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Burundi : le lourd bilan de Pierre Nkurunziza

Joachim Ntahondereye, président de la Conférence des évêques catholiques du Burundi, signe le registre de condoléances installé au palais après l'annonce de la mort du président. Tchandrou Nitanga / AFP

Pierre Nkurunziza, devenu en mars dernier le « guide suprême du patriotisme » du Burundi après avoir exercé pendant quinze ans la fonction présidentielle, est décédé le 8 juin dernier à l’âge de 55 ans.

Retour sur les conditions de son accession au pouvoir et sur le bilan de ses trois mandats.

L’arrivée au pouvoir et le premier mandat

En 1993, après trente années de régime militaire dirigé par des officiers tutsis appartenant à une ethnie numériquement minoritaire, le Burundi choisit pour la première fois son président de la République de façon démocratique. Melchior Ndadaye, un Hutu est élu en juillet mais assassiné trois mois plus tard lors d’une tentative de putsch militaire. Le pays s’engage alors dans une décennie de violences et de guerres.

En août 2000, le laborieux processus de négociations mené sous l’égide du médiateur, l’ex-président sud-africain Nelson Mandela, débouche sur l’accord de paix d’Arusha entériné par 19 parties signataires représentant toutes les sensibilités politiques, ethniques et régionales. Une référence démocratique collective dont la mise en œuvre exigeait beaucoup de modération politique de la part des belligérants. Il faudra encore cinq années d’affrontements pour parvenir à un cessez-le-feu effectif et définir les modalités de la transition politique et le futur cadre constitutionnel.

En 2003, les Forces armées burundaises, qui dirigeaient le pays depuis 1966 après avoir renversé la monarchie et proclamé la république, et les troupes du CNDD-FDD (Conseil National pour la Défense de la Démocratie/Forces pour la Défense de la Démocratie, la principale branche de la rébellion armée pro-hutue) dirigé par Pierre Nkurunziza fusionnent. Une intégration à parité ethnique réussie qui satisfait des populations civiles enfin en sécurité. Le CNDD-FDD se mue en parti politique.

En 2005, une nouvelle Constitution est adoptée par référendum. Les élections générales se succèdent, toutes très largement remportées par les candidats du CNDD-FDD. Ses élus portent Pierre Nkurunziza à la tête de l’État. La réalité du pouvoir est toutefois exercée par un conseil restreint regroupant les principaux officiers qui ont structuré le mouvement de guérilla et conduit la guerre civile. Pour eux, la priorité du moment est celle du « rattrapage » vis-à-vis de leurs collègues tutsis en termes de formation militaire, de carrière, de biens et de privilèges divers.

De son côté, Pierre Nkurunziza s’investit dans les tâches de terrain au plus près des populations qu’il mobilise avec des réformes visant à répondre à des attentes sociales urgentes (santé, scolarité, etc.). Parallèlement, l’implantation du parti se renforce dans toutes les communes du pays. Ses militants encadrent progressivement toutes les activités sociales et économiques des populations rurales. Les jeunesses Imbonerakure sont opérationnelles dès la campagne électorale de 2010.

Dans un contexte où de vifs désaccords se font jour entre les leaders historiques du CNDD-FDD et où les partis de l’opposition se déchirent sur des enjeux personnels, le CNDD-FDD remporte largement les élections communales, présidentielles et législatives de 2010. Seul candidat à l’élection présidentielle en raison du boycott des partis d’opposition, Pierre Nkurunziza est largement élu.

L’autoritarisme érigé en mode de gouvernance

Fort de sa légitimité personnelle issue des urnes, il épure, nomme et décide, s’émancipant largement vis-à-vis du « conseil des officiers ». Émerge alors une génération de nouveaux leaders au profil de « gestionnaires » sans références autres que celles du CNDD-FDD qui remplacent peu à peu la génération combattante historique formée dans le creuset des luttes pour la transition démocratique des années 1980-1990.

La dérive d’un pouvoir autoritaire et personnel s’enclenche. La première raison tient au fait qu’au terme des élections de 2010, le CNDD-FDD s’est retrouvé dans une position de force à laquelle lui-même ne s’attendait pas. Le désarroi et les divisions des forces d’opposition défaites lui laissent alors le champ libre.

En second lieu, et cette évolution est capitale, les élites politiques du « passé », hutues et tutsies, prennent la mesure de leur stratégie suicidaire de boycott. Une stratégie désavouée par leurs propres électeurs désormais sans relais dans les structures décisionnelles et notamment au niveau des exécutifs communaux où la plupart de leurs représentants élus refusent de démissionner.

Dès lors, les organisations de la « société civile » deviennent les principaux lieux de débat et de mobilisation sur les enjeux politiques, économiques et sociétaux. Les ONG, les Églises, les médias se voient de facto – et, pour certains, à leur corps défendant – investis de missions nouvelles. Dans un contexte marqué par la déliquescence de forces politiques « d’opposition » représentatives, ces organisations se retrouvent en première ligne face à un pouvoir qui étend méthodiquement son emprise sur tous les domaines de la société.

Alors que la prise de contrôle des organisations de la société civile est devenue un objectif ouvertement affiché par la direction du CNDD-FDD, cette mission se révèle toutefois impossible au cours des années 2010-2012, en raison des commémorations du cinquantième anniversaire de l’Indépendance de juillet 2012, qui mettent le Burundi sous les projecteurs internationaux. Les autorités se doivent de maintenir un climat d’ouverture politique apparente et de relatif consensus national, autant envers la population burundaise que vis-à-vis des étrangers.

