tag:theconversation.com,2011:/ca-fr/topics/enseignement-superieur-20797/articlesenseignement supérieur – La Conversation2024-03-25T16:55:38Ztag:theconversation.com,2011:article/2258102024-03-25T16:55:38Z2024-03-25T16:55:38ZFace à ChatGPT, apprendre à apprendre avec la méthode du « Maître Ignorant »<p>Tous les enseignants et parents le savent désormais, les <a href="https://theconversation.com/chatgpt-face-aux-artifices-de-lia-comment-leducation-aux-medias-peut-aider-les-eleves-207166">agents conversationnels comme ChatGPT posent un défi de taille à l’apprentissage</a> : il faut désormais s’assurer que ce ne sont pas ces outils, par leur capacité extraordinaire à produire des textes adaptés aux demandes de l’utilisateur, qui ont alimenté les dissertations, dossiers et mémoires rendus par les élèves.</p>
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<p>Comment, désormais, s’assurer que les apprenants travaillent réellement par eux-mêmes, dans une optique d’appropriation des connaissances ? Les enseignants, s’improvisant philosophes de la technique et psychologues de l’éducation, tentent d’apprendre aux élèves à utiliser intelligemment et avec une certaine éthique ces outils, en les intégrant par exemple dans leur enseignement. Mais on peut aussi proposer des méthodes plus structurées pour les y aider.</p>
<p>Nous avions mis au point, avant l’arrivée des technologies proposées par OpenAI, une méthode pédagogique pour s’assurer que les étudiants font l’effort d’assimiler réellement un savoir tout en apprenant à se servir des outils numériques : la <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-gestion-2019-3-page-107.htm">méthode du « Maitre Ignorant »</a>, qui s’inspirait de la méthode de Joseph Jacotot, redécouverte par le philosophe <a href="https://www.fayard.fr/livre/le-maitre-ignorant-9782213019253/">Jacques Rancière</a>. Ce pédagogue iconoclaste du XIX<sup>e</sup> siècle avait étonné l’Europe du Nord en parvenant à faire apprendre le français à des élèves dont il ne parlait pas la langue, donc sans pouvoir passer par des explications. Cette méthode ancienne, simple et originale, trouve une nouvelle pertinence aujourd’hui avec l’arrivée des OpenAI.</p>
<h2>Promouvoir une attitude active face au savoir</h2>
<p>Cette méthode, <a href="https://www.pressesdesmines.com/produit/former-les-managers-de-demain/">que j’ai expérimentée de longues années en école de management</a>, pose pour principe que l’on n’apprend vraiment que ce dont on a soi-même besoin. Par exemple, les enfants apprennent leur langue maternelle sans aucun cours : ils apprennent par tâtonnement, par essai-erreur, par persévérance et effort, et surtout, par nécessité. C’est ce savoir qui sera réellement approprié pour toute la vie. Dès lors, le principal rôle du professeur est de vérifier que l’apprenant fait, réellement, un effort sur son apprentissage.</p>
<p>Pour cela, on remet en cause à la fois le rôle de l’élève et celui du professeur. Côté élève, on évite de le placer dans une position où il serait simplement amené à répéter, comme cela pouvait se faire dans l’enseignement traditionnel, ou de « retrouver » le savoir détenu par le professeur, comme le proposent des méthodes plus actives. Côté professeur, on évite que celui-ci se pose en « sachant » qu’il faut imiter. L’élève est alors évalué non sur ce qu’il produit comme résultat, mais sur l’effort et l’attention qu’il fournit (le travail rendu étant considéré plutôt comme un indice de ce niveau d’effort, et non un but en soi).</p>
<p>C’est ainsi que j’impose aux étudiants des sujets que je ne connais pas. Puis j’impose des discussions régulières avec l’étudiant ou le groupe d’étudiants. Je relance alors l’effort de l’apprenant par des questions du type : « qu’est-ce que c’est ? », « quelles sont vos sources ? », « qu’est-ce qui est intéressant ? » En posant régulièrement ces questions, je peux constater et surveiller qu’un effort est effectué, et qu’il y a une évolution de la pensée. Notamment, les apprenants se rendent compte alors qu’un rapide survol de Wikipédia ne suffit pas pour répondre vraiment à ces questions.</p>
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<p>Pour répondre à une objection qui y est souvent légitimement opposée, précisons toutefois que cette méthode est à l’opposé d’une conception « méprisante » ou relativiste du savoir. Au contraire,elle vise à encourager la lecture réelle de sources fiables (livres, articles scientifiques), et une attitude mature de l’apprenant face au savoir : celui-ci sera placé dans l’obligation de s’approprier réellement la connaissance, en recourant aux sources bibliographiques et aux paroles d’experts.</p>
<p>Cette méthode constitue un bon complément aux autres méthodes pour lutter, ponctuellement, contre une attitude trop passive des élèves face au savoir.</p>
<h2>Comprendre l’importance du « vécu d’apprentissage »</h2>
<p>Parce que les « agents conversationnels » comme ChatGPT présentent le danger de se substituer à l’effort d’apprentissage, on comprend pourquoi cette méthode du XIX<sup>e</sup> siècle reste d’actualité. Revenons sur les trois questions posées par le Maitre Ignorant pour voir comment elles sont adaptées aux défis posés par les OpenAI.</p>
<p><strong>« Qu’est-ce que c’est ? »</strong> : par cette question, on demande à l’apprenant de nous parler de quelque chose, de décrire et de faire comprendre à l’autre ce dont il parle. Bien entendu, ChatGPT peut le faire avec talent à la place de l’étudiant, et c’est bien là le problème. Avec les méthodes traditionnelles, qui consistent à vérifier qu’une « bonne réponse » attendue a été apportée par l’étudiant subsistera toujours le doute que cette « bonne réponse » n’a pas été artificiellement fabriquée.</p>
<p>Avec la méthode du Maitre Ignorant, en revanche, on pourra déceler facilement qu’une appropriation n’a pas eu lieu : le discours est stéréotypé, trop lisse, trop superficiel, etc. À la première tentative d’approfondissement, ce discours s’effondrera. L’apprenant se rend compte alors que ChatGPT ne suffit pas, car, ce qui lui manque, ce ne sont pas les réponses, mais le vécu d’apprentissage, le chemin parcouru, qui donnera chair à son propos.</p>
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<p><strong>« Quelles sont vos sources ? »</strong> : Par cette question, le Maitre Ignorant vérifie simplement que l’étudiant a bien réellement lu ou vu les sources qu’il cite. Si celle-ci est ChatGPT, professeurs et élèves se rendent compte assez rapidement du manque d’effort fourni pour trouver et s’approprier ces sources.</p>
<p><strong>« Qu’est-ce qui est intéressant ? »</strong> : enfin, par cette question, on invite l’étudiant à s’intéresser et à s’engager dans le savoir. On lui demande d’exercer sa réflexivité et son esprit critique pour trouver ce qui, dans un sujet, le touche personnellement, fait sens pour lui. Il ne s’agit pas alors de développer un argumentaire tel que ChatGPT excellerait à le produire : <a href="https://theconversation.com/la-pedagogie-de-la-resonance-selon-hartmut-rosa-comment-lecole-connecte-les-eleves-au-monde-197732">il s’agit d’entrer en « résonance » avec le savoir</a> pour reprendre le mot du philosophe Hartmut Rosa.</p>
<p>Face au défi que représente ChatGPT pour l’enseignement, on a coutume de dire que ce n’est qu’un outil, et qu’il faut apprendre aux étudiants à le maitriser. Cela est vrai sur le principe, mais encore faut-il se demander comment y parvenir. La méthode du Maitre Ignorant y participe en préservant le sens de ce qu’est un réel apprentissage.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/225810/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Régis Martineau ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Créée au XIXᵉ siècle pour inciter les élèves à s’investir dans leurs apprentissages, la méthode du « Maitre Ignorant » trouve une nouvelle pertinence face aux agents conversationnels. Explications.Régis Martineau, Phd. en Management, ICN Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2234972024-02-25T16:26:14Z2024-02-25T16:26:14ZRechercher un logement : les étudiants face aux inégalités<p>Si la crise du logement étudiant fait régulièrement la « une » des médias, on manque cruellement de statistiques pour établir un diagnostic complet de la situation en France. Les données que commencent à produire les <a href="https://www.aurh.fr/observatoires-et-etudes/otle-lhsm">observatoires territoriaux du logement étudiant</a> (OTLE) nous offrent peu à peu les bases d’une compréhension plus précise des enjeux, tout comme les enquêtes menées par d’autres organismes tels que <a href="https://www.ove-national.education.fr/">l’Observatoire de la vie étudiante</a>, <a href="https://afev.org/actualites/le-logement-etudiant-autrement">l’AFEV</a> ou la <a href="https://www.fondation-abbe-pierre.fr/">Fondation Abbé Pierre</a>.</p>
<p>Se pencher sur un territoire où il y a peu de tension au niveau du marché du locatif, comme c’est le cas du Havre, permet de mettre en lumière d’autres aspects de la recherche de logement. Quels sont les critères privilégiés par les jeunes pour vivre en sécurité et avec plénitude leur vie étudiante ?</p>
<p>Plusieurs enquêtes qualitatives menées par les étudiants du <a href="https://www.univ-lehavre.fr/fr/formations/master-urbanisme-amenagement-parcours-halis/">master HALIS</a> – Habitat, logement, ingénierie sociale d’Université Le Havre Normandie – nous aident à répondre à cette question et à aller au-delà des questions d’accessibilité.</p>
<h2>La pyramide de l’accès au logement</h2>
<p>Le Havre est un territoire où le nombre d’étudiants ne cesse d’augmenter, attirant notamment de plus en plus d’étudiants étrangers. Ainsi lors de la rentrée 2021-2022, <a href="https://actu.fr/normandie/le-havre_76351/au-havre-100-des-logements-etudiants-sont-occupes-des-jeunes-toujours-sans-solution_45340382.html">sur 13 650 étudiants, 10 % venaient d’autres pays que la France, représentant 110 nationalités</a>, ce qui s’explique par une offre diversifiée de formations portés par plusieurs structures (Université le Havre Normandie, École de Management de Normandie, École Nationale Supérieure Maritime, École Supérieure d’Art et Design Le Havre Rouen, Institut de Formation d’Éducateurs de Normandie, etc.).</p>
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<a href="https://theconversation.com/comment-la-pandemie-aggrave-le-mal-etre-des-etudiants-155500">Comment la pandémie aggrave le mal-être des étudiants</a>
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<p>Même dans les territoires sans tension résidentielle particulière, la recherche d’un appartement ou d’une chambre tient d’un parcours du combattant où les inégalités sociales se cristallisent. Certains étudiants effectuent ces recherches seuls, sans accompagnement, sans garant et avec peu de moyens, alors que d’autres sont aidés par leurs familles. Les sites proposent parfois des annonces qui ciblent une population étudiante sans réseau et/ou étrangère à laquelle ils proposent des logements dégradés. Illan, 23 ans, remarque :</p>
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<p>« C’est beaucoup de démarches, beaucoup de paperasse, beaucoup de documents à remplir. C’est ça qui est trop pesant, trop stressant, c’est maintenant que je comprends pourquoi la majorité préfère rester chez leurs parents. »</p>
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<p>Katia, 22 ans, en master, ajoute :</p>
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<p>« Financièrement c’était un peu compliqué dans ma tête au début. Je devais racheter des meubles, payer à nouveau les ouvertures de compteurs, la caution, le loyer d’avance… Ça fait pas mal d’argent à avancer sachant qu’on perd les APL le 1<sup>er</sup> mois. »</p>
</blockquote>
<h2>Trouver un garant</h2>
<p>Une fois le logement trouvé, il s’agit pour les étudiants étrangers, européens ou français sans garant de trouver une solution. Une grande partie des propriétaires n’acceptent pas la <a href="https://groupe.actionlogement.fr/un-million-de-garanties-visale-attribuees">garantie Visale</a>, seuls 1 million de ménages sont logés en France grâce à ce dispositif. Certaines associations (CHLAJ76, Association partageons un Havre…) aident les jeunes quitte à parfois les loger chez l’habitant de façon provisoire. D’autres permettent de repérer les <a href="https://www.ahloet.fr/">logements de qualité labellisés</a>.</p>
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<p>En ce qui concerne les logements du CROUS, les résidences les moins chères privilégieront les étudiants à plus faible revenu, souvent étrangers. A l’autre extrême, les résidences privées accueillent les plus favorisés. Ainsi dans les territoires en tension locative, il peut arriver qu’on vous demande de payer dès juillet pour une rentrée en septembre avec des tarifs très élevés, de l’ordre de 1 000 euros pour 18 m<sup>2</sup> en région parisienne. Ces résidences modernes se sont adaptées à cette jeunesse qui aime moins la solitude que par le passé, en développant des espaces collectifs.</p>
<p>Une nouvelle problématique est la mobilité des alternants. Certains jonglent entre leur logement et un lit chez des amis ou de longs trajets au quotidien. Plusieurs dispositifs existent (<a href="https://www.actionlogement.fr/l-avance-loca-pass">Avance loca pass</a>, <a href="https://www.actionlogement.fr/financement-mobilite">Mobili jeunes</a>) mais comportent des limites notamment en termes de visibilité. L’alternance oblige parfois à avoir deux logements, ce qui demande un taux d’effort trop important aux apprentis, notamment parce que les APL ne peuvent être attribuées à logements pour une même personne.</p>
