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Bonnes feuilles : « Comment mieux prévenir les risques psychosociaux et accidents du travail ? »

En 2018 ont été recensés 651 103 accidents du travail, parmi lesquels 551 décès. Shutterstock

Les accidents de travail concernent près de 700 000 salariés en France, en 2018. Comment diminuer les risques ? Pour Nicolas Dufour Caroline Diard,et Abdel Bencheikh, une prévention ciblée et adaptée dans les entreprises pourrait permettre de contenir les conséquences de ces accidents et d’en réduire leur nombre, en particulier dans les secteurs les plus exposés comme le BTP.

À travers des études, enquêtes terrain et témoignages, ils mettent en avant l’importance du management dans l’efficacité de cette prévention, détaillée dans le livre « Préventions des risques psychosociaux et des accidents du travail » (Éditions Maxima), dont nous vous proposons ici les bonnes feuilles…

L’ouvrage est conçu sous forme de guide et répond à un triple objectif : opérationnel, technique et de partage d’expérience du terrain. Les accidents du travail et les risques psychosociaux y sont abordés à la fois d’un point de vue juridique et managérial afin de permettre une compréhension étendue du sujet et une bonne maîtrise de ses nombreuses implications.


La nécessité de réduire les accidents de travail

Les données de sinistralité relatives à l’année 2018 concernent une population de 18 875 562 salariés pour les 9 branches d’activités répertoriées. Cette année-là, il y a eu 651 103 accidents du travail dont 551 décès (cela correspond à 43 608 278 journées de travail perdues) et 97 543 accidents du trajet, dont 279 décès (un équivalent de 6 738 996 journées de travail perdues).

À titre de comparaison, la même année l’ensemble des maladies professionnelles ont représenté un équivalent 10 933 347 de journées de travail perdues.

Dans le tableau ci-dessous nous avons représenté les différents indicateurs d’accident du travail par branche d’activité […].

Tableau : Indicateurs d’accidents du travail par branche d’activité. Auteurs (D.R)

Le taux de fréquence et l’indice de fréquence ne permettent pas de mesurer les conséquences des accidents du travail. Le taux de gravité et l’indice de gravité sont là pour renseigner sur les impacts en termes d’incapacités temporaire et permanente causées par les accidents du travail.

Les secteurs considérés « à risques » tels que le BTP et les activités de services II qui englobent le travail temporaire présentent des indices de fréquence de respectivement 35,5 et 31,5 accidents par mille salariés. Les activités de services I qui concernent davantage les activités dans les secteurs financiers et administratifs affichent un taux de 6,8. Un travailleur du BTP a cinq fois plus de probabilité d’avoir un accident du travail qu’un travailleur du secteur bancaire ou assurantiel.

Quant aux conséquences de ces accidents du travail, elles sont six fois plus importantes en termes d’interruptions du travail […] lorsque l’on compare le BTP avec le secteur financier. Nous pouvons alors comprendre toute l’ampleur des accidents du travail pour les travailleurs les moins qualifiés qui opèrent physiquement dans un environnement à risque tel que les chantiers, comparés aux risques encourus lorsque l’on travaille dans un bureau ou derrière un guichet. Devant ce constat chiffré, la notion anglo-saxonne qui oppose les cols blancs et les cols bleus pour classifier les catégories de travailleurs prend tout son sens.

Des indicateurs précis existent depuis longtemps. Pour autant, on voit bien que la maîtrise des événements les plus fréquents, si elle est nécessaire, ne suffit pas à réduire les conséquences des accidents avec arrêt les plus graves.

Une prévention ciblée et adaptée doit permettre de contenir les conséquences des accidents du travail au-delà de réduire leur nombre. Par exemple l’analyse des accidents du travail par rapport aux facteurs suivants […], peut permettre d’établir des plans de prévention, des exigences en formation et en expérience professionnelle par risque identifié au préalable dans la fiche du poste du travailleur.

