accident de laboratoire doit-elle être étudiée d’un point de vue scientifique ?</a>
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<p>Bien que de moindre intérêt, on peut également mentionner le développement de nombreuses publications, passablement complotistes, qui traquent les informations disponibles dans les courriers et documents des différents acteurs du domaine (groupes de recherche, OMS, chercheurs, etc.) ; et pensent y trouver les preuves de méfaits ou d’imprudences expliquant l’émergence de la maladie. </p>
<p>Enfin, pour compléter cette liste déjà trop longue, on doit aussi signaler des épisodes de politique internationale <a href="https://theconversation.com/donald-trump-les-maux-et-les-mots-du-virus-136530">incriminant tel ou tel personnage ou institution</a>, à tort ou à raison, mais pour des raisons d’adversité politique.</p>
<h2>Le concept central d’« une seule santé »</h2>
<p>Que penser de toutes ces hypothèses ? En fait, chacune d’entre elles, sauf sans doute celle de l’origine naturelle, fait passablement l’impasse sur les démarches scientifiques intégratives qui sont le futur indispensable des recherches sur les maladies infectieuses. </p>
<p>Depuis des années maintenant, biologistes et médecins ont forgé en recherche scientifique le concept d’<a href="https://www.who.int/fr/news-room/questions-and-answers/q-a-detail/one-health">« une seule santé »</a> (<em>One Health</em>) : la santé humaine dépend de celle de l’environnement et de celle des autres animaux. </p>
<p>Ce concept prend ainsi en compte toutes les hypothèses formulées pour permettre de juger à terme de leur vraisemblance à la lumière des éléments recueillis : agents infectieux inconnus ou émergents (virus, bactéries, protozoaires, etc.) dans leurs animaux réservoirs, rôle des élevages et trafics (qui concentrent et affaiblissent ces animaux réservoirs) ; enfin, rôle des laboratoires de biologie médicale qui devraient étudier cette problématique sans générer de risques supplémentaires. </p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1276121051420860421"}"></div></p>
<p>À ce dernier égard, il est particulièrement ironique de constater que les tenants des fuites de laboratoire de Wuhan mentionnent eux-mêmes la nécessité de juger du rôle des protéines spike des nouveaux variants (Omicron notamment) en les étudiant leur biologie <a href="https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/coronavirus/variant-omicron/variant-omicron-la-course-contre-la-montre-des-chercheurs-pour-percer-les-secrets-de-cette-mutation-preoccupante-du-virus_4865785.html">grâce à la transgenèse dans des lentivirus</a>. </p>
<p>Les expertises collégiales nationales (<a href="https://www.fondationbiodiversite.fr/mobilisation-de-la-frb-par-les-pouvoirs-publics-francais-sur-les-liens-entre-covid-19-et-biodiversite/">FRB</a>) et internationales (<a href="https://ipbes.net/pandemics">IPBES</a>) mentionnent toutes cette exigence absolue d’intégration « une seule santé » pour comprendre et juguler l’émergence de maladies dans le futur ! </p>
<p>Les humains ne vivent pas en vase clos et leur santé dépend évidemment de celle de leur environnement : il faut sans cesse le rappeler tant nos attitudes demeurent anthropocentriques et centrées sur les remèdes a posteriori chez les humains plutôt que sur les études intégratives a priori des crises sur les écosystèmes.</p>
<h2>À la recherche de nouvelles connaissances cruciales</h2>
<p>Pour prévenir l’émergence de nouvelles maladies, nous sommes donc directement dépendants des connaissances que nous avons sur la biodiversité : celle des agents infectieux et celle des animaux réservoirs. </p>
<p>Chaque étude récente de l’évolution des coronavirus montre que nous ne connaissons que des parents proches, mais pas immédiats, du SARS-CoV-2, tous localisés dans l’Asie du Sud-Est où l’origine de la maladie peut donc être vraisemblablement située. </p>
<p>À cet égard, l’émergence présumée à Wuhan (province d’Hubei) doit être réinterprétée en regard des détections bien plus précoces de la maladie déjà transmise en plusieurs points du globe, et notamment en Europe (dans cette <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s10654-020-00716-2">étude française</a> notamment).</p>
<p>Cela signifie que les parents et précurseurs du SARS-CoV-2 ne sont pas encore connus et se trouvent quelque part dans des animaux ou humains de cette région. </p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1324253679256539136"}"></div></p>
<p>Depuis le début de la pandémie, de nouveaux résultats importants ont été acquis, avec la <a href="https://doi.org/10.1038/s41467-021-21240-1">découverte de nouveaux coronavirus en Thaïlande</a>, <a href="https://www.nature.com/articles/s41467-021-26809-4">au Cambodge</a> et <a href="https://www.researchsquare.com/article/rs-871965/v1">au Laos</a>. </p>
<p>Ces études sont cruciales, car elles permettent de dessiner à grands traits l’évolution de ces virus et de leurs caractéristiques biologiques. D’autres coronavirus déjà connus de chauve-souris rhinolophes, <a href="https://doi.org/10.1101/2021.12.05.471310">par exemple en Russie</a>, ont été par ailleurs testés pour leur capacité malheureusement positive à se fixer sur les protéines des cellules humaines et donc à constituer un risque potentiel.</p>
<p>Pour comprendre comment lutter efficacement contre le virus, il est en effet important de savoir sous quels régimes de sélection naturelle ces traits originels sont apparus. Pour empêcher de futures émergences, il est également primordial de connaître les animaux réservoirs impliqués et les éventuels hôtes intermédiaires.</p>
<h2>La quête de l’origine</h2>
<p>Comme tout un chacun le perçoit désormais, les virus évoluent rapidement et ce que l’on appelle « variants » sont le résultat de mutations apparaissant et se transmettant dans des populations colossales de virions. Pour mémoire, un malade infecté <a href="https://www.lemonde.fr/blog/realitesbiomedicales/2020/11/24/covid-19-combien-un-etre-humain-infecte-par-le-sars-cov-2-renferme-t-il-de-particules-virales/">héberge de 1 à 100 milliards de virions</a> (nombre total de particules virales). </p>
<p>La population mondiale de SARS-CoV-2 compte donc des milliards de milliards de virions, issus d’autant d’épisodes de réplications dans nos corps avec à chaque fois la possibilité d’apparitions et de transmissions de mutations ! </p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/il-y-a-10-ans-un-virus-proche-du-sars-cov-2-circulait-deja-au-cambodge-154397">Il y a 10 ans, un virus proche du SARS-CoV-2 circulait déjà au Cambodge</a>
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<p>Mais l’origine de certains virus <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Recombinaison_virale">peut aussi être recherchée dans des évènements de recombinaisons</a> entre virions occupant les mêmes cellules de leur hôte, et générant des mosaïques à partir de virions différents. Si l’on ne connaît pas raisonnablement les virus dans la nature, il est illusoire de penser comprendre un jour leur origine.</p>
<p>Il a ainsi fallu <a href="https://journals.plos.org/plospathogens/article?id=10.1371/journal.ppat.1006698">quatorze ans pour identifier une localité en Asie d’où était issu le virus du premier SARS</a> qui, bien que moins pandémique, avait tout de même touché au moins 8000 personnes et causé plus de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Syndrome_respiratoire_aigu_s%C3%A9v%C3%A8re">700 décès dans huit pays différents</a>. </p>
<p>Récemment encore, on s’est aperçu que le virus Ebola pouvait resurgir dans des populations humaines <a href="https://www.nature.com/articles/s41586-021-03901-9">à la suite d’une « dormance » chez un individu apparemment « porteur sain »</a>. </p>
<p>Et certains biologistes imaginent actuellement que des variants très modifiés (comme Omicron) pourraient apparaître soudainement dans des populations humaines à la suite d’une longue évolution dans le corps de malades immunodéprimés, une <a href="https://www.france24.com/fr/afrique/20211202-covid-19-%C3%A0-l-origine-des-variants-la-piste-des-patients-immunod%C3%A9prim%C3%A9s">hypothèse néanmoins très spéculative</a>… </p>
<p>La biologie de terrain des virus et de leurs réservoirs est donc fondamentale à toute politique de santé publique. Aujourd’hui, de nombreuses équipes recherchent activement les précurseurs du SARS-CoV-2, mais encore sans succès immédiat.</p>
<h2>Le Covid-19, une zoonose parmi d’autres</h2>
<p>Il est désormais essentiel que la focalisation médiatique sur le Covid-19 ne devienne pas l’arbre qui cache la forêt. </p>
<p>Depuis 1940, le nombre d’émergences de maladies infectieuses ou de pic épidémiques a augmenté considérablement, et chacun a entendu le nom de plusieurs d’entre elles, apparues ou devenues épidémiques récemment : sida, Ebola, Nipah, MERS, SARS, maladie de Lyme, Zika, virus du Nil occidental, etc.</p>
<p>La fragmentation et la conversion effroyable des milieux, avec des millions d’hectares de forêts tropicales disparaissant chaque année, nous met en contact croissant avec la faune sauvage et donc les animaux réservoirs qui sortent du bois. </p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1228391003519934471"}"></div></p>
<p>La croissance exponentielle des centres urbains, les braconnages et trafics générés, les élevages industriels aux conditions sanitaires désastreuses et, enfin, les transports internationaux en croissance folle, représentent autant de facteurs de transferts d’agents infectieux vers les humains et d’émergence de maladies.</p>
<p>Voir la question des zoonoses émergentes uniquement comme un problème de gestion de laboratoire de recherche à Wuhan serait, on le comprend, très dangereusement réducteur. </p>
<p>Une telle focalisation nous empêcherait de prêter attention à tous les problèmes existants ou en devenir de santé environnementale. Près de nous, en Europe, qui se soucie par exemple de la maladie de Lyme, de la toxoplasmose ou de la leptospirose, alors que leur impact et leur gestion sont problématiques ? Ces agents infectieux ne se sont pas échappés de laboratoires mal gérés !</p>
<p>En 2022 comme à plus long terme, prendre en compte l’état de l’environnement doit rester une problématique majeure des politiques de santé publique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/173102/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Philippe Grandcolas ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
La question de l’origine du Covid-19 occupe une place centrale dans la médiatisation inédite de la pandémie. Et questionne la manière dont les politiques de santé publique doivent s’orienter.