<p>La sécurisation des parcours est aussi à repenser. Les jeunes qui sont en échec professionnel ou dans leur formation se voient obligés de retourner vivre chez leurs parents puisqu’ils se retrouvent sans filet.</p>
<h2>Construire un chez-soi</h2>
<p>Les jeunes des premiers cycles retournent souvent chez leurs parents, considérant qu’ils retournent chez eux. Ils vont progressivement s’approprier leur logement étudiant. Il est important pour eux de s’y sentir bien. Pour cela ils ajoutent des touches personnelles. Feriel, étudiante en master de 23 ans, raconte : </p>
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<p>« J’ai installé ma télé, j’ai posé une grande peluche à côté de mon lit, j’ai accroché un rideau qui sépare mon lit et la grande pièce de vie. J’ai posé des photos partout sur les murs, sur mon frigo. »</p>
</blockquote>
<p>Florence, étudiante en licence de 21 ans, montre l’importance d’être chez elle :</p>
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<p>« En sécurité, car c’est très important. J’étais dans une zone très agréable à vivre donc ce qui fait que, même dans mon studio, j’étais très bien, j’étais dans mon élément comme on peut dire chez moi, dans mon logement, j’avais un sentiment de bien-être. »</p>
</blockquote>
<p>Les étudiants souhaitent habiter un quartier près de leur lieu de formation pour économiser les frais de transport et parfois de nourriture. La sécurité du quartier est recherchée, de jour comme de nuit. Or certains étudiants ne connaissent pas forcément le territoire au moment de la signature du bail, et se retrouvent dans des quartiers au sein desquels ils ne sont pas rassurés la nuit. </p>
<p>La ville du Havre adapte les transports pour favoriser la mobilité nocturne. <a href="https://www.transports-lia.fr/fr/transport-a-la-demande-lia-de-nuit/75">Le service Lia</a> de nuit permet un transport à la demande du lundi au dimanche toute l’année entre tous les arrêts des communes desservies par ce service. Katia, 22 ans en master, précise :</p>
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<p>« Mon quartier est assez riche en opportunités. Déjà j’ai le tram à 5 min à pied, la plage et le square St-Roch à même pas 10 min à pied chacun, et je suis entourée de tous types de commerces et activités. »</p>
</blockquote>
<p>L’ensemble de ces éléments invitent à penser la problématique du logement étudiant de façon globale. Au-delà de l’accès au logement, il s’agit pour les jeunes d’habiter son quartier et de vivre sa vie d’étudiant ou d’étudiante.</p>
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<p><em>Cet article a été co-écrit par Sandra Gaviria, professeure de sociologie, et Kisito Friday Dziwonou, étudiant en master HALIS à l’Université Le Havre-Normandie</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/223497/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sandra Gaviria ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Quand on parle de logements étudiants, on s’arrête souvent sur leur pénurie. Mais, pour un jeune, chercher une location recoupe d’autres enjeux au-delà de ces questions d’accessibilité.Sandra Gaviria, Professeure de sociologie, Université Le Havre NormandieLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2241052024-02-23T11:53:16Z2024-02-23T11:53:16ZLes classements des universités sont non scientifiques et nuisent à l'éducation, selon des experts<p>Nous établissons des classements pour presque tout : les dix meilleurs restaurants à proximité, les meilleures villes à visiter, les meilleurs films à voir. Pour déterminer la validité de ces classements, il faut savoir qui en sont les auteurs et leurs objectifs. </p>
<p>Ce sont exactement les mêmes questions qu'il convient de se poser lorsqu'on examine le classement international des universités. </p>
<p>Le phénomène de classement des universités a commencé <a href="http://dx.doi.org/10.37941/PB/2023/1">il y a une vingtaine d'années</a>. Depuis, ils sont devenus omniprésents, <a href="http://www.researchcghe.org/perch/resources/publications/wp19.pdf">présumant de leur validité et de leur importance particulières</a>. Les établissements, en particulier ceux qui sont bien classés, les prennent au sérieux. Certaines consacrent du temps à la collecte des données demandées par les auteurs de classement. Les donateurs des universités les prennent au sérieux, les journalistes les vulgarisent et certains parents s'en servent pour orienter le choix d'établissement de leurs enfants. </p>
<p>Il existe <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/B9780128186305080428?via%3Dihub">une multitude de systèmes de classement des universités</a> et d'auteurs de classement. Certains systèmes de classement sont plus renommés que d'autres. Parmi les plus médiatisés et les plus influents, on trouve <a href="https://www.qs.com/">Quacquarelli Symonds (QS)</a>, <a href="https://www.timeshighereducation.com/">Times Higher Education (THE)</a>, <a href="https://www.shanghairanking.com/">Shanghai Ranking Consultancy</a> et <a href="https://www.usnews.com/education/best-global-universities/rankings">US News & World Report</a>. </p>
<p>Un <a href="https://collections.unu.edu/eserv/UNU:9299/Statement-on-Global-University-Rankings.pdf">groupe d'experts</a> s'est récemment réuni pour examiner de façon critique les systèmes de classement (j'en faisais partie). Nous avons été convoqués par <a href="https://unu.edu/iigh">l'Institut international pour la santé mondiale de l'Université des Nations unies</a>, qui a publié un <a href="https://unu.edu/press-release/rethinking-quality-unu-convened-experts-challenge-harmful-influence-global-university">communiqué de presse</a> sur le rapport.</p>
<p>Nous avons conclu, tout d'abord, que les classements posent un problème conceptuel. Il n'est pas raisonnable de mettre toutes les institutions dans le même panier et d'en tirer quelque chose d'utile. </p>
<p>Nous avons également conclu que leurs méthodologies n'étaient pas claires et que certaines d'entre elles semblaient peu fiables. Alors que nous n'accepterions pas de publier des travaux de recherche reposant sur des méthodologies médiocres, les auteurs des classements peuvent s'en tirer avec de telles méthodes peu rigoureuses. </p>
<p>Les experts ont noté que les classements étaient largement surévalués et qu'ils renforçaient les inégalités mondiales, régionales et nationales. Enfin, une trop grande attention portée aux classements empêche de réfléchir sur les systèmes éducatifs dans leur ensemble. </p>
<h2>Qui font les classements et comment</h2>
<p>Les institutions qui réalisent les classements sont des entreprises privées à but lucratif. Les agences de classement <a href="http://dx.doi.org/10.37941/PB/2023/1">gagnent de l'argent</a> de différentes manières : en récoltant des données auprès des universités qu'elles commercialisent ensuite, en vendant des espaces publicitaires, en vendant des services de conseil (aux universités et aux gouvernements) et en organisant des conférences payantes.</p>
<p>Chaque organisme de classement et chaque système de classement a une approche différente. En fin de compte, ils créent tous un indice ou un score à partir des données qu'ils collectent. Mais la manière dont ils parviennent à leurs résultats n'est pas transparente. Ils ne dévoilent pas totalement ce qu'ils mesurent et l'importance accordée à chaque composante de la mesure. </p>
<p>Par exemple, le <a href="https://www.timeshighereducation.com/">Times Higher Education</a> envoie un questionnaire aux universitaires qui sont invités à évaluer leur propre établissement ou d'autres établissements. Cette évaluation sera influencée par le nombre de personnes qui répondront, l'identité de ces personnes et leur connaissance réelle de l'institution qu'elles évaluent. </p>
<p>Il est donc facile d'obtenir un score à partir d'une telle enquête, mais est-il valable ? Reflète-t-il la réalité ? Est-il exempt de biais ? Si je travaille dans une institution particulière, est-il possible, voire probable, que je lui attribue une note élevée ? Ou, si je suis insatisfait dans cette institution, il se peut je lui donne une mauvaise note. Dans les deux cas, ce n'est pas une évaluation fiable de la réalité. </p>
<p>Les institutions de classement utilisent d'autres mesures qui peuvent être considérées comme plus objectives. Par exemple, ils examinent les publications produites par les universités. </p>
<p>Tout d'abord, de nombreuses recherches ont montré que ce qui est publié est <a href="https://www.nature.com/articles/d4158s6-023-01457-4">biaisé</a>. En outre, si l'on y regarde de plus près, les institutions de classement accordent plus d'attention à certains types de recherche - science, technologie, ingénierie et mathématiques. Elles n'évaluent pas tout et n'évaluent pas tout de la même manière et ne divulguent pas aux institutions classées comment elles ont pondéré les critères retenus. </p>
<h2>Pourquoi s'en préoccuper ?</h2>
<p>Les universités ont de multiples responsabilités dans la société. En outre, les universités reçoivent beaucoup d'argent public. Nous, le public, devrions nous soucier de la manière dont cet argent est dépensé. </p>
<p>Que se passe-t-il si une université délivre des diplômes à un grand nombre d'étudiants qui remplissent des fonctions importantes dans la société, comme les personnels des écoles, des hôpitaux et de la fonction publique et qui sont compétents dans leur travail ? On dira que c'est une bonne université qui remplit une fonction sociale importante. Tout porte à croire également que l'argent du contribuable a été utilisé à bon escient. </p>
<p>Qu'en est-il si une autre université effectue des recherches qui débouchent sur de bonnes politiques publiques, qui aident les gouvernements à mettre en œuvre des programmes visant à réduire le chômage chez les jeunes ou la criminalité ? Il s'agit là d'une bonne université. </p>
<p>Les deux établissements peuvent ne pas avoir un classement élevé. Dans ce cas, il est difficile de dire que ce ne sont pas de bonnes universités. </p>
<p>Les systèmes de classement unique ne servent pas la société. S'ils sont pris trop au sérieux, s'ils sont autorisés à influencer le système d'enseignement supérieur, les classements peuvent nuire à ce que le système d'enseignement supérieur devrait faire, c'est-à-dire contribuer à une meilleure société. </p>
<p>Une trop grande importance accordée à ces classements empêche de réfléchir sur les systèmes éducatifs dans leur ensemble. Il y a tellement de questions importantes à poser sur un système d'enseignement supérieur.</p>
<p>Les questions qui devraient être prioritaires sont les suivantes :</p>
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<li><p>Est-ce que notre palette d'institutions d'enseignement supérieur est adéquate et cohérente ? </p></li>
<li><p>Nos institutions de recherche produisent-elles suffisamment de travaux de recherche de haute qualité susceptibles de contribuer à notre développement en tant que nation ou région ?</p></li>
<li><p>Produisent-elles suffisamment de diplômés de master ou de doctorat pour doter en personnel d'autres établissements d'enseignement supérieur (ainsi que d'autres secteurs de la société) ? </p></li>
</ul>
<p>Les classements détournent les universités de ces tâches essentielles. L'obsession du classement crée des incitations perverses à agir pour améliorer un classement plutôt que de s'atteler au travail utile des universités.</p>
<h2>Que faire ?</h2>
<p>Nous devons tous comprendre que les classements ne sont ni objectifs ni véridiques. Les entreprises motivées par le profit orienteront inévitablement les systèmes de classement vers la réalisation de profits supplémentaires plutôt que vers l'intérêt public et les fonctions sociales des universités. </p>
<p>Les institutions de classement doivent être totalement transparentes afin que nous puissions évaluer l'utilité et la validité de leurs informations, ainsi que la manière dont les classements qu'ils produisent peuvent être utilisés. De plus, elles doivent reconnaître leur conflit d'intérêt inhérent.</p>
<p>Une fois que nous aurons compris la nature des classements, ainsi que leurs limites, nous accorderons moins d'importance à leurs rapports. Cela devrait nous encourager à refuser de nous conformer à leurs règles.</p>
<p>Nous devons comprendre comment la manière dont les universités sont classées renforce une vision (incorrecte ou incomplète) du monde selon laquelle tout ce qui est de grande valeur est occidental et anglophone. Les institutions qui prétendent s'intéresser au projet de décolonisation devraient être incitées à renoncer à être classées.</p>
