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Bidonvilles en déconfinement : les solidarités vont-elles tenir ?

Une membre de la communauté des Roms pousse une poussette remplie d'affaires personnelles après une distribution de nourriture organisée par l'association caritative, l'Armée du Salut, à Paris, le 9 avril 2020, le vingt-quatrième jour du confinement, ayant pour but de ralentir la propagation du Covid-19. Joel Saget/AFP

Après quasiment 8 semaines de détresse, la situation dans les bidonvilles et squats de France est explosive.

Suite à l’allocution d’Édouard Philippe le 7 mai, il reste beaucoup de questions au sujet du déconfinement en situation d’urgence sanitaire, et de la manière dont des actions mises en place dans l’urgence pendant ces dernières semaines seront maintenues ou non.

Très récemment, la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) a condamné la France pour l’évacuation d’un bidonville rom en région parisienne en 2013. Cet acte fait écho à l’alerte lancée par Birgit Van Hout, la représentante régionale pour l’Europe du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme (HCDH), au sujet des Roms. La pandémie a en effet aggravé la situation d’inégalité déjà critique à laquelle ces communautés sont confrontées.

Le risque est que les précaires se retrouvent en concurrence pour avoir accès aux aides prévues dans la période de confinement et qui sont, pour certaines, maintenues lors du déconfinement.

Si les aides deviennent plus difficiles d’accès, cette mise en concurrence de la pauvreté peut conduire à des discours de rejet voire à des actes de violence. Ces derniers sont déjà identifiés dans un contexte où les comportements ou actes racistes et xénophobes envers des personnes identifiées comme Roms persistent et les réactions de la police ne sont pas toujours immédiates.

Des enfants de la communauté des Roms emportent des sacs de nourritures distribués par l’association caritative, l’Armée du Salut, à Paris le 9 avril 2020. Joel Saget/AFP

Toutefois, l’essentiel du risque ici est celui d’un abandon des précaires par les institutions. Il va falloir être attentifs à la décroissance des capacités d’aides, un phénomène mis en évidence par les sociologues depuis longtemps, avec un caractère cyclique souvent encore plus fort dans le cadre de la lutte contre la pauvreté urbaine.

Il faut aussi prêter attention aux critères de sélection qui pourraient venir révoquer l’inconditionnalité dans la plupart des espaces ou réseaux d’aide. Il n’y avait pas une logique de tri dans l’urgence : tout le monde pouvait être prioritaire dans la file pour l’aide alimentaire. À l’inverse, l’aide organisée en temps ordinaire, où la rareté conduit à une logique de tri, repose sur des critères de ressources ou des domiciliations territoriales, ainsi que sur des évaluations des comportements des bénéficiaires pour les reconnaître comme « méritants ».

Lutter contre les stéréotypes

Dans ce contexte d’incertitude, il faut un engagement de la part des pouvoirs publics et des associations pour continuer à assurer la protection des plus fragiles : si les aides se font plus rares, il faudra lutter contre certains stéréotypes qui peuvent être réactivés pour stigmatiser et mettre à l’écart des groupes vus comme « parasites » des aides sociales. Ce type de stéréotypes a notamment visé les Roms d’Europe de l’Europe de l’Est, accusés d’avoir des comportements opportunistes, comme de migrer en France afin de bénéficier des aides sociales.

La situation des bidonvilles (497 sites en 2018 selon la DIHAL, dont autour d’une centaine en Ile-de-France), où ne vivent pas que des Roms mais où des Roms vivent (environ 10 000 selon les mêmes données de la DIHAL), a été pendant ce confinement un kaléidoscope des configurations de soutien, dépendant de la coordination entre différents acteurs : des villes confrontées à des problèmes concrets entre urgence et capacité stratégique, un tissu associatif mis à l’épreuve de l’indisponibilité des bénévoles, et des autorités territoriales et étatiques aux annonces déconnectées des réalités du terrain.

Mécanique de déshumanisation des Roms, France 24, mars 2019.

L’épreuve du confinement

Pendant le confinement, des mobilisations solidaires, des situations d’abandon, des interventions extraordinaires voire des évacuations et démantèlements ont façonné la vie des habitants des bidonvilles. La situation des bidonvilles reste très difficile en ce moment en raison de la pauvreté de leurs habitants, ou encore le manque de conditions matérielles d’hygiène de base. De nombreuses personnes qui y vivent ont souvent des conditions physiques qui les rendent vulnérables au Covid-19 (pathologies respiratoires précédentes, obésité, diabète).

