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Bonnes feuilles : « De Chamonix à Beijing. Un siècle d’olympisme en hiver »

Le tremplin olympique du Mont lors du concours de saut à ski de 1924. Agence de presse Meurisse/Wikipedia

Le 23 juin 1894, lors du congrès de l’Union des sociétés françaises de sports athlétiques (USFSA), Pierre de Coubertin, dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne, proclame le rétablissement des Jeux olympiques de l’ère moderne. À cette occasion, devant la popularité des sports de glace, le congrès adopte le patinage comme épreuve olympique. Concernant le ski, il faut attendre les Jeux de Chamonix en 1924.

Deux ans plus tard, les premiers Jeux olympiques se déroulent à Athènes du 6 au 15 avril 1896. Deux cent quatre-vingts athlètes prennent part aux épreuves.

À la suite des décisions du congrès deux ans auparavant, le patinage doit figurer parmi les disciplines au programme des Jeux. Mais il n’en est rien, faute de pouvoir disposer d’une patinoire artificielle ou de bassins glacés. D’autres initiatives sont tentées pour inclure les sports de glace dans les Jeux mais toujours avec beaucoup de difficultés.

En 1908, aux IVes Jeux olympiques de Londres, organisés du 27 avril au 21 octobre, le patinage fait son entrée comme discipline olympique. Trois types d’épreuves sont organisés : hommes, femmes et couple. Aucun Français ne participe à ces épreuves où l’on constate la suprématie des Suédois, et plus spécialement du fameux Ulrich Salchow, des Allemands et des Anglais pour les épreuves individuelles femmes et en couple.

Dans ses Mémoires olympiques, le Baron Pierre de Coubertin revient sur ces Jeux de Londres qui lui apparaissent peu satisfaisants par leur découpage. Ils se déroulent en deux parties : jeux d’été et jeux d’automne. Le patinage figure dans ces derniers. Selon lui, « ce n’était pas une heureuse solution, mais les préjugés régnant sur l’Angleterre concernant les saisons sportives l’avaient rendue nécessaire ».

Aux Jeux suivants, qui ont lieu du 5 au 22 juillet 1912 à Stockholm, en Suède, le patinage artistique est annulé. Les Scandinaves ne veulent à aucun prix organiser des Jeux d’hiver. Les Norvégiens et les Suédois craignent fortement la concurrence de ces jeux avec ceux qu’ils organisent depuis 1900, appelés Jeux du Nord. Certains suggèrent même de les appeler Jeux d’hiver en leur donnant un numéro comme les Jeux olympiques.

Pierre de Coubertin, dans ses Mémoires olympiques, souligne les difficultés rencontrées par ces Jeux d’hiver. Londres, qui possède un « palais de glace », a pu organiser en 1908 des épreuves satisfaisantes. Mais en 1912, la ville de Stockholm a saisi avec empressement l’argument qu’elle ne possède aucune infrastructure pour organiser des épreuves de patinage. Ainsi, les Scandinaves ont échappé à la fin des Jeux du Nord. Néanmoins, il apparaît incontournable, pour Pierre de Coubertin, d’inclure les sports d’hiver dans le programme olympique car ils rassemblent un grand nombre de nations.

Mais comment inclure les sports d’été avec ceux d’hiver ? Il n’est pas concevable d’exiger « des pays organisateurs des Jeux olympiques qu’ils érigent une chaîne de montagnes, achetée d’occasion, ou faite sur mesure ». Pierre de Coubertin pense qu’il faut constituer une sorte de cycle d’automne relié aux Jeux d’été. « C’était évidemment l’unique solution, pleine d’inconvénients quand même ».

Lors des Jeux olympiques de 1920, organisés du 23 avril au 12 septembre à Anvers, en Belgique, le patinage, avec ses trois types d’épreuves, réapparaît, accompagné désormais du hockey sur glace. Quant à la délégation française, elle compte dans ses rangs un couple de patineurs : Simone et Charles Sabouret qui se classent septièmes de l’épreuve en couple, remportée par les Finlandais Ludowika et Walter Jacobsson.

Les Scandinaves sont de plus en plus agacés par ce type d’épreuves et s’opposent à toute tentative d’intégrer les sports d’hiver dans les Jeux d’été.

Pierre de Coubertin a un souci majeur, celui d’établir l’égalité entre chaque sport. Désormais, les sports d’hiver sont aussi importants que les sports d’été. Mais les Norvégiens, les Finlandais et les Suédois ne souhaitent en aucun cas qu’une autre nation gère ces épreuves. Les Scandinaves veulent conserver leur monopole dans le cirque blanc par le biais de leurs Jeux du Nord. Par ailleurs, ils pensent que personne ne peut être aussi compétent qu’eux pour organiser ces Jeux.

Lors du septième congrès de Lausanne, organisé en juin 1921, Pierre de Coubertin, en fin diplomate, met en place une rencontre entre spécialistes des Jeux d’hiver.

Finalement, au terme du congrès, on décide de ne pas créer des Jeux d’hiver, pour ne pas froisser les Scandinaves, mais d’organiser tout simplement une « semaine de sports d’hiver ». Pierre de Coubertin l’écrit clairement dans ses Mémoires olympiques : « Finalement il fut entendu que la France si elle était désignée (elle ne l’était pas encore, mais ne pouvait pas ne pas l’être) aurait le droit d’organiser en 1924 à Chamonix, une semaine de sports d’hiver, à laquelle le Comité international olympique donnerait son patronage mais qui ne ferait pas partie des Jeux.