<p>Il convient de rappeler que les classements n'ont pas toujours existé. Et ils n'ont pas à continuer d'exister. Et ne devraient pas l'être sous la forme qu'ils revêtent aujourd'hui.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/224105/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sharon Fonn travaille à l'université de Witwatersrand, à Johannesburg, en Afrique du Sud, et à l'université de Göteborg, en Suède. Elle est l'une des fondatrices et la codirectrice de CARTA. CARTA est dirigé conjointement par le Centre de recherche sur la population et la santé en Afrique et l'Université de Witwatersrand et financé par la Carnegie Corporation of New York (subvention n° G-19-57145), l'Agence suédoise de coopération internationale au développement (ASDI) et l'Agence suédoise de coopération internationale en matière de santé. G-19-57145, Sida Grant No:16604, Uppsala Monitoring Center, Norwegian Agency for Development Cooperation Norad, et par la Science for Africa Foundation pour le programme Developing Excellence in Leadership, Training and Science in Africa DELTAS Africa Del-22-006 avec le soutien du Wellcome Trust et du Foreign, Commonwealth & Development Office du Royaume-Uni et fait partie du programme EDCPT2 soutenu par l'Union européenne. Les déclarations et les points de vue exprimés relèvent de la seule responsabilité de l'auteur.</span></em></p>Nous devons tous réaliser que les classements universitaires ne sont ni objectifs ni véridiques. Ils sont largement surestimés et renforcent les inégalités aux niveaux mondial, régional et national.Sharon Fonn, Professor, School of Public Health, University of Gothenburg Sweden, University of the WitwatersrandLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2228242024-02-07T15:43:30Z2024-02-07T15:43:30ZEnseigner l’écriture va au-delà des exercices de rédaction et de dissertation<p>« Les temps sont mauvais, les enfants ont cessé d’obéir à leurs parents et tout le monde écrit des livres », se lamentait <a href="https://es.wikipedia.org/wiki/Cicer%C3%B3n">Cicéron</a> dans l’une de ses harangues les plus épiques. Et beaucoup aujourd’hui seraient tentés de reprendre à leur compte cette phrase du célèbre orateur romain.</p>
<p>C’est un phénomène qui se répète au fil de l’histoire : chaque génération tend à négliger ou dénigrer les valeurs que la génération précédente considérait encore comme fondamentales. Cette récurrence, loin de valider la pertinence de cette attitude, la rend d’autant plus suspecte : n’en dit-elle pas plus sur celui qui l’adopte que sur l’époque dont il parle ?</p>
<h2>Bien écrire s’enseigne-t-il ?</h2>
<p>L’enseignement de l’écriture n’a pas toujours de place claire dans les programmes académiques, malgré l’existence de nombreux manuels et classiques sur le sujet comme les livres de <a href="https://www.grao.com/libros/la-escritura-creativa-en-las-aulas-819?contenido=344049">Delmiro Coto</a>, celui de <a href="https://sergiofrugoni.medium.com/imaginaci%C3%B3n-y-escritura-la-ense%C3%B1anza-de-la-escritura-en-la-escuela-103ff384de91">Frugoni</a>, du <a href="https://formacion.intef.es/tutorizados_2013_2019/pluginfile.php/246850/mod_resource/content/2/Archivo%20zip/grupo_grafein.html">groupe Grafein</a>, ou encore de <a href="https://www.gallimard-jeunesse.fr/9782070552023/exercices-de-style.html">Queneau</a>.</p>
<p>De nombreux obstacles restent à surmonter, de la taille des classes au temps de rédaction, en passant par les critères d’évaluation. Mais la question est plus profonde : il s’agit du <a href="https://revistas.uam.es/tarbiya/article/view/7321/7663">manque de reconnaissance de l’écriture comme objet d’apprentissage</a>.</p>
<p>L’écriture en tant qu’activité, ou habitude, ne peut être confondue avec la publication d’un livre. De même, écrire n’implique pas nécessairement d’être un écrivain professionnel. L’écriture et la lecture ne sont pas non plus des tâches opposées, l’une volant du temps à l’autre. Elles forment au contraire un cercle vertueux qui fait de l’écrivain un meilleur lecteur et du lecteur un meilleur écrivain. Car, comme le dit <a href="https://es.wikipedia.org/wiki/%C3%81lvaro_Enrigue">Álvaro Enrigue</a>, un écrivain est avant tout un lecteur impénitent.</p>
<h2>Dépasser les lieux communs sur l’écriture</h2>
<p>Il est communément admis de dire que les jeunes écrivent très mal, de plus en plus mal, et qu’ils ne lisent pas. La tendance est-elle réelle ? C’est plus qu’improbable, mais beaucoup sont convaincus qu’autrefois, quelle que soit l’époque, on lisait beaucoup et on écrivait mieux.</p>
<p>C’est aussi un lieu commun de dire que l’écriture ne s’apprend pas. Dans l’imaginaire collectif, l’idée – sans justification ni fondement – s’est installée que l’on peut enseigner la peinture, la composition musicale, les mathématiques ou la philosophie, mais pas l’écriture. L’écriture ne s’apprend qu’en lisant et en écrivant beaucoup, disent encore <a href="https://revistas.uam.es/tarbiya/article/view/7377">ceux qui tentent d’éloigner l’écriture de toute didactique</a>, comme s’il s’agissait de la seule discipline où la pratique est la chose la plus importante.</p>
<p>Mais il est facile de se défaire de ces convictions. <a href="https://www.cultura.gob.es/actualidad/2023/02/230227-barometro-habitos-lectura.html">Tout indique</a> que les gens lisent et écrivent plus que jamais. En partie grâce aux téléphones portables, qui ont encouragé les utilisateurs à écrire de manière quotidienne et constante. Mais aussi parce que de <a href="https://revistas.unav.edu/index.php/rilce/article/view/44440">plus en plus d’enseignants</a> introduisent la pratique de l’écriture dans leurs classes, avec la <a href="https://digitum.um.es/digitum/bitstream/10201/127932/1/Desarrollando%20la%20escritura%20de%20estudiantes.pdf">méthodologie des ateliers littéraires</a>, qui consiste à se retrousser les manches et à travailler avec des textes comme on travaille dans un laboratoire, en expérimentant la langue et ses formes, en lisant de manière exhaustive, en écrivant et en réécrivant de nombreuses fois jusqu’à atteindre, comme l’a dit Juan Ramón Jiménez, le <a href="https://www.cervantesvirtual.com/obra-visor/antologia-de-textos-juanramonianos--0/html/53bf7529-f4f2-41fa-b1c4-02a49a739f54_3.html">nom exact de la chose</a>.</p>
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Leer más:
<a href="https://theconversation.com/litterature-sapproprier-les-classiques-un-defi-pour-les-lyceens-118308">Littérature : s’approprier les classiques, un défi pour les lycéens</a>
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<p><a href="https://leer.es/proyectos/escritura-creativa/">Apprendre à écrire</a>, c’est plus que partager un livre de recettes : c’est accompagner l’écrivain en herbe, l’aider à entrevoir son propre projet, lui montrer les ressources dont il dispose, le guider dans ses lectures et le motiver à continuer à écrire, jusqu’à ce que cela devienne une habitude.</p>
<h2>Ce que l’écriture nous apporte</h2>
<p>Apprendre aux élèves à écrire, à tous les stades de la scolarité, est un moyen privilégié de travailler avec eux leur créativité, leurs capacités d’expression et de compréhension, leur sens critique ; et de leur donner un accès plus vivant et plus pénétrant au langage, de faire de la lecture une expérience vécue plus intensément et de leur permettre réellement d’entrer en dialogue avec les textes.</p>
<p>Car bien écrire, ce n’est pas seulement écrire correctement, rendre compréhensible ce que l’on veut dire, être ordonné et clair. Au-delà de ces minima, bien écrire, c’est montrer son propre style, sa propre façon de voir la réalité et lui donner une structure fiable avec le langage.</p>
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<p><a href="https://es.wikipedia.org/wiki/Clarice_Lispector">Clarice Lispector</a> disait qu’elle écrivait parce qu’elle était incapable de comprendre quoi que ce soit autrement que par le processus d’écriture. Mieux écrire, c’est aussi mieux penser, avoir une perception plus audacieuse de la réalité, se donner une façon plus ambitieuse d’être au monde et de se connaître.</p>
<p>Qui peut nous apprendre à le faire, et comment ? Lorsque le romancier <a href="https://es.wikipedia.org/wiki/Vladimir_Nabokov">Vladimir Nabokov</a> s’est vu proposer d’enseigner à Harvard dans les années 1940, le linguiste <a href="https://es.wikipedia.org/wiki/Roman_Jakobson">Roman Jakobson</a>, méfiant, a demandé : <a href="https://press.uchicago.edu/ucp/books/book/chicago/E/bo3771157.html">Et maintenant, allons-nous faire venir des éléphants pour enseigner la zoologie ?</a></p>
<p>Aujourd’hui, il n’y a pas lieu de choisir entre écrivains et linguistes : aux précieux témoignages et réflexions de nombreux auteurs sur leur propre pratique s’ajoutent les récentes recherches universitaires qui fournissent une méthode scientifique pour <a href="https://intef.es/wp-content/uploads/2022/12/escritura-creativa-en-el-aula-links-intercativo-qr.pdf">l’enseignement de l’écriture</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/222824/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Enrique Ferrari no recibe salario, ni ejerce labores de consultoría, ni posee acciones, ni recibe financiación de ninguna compañía u organización que pueda obtener beneficio de este artículo, y ha declarado carecer de vínculos relevantes más allá del cargo académico citado.</span></em></p>On pense encore souvent que, si l’on peut donner des cours de peinture ou de composition musicale, l'écriture ne s’enseigne pas. Or apprendre à développer un style apporte beaucoup aux élèves.Enrique Ferrari, Vicedecano de investigación de la Facultad Ciencias Sociales y Humanidades, UNIR - Universidad Internacional de La Rioja Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2225512024-02-06T14:42:30Z2024-02-06T14:42:30ZBourses étudiantes pour tous ou prestations ciblées : quel modèle choisir ?<p>Les aides publiques aux étudiants sont-elles adaptées et suffisantes ? La question revient régulièrement dans l’actualité. En 2014, <a href="https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/publications-communique-de-presse/les-dossiers-de-la-drees/mesurer-le-niveau-de-vie-et-la-pauvrete">40 % des étudiants ayant leur propre logement étaient en situation de pauvreté monétaire</a>.</p>
<p>La crise sanitaire, puis l’augmentation de l’inflation ont conduit à une progression de la précarité et du <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/6466177">recours à l’aide alimentaire</a>, et montré les limites d’un modèle d’aide aux jeunes <a href="https://laviedesidees.fr/Les-jeunes-ces-citoyens-de-seconde-zone">reposant implicitement sur le soutien financier des parents</a>. Neuf parents d’étudiants sur dix disaient en 2014 aider financièrement leur enfant étudiant par des dépenses ou transferts, pour un montant moyen de 1600 euros mensuels.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/une-jeunesse-des-jeunesses-peut-on-vraiment-parler-de-generation-covid-171165">« Une jeunesse, des jeunesses » : peut-on vraiment parler de « Génération Covid » ?</a>
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<p>Le <a href="https://www.cae-eco.fr/staticfiles/pdf/cae-note068.pdf">Conseil d’Analyse économique préconisait en 2021</a> de revaloriser et d’étendre les bourses pour faciliter l’accès à l’enseignement supérieur, en soulignant plus largement les effets bénéfiques des dépenses liées à l’enseignement supérieur sur la croissance.</p>
<p>À la suite d’une large concertation sur la vie étudiante, un <a href="https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/fr/concertation-sur-la-vie-etudiante-conditions-de-vie-conditions-d-etudes-conditions-de-reussite-93864">rapport remis en juin 2023 au ministère de l’Enseignement supérieur a conduit à une augmentation du montant des bourses</a>, ainsi qu’à la création d’avantages supplémentaires tels que des repas à 1 euro pour les étudiants boursiers.</p>
<h2>Bourses publiques et aides parentales : des transferts à étudier</h2>
<p>Si les bourses sur critères sociaux, à l’instar de l’accessibilité des frais d’inscription, semblent un maillon essentiel dans l’accès des classes populaires aux études, leur incidence et leur capacité à remplir leurs objectifs restent mal connues.</p>
<p>Deux objectifs distincts peuvent leur être assignés : d’une part, améliorer les conditions de vie des jeunes, et d’autre part permettre aux familles modestes d’envisager des études supérieures pour leur enfant sans faire trop de sacrifices. Les deux ne sont pas antinomiques. Mais on comprend bien que, si les parents aident moins leur jeune grâce à l’obtention d’une bourse, alors l’effet de cette dernière sur la réduction de la pauvreté du jeune s’en trouve amoindri : l’aide devient alors aussi un soutien aux parents.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/0xojmSYfXlA?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Coup de pouce pour les boursiers (Franceinfo, mars 2023).</span></figcaption>
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<p>Plus largement, se pose la question de la manière d’aider au mieux les étudiants avec des prestations publiques, alors que l’essentiel de leurs ressources provient le plus souvent de l’aide financière des parents.</p>
<p>Dans une recherche <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0272775723001498">publiée en janvier 2024 dans <em>Economics of Education Review</em></a>, nous nous sommes donc penchés sur les interactions entre les aides publiques aux étudiants (bourses sur critères sociaux) et l’aide des parents (transferts financiers, achats et paiement de loyer).</p>
<h2>Une mesure nécessitant des données rares et une stratégie d’identification adéquate</h2>
<p>Ce thème était rarement étudié en économie faute de données fiables, jusqu’à la création de <a href="https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/sources-outils-et-enquetes/1-enquete-nationale-sur-les-ressources-des-jeunes">l’enquête Ressources des Jeunes en 2014 par la Drees et l’Insee</a>, qui précise les bourses touchées par les jeunes, mesure très précisément les transferts des parents et renseigne également les revenus des parents à l’aide de données fiscales.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-allocations-etudiantes-au-danemark-un-modele-a-suivre-184497">Les allocations étudiantes au Danemark, un modèle à suivre ?</a>
