Surnommée depuis longtemps « l’usine du monde », la Chine ne se contente toutefois plus d’exporter des produits manufacturiers bas de gamme. En effet, avec ses exportations de voitures électriques (VE), de panneaux solaires et de batteries à lithium, la Chine est en train de conquérir le marché vert américain et européen. Elle se retrouve aujourd’hui pour cette raison sur le banc des accusés. L’Union européenne et les États-Unis, notamment, lui reprochent sa « surcapacité industrielle ».
La Chine a aussitôt répliqué : « au niveau mondial, la capacité verte n’est pas en excès, elle est en pénurie. Le problème n’est pas la surcapacité mais l’anxiété excessive ». Le problème de la surcapacité chinoise reste toutefois entier. On peut en effet se demander ce qui, s’agissant de l’industrie manufacturière chinoise, et au-delà de la bataille rhétorique, inquiète l’Union européenne et les États-Unis.
Candidate au doctorat en science politique à l’Université de Montréal, je travaille sur la relation entre la Chine et les pays de l’Asie du Sud-Est, et sur la comparaison entre l’Union européenne (UE) et l’Association des Nations de l’Asie du Sud-Est (Asean).
Des subventions abondantes
Pour les Européens et les États-uniens, la surcapacité de la Chine se résume en deux éléments principaux : les subventions massives du gouvernement chinois et la demande dérisoire du marché intérieur. Ces deux éléments font en sorte que l’offre stimulée par le financement public dépasse largement la demande domestique. Les produits chinois inondent ainsi le marché international. À un prix très concurrentiel, ils menacent la survie des autres fabricants nationaux.
Les subventions du gouvernement chinois sont particulièrement présentes tout au long de la chaîne de production « verte » : des prêts bon marché, un accès peu coûteux à la terre, d’énormes investissements dans les infrastructures, ainsi que des primes pour les consommateurs font partie de la stratégie chinoise. Les subventions chinoises dans l’industrie verte sont ainsi de 3 à 9 fois plus élevées que celles des pays dans l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).
Ces investissements d’État se répercutent sur la production et la consommation : en 2023, dans les industries de VE, de panneaux solaires et de batteries à lithium, la Chine contrôle en moyenne 71 % de la production mondiale (VE 60 %, panneaux solaires 80 % et batteries à lithium 74 %) et enregistre en moyenne 66 % des ventes mondiales (VE 60 %, panneaux solaires 80 % et batteries à lithium 60 %.
Néanmoins, ces chiffres sont à prendre avec des pincettes. Bien que la Chine représente aujourd’hui le plus grand producteur et vendeur de produits « verts », le marché intérieur chinois en fait la part du lion, puisqu’il représente presque 90 % de la production chinoise pour les VE et les batteries à lithium, ainsi que 60 % pour les panneaux solaires, selon le rapport de la Chambre du commerce chinoise pour l’importation et l’exportation de la machine et des produits électroniques.
Le financement d’État fait également en sorte que, pour le même modèle, le prix d’une VE vendue en Chine est la moitié du celui sur le marché européen. Financement mis à part, les VE chinoises coûtent en réalité presque la même chose que les VE européennes. Ces dernières représentent par ailleurs toujours la part majeure du marché européen.
Un changement à l’horizon ?
Cependant, un récent facteur pourrait changer la donne. Le gouvernement chinois a en effet mis fin à toutes les subventions aux panneaux solaires et aux VE fin 2022. Cela pourrait avoir des conséquences négatives sur le marché domestique et entraîner une exportation encore plus importante vers le marché international.
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L’UE aurait donc eu bien raison de sanctionner les VE chinoises. Il est toutefois à prévoir que les entreprises chinoises auront leurs manières de contourner les sanctions. Elles pourront notamment s’associer aux fabricants européens. C’est le cas pour XPeng et leapmotor, deux groupes chinois qui ont signé, en 2024, un accord de collaboration respectivement avec Volkswagen et stellantis, les deux premiers fabricants des VE en Europe.
Usine du monde, version haute de gamme ?
Le problème que représente l’industrie chinoise aux yeux de ses compétiteurs économiques ne provient pas tant de sa « surcapacité » en matière de production, que de la mutation de son modèle économique, lequel se déploie désormais dans les produits haut de gamme avec son fameux projet « made in China 2025 ». Ce changement de paradigme a permis l’essor, en moins de 20 ans, d’une industrie verte chinoise avant même que les gouvernements occidentaux n’aient véritablement eu le temps de s’y préparer.
Lors de l’entrée de la Chine au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en 2001, le marché occidental subissait déjà un premier choc : le fameux « made in China » était presque une moquerie tant les produits pouvaient être de piètre qualité. Mais depuis, les prix cassés des articles chinois se sont révélés être une stratégie tenace.
Le deuxième choc vient juste de commencer et risque d’avoir des conséquences beaucoup plus sévères que le premier. Cette fois-ci en effet, la Chine réunit exceptionnellement quatre atouts : (1) Elle représente 30 % de l’industrie manufacturière globale ; (2) sa main-d’œuvre demeure relativement bon marché ; (3) elle a une capacité technologique avancée ; (4) ses subventions étatiques sont abondantes.
Le défi que pose la Chine à l’industrie verte occidentale est ainsi important. Au-delà des subventions étatiques et de la « surcapacité industrielle » chinoise, les avantages comparatifs des entreprises chinoises dans cette industrie y sont également pour quelque chose.
Prenons l’exemple de la VE, dont 30 % à 40 % du prix provient de la batterie. BYD, le plus grand fabricant de VE en Chine, est presque autosuffisant tout le long de la chaîne de production, puisqu’il produit non seulement la plupart des pièces critiques de la voiture, mais surtout sa batterie.
Après les sanctions, un meilleur avenir pour les fabricants locaux ?
L’industrie verte est le maillon clé pour accomplir l’agenda climatique. Cependant, ce n’est pas toujours évident de convaincre les parties intéressées de changer de voie, surtout quand le coût de la transition est important.
L’Europe et les États-Unis accusent la Chine de subventions massives, et ils ont bien raison. Cependant, pour qu’une nouvelle industrie prospère et arrache sa part de marché dans une compétition globale de plus en plus féroce, fermer son marché à la concurrence externe n’est que la première étape.
L’Europe et les États-Unis doivent revoir leurs politiques industrielles, et l’État doit intervenir là où il faut.