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Kamala Harris vue sur un smartphone, sur fond de carte électorale des États-Unis
Kamala Harris, d'origine jamaïcaine et indienne, deviendra la 20 janvier 2021 la vice-présidente des États-Unis. Pavlo Conchar/SOPA Images/LightRocket via Getty Images

Avant Kamala Harris : ces femmes noires qui ont visé la Maison Blanche

La future vice-présidente des États-Unis est la fille américaine d’immigrés jamaïcains et indiens.

La victoire annoncée de Joe Biden sur Donald Trump signifie que la sénatrice Kamala Harris s’apprête à devenir la première femme vice-présidente du pays et la première personne noire à occuper le poste de vice-président. Harris est également d’origine indienne, ce qui fait de l’élection de 2020 un véritable jalon pour deux communautés « de couleur ».

Harris n’est pas la première femme noire à avoir aspiré à la vice-présidence dans l’histoire américaine. La journaliste afro-américaine et militante politique californienne Charlotta Bass s’est présentée à la vice-présidence en 1948 sur le ticket du Parti progressiste.

Avant de devenir la colistière de Biden, Harris a été son adversaire lors des primaires présidentielles démocrates. Elle est l’une des nombreuses femmes noires américaines à avoir brigué la plus haute fonction du pays en dépit des nombreux obstacles qu’elles eurent à surmonter.

Pendant le premier discours de Kamala Harris en tant que 49e vice-président élu des États-Unis, le 7 novembre 2020 à Miami, en Floride. Johnny Louis/Getty Images

Des mains qui autrefois cueillaient le coton…

Dans l’histoire des États-Unis, les Afro-Américains ont longtemps été dans l’impossibilité de s’approcher du pouvoir politique, du fait de l’esclavage d’abord, puis des lois Jim Crow et de diverses mesures visant à empêcher les Noirs d’exercer pleinement leurs droits civiques et, spécialement, le droit de vote.

La tâche a été particulièrement ardue pour les femmes noires. Les femmes n’ont obtenu le droit de vote aux États-Unis qu’en 1920, et même à cette époque, les Noirs – y compris bien sûr les femmes – ne pouvaient toujours pas voter dans la plupart des États du Sud. Dans les années 1960, les femmes noires ont largement contribué à la création du mouvement des droits civiques, mais elles ont été tenues à l’écart des postes de direction.

J’aborde ces questions lors des cours de politique gouvernementale et de politique des minorités que j’enseigne en tant que professeur de sciences politiques. Mais j’explique dans le même temps à mes étudiants que, malgré tout, les femmes noires des générations passées ont été nombreuses à caresser des ambitions politiques et même à obtenir certains succès dans ce domaine. Comme l’a dit le révérend Jesse Jackson en 1984 à propos de la montée en puissance des électeurs noirs au siècle dernier, « des mains qui autrefois cueillaient le coton élisent désormais le président du pays ».

Joe Biden, lui-même ancien vice-président, a pleinement conscience de l’importance de cette fonction. Mark Makela/Getty Images

Aujourd’hui, des maires noires dirigent plusieurs des plus grandes villes américaines, dont Atlanta, Chicago et San Francisco. Des femmes noires sont chefs de police, candidates au poste de gouverneur et, de plus en plus souvent, élues au Congrès.

Aujourd’hui, les femmes noires – qui, longtemps, n’étaient pas autorisées à voter pour élire le président, sans même parler de concourir à la fonction suprême du pays – voient l’une des leurs à un pas du Bureau ovale.

« Inaptes » pour le poste ?

Kamala Harris est une Démocrate qui a été procureur général de Californie, puis sénatrice. Son appartenance partisane tend plutôt à faire d’elle une exception : historiquement, la plupart des candidates noires à la présidence se sont présentées en tant qu’indépendantes.

En 1968, Charlene Mitchell, 38 ans, originaire de l’Ohio, est devenue la première femme noire à se présenter à la présidence, en tant que communiste. Comme de nombreux autres Afro-Américains nés dans les années 1930, elle a rejoint le parti communiste en raison de l’importance que celui-ci accorde à l’égalité des races et des sexes. Les femmes noires communistes ont dénoncé les lois Jim Crow, les lynchages et les pratiques injustes dans le monde du travail affectant les hommes et les femmes de toutes les couleurs de peau.

 Charlene Mitchell
Charlene Mitchell, première candidate noire à la présidence des États-Unis. Wikimedia

La campagne présidentielle de Mitchell, qui était axée sur les droits civiques et la lutte contre la pauvreté, était probablement vouée à l’échec dès le départ. En 1968, de nombreux États n’ont pas autorisé les communistes à voter. Les médias, du Boston Globe au Chicago Tribune, ont été nombreux à juger Mitchell inadaptée au poste qu’elle briguait parce qu’elle était à la fois noire et femme. Mitchell n’a finalement récolté que 1 075 voix.