Philippe Grandcolas, Directeur de recherche CNRS, systématicien, directeur de l’Institut de systématique, évolution, biodiversité (ISYEB), Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/166608
2021-10-12T17:49:04Z
2021-10-12T17:49:04Z
Le microscope à force atomique, cet outil qui touche les cellules… et le cœur des chercheurs
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/425530/original/file-20211008-22-1umkfvi.JPG?ixlib=rb-1.1.0&rect=179%2C68%2C4276%2C3193&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le microscope à force atomique touche les échantillons pour en déterminer les caractéristiques.</span> <span class="attribution"><span class="source">Auteurs</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/418707/original/file-20210831-15-1io1ckg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/418707/original/file-20210831-15-1io1ckg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=222&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/418707/original/file-20210831-15-1io1ckg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=222&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/418707/original/file-20210831-15-1io1ckg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=222&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/418707/original/file-20210831-15-1io1ckg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=279&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/418707/original/file-20210831-15-1io1ckg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=279&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/418707/original/file-20210831-15-1io1ckg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=279&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la science, qui a lieu du 1<sup>er</sup> au 11 octobre 2021 en métropole et du 5 au 22 novembre 2021 en outre-mer et à l’international, et dont The Conversation France est partenaire. Cette nouvelle édition a pour thème : « Eureka ! L’émotion de la découverte ». Retrouvez tous les événements de votre région sur le site <a href="https://www.fetedelascience.fr/">Fetedelascience.fr</a>.</em></p>
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<p>Un de nos principaux outils de recherche est un microscope un peu particulier, appelé « microscope à force atomique » ou AFM (pour « atomic force microscope »). C’est notre outil fétiche dans notre laboratoire de biophysique.</p>
<p>Les microscopes, rappelons-le, servent à observer des objets microscopiques, c’est-à-dire dont la taille ne se mesure pas en millimètres mais en micromètres (unité 1 000 fois plus petite). Ces éléments, tels que les cellules ou les bactéries, sont plus petits qu’un cheveu et ne peuvent pas être vus à l’œil nu.</p>
<p>Les premiers microscopes qui ont été utilisés par les scientifiques sont les microscopes optiques qui utilisent la lumière « pour voir » (comme nos yeux). Leur résolution est toutefois limitée par la longueur d’onde de la lumière : le « pinceau de lumière » ne permet pas de distinguer les plus petits objets ou les détails nanoscopiques (le nanomètre étant une unité 1000 fois plus petite qu’un micromètre), comme les virus ou les protéines, les éléments constitutifs des organismes vivants.</p>
<p>Pour observer ces détails, des microscopes « aveugles » sont apparus : c’est le cas de l’AFM. Pour sonder nos échantillons, l’AFM n’utilise pas la lumière mais une fine pointe : c’est comme un tout petit doigt qui nous permet de toucher littéralement les objets. En balayant la surface, il nous permet de reconstruire sa topographie, comme nous le faisons à plus grande échelle avec nos doigts pour reconnaître un objet dans le noir, ou comme le fait une personne aveugle avec sa canne pour marcher dans la rue.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-ecouter-les-podcasts-de-the-conversation-157070">Comment écouter les podcasts de The Conversation ?</a>
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<p>Vous l’aurez compris, notre microscope permet littéralement de toucher les échantillons… mais aussi nos cœurs de scientifiques pleins d’espoir lorsque nous le manipulons ! Laissez-nous vous expliquer.</p>
<h2>Eureka ! La joie de la découverte</h2>
<p>L’AFM est <a href="https://journals.aps.org/prl/abstract/10.1103/PhysRevLett.56.930">né à la fin des années 1980</a>. Il s’agit en fait d’une évolution du microscope à effet tunnel (ou « scanning tunneling microscope », STM) qui a permis <a href="https://doi.org/10.1103/PhysRevLett.49.57">pour la première fois de voir directement les atomes</a> – et même de les toucher ! C’était un accomplissement passionnant pour cette équipe qui démontrait ainsi les capacités inédites de leur microscope. Sans application directe en dehors de la science fondamentale, leur invention n’en a pas moins révolutionné la façon dont beaucoup de chercheurs regardent aujourd’hui leurs échantillons.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/424166/original/file-20211001-18-107qyb0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/424166/original/file-20211001-18-107qyb0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/424166/original/file-20211001-18-107qyb0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=431&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/424166/original/file-20211001-18-107qyb0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=431&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/424166/original/file-20211001-18-107qyb0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=431&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/424166/original/file-20211001-18-107qyb0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=541&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/424166/original/file-20211001-18-107qyb0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=541&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/424166/original/file-20211001-18-107qyb0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=541&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">La pointe AFM, sonde utilisée pour « palper » les échantillons.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Wikimedia</span></span>
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<p>Et quelle joie a dû envahir les chercheurs quand ils ont vu apparaître sous leurs yeux <a href="https://doi.org/10.1103/PhysRevLett.50.120">l’image d’atomes de silicium</a> ! Des expériences indirectes avaient déjà fourni des informations sur leur arrangement spatial, mais c’est la première fois que des chercheurs pouvaient voir chacun des atomes du réseau, obtenir une mesure de leur taille et même détecter les atomes manquants ou les défauts. Cette joie de la découverte est sans doute l’émotion qui anime les chercheurs : celle qui fait crier « Eureka ! » celle qui allume une petite lumière dans notre tête et nous permet soudain de comprendre quelque chose. Ce sentiment est aussi appelé épiphanie et c’est divin (d’ailleurs, en grec, l’épiphanie désignait une manifestation divine) !</p>
<p>Mais avant d’en arriver à cette joie ultime de la découverte, le chercheur passe par bien d’autres émotions. L’imaginaire populaire voit les scientifiques comme des esprits froids qui envisagent toutes les possibilités à chaque étape pour planifier la prochaine expérience, sans aucune émotion. Rien de plus éloigné de la réalité : l’avancée de la science est la plupart du temps guidée par les émotions, bien avant les applications potentielles ou la reconnaissance de la société ! Dans notre cas, l’exploration que nous permet notre cher microscope est jalonnée par une succession d’émotions.</p>
<h2>Préparation d’une expérience : entre espoir et frustration</h2>
<p>Préparer le microscope signifie tout d’abord aligner un laser avec la fine pointe que nous utilisons pour sonder l’échantillon.</p>
<p>Ce laser permet de détecter le mouvement de la pointe : il est réfléchi vers un capteur (appelé photodiode) couplé à un système électronique permettant d’ajuster en permanence la position de la pointe afin de suivre la topographie de la surface (c’est-à-dire de relever la pointe lorsqu’une « bosse » est détectée, ou de la faire descendre dans les creux, etc.). L’alignement du laser doit être fait avec attention et peut être assez délicat, il nécessite une certaine concentration… et de la patience.</p>
<p>Imaginez donc la frustration que peut ressentir un AFMiste lorsqu’il est plein d’optimisme quant à l’expérience à réaliser mais bloqué par cette première étape « technique » !</p>
<h2>Appréhension et déception face aux aléas de l’expérience</h2>
<p>L’échantillon, l’objet à observer, doit par ailleurs être immobilisé sur une surface. Cela peut aussi s’avérer délicat ! Dans notre laboratoire, nous étudions des échantillons biologiques et nous travaillons avec des cellules vivantes. La plupart d’entre elles adhèrent naturellement à la surface : s’il est relativement facile d’obtenir une image par AFM, ce n’est toutefois pas le cas de toutes les cellules.</p>
<p>Nous étudions par exemple des globules blancs ou des cellules tumorales circulantes qui sont en suspension dans le sang et n’adhèrent pas naturellement à une surface. Un problème important dans la vie de tout AFMiste est de déterminer comment immobiliser l’échantillon sur une surface.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"828367388143910914"}"></div></p>
<p>Pourquoi ce problème est-il si important ? Rappelons-le, l’AFM scanne l’échantillon en le touchant. Bien que la pointe soit montée sur un levier très flexible qui agit comme un capteur de force et permet d’appliquer les plus petites forces possibles, il arrive que celles-ci soient malgré tout trop puissantes pour certains objets délicats. Nous finissons alors par endommager l’échantillon.</p>