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<p>L’étude des données conduit à une corrélation négative entre le montant des bourses et celui de l’aide parentale. Mais cela ne reflète pas nécessairement un effet causal parce qu’en raison du barème, la bourse est d’autant plus faible que le revenu des parents augmente, à l’inverse de l’aide des parents qui est plus importante parmi les ménages aisés.</p>
<p>Pour confirmer le sens de l’effet et en préciser l’ampleur, nous utilisons le barème discontinu des bourses étudiantes sur critères sociaux. Cela permet d’estimer comment évoluerait l’aide parentale pour un étudiant qui toucherait davantage d’aide publique de manière exogène.</p>
<p>Faute d’une taille d’échantillon suffisante, il ne s’agit pas d’une régression sur discontinuité mais d’une analyse instrumentale sur échantillon complet utilisant soit un instrument reconstituant une bourse à partir du barème et des variables de notre enquête, soit l’échelon déclaré par l’étudiant, qui permet de retrouver le montant exact et d’approcher précisément les discontinuités du barème.</p>
<h2>Une tendance à la baisse des aides parentales quand les bourses augmentent</h2>
<p>Il ressort que l’aide parentale diminue partiellement quand l’aide publique augmente : pour un euro supplémentaire d’aide publique, l’étudiant voit l’aide de ses parents diminuer de 50 centimes. La figure ci-dessous illustre cette compensation partielle de l’augmentation de la bourse par une diminution de l’aide des parents, que nous mettons en évidence de manière aussi causale que possible.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/572847/original/file-20240201-21-8bxb3q.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/572847/original/file-20240201-21-8bxb3q.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=363&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/572847/original/file-20240201-21-8bxb3q.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=363&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/572847/original/file-20240201-21-8bxb3q.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=363&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/572847/original/file-20240201-21-8bxb3q.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=456&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/572847/original/file-20240201-21-8bxb3q.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=456&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/572847/original/file-20240201-21-8bxb3q.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=456&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Montants moyens des transferts privés et des bourses d’études.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Drees-Insee</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>L’économiste peut interpréter cet effet de différentes manières :</p>
<p><strong>Du point de vue de l’incidence, voire de l’efficacité de la politique publique</strong> : Même si toute l’aide publique ne bénéficie pas à l’étudiant, il ne s’agit pas d’une marque d’inefficacité car les bourses sur critères sociaux ciblent des familles modestes. C’est donc une bonne nouvelle de leur permettre de limiter les sacrifices qu’ils font pour les études de leurs enfants. Et c’est d’ailleurs probablement une des raisons pour lesquelles d’autres travaux constatent que les <a href="https://www.aeaweb.org/articles?id=10.1257/app.20130423">bourses sur critères sociaux ont un effet causal sur la poursuite d’études</a>.</p>
<p><strong>Du point de vue de la théorie microéconomique et de la modélisation des transferts parentaux</strong> : <a href="https://www.hup.harvard.edu/books/9780674906990">Gary Becker</a> modélise un parent « altruiste », au sens où celui-ci prend en compte l’utilité de son enfant dans sa propre utilité. Il conclut qu’un transfert public visant un jeune déjà aidé par son parent serait voué à l’échec : le parent diminuerait d’autant son aide en constatant la variation du revenu de son jeune, et neutraliserait l’efficacité visée par l’aide publique.</p>
<p>Ce que nous trouvons contredit ce modèle simple et indique la nécessité de modéliser autrement les transferts parentaux, en considérant que les revenus des jeunes ne sont pas bien connus des parents, en estimant que ces derniers peuvent retirer une satisfaction du seul fait d’aider leur enfant (c’est le principe de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Don_gratifiant">« don gratifiant »</a>), ou en se disant que le don parental pourrait appeler une contrepartie ultérieure de la part de l’enfant.</p>
<h2>Modèle universel ou soutien ciblé : les enjeux d’un arbitrage complexe</h2>
<p>Ce résultat doit toutefois être interprété avec deux précautions principales. Premièrement, l’analyse se limite aux étudiants touchant une bourse et analyse donc le fait de toucher un niveau plus ou moins important de bourse.</p>
<p>L’aide parentale jouerait un rôle plus complexe si l’on comparait une situation d’arrêt des études supérieures sans aide publique et avec des aides parentales faibles puisque le jeune travaillerait, avec une situation où l’étudiant poursuivrait ses études, toucherait une bourse et serait aidé davantage par ses parents.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/bourses-etudiantes-comment-corriger-les-inegalites-du-systeme-francais-191611">Bourses étudiantes : comment corriger les inégalités du système français ?</a>
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<p>Dans certains cas, l’aide publique rend possibles les études et déclenche une aide supplémentaire des parents, ce qui ne correspond pas au cas d’éviction que nous mesurons.</p>
<p>Deuxièmement, ce travail porte sur des familles modestes éligibles aux bourses. La question se poserait différemment pour les familles aisées. Si un effet d’éviction similaire existait pour ces dernières, il s’apparenterait à un effet d’aubaine car une aide aux étudiants permettrait simplement aux parents d’économiser une partie de l’argent qu’ils donnent aux jeunes, alors qu’ils auraient les moyens de les aider. Ils pourraient alors être considérés comme des bénéficiaires secondaires non souhaités de l’aide.</p>
<p>Cela illustre bien l’arbitrage entre :</p>
<ul>
<li><p>Des prestations universelles qui ont de nombreux avantages : moins stigmatisantes, plus simples à mettre en œuvre, plus consensuelles politiquement et durables car elles ont le soutien de tous. Dans le cas des jeunes adultes, elles sont aussi plus cohérentes avec l’idée d’une citoyenneté sociale qui soustrait les jeunes à la dépendance envers leurs parents, et avec l’idée d’un nécessaire soutien public à l’accumulation de capital humain.</p></li>
<li><p>Des prestations ciblées qui évitent un effet d’aubaine pour les familles aisées et permettent donc d’aider davantage ceux qui en ont besoin. Cet avantage se gagne au prix de prestations plus complexes, du maintien de fait du primat de l’aide parentale, d’un caractère parfois stigmatisant, et enfin du risque de ne pas pouvoir cibler adéquatement tous les jeunes qui en auraient besoin.</p></li>
</ul>
<p>Cet arbitrage a récemment été illustré par la polémique portant sur les repas à 1 euro pour les étudiants, avec des <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/02/18/etudiants-pour-aider-les-pauvres-il-ne-faut-pas-mettre-l-accent-sur-les-transferts-mais-sur-l-egalite-des-droits_6162377_3232.html">débats sur l’opportunité ou pas d’accorder ce soutien à tous les étudiants</a>. Il s’agit plus globalement de déterminer le <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-des-affaires-sociales-2019-2-page-53.htm">type de politique de jeunesse que l’on souhaite</a>.</p>
<p>On peut prôner un soutien concentré sur les jeunes les plus pauvres, qui comme on l’a vu n’est pas incompatible avec une éviction partielle par l’aide parentale. Dans le cas d’un soutien universel, l’éviction limiterait partiellement les effets sur l’autonomisation des jeunes, mais fait partie du prix à payer pour un système plus simple et aidant tous les jeunes : un prix élevé, mais que l’on peut voir comme un investissement. Bref, c’est ici encore un choix de société, dont l’estimation des effets d’éviction contribue à éclairer une partie des enjeux.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/222551/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Lorsque les bourses étudiantes augmentent, les aides des parents tendent à baisser. Comment ajuster au mieux le système de prestations publiques pour favoriser l’autonomie des jeunes ?Sébastien Grobon, Doctorant au Centre d’économie de la Sorbonne (CES) et économiste au Conseil d'Orientation des Retraites (COR), Université Paris 1 Panthéon-SorbonneFrançois-Charles Wolff, Professeur en sciences économiques, IAE Nantes, IAE NantesLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2220282024-01-31T15:56:20Z2024-01-31T15:56:20ZPourquoi si peu de filles en mathématiques ?<p><em>À 17 ans, une fille française sur deux n’étudie plus les mathématiques, contre seulement un garçon sur quatre. Publié en janvier 2024 chez CNRS Editions, <a href="https://www.insmi.cnrs.fr/fr/matheuses">« Matheuses – Les filles, avenir des mathématiques »</a> se penche sur ces inégalités pour mieux les combattre.</em></p>
<p><em>À travers 10 chapitres, la chercheuse Clémence Perronnet, la médiatrice scientifique Claire Marc et la mathématicienne Olga Paris-Romaskevitch apportent des réponses scientifiques à des questions comme « Faut-il avoir des parents scientifiques pour réussir en maths ? », « Les maths sont-elles réservées aux élites ? » ou encore « Les modèles féminins créent-ils des vocations chez les filles ? »</em></p>
<p><em>Ci-dessous, nous vous proposons de lire la conclusion de cet ouvrage conçu aussi bien comme une enquête sociologique qu’un cahier de maths.</em></p>
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<p>Les parcours en mathématiques commencent dès la petite enfance, avec l’influence forte de la <a href="https://ses.ens-lyon.fr/articles/muriel-darmon-et-le-concept-de-socialisation-28849#section-1">socialisation familiale</a>. On a beaucoup plus de chances de s’intéresser aux maths et d’être encouragée dans cette voie lorsqu’on a des parents scientifiques – et surtout, pour les filles, une <a href="https://www.cairn.info/inegalites-sociales-et-enseignement-superieur--9782804171162-page-131.htm">mère scientifique</a>. Ces héritages familiaux sont purement sociaux et ne reposent pas sur la transmission d’un goût ou d’un talent génétique. Contrairement aux idées reçues, notre intérêt, notre curiosité et nos compétences en mathématiques ne sont jamais déterminés à l’avance par des caractéristiques biologiques. L’intelligence n’est pas innée, et ce n’est pas elle qui fait la compétence en mathématiques : celle-ci ne s’acquiert que par l’entraînement. Ce n’est donc pas parce qu’on est brillant, génial ou naturellement talentueux qu’on devient bon en maths. À l’inverse, c’est au fur et à mesure qu’on les pratique et qu’on s’y investit que l’on nous reconnaît talent et intelligence, parce qu’on investit cette discipline qui détient un important pouvoir symbolique et social.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/grandes-ecoles-80-fois-plus-de-chances-dadmission-quand-on-est-enfant-dancien-diplome-198036">Grandes écoles : 80 fois plus de chances d’admission quand on est enfant d’ancien diplômé</a>
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<p>Il y a néanmoins une très grande inégalité de traitement dans cette reconnaissance, puisque <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2004/04/BOURDIEU/11113">l’intelligence</a> est beaucoup moins facilement accordée aux femmes qu’aux hommes. Les discours pseudoscientifiques qui prétendent prouver l’origine biologique de l’intelligence et les processus d’évaluation à l’œuvre dans le système scolaire <a href="https://www.cairn.info/revue-actes-de-la-recherche-en-sciences-sociales-2017-5-page-68.htm">desservent systématiquement les femmes</a>. Celles-ci sont toujours considérées comme naturellement moins douées – alors même que des décennies de recherche scientifique établissent que le sexe biologique ne détermine aucunement les capacités cognitives.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/pourquoi-legalite-entre-les-sexes-nefface-t-elle-pas-les-segregations-dans-les-filieres-scientifiques-152272">Pourquoi l’égalité entre les sexes n’efface-t-elle pas les ségrégations dans les filières scientifiques ?</a>
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<p>Ces inégalités de traitement expliquent la sous-représentation des femmes dans certaines sciences (mathématiques, informatique, ingénierie…) mais aussi leur surreprésentation dans d’autres (biologie, chimie, médecine…). En effet, les disciplines scientifiques ne sont pas investies de la même façon selon la valeur qu’on leur prête dans le monde social. <a href="https://www.cairn.info/revue-actes-de-la-recherche-en-sciences-sociales-2015-5-page-10.htm">Les hiérarchies disciplinaires</a>, de genre et sociales se croisent pour construire un espace social et sexué des sciences. Au sommet, les mathématiques et la physique sont considérées comme les plus fondamentales et théoriques ; ce sont elles qui recrutent le plus d’hommes et de personnes des classes favorisées. Les champs de l’ingénierie, de la technologie et de l’industrie, associés à l’application et à la technique, ont un recrutement tout aussi masculin mais davantage populaire. Enfin, les sciences du vivant comme la médecine et la biologie, focalisées sur l’activité de soin et de sollicitude, sont les plus féminisées. Cela n’en fait pas des sciences plus égalitaires, puisque la présence des femmes s’y explique toujours par la croyance en des différences de nature entre les sexes (ici, l’existence de qualités féminines liées au <em>care</em>).</p>
