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L'ISS vue de l'espace, avec la Terre en arrière-plan
La station spatiale internationale (ISS) est le fruit d'une coopération internationale. NASA

Bonnes feuilles : « À la conquête du cosmos, 60 ans d’aventures spatiales françaises »

Jacques Arnould est expert éthique au CNES et docteur en histoire des sciences. Dans l’ouvrage À la conquête du cosmos, 60 ans d’aventures spatiales françaises paru aux éditions Flammarion, il retrace l’implication des chercheurs français dans la conquête spatiale. Dans l’extrait qui suit, il s’intéresse plus particulièrement à la coopération internationale qui suivit la Seconde Guerre mondiale.


Nous ne le dirons jamais assez : l’espace est « d’après-guerre ». Non seulement parce que la mise au point d’une « arme de représailles » par les ingénieurs allemands, le célèbre V2, a fait franchir à la technologie des lanceurs un pas décisif ; non seulement parce que les grandes puissances ont cherché à développer des missiles intercontinentaux ; non seulement parce que le contrôle des accords de non-prolifération et de réduction des armements nucléaires a encouragé la mise au point et justifié le recours aux satellites-espions. Mais aussi parce que l’espace a contribué à l’émergence d’un « nouveau monde » que les deux conflits mondiaux du XXe siècle n’auraient sans doute pas permis a priori d’imaginer.

Symphonie

Symphonie : le nom du programme spatial conclu entre la France et la République fédérale d’Allemagne… est un programme à lui seul ! Signée entre les deux États le 6 juin 1967, la convention prévoit la construction, le lancement et l’utilisation d’un satellite expérimental de télécommunications, ainsi que la construction des stations nécessaires à son contrôle et à son utilisation. L’abandon du programme de lanceur européen Europa contraint les deux pays à se tourner vers les États-Unis ; le gouvernement américain finit par accepter de lancer Symphonie, mais à une condition : que le satellite franco-allemand reste expérimental et ne serve à aucune initiative, aucune opération commerciale.

Les Français et les Allemands font contre mauvaise fortune bon cœur et même plus encore. Ils ne se contentent pas de tirer tous les fruits possibles de ce satellite « bourré » d’innovations technologiques ; ils multiplient les démonstrations de l’utilité des télécommunications, aussi bien dans la gestion des opérations des Nations unies et de la Croix-Rouge qu’au profit de l’éducation, des échanges culturels transatlantiques ou même de la synchronisation des horloges atomiques. Sous la direction des deux pays européens, les satellites se montrent d’excellents instruments du mode symphonique, autrement dit de la coopération.

Avec l’Est comme avec l’Ouest

Ne versons pas pour autant dans la naïveté. Lorsque, le 15 juin 1966, la veille de son départ pour une visite officielle en Union soviétique, Charles de Gaulle s’adresse à ses ministres, il déclare : « Nous allons en Russie… Nous irons à Novossibirsk, la ville scientifique, à Baïkonour, la base spatiale, grand mystère ! » Le dernier mot n’est pas trop fort : pour la première fois, le cosmodrome soviétique va accueillir un chef d’État occidental. Enthousiaste et lucide, le président de la République ajoute : « Nous allons en Russie, pas tout à fait revêtu de probité candide et de lin blanc, mais sans arrière-pensées et sans préjugés. » Cette visite est le premier jalon d’une coopération qui n’a pas cessé depuis cette date, dans des domaines aussi divers que les satellites autour de la Terre, l’exploration automatique des planètes, les vols habités ou encore les lanceurs, puisque, depuis 2011, la mythique fusée Soyouz peut être lancée depuis le Centre spatial guyanais.

L’Ouest n’est pas négligé : dès 1962, alors qu’ils ne sont pas encore officiellement engagés par le CNES naissant, une douzaine de jeunes ingénieurs sont envoyés aux États-Unis afin de profiter de l’expérience de leurs aînés américains. Voulus par leur « chef », le professeur Jacques Blamont, ces liens personnels sont à l’origine de nombreux programmes d’exploration planétaire, d’observation de la Terre et de la mer, de missions d’astronautes, actuels et à venir.

Et n’oublions pas qu’aujourd’hui la station spatiale internationale, l’ISS, est le motif et le lieu d’une coopération singulière entre les États-Unis, la Russie, le Canada, le Japon et l’Agence spatiale européenne. Dans l’espace, grâce à l’espace, l’Ouest et l’Est ont été capables d’unir leurs moyens et leurs efforts.

Un patrimoine commun à respecter

Né « après guerre », l’espace est apparu comme un terrain d’expérimentation du « nouvel ordre économique mondial », conçu dans le contexte de la décolonisation et de l’émergence de nouveaux rapports entre le Nord et le Sud. Sont désormais plus explicitement revendiquées l’équité, l’interdépendance, l’égalité souveraine ou encore la coopération. C’est dans cet esprit qu’avant même de déclarer patrimoine commun de l’humanité le fond des mers et ses précieux gisements de nodules polymétalliques, les juristes de l’espace ont proposé que les corps célestes profitent de ce statut.

Couverture de l’ouvrage, montrant un casque de scaphandre, avec l’astronaute photographe se reflétant dedans
Flammarion

Loin de recueillir l’assentiment de tous les pays, une telle déclaration a aussi souffert du soupçon d’être empreinte d’une exorbitante revendication : comment les habitants d’un grain de poussière planétaire pourraient-ils prétendre posséder toutes les planètes sur lesquelles ils pourraient un jour poser un pied botté, porter une main gantée ou, en attendant, piloter les roues crantées d’un robot ? À moins que cette déclaration ne tienne d’abord à rappeler la responsabilité de tous à l’égard des territoires de l’espace et de leurs ressources, que le développement des techniques astronautiques met désormais à notre portée. Ce que nous appelons la « protection planétaire », autrement dit l’attention à ne pas perturber définitivement les territoires extraterrestres que nous atteignons, ni la Terre sur laquelle reviennent parfois nos robots explorateurs du cosmos, n’est donc qu’un morceau de la partition qu’il semble impératif de jouer de concert.

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