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Belgique : Sophia, une déesse pour une relance durable ?

Statue de Sophia, personnification de la sagesse à la bibliothèque Celsus d'Éphèse, en Turquie. epic_images / Shutterstock

Comment concevoir une relance de la façon la plus pertinente possible vu la gravité de la crise du Covid-19 et ses conséquences ? L’exercice est complexe et de nombreux plans se dessinent pour l’instant.

En Belgique, le « Resilience Management Group », un groupe rassemblant plus de 100 scientifiques belges – dont je fais partie – et 182 entreprises de l’économie régénérative (la coalition Kaya) a ainsi élaboré un projet de relance durable post-Covid, le plan Sophia – du nom de la déesse grecque de la sagesse. Celui-ci s’articule autour de l’objectif de résilience économique.

Cette notion de résilience est sur toutes les lèvres depuis l’explosion de la pandémie du Covid-19. On l’a entendue aussi bien au sein de la Commission européenne qui propose un plan de relance de 750 milliards d’euros pour « un futur, vert, numérique et résilient », de la part du directeur de la multinationale Royal Dutch Shell cherchant à justifier de sévères mesures économiques, ou encore chez les acteurs culturels belges sollicitant une intervention publique au nom de leur « contribution à la résilience des communautés ».

L’objectif affiché du plan Sophia est d’éviter que les mesures d’urgence n’engagent la relance d’un modèle économique qui montre ses limites. Il vise donc à combiner redéploiement économique, résilience et cohérence avec les objectifs de transition que les différents niveaux de pouvoirs régionaux, nationaux et européens se sont fixés.

200 mesures proposées

Pour concevoir ce plan, le « Resilience Management Group » s’est appuyé sur une approche interdisciplinaire de notre société. Un groupe d’experts associant théorie et terrain s’est formé autour de 15 thèmes, tout en cherchant par une approche systémique les synergies entre l’ensemble des mesures : aide aux entreprises ; consommation durable ; production responsable/relocalisation ; agriculture et alimentation ; banque, assurance et fonds de placement ; fiscalité ; énergie ; bâtiment et aménagement du territoire ; mobilité ; démocratie, État et pouvoirs publics ; santé ; sécurité sociale/nouveau contrat social/emploi ; enseignement/éducation ; coopération au développement ; transition intérieure.

Les 15 thèmes du plan Sophia. Stéphanie Lefèvre/noirlavache

Les membres ont donc travaillé de manière collaborative afin de proposer plus de 200 mesures réparties dans différents domaines qui sont actuellement soumises aux autorités politiques régionales et fédérales.

Elles ont émergé d’un échange entre praticiens et académiques sur la base d’une méthodologie précise et rigoureuse validée par tous. Chaque membre du groupe a été invité à proposer une liste de mesures, un chargé de thématique les a rassemblé et elles ont ensuite fait l’objet de débat en groupe thématique.

L’intention n’est pas de décrire ici toutes les mesures proposées. Je m’arrêterai à quelques-unes, directement liées à mon expertise scientifique, celles du thème « aide aux entreprises ».

Notons trois lignes directrices les concernant. Tout d’abord, le plan Sophia propose de réorienter les aides aux entreprises afin de favoriser d’une part le développement ou le renforcement des activités respectueuses de l’environnement qu’elles concernent le climat, la biodiversité, les ressources naturelles, ainsi que d’autre part les activités créatrices d’emplois durables. En parallèle, le plan propose une suppression progressive des aides aux activités économiques insoutenables.

Deuxièmement, les rédacteurs du plan Sophia suggèrent d’assurer le financement des aides par l’arrêt rapide de tous les soutiens directs et indirects aux combustibles fossiles.

Il semble ainsi que les aides aux entreprises aériennes comme Air France en France ou Brussels Airlines en Belgique doivent se concevoir en intégrant les alternatives à moyen terme, comme des fusions ou des partenariats stratégiques avec des compagnies ferroviaires.

Enfin, le « green deal » européen, présenté fin 2019, devrait servir de cadre de référence à ce redéploiement, qui vise à accélérer la transition et la résilience.

La résilience au cœur du plan

Si la notion de résilience économique est omniprésente depuis le début de la crise du Covid-19, cette notion est souvent mal comprise. Loin d’être neuve, elle est d’usage aujourd’hui dans de nombreuses disciplines, en ce compris au niveau de l’analyse de l’économie régionale qui fournit une approche territoriale intéressante.

Même s’il n’y en a aujourd’hui aucune définition consensuelle, celle proposée par les géographes britanniques Ron Martin et Peter Sunley fait référence. Ceux-ci définissent la résilience économique régionale comme :

« La capacité d’une économie régionale ou locale à résister aux chocs du marché, de la concurrence et de l’environnement ou à s’en relever, en adoptant, si nécessaire, des modifications de ses structures économiques et de ses arrangements sociaux et institutionnels, de façon à maintenir ou à rétablir son ancien mode de développement, ou à passer à un nouveau mode durable ».

La complexité trouve en partie sa source au cœur de la caractéristique multidimensionnelle du concept, qui recouvre à la fois des notions de vulnérabilité, de résistance, de réorientation et, enfin, de récupération.

L’analyse de la résilience économique régionale peut porter sur différents niveaux :

  • les capacités du système économique lui-même ;

  • les capacité des entreprises ;

  • ou les capacités des individus (entrepreneurs ou employés, par exemple) à se transformer.

Soulignons que l’on retrouve des critères assez similaires lorsque l’on analyse ou rend opérationnelle la notion de résilience dans le cadre d’une approche du système économique lui-même (niveau 1) ou des entreprises (niveau 2).

On parlera ainsi de leur « capacité d’absorption » des chocs, « de renouvellement » et « d’appropriation » permettant aux entreprises ou régions de devenir plus fortes de leurs expériences.

Il peut être intéressant de regrouper les régions en différentes catégories sur la base de leur capacité de résistance aux chocs, ce qui permet par exemple d’aboutir à une classification ou taxonomie et ainsi identifier les spécificités des régions les plus résilientes.

Les apports de la psychologie et du management enrichissent l’application de la notion de résilience aux individus. Ainsi, la résilience d’un entrepreneur inclut une forme d’habileté émotionnelle et cognitive qui peut lui être utile pour faire face à des difficultés.

Le plan Sophia intègre notamment deux axes centraux de résilience identifiés dans la littérature. Tout d’abord, les petites et moyennes entreprises (PME) jouent un rôle crucial dans la phase de reprise d’une crise comme celle du Covid-19. Il devient donc fondamental de les soutenir dans l’identification de sources alternatives de revenus et de nouveaux modèles économiques.

Par ailleurs, les régions ayant un écosystème économique diversifié, avec des travailleurs plus expérimentés et davantage d’activités indépendantes semblent être plus résilientes aux chocs potentiels. En effet, en économie comme dans de nombreuses autres disciplines, la résilience passe le plus souvent par la diversité.


Je remercie Cédric Chevalier, Ana Alicia Dipierri, Nathalie Gobbe, Laure Malchair, Roland Moreau et Ariane Reyns pour leurs commentaires et suggestions.

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