<p>Le cas particulier de l’informatique montre bien la façon dont les liens entre genre, savoir et pouvoir produisent des orientations inégalitaires. Loin d’être le résultat de préférences ou de compétences « naturelles », <a href="https://theconversation.com/pourquoi-les-filles-ont-delaisse-linformatique-110940">l’absence des filles en informatique est le résultat d’une éviction</a>. Alors qu’elles étaient majoritaires dans cette discipline à ses débuts, les <a href="https://www.le-passeur-editeur.com/les-livres/essais/les-oubli%C3%A9es-du-num%C3%A9rique/">femmes en ont été exclues</a> lorsqu’elle a pris de l’importance et est devenue le lieu d’enjeux de pouvoir économiques et politiques. Aujourd’hui, en milieu scolaire comme en milieu professionnel, les femmes sont confrontées à des comportements sexistes constants de la part de leurs professeurs, camarades et collègues, et leur prétendue incompétence et incompatibilité avec l’informatique servent à justifier leur évincement.</p>
<p>L’absence d’intérêt ou de <a href="https://theconversation.com/aider-un-enfant-a-prendre-confiance-en-lui-les-conseils-de-trois-grands-philosophes-158590">confiance en soi</a> n’est jamais le point de départ de la situation des femmes en mathématiques : elle est le résultat de leur expérience. Les filles perdent confiance en constatant les efforts infructueux de leurs mères, en rencontrant page après page des personnages qui leur enseignent la résignation face à la domination et en étant la cible quotidienne de <a href="https://www.ipsos.com/fr-fr/une-femme-scientifique-sur-deux-revele-avoir-ete-victime-de-harcelement-sexuel-au-travail">violences sexistes et sexuelles</a> dans une société qui leur vante pourtant ses mérites égalitaires. Dans leur vie quotidienne comme dans la fiction, tout indique et rappelle aux filles leur <a href="https://www.syllepse.net/moi-tarzan-toi-jane-_r_62_i_520.html">incompétence « naturelle »</a> en mathématiques et les sanctions qui les attendent si elles essayent malgré tout d’investir ce champ du savoir.</p>
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<figcaption><span class="caption">Why science is for me (The Royal Society, 2020).</span></figcaption>
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<p>Ces sanctions sont les plus fortes pour les adolescentes noires, arabes ou asiatiques et issues des milieux populaires, qui expérimentent une triple discrimination sexiste, raciste et classiste. <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-d-economie-2020-2-page-155.htm">Les mathématiques sont les plus élitistes des sciences</a>, mais leur aspiration universaliste produit une illusion de neutralité qui minimise le poids de la classe et de la race dans les parcours. <a href="https://journals.openedition.org/sdt/1585">La norme du désintéressement</a> dissimule ainsi les conditions matérielles privilégiées qui sont nécessaires à la pratique des mathématiques pures, les plus valorisées.</p>
<p>Faire le choix des mathématiques quand on est une fille impose une transgression des normes de genre et un inconfort que seules les adolescentes les plus favorisées peuvent tolérer – non sans sacrifices. L’absence des groupes dominés en sciences est produite structurellement. Elle n’est ni une affaire de parcours individuels ni un phénomène purement psychologique. Les femmes, les personnes des classes populaires et les personnes non blanches ne s’autocensurent pas en sciences : elles sont censurées socialement par le poids des rapports de domination.</p>
<p>Dans ce contexte, des actions en <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0742051X21001864">non-mixité</a> comme les <a href="https://www.fr-cirm-math.fr/lescigales.html">stages des Cigales</a> peuvent jouer un rôle important. En protégeant pour un temps les filles des violences sexistes, elles leur permettent de se consacrer pleinement à la pratique des mathématiques. Elles favorisent également une prise de conscience des inégalités et mettent en avant des modèles de femmes scientifiques encore trop rarement accessibles pour les adolescentes.</p>
<p>Néanmoins, ces actions ne feront progresser l’égalité qu’à condition de renoncer aux croyances en la différence « naturelle » entre les sexes, et de reconnaître les autres rapports de domination structurant le champ scientifique. Si elles peuvent suspendre temporairement les rapports sexistes, les actions en non-mixité de genre n’échappent ni à l’élitisme ni au racisme. Faute de prendre en compte l’ensemble de ces rapports sociaux, elles bénéficient davantage aux filles des classes les plus favorisées.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/571894/original/file-20240129-15-9ackwz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/571894/original/file-20240129-15-9ackwz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/571894/original/file-20240129-15-9ackwz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=604&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/571894/original/file-20240129-15-9ackwz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=604&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/571894/original/file-20240129-15-9ackwz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=604&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/571894/original/file-20240129-15-9ackwz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=759&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/571894/original/file-20240129-15-9ackwz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=759&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/571894/original/file-20240129-15-9ackwz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=759&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="attribution"><span class="source">CNRS éditions</span></span>
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<p>Pour avancer vers l’égalité et réaliser véritablement leur ambition universelle, les mathématiques doivent repenser complètement leur histoire, leur fonctionnement et leur sens. Pour servir l’intérêt général, elles doivent refuser d’élever une minorité au détriment de la majorité. Cela impose de prendre conscience de la façon dont la pratique actuelle des maths rend impossible l’accès de tous et toutes aux savoirs et aux carrières.</p>
<p>Parce que les inégalités sont sociales et structurelles, les outils pour les résorber doivent l’être également. Les actions ponctuelles et périphériques à destination des groupes sociaux exclus sont nécessairement insuffisantes. Les mathématiques ont besoin d’une transformation interne et collective des pratiques, fondée sur le refus de construire la discipline sur la réussite personnelle de quelques individus jugés exceptionnels, et sur le rejet systématique de toutes les approches naturalisantes des femmes et des hommes, mais aussi des questions de goût, de talent et de mérite.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/222028/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Clémence Perronnet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>À 17 ans, en France, une jeune fille sur deux ne suit plus de cours de maths, contre seulement un garçon sur quatre. Le livre « Matheuses » décrypte les freins à l’œuvre. Extrait.Clémence Perronnet, Chercheuse en sociologie rattachée au Centre Max Weber (UMR 5283), ENS de LyonLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2212382024-01-23T16:35:27Z2024-01-23T16:35:27ZFormation ou expérience : de quoi nos compétences dépendent-elles vraiment ?<p>L’âge de Gabriel Attal, né en 1989 et <a href="https://www.lexpress.fr/monde/le-premier-ministre-ressemble-a-un-nouveau-ne-gabriel-attal-vu-par-la-presse-etrangere-EUIBMBSSEZDZ5FGGAIV35OZH24/">nommé premier ministre le 9 janvier dernier</a>, a fait couler beaucoup d’encre, en France et à l’étranger. Trente-quatre ans, n’est-ce pas un <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2024/01/09/quels-sont-les-records-d-age-et-de-longevite-des-premiers-ministres-de-la-v-republique_6209915_4355770.html">peu jeune pour diriger un gouvernement</a> ? On pourrait rétorquer d’emblée, avec <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/serie-pierre-corneille-en-quatre-tragedies-et-une-comedie">Corneille</a>, que l’âge ne fait rien à l’affaire. Car, « aux âmes bien nées, la valeur n’attend point le nombre des années », disait la célèbre tragi-comédie du XVII<sup>e</sup> siècle <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k54586108/f3.item"><em>Le Cid</em></a> dans une réplique qu’ont apprises des générations de collégiens.</p>
<p>Encore faudrait-il dire ce qu’est une âme bien née, ce qui soulève le problème des dons ; et préciser de quelle « affaire » il s’agit. Existe-t-il des tâches, ou des fonctions, pour lesquelles on est trop jeune… ou trop vieux ? Et cela ne dépend-il pas essentiellement de capacités propres aux individus ?</p>
<p>C’est toute la question du rapport entre les compétences, et l’expérience, qui se trouve posée. Examiner cette question nous permettra de mieux comprendre la dynamique du processus éducatif. Car c’est elle qui, pour l’essentiel, et en jeu dans cette « affaire ». Qu’en disent les sciences de l’éducation ?</p>
<h2>Savoirs, compétences, expérience : des réalités distinctes ?</h2>
<p>À première vue, les compétences et l’expérience sont deux réalités bien distinctes. Dans le sens du mouvement créé par le développement, tant dans le domaine de la formation, que dans celui de l’éducation, de <a href="https://theconversation.com/faut-il-continuer-a-noter-les-eleves-184694">pratiques d’évaluation centrées sur les compétences</a>, celles-ci ont fait l’objet de nombreux travaux.</p>
<p>Le Gouvernement du Québec définit la <a href="https://ulysse.univ-lorraine.fr/discovery/fulldisplay/alma991005643969705596/33UDL_INST:UDL">compétence</a> comme « un savoir agir fondé sur la mobilisation et l’utilisation efficaces d’un ensemble de ressources ». Ce qui distingue la compétence d’un simple savoir, lequel n’est pas directement opératoire. La compétence implique :</p>
<ul>
<li><p>la possession de ressources (en termes de savoirs et de savoir-faire) ;</p></li>
<li><p>la capacité de mobiliser de façon adéquate ces ressources, pour faire face à des familles de tâches (ex. : conduire une voiture ; installer un chauffe-eau) ;</p></li>
<li><p>et donc l’existence de familles de tâches identifiables dans l’univers des tâches possibles (ex. : les problèmes de soustraction ; la conduite d’un ministère).</p></li>
</ul>
<p>Mais la compétence n’est pas une donnée immédiate. Fait capital, elle se construit, grâce à un apprentissage. Certes, cette construction repose sur un socle de capacités que l’on peut considérer comme innées. Puis, une fois construite, la compétence se situe du côté des ressources internes des individus ; et, à ce titre, du côté du donné – mais d’un donné construit. Alors que l’expérience, forgée au fil du temps, est sans conteste et totalement du côté de l’acquis.</p>
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<figcaption><span class="caption">De plus en plus, dans le champ du recrutement, on parle en termes de « compétences ». (France Travail, 2019).</span></figcaption>
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<p>L’expérience peut s’entendre de deux façons. Elle est de l’ordre du fait brut : avoir de l’âge ; avoir vécu ; avoir rencontré et résolu des problèmes. Et de l’ordre de la maturité, consécutive à ce vécu : celui-ci a laissé des traces sous la forme d’une familiarité avec les problèmes, ou d’une véritable sagesse, qui rendent plus facile, et plus efficace, l’entrée en jeu de ses compétences.</p>
<p>Il y a bien alors un acquis important, qui s’intègre au « bagage » des ressources personnelles. On apprend de ses expériences, et l’ensemble de ces apprentissages constitue ce que l’on appelle l’expérience.</p>
<h2>Éduquer : ouvrir un champ pour la réalisation de soi</h2>
<p>Finalement, le donné et l’acquis sont en interconnexion. Compétence et expérience sont à la fois l’objet, et le fruit, d’un apprentissage. Quand le développement de l’individu est positif, compétences et expérience agissent de concert et travaillent dans le même sens. On pourrait définir à cet égard quatre grands cas de figure :</p>
<ul>
<li><p>l’individu compétent, mais sans expérience (le novice).</p></li>
<li><p>expérimenté mais avec un bagage très restreint de compétences (le professionnel limité, au champ d’exercice étroit).</p></li>
<li><p>sans compétence ni expérience.</p></li>
<li><p>et à la fois expérimenté, et très compétent (l’expert ouvert à toutes sortes de situations, et qui échappe à l’enfermement technocratique).</p></li>
</ul>
