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« Brexit » : quelques pensées pour ceux qui restent

David Cameron a annoncé qu’il démissionnerait en octobre 2016. Leon Neal/AFP

Le « Leave » l’a finalement emporté dans le référendum sur le maintien du Royaume-Uni dans l’Union européenne (UE), au terme d’une campagne aussi intense qu’indécise. Les conséquences économiques, politiques, institutionnelles et géopolitiques à long terme de la décision des sujets de Sa Majesté sont encore incertaines. Le maintien du Royaume-Uni dans l’UE au final n’est même pas à exclure. Mais cet épisode du « Brexit », nocif pour le Royaume-Uni et l’UE quel que fût le résultat du vote du 23 juin, implique déjà quelques conséquences et leçons pour ceux qui restent.

La sortie de l’UE : a long and winding road…

Si le résultat du vote du 23 juin doit être respecté, la sortie du Royaume-Uni de l’UE est loin d’être réglée : à la suite d’une probable activation de l’article 50 du traité de Lisbonne (par lequel un État membre peut demander à sortir de l’UE), des négociations extrêmement complexes vont devoir se tenir entre le Royaume-Uni et ses partenaires européens.

Sort du Royaume-Uni vis-à-vis du marché intérieur, départ et remplacement des fonctionnaires britanniques travaillant au service de l’UE, traitement réservé aux dizaines d’accords commerciaux signés par l’UE avec des acteurs tiers peuvent prendre des mois, voire des années à être traités. Le chemin sur le « Brexit » est donc long et parsemé d’embûches.

Il risque d’occuper les 27 autres États membres de l’UE et les institutions européennes à autre chose que l’empilement déjà déstabilisant des crises et défis à relever : réfugiés et migrants, redressement économique et social, lutte contre le terrorisme, etc.

Les Européens se seraient bien passés de devoir se plonger dans les conditions d’un divorce au moment où la maison Europe prend feu. Ils vont, dans ce contexte, avoir la tâche difficile de trouver une attitude de négociation qui ne soit ni punitive à l’encontre des Britanniques, ni incitative pour d’autres « leavers » putatifs.

Dangers et vertus des référendums sur l’Europe

L’organisation de référendums sur les enjeux européens effraie de nombreux partisans de l’UE qui y voient, non sans raison, une menace pour le fonctionnement de l’Union telle qu’elle va et la fluidité des ratifications d’engagements pris au niveau européen par les gouvernements des États membres. Volatilité de l’opinion publique, volonté de sanctionner les gouvernements en place, irrationalité des attitudes et positionnements sur l’UE, ressentiment et rejet croissants à l’égard de l’Europe sont notamment redoutés et reprochés aux citoyens.

La logique binaire (oui/non, in/out) inhérente à tout référendum est intrinsèquement porteuse de raccourcis, de simplifications, d’arguments arbitraires, de caricatures. La campagne qui vient de se dérouler au Royaume-Uni n’aura pas échappé à la règle. Les deux camps ont fait campagne sur la peur (peur de l’immigré et de la dépossession de la souveraineté démocratique face à « Bruxelles » du côté du « out », peur d’un cataclysme économique du côté du « in »), caricaturant les partisans adverses et leurs positions, distordant souvent la réalité pour défendre leur position. Les référendums obligent à une simplification et une radicalisation des positions et discours.

Gueule de bois du lendemain… Leon Neal/AFP

Dans une Europe en proie aux poussées populistes et aux crispations identitaires, mais aussi à l’incapacité des institutions européennes et partis traditionnels à articuler une vision politique économique et sociale cohérente, le référendum et sa logique binaire offre une occasion aussi réjouissante que redoutable de défouloir démocratique. Les gouvernements européens qui souhaiteraient organiser des référendums sur l’Europe par calcul ou intérêt politique à l’avenir savent désormais qu’il s’agit d’un instrument démocratique clivant, créateur de tension et à l’issu incertaine. Encore plus que la France en 2005, le Royaume-Uni sort divisé et fragilisé de cet épisode.

Débat démocratique

La dramatisation des enjeux induite par le référendum a, néanmoins, pour effet positif de provoquer un débat démocratique et citoyen sur les enjeux européens beaucoup trop rare par ailleurs. Le simplisme de certains arguments ne doit pas faire oublier que seuls les référendums produisent de telles poussées de débats contradictoires sur les questions européennes. Même les élections européennes ne parviennent pas à soulever un tel intérêt.

Une Union privée de la cinquième économie mondiale. Freestocks/Flickr

Le Royaume-Uni a ainsi connu ce que la France avait vécu au printemps 2005 : un moment rare et bienvenu malgré tout d’intensification du débat, et d’appropriation des enjeux européens par les citoyens. Il existe un paradoxe réel à ce que les institutions européennes et partis « pro-UE » cherchent à promouvoir le débat, l’information et la sensibilisation sur l’Europe tout en redoutant comme la peste la tenue de référendums sur ce sujet. La pression pour l’organisation de telles consultations va croître encore à l’issue de cet épisode du « Brexit ».

La clarification du « modèle européen » : mission impossible ?

Sursaut fédéraliste ou reprise en main intergouvernementale ? L’empilement des crises européennes depuis 2008 – crise financière, bancaire, monétaire, économique, sociale, identitaire, morale, institutionnelle, etc. – a ceci de particulier que si les diagnostics en sont relativement convergents, les remèdes proposés par les acteurs et observateurs de l’UE sont très divergents.

Pour les partisans de l’UE les plus fédéralistes, c’est en faveur d’un saut vers davantage d’intégration que plaide la crise multiforme que traverse l’Union : difficultés et manque de coordination sur la gestion de la crise migratoire, sur les politiques économiques et fiscales, etc., sont le signe qu’une Union plus poussée et plus politique est plus que jamais nécessaire.

Pour d’autres, les mêmes difficultés, associées aux résistances et réticences des citoyens européens à l’égard de certaines dimensions et pratique de l’UE plaident, au contraire, pour un meilleur contrôle des politiques par les États membres, leurs représentations nationales, leurs citoyens, voire pour une renationalisation de certains pans de la construction européenne : si l’UE ne marche pas, c’est qu’il faut moins d’UE, pas plus…

Le Royaume-Uni prend le large. portal gda/Flickr

Le « modèle communautaire » que nous connaissons, accommodement historique entre une approche supranationale et une approche intergouvernementale de la construction européenne, est vivement fragilisé et contesté aujourd’hui et rend une clarification souhaitable.

Mais cette clarification sera difficile : le Royaume-Uni et David Cameron ne sont en effet pas les seuls empêcheurs d’européaniser en rond dans l’UE, et même des États membres comme la France se vantant d’être porteurs d’un projet européen ambitieux ne sont pas en situation de proposer un agenda porteur pour les années à venir. La grande clarification du projet européen que beaucoup appellent à juste titre de leurs vœux semble, aujourd’hui, une mission impossible.

La pire des réponses au référendum du 23 juin de la part de « ceux qui restent » serait de reprendre à leur compte la pensée du héros du Guépard de Lampedusa : Il a bien fallu que tout change pour que tout puisse rester comme avant. L’épisode du « Brexit » est déjà un épisode délétère pour le Royaume-Uni et l’UE. Il le sera encore plus s’il ne servait de tremplin pour relancer le projet européen.

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