Parmi les autres candidates noires indépendantes à la présidence figurent l’activiste communautaire Margaret Wright, qui s’est présentée sous l’étiquette du Parti populaire en 1976, et Isabell Masters, une enseignante qui a créé son propre parti, appelé Looking Back, et qui s’est présentée en 1984, 1992 et 2004.

En 1988, la psychologue Lenora Fulani est devenue la première femme et la première Afro-Américaine à se présenter à la présidence dans chacun des 50 États. Se présentant comme indépendante, elle a récolté plus de votes lors d’une élection présidentielle américaine que toute autre femme candidate avant elle. L’enseignante Monica Moorehead, du Workers World ticket, a concouru à la présidence en 1996, 2000 et 2016.

En 2008, l’année où Barack Obama a été élu président, Cynthia McKinney, une ancienne représentante américaine de Géorgie, était candidate du Parti Vert. Et en 2012, Peta Lindsay s’est présentée avec un programme plus à gauche que celui du président Obama, sur le ticket du Parti pour le socialisme et la libération.

Une seule femme noire a brigué l’investiture républicaine : Angel Joy Charvis, une conservatrice religieuse de Floride, qui a expliqué, en présentant sa candidature en 1999, vouloir « recruter une nouvelle espèce de Républicains ».

Incorruptible et indépendante

Toutes ces candidates noires à la présidence étaient peu connues. Mais en tant que première femme noire membre du Congrès, Shirley Chisholm avait derrière elle des années d’expérience dans la fonction publique et bénéficiait d’une notoriété nationale lorsqu’elle est devenue la première Noire américaine et la première femme à briguer l’investiture démocrate à la présidence en 1972. Le slogan de sa campagne était « Unbought and Unbossed » (que l’on pourrait traduire par « Incorruptible et indépendante »).

Shirley Chisholm annonce sa candidature à l’investiture démocrate à la présidentielle de 1972. Don Hogan Charles/New York Times Co. via Getty Images

Shirley Chisholm, qui a financé elle-même l’essentiel de sa campagne, s’est concentrée sur les droits civiques et la lutte contre la pauvreté.

Elle a rapidement fait l’objet d’attaques sexistes véhémentes. Un article du New York Times de juin 1972 la qualifie ainsi :

« [Elle n’est] pas belle. Son visage est osseux et anguleux, son nez large et plat, ses yeux petits presque comme des perles, son cou et ses membres décharnés. Ses dents saillantes expliquent probablement en partie son zézaiement perceptible. »

Chisholm n’a guère été soutenue par les électeurs noirs et les femmes, et n’a remporté aucune primaire.

Les femmes noires qui ont suivi les traces de Chisholm, du Congrès aux primaires présidentielles démocrates, y compris Carol Moseley Braun, sénatrice de l’Illinois et Harris elle-même, n’ont guère connu plus de succès. Harris a compté parmi les premiers candidats démocrates aux primaires de 2020 à se retirer de la course, en décembre 2019.

Les défis auxquels sont confrontées les femmes noires

Pourquoi ces candidatures, et celles des autres femmes noires qui visaient de hautes fonctions, ont-elles échoué ?

Dans la plupart des cas, les candidates noires à la présidence n’ont pas pu aller jusqu’au bout de leurs campagnes électorales. Et celles qui l’ont fait ont éprouvé des difficultés à récolter des fonds.

Fresque murale, œuvre de l’artiste Danielle Mastrion, au Shirley Chisholm State Park, ouvert en 2019 à Brooklyn, New York. Catesby Holmes, CC BY

Leurs candidatures n’ayant pas été prises au sérieux par les médias, elles ont eu du mal à faire entendre leur message. Historiquement, les candidates noires à la présidence n’ont reçu aucun soutien réel de la part d’un segment quelconque des électeurs américains, y compris les Afro-Américains et les femmes. En général, les gens – même ceux qui auraient pu être encouragés par l’idée que quelqu’un qui leur ressemblait puisse aspirer à la Maison-Blanche – pensaient qu’elles ne pouvaient pas gagner.

En tant que vice-président ayant joué un rôle majeur durant les deux mandats de Baracj Obama, Joe Biden sait ce que cette fonction implique. En Kamala Harris, il a choisi une femme qui non seulement l’a aidé à remporter l’élection, mais qui est également prête à gouverner.

2020 restera comme une année charnière pour les Afro-Américains, les Américains d’origine asiatique et les femmes – autant de catégories qui ont été si longtemps exclues de tant d’aspects de la vie politique américaine.

This article was originally published in English

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