<p>L’éducation et la formation ont pour mission de faire progresser vers ce dernier idéal. Car le développement de la personne ne peut se faire en dehors d’un milieu humain, qui offre un environnement déterminé (historique, économique, social, politique, familial). Cet environnement propose, ou non, un accompagnement adéquat pour faire fructifier le socle de potentialités, désirs, capacités, propres à chacun.</p>
<p>C’est pourquoi le prix Nobel d’économie <a href="https://www.economie.gouv.fr/facileco/amartya-sen">Amartya Sen</a> propose de parler de « capabilités » plutôt que de capacités. Chaque capabilité ouvre sur un champ de réalisation de soi (ex. : se nourrir ; participer à la vie politique) où l’on pourra construire des compétences, et acquérir une expérience… si le milieu a une valeur éducative, et formatrice. C’est-à-dire s’il s’organise en milieu susceptible de favoriser les apprentissages.</p>
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<figcaption><span class="caption">Qu’est ce que les capabilités ? (FNEGE Médias, 2021)</span></figcaption>
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<p>À tout moment, chacun est (entre autres, car aucune personne humaine ne se réduit à cela) la somme de ses compétences, et le résultat de son expérience. Les compétences se construisent et évoluent. Leur état conditionne l’expérience, elle-même en élaboration progressive.</p>
<p>Chacun est engagé dans une spirale dont la positivité n’est jamais assurée, et qui peut se révéler tout autant destructrice, que majorante (au sens où Jean Piaget parlait d’une <a href="https://www.fondationjeanpiaget.ch/fjp/site/presentation/index_notion.php?NOTIONID=85">« équilibration majorante »</a>, qui permet de grandir et d’accroître son pouvoir d’agir). Tout dépend de la qualité de la construction de soi en termes de compétences et d’expérience, et de la qualité de l’offre d’éducation et de formation que propose le milieu dans lequel on a la chance, ou la malchance, de se trouver.</p>
<h2>L’être humain, un être à jamais inachevé</h2>
<p>Il faut être attentif, enfin, à une dernière caractéristique du développement de l’être humain : c’est un processus doublement marqué par un inachèvement constitutif. Dans son ouvrage <a href="https://www.persee.fr/doc/rfsoc_0035-2969_1964_num_5_4_6400"><em>L’entrée dans la vie. Essai sur l’inachèvement de l’homme</em></a>, Georges Lapassade a remarquablement décrit l’homme comme un être à la fois prématuré et « immaturé », « à jamais marqué par un inachèvement originel ».</p>
<p>Plasticité et fragilité sont deux caractéristiques humaines fondamentales. Si bien que la capacité de perfectionnement de soi (pour qui bénéficie d’une spirale majorante…) n’est que l’autre face de « l’inachèvement permanent de l’individu… à l’image de l’inachèvement permanent de l’espèce ». Double inachèvement qu’exprime l’idée de <a href="https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/n%C3%A9ot%C3%A9nie/54244">« néoténie »</a>), capacité de progresser par l’épanouissement de formes juvéniles, sans espoir d’achèvement complet et définitif.</p>
<p>En termes simples, cela signifie que l’éducation ne peut être que permanente. Et que chacun est sommé de se donner les moyens de progresser toujours, vers l’idéal de l’individu ayant développé pleinement ses capabilités, dans le cadre d’un <a href="https://www.eyrolles.com/Entreprise/Livre/orientation-et-formation-tout-au-long-de-la-vie-9782367176321/">« trajet de formation émancipateur »</a>.</p>
<p>Dans le meilleur des cas, les compétences et l’expérience s’enrichissent mutuellement au cours d’un développement que l’éducation a pour mission principale d’orchestrer, avant que chacun ne prenne le relais pour devenir l’autorégulateur de sa propre vie.</p>
<p>Mais ce processus d’éducation, puis d’autoéducation, est sans fin. Personne ne peut se prévaloir d’avoir atteint la maturité, et d’être devenu adulte. D’où la pertinence du concept d’« anthropolescence » (sur le modèle du terme « adolescence ») que <a href="https://www.lemonde.fr/disparitions/article/2022/10/26/la-mort-de-guy-avanzini-pionnier-des-sciences-de-l-education_6147447_3382.html">Guy Avanzini</a> a proposé pour désigner « <a href="https://www.labouquinette.fr/livre/9782865863280-cahiers-binet-simon-n-4-94-libres-propos-sur-l-ecole-collectif/">cet être humain qui ne cesse de se renouveler</a> et, né plusieurs, ne cesse de manifester, et de se manifester, sa pluralité, à travers un renouvellement de lui-même ».</p>
<p>C’est pourquoi, enfin, n’en déplaise à Corneille, ce n’est qu’à la fin d’une vie que l’on peut savoir si l’âme qui s’en va était « bien née ». Car, paradoxalement, c’est à l’aune du développement que l’on peut apprécier la qualité d’un donné initial. Ce n’est qu’à la fin de l’histoire que la vérité (toujours relative) se révèle.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221238/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Charles Hadji ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Existe-t-il des tâches, ou des fonctions, pour lesquelles on est trop jeune… ou trop vieux ? Retour sur ce que les sciences de l’éducation nous disent du rapport entre expérience et compétences.Charles Hadji, Professeur honoraire (Sciences de l’éducation), Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2157562024-01-16T14:07:19Z2024-01-16T14:07:19ZComment créer une nouvelle université, au XXIᵉ siècle ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/558123/original/file-20231107-21-ras0om.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=4%2C2%2C991%2C663&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le lieu nommé « université » peut se définir comme un établissement d’enseignement supérieur formellement autorisé à émettre des diplômes.</span> <span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span></figcaption></figure><p>Si on créait une université aujourd’hui, comment s’y prendrait-on ?</p>
<p>Il arrive fréquemment que des gestionnaires ou des professeurs d’université peinent à mettre en place un projet au sein de leur institution. Ils expliquent alors cette difficulté par les contraintes imposées par l’administration, les conventions collectives, les règles en place, les traditions ou les usages. </p>
<p>Tel projet serait-il plus facile à réaliser si on repartait de zéro en créant une toute nouvelle université ? Peut-être, mais comment crée-t-on une université au XXI<sup>e</sup> siècle ? </p>
<p>Voici la grande question qui a hanté mes jours (et mes nuits) des quatre dernières années. J’ai récemment complété une <a href="https://depot-e.uqtr.ca/id/eprint/10732/1/eprint10732.pdf">thèse</a> sur les enjeux de communication et de gestion entourant la création d’une université à partir de zéro – un phénomène rare. Nous avons eu la chance d’assister à un tel événement avec la fondation en 2017 de <a href="https://uof.ca/">l’Université de l’Ontario français (UOF)</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/luniversite-de-lontario-francais-voici-ce-quelle-pourrait-devenir-110072">L'Université de l'Ontario français: voici ce qu'elle pourrait devenir</a>
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<p>J’ai ainsi pu décomposer les étapes de création de cette nouvelle institution, et réfléchir à la fois à la mise en place de composantes de l’université idéale, à l’influence des facteurs externes ainsi qu’à la façon dont les différentes communautés discutent d’un tel projet. </p>
<p>Dans un premier temps, j’ai analysé l’expérience vécue par les fondateurs de l’UOF et les publications médiatiques sur l’histoire de cette création. Dans un deuxième temps, j’ai rencontré des experts de l’enseignement supérieur (chercheurs et dirigeants d’universités) pour discuter de la question de la naissance d’une université. J’ai ainsi vite constaté que de me pencher sur ce moment important m’en apprenait beaucoup sur les tensions vécues par l’université au XXI<sup>e</sup> siècle.</p>
<h2>Qu’est-ce qu’une université ?</h2>
<p>Le lieu nommé « université » peut se définir comme un <a href="https://www.cairn.info/revue-politiques-et-gestion-de-l-enseignement-superieur-2005-2-page-9.htm">établissement d’enseignement supérieur formellement autorisé à émettre des diplômes</a>. </p>
<p>La notion d’université, quant à elle, peut être définie de plusieurs façons. En 1895, le philosophe Hastings Rashdall l’associe à la racine latine « universitas », qui sous-tend l’idée d’une organisation corporative, d’une communauté. </p>
<p>Cet espace d’entraide, de défense d’intérêt commun, réunit, dès son origine, l’ensemble des étudiants et des professeurs ayant la mission commune d’explorer, de partager, de questionner les connaissances humaines. J’ai trouvé instructif d’observer comment l’UOF, université nouvelle, a tenté d’actualiser une telle notion. Pour développer la <a href="https://theconversation.com/luniversite-de-lontario-francais-voici-ce-quelle-pourrait-devenir-110072">signature pédagogique</a> de cette institution, ses fondateurs ont pris en compte les compétences requises par le marché du travail et la société à notre époque, ainsi que les pratiques innovatrices en enseignement supérieur. Cette signature pédagogique s’appuie ainsi sur quatre approches : la transdisciplinarité, l’apprentissage inductif, l’apprentissage expérientiel et les compétences.</p>
<p>La création de l’UOF constitue également l’aboutissement d’une <a href="https://histoireengagee.ca/quelle-universite-pour-quelle-societe-petite-histoire-du-debat-intellectuel-entourant-la-question-universitaire-franco-ontarienne/">revendication de longue date</a> émanant d’une partie de la communauté franco-ontarienne. Une année après sa fondation en 2017, le gouvernement progressiste-conservateur stoppe le financement de l’UOF. Aussitôt, la communauté franco-ontarienne se mobilise pour contester cette décision. Ce mouvement populaire contribue à la volte-face du gouvernement ontarien. En 2020, ce dernier conclut une entente avec le gouvernement fédéral afin de financer les huit premières années d’existence de l’UOF. </p>
<h2>Une page avec peu d’espace de création</h2>
<p>Un constat a rapidement émergé de mes recherches : la création d’une nouvelle université ne se déroule pas sur une page complètement blanche. L’UOF a été créée selon des échéanciers serrés, en négociant avec les différents gouvernements en place et en luttant pour sa survie au sein d’un système d’enseignement supérieur parfois hostile, ainsi que dans un contexte social et historique mouvementé. À toutes les étapes de la création de l’institution, l’équipe fondatrice a dû composer avec la dynamique politique et avec les rapports de force entre les parties prenantes : représentants des collectivités francophones, des établissements d’enseignement supérieur, des ministères, des élus. </p>
<p>L’université rêvée est rapidement rattrapée par la réalité. </p>
<p>Pour les nombreux experts de l’enseignement supérieur rencontrés, la création d’une université passe nécessairement par la mise en place de composantes liées à sa mission soit : l’enseignement, la recherche et les services aux collectivités. </p>
<p>La nouvelle université, comme les universités établies, est soumise à un cadre normatif assez contraignant. L’institution s’inscrit également au sein d’une communauté qui lui soumet de nombreuses attentes (formation, développement économique). Elle évolue, de plus, dans un système d’enseignement supérieur qui lui impose une concurrence féroce. </p>
<p>Les rapports entre les différents groupes d’intérêt, à l’intérieur et à l’extérieur de l’université, façonnent alors ce qu’elle peut devenir. Quelle part de création demeure donc pour l’université ? </p>
<h2>Fortes pressions, faible cohésion</h2>
<p>Pour l’UOF, les attentes des différents acteurs concernés par le projet (communautés francophones de la province, associations franco-ontariennes, gouvernements, organisations issues des milieux politiques et économiques, administrateurs de l’UOF) étaient nombreuses et parfois contradictoires, tant au niveau du lieu de fondation (Toronto ou ailleurs en Ontario) que de l’offre de formation (programmation traditionnelle ou innovante). De plus, ces acteurs n’ont eu que très peu de temps pour discuter ensemble de ce projet. </p>
<p>Un deuxième constat émerge ainsi de l’analyse du discours des experts sur la question : la communauté universitaire à notre époque peine à se rassembler autour d’un projet commun. Ce projet tend à se réduire à un compromis, fragile et insatisfaisant pour la plupart des acteurs. </p>
<p>Dès sa création, et tout au long de son existence, il apparaît donc que la communauté universitaire est fragilisée par les tensions qui l’assaillent. L’institution doit composer avec des tensions inhérentes à la réalité universitaire multiséculaire (son mode de gouvernance par les pairs, l’équilibre à trouver entre recherche et enseignement ou entre recherche fondamentale et appliquée, notamment). Ces tensions s’additionnent à celles, plus nombreuses, que subit l’université à notre époque (mentionnons seulement les attentes du gouvernement en place et celles des milieux socio-économiques sur les types de formation ou de développement de la recherche, notamment). </p>