Dans l’urgence, les bidonvilles ont été la cible d’interventions contradictoires et fragmentées. Cette situation de fragmentation illumine les inégalités qui sévissent déjà en France, et souligne les fortes disparités territoriales dans l’accès à l’aide et à l’abri pour les plus démunis.

Des membres d’une équipe médicale mobile de l’ONG Médecins du monde visitent un camp de la communauté des Roms à Saint-Denis, au nord de Paris, le 15 avril 2020, le 30ᵉ jour du confinement, visant à ralentir la propagation du Covid-19. Sarah Brethes/AFP

Selon le cadre théorique classique de Edward Page et Michael Goldsmith, les interventions ont été développées sur la base du fort degré d’autonomie dont disposent les gouvernements locaux dans ce domaine. Leurs périmètres d’action sont peu clairs et se fondent sur la discrétion. Ils ont aussi différentes capacités d’accès aux niveaux supérieurs des agences et délégations ministérielles, en particulier dans ce cas à la Délégation interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement (DIHAL). Par exemple, récemment, les mobilisations ont principalement été dirigées vers l’accès à l’eau et à l’alimentation.

Ni eau, ni nourriture

La situation d’accès à l’eau était déjà catastrophique avant le confinement, qui aura permis d’exposer au regard d’un plus grand nombre ce désastre. Même avant le confinement, le respect des gestes barrières en matière d’hygiène était difficile sans eau courante ; lorsque le confinement limite les mouvements et complique les déplacements visant à aller chercher de l’eau (un trajet que certaines familles doivent faire plusieurs fois par jour), ce respect devient quasiment impossible.

Il aura fallu un cri d’alarme des associations relayé par plusieurs mobilisations et tribunes durant les six premières semaines du confinement pour que des points d’eau soient installés dans de nombreuses communes. Certaines municipalités ont été réactives, comme en Ile-de-France où la préfecture a fait pression, tandis que d’autres, comme à Toulouse, continuent à batailler sur ce droit. Une question accompagne le déconfinement : là où les points d’eau sont installés, les communes prendront-elles en charge leur gestion dans la durée ?

Reportage en Gironde, durant la canicule, BFMTV.

La question de la faim a été la deuxième urgence absolue. La coordination entre association et autorités publiques municipales et départementales a été cruciale, mais pas toujours évidente.

Le résultat s’est traduit par une forte disparité territoriale d’organisation de l’aide, comme on peut le voir sur le tableau de la cellule de crise de Romeurope.

L’association Acina, en charge de l’accompagnement social des personnes vivant en bidonvilles dans les départements de l’Ile de France explique début avril avoir distribué de la nourriture pour les habitants de plus de 30 sites, ainsi que des produits d’hygiène et des couches, mais recense dans un même temps plus de 90 sites en Ile-de-France où des personnes (dont 30 à 40 % sont des enfants) espèrent et attendent une aide pour faire face à cette crise.

Inadéquation des aides

De la part des familles vivant en squat qui dépendent des distributions alimentaires, une relative inadaptation des paquets a été soulignée, dès lors que les repas sont pensés pour des personnes individuelles, vivant à la rue, et non des familles.

Les collectivités locales ont aussi été sollicitées pour ouvrir et gérer des nouvelles places d’hébergement d’urgence, puisque la trêve hivernale a été prolongée par Emmanuel Macron le 12 mars.

Cette prolongation implique le maintien des places d’hébergement d’urgence et la suspension des expulsions, mais la destruction de cabanes à Montreuil le 23 mars illustre l’écart entre les positions préfectorales et le pouvoir discrétionnaire des mairies pendant cette période. Quant au sujet sensible de la mise à l’abri, refrain du gouvernement dans sa communication sur la solidarité pour les personnes à la rue, aucune solution nouvelle n’a pourtant été proposée d’après la majorité des Roms avec qui nous avons échangé.

Dans le 93, quelques familles ont pu voir leur demande d’hébergement d’urgence aboutir pendant cette période, mais c’est anecdotique par rapport au nombre de personnes vivant en squats ou bidonvilles, et une anecdote qui n’a pas son équivalent dans l’ensemble des départements d’Ile-de-France.

Pour les familles qui cherchent une solution pour sortir de la rue ou du bidonville, la réponse qu’on nous donne est familière : le 115 reste le seul interlocuteur, et, « comme d’habitude », il est saturé.