<p>Imaginez nos émotions lorsque nous préparons notre échantillon depuis deux jours, en suivant un protocole qui a mis des semaines à être établi. Nous commençons l’expérience, nous approchons la pointe de l’échantillon avec d’appréhension… et dès le premier contact, les cellules sont arrachées et balayées comme des grains de poussière par un balai. Nous ressentons alors de la déception, du désespoir et de la colère face à la destruction de notre précieux échantillon !</p>
<h2>Excitation, persévérance et fierté</h2>
<p>Ces sentiments sont à leur tour rapidement balayés par l’espoir apporté par de nouvelles idées, et une excitation accrue à l’idée de réessayer. C’est ainsi que nous continuons… </p>
<p>Et lorsqu’après plusieurs mois à chercher la meilleure stratégie pour préparer notre échantillon, nous obtenons enfin les résultats escomptés, quelle fierté !</p>
<p>L’une de nos expériences consiste à mesurer les capacités d’adhésion et les propriétés mécaniques des cellules. Notre pointe minuscule nous permet d’appliquer des forces sur l’échantillon en poussant, tirant et traînant les objets pour évaluer à quel point ils sont rigides, mous ou collants.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1145881280996892673"}"></div></p>
<p>Ainsi, en appuyant notre pointe AFM sur les cellules avec une force contrôlée et en mesurant leur déformation, nous pouvons déterminer leur rigidité. Vous faites exactement la même chose tous les jours pour savoir si une baguette est fraîche : vous appliquez une pression avec vos doigts pour voir à quel point elle se déforme.</p>
<p>À plus petite échelle, la rigidité ou la souplesse d’une cellule peut affecter sa fonction. Prenons l’exemple des cellules pulmonaires : elles sont censées s’étirer pendant l’inspiration et retrouver leur forme initiale lorsque nous expirons. Si une cellule pulmonaire est trop rigide, nous pouvons avoir des difficultés à respirer.</p>
<h2>Les surprises de l’analyse : perplexité, inquiétude, excitation</h2>
<p>Les propriétés mécaniques des cellules jouent également un rôle dans le cadre du cancer. Les cellules cancéreuses ont subi une série de changements dans leur « identité » et ne se comportent pas comme elles le devraient. On a observé qu’elles sont ainsi <a href="https://doi.org/10.1038/nphys4104">plus molles</a> que les <a href="https://doi.org/10.1007/s002490050213">cellules normales</a>.</p>
<p>Or les tumeurs sont souvent plus rigides que les tissus normaux : c’est d’ailleurs une caractéristique sur laquelle les médecins s’appuient pour les identifier en effectuant des examens par palpation.</p>
<p>À l’échelle nanométrique, il apparaît pourtant que les cellules tumorales sont plus molles que les cellules normales ! Ce constat contradictoire a été corroboré par <a href="https://doi.org/10.1016/j.micron.2012.01.019">d’autres études dans le monde</a>.</p>
<p>Après les montagnes russes émotionnelles de l’expérimentation, l’analyse des résultats peut ainsi, elle aussi, susciter de nombreuses émotions ! Lorsqu’un résultat est surprenant, paradoxal ou contradictoire, nous sommes perplexes, parfois inquiets ou frustrés de ne pas savoir expliquer notre observation.</p>
<p>Cela ouvre toutefois souvent de nouvelles pistes de recherche excitantes. Dans le cas du cancer, cela nous rappelle que les tumeurs ne sont pas constituées uniquement de cellules, mais aussi d’un réseau dense de filaments qu’il ne faut pas négliger car il peut contribuer à la rigidité de la tumeur. La perplexité est donc la plupart du temps source d’admiration et de curiosité.</p>
<h2>Pure curiosité</h2>
<p>Ces mêmes émotions nous poursuivent lors de la conception d’expériences futures, la rédaction de demandes de subvention ou la réflexion sur les possibilités de « révéler l’invisible » grâce à de nouveaux développements techniques. Et les montagnes russes émotionnelles recommencent !</p>
<p>Notre travail est donc principalement motivé par la curiosité et non par la recherche d’une application : c’est l’esprit même de la science fondamentale. Si des applications peuvent apparaître à plus ou moins long terme, les chercheurs sont essentiellement guidés par l’excitation et la joie de comprendre, émotions modulées par la frustration face aux échecs et l’espoir soulevé par les nouveaux projets, et par de rares moments de froide rationalité.</p>
<p>Intégrer ces émotions à l’équation permet de mieux comprendre l’histoire des sciences.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/166608/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Claire Valotteau est membre de Centuri (Turing Centre for Living Systems) et du LAI (Laboratoire Adhésion & Inflammation), laboratoire de recherche publique sous la tutelle de l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale), du CNRS (Centre national de la recherche scientifique) et de l'AMU (Aix-Marseille Université).
Elle reçoit des financements du programme Horizon 2020 de l’Union européenne (Actions Marie Sklodowska-Curie, MSCA grant agreement N° 895819) et du programme ATIP-Avenir 2020 (avec le support financier de l’ITMO Cancer d’Aviesan sur les fonds Cancer 2021 administrés par l’Inserm).
</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Félix Rico est membre de Aix-Marseille Université, CNRS, Inserm, LAI, Turing Centre for Living Systems (CENTURI).
Il a reçu des financements du programme Horizon 2020 de l’Union européenne (Actions Marie Sklodowska-Curie, H2020-MSCA-ITN-2018 Grant Agreement n. 812772, Phys2BioMed), de l’European Research Council (ERC, grant agreement No. 772257), et du Human Frontier Science Program (HFSP, grant No.RGP0056/2018).</span></em></p>
À travers leur principal instrument de travail, deux scientifiques racontent les montagnes russes émotionnelles que leur procure cette quête jalonnée d’obstacles qu’est la recherche.
Claire Valotteau, Postdoctoral research fellow, Inserm
Félix Rico, Enseignant-Chercheur, Aix-Marseille Université (AMU)
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/167167
2021-09-09T19:08:27Z
2021-09-09T19:08:27Z
Pourquoi il sera bientôt trop tard pour découvrir les origines biologiques de la Covid-19
<p>Le SARS-CoV-2, virus de la Covid-19, a engendré la plus grande pandémie de ces cent dernières années… Comprendre ses origines est donc crucial pour élucider ce qui s’est passé fin 2019 – et se préparer à la prochaine pandémie virale.</p>
<p>Les études de ce type prennent du temps, demandent de l’organisation et de la coopération. Elles doivent de surcroît être guidées par des principes scientifiques, et non par des motivations politiques ou de la posture. Or, pour diverses raisons, l’enquête en cours sur les origines du SARS-CoV-2 a déjà pris trop de temps : les premiers cas ont été déclarés à Wuhan, en Chine, en décembre 2019, soit voici plus de 20 mois.</p>
<p><a href="https://www.reuters.com/business/healthcare-pharmaceuticals/us-review-covids-china-origin-unlikely-solve-vexing-questions-2021-08-24/">Comme l’ont rapporté</a> <a href="https://www.forbes.fr/politique/joe-biden-aurait-recu-des-agences-de-renseignement-un-rapport-non-concluant-sur-les-origines-du-covid/">différents médias</a>, le 24 août dernier les agences de renseignement états-uniennes ont transmis au président Joe Biden le résultat de leur recherche sur l’émergence de l’épidémie. (<em>Un <a href="https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/coronavirus/covid-19-ce-que-l-on-sait-du-rapport-des-services-de-renseignement-americains-sur-les-origines-du-virus_4751467.html">résumé de ces travaux</a> était déclassifié et <a href="https://abcnews.go.com/Health/biden-briefed-us-intel-assessment-covid-19s-origins/story?id=79568787">rendu public quelques jours plus tard</a>, ndlr</em>).</p>
<p>Selon un compte-rendu préliminaire publié dans le New York Times, <a href="https://www.nytimes.com/live/2021/08/24/world/covid-delta-variant-vaccine#us-intelligence-agencies-delivered-a-report-to-biden-on-the-viruss-origins">l’enquête ne permet pas encore de déterminer</a> si la propagation du virus a fait suite à un accident de laboratoire ou a procédé d’une émergence naturelle impliquant un passage de l’animal à l’être humain.</p>
<p>Si l'éventualité d'une fuite en laboratoire demeure une piste à explorer (à condition de parvenir à l’étayer scientifiquement), elle ne doit pas détourner l’attention de l’autre hypothèse qui, si l’on se base sur les données actuellement disponibles, devrait mobiliser l’essentiel de notre énergie… En effet, plus le temps passe, moins les experts seront en capacité de déterminer les origines biologiques du virus.</p>
<h2>Six recommandations pour la suite de l’enquête</h2>
<p>Je fais partie des <a href="https://theconversation.com/i-was-the-australian-doctor-on-the-whos-covid-19-mission-to-china-heres-what-we-found-about-the-origins-of-the-coronavirus-155554">experts qui sont partis à Wuhan en début d’année</a> dans le cadre de l’enquête de l’<a href="https://www.who.int/fr/news/item/30-03-2021-who-calls-for-further-studies-data-on-origin-of-sars-cov-2-virus-reiterates-that-all-hypotheses-remain-open">OMS</a> (Organisation mondiale de la santé) destinée à faire la lumière sur la question de l’origine du SARS-CoV-2. Nous avons constaté que les preuves disponibles indiquent bien que la pandémie a débuté à la suite d’une transmission « zoonotique » du virus, c’est-à-dire d’un transfert d’un animal à l’être humain.</p>
<p>Notre enquête <a href="https://www.who.int/health-topics/coronavirus/origins-of-the-virus">a donné lieu à un rapport</a>, publié en mars 2021, dans lequel nous formulons plusieurs recommandations concernant les travaux à envisager ensuite. Il est désormais urgent de s’atteler à <a href="https://theconversation.com/the-who-report-into-the-origin-of-the-coronavirus-is-out-heres-what-happens-next-says-the-australian-doctor-who-went-to-china-158212">concevoir les études scientifiques</a> qui permettront de les mener à bien.</p>