<p>Ces tensions sont intégrées dans les structures internes et sont alimentées par les universitaires eux-mêmes. Le gouvernement, les partenaires de la communauté externe, les différents types d’étudiants, de professeurs, de cadres et d’employés, les syndicats et les associations : tous ont et expriment des attentes multiples, complexes et souvent contradictoires. Les lieux de rencontre pour discuter d’éventuelles voies de passage ou d’un projet commun, autant aux niveaux institutionnel, communautaire ou public, ne semblent pas toujours efficaces. </p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/558075/original/file-20231107-20-a16ngw.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=7%2C14%2C2389%2C1253&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="façade de l’UOF" src="https://images.theconversation.com/files/558075/original/file-20231107-20-a16ngw.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=7%2C14%2C2389%2C1253&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/558075/original/file-20231107-20-a16ngw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=318&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/558075/original/file-20231107-20-a16ngw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=318&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/558075/original/file-20231107-20-a16ngw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=318&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/558075/original/file-20231107-20-a16ngw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=400&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/558075/original/file-20231107-20-a16ngw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=400&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/558075/original/file-20231107-20-a16ngw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=400&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">La création de l’Université de l’Ontario français constitue l’aboutissement d’une revendication de longue date émanant d’une partie de la communauté franco-ontarienne.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(https://uontario.ca)</span></span>
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<h2>L’utopie de la corporation universitaire</h2>
<p>J’ai pu observer, en rencontrant les fondateurs de l’UOF ainsi que les experts de l’enseignement supérieur, que la corporation universitaire est encore aujourd’hui considérée comme une utopie. <em>Corporari</em>, en latin, signifie « se former en corps ». Cela évoque l’idée d’une organisation idéale constituée de plusieurs acteurs partageant un but commun. </p>
<p>L’université est donc représentée comme un corps, où professeurs, étudiants et artisans, issus de la communauté interne et externe à l’université, partagent une même compréhension de la raison d’être de l’institution. Les turbulences rapides vécues par les universités dans les dernières décennies, couplées aux tensions qu’elles vivent déjà, ont toutefois réduit la capacité de la communauté universitaire à « faire corps ». </p>
<p>À l’évidence, l’université ne se crée ni ne se développe en vase clos. Comme nous l’avons vu dans le cas de l’UOF, l’université est à la fois influencée par la société qui l’accueille (actuellement marquée par la montée de l’individualisme, par la fragmentation des communautés et par la fragilisation du lien social) et contributive au développement de cette dernière. </p>
<p>Elle reste une de ces institutions qui peuvent, selon moi, être précurseures d’une façon nouvelle de concevoir le vivre-ensemble. </p>
<p>Mais cela passe nécessairement par l’apaisement de certaines tensions. Et par une communauté universitaire qui prend le temps nécessaire pour se rassembler en une corporation.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/215756/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>François-René Lord ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Comment crée-t-on une université au XXIᵉ siècle ? Comment cette expérience se déroule-t-elle ? Et que nous apprend l’analyse de ce phénomène ?François-René Lord, Professeur subsitut en communication , Université TÉLUQ Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2203102024-01-10T19:00:11Z2024-01-10T19:00:11ZLoi immigration : la « caution retour » ou l’obsession du « faux » étudiant étranger<p><a href="https://www.youtube.com/watch?v=nCnZvB09N6I">Le 19 décembre 2023</a> a été voté le projet de loi pour <a href="https://www.senat.fr/leg/pjl23-224.html">« contrôler l’immigration, améliorer l’intégration »</a>. Si Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur et figure de proue de ce projet de loi, a salué un <a href="https://www.bfmtv.com/politique/gouvernement/accord-sur-la-loi-immigration-gerald-darmanin-salue-un-texte-qui-protege-les-francais_AV-202312190722.html">texte qui « protège les Français »</a>, Marine Le Pen, cheffe de file de l’extrême droite, a vu dans son adoption une <a href="https://www.dailymotion.com/video/x8qpo2a">« victoire idéologique de son mouvement »</a>.</p>
<p>L’une des mesures qui ont suscité les plus <a href="https://www.liberation.fr/societe/education/une-insulte-aux-lumieres-les-universites-francaises-sopposent-au-projet-de-loi-immigration-20231218_W7GUZKST7ZD2TDPGXDGKTYQU5E/">vives réserves</a> parmi les parlementaires et l’opinion concerne les étudiants étrangers. Ces derniers devront déposer une <a href="https://www.ouest-france.fr/education/etudiant/etudes-superieures/loi-immigration-ce-quil-faut-savoir-sur-la-caution-etudiante-qui-a-cristallise-les-tensions-cb047dd2-a09f-11ee-adb1-d9afec7817b9">« caution de retour »</a>, caution destinée à s’assurer qu’ils quitteront le territoire à la fin de leur formation et à l’expiration de leur titre de séjour. Une décision qui vient consacrer une obsession de ces dernières années, celle du « faux » étudiant étranger.</p>
<h2>Le tournant des années 1970</h2>
<p>Pendant très longtemps cependant, la France a vu dans l’accueil des étudiants étrangers un dispositif performant pour consolider et promouvoir son influence économique et culturelle. Dès la deuxième moitié du XIX<sup>e</sup> siècle, <a href="https://books.openedition.org/pumi/13288">attirer des étudiants du monde entier</a> a été considéré comme un enjeu politique de premier ordre.</p>
<p>C’est depuis la fin des années 1970 que la <a href="https://www.cairn.info/revue-migrations-societe-2020-2-page-37.htm">politique d’attraction des étudiants étrangers en France</a> a subi des réajustements conséquents. La politique « généreuse » et libérale à l’égard de cette population s’est transformée en une politique de plus en plus restrictive.</p>
<p>En décembre 1977, la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000886939/">« circulaire Bonnet »</a>, suivie en décembre 1979 du <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000519458/">« décret Imbert »</a>, vont imposer aux étrangers qui souhaitent étudier en France l’obligation d’obtenir une attestation de pré-inscription, de justifier de ressources financières suffisantes et de passer un test linguistique de connaissance de la langue française. La « circulaire Bonnet » a introduit l’obligation de retour des étudiants étrangers dans leur pays d’origine après l’obtention de leur diplôme et a restreint le renouvellement de la carte de séjour en cas d’échec aux examens.</p>
<p>Conséquence de ces dispositifs restrictifs, le nombre d’étudiants étrangers en France a considérablement diminué jusqu’au milieu des années 1990. Le <a href="https://www.vie-publique.fr/rapport/25205-mission-detude-des-legislations-de-la-nationalite-et-de-limmigration">rapport de Patrick Weil</a>, établi en 1997 à la demande de Lionel Jospin, est le premier à mettre en garde contre cette situation. Dans ce rapport, Weil a invité le gouvernement à revoir, entre autres, sa politique d’accueil des étudiants étrangers et a formulé à l’occasion des recommandations pour améliorer leur statut. Certaines de ces recommandations ont été prises en considération dans la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000396397">« loi Chevènement »</a>, votée le 11 mars 1998.</p>
<h2>Une politique de recrutement sélectif des étudiants</h2>
<p>Si la « loi Chevènement » a enregistré, à certains égards, des avancées relatives à la politique d’accueil des étudiants étrangers, elle avait avant tout pour objectif de servir les intérêts économiques de la France. En effet, l’adoption de cette nouvelle politique migratoire éclot dans un contexte international marqué par la marchandisation débutante de l’enseignement supérieur et la compétition entre les pays pour attirer les étudiants étrangers, les chercheurs et les travailleurs hautement qualifiés.</p>
<p>Compte tenu de ces enjeux, la <a href="https://journals.openedition.org/urmis/354">nouvelle politique d’accueil des étudiants étrangers</a> est élaborée dans une perspective fédérant deux objectifs :</p>
<blockquote>
<p>« tenir le [rang de la France] sur le marché [international] de la formation, ce qui implique une politique d’attraction active à l’égard des étudiants étrangers, et maintenir une politique de fermeture rigoureuse à l’égard des formes d’immigration “indésirables” ».</p>
</blockquote>
<p>Ces remaniements reflètent la double vision de la nouvelle politique migratoire française, aspirant à la fois à recruter les meilleurs étudiants étrangers sans pour autant négliger « le risque migratoire » que peuvent représenter les « mauvais » ou les « faux étudiants », <a href="https://www.editions-harmattan.fr/livre-la_fin_de_l_etudiant_etranger_serge_slama-9782738484116-8207.html">soupçonnés de vouloir venir et rester en France pour d’autres raisons que les études</a>.</p>
<p>Pour dissiper le « risque migratoire » et mieux sélectionner les étudiants étrangers depuis leurs pays d’origine, le ministère de l’Éducation nationale et de l’Enseignement supérieur a créé, en 1998, conjointement avec le ministère des Affaires étrangères, l’agence ÉduFrance dont l’objectif était le <a href="https://www.amue.fr/uploads/tx_ttnews/Rapport_ElieCohen.pdf">« renforcement des outils institutionnels de promotion de l’offre française de formation supérieure à l’étranger »</a>.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/mCqOSJM84Ts?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Loi immigration : l’enseignement supérieur vent debout (FRANCE 24, décembre 2023).</span></figcaption>
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<p>En 2005, ÉduFrance est remplacée par les Centres pour les études en France (CEF). Mis en place auprès des ambassades françaises à l’étranger, les CEF éclosent comme un <a href="https://hal.science/hal-02985358/document">nouvel instrument réglementaire</a> pour mieux <a href="https://www.cairn.info/revue-migrations-societe-2018-1-page-63.htm">filtrer les étudiants étrangers</a> désirant poursuivre leur formation dans l’Hexagone. Surgi dans un contexte où la France s’oriente vers une « immigration choisie », le passage par ce dispositif administratif devient obligatoire.</p>
<p>Cinq ans plus tard, les CEF sont remplacés par l’agence <a href="https://www.campusfrance.org/fr">Campus France</a>. Ce sont les services de cette agence qui administrent depuis 2010 l’arrivée dans l’Hexagone des étudiants étrangers originaires des pays hors Union européenne. Depuis l’instauration de Campus France, les étudiants étrangers doivent accomplir un <a href="https://www.cairn.info/enfances-et-jeunesses-en-migration--9791031805191-page-351.htm">marathon administratif</a>, complexe et financièrement coûteux pour obtenir un visa pour études.</p>
<h2>Venir étudier en France, un budget conséquent</h2>
<p>Ce n’est pas la première fois que les étudiants étrangers sont la cible de mesures politiques contraignantes. En 2011, la <a href="https://www.gisti.org/spip.php?article2301">« circulaire Guéant »</a> a été adressée aux préfets pour approfondir davantage le contrôle de la procédure de « changement de statut » (le passage du statut « étudiant » à « salarié »), engagée par les diplômés étrangers. Cette circulaire rappelait également aux préfets qu’ils doivent veiller à ce que les étudiants étrangers détenteurs d’une « autorisation provisoire de séjour » occupent un emploi en France uniquement dans la perspective que ce dernier « s’inscrit dans un projet de retour dans le pays d’origine ». <a href="https://www.cairn.info/revue-migrations-societe-2016-1-page-125.htm">Amplement contestée</a>, cette circulaire a été abrogée en 2012.</p>
<p>Le 19 novembre 2018, Édouard Philippe a annoncé la stratégie « Bienvenue en France » pour attirer plus d’étudiants étrangers. De quelle manière ? Entre autres, en <a href="https://www.cairn.info/revue-plein-droit-2019-4-page-11.htm">multipliant par 16 les frais de scolarité</a> des étudiants ressortissants de pays hors Union européenne. Si nous avons signalé la <a href="https://theconversation.com/debat-bienvenue-en-france-aux-etudiants-etrangers-vraiment-107291">contre-productivité de la stratégie « Bienvenue en France »</a>, à la suite de <a href="https://www.letudiant.fr/educpros/actualite/le-conseil-d-etat-enterine-les-frais-d-inscription-differencies-pour-les-etudiants-internationaux.html">sa validation par le Conseil d’État en juillet 2020</a> et en raison de la pandémie de Covid-19, le nombre d’étudiants étrangers sur les campus à la rentrée 2020-2021 <a href="https://ressources.campusfrance.org/publications/chiffres_cles/fr/chiffres_cles_2021_fr.pdf">a baissé de 25 %</a> par rapport à celle de l’année précédente.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/attirer-les-meilleurs-etudiants-etrangers-genese-dune-politique-selective-108010">Attirer les « meilleurs » étudiants étrangers : genèse d’une politique sélective</a>
