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Burn-out : des pistes pour aider les soignants (et les autres)

Le 18 février 2014, des médecins manifestaient devant le Ministère de la Santé à Paris en mettant en scène des suicides, pour alerter sur le problème du burnout, qui affecte particulièrement leur profession. Kenzo Tribouillard / AFP

Si la pandémie de Covid-19 desserre son étau à l’hôpital, les soignants sont une nouvelle fois descendus dans la rue pour exprimer leur épuisement et leur besoin de reconnaissance.

La souffrance de ces « héros de la pandémie » est souvent peu visible, les soignants ayant peu l’habitude de se plaindre. Ils se sont montrés résilients, capables d’adaptations comme les murs des services de réanimation. Mais fréquemment en sous-effectifs, ils n’en peuvent plus : à l’automne 2020, un communiqué de l’Ordre national des infirmiers révélait déjà que 43 % d’entre eux, épuisés, avaient envie de changer de métier…

Il nous semble urgent de se pencher sur l’un des aspects de la 4e vague psychique : le « burn-out ».

Quand le travail épuise

Si le mot anglais « burn » peut se traduire par brûler, flamber, ronger, ravager, le terme « burn-out » désigne quant à lui un épuisement professionnel, à la fois physique et mental. Il n’a toutefois fait son entrée dans la classification internationale de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) qu’il y a deux ans.

Défini comme « un syndrome conceptualisé comme résultant d’un stress chronique au travail qui n’a pas été géré avec succès » il est classé dans la section des « problèmes associés à l’emploi ou au chômage », plutôt que dans les troubles mentaux, comportementaux et neurodéveloppementaux. Mais ses effets n’en sont pas moins dramatiques, comme en témoigne le récit de Louise.

« Nous sommes des milliers d’internes en souffrance. Il faut dire haut et fort que ce n’est pas de notre faute, mais que c’est le système qui est malade ! » raconte Louise, 26 ans, qui a vécu cette souffrance à l’hôpital il y a trois ans. Elle avait commencé son stage d’internat dans un « service lourd en charge de travail », avec « des patients souvent polypathologiques, âgés, parfois déments », aux côtés d’« un essaim d’infirmières et d’aides-soignantes trop peu nombreuses ». Elle mit un terme à sa présence à l’hôpital un an plus tard, fondant en larmes, épuisée physiquement et physiquement, devant son chef de service.

Après sept années d’études et deux concours – l’un en PACES (Première Année Commune aux Études de Santé), l’autre en ECN (Epreuves Classantes Nationales) – elle assumait 11 demi-journées de travail hebdomadaire et des gardes de nuit en première ligne, mais était si peu rémunérée qu’elle avait des difficultés à se loger, se nourrir et même se soigner correctement.

La situation alarmante des urgentistes et internes

L’exemple de cette jeune femme n’a malheureusement rien d’exceptionnel. Rappelons que d’après l’InterSyndicale nationale des internes, chaque année en France, entre dix et vingt internes en médecine mettent fin à leurs jours. Des chiffres que complètent le constat alarmant dressé par quatre syndicats d’internes en 2017, au terme d’une enquête nationale menée en ligne sur un trimestre.

Sur quelque 22000 étudiants en médecine et tout jeunes médecins interrogés, 66 % se sont révélés souffrir d’anxiété, près de 28 % de dépression, et près de 24 % avaient déjà eu des idées suicidaires. Or les conclusions d’une méta-analyse parue en 2019 et épluchant 37 études conduites dans différents hôpitaux français entre 2000 et 2017 ne sont pas plus rassurantes.

Au total, les données concernaient quelque 15 000 praticiens français, et les auteurs ont examiné en détail les trois dimensions du burn-out, à savoir :

  • l’épuisement émotionnel, avec le sentiment d’être débordé, vide, de manquer de ressources et de ne pas pouvoir faire face à un autre jour.

  • la dépersonnalisation ou le cynisme, avec une perte d’idéaux, un retrait vis-à-vis du travail, un détachement ou une attitude négative.

  • sentiment d’inefficacité personnelle, d’où une productivité diminuée au travail.

Or les résultats se passent de commentaires. En effet, 49 % des praticiens se sont révélés souffrir de burn-out (5 % sous une forme sévère), 21 % étaient dans un état d’épuisement émotionnel, 29 % témoignaient d’un cynisme important, et 29 % avaient un sentiment d’inefficacité. Les urgentistes et les jeunes médecins étaient les plus concernés – les seconds présentant les taux les plus élevés de dépersonnalisation…

Face à une telle situation, et pour éviter les drames, chacun devrait apprendre à repérer les signaux d’alerte, et pousser les intéressés à consulter…

Repérer les signaux d’alerte

En tant que syndrome, le burn-out peut se traduire par de multiples symptômes d’installation progressive et souvent insidieuse.

Concernant plus particulièrement ceux pour qui, dans le travail, la relation à l’autre est au centre de l’activité (professions d’aide, de soins, de l’enseignement…), le burn-out se développe en effet en quatre temps :

  • une phase d’engagement pendant laquelle la personne est très impliquée dans son activité (plus que la moyenne de ses collègues)

  • une phase de surengagement où suite à un événement déclencheur (nouveau projet, changement de position ou d’organisation…), le travail prend toute la place au détriment de la vie privée.