L’analyse des lésions occasionnées par les accidents du travail en fonction des parties du corps affectées doit aider non seulement à affiner les plans de formation et de prévention par métier et par type d’activité, mais permet aussi d’adapter les équipements, tant pour les personnes (chaussures, casque, gants, lunettes, habits…) que pour les activités (harnais de sécurité, échafaudage, filet de sécurité…) et les machines (système d’arrêt d’urgence, détection d’objet…).

L’importance de la prévention

Sur des marchés saturés, dans des économies stagnantes, et face à une concurrence qui s’internationalise, les entreprises soumises à toutes ces contraintes recherchent des manières de se démarquer. À cet effet, la gestion des ressources humaines constitue un élément clé de différenciation.

« Préventions des risques psychosociaux et des accidents du travail » de Nicolas Dufour, Caroline Diard et Abdel Bencheikh. Éditions Maxima

Dès 2005, Ulrich et Brockbank dans leur best-seller HR Value proposition, précisaient : « Les organisations et les personnes deviennent des actifs incorporels lorsqu’ils donnent aux investisseurs confiance en l’avenir, et des revenus tangibles ». Si ces éléments sont établis dans la littérature managériale, un aspect contribuant à la pérennisation des ressources humaines, en tant qu’actifs incorporels clés pour une organisation, reste largement sous-estimé.

Cet aspect consiste en la prise en compte des risques RH et de leurs impacts sur le développement d’une entreprise. Le recours aux méthodes, outils et techniques de gestion des risques RH doit permettre tant de renforcer le développement économique que d’améliorer la santé et la qualité de vie au travail pour les collaborateurs de l’entreprise.

Une étude menée sur plus d’un an dans le cadre de la commission « Risques RH » de l’AMRAE2 à partir d’interviews de Risk Managers en charge des processus de gestion des risques RH permet d’étayer nos propos.

L’étude a porté sur une trentaine d’entreprises nationales et inter – nationales opérant dans de différents secteurs et représentant au total plus d’un million de salariés. Elle a permis de répertorier trois familles de risques RH :

  • 52 % de risques internes dont 17 % : homme clé, taux de rotation, motivation ; 14 % : recrutement, formation, mobilité, gestion des compétences et 12 % : RPS, suicides, harcèlement, santé, TMS

  • 34 % de risques périphériques dont 14 % : conditions de travail, sûreté, sécurité et 13 % : réglementaire, contractuel, environnement professionnel, RSE

  • 14 % de risques externes dont 6 % : environnement social et 5 % : images, réputations

Ainsi, plus de 71 % des risques RH identifiés par les entreprises sont maîtrisables par une politique de gestion des risques et des ressources humaines proactive et préventive. Cela concerne la totalité des risques internes (Homme clé, taux de rotation, motivation, recrutement, formation, mobilité, gestion des compétences, risques psychosociaux, suicides, harcèlement, troubles musculo-squelettiques) ainsi qu’une partie des risques externes et périphériques (les risques de sûreté et de sécurité ainsi que les risques d’image et de réputation).

L’un des constats de notre étude est que les entreprises restent en pratique encore peu proactives quant à la gestion des risques RH et ce malgré les nombreuses affaires médiatiques qui ont marqué les esprits, notamment dans le secteur de la téléphonie, de la chimie ou encore dans l’industrie automobile.

La démarche de prévention

Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en 1948 : « la prévention est l’ensemble des mesures visant à éviter ou réduire le nombre et la gravité des maladies, des accidents et des handicaps ». Traditionnellement, les spécialistes distinguent trois types d’actions :

la prévention primaire […], la prévention secondaire […] et la prévention tertiaire […].

Éviter les accidents du travail c’est bien sûr déployer des actions de prévention aux trois niveaux évoqués. Mais la prévention primaire est un axe essentiel.

On constate que 82 % des dirigeants pensent que les actions de santé ont un impact sur la productivité (+ 8 points depuis 2014). Pourtant, la mobilisation des acteurs à l’égard de la prévention est assez bien corrélée avec la taille des entreprises, dans les secteurs où la gravité du risque est importante. Pour autant, il existe aujourd’hui des relais externes pour déployer des actions nombreuses de prévention.