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<p>Certes, aujourd’hui, le nombre des étudiants étrangers qui choisissent la France pour suivre des études est à la hausse après une période de récession. D’après <a href="https://ressources.campusfrance.org/publications/chiffres_cles/fr/chiffres_cles_2023_fr.pdf">Campus France</a>, cette augmentation, de l’ordre de 8 % entre 2021 et 2022, est liée principalement à la reprise des mobilités d’échange (+46 %) via Erasmus+, mais aussi au développement de la mobilité diplômante (+ 6 %). Par ailleurs, si la France maintient sa position de 6<sup>e</sup> place mondiale de pays d’attraction des étudiants en mobilité internationale, c’est en grande partie grâce aux étudiants originaires de l’Afrique subsaharienne, de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient. Ces derniers représentent plus de 50 % des étudiants étrangers inscrits en France (<a href="https://ressources.campusfrance.org/publications/chiffres_cles/fr/chiffres_cles_2023_fr.pdf">Campus France, 2023</a>).</p>
<p>Jusque-là, pour obtenir un visa, ces étudiants doivent obligatoirement attester du blocage de <a href="https://theconversation.com/debat-bienvenue-en-france-aux-etudiants-etrangers-vraiment-107291">plus de 7 000 euros</a>, justifiant leur disposition à couvrir leurs frais de séjour en France. Leur exiger une « caution de retour » pour obtenir un titre de séjour et qui ne pourrait être débloquée qu’à leur retour dans leurs pays ou en cas de « changement de statut », est une mesure discriminatoire qui alourdira davantage les coûts déjà importants que concèdent ces jeunes pour accéder aux études en France.</p>
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<p>Les politiques et les employeurs savent très bien que la mobilité étudiante en France est un vivier de travailleurs hautement qualifiés. De plus, ces étudiants étrangers ont toujours eu un impact positif sur l’économie française. Leurs dépenses quotidiennes, leurs droits d’inscription, leurs frais administratifs, les dépenses touristiques de leurs proches, leurs cotisations sociales sont une manne financière, dont le montant s’élève à 5 milliards d’euros sur un an, d’après une <a href="https://ressources.campusfrance.org/publications/observatoire/fr/impact_economique_etudiants_internationaux_fr.pdf">récente enquête de Campus France</a>.</p>
<p>En soustrayant les 3,7 milliards d’euros de dépenses publiques qui leur sont consacrés par l’intermédiaire des aides au logement, des bourses, de l’affiliation à la sécurité sociale et des dépenses de personnels consacrées à la diplomatie culturelle et d’influence, l’apport net des étudiants étrangers à l’économie française est donc de 1,35 milliard d’euros.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220310/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Hicham Jamid est sociologue, chercheur post-doctorant de la CoSaV-Migrations de l'Institut de Recherche pour le Développement (IRD), et également fellow de l'Institut Convergences Migrations. </span></em></p>L’une des mesures du projet de loi immigration prévoit que les étudiants étrangers déposent une caution à leur arrivée en France. Une mesure qui consacre l’obsession du « faux » étudiant étranger.Hicham Jamid, Postdoctoral research, Institut de recherche pour le développement (IRD)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2202312024-01-09T17:56:58Z2024-01-09T17:56:58ZOrientation post-bac : pourquoi les lycéens ruraux s’autocensurent<p>Alors que se profile une nouvelle saison d’inscriptions sur <a href="https://theconversation.com/fr/topics/parcoursup-55513">Parcoursup</a>, la plate-forme de <a href="https://www.parcoursup.gouv.fr/">candidature dans l’enseignement supérieur</a>, les critiques sur la sélection à l’université et la place des <a href="https://theconversation.com/fr/topics/algorithmes-24412">algorithmes</a> dans l’orientation des lycéens ne faiblissent pas.</p>
<p>Si le poids de l’origine sociale sur les processus d’orientation et la <a href="https://www.cairn.info/revue-agora-debats-jeunesses-2021-3-page-23.htm">reproduction des inégalités</a> qu’il implique concentre l’attention, il faut souligner aussi l’influence des ancrages territoriaux sur les choix des adolescents.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/inegalites-scolaires-les-eleves-des-territoires-ruraux-manquent-ils-vraiment-dambition-161112">Inégalités scolaires : les élèves des territoires ruraux manquent-ils vraiment d’ambition ?</a>
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<p>Les formations en France étant très largement <a href="https://www.liberation.fr/societe/les-jeunes-ruraux-sont-juges-a-partir-dun-modele-urbano-centre-20210520_SE4ALLVUABHOFNLE6FHR3EP7XA/">urbano-centrées</a>, il n’est alors pas surprenant que les jeunes venant des espaces ruraux se retrouvent à pâtir d’un modèle où le diplôme est la condition <em>sine qua non</em> de la réussite professionnelle et, <em>a minima</em>, une <a href="https://www.editionsbdl.com/produit/zadig-apres-lecole-pourquoi-les-decrocheurs-scolaires-raccrochent-ils/">arme contre la précarité</a>.</p>
<h2>Une connaissance concrète de la carte locale de formations</h2>
<p>Bien que les espaces ruraux aient une composition plus « populaire » que les villes, les <a href="https://www.education.gouv.fr/mission-ruralite-adapter-l-organisation-et-le-pilotage-du-systeme-educatif-aux-evolutions-et-defis-2864">résultats des élèves à l’entrée au collège</a> y sont comparables, voire supérieurs, à ceux des jeunes urbains. Si ces résultats peuvent s’expliquer par plusieurs facteurs (moindres effectifs scolaires, <a href="https://theconversation.com/primaire-pres-dun-eleve-sur-deux-est-scolarise-dans-une-classe-multi-age-111659">classes « multi-âge »</a>, meilleures relations parents-professeurs…), ils mettent surtout à mal la théorie d’un soi-disant <a href="https://www.cairn.info/manuel-indocile-de-sciences-sociales--9782348045691-page-864.htm">« déficit culturel »</a> chez les ruraux.</p>
<p>Cependant, les jeunes ruraux sont bien plus souvent orientés que les urbains vers des filières courtes et professionnalisantes. Notons à titre d’exemple que, parmi les étudiants ruraux qui poursuivent leurs études après le baccalauréat, <a href="https://journals.openedition.org/rfp/1260">47 % partent en BTS ou DUT contre 38 % des urbains</a>. De plus, <a href="https://books.openedition.org/enseditions/16279">60 % des élèves ruraux de troisième envisagent un baccalauréat général ou technologique</a> contre une moyenne nationale à 71 % sur le territoire métropolitain. Ajoutons enfin que les formations infra-bac sont plus fréquentes puisque les <a href="https://www.education.gouv.fr/mission-ruralite-adapter-l-organisation-et-le-pilotage-du-systeme-educatif-aux-evolutions-et-defis-2864">CAP représentent 11 % des formations en milieu rural contre 8 % en ville</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">Chemins d’Avenirs : des mentors pour les jeunes des territoires ruraux (FRANCE 24, décembre 2023).</span></figcaption>
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<p>Comment expliquer que de meilleures performances académiques se conjuguent à des cycles d’études plus courts ? Pour y voir plus clair, il faut prendre en compte la <a href="https://www.cairn.info/revue-espaces-et-societes-2009-1-page-33.htm">relation entre formation, emploi et territoire</a>.</p>
<p>En milieu rural plus qu’ailleurs, les jeunes ont une connaissance plus concrète des métiers que le territoire peut offrir. Les formations proposées sur place coïncident souvent avec le marché de l’emploi local, ce qui fait que les ruraux se dirigent plus facilement vers des cursus professionnalisants, sans qu’il s’agisse nécessairement d’un biais de disqualification. Ces choix leur semblent une voie plus directe vers l’emploi. Il ne faut pas y lire un manque de compétences et d’ambition, mais une conscience plus précise de leurs objectifs de formation.</p>
<h2>Une orientation influencée par le budget et le réseau personnel</h2>
<p>Pourquoi ne pas partir faire des études supérieures en ville, si ces formations, de manière générale, ouvrent plus de perspectives d’emploi ainsi qu’une résistance face à la précarité ? Rappelons que les <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/2429772">diplômés sortis de formation depuis 1 à 4 ans</a> sont 41 % à être au chômage pour les non-diplômés, 19 % pour les bacs-CAP-BEP et 8 % pour les bac+2 et plus.</p>
<p>Bien entendu, l’ambition individuelle et le choix du parcours scolaire ne sont pas uniquement construits par les individus, ils peuvent être influencés aussi par le milieu familial. S’orienter vers un monde professionnel connu est plus simple pour beaucoup de jeunes « poussés » par un <a href="http://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-La_Reproduction-1952-1-1-0-1.html">phénomène de reproduction sociale</a>. De plus, les études en ville peuvent impliquer des dépenses plus élevées pour le logement, la nourriture, les frais de scolarité, les déplacements (retour chez ses parents les week-ends et/ou les vacances).</p>
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<p>Pour ce qui est du logement, l’UNEF note en 2022 que les loyers étudiants ont connu une hausse moyenne de 1,37 % et une <a href="https://unef.fr/wp-content/uploads/2022/08/Classement-UNEF-des-villes-universitaires-2022.pdf">hausse du coût de vie de 6,47 %</a>. Elle met également en lumière que le coût mensuel de vie dans des villes comme Paris, Bordeaux, Marseille, Lyon ou encore Lille est compris entre 1 000 et 1 350 euros par mois pour un étudiant. Ces coûts peuvent être des freins qui renforcent les inégalités entre ruraux et urbains. Ceux-ci peuvent plus facilement limiter les coûts de leur formation par la cohabitation parentale et, de manière générale, une entraide familiale facilitée par la proximité géographique.</p>
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<figcaption><span class="caption">Ceux qui restent. Faire sa vie dans les campagnes en déclin »" (Livre politique 2020/LCP, Assemblée nationale).</span></figcaption>
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<p>Enfin, des a priori sur la ville peuvent jouer. Certains peuvent avoir la sensation d’un manque d’opportunités en dehors de leurs réseaux d’interconnaissance, d’autres ont plus largement un avis négatif. Le sociologue <a href="https://theconversation.com/profiles/benoit-coquard-862400">Benoît Coquard</a> revient par exemple sur <a href="https://www.cairn.info/revue-savoir-agir-2016-3-page-39.htm">ces préjugés sur les villes, tout particulièrement Paris</a>. Ces réticences peuvent être liées à une crainte de l’insécurité et de la violence dans les villes, renforcée par l’idée d’une vie stressante et d’un espace de vie pollué.</p>
<p>L’ensemble de ces réticences, craintes ou inégalités amène à une sélection des ruraux hors des centres urbains.</p>
<h2>S’éloigner de ses proches : un coût émotionnel à gérer</h2>
<p>Hormis le calcul rationaliste entre coûts et gains, il ne faut surtout pas omettre l’aspect relationnel et affectif qui est en jeu lors de l’orientation des jeunes. En effet, la poursuite d’études en ville implique, pour les ruraux, un choix parfois difficile : aller se former ailleurs et quitter son milieu de vie, ou rester sur place en acceptant une offre de formation souvent plus réduite.</p>
<p>Partir se former ailleurs peut avoir un <a href="https://www.cairn.info/revue-formation-emploi-2018-2-page-99.htm">coût émotionnel</a> qui peut être trop lourd pour certains jeunes. Ces jeunes savent que partir en ville signifie généralement s’y insérer professionnellement et donc y rester à plus long terme. Ce choix n’est pas qu’un choix de formation. Il implique pour le jeune de se projeter dans une carrière, c’est-à-dire dans un milieu social et un espace de vie particulier.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/choix-scolaires-une-orientation-heureuse-est-elle-possible-103295">Choix scolaires : une « orientation heureuse » est-elle possible ?</a>
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<p>Là où les liens familiaux sont forts, quitter la famille, les amis, son compagnon ou sa compagne, peut entraîner une séparation difficile et créer un sentiment d’isolement. Quitter son milieu de vie et ne pas savoir si l’on pourra y revenir peut avoir un coût social trop important pour pouvoir être considéré.</p>
<p>La sélection des jeunes ruraux n’est donc pas seulement le fruit d’un rapport plus direct entre formation-emploi-territoire, mais provient tout autant de limitations économiques, mais aussi affectives. Des dispositifs comme les <a href="https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/fr/les-campus-connectes">campus connectés</a> ou bien encore les <a href="https://www.foyersruraux.org/pages_thematiques/les-universites-rurales-espaces-de-rencontre-de-reflexion-de-formation-de-proposition/">universités rurales</a> existent, mais ne peuvent pas à eux seuls compenser les inégalités territoriales dans l’accès à la formation.</p>
<p>Il est nécessaire de prendre en compte les différents freins relatifs à l’accès aux études tant que l’accès au diplôme restera un objectif central dans l’égalité des chances pour les jeunes.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220231/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Clément Reversé ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>À résultats scolaires égaux, les adolescents des espaces ruraux s’orientent plus vers des filières courtes et professionnalisantes que les élèves de lycées urbains. Comment l’expliquer ?Clément Reversé, Sociologie de