<p>Le 25 août dernier, avec d’autres rédacteurs de ce rapport, nous avons publié un <a href="https://www.nature.com/articles/d41586-021-02263-6">article dans la revue <em>Nature</em></a> pour plaider en ce sens. Nous sommes en train de perdre un temps précieux, qui pourrait être consacré à approfondir six axes de recherche en vue d’en apprendre davantage sur l’origine du coronavirus. Ces axes, prioritaires selon nous, sont les suivants :</p>
<ul>
<li><p>Les études de traçabilité supplémentaires, basées sur les rapports initiaux ayant fait état de la maladie ;</p></li>
<li><p>Les enquêtes visant à analyser les anticorps spécifiques du SARS-CoV-2 développés par les malades vivant dans les régions où se sont déclarés les premiers cas de Covid-19. Ce point est important, car dans de nombreux pays (dont l’Italie, la France, l’Espagne et le Royaume-Uni), les preuves qui auraient permis d’étayer les cas des détections précoces du coronavirus se sont avérées non concluantes ;</p></li>
<li><p>Les enquêtes de traçabilité menées dans les communautés qui entretenaient des relations avec les fermes d’élevage d’animaux sauvages qui fournissaient les marchés de Wuhanhave often reported inconclusive evidence of early COVID-19 detection</p></li>
<li><p>Les études destinées à évaluer les risques représentés par les potentiels animaux hôtes. Il peut s’agir de l’hôte primaire (tels les chauves-souris), d’hôtes secondaires ou d’animaux qui auraient joué le rôle d’amplificateurs ;</p></li>
<li><p>Les analyses détaillées des facteurs de risque des flambées précoces, où qu’elles se soient produites…</p></li>
<li><p>Le suivi de toute nouvelle piste crédible.</p></li>
</ul>
<h2>Une course contre la montre est engagée</h2>
<p>Le temps est un facteur essentiel s’agissant de la faisabilité de certaines de ces études. On sait par exemple que les anticorps anti-SARS-CoV-2 apparaissent ainsi environ une semaine après qu’une personne ait été infectée par le virus et se soit rétablie, ou après avoir été vaccinée.</p>
<p>Mais leur concentration <a href="https://theconversation.com/trois-mois-apres-une-infection-covid-19-une-etude-montre-une-baisse-des-anticorps-chez-les-soignants-154803">décroit au fil du temps</a> – analyser des échantillons prélevés maintenant chez des personnes qui ont été infectées en décembre 2019, voire avant, pourrait s’avérer plus difficile, et ce problème n’ira pas en s’arrangeant à mesure que le temps va passer.</p>
<p>Se baser sur l’analyse des anticorps présents dans la population générale pour faire la différence entre vaccination, infection naturelle ou infection secondaire (surtout si l’infection initiale a eu lieu en 2019) est également problématique.</p>
<p>Par exemple, après une infection par le virus, une gamme d’anticorps spécifiques du SARS-CoV-2, dirigés contre la protéine Spike ou contre la nucléoprotéine, est détectable pendant des durées variables, à des concentrations variables et selon des capacités de neutralisation du coronavirus variables également. </p>
<p>Dans le cas de la vaccination, selon le vaccin utilisé, il se peut que seuls les anticorps à détecter soient ceux dirigés contre la protéine Spike soient détectés, lesquels diminuent également au fil du temps.</p>
<p>Un consensus international concernant les méthodes de détection utilisées en laboratoire est également nécessaire. Ces derniers mois, les différences entre les protocoles d’analyse employés ont en effet donné lieu à des discussions sur la qualité des données recueillies dans diverses endroits du globe.</p>
<p>Or, parvenir à un accord sur les techniques de laboratoire à mettre en œuvre dans les études sérologiques et génomiques, ainsi que sur l’accès aux échantillons et leur partage (tout en tenant compte les questions de consentement et de respect de la vie privée) prend… du temps. </p>
<p>Et il faut également du temps pour obtenir des financements… Pour toutes ces raisons, le temps est une ressource que nous ne pouvons pas nous permettre de gaspiller.</p>
<h2>Les contraintes du terrain</h2>
<p>En outre, à Wuhan, <a href="https://www.lopinion.fr/edition/wsj/enquete-origines-covid-19-piste-animale-gros-probleme-248908">de nombreuses fermes d’élevage d’animaux sauvages ont fermé suite à l’épidémie initiale</a>, généralement sans aucun contrôle. Avec la dispersion des animaux et des êtres humains qui en a résulté, il est de plus en plus difficile trouver des preuves biologiques chez les uns ou les autres de la propagation précoce du coronavirus.</p>
<p>Heureusement, certaines analyses peuvent quand même encore être menées. Parmi elles figure notamment l’examen des études de cas initiales, et des études portant sur les donneurs de sang à Wuhan et dans d’autres villes chinoises (ainsi que dans tous les endroits où les génomes viraux ont été détectés précocement).</p>
<p>Il est important d’analyser la progression ou les résultats de ces études menées par des experts locaux qu’internationaux, mais aucun mécanisme permettant ce type de vérification n’a encore été mis en place.</p>
<p>Depuis le mois de mars et la publication du rapport de l’OMS, de nouveaux éléments sont apparus. Ceux-ci, tout comme les données de notre rapport, ont été examinés par des scientifiques indépendants. Ces derniers sont arrivés à des <a href="https://doi.org/10.1016/j.cell.2021.08.017">conclusions similaires à celles du document de l’OMS</a>, à savoir :</p>
<ul>
<li><p>le réservoir naturel du SARS-CoV-2 n’a pas encore été identifié ;</p></li>
<li><p>les espèces clés (en Chine ou ailleurs) pourraient ne pas avoir été testées ;</p></li>
<li><p>il existe des preuves scientifiques substantielles étayant l’origine zoonotique de la pandémie.</p></li>
</ul>
<h2>Un pas en avant, un pas sur le côté…</h2>
<p>Si la possibilité d'un accident de laboratoire ne peut être totalement écartée, elle est hautement improbable, compte tenu des contacts répétés entre l'être humain et l'animal qui surviennent régulièrement dans le cadre du commerce des animaux sauvages.</p>
<p>Pourtant, l’hypothèse du coronavirus échappé d’un laboratoire continue de susciter l’intérêt des médias, en dépit des preuves disponibles… Ces discussions, plus politiques que scientifiques, ralentissent encore la coopération et l’obtention des accords nécessaires pour faire progresser les études requises par la seconde phase du rapport de l’OMS.</p>
<p>L’Organisation mondiale de la santé a demandé la création d’un nouveau comité chargé de superviser les futures études sur les origines du coronavirus SARS-CoV-2. L’initiative est louable, mais elle risque de faire prendre davantage de retard sur le planning envisagé pour lesdites études…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/167167/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Dominic Dwyer ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
L’enquête sur l’origine de la Covid se poursuit… difficilement. Or les experts tirent la sonnette d’alarme : le temps pour récolter les données biologiques qui permettront de trancher est compté.
Dominic Dwyer, Director of Public Health Pathology, NSW Health Pathology, Westmead Hospital and University of Sydney, University of Sydney
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tag:theconversation.com,2011:article/163209
2021-08-26T15:26:07Z
2021-08-26T15:26:07Z
Quand les incitations deviennent contreproductives…
<iframe src="https://embed.acast.com/601af61a46afa254edd2b909/61278a4fc16cbe0015bf8dfe" frameborder="0" width="100%" height="190px"></iframe>
<p><iframe id="tc-infographic-569" class="tc-infographic" height="100" src="https://cdn.theconversation.com/infographics/569/0f88b06bf9c1e083bfc1a58400b33805aa379105/site/index.html" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>« L’économie est la science qui étudie le comportement humain en tant que relation entre des fins et des moyens rares susceptibles d’être utilisés différemment ». C’est ainsi que <a href="https://www.institutcoppet.org/lionel-robbins-essai-sur-la-nature-et-la-signification-de-la-science-economique/">l’économiste anglais Lionel Robbins</a> de la London School of Economics caractérisait l’objet de la science économique dans un célèbre texte de 1932. Même si certaines expériences s’avèrent relativement anciennes, à l’instar des questionnements sur le risque, l’économie dite « comportementale » reste pourtant un champ disciplinaire assez récent. Cela peut sembler paradoxal au regard de cette définition canonique. Elle a néanmoins trouvé sa consécration avec en particulier le « Nobel » d’économie reçu par Daniel Kahneman et Vernon Smith en 2002.</p>
<p>Il est question, dans ce premier épisode de notre série, des incitations qui influencent nos comportements, qu’il s’agisse de motivations personnelles ou bien de récompenses ou de sanctions extérieures. Certaines expériences récentes sont venues bouleverser nos certitudes sur le sujet. L’économiste Uri Gneezy et son confrère Aldo Rustichini peuvent par exemple qu’observer que la conséquence de l’instauration d’amendes pour les parents retardataires à la crèche… les a conduits a être <a href="https://rady.ucsd.edu/faculty/directory/gneezy/pub/docs/fine.pdf">encore plus en retard</a>.</p>
<p>Combinées à des observations en laboratoire interrogeant les effets d’une rémunération sur les capacités créatives des individus ou bien ce qui les motive à procéder à des dons, ces expériences permettent d’interroger des situations quasi quotidiennes. Pour les professionnels de la gestion, par exemple, les enseignements s’avèrent nombreux sur les bienfaits d’une politique sociale pour attirer les talents. Au sein de la science économique, elles ont pu conduire un autre « Nobel », Jean Tirole, à affiner le cadre théorique classique.</p>
<p>Ce sont toutes ces choses que nous expliquent Angela Sutan, économiste à Burgundy School of Business, et Radu Vranceanu, enseignant-chercheur à l’ESSEC.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/163209/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>
Un système de sanctions ou de récompenses mal calibré peut conduire aux effets inverses de ceux escomptés.