En revanche, la question de la prévention de l’accident du travail porte désormais sur des populations de travailleurs détachés, intérimaires et autres travailleurs ubérisés du monde du travail contemporain. […]

Finalement en Europe aujourd’hui la question de la prévention des risques se pose moins en termes de taille d’entreprises que par rapport aux nouvelles formes de salariat : détachés, mis à disposition, etc. L’autorisation du travail détaché en Europe a conduit à développer des formes de travail dont les contours ne permettent pas toujours de maintenir le collaborateur dans le spectre de la prévention.

La prévention des risques du travail en Europe se pose en termes de nouvelles formes de salariat, comme celle des livreurs des plates-formes. Shutterstock

En 2014, Marie-Cécile Amauger-Lattes, maîtresse de conférences en droit du travail à l’Université de Toulouse attire l’attention sur ce sujet : derrière ce dispositif, il y a des pratiques douteuses. Par exemple, des entreprises françaises créent des sociétés fictives ailleurs en Europe afin de recourir à des travailleurs détachés. On en voit par exemple à la Jonquera, à la frontière franco-espagnole, ou au Luxembourg.

Il existe aussi des entreprises qui jouent les réservoirs de main-d’œuvre : une société établie par exemple en Pologne va recruter en Roumanie pour envoyer ensuite ses salariés en France. Nous avons eu des cas de travailleurs chinois embauchés en Allemagne et détachés en France.

Sans qu’elles donnent lieu à des fraudes aux organismes sociaux, on voit bien en quoi ces pratiques peuvent éloigner les « collaborateurs » des campagnes de prévention des risques professionnels. Ces pratiques concernent une main-d’œuvre souvent moins vigilante au port des équipements de protection individuel (EPI) et peu sensible à l’exercice du droit d’alerte auprès d’élus du personnel parfois inexistants. Par exemple, l’entreprise va s’avérer être une structure éphémère créée pour lancer un programme de développement de l’énergie électrique financée par l’État.

Le cas d’une chute en entreprise

Au sein de l’entreprise U, une PME de 300 collaborateurs intervenant dans le secteur des services financiers, la problématique des enjeux de sécurité était sous-estimée. Ainsi, si une cartographie des risques avait bien identifié le risque de chute et si le document unique l’indiquait, le sujet ne faisait pas l’objet d’audit de sécurité-prévention régulièrement.

Un signalement avait indiqué que dans les escaliers de secours le risque de chute était considéré comme probable, notamment car l’éclairage automatique tardait à s’allumer à l’arrivée de collaborateurs. Une alerte avait indiqué que l’allumage prenait près de 5 secondes au lieu de 2 normalement. Les consignes relayées par les moyens généraux, en charge également du sujet sécurité, étaient de prendre l’ascenseur plutôt que les escaliers le temps qu’un prestataire intervienne. Trois semaines passent.

Un jour, l’une des collaboratrices, Mme C. âgée de 56 ans, pressée par son activité et lassée d’attendre que la lumière s’allume, refuse de prendre l’ascenseur pour un étage. Elle se dépêche, sans attendre les 5 secondes de délai d’allumage de l’éclairage automatique dans les escaliers et chute dans l’escalier, se blessant à la nuque et aux cervicales.

Le signalement non traité d’un défaut d’éclairage dans les escaliers de l’entreprise, a entraîné la chute d’une salariée. Shutterstock

Une incapacité de travail de plus de trois mois en résultera. La collaboratrice ne reviendra plus à son poste de travail en raison d’aggravation de son état de santé plusieurs mois après l’incident (au total 14 mois cumulés d’arrêts de travail en deux ans).

Cet exemple, s’il n’est pas rare dans les organisations, illustre l’importance de ne pas négliger de petits facteurs de risque, même anodins, voire insignifiants de prime abord.

Pour tout ce qui touche à la sécurité, attendre est toujours le meilleur moyen de laisser survenir le risque.

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