Cette décision ravit de nombreux pays entourés de montagnes tels que l’Allemagne ou l’Autriche qui manifestent un grand enthousiasme pour les sports d’hiver.

Pierre de Coubertin écrit alors que « les Jeux d’hiver n’en étaient pas moins fondés malgré les Scandinaves qui finissent par renoncer à leur intransigeance et comprendre qu’en face de la Suisse et du Canada notamment, ils ne pouvaient plus se réclamer du monopole de fait qu’ils avaient longtemps exercé ».

Sous la présidence du baron Pierre de Coubertin se tient la 24e session du CIO à l’hôtel de ville de Prague, du 26 au 28 mai 1925. Le principal objectif de cette session consiste à préparer les dossiers qui seront débattus au congrès qui débute le 29 mai. Durant la séance du mercredi matin 27 mai, le CIO aborde la question des sports d’hiver et, notamment, « il a été proposé de les grouper en un cycle spécial. M. de Polignac appuie chaleureusement un tel projet ». Durant la séance de l’après-midi, le marquis Melchior de Polignac, membre français du CIO, présente la charte des Jeux d’hiver suggérée par la commission exécutive.

Le texte, après quelques modifications, est adopté : « Le Comité international olympique institue un cycle distinct de Jeux olympiques d’hiver. Ces Jeux auront lieu la même année que les Jeux olympiques. Ils prendront le nom de premiers, deuxièmes, troisièmes Jeux olympiques d’hiver et seront soumis à toutes les règles du protocole olympique. Les prix, médailles, diplômes et documents divers devront être différents de ceux employés pour les Jeux de l’olympiade en cours (le terme olympiade ne sera pas employé). Le Comité international olympique désignera la localité où seront célébrés les Jeux olympiques d’hiver, en réservant la priorité au pays détenteur des Jeux de l’olympiade à la condition que ce dernier puisse fournir les garanties suffisantes de sa capacité d’organiser les Jeux d’hiver dans leur ensemble ».

À l’issue de la session, le jeudi 28 mai, le comte Henry de Baillet-Latour est élu président du CIO pour une durée de huit années (1925 à 1933).

Le lendemain de cette élection s’ouvre le huitième congrès, qui se déroule toujours à Prague du 29 mai au 4 juin 1925. C’est en réalité un double congrès : pédagogique et technique.

La commission VI du congrès technique doit traiter du point 12 de l’ordre du jour : « Questions spéciales concernant les Jeux d’hiver. Projet d’un cycle distinct. » Cette commission est présidée par le comte Clary et se compose de : baron de Blonay, Dr Diem, Dr Frey (avec voix consultative), Schlesinger, Hearne, Mulqueen, Stenberg, Bonacossa, Falchenberg, Hirschy, Rössler-Orovsky et Lucassen.

Le dimanche 31 mai à la Maison municipale de Prague, la commission VI présente son rapport au congrès. Deux points majeurs sont retenus par la commission à l’unanimité moins une voix : l’institution d’un cycle de Jeux olympiques d’hiver et le vœu de nommer Premiers Jeux olympiques d’hiver, les Jeux d’hiver célébrés à Chamonix en 1924. À l’issue des débats, le congrès approuve la décision d’instituer un cycle de Jeux olympiques d’hiver. Quant à la question d’accorder le titre de Premiers Jeux olympiques d’hiver à Chamonix, cette décision est mise au vote :

« Le Président demande à l’assemblée de voter sur l’opportunité d’un vœu à exprimer au CIO afin de faire donner le titre de “Premiers Jeux olympiques d’hiver” aux Jeux Chamonix 1924. Le congrès se prononce en faveur de ce vœu par 45 voix contre 15. MM. De Rosen, Falchenberg, Hulbert, Thompson, Lewald et Sander demandent qu’il soit pris acte qu’ils votent contre. »

À Lisbonne, à l’occasion de la 25e session, les membres du CIO ont voté, le jeudi 6 mai 1926, trois décisions importantes :

« Saint-Moritz est désigné pour la célébration des Jeux d’hiver de 1928 [par 22 voix et une abstention] ;

L’attribution du titre de 1ers Jeux olympiques d’hiver aux Jeux de Chamonix 1924 est décidée ;

La durée des Jeux d’hiver est limitée à huit jours, dont deux dimanches. »

Couverture du livre De Chamonix à Beijing. Un siècle d’olympisme en hiver. Fourni par l'auteur

Cette décision constitue une victoire pour Pierre de Coubertin qui quittera officiellement la présidence du CIO le 1er septembre 1925. Il annonce que « les Jeux d’hiver avaient victoire complète. Nos collègues scandinaves convaincus et convertis s’étaient ralliés sans restriction. J’en étais heureux, ayant toujours souhaité voir cette annexe hivernale dûment légalisée, mais je me reproche d’avoir alors laissé pénétrer dans mes codes, sous le titre de Charte des Jeux d’hiver, un texte qui pourra créer des embarras. Il eût fallu au contraire interdire tout numérotage à part et donner à ces concours le numéro de l’olympiade en cours. »

Les Jeux olympiques d’hiver sont enfin reconnus en tant que tels, au même titre que les Jeux olympiques d’été. Après ces querelles d’influence, Chamonix devient la première station de sports d’hiver à organiser cet événement planétaire. Ainsi, 1924 marque le grand début de l’ère des Jeux olympiques d’hiver.


Cet extrait est issu de l’ouvrage « De Chamonix à Beijing. Un siècle d’olympisme en hiver » publié aux éditions Désiris.

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