Angela Sutan, Professeur en économie comportementale, Burgundy School of Business
Radu Vranceanu, Professeur d'économie, ESSEC
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tag:theconversation.com,2011:article/162717
2021-06-14T15:15:06Z
2021-06-14T15:15:06Z
La sécurité des laboratoires où sont étudiés les virus mortels est-elle suffisante ?
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/406193/original/file-20210614-126997-9eqsk2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Une scientifique habillée d'une combinaison pressurisée au Laboratoire national de microbiologie de Winnipeg.</span> <span class="attribution"><span class="source">(Agence de la santé publique du Canada)</span></span></figcaption></figure><p>Le coronavirus SRAS-CoV-2 est-il le résultat d’une <a href="https://theconversation.com/origines-du-sars-cov-2-le-virus-est-il-le-produit-dun-gain-de-fonction-161570">recherche à haut risque</a> qui a mal tourné ? Quelle que soit la réponse, le risque de pandémies futures issues de la recherche sur des agents pathogènes dangereux est réel.</p>
<p>L’élément central de cette discussion sur les fuites en laboratoire est <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1800789/covid-origine-hypothese-accident-laboratoire-chine-nature-virus-explications">l’Institut de virologie de Wuhan</a>, niché dans la banlieue vallonnée de la ville de Wuhan, en Chine. Il s’agit de l’un des 59 laboratoires de niveau de confinement maximal en activité, en construction ou prévus dans le monde.</p>
<p>Connus sous le nom de laboratoires de niveau de confinement 4 (NC4, ou P4), ils sont conçus et construits pour que les chercheurs puissent travailler en toute sécurité avec les agents pathogènes les plus dangereux de la planète, ceux qui peuvent provoquer des maladies graves et pour lesquels il n’existe ni traitement ni vaccin. Les chercheurs doivent porter des combinaisons pressurisées couvrant tout le corps et équipées d’une entrée d’oxygène indépendante.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/origines-du-sars-cov-2-le-virus-est-il-le-produit-dun-gain-de-fonction-161570">Origines du SARS-CoV-2 : le virus est-il le produit d’un « gain de fonction » ?</a>
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<p>Les laboratoires NC4 sont répartis dans 23 pays. La plus grande concentration se trouve en Europe, avec 25 laboratoires. L’Amérique du Nord et l’Asie sont à peu près à égalité, avec respectivement 14 et 13 laboratoires (le Canada en abrite un à Winnipeg). L’Australie en compte quatre et l’Afrique trois. Comme l’Institut de virologie de Wuhan, les <a href="https://www.globalbiolabs.org/map">trois quarts</a> de ces laboratoires se trouvent dans des centres urbains.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Une carte montrant l’emplacement des laboratoires de niveau de biosécurité 4 dans le monde" src="https://images.theconversation.com/files/406128/original/file-20210614-47555-1g4fh8a.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/406128/original/file-20210614-47555-1g4fh8a.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=369&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/406128/original/file-20210614-47555-1g4fh8a.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=369&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/406128/original/file-20210614-47555-1g4fh8a.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=369&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/406128/original/file-20210614-47555-1g4fh8a.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=464&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/406128/original/file-20210614-47555-1g4fh8a.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=464&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/406128/original/file-20210614-47555-1g4fh8a.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=464&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Emplacement des laboratoires de niveau de biosécurité 4.</span>
<span class="attribution"><span class="source">globalbiolabs.org/map</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Avec ses 3 000 m<sup>2</sup> de superficie, l'Institut de virologie de Wuhan est le plus grand laboratoire NC4 au monde, mais il sera bientôt dépassé par le <a href="https://www.k-state.edu/nbaf/">National Bio and Agro-Defense Facility</a> de l’Université d’État du Kansas, aux États-Unis. Lorsqu’il sera terminé, il disposera de plus de 4 000 m<sup>2</sup> de laboratoires NC4.</p>
<p>La plupart des autres laboratoires sont nettement plus petits, la moitié des 44 laboratoires pour lesquels des données sont disponibles font moins de 200 m<sup>2</sup>, soit moins de la moitié de la taille d’un terrain de basket-ball professionnel ou environ les trois quarts de la taille d’un court de tennis.</p>
<p>Environ 60 % des laboratoires NC4 sont des institutions de santé publique gérées par le gouvernement, tandis que 20 % sont gérés par des universités et 20 % par des agences de biodéfense. Ces laboratoires sont utilisés soit pour diagnostiquer des infections par des agents pathogènes hautement mortels et transmissibles, soit pour mener des recherches sur ces agents pathogènes afin d’améliorer notre compréhension scientifique de leur fonctionnement et de développer de nouveaux médicaments, vaccins et tests de dépistage.</p>
<p>Mais ces laboratoires sont loin d’être tous bien notés en matière de <a href="https://www.canada.ca/fr/services/sante/biosecurite-et-biosurete.html">biosûreté et de biosécurité</a>. Le <a href="https://www.ghsindex.org">Global Health Security Index</a>, qui évalue si les pays disposent d’une législation, de réglementations, d’organismes de surveillance, de politiques et de formations en matière de biosécurité et de sûreté biologique, est un indice révélateur. Dirigé par la <a href="https://www.nti.org/">Nuclear Threat Initiative</a>, située aux États-Unis, l’indice montre qu’un quart seulement des pays disposant de laboratoires NC4 ont obtenu une note élevée en matière de biosécurité et de biosûreté. Cela laisse supposer que les pays ont une grande marge de progression pour développer des systèmes complets de gestion des risques biologiques.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Photo du laboratoire de microbiologie de Winnipeg" src="https://images.theconversation.com/files/406190/original/file-20210614-73723-1gq3kad.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/406190/original/file-20210614-73723-1gq3kad.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/406190/original/file-20210614-73723-1gq3kad.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/406190/original/file-20210614-73723-1gq3kad.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/406190/original/file-20210614-73723-1gq3kad.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/406190/original/file-20210614-73723-1gq3kad.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/406190/original/file-20210614-73723-1gq3kad.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Le Laboratoire national de microbiologie de Winnipeg, au Canada, abrite l’un des 59 laboratoires de niveau de confinement 4 dans le monde.</span>
<span class="attribution"><span class="source">LA PRESSE CANADIENNE/John Woods</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>L’adhésion au <a href="https://iegbbr.org/">Groupe international d’experts des régulateurs de la biosécurité et de la sûreté biologique</a>, où les autorités réglementaires nationales partagent les meilleures pratiques dans ce domaine, est un autre indicateur des pratiques nationales en matière de biosécurité et de biosûreté. Seuls 40 % des pays disposant de laboratoires NC4 sont membres du forum : Australie, Canada, France, Allemagne, Japon, Singapour, Suisse, Royaume-Uni et États-Unis. Et aucun laboratoire n’a encore adhéré au système volontaire de gestion des risques biologiques (<a href="https://www.iso.org/standard/71293.html">ISO 35001</a>), introduit en 2019, pour établir des processus de gestion visant à réduire les risques de biosécurité et de biosûreté.</p>
<p>La grande majorité des pays disposant de laboratoires de confinement maximal ne réglementent pas la recherche à double usage, qui fait référence aux expériences menées à des fins pacifiques, mais pouvant être adaptées pour causer des dommages ; ou la recherche à gain de fonction, qui vise à augmenter la capacité d’un agent pathogène à causer des maladies.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/origines-du-sars-cov-2-le-virus-est-il-le-produit-dun-gain-de-fonction-161570">Origines du SARS-CoV-2 : le virus est-il le produit d’un « gain de fonction » ?</a>
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<p>Trois des 23 pays disposant de laboratoires de niveau de confinement 4 (Australie, Canada et États-Unis) ont des politiques nationales de surveillance de la recherche à double usage. Au moins trois autres pays (l’Allemagne, la Suisse et le Royaume-Uni) disposent d’une certaine forme de surveillance de la recherche à double usage, où, par exemple, les organismes de financement exigent de leurs bénéficiaires de subventions qu’ils examinent leurs recherches pour en déterminer les implications à double usage.</p>
<h2>Augmentation de la demande</h2>
<p>Il n’en reste pas moins qu’une grande partie de la recherche scientifique sur les coronavirus est menée dans des pays qui ne contrôlent pas la recherche à double usage ou les expériences de gain de fonction. Cette situation est d’autant plus préoccupante que la recherche par gain de fonction sur les coronavirus est susceptible d’augmenter. Les scientifiques cherchent à mieux comprendre ces virus et à identifier ceux qui présentent un risque plus élevé de <a href="https://www.inspq.qc.ca/zoonoses">zoonoses</a>, c’est-à-dire de passer de l’animal à l’humain ou de devenir transmissibles entre humains. On s’attend également à ce que davantage de pays cherchent à se doter de laboratoires de niveau de confinement maximal à la suite de la pandémie actuelle, afin de se préparer aux prochaines pandémies.</p>
<p>Si la pandémie de Covid-19 nous a rappelé brutalement les risques posés par les maladies infectieuses et l’importance de la recherche biomédicale pour sauver des vies, nous devons garder à l’esprit que cette recherche peut comporter ses propres risques. Une science rigoureuse et des politiques robustes peuvent toutefois limiter ces risques et permettre à l’humanité de récolter les fruits de ces recherches.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/162717/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Gregory Koblentz est affilié (à titre gracieux) au Scientists Working Group on Chemical and Biological Security du Center for Arms Control and Non-Proliferation. Il est également consultant bénévole sur les implications éthiques, juridiques et sociales de l'édition du génome pour la DARPA et consultant bénévole auprès de l'OMS sur les questions de recherche à double usage. Il a été consultant rémunéré pour un projet lié à la recherche à double usage géré par la Nuclear Threat Initiative et pour la subvention reçue pas Filippa Lentzos pour mener les recherches sur lesquelles cet article est basé.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Filippa Lentzos ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Une grande partie de la recherche scientifique sur les coronavirus est menée dans des pays qui ne contrôlent pas la recherche à double usage ou les expériences de gain de fonction.
