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Le premier ministre démissionnaire Gabriel Attal et le nouveau premier ministre Michel Barnier, lors du discours de passation le 5 septembre 2024. STEPHANE DE SAKUTINPOOL/AFP

Barnier et la « dette écologique » : comment faire face au dérapage de la « dette climatique » ?

Le nouveau Premier ministre Michel Barnier a évoqué, lors de la passation, la « dette écologique » du pays. Loin de se résorber, celle-ci continue de s’accroître. En cause, l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre, l’affaiblissement des puits de carbone naturels, mais également les arbitrages des gouvernements précédents qui n’ont pas donné la priorité à l’action climatique.


Lors de la passation de pouvoir à Matignon, Michel Barnier a promis de dire la vérité aux Français sur la « dette financière et la dette écologique ».

Le casse-tête de la dette financière est bien documenté. La loi de finances initiale promettait de ramener le déficit public à 4,4 % du PIB en 2024 ; on se dirige vers 5,6 % d’après les dernières estimations de Bercy. Avec une dette publique dépassant 110 % du PIB et des taux d’intérêt réels positifs, le nouveau Premier ministre hérite d’une trajectoire insoutenable. Son premier examen de passage sera le débat budgétaire au Parlement.

Qu’en est-il de la dette écologique ? Cette dette peut se définir comme le surcroît d’utilisation des ressources relativement à la capacité régénératrice de la planète. Ainsi, le « jour du dépassement », calculé chaque année par le WWF, indique la date à partir de laquelle les sociétés ont consommé toutes ces ressources, léguant à leurs descendants une planète en moins bon état. Examinons sa composante climatique.

La mesure de la dette climatique

L’expression « dette climatique » désigne le legs que les générations présentes transmettront à celles qui leur succéderont. Elle traduit le fait que le climat que connaîtront nos descendants sera tributaire des choix que nous faisons aujourd’hui en matière d’émission de gaz à effet de serre.

En effet, chaque tonne supplémentaire de CO2 (ou d’une quantité équivalente d’un autre gaz à effet de serre) rejetée dans l’atmosphère accroît le stock atmosphérique de gaz à effet de serre et creuse cette dette à l’égard des générations futures. A contrario, chaque tonne retirée de l’atmosphère la diminue.

Pour évaluer notre dette, il convient par conséquent d’observer la trajectoire de nos émissions et absorptions de gaz à effet de serre. Tant que l’on émet davantage que ce qu’on absorbe, la dette s’accroît. Lorsque les deux termes s’égalisent, on atteint la situation dite nette-zéro. ou de « neutralité carbone » qui permet de stabiliser la dette. Si les émissions brutes deviennent inférieures aux absorptions, la dette diminue.

Ces grandeurs sont calculées chaque année par le CITEPA, l’organisme en charge de l’inventaire des émissions de gaz à effet de serre. Stationnaires entre 1990 et 2005, nos émissions brutes de gaz à effet de serre ont diminué de 32 % entre 2005 et 2023. Simultanément, la capacité d’absorption du CO2 a été divisée par près de trois, car les forêts séquestrent moins de carbone sous l’effet du changement climatique. Les émissions nettes de gaz à effet de serre n’ont ainsi reculé que de 29 %.


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Notre dette climatique continue donc d’augmenter, mais à un rythme qui ralentit : en 2023, les émissions nettes de la France ont atteint 350 millions de tonnes (Mt) d’équivalent CO2 (CO2eq), contre 500 Mt en 2005.

Les économistes aiment bien traduire les grandeurs physiques en monnaie sonnante et trébuchante. Si on estime à 100 euros le coût des dommages engendrés par le rejet d’une tonne supplémentaire de CO2 dans l’atmosphère, le rythme d’accroissement annuel de la dette climatique est passé de 50 milliards d’euros en 2005 à un peu moins de 38 milliards.

Sommes-nous, pour autant, sur la bonne trajectoire ?

Une trajectoire non soutenable

À l’instar de l’Union européenne (UE), la France s’est engagée à stabiliser sa dette climatique (objectif zéro émission nettes, ou de « neutralité carbone ») en 2050. Pour y parvenir, l’UE a fixé un objectif intermédiaire d’une réduction de 55 % des émissions nettes de gaz à effet de serre entre 1990 et 2030. C’est par rapport à cet objectif intermédiaire qu’il convient de jauger la soutenabilité de notre trajectoire d’émission.

Pour la France, l’objectif de -55 % implique de ramener les émissions brutes de gaz à effet de serre à un peu moins de 270 Mt en 2030. Si on reste sur la tendance observée depuis 2005 (-2 % l’an), on atteindra 325 Mt, soit 55 Mt en trop. Pour atteindre l’objectif, il faudra un peu plus que doubler le rythme annuel de baisse sur les 7 ans qui nous séparent de 2030, comme le montre le graphe ci-dessous.

