L’exposition des enfants âgés de moins de 6 ans aux outils numériques, et notamment aux écrans, inquiète autant qu’elle questionne. Familles et professionnels et professionnelles de la santé et de l’éducation se retrouvent confrontés aux mêmes problématiques. Des difficultés qui se sont exacerbées en pleine crise du Covid-19 : quels conseils donner à celles et ceux qui prennent soin des tout-petits ? Comment concilier les problématiques du quotidien (par exemple, avoir les enfants à la maison durant une journée de télétravail) aux enjeux du développement de l’enfant ?
Face à ces enjeux, les injonctions, parfois culpabilisantes ou contradictoires, se multiplient auprès du grand public. La recherche peut alors nous aider à y voir plus clair. Elle possède en effet les méthodes et les outils permettant d’analyser avec objectivité et rigueur cette problématique de santé publique.
Cette démarche de recherche est justement adoptée dans le MOOC (ou cours en ligne) « La petite culture numérique : le développement du tout-petit à l’ère numérique », réalisé par le collectif de recherche Premiers Cris (CRI, Université de Paris). Ce MOOC permet de confronter les points de vue de différentes parties prenantes : acteurs et actrices issus de la recherche, du terrain, de l’entrepreneuriat ou du monde institutionnel, ainsi que des familles.
À travers ces regards croisés, ce MOOC explore de nombreuses questions au cœur des débats actuels : quel est l’impact de l’usage des outils numériques sur le développement de l’enfant ? Quand on parle d’écrans, qu’entend-on réellement ? Existe-t-il des dispositifs numériques adaptés aux tout-petits ? Ou encore, quel numérique souhaitons-nous pour les générations à venir ?
Recherche en cours
Il est important de garder en tête que l’arrivée des outils numériques (notamment mobiles) dans nos vies et celles des tout-petits est encore très récente. Aussi, la recherche sur ce sujet n’en est qu’à ses prémices ! Rappelons aussi que la majorité des travaux publiés à ce jour concerne la télévision et non les écrans interactifs et mobiles, tels les smartphones ou les tablettes.
Autre point d’alerte : si ces travaux explorent la relation entre l’exposition aux écrans et le développement de l’enfant, ils ne permettent pas de conclure sur le lien de causalité entre ces deux facteurs.
Que nous apprennent ces études ? Rana Esseily et Bahia Guellai, toutes deux maîtresses de conférences à l’Université Paris Nanterre, ont contribué à une revue de la littérature sur le sujet, publiée en 2017 dans la revue Spirale. L’une des principales conclusions de cet article scientifique est que l’exposition à la télévision ne semble pas avoir d’intérêt pour les enfants âgés de moins de 3 ans et peut même avoir des effets délétères sur leur développement cognitif. Elle est ainsi déconseillée pour les plus petits.
Après 3 ans, les écrans peuvent être un support d’apprentissage, à condition qu’ils soient utilisés à bon escient. Il vaut mieux ainsi privilégier une utilisation interactive des écrans (dans laquelle l’enfant vient interagir en prononçant un mot enregistré ou faire un geste pour passer à l’étape suivante d’une histoire par exemple) et accompagnée par un adulte, ainsi qu’un contenu adapté à l’âge de l’enfant.
En conclusion, cet article nous rappelle que ce n’est pas l’écran en soi qui est mauvais mais son utilisation qui peut être mal adaptée. Le temps d’écran, surtout non accompagné, réduit la place accordée à d’autres activités essentielles au développement de l’enfant : bouger, découvrir la nature, interagir avec d’autres enfants, explorer et manipuler les objets de son environnement, par exemple.
Il semble donc primordial de se questionner sur l’influence que pourraient avoir ces outils numériques sur le développement de l’enfant. Explorons ici quatre aspects.
La relation adultes-enfants
La relation du jeune enfant à son environnement passe par la relation aux autres : ses parents, ses grands-parents et toutes les personnes qui l’entourent. Ainsi, en questionnant la relation des jeunes enfants au numérique, on questionne également la relation de l’adulte qui prend soin du tout-petit au numérique : est-ce que j’utilise mon smartphone pendant que je donne le biberon à mon enfant ? Est-ce que je regarde la télévision pendant que je joue avec mon enfant ?