Filippa Lentzos, Senior Lecturer in Science and International Security, King's College London
Gregory D. Koblentz, Associate Professor and Director of the Master's in Biodefense, George Mason University
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/161943
2021-06-02T18:11:22Z
2021-06-02T18:11:22Z
Enseignement supérieur : la capacité à créer un réseau, clé du succès des fusions entre établissements
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/403799/original/file-20210601-25-696bc8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C8000%2C3493&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le modèle sociologique de la traduction permet de comprendre les mécanismes d’une coopération efficace entre des groupes d’acteurs différents.
</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Ces deux dernières décennies, le paysage du monde de l’enseignement supérieur et de la recherche français s’est vu profondément transformer par les opérations de fusions-acquisitions. Elles surviennent à la fois entre universités publiques (Strasbourg, Lorraine, Aix-Marseille, Bordeaux, Grenoble-Alpes, Sorbonne Université, Paris Sciences & Lettres, etc.), <a href="https://www.usinenouvelle.com/article/regroupement-des-ecoles-d-ingenieurs-c-est-enfin-parti.N651874">écoles d’ingénieurs</a> (CentraleSupélec, AgroParisTech, l’Institut Mines-Télécom, Sigma Clermont, Efrei Paris, etc.), <a href="https://www.lepoint.fr/palmares-grandes-ecoles/grandes-ecoles-de-management-entre-fusion-et-hyperspecialisation-21-02-2020-2363856_3587.php">écoles de commerce</a> (KEDGE, Skema, Neoma, etc.) ou encore entre organismes de recherche (IFSTTAR, INRAE, etc.). De fait, face à un environnement académique et scientifique hautement concurrentiel, le développement par croissance externe apparaît comme une option stratégique de plus en plus judicieuse.</p>
<p>Dans le secteur de l’enseignement et de la recherche, l’intention prêtée à ce type d’opération reflétait principalement de motifs défensifs, comme le fait de rationaliser les processus, de consolider les positions en présence, de réaliser des économies d’échelle ou encore d’adopter une taille critique. Néanmoins, comme nous l’avons montré dans un <a href="https://www.revue-rms.fr/attachment/2149476/">travail de recherche</a> publié en 2020, de récents exemples montrent que cette manœuvre peut également permettre de répondre à des <a href="https://www.dunod.com/entreprise-economie/fusions-acquisitions">objectifs offensifs</a> : prendre des positions sur de nouveaux marchés ou produire des approches innovantes par exemple.</p>
<h2>Exigences contradictoires</h2>
<p>Dans ce type d’activité, la recherche de complémentarités peut aussi bien porter sur les dimensions pédagogique (recombiner l’offre de formation, améliorer les services aux étudiants, innover dans la pédagogie), académique (varier les champs disciplinaires, augmenter le potentiel de publications, développer un réseau de recherche à l’international) ou institutionnelle (accroître sa visibilité, se hisser dans les classements internationaux).</p>
<p>Aujourd’hui, les opérations de croissance externe reposant sur une logique de co-développement semblent de ce fait, particulièrement pertinentes, pour développer de nouveaux modèles d’excellence, tant sur le plan académique que scientifique. Cela passe notamment par la combinaison de compétences complémentaires détenues par des universités ou grandes écoles différentes. Ce type de stratégie dite <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0090261615000777?via%3Dihub">« symbiotique »</a> se justifie notamment, lorsqu’un acteur ne détient pas les capacités nécessaires pour proposer des solutions adaptées aux nouvelles exigences de son marché.</p>
<p>Néanmoins,la recherche de complémentarité demeure risquée et difficile à mettre en œuvre. Pour les établissements, innover ensemble au sein d’un système d’autorité unique (mode de gouvernance) implique un management d’<a href="https://theconversation.com/fusions-acquisitions-comment-combiner-des-savoir-faire-complementaires-apres-un-rachat-151882">exigences contradictoires</a> entre exploration et exploitation, mais également entre autonomie et contrôle ou encore entre différenciation et harmonisation.</p>
<p>La politique d’intégration post-fusion ne peut donc s’accommoder d’une approche purement rationnelle à base de planification (prédétermination des synergies) et d’actions programmées. L’émergence de modèles réellement innovants nécessite en effet d’accepter une part d’incertitude et de favoriser les prises d’initiatives. Dans ce type ce contexte, le succès de l’opération réside donc tout autant sur la qualité des orientations stratégiques initiales que sur la <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/0018726707075288">capacité des dirigeants à construire un réseau convergent</a> d’acteurs pour soutenir le projet.</p>
<h2>« Problématiser, intéresser, enrôler, mobiliser »</h2>
<p>Dès lors, comment construire un tel réseau ? Le <a href="https://www.rse-magazine.com/Michel-Callon-et-la-sociologie-de-la-traduction_a3432.html">modèle sociologique de la traduction</a> s’avère ici fort utile pour décrypter les défis relationnels induits par la recherche d’opérations de symbiose. Ce schéma développé par Michel Callon tente de rendre compte de la façon dont un groupe d’acteurs va s’associer à un autre pour une action commune. Pour mobiliser, il s’agit de traduire ses intérêts dans le langage des partenaires, un peu comme un Français qui voudrait agir avec un Anglo-saxon.</p>
<p>Michel Callon avait fondé sa théorie à partir d’observations à propos de la domestication de la coquille Saint-Jacques dans la baie de Saint-Brieuc. Alors que l’espèce se raréfiait, des chercheurs proposent de mettre en place un élevage, avec pour objectif de réaliser leurs recherches. Pour obtenir cette réalisation, ils vont apprendre à traduire leurs intérêts dans des mots compréhensibles par d’autres acteurs qui bénéficieraient de la solution et dont ils se feront les porte-parole. Il y a les marins-pêcheurs dont les visées sont économiques, les pouvoirs politiques qui veulent se montrer comme agissant face aux problèmes et même les coquilles dont l’objectif supposé est de survivre. Celles-ci font en effet partie de ce que Michel Callon désigne sous le nom de « réseau socio-technique », associant humains et non-humains.</p>
<p>Les étapes du raisonnement peuvent ici être reprises, lorsqu’on doit aborder les fusions entre établissements.</p>
<p>Ainsi, la « problématisation » s’avère fondamentale pour faire passer les acteurs de leur position initiale à une position d’acceptation de la coopération. Il s’agit ici de faire prendre conscience aux acteurs qu’ils tous sont concernés par le problème posé et que chacun d’entre eux a un intérêt dans la réussite du rapprochement. Il peut s’agir par exemple de convaincre le corps professoral (et les étudiants) que la fusion constitue la meilleure option pour se différencier des modèles classiques d’université et développer de nouveaux avantages compétitifs (programme de recherche, différenciation de l’offre de formation, innovation et expertise pédagogique…).</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/403800/original/file-20210601-25-1nrzq1j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/403800/original/file-20210601-25-1nrzq1j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/403800/original/file-20210601-25-1nrzq1j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/403800/original/file-20210601-25-1nrzq1j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/403800/original/file-20210601-25-1nrzq1j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/403800/original/file-20210601-25-1nrzq1j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/403800/original/file-20210601-25-1nrzq1j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/403800/original/file-20210601-25-1nrzq1j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">La sociologie de la traduction rend autant compte des processus de domestication de la coquille Saint-Jacques dans la baie de Saint-Brieuc que des interactions conduisant aux rapprochements entre établissements universitaires.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Baie_de_Saint-Brieuc_Lumi%C3%A8res_de_f%C3%A9vrier.jpg">Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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</figure>
<p>Différents mécanismes « d’intéressement » vont ensuite faire converger les intérêts des acteurs autour de la solution proposée. Pour une grande école ou une université, l’objectif de s’impliquer dans un tel projet (fusion) peut être autant animé par une quête de légitimité, de reconnaissance institutionnelle ou professionnelle que par la volonté de sauvegarder sa position dans les classements internationaux.</p>
<p>Pour concrétiser le projet, il faut alors parvenir à faire accepter aux acteurs (institutionnels, administratifs, enseignants, chercheurs), les rôles qui leur ont été assignés. Ce mécanisme correspond à la notion d’« enrôlement ». Le système d’alliances établi doit ainsi permettre de rendre l’action de chaque acteur prévisible et de faciliter la convergence du réseau. Plusieurs approches, comme la <a href="https://www.vie-publique.fr/rapport/272204-premier-bilan-des-fusions-duniversites-realisees-entre-2009-et-2017">création de structures intermédiaires</a> dans les instances de gouvernance, peuvent favoriser une telle démarche.</p>
<p>La dynamique de convergence initiée peut cependant à tout moment être remise en cause, en raison de controverses scientifiques et techniques, suscitées par les nouvelles orientations stratégiques. Les divergences d’intérêts non traitées en amont peuvent resurgir à tout moment et déstabiliser le réseau sociotechnique. Il convient alors de négocier des compromis, pour résoudre les désaccords, afin de s’assurer du soutien du plus grand nombre. Dans la situation envisagée, ces négociations peuvent porter sur le choix du nom, des garanties sur l’évolution des effectifs, l’adaptation de l’offre de formation ou le mode de fonctionnement des instances de gouvernance.</p>
<p>Cette lecture relationnelle nous enseigne ainsi que le succès d’une politique d’intégration post-fusion dépend autant de la qualité des choix stratégiques initiaux que de la capacité des acteurs à établir une traduction stable sur les complémentarités à combiner. Finalement, dans ce type d’opération, le recours à une approche <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-gestion-2018-5-page-127.htm">multiniveaux</a>, combinant <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-des-sciences-administratives-2016-3-page-465.htm">différentes lectures sociologiques</a> <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-des-sciences-administratives-2016-3-page-465.htm"></a> (processus de traduction, types de légitimités, dynamique de groupe, innovation minoritaire) peut s’avérer particulièrement utile, pour créer les conditions d’une dynamique positive et constructive dans le cas de fusions-acquisitions.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/161943/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>
Au-delà de la pertinence des complémentarités entre les partenaires, la réussite dépend de la manière dont les acteurs vont relever les nombreux défis relationnels.