L’organisation des solidarités

Le défi de la santé et de la protection sociale n’est pas seulement un défi technique, ou simplement économique, mais un défi de gouvernance. Sur le terrain, en première réponse, il y a eu dans un premier temps essentiellement une réponse des associations et collectifs.

Ils ont été au cœur des mobilisations pour l’accès à l’eau et pour l’aide alimentaire, à la fois par leur présence capillaire dans les territoires et pour les liens de connaissance qu’ils ont tissés au cours des années, mais aussi par leurs propres modes d’action, situés, concrets et pragmatiques, comme d’agir très rapidement par les réseaux sociaux pour traduire en roumain les consignes du confinement, et distribuer sur les terrains des attestations.

Hétérogénéité de mobilisations, un certain chaos, et des énergies militantes font partie à juste titre des solidarités d’urgence. Lorsque les médias se penchent sur la situation dans les bidonvilles, comme dans cette vidéo de Brut, le discours médiatique met fortement avant le rôle des associations, occultant de fait le rôle des institutions.

En France, 19 000 personnes vivent dans des squats ou des bidonvilles. Et le confinement rend leurs conditions de vie encore plus précaires, le 5 mai 2020.

Les militants insistent beaucoup sur le rôle crucial des associations, car l’État a fait défaut au début du confinement : si des mesures ont été mises en place depuis, elles sont plus rarement évoquées dans ces reportages.

Pourtant, les collectifs militants pour les droits des personnes en bidonvilles cherchent et maintiennent la discussion avec les institutions, aussi bien au niveau municipal que préfectoral. Les institutions cherchent à se coordonner et même s’appuyer sur les associations et les collectifs solidaires pour avoir accès à l’information mais restent limitées par la sélectivité de l’aide associative, qui n’arrive pas à joindre tous les bidonvilles réellement présents en France. Il s’agit d’un cas typique d’économie d’envergure (economy of scope) dans l’aide sociale, qui amène à élargir la gamme de services offerts mais pas à élargir le panier de bénéficiaires.

Et maintenant ?

Aujourd’hui, si les contraintes se lèvent, les craintes persistent : que faire si l’aide de l’urgence venait à être plus difficile à obtenir, voire à disparaître ? Les personnes bénévoles pendant le confinement reprennent désormais le travail et les bénévoles retraités restent appelés à rester chez eux.

Les dernières données disponibles (2017) indiquent qu’en France les bénévoles seniors donnent en moyenne nettement plus de temps que les bénévoles plus jeunes, et comme a montré l’économiste Lionel Prouteau, leur apport est très conséquent dans l’action sociale et caritative puisqu’ils offrent à eux seuls plus de 60 % du travail bénévole.

Dans ce contexte qui prendra la relève ?

La chape de plomb du pouvoir discrétionnaire

Les garanties et protections offertes ne sont pas étroitement liées à des droits applicables et protégeables, et ni ancrées dans des procédures faciles à contrôler.

Nous sommes dans un cas où elles sont liées au « pouvoir discrétionnaire » des institutions, et il devient essentiel de comprendre qui en bénéficie et quel type de protection est produite et gouvernée. Il ne s’agit pas seulement de cartographier les inégalités territoriales en matière de protection sociale, mais de reconnaître leur fondement institutionnel.

Prenons l’aide venant pallier l’absence de travail pendant cette période de confinement : la question de la sélectivité de l’aide sociale concerne tous ceux qui travaillent dans le secteur informel ou dans l’économie au noir, qui en sont écartés. Monsieur X fait de la ferraille. Arrivé en France dans les derniers mois, il a depuis peu le statut d’autoentrepreneur. Sans possibilité de travailler pendant le confinement, il n’aura pas non plus accès aux aides accordées aux entrepreneurs, qui prennent en considération les revenus des années passées. De son côté, Madame Y survit de la mendicité : elle n’a eu aucun revenu pendant le confinement. Sans contrat de travail, et sans ressources, elle est exclue du système des aides et survit grâce à des colis alimentaires.

Dans certains cas, les controverses de déconfinement passent à côté de la réalité préconfinement : c’est notamment le cas autour des écoles.

Si certains et certaines rêvent d’un retour à la vie d’avant, que dire pour les familles qui avant la pandémie ne parvenaient pas à inscrire leurs enfants à l’école ? Les polémiques autour d’un retour à l’école sur la base du volontariat n’ont pas le même sens pour ces enfants pour qui ce qui manquait dans le passé n’était pas la volonté mais le respect par les municipalités du devoir d’inscrire tous les enfants de leur territoire à l’école, y compris ceux et celles vivant en bidonvilles ou squats.

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