  • une phase de résistance durant laquelle la personne nie son surmenage et s’acharne.

  • enfin une phase d’effondrement, où l’estime de soi est anéantie, la concentration et le travail impossible. Le cerveau et parfois le corps patinent, la machine ne répond plus.

Les symptômes, plus ou moins importants, peuvent être de nature :

  • émotionnelle : anxiété, tensions musculaires diffuses, tristesse, manque d’entrain, irritabilité, hypersensibilité, absence d’émotion

  • cognitive : troubles de la mémoire, de l’attention, de la concentration, des fonctions exécutives

  • comportementale : repli sur soi, isolement social, comportement agressif, diminution de l’empathie, ressentiment et hostilité à l’égard des collaborateurs

  • motivationnelle : désengagement progressif, baisse de motivation, effritement des valeurs associées au travail, doutes sur ses propres compétences et dévalorisation

  • physique : asthénie, problèmes de sommeil, troubles musculo-squelettiques (lombalgies, cervicalgies…), crampes, céphalées, vertiges, anorexie, troubles gastro-intestinaux.

Évaluer son épuisement

Son repérage peut être réalisé par le médecin traitant, le médecin du travail et l’équipe de santé au travail. En s’aidant notamment de questionnaires qui, s’ils n’ont pas été construits comme des instruments d’évaluation individuelle, sont utiles au médecin pour guider son diagnostic.

Parmi eux, citons le Malasch Burnout Inventory (MBI), d’abord développé en anglais en 1981 puis traduit en de nombreuses langues dont le français. Ses 22 questions visent à explorer les trois dimensions du burn-out : un score élevé aux deux premières échelles (appréciant l’épuisement émotionnel et la dépersonnalisation) et un score faible à la dernière (testant l’accomplissement personnel) signe un épuisement professionnel.

Mentionnons également le Copenhagen Burnout Inventory CBI, mis au point en 2005 en danois, puis traduit lui aussi en plusieurs langues dont le français. Il comporte 19 questions, réparties en trois échelles, pour apprécier l’épuisement personnel, lié au travail ou aux relations. Si le score n’est élevé que dans l’une d’elles, il se peut que le problème ne soit que ponctuel. Mais il faut alors tâcher de le résoudre pour éviter des scores élevés dans les trois échelles – situation imposant de consulter.

Pour que chacun puisse s’en saisir facilement et utilement, les questionnaires doivent être fiables, scientifiquement validés, mais aussi faciles à utiliser. Et si le score est inquiétant, il faut s’en préoccuper rapidement en prenant rendez-vous avec son médecin, ou dans le service de médecine du travail, ou dans les consultations de prévention des risques psychosociaux : il s’agit de se faire prescrire un arrêt de travail, mais aussi de se faire aider pour éviter le drame.

Accepter d’être aidé

Accepter de l’aide ne va pas de soi. Mais c’est une étape nécessaire pour parvenir à la résilience, concept issu de la physique qui en psychologie traduit la capacité, pour un individu affecté par un événement traumatique, à en prendre acte pour le surmonter et se reconstruire d’une façon socialement acceptable.

« J’ai eu la chance de trouver une écoute empathique chez mon médecin traitant et fini par accepter de m’arrêter, mais j’avais honte, j’avais peur du regard et des remarques parfois dures de mes collègues. J’ai fini par changer de stage et je ne veux plus travailler à l’hôpital qui est une machine à broyer les plus jeunes » poursuit Louise.

Son témoignage et d’autres commencent à émerger. On sait combien dans les services d’urgence, en réanimation ou encore en gériatrie, la pandémie de Covid-19 est venue impacter les conditions de travail à l’hôpital, par manque de tenues de protections, de moyens humains et techniques. Et elle a sérieusement entamé le moral et la résistance des soignants : il est donc urgent de sortir de la loi du silence.

Parfois on ne le sait pas : l’employeur est tenu par la loi de protéger la santé physique et mentale de ses salariés. Et quand l’un d’eux se retrouve dans un état d’épuisement professionnel constaté par un médecin, on considérera que l’employeur a failli à son obligation, commettant donc une faute réparable et indemnisable.

Si le burn-out des soignants commence à être bien documenté, sa prévention n’est toutefois pas encore une pratique courante. Il faut apprendre à s’écouter et à se faire aider. Et un site comme celui de l’association Espace Investigation, Prévention et Accompagnement du Stress (EIPAS) apporte témoignages et outils pour comprendre le burn-out et apprendre à le repérer.

Aujourd’hui, la loi est là pour ne pas sombrer dans un état d’épuisement professionnel. Et partout, des actions de prévention des risques psychosociaux se mettent en place, avec des guides, des consultations dédiées, des actions de formations interne aux hôpitaux : c’est un signal fort pour enfin sortir de l’omerta, prévenir et agir.


Article adapté du dernier livre co-dirigé par le Dr. LEFEBVRE des NOETTES « Soigner les Soignants, les soignants face à la crise sanitaire et hospitalière », Paris, MA-ESKA, avril 2021..

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