Olivier Meier, Professeur des Universités, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)
Julien Fernando, Doctorant en sciences de gestion rattaché au laboratoire LIPHA, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/160825
2021-05-18T17:29:16Z
2021-05-18T17:29:16Z
Origine de la Covid-19 : l’hypothèse de l’accident de laboratoire doit-elle être étudiée d’un point de vue scientifique ?
<p>Le 11 mars 2020, l’OMS a requalifié l’épidémie de Covid-19 en pandémie. Plus d’un an après, le coronavirus SARS-CoV-2, responsable de la maladie, continue à circuler activement, et son origine exacte demeure inconnue.</p>
<p>On sait aujourd’hui que la séquence de ce virus est <a href="https://www.nature.com/articles/s41586-020-2012-7">proche</a> de celle des <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/32416074/">coronavirus de chauves-souris</a>. Voici <a href="https://www.nature.com/articles/s41564-020-0771-4">quelques dizaines d’années</a>, son « ancêtre » circulait dans des populations de chauves-souris du sud de l’Asie.</p>
<p>Mais de nombreuses zones d’ombre persistent : on ignore encore comment ce virus est arrivé à Wuhan, comment sa séquence a évolué pour permettre de contaminer des êtres humains, et dans quelles conditions il a infecté les premières personnes qui ont croisé sa route.</p>
<p>Un point supplémentaire reste également à éclaircir : pour chacune de ces étapes, y a-t-il eu une contribution humaine (directe ou indirecte) ?</p>
<p>En effet, si les cas de transmission « zoonotique », autrement dit de passage d’un agent pathogène de l’animal à l’être humain, sont aujourd’hui largement <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/28214731/">documentés</a> – les scientifiques considèrent même qu’il s’agit <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/28555073/">d’un mécanisme prépondérant d’émergence de nouveaux virus</a> – le fait que cette épidémie ait commencé à côté d’un grand centre de recherche en virologie –, l’institut de virologie de Wuhan, a également nourri une autre hypothèse : celle de l’accident de laboratoire. Et ce, d’autant plus que cet institut est spécialisé dans l’étude des coronavirus ayant un potentiel épidémique chez l’être humain.</p>
<p>On sait par ailleurs que de tels accidents ont déjà conduit à des <a href="https://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736(04)16234-X/fulltext">infections humaines</a>, et même à la <a href="https://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0011184">pandémie de grippe H1N1 de 1977</a> qui a fait plus de 700 000 victimes.</p>
<p>Les premiers textes argumentés envisageant un accident de laboratoire ont été peu considérés, peut-être parce qu’ils émanaient de groupes technocritiques comme <a href="http://www.piecesetmaindoeuvre.com/spip.php?page=resume&id_article=1287">Pièces et Main-d’œuvre</a>, <a href="https://www.researchgate.net/publication/301497892_Contester_les_technosciences_leurs_raisons">collectif d’inspiration néo-luddite</a>, ou encore du collectif <a href="https://drasticresearch.org">DRASTIC</a> (acronyme de « Decentralized Radical Autonomous Search Team Investigating Covid-19 »). Composé d’une <a href="https://drasticresearch.org/the-team/">trentaine de personnes</a> (majoritairement anonymes, à l’exception de quelques scientifiques participant sous leur réelle identité), ce groupe formé sur Twitter en 2020 s’est donné pour mission d’explorer les origines du SARS-CoV-2.</p>
<p>Pourtant, leurs informations et arguments auraient mérité d’être examinés en tant que tels. Ils ont ensuite été repris et développés par quelques <a href="https://www.medecinesciences.org/fr/articles/medsci/full_html/2020/07/msc200195/msc200195.html">virologistes</a>, <a href="https://www.museum.toulouse.fr/-/coronavirus-la-nature-contre-attaque-">des</a> <a href="https://www.pnas.org/content/117/47/29246">scientifiques</a> et des <a href="https://jamiemetzl.com/origins-of-sars-cov-2/">vulgarisateurs scientifiques</a>.</p>
<p>Dans un texte publié jeudi 13 mai par la revue <a href="https://science.sciencemag.org/content/372/6543/694.1">Science</a>, une nouvelle tribune, cosignée par une vingtaine de scientifiques, appelle une fois de plus à examiner cette éventualité. Par ailleurs, à la veille de cette publication, trois nouveaux documents (une thèse et deux mémoires de master) ont été diffusés par un compte Twitter anonyme. </p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1392575191763472388"}"></div></p>
<p>Comme le relate le journal Le Monde, ces documents (publiés initialement en chinois et traduits anonymement en anglais) contiennent des <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2021/05/14/origines-du-covid-19-la-divulgation-de-travaux-inedits-menes-depuis-2014-a-l-institut-de-virologie-de-wuhan-alimente-le-trouble_6080154_3244.html">informations inédites</a> qui semblent remettre en cause certaines des informations communiquées précédemment par le WIV. Désormais, de surcroît, c'est le président américain qui demande une enquête. </p>
<p>En l’absence de preuve définitive, et sans faire la promotion de certaines thèses complotistes, le débat sur l’origine du SARS-CoV-2 mérite d’exister. </p>
<p>Quels sont à l’heure actuelle les arguments les plus solides scientifiquement, en faveur de chacune de ces deux hypothèses, zoonose ou accident de laboratoire ?</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/rien-ne-prouve-que-le-coronavirus-a-ete-cree-en-laboratoire-les-dessous-de-linfodemie-sur-le-covid-19-135326">Rien ne prouve que le coronavirus a été créé en laboratoire : les dessous de l’infodémie sur le Covid-19</a>
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<h2>Un débat encadré très tôt</h2>
<p>Dans le milieu scientifique, le débat sur l’origine du SARS-CoV-2 a été cadré dès le début de l’épidémie par la publication de deux articles.</p>
<p>Daté du 19 février 2020, le <a href="https://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736(20)30418-9/fulltext">premier</a> a été publié dans la revue scientifique médicale <em>The Lancet</em>. Cette tribune, signée par 27 scientifiques, soulignait les efforts des experts chinois pour « identifier l’agent pathogène à l’origine de cette épidémie […] et partager leurs résultats de manière transparente ». Les auteurs déploraient les « rumeurs et informations erronées » sur les origines du virus, et déclaraient « condamner fermement les théories du complot suggérant que le Covid-19 n’a pas une origine naturelle ».</p>
<p>Ils appuyaient leur opinion sur les premières analyses des données de séquences publiées, sans toutefois détailler les arguments scientifiques en faveur d’une origine naturelle.</p>
<p>Un <a href="https://www.nature.com/articles/s41591-020-0820-9">second article</a> paru en mars 2020 dans <em>Nature Medicine</em> fournissait une série d’arguments scientifiques en faveur d’une origine naturelle :</p>
<ul>
<li><p>l’hypothèse naturelle est plausible, car c’est le mécanisme usuel de l’émergence des coronavirus</p></li>
<li><p>la séquence du SARS-CoV-2 est trop éloignée des autres coronavirus connus pour envisager la fabrication d’un nouveau virus à partir des séquences disponibles</p></li>
<li><p>Sa séquence ne montre pas les traces d’une manipulation génétique en laboratoire.</p></li>
</ul>
<p>Ce dernier argument peut être remis en question, car des <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/28508214/">méthodes</a> <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/28508214/">permettant</a> de <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/28508214/">modifier</a> les séquences virales sans laisser de traces existent. Ce sont des méthodes basées sur le découpage du génome en fragments raboutables, ou plus récemment la méthode ISAR, grâce à laquelle des fragments chevauchants se rassemblent naturellement dans les cellules par <a href="https://planet-vie.ens.fr/thematiques/cellules-et-molecules/physiologie-cellulaire/les-dommages-a-l-adn-et-leur-reparation">recombinaison homologue</a> (phénomène au cours duquel deux molécules d’ADN échangent un fragment). Par ailleurs, la manipulation génétique n’est pas le seul scénario compatible avec un accident de laboratoire.</p>
<p>Les intenses recherches menées depuis plus d’un an pour tenter de valider le scénario zoonotique n’ont pour l’instant pas été couronnées de succès : les 80 000 échantillons d’animaux, issus d’une trentaine d’espèces testées, ont tous été négatifs. Ces chiffres sont issus du rapport conjoint OMS-Chine. Les échantillons provenaient des animaux d’élevage et des animaux sauvages de différentes provinces chinoises. Il est important de noter que ce grand nombre d’échantillons testés négatifs ne réfute pas pour autant le scénario zoonotique.</p>
<h2>L’hypothèse de l’accident de laboratoire</h2>
<p>En août 2020 sont parus pour la première fois dans des revues scientifiques avec comité de lecture <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1002/bies.202000091">deux</a> <a href="https://www.medecinesciences.org/en/articles/medsci/full_html/2020/07/msc200195/msc200195.html">articles</a> discutant la possibilité d’un accident de laboratoire. En novembre 2020, l’un d’entre nous (Étienne Decroly) a également publié un <a href="https://lejournal.cnrs.fr/articles/la-question-de-lorigine-du-sars-cov-2-se-pose-serieusement">commentaire</a> dans le journal du CNRS.</p>
