Depuis Jean Bodin, il est bien connu qu’« il n’est de richesse que d’hommes ». Les ressources les plus précieuses d’une entreprise sont d’abord ses collaborateurs. Mais comment la collaboration interpersonnelle peut-elle contribuer à la réussite d’une entreprise ? Qu’est-ce qui motive ces collaborations ? Car, en effet, une entreprise n’est pas une juxtaposition d’individus. Des liens existent entre eux, et tant les dirigeants d’entreprise que les managers devraient s’y intéresser davantage.
Dans le monde de la compétition sportive, ce résultat est connu : une nouvelle recrue aussi prestigieuse soit-elle peut-être une magnifique révélation ou une totale déception. Tout va dépendre de son intégration et de la qualité de la collaboration avec les joueurs déjà en place. L’influence de la collaboration entre les personnes apparaît ainsi jouer un rôle majeur. Elle peut produire quelque chose de bien plus grand que la somme de ses parties.
Au regard de cette question, les sociétés de services professionnels comme les cabinets d’avocats, de comptables ou de conseil, offrent un terrain particulièrement intéressant. Dans ce secteur, la qualité de la collaboration est fondamentale. Ces entreprises à haut niveau d’expertise travaillent pour une clientèle diversifiée et doivent créer des équipes projet ad hoc pour répondre aux besoins de chaque client. Ces équipes se séparent ensuite lorsque le travail est terminé.
Un modèle non hiérarchique
Ces cabinets ont généralement pour structure un modèle associés-collaborateurs, plutôt qu’une organisation hiérarchique classique. Les associés sont autonomes et possèdent des parts de l’entreprise, ce qui signifie qu’ils choisissent avec qui travailler au moment de constituer une équipe. Ils peuvent également détenir personnellement la relation avec un client. Cela signifie que le succès ou l’échec aura une incidence non seulement sur les résultats financiers de l’entreprise, mais aussi sur leur position personnelle au sein du cabinet.
La solution de facilité serait alors de se conformer à l’adage, selon lequel « on ne change pas une équipe qui gagne ». Réunir des personnes qui ont déjà formé une équipe performante est une stratégie peu risquée. Mais en se limitant à ces équipes déjà confirmées, les cabinets perdent aussi l’occasion de tester une nouvelle combinaison qui pourrait être encore plus efficace. Cela restreint également le capital social au sein de l’entreprise, autrement dit la richesse des relations et des collaborations en interne. S’il est toujours agréable de travailler régulièrement avec les mêmes personnes, les résultats tendent à s’amenuiser au fil du temps.
Les travaux de Heidi Gardner,sur la collaboration au sein des cabinets d’avocats, ont montré que travailler avec un plus grand nombre de personnes conduit à une meilleure réussite individuelle, grâce aux nouvelles relations créées et aux recommandations obtenues. En se forgeant une réputation de cette manière, les individus peuvent accroître leur valeur personnelle et progresser plus rapidement dans leur carrière.
Pourquoi assembler une nouvelle équipe ?
Il faut donc trouver le juste équilibre entre les avantages à court terme d’une équipe qui a déjà fait ses preuves et le succès potentiellement plus grand (à long terme et à court terme) d’une nouvelle combinaison de personnes.
Il existe une abondante littérature sur la manière dont la composition des équipes projet temporaires affecte les résultats de l’entreprise, mais assez peu de choses sur le processus de décision initial. Qu’est-ce qui pousse les associés à choisir d’assembler une nouvelle équipe ou de mobiliser un groupe déjà constitué ? Notre étude porte sur la manière dont les relations, les clients et la disponibilité des ressources influencent les décisions de constitution d’une équipe.
Nous avons identifié trois types de facteurs expliquant comment se forment les équipes : la relation existant entre le client et l’entreprise de conseil ou son représentant, le statut de ce client (son importance, son historique ou la durée anticipée de la collaboration) et le degré de disponibilité des personnes. Puis nous avons testé ces hypothèses en recourant aux données de Mergermarket et de The Lawyer) en nous concentrant sur la période 2002 à 2005.
À qui appartient la relation client ?
Les nouvelles collaborations ont plus de chances de voir le jour si la relation avec le client est détenue principalement par l’entreprise, plutôt que par une personne particulière. Dans ces situations, la relation avec le client est basée sur la réputation du cabinet, ou sur l’expérience du client avec le cabinet, plutôt que sur un associé spécifique.
Il existe plusieurs explications possibles à ce choix. L’entreprise peut accepter de prendre plus de risques si aucune réputation individuelle n’est en jeu. En cas de problème, le client pourrait toujours choisir de travailler avec d’autres personnes, sans nécessairement que cela remette en cause sa fidélité à l’entreprise. Une autre raison possible peut être que de nombreuses personnes dans l’entreprise connaissent les clients, ce qui permet de multiplier les combinaisons de coéquipiers.
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Dans un autre scénario dans lequel de nouvelles équipes peuvent être mises à l’essai, la probabilité de rétention du client est faible. Par exemple, si un client a l’habitude de consulter plusieurs cabinets, il y a moins à perdre en cas d’échec de l’équipe, car le cabinet pourrait de toute façon perdre le client. En cas de succès, cela génère de la valeur sous la forme de nouvelles relations productives qui peuvent être exploitées à l’avenir.
À l’inverse, lorsque la relation client d’une entreprise est principalement détenue par une seule personne, cette dernière sera plus prudente et privilégiera une équipe ayant déjà fait ses preuves.
Réduire le risque commercial
Les grands comptes sont également plus susceptibles de se voir attribuer des équipes déjà confirmées. Là encore, l’idée est de réduire le risque. Bien qu’il puisse sembler pertinent de constituer une nouvelle équipe avec les meilleurs éléments pour gérer un projet important et prestigieux, cette approche peut échouer si les personnes ne s’entendent pas ou n’ont pas convenu à l’avance de leurs méthodes de travail. Il est alors moins risqué de confier cette responsabilité à des équipes bien établies et efficaces.
Évidemment, les personnes pressenties pour rejoindre l’équipe doivent être disponibles. De nouvelles équipes peuvent se former lorsque les membres habituels ne sont pas disponibles pour un nouveau projet. Si une personne est déjà trop occupée, il n’y a pas d’autre choix que de la remplacer.
Cependant, lorsque les contraintes de ressources affectent l’ensemble de l’entreprise et non seulement des membres spécifiques de l’équipe, la situation inverse se produit. L’entreprise a tendance à privilégier des compositions d’équipe connues et peu risquées, qui constituent le moyen le plus efficace de satisfaire les clients.
Cette étude devrait aider les cabinets et les professionnels à comprendre comment tirer parti des relations de collaboration existantes et à déterminer quand et comment en développer de nouvelles. Lorsqu’ils choisissent une équipe, ils doivent prendre en compte des facteurs liés au client plutôt que de se concentrer uniquement sur les compétences ou les qualités des membres de l’équipe. Les caractéristiques du client peuvent influencer le niveau de risque. L’étude met également en lumière l’impact des contraintes de ressources, à la fois au niveau des membres de l’équipe, mais aussi de l’entreprise dans son ensemble.