Trajectoire des émissions brutes de gaz à effet de serre de la France. Fourni par l'auteur

Pour l’absorption du CO2 atmosphérique, ce n’est pas le tempo qui est insuffisant, mais la direction qui est mauvaise. Pour respecter l’engagement de -55 %, la France devra absorber 34 Mt de CO2 atmosphérique en 2030. En 2005, les puits de carbone absorbaient un peu plus de 50 Mt de CO2 retirés de l’atmosphère. Depuis 2019, ils n’en absorbent plus qu’une vingtaine, car la croissance des arbres qui permet de séquestrer le carbone s’affaiblit sous l’impact du réchauffement climatique. Sans un changement de direction, on n’atteindra pas l’objectif de séquestration requis.


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Les tendances passées ne présagent certes pas automatiquement du futur, mais le constat est là. Les trajectoires d’émission et d’absorption dont hérite la nouvelle équipe gouvernementale ne sont pas compatibles avec les engagements pris.

Plus grave : les mesures correctrices qui permettraient un changement de trajectoire n’ont pas été prises. Au-delà de la paralysie des derniers mois, l’exécutif a fait preuve d’une grande inconstance depuis deux ans. Il a notamment renoncé à présenter au Parlement la loi de programmation énergie climat, initialement prévue pour juillet 2023.

Au total, la dette climatique évoquée par Michel Barnier n’est pas plus soutenable que la dette publique. À quelles conditions pourra-t-on retrouver le contrôle ?

Les conditions d’un changement de trajectoire

La condition première sera de saisir le Parlement, afin de faire adopter la loi de programmation en attente dont l’objet est d’encadrer les feuilles de route énergétique (dite Programmation pluriannuelle énergétique, ou PPE) et climatique (dite Stratégie nationale bas carbone, ou SNBC) à moyen terme.

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Pour débattre, les députés et sénateurs pourront avoir accès à une masse d’informations de qualité réunie par l’instance de planification écologique rattachée au Premier ministre.

Je vois trois questions clefs qui risquent de polariser les débats mais qui devront néanmoins être discutées et tranchées.

D’abord la question de la fiscalité carbone et des subventions aux énergies fossiles. Depuis la fronde des « gilets jaunes », elle est taboue. Le dispositif fiscal est comme paralysé, ainsi que le rappelle un récent rapport de la Cour des comptes.

Cette situation n’est pas tenable avec l’élargissement du système européen des quotas de CO2, qui va renchérir à partir de 2027 l’usage des énergies fossiles dans les transports terrestres, les bâtiments et les petites entreprises. Cet élargissement requiert une transposition dans le droit national dans les deux ans qui viennent. Cela va contraindre l’exécutif et la représentation nationale à se positionner sur l’épineuse question de la fiscalité et du prix de l’énergie.

Autre question qui fâche : les moyens à allouer aux renouvelables et au nucléaire. Les obstacles au déploiement du renouvelable sont loin d’avoir été levés par la loi dite « d’accélération », ce qui laisse poindre un risque de déficit en électricité décarbonée d’ici 2035.

Ce risque ne pourra pas être réduit par les nouvelles options nucléaires. Il pourrait même être accru si les milliards du nouveau nucléaire réduisent ceux nécessaires pour les renouvelables. Il y a donc urgence à débattre du rôle du nucléaire dans la transition énergétique, qui ne peut être ni l’abandon rapide prôné par certains, ni la solution miracle fantasmée par d’autres.


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Enfin, l’affaiblissement du puits de carbone forestier est un signal d’alerte majeur. Il s’agit d’une rétroaction climatique qui amoindrit la capacité de stockage, des forêts malgré l’élargissement de leur superficie. Les réponses consistent à adapter les massifs forestiers aux conditions climatiques de demain qui seront plus éprouvantes qu’aujourd’hui.

C’est aussi le cas de l’agriculture, pour laquelle le précédent gouvernement a opéré un recul en règle en matière d’ambition environnementale. Il sera impossible de reprendre le contrôle de la dette climatique sans des politiques bien plus volontaristes pour accroître la résilience des systèmes agricoles et forestiers, en généralisant des pratiques qui permettent également de réduire leur empreinte climatique.

Compte tenu de la composition de l’Assemblée nationale, réussir à débattre de ces questions et à trouver les nécessaires compromis pour relancer l’action climatique semble une gageure. Il n’y a pourtant guère d’autres voies permettant de reprendre la main sur le dérapage de la dette climatique. Souhaitons donc que les déclarations du Premier ministre sur la dette écologique n’aient pas été qu’un effet oratoire et soient vraiment suivies d’un changement de cap en la matière.

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