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Vue d’artiste d’une enzyme en train de réparer une molécule d’ADN (en gris). NIH, CC BY-NC-SA

Bonnes feuilles : « ADN, histoire de nos différences »

Couleur des cheveux, des yeux, taille, capacité à digérer le lactose, à résister à certaines maladies infectieuses… Notre ADN et notre environnement nous façonnent. Dans son ouvrage « ADN, histoire de nos différences », publié aux éditions Odile Jacob, Bernard Sablonnière, professeur de biologie moléculaire à la Faculté de Médecine de Lille, fait le point sur l’état des connaissances actuelles.


Gagnants ou perdants à la loterie génétique

Le concept de ≪ gène ≫ fut introduit par le biologiste danois Wilhelm Johannsen en 1909 : un élément immatériel qui aide à expliquer l’hérédité des caractères visibles d’un individu. Suite aux travaux de Gregor Mendel décrivant les lois de l’hérédité, le gène est considéré comme une unité abstraite et transmissible qui explique les ressemblances physiques entre parents et enfants.

Moine catholique et botaniste autrichien, Gregor Mendel (1822-1884) s’intéressa dès 1854 à l’hybridation des végétaux et à la façon dont les caractères passent d’une génération à l’autre. Les résultats de ses études sur les pois, publiés en 1866, lui permettront de formuler trois lois célèbres en génétique. Mendel a compris que ce ne sont pas les caractères eux-mêmes qui sont transmis, mais des ≪ facteurs héréditaires ≫, un élément matériel encore inconnu à son époque, que Wilhelm Johannsen appellera plus tard ≪ gène ≫. Wikimedia Commons

Ce concept correspondant au gène ≪ mendelien ≫ fut complété par un nouveau concept, le gène ≪ moléculaire ≫, lors de la découverte de la double hélice d’ADN en 1953. Cependant, plusieurs biologistes se sont affrontés pour aboutir à la meilleure définition d’un gène. En 2006, un consensus était adopté : ≪ Un gène est une région localisable de notre ADN correspondant à une unité transmissible et héritable ≫. Récemment, l’Organisation internationale de nomenclature du génome proposa une définition plus simple : ≪ Un gène représente un segment d’ADN qui contribue à une fonction exprimée dans notre phénotype. ≫ Comment ces gènes, petits morceaux d’ADN sont-ils transmis ? Pourquoi la reproduction provoque-t‑elle tant de différences entre parents et enfants ?

La transmission de ces traits multiples, ces caractères héréditaires inscrits dans nos gènes, dépend d’une loterie où se succéderont deux tirages successifs de boules numérotées. La première loterie a lieu lors de la formation des cellules reproductrices, les ovules chez la femme et les spermatozoïdes chez l’homme. Chacun des gamètes contient 23 chromosomes, dont un X maternel et un Y paternel. En effet, après la fécondation, toutes nos cellules contiennent chaque chromosome en double, un venant du père et un de la mère. Un homme peut ainsi fabriquer 223 spermatozoïdes différents et une femme 223 ovules différents. Le nombre de combinaisons proposées à chaque fécondation est donc d’environ 8 millions.

Puisqu’un chromosome abrite des centaines de gènes, ces combinaisons multiples assurent un premier assortiment génétique. La fécondation produit un œuf doté de 46 chromosomes, le hasard décidant, à partir d’un ovule et d’un spermatozoïde élus par leur rencontre, de l’assortiment génétique définitif. En théorie, cela représente 223 multiplié par 223 possibilités de combinaisons génétiques, soit plus de 70 000 milliards de combinaisons. C’est fait, le deuxième tirage du loto a eu lieu ! Chacun d’entre nous est ainsi unique et original.

Darwin et Lamarck : pourquoi sommes-nous différents ?

Jean‑Baptiste Lamarck et Charles Darwin sont les deux fondateurs historiques des théories dites de l’évolution des espèces. Le premier publia sa théorie en 1809 dans un livre intitulé Philosophie zoologique, et le deuxième publia sa théorie de la transformation des espèces en 1859, dans L’origine des espèces.

Portrait de Jean-Baptiste Pierre Antoine de Monet, chevalier de La Marck, dit Jean-Baptiste de Lamarck (1744-1829). Wikimedia Commons / RMN

Pour Lamarck, les variations interindividuelles observées chez les êtres vivants représentent le moteur de l’évolution des espèces qui se produisent sous l’effet de contraintes extérieures. Exemple : la girafe possède un long cou, car elle a été contrainte continuellement, du fait de la concurrence pour les ressources, de soumettre son corps à un effort physique pour atteindre les feuilles situées très haut dans les arbres. Cette habitude a modifié son organisme, induisant un caractère acquis – cou long – que l’on croyait alors héritable. Pour Lamarck, il n’y à pas ou peu de place pour l’aléatoire dans la transformation des espèces.

Darwin conteste vivement le rôle attribué par les naturalistes à l’influence des conditions extérieures. Selon lui, celles-ci n’exercent qu’un effet limité, le moteur principal de l’évolution des espèces est la survenue de variations spontanées, accidentelles et héréditaires à partir desquelles s’opère la sélection naturelle des individus les plus aptes à survivre dans un environnement donné. Les girafes présentant à la naissance une variation se traduisant par un cou un peu plus long avaient un petit avantage dans la compétition pour les ressources vitales dans leur environnement. Celles qui avaient la chance de naître ainsi ≪ mieux adaptées ≫ – bénéficiant d’une variation avantageuse – ont été plus nombreuses à survivre et à se reproduire et transmettre leurs gènes que leurs congénères moins bien loties, entraînant la généralisation progressive du caractère ≪ cou allongé ≫, et la disparition corrélative du caractère ≪ cou court ≫ dans la population de girafes. D’où l’évolution de l’espèce.