<p>Plusieurs éléments posent en effet question. Il a notamment été établi que l’institut de virologie de Wuhan <a href="https://reporter.nih.gov/project-details/9819304">manipulait</a> <a href="https://journals.plos.org/plospathogens/article?id=10.1371/journal.ppat.1006698">des</a> <a href="https://journals.plos.org/plospathogens/article?id=10.1371/journal.ppat.1006698">virus proches</a> du SARS-CoV-2 prélevés dans le sud de la Chine et en particulier dans la province du Yunnan.</p>
<p>Parmi ces virus, le cousin le plus proche du SARS-CoV-2, appelé RaTG13, a été collecté dans une mine désaffectée en 2013. Or en 2012, plusieurs ouvriers y ayant travaillé avaient <a href="https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fpubh.2020.581569">souffert d’une pneumonie sévère</a> ressemblant à la Covid-19, qui avait provoqué la mort de trois d’entre eux. Bien que l’agent étiologique de l’infection n’ait pas été identifié formellement, une <a href="http://eng.oversea.cnki.net/kcms/detail/detail.aspx?dbcode=CDFD&QueryID=11&CurRec=1&dbname=CDFDLAST2018&filename=1017118517.nh">thèse</a> révélée via Twitter indique que « les échantillons ont révélé chez ces patients la présence d’anticorps reconnaissant les coronavirus ».</p>
<p>Si RaTG13 ne semble pas être le progéniteur direct du SARS-CoV-2 responsable de la pandémie de Covid-19, plusieurs questions se posent malgré tout. Les documents rendus publics récemment indiquent que le WIV a séquencé plusieurs autres coronavirus apparentés au SARS-CoV-2, collectés dans la mine où avait été trouvé RaTG13. Y avait-il parmi eux d’autres virus plus proches du SARS-CoV-2 ? Si tel n’est pas le cas, le SARS-CoV-2 pourrait-il être issu d’une expérience de gain de fonction, suivie d’expériences sur modèles animaux durant laquelle aurait pu se produire une contamination accidentelle ?</p>
<p>Outre les manipulations génétiques directes, un accident de laboratoire aurait aussi pu survenir suite à une infection lors d’une collecte dans la nature ou au cours d’une expérience avec un <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1002/bies.202000091">virus que l’on a fait évoluer</a> dans des cellules ou des souris au laboratoire (sans forcément manipuler directement son génome). Ce type d’expériences, courantes dans certains laboratoires de virologie, consiste à tester la capacité d’un virus à infecter des cellules de diverses espèces animales. Ce faisant, elles exercent une sélection artificielle des mutations, favorisant les virus porteurs de celles qui les aident à s’adapter au nouvel hôte, mimant de ce fait les sauts d’espèce naturels.</p>
<p>Pour clarifier les choses et étudier tous les scénarios possibles d’émergence du SARS-CoV-2, il est important que les séquences de ces virus soient mises à disposition de la communauté scientifique afin de retracer les mécanismes possibles d’émergence du SARS-CoV-2. Or les bases de données de séquences du WIV ont été rendues inaccessibles dès septembre 2019.</p>
<h2>Comment en avoir le cœur net ?</h2>
<p>Pour rappel, la commission conjointe Chine-OMS n’a malheureusement pas permis d’identifier la cause de la pandémie. <a href="https://www.who.int/health-topics/coronavirus/origins-of-the-virus">Le rapport qu’elle a publié</a> conclut que l’origine zoonotique de l’épidémie est la plus probable et indique que l’hypothèse d’un accident de laboratoire est très improbable. Dans un communiqué daté du 30 mars 2021, l’OMS a cependant rappelé que <a href="https://www.who.int/fr/news/item/30-03-2021-who-calls-for-further-studies-data-on-origin-of-sars-cov-2-virus-reiterates-that-all-hypotheses-remain-open">toutes les hypothèses restent ouvertes</a>. Son directeur général, Tedros Adhanom Ghebreyesus, a rappelé qu’il restait des questions qui « devront être traitées dans le cadre d’études supplémentaires ».</p>
<p>Pour déterminer si le SARS-CoV-2 s’est échappé d’un laboratoire, il faudrait mener une enquête approfondie et <a href="https://docs.google.com/viewerng/viewer ?url=https://assets-decodeurs.lemonde.fr/redacweb/Lettre+ouverte+OMS/Lettre_Ouverte_OMS.pdf">examiner divers éléments</a>. Cela nécessite, entre autres, d’avoir accès aux bases de données de séquences ainsi qu’aux différentes ressources utilisées par les chercheurs chinois, ce qui inclut notamment les cahiers de laboratoire, les projets déposés, les manuscrits scientifiques en préparation et soumis, les séquences virales, la liste des commandes et les analyses biologiques des expérimentateurs.</p>
<p>En l’absence de preuves directes, des approches alternatives pourraient apporter des informations complémentaires. En analysant en détail les séquences disponibles des coronavirus proches du SARS-CoV-2, il est possible que la communauté scientifique aboutisse à un consensus basé sur des indices forts, à l’image de ce qui s’est passé dans le cas <a href="https://www.nejm.org/doi/full/10.1056/NEJMra0904322">d’autres virus échappés de laboratoires</a>, tel que celui de la grippe H1N1 de 1977.</p>
<p>On sait qu’à chaque fois que des virus infectent des cellules, ils fabriquent d’innombrables copies d’eux-mêmes. Ce faisant, ils commettent des erreurs : ce sont les mutations. Tous les virus accumulent continuellement des mutations, plus ou moins vite, et des outils statistiques permettent de calculer leur taux d’évolution (le nombre de mutations qui se produisent par unité de temps). Si un virus est stocké pendant un long temps (dans un congélateur de laboratoire par exemple), et donc ne se reproduit plus, il n’accumule plus de mutations. Les mutations reprendront lorsqu’il sera remis en culture.</p>
<p>La recherche de telles « périodes de congélation » pourrait permettre de déterminer si le virus en cause est sorti d’un laboratoire. C’est ainsi que l’origine non zoonotique du virus H1N1 de 1977 a pu être déterminée.</p>
<h2>La nécessité de « boîtes noires » biologiques</h2>
<p>Même s’il n’est pas possible actuellement de déterminer si le virus a une origine zoonotique liée aux élevages intensifs ou à la destruction des habitats naturels ou bien s’il est passé par un laboratoire, le fait que la question se pose rappelle que nos modes de vie et la manipulation de virus à potentiel pandémique comportent des risques non négligeables. Les risques d’accident de laboratoire associés à la manipulation de virus hautement pathogènes (au cours d’expérimentations appelées « gain de fonction ») avaient d’ailleurs été très <a href="https://jme.bmj.com/content/41/11/901.short">discutés</a> <a href="https://www.nature.com/news/engineered-bat-virus-stirs-debate-over-risky-research-1.18787">dans les années 2012-2015</a>.</p>
<p>Quelle que soit l’origine du SARS-CoV-2, il est nécessaire de s’interroger sur les conséquences de nos interactions avec les écosystèmes et l’industrialisation des élevages intensifs, les conditions de sécurité/sûreté des collectes et des expériences sur les virus potentiellement pandémiques, la pratique des expériences de gain de fonction, et la prolifération des laboratoires de niveau de sécurité L3 et L4, en particulier à proximité des mégapoles. La Chine a notamment annoncé la construction de <a href="https://asiatimes.com/2020/07/china-goes-on-biosafety-lab-building-spree/">23 P4 et 88 P3</a>.</p>
<p>Afin de doter les laboratoires de systèmes de sécurité aussi exigeants que dans le domaine du nucléaire, il faudrait envisager la mise en place de <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-03204818/document">« boîtes noires biologiques »</a>, sur le modèle des boîtes noires utilisées en aéronautique. Il s’agirait de mettre en place une série de mesures permettant de retracer l’historique d’un éventuel accident de laboratoire.</p>
<p>L’accès aux laboratoires P3 et P4 pourrait par exemple être asservi à la description détaillée des expériences dans des cahiers de laboratoire électroniques ; les données de séquençage et celles des ADN synthétisés pourraient être systématiquement archivées ; les filtres à air des laboratoires pourraient être collectés (et en cas de soupçon de dissémination de pathogènes, le matériel génétique présent à leur surface pourrait alors être séquencé), etc.</p>
<p>Ces nouvelles mesures de sécurité devraient être mises en place à l’échelle internationale afin de limiter les risques de futures pandémies liées à des accidents de laboratoire. En ce qui concerne la pandémie actuelle, il est important de retracer les origines exactes du SARS-CoV-2 pour comprendre précisément les failles qui ont pu conduire à sa propagation, quelles qu’elles soient, et limiter le risque de futures émergences.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/160825/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Virginie Courtier a reçu un financement du labex "Who I am?" pour élucider les origines proximales du virus SARS-CoV-2.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Etienne Decroly ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Le virus de la Covid-19 est-il d’origine naturelle, ou pourrait-il provenir d’un accident de laboratoire ? Des scientifiques appellent à une enquête plus approfondie.
Virginie Courtier, Directrice de recherche CNRS, génétique et évolution, Université Paris Cité
Etienne Decroly, Directeur de recherche en virologie, Aix-Marseille Université (AMU)
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