Une récente étude chez les Mossi, l'un des principaux groupes sociaux-culturels du Burkina Faso, révèle que la lutte pour l’amélioration de la condition de la femme nécessite que ne soient pas occultées les solutions endogènes émanant des pratiques de ces communautés. Elle révèle l’existence de pratiques traditionnelles non écrites de promotion des droits des femmes à travers des prérogatives et un système d’autorité. Fabrice Zoéwendsaongo Ouédraogo, l’un des auteurs de ces travaux, explique à The Conversation Africa, les résultats de cette étude et fait le point sur la situation juridique des droits de la femme au Burkina Faso.
Vous êtes l’un des auteurs d’une étude récente sur les droits et les conditions des femmes chez les Mossi du Burkina Faso. Qu’est-ce que vous avez découvert ?
Nos travaux ont porté sur les droits des femmes dans un ordre juridique endogène, celui des Moose (Mossi dans certains documents), un groupe socio-culturel vivant au Burkina Faso.
Nous avons découvert que chez les Mossi, en vertu du droit lignager - ensemble de normes régissant les membres de la lignée et du lignage -, le statut matrimonial de l’homme détermine sa place dans la communauté et c’est la femme qui permet à l’homme de se valoriser et d’acquérir un statut social honorable. La femme est perçue comme un être dont la présence aux côtés de l’homme est indispensable pour remplir la condition d’homme. Il ne s’agit pas d’un rôle complémentaire ni de dominée, mais déterminant au sein groupe.
La condition masculine n’a de sens dans la société traditionnelle mooaga (singulier de Mossi ou Moose) qu’en vertu du respect obligatoire des règles entourant la condition féminine. Il s’agit d’un impératif social.
Il s’avère difficile de nier le caractère juridique de ces pratiques puisque le droit se définit comme :
…l’ensemble des règles imposées par la société, que ces règles soient écrites ou orales, nées de la législation ou de pratiques populaires.
Comment cela se traduit-il dans ce cas précis ?
Le droit endogène des Mossi confère un droit institutionnel à la femme à travers le terme Pʋg-kẽema qui signifie l’aînée des épouses. Il s’agit d’une fonction sociale correspondant à des responsabilités. Ce statut est conféré à l’épouse de l'aînée de la lignée ou du lignage. Elle peut être moins âgée que toutes les autres femmes. Mais l’âge de son mari est utilisé pour lui donner le titre de l’aînée des femmes.
Il peut s’agir de la femme du chef. On l’appelle na-paga, ce qui signifie la femme du chef. Mais l’expression qui convient réellement, c’est Pʋg-kẽema. Elle participe à la gouvernance. Il existe une différence entre l’aînée des femmes et la femme la plus âgée. Le droit moaaga (singulier de Moose,Mossi) introduit cette distinction pour rendre compte des responsabilités liées à chaque catégorie. Le pʋg-kãsma (doyenne) est une fonction conférée à la doyenne d’âge. En revanche, l’épouse du doyen d’âge acquiert une fonction sociale et est appelée selon la coutume moaaga, Pʋg-kẽema.
Chez les Mossi de la région du Plateau Central, les droits de participation de la femme sont inhérents à sa présence dans le groupe, quel qu’en soit l’échelle d’organisation sociale. Le système de régulation de ces institutions est à l’origine d’un droit lignager de gestion des conflits conjugaux. C’est pourquoi selon certaines coutumes, les alliances matrimoniales avec les lignages au comportement violent envers les femmes étaient refusées.
Ces droits existent-ils toujours ? Sont-ils toujours respectés?
Oui, ces droits existent toujours. Ces pratiques ont acquis une certaine juridicité du fait de leur caractère vital, répétitif et intégré dans la conscience populaire Par exemple, à l’échelle du ménage, c’est le statut de marié qui confère à l’homme une place dans le cercle de décision familiale. Au sein de la lignée, l’absence de femme ou le défaut de statut de marié constitue un motif de refus ou de retrait du statut de doyen des patriarches.
Le statut de chef traditionnel est mis en jeu lorsque celui-ci se retrouve sans épouse. C’est un impératif juridique issu des règles d’accession au trône dans la tradition juridique des Mossi. La présence d’une femme est une condition de légitimité de la royauté. Il en est de même du dépositaire du pouvoir de décision au sein du groupe.
Que faut-il faire pour les préserver ?
Limiter le droit aux seuls textes écrits relève d’un simplisme juridique car je cite le Français Jean Carbonnier.), professeur de droit privé et spécialiste de droit civil dans Flexible droit (1995): “le droit est plus petit que l’ensemble des relations entre les hommes”.
La découverte de ces institutions et leur mode de fonctionnement permet d’envisager un ancrage juridique socialement accepté. Comme l’affirme Lamchichic Abderrahim, enseignant en science politique, en parlant de la place de la femme en droit musulman dans _Condition féminine (2002) :
il faut tenir compte du fait que la condition féminine a souvent été réglée par des coutumes locales étrangères – souvent préexistantes – aux normes juridiques et aux valeurs spirituelles de la religion musulmane.
Autrement dit, des pratiques de régulations endogènes ont souvent mieux réglé la question des droits des femmes en dehors de la loi, des règlements, de la jurisprudence et de la doctrine. Vue sous l’angle du droit, la dimension genre est un facteur de relecture des droits de la femme dans un contexte social donné en se séparant des théories juridiques universalistes.
Quelle est la situation juridique actuelle des femmes au Burkina Faso ?
En 2015, le Burkina Faso adoptait son premier texte législatif en matière de répression des violences faites aux femmes, la loi du 6 septembre 2015 portant prévention, répression et réparation des violences à l’égard des femmes et des filles et prise en charge des victimes. Cette loi a le mérite d’avoir pris en compte plusieurs dimensions et modes d’expression de la violence.
En outre, dans le cadre de la lutte contre les mutilations sexuelles féminines, les chefs coutumiers ont été d’un grand appui à la stratégie d’éradication des pratiques culturelles néfastes. Des stratégies visant l’incitation à l’abandon de l’exclusion sociale sont promues avec la collaboration de tous les acteurs du domaine. En témoignent les déclarations publiques de grandes personnalités telles que Sa Majesté le Moogo Naaba Baongho, le roi du royaume des Mossi de Ouagadougou appelant les populations à l’éradication de telles pratiques. Il en est de même de la lutte contre les exclusions par allégation de sorcellerie.
Comment se passe la cohabitation entre le droit “officiel” et les traditions chez les Mossi ?
On observe, à certains égards, le déphasage entre l’ordre juridique étatique et l’ordre juridique endogène. C’est le cas de l’adultère comme cause de divorce selon les dispositions du Code des personnes et de la famille alors que dans la coutume véritablement traditionnelle des Mossi, l’adultère de la femme n’est pas une cause de divorce reconnue à l'époux comme l’avait déjà révélé l'anthropologue français Bernard Taverne.
D’une manière générale, les autorités coutumières sont considérées comme des partenaires sociaux. Ces autorités sont représentées de plein droit dans le Conseil national pour la prévention de la violence à l’école (CNPVE). Toujours dans les dispositions d’ordre général, les autorités coutumières font parties du comité de désignation des commissaires de la Commission nationale des droits humains. Ces efforts doivent être poursuivis et diversifiés.