Photographie de Charles Darwin (1809-1882). Wikimedia Commons

Darwin n’avait aucune idée des mécanismes moléculaires de la sélection naturelle dont il façonnait le concept. Avec l’émergence moderne de la génétique moléculaire et la découverte de l’ADN, on s’est mis à parler de néodarwinisme : les bases moléculaires de l’évolution sont liées à l’apparition de changements aléatoires du message inscrit sur l’ADN, qui créent des variations génétiques se traduisant par une différence observable chez l’individu.

Le débat interroge cependant la communauté des biologistes évolutionnistes. En effet la fréquence d’apparition de nouvelles mutations génétiques avantageuses est extrêmement faible comparée à la survenue de variations du phénotype, surtout dans les conditions d’une pression sélective forte de l’environnement. Ainsi, plusieurs biologistes considèrent que les variations génétiques ne peuvent constituer l’unique moteur de l’évolution des espèces, et de la diversité des phénotypes. Cette discordance entre une évolution phénotypique parfois rapide et la rareté des mutations pourrait être expliquée en partie par l’influence de mécanismes épigénétiques.

L’épigénétique façonne les gènes

L’épigénétique est une branche de la biologie qui étudie les mécanismes agissant au cours de la vie de l’organisme et modifiant de manière réversible, mais transmissible, la fonction des gènes, sans en changer le message. De nombreux mécanismes épigénétiques, que nous ne détaillerons pas ici, influencent ainsi l’expression de nos gènes et expliquent pourquoi les cellules de nos organes sont différentes alors qu’elles possèdent le même patrimoine génétique dans leur ADN.

On peut comparer l’influence de l’épigénétique l’interprétation d’un texte lu par deux personnes différentes : les mots sont identiques, mais l’interprétation du texte n’est pas la même. L’un des fondateurs de l’épigénétique est Conrad Hal Waddington, biologiste et généticien britannique du XXe siècle. Il proposa que l’hérédité des caractères acquis, hypothèse couramment imputée à Lamarck, puisse être observée lors du développement, puisqu’un stress environnemental peut induire une réponse adaptative des gènes du développement, susceptible d’être transmis à la descendance.

Selon Kevin Laland, professeur de biologie à l’Université de St Andrews, en Écosse, la vitesse et la variabilité des changements qui ont jalonné l’évolution humaine ne suivent pas strictement les lois de Mendel et sont difficilement explicables par la génétique. Pour lui, l’épigénétique représenterait le chaînon manquant qui influence fortement l’effet de nos gènes sur notre phénotype. Ainsi il existe plusieurs discordances dans le phénotype et le comportement des vrais jumeaux.

Les données scientifiques sur les mécanismes épigénétiques, modifications de l’expression des gènes induites par l’environnement et transmises à la descendance, s’accumulent depuis environ 30 ans. Cependant, définir la part respective des gènes et celle de l’environnement sur nos facultés est un problème inextricable, car les deux y contribuent. Cette question revient à se demander si c’est la longueur ou la largeur d’un rectangle qui influencent le plus sa surface, pas facile !

L’environnement sculpte le phénotype

Si l’épigénétique contrôle et module la fonction des gènes, quel est le rôle réel de la survenue aléatoire des variantes génétiques dans l’adaptation de l’homme à son environnement ? Cette question est plus facile à étudier maintenant, depuis que les biologistes décortiquent les multiples différences du phénotype. On peut ainsi expliquer l’effet des mécanismes épigénétiques par l’influence de l’alimentation, ou de deux moteurs essentiels de la vie moderne : le stress ou le style de vie, et la pollution sous toutes ses formes.

Si les effets de la génétique et de l’épigénétique coexistent en réalité, alors quel rôle réel doit-on attribuer à l’effet de la sélection de variants génétiques sur la diversité humaine depuis plus de 50 000 ans ? On peut répondre assez simplement à cette question en suggérant qu’ils agissent à l’échelle macro-évolutive de milliers de générations. En revanche, les modifications mineures de notre phénotype en réponse à des pressions environnementales de quelques siècles voire moins, sont certainement davantage liées à l’effet de mécanismes épigénétiques.

Un bon exemple concerne les variations de la taille moyenne de l’homme. Sans détailler ici les gènes impliqués, les paléoanthropologues estiment que la taille moyenne des premiers Sapiens du paléolithique était proche de 1,80 mètre. Au néolithique, sans doute du fait de la diversification alimentaire, la diminution de la consommation de viande entraînant une baisse de l’apport en protéines, la taille moyenne des humains à diminué pour s’établir à environ 1,65 mètres jusqu’au milieu du XIXe siècle. Ensuite, lors d’une période courte d’environ un siècle et demi, la taille moyenne à augmenté d’environ un centimètre par décennie, témoignant très probablement de l’effet de la qualité de l’alimentation chez l’enfant et de l’amélioration des conditions d’hygiène et de vie réduisant les situations de stress physiologique pendant l’enfance et favorisant la croissance.


Pour en savoir plus :

- Bernard Sablonnière, « ADN, histoire de nos différences », éditions Odile Jacob.

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