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BD « Sciences en bulles » : Ces animaux qui parlent

Capture d e cran a.

Cet extrait de la BD « Sciences en bulles » est publié dans le cadre de la Fête de la science (du 2 au 12 octobre 2020 en métropole et du 6 au 16 novembre en outre-mer et à l’international) dont The Conversation France est partenaire. Cette nouvelle édition aura pour thème : « Quelle relation entre l’Homme et la Nature ? ». Retrouvez tous les débats et les événements de votre région sur le site Fetedelascience.fr.


Depuis trois ans, tous les écoliers qui quittent le CM2 reçoivent une anthologie illustrée des Fables de La Fontaine avant d’entrer au collège. Elle doit les aider à développer le goût de la lecture : un animal qui prend la parole est en effet une merveille – au sens ancien d’événement étrange, surnaturel, extraordinaire – propre à « agréer » le lecteur, comme l’explique La Fontaine au jeune dédicataire du recueil de fables, le duc de Bourgogne. Cette parole étrangère doit aussi, selon le poète, « instruire les hommes ».

Donner la parole aux animaux invite à construire un point de vue radicalement autre sur le monde. C’est un procédé largement répandu dans la littérature du XVIIIe siècle, que l’on songe aux regards étrangers des Persans de Montesquieu ou du Huron de Voltaire sur les mœurs françaises. Avec les discours animaux, ce ne sont plus seulement les coutumes d’un pays ou d’une civilisation qui sont mises à l’épreuve de l’Autre, mais toute l’humanité et l’anthropocentrisme qui sont soumis à l’œil critique des bêtes.

Dans le Dialogue du Chapon et de la Poularde, Voltaire met en scène une poularde tout juste châtrée qui cherche à comprendre la violence dont elle a été victime. Elle compare d’abord son sort à celui des castrats, dont lui parle son interlocuteur le Chapon : « C’est donc pour que nous ayons une voix plus claire qu’on nous a privés de la plus belle partie de nous-mêmes ? ». Le dialogue entre les animaux dénonce la cruauté des hommes entre eux par le biais du regard étranger des animaux. De même, les Lettres persanes et L’Ingénu ne parlent pas tant de la Perse et des Amériques que des sociétés européennes.

De manière beaucoup plus originale, le dialogue présente le rapport de l’homme à l’animal comme celui du bourreau à sa victime, notamment lorsque le chapon dévoile la vérité à la poularde : elle sera mangée, et sa castration n’a d’autre but que de rendre sa « chair plus délicate ». L’abattage est ainsi décrit du point de vue animal, ce qui introduit une tonalité pathétique : « C’est leur coutume ; ils nous mettent en prison pendant quelques jours, nous font avaler une pâtée dont ils ont le secret, nous crèvent les yeux pour que nous n’ayons point de distraction ; enfin, le jour de la fête étant venu, ils nous arrachent les plumes, nous coupent la gorge, et nous font rôtir. »

Inscrit dans une tradition née dans l’Antiquité avec Ésope, ce texte de Voltaire la renouvelle en représentant l’animal comme un être capable de sentir et de souffrir, conception qui se diffuse progressivement dès la seconde moitié du XVIIe siècle en même temps que la méthode expérimentale. Les connaissances acquises par la zoologie, l’anatomie, la classification et la microscopie, permettent de combattre l’idée cartésienne de l’animal-machine qui occupe alors les débats. Difficile à accepter, aisée à contredire, l’idée que les animaux ne sont ni plus ni moins que des machines dépasse le cadre des disputes académiques et fait polémique jusqu’à la fin du XVIIIe siècle. Dans ce contexte, la littérature qui fait parler les bêtes leur donne voix au chapitre et, par jeu critique ou par conviction, défend leur cause contre celle des hommes. Ainsi un oiseau des États et empires de la Lune de Cyrano de Bergerac revendique pour son espèce, comme Descartes pour la sienne, l’exclusivité de la possession d’une âme : « Hé quoi ! murmuraient-ils l’un à l’autre, il n’a ni bec, ni plumes, ni griffes, et son âme serait spirituelle ! ».


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