Si la réponse à ces questions est systématiquement positive, on parle alors de « technoférence parentale », c’est-à-dire que l’outil numérique utilisé par l’adulte fait barrière à la relation avec l’enfant, nous explique Marie-Noëlle Clément, directrice de l’Hôpital de Jour pour enfants André Boulloche et autrice d’une récente revue de la littérature sur les écrans nomades. Cette relation est pourtant primordiale au développement global des tout-petits. Il est ainsi important de privilégier des temps sans écran, non pas uniquement pour les enfants, mais aussi au sein de la famille afin de favoriser les moments d’échange et de partage.
Le jeu
L’un des moyens privilégiés d’interaction de l’enfant avec son environnement est le jeu. Jouer cela veut dire manipuler, explorer, découvrir et comprendre le monde. Il est alors important que le terrain de jeu proposé à l’enfant soit riche et varié et ne se réduise pas à un seul type d’objet, un seul type de support. La tablette, même lorsqu’elle offre des activités variées, ne doit pas être le seul support de jeu de l’enfant, mais s’intègre parmi de nombreuses autres possibilités.
Le directeur du LaPsyDÉ (Laboratoire de psychologie du développement et de l'éducation de l’enfant), Grégoire Borst, intervenant du MOOC, nous rappelle l’importance du jeu et de la motivation pour stimuler les apprentissages, dès tout-petit.
Dans ses travaux de recherche, Grégoire Borst met en avant l’importance des fonctions exécutives, hébergées par notre cortex préfrontal, nous permettant de résister aux automatismes ou de manipuler des informations. Les fonctions exécutives peuvent être stimulées par des approches ludiques, parfois permises par les jeux vidéo, lorsque ceux-ci sont utilisés à des fins pédagogiques, avec un accompagnement et chez des enfants âgés de plus de 3 ans.
Le langage
Autre intervenant du MOOC, Franck Ramus, directeur de recherche au CNRS et spécialiste des neurosciences cognitives, nous apprend que l’enfant a besoin d’être plongé dans un bain de langage pour apprendre à parler. Les paroles entendues à la télévision ne sont pas suffisantes pour les tout-petits, ils ont besoin d’interactions sociales dans toute leur richesse : communication par les mots, les gestes et le regard.
À nouveau, il convient ici de questionner l’usage qu’ont les enfants des écrans mais aussi celui de leurs proches en leur présence. Il existe une réelle différence entre mettre son enfant devant un dessin animé pendant que l’on écrit des messages sur son téléphone, et l’accompagner dans la découverte de ce dessin animé en commentant tout du long le contenu regardé ensemble.
Le développement sensori-moteur
Enfin, le développement sensori-moteur de l’enfant semble lui aussi pouvoir être influencé par l’utilisation d’outils numériques. La motricité des enfants, étonnamment habiles de leurs mains face à une tablette, est-elle mise en danger ?
Interrogé à ce sujet, le psychomotricien Aurélien d’Ignazio insiste sur l’importance de créer des environnements hybrides, c’est-à-dire qui associent à la fois des activités sur écran et des activités sans écran. Certains exercices sur tablette (pour tracer des lettres, ou déplacer des objets sur écran) peuvent encourager le développement de la motricité fine, ou des objets interactifs peuvent éveiller différents sens de manière simultanée : toucher, visuel et auditif.
Contexte-Contenant-Contenu
Les écrans sont des outils faisant partie de l’environnement des tout-petits, et doivent être considérés comme tels, ni plus ni moins. Il s’agit donc de ne pas les diaboliser mais de faire attention à les utiliser à bon escient pour qu’ils demeurent des supports d’activités parmi d’autres.
Le principe des 3Cs : Contexte – Contenant – Contenu, soit le contexte d’utilisation des écrans (environnement), considérés alors comme les contenants (outils) de contenus (usages), peut nous éclairer en questionnant nos usages et les usages numériques des tout-petits.
Il est primordial que nous puissions toutes et tous développer notre esprit critique sur la question de la relation des jeunes enfants aux outils numériques, en apprenant à identifier les informations scientifiques pertinentes. Ainsi, nous serons ensemble capables de dessiner les pratiques éducatives et pédagogiques adaptées à chaque contexte, et en accord avec les connaissances actuelles sur le développement de l’enfant.