Les médias et les organisations de la société civile connaissent alors une de leurs périodes les plus fastes, s’imposant comme des relais incontournables pour la réussite des événements publics organisés à cette occasion. L’exceptionnelle tolérance vis-à-vis des médias et des organisations de la société civile s’ajoute à leur propre vitalité.

Ainsi, la quasi-totalité des médias publics et privés, audio et presse écrite, s’associent au sein d’une « Synergie des médias » pour émettre dans les mêmes tranches horaires des programmes communs dont la liberté de ton s’étend bien au-delà des enjeux politiques immédiats pour exprimer en direct le vécu quotidien et les aspirations des citoyens (misère, santé, chômage, etc.), mais aussi pour s’opposer ouvertement aux tentatives de reprise en main des médias par les durs du régime en auto-organisant des Assises nationales des médias. Toutes activités qui bénéficient d’une grande audience dans le pays et au-delà. Mais cette exception burundaise ne pèse plus guère le jour où le président décide d’y mettre brutalement fin pour convenance personnelle.

Le troisième mandat à tout prix

L’annonce par le président Nkurunziza de sa candidature à la présidentielle de 2015 (une décision contraire à la Constitution qui ne l’autorise à effectuer que deux mandats au maximum) provoque de puissantes manifestations de la population et une tentative de rébellion militaire rapidement étouffée. Le pays se retrouve dans une impasse politique insurmontable.

Le président et les généraux Adolphe Nshyirimana et Guillaume Bunyoni choisissent la méthode forte : neutralisation des partis d’opposition, arrestation et fuite des dissidents du CNDD-FDD, destruction pure et simple des radios indépendantes, etc.

Le président du Burundi, Pierre Nkurunziza, prononce un discours après avoir prêté serment pour un troisième mandat, le 20 août 2015. Griff Tapper/AFP

Le prix de la réélection de Nkurunziza pour ce troisième mandat anticonstitutionnel est bien connu : lois liberticides, répressions brutales, arrestations arbitraires, fuites massives de réfugiés à l’étranger… Le PIB par habitant chute au plus bas mondial, les investissements étrangers s’effondrent, le pays est marginalisé aux niveaux régional et international, la rhétorique ethnique sous-tend les mobilisations politiques et se nourrit de la confrontation omniprésente avec le modèle rwandais. Mais l’ordre règne à peu près partout grâce aux milices du parti au pouvoir.

Au terme de ce troisième mandat, le contexte déprimé finit par contraindre les dirigeants du CNDD-FDD à pousser vers la sortie un président qui devenait « imprésentable » au regard des défis croissants et de l’isolement régional et international auquel le pays est confronté. Une nouvelle Constitution adoptée en 2018 élimine les principaux acquis des Accords de paix d’Arusha en termes de représentation démocratique de toutes les sensibilités. Les organes en charge de dire le vrai et le juste (la presse, la justice, le suivi des élections) sont mis au pas. Après avoir assuré une rente somptueuse au président sortant, le candidat « le plus neutre », le général Évariste Ndayishimiye, est désigné pour occuper le poste de président. Sa victoire à l’élection présidentielle organisée en mai dernier a été officialisée quelques jours à peine avant la mort de Pierre Nkurunziza.

Suite à la proclamation des résultats officiels des élections locales et nationales, la maturité des opposants, la fermeté de la prise de position de l’Église catholique sur les résultats des élections et surtout la peur partagée par tous ont évité au pays une nouvelle crise.

Il n’en reste pas moins que ceux qui ont voulu se maintenir à tout prix à la tête du Burundi demeurent comptables vis-à-vis de tous électeurs qui se sont massivement déplacés pour exprimer dans les urnes leurs exigences légitimes en matière de couverture des besoins essentiels, de libertés, d’espoir et de paix. Le décès du président Nkurunziza, « Guide suprême du patriotisme » confronte son successeur, Évariste Ndayishimiye, l’élu coopté par l’appareil du parti CNDD-FDD, à un défi personnel inattendu au regard de la fonction qui lui incombe et plus globalement aux exigences pressantes qu’imposent la situation politique, économique et sociale dégradée du pays. Sans réponse forte à leurs attentes, il n’est pas sûr que l’autoritarisme et l’encadrement des jeunesses du parti CNDD-FDD suffiront à entretenir tout au long du nouveau mandat le réalisme dont les Burundais ont fait preuve au cours de ce troisième processus électoral contesté.

Les premières décisions d’un président marquent habituellement la suite de son mandat. En demandant la libération immédiate des journalistes et divers observateurs condamnés pour avoir simplement rempli leur mission d’information et de suivi du processus électoral, il montrerait qu’il demeure celui à qui l’on peut toujours exprimer sans détour sa pensée, y compris sur les abus de nombre de ses pairs, et aussi que la légitimité de son élection ne tient pas seulement aux pratiques arbitraires qui ont prévalu.

Enfin, au terme d’une élection qui n’a pas été dominée par le clivage ethnique, il pourrait être le premier président susceptible de mettre fin à toutes les formes d’exclusives qui aujourd’hui encore le confortent ou le ravivent.

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