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Bien accompagnés, les tiers-lieux peuvent se développer partout

Montage de l'exposition « L'Expérience Tiers-Lieux  » lors de la 10ᵉ Biennale internationale du design de Saint-Etienne (2017). Sylvia Fredriksson/Flickr, CC BY

Ni lieu de travail, ni maison, les tiers-lieux (TL) répondent à l’évolution contemporaine des modes de vie et de travail. L’essor du numérique et du travail indépendant et à distance constitue deux grands facteurs de leur développement.

Sous l’impulsion de politiques publiques volontaristes, les territoires, y compris les plus périphériques, s’équipent depuis les années 2000 d’accès à Internet en haut-débit. La servicialisation de l’économie génère par ailleurs une externalisation grandissante des fonctions de l’entreprise : les travailleurs solitaires, freelances et autres auto-entrepreneurs, sont de plus en plus nombreux et réclament des lieux de socialisation et d’innovation.

Une forte croissance dans les villes petites et moyennes

Souvent présentés comme des attributs métropolitains, constitutifs de la ville créative et de la ville intelligente (smart city), les TL se multiplient pourtant dans les villes moyennes, les villages et plus récemment dans les stations touristiques. La Bretagne sud, territoire non métropolitain situé en périphérie des grands pôles régionaux, ne comptait ainsi qu’un seul de ces espaces fin 2013, contre une vingtaine en 2017.

Autres exemples : la région Nouvelle-Aquitaine, via la Coopérative des Tiers-lieux, et le Département de la Lozère, avec Solozère, organisent le maillage par les TL de l’ensemble de leur territoire, poursuivant l’objectif d’en faire des équipements de proximité.

L’arrivée de ces travailleurs connectés va de pair avec de nouvelles activités susceptibles de s’implanter en tout lieu : les nomades numériques s’affranchissent des distances. Cette tendance redéfinit les fonctions des territoires. Les TL peuvent ainsi devenir des vecteurs de revitalisation des centres-bourgs et des centres-villes en recherche d’un second souffle.

Le porteur de projet au centre du jeu

La question de l’émergence des TL demeure. Demain, chaque village hébergera-t-il son propre espace de cotravail (co-working) ? Quel peut être le rôle des collectivités locales dans cette dynamique ? L’enquête réalisée dans le cadre du projet INTIMIDE auprès d’une vingtaine de fondateurs et animateurs d’espaces situés hors métropole permet d’esquisser des réponses à ces questions.

La plupart des TL sont le fruit d’une démarche ascendante (bottom-up) : un collectif d’acteurs locaux, se réunissant souvent de manière informelle, fait le choix de se structurer autour d’un lieu qui s’ouvre progressivement à l’extérieur. Les institutions interviennent plutôt en soutien et en accompagnement. Les fondateurs deviennent ainsi les gestionnaires de l’espace et assument la fonction d’animateurs.

Ils mobilisent leur expérience et leur réseau personnel et professionnel pour fédérer une communauté. Précisément, les animateurs assument un rôle de « passeurs de frontière » et de « courtiers en connaissance » dans l’écosystème local et régional. Autrement dit, ils identifient les acteurs et assurent les mises en relation. Ils doivent être capables de cheminer dans des environnements variés, de la réunion d’élus aux milieux underground, en passant par les clubs d’entreprises, fréquentés par des dirigeants locaux.

Signalons que le modèle économique des TL reste peu éprouvé. En conséquence, leurs fondateurs assument un risque élevé d’échec, avec une situation précaire et l’obligation de cumuler un autre emploi à plein temps. Leur dépendance aux aides extérieures implique de travailler avec les collectivités locales, même si certains refusent ce soutien pour pouvoir décider plus librement de leur organisation et de leur évolution.

Quel rôle pour les collectivités locales ?

Pour la collectivité, il s’agit d’accompagner le porteur plutôt que prendre la tête du projet. Cet accompagnement passe par une mise à disposition de moyens d’ingénierie : les porteurs de projet ne bénéficient en effet pas de toutes les compétences techniques et administratives nécessaires pour répondre à des appels à projets et préparer des dossiers de subvention. Bien que le modèle économique des TL reste fragile, leur soutien peut tout à fait s’intégrer à une stratégie de développement économique local, afin de légitimer une aide financière.

En termes de relations entretenues avec les collectivités locales, le degré de contractualisation constitue un point de vigilance. Les TL sont en effet des objets agiles, souples, adaptables, éphémères parfois. Leur aversion à la rigidité rend la mise en place de charte d’objectifs difficile, voire contradictoire. Il semble pertinent de considérer les porteurs de projets de TL plus comme des entrepreneurs que des responsables de service public. Leur accompagnement s’apparente à celui des créateurs d’entreprises.

La question des locaux constitue en outre une problématique centrale à laquelle peuvent répondre les collectivités : les mairies disposent d’un patrimoine immobilier et, de surcroît, d’un droit de préemption sur les locaux vacants. La valeur patrimoniale et l’identité culturelle du lieu sont importantes. Un TL au fin fond d’une galerie, d’une zone commerciale voire administrative, ou dans un espace sans caractère, pourrait-il fonctionner ? Par contre, le sens du lieu, son histoire, son architecture, son caractère, son image contribuent, à lui donner une crédibilité et une force.

Demain, des TL partout ? Oui, mais à quatre conditions

  • Les territoires doivent être équipés d’infrastructures suffisantes (haut-débit, fibre). Bien qu’il s’agisse sans aucun doute d’une condition indispensable, il ne faut pas perdre de vue que la technologie précède bien souvent les usages. Le télétravail existe ainsi depuis longtemps, mais il se développe massivement seulement depuis quelques années, les entreprises ayant pris le temps de l’expérimenter avant de le généraliser.

  • Le choix du lieu reste un point important. Les TL sont des nœuds de rencontres et d’information. En conséquence, il semble important de privilégier une implantation centrale pour favoriser la sérendipité : place du village, proximité de gare, quartier historique, etc. Les TL en périphérie de ville permettent toutefois un accès plus facile pour les travailleurs non urbains. Ces derniers peuvent aussi être le socle de création de nouvelles centralités. Les TL jouent le rôle d’activateur de proximités sociales, culturelles et cognitives, qui sont facilitées par la proximité géographique.

  • L’instauration de relations « flexibles » avec les collectivités locales semble renforcer la pérennité du lieu : une dépendance trop forte peut mettre en péril son existence, comme ce fut le cas à Beauvais où le TL a fermé avec le changement de majorité municipale.

  • Enfin, la dernière condition relève du besoin d’avoir un bon fondateur/animateur : ils ont un profil d’entrepreneur. Il s’agit dans ce cas de susciter la prise d’initiative locale et d’encourager les projets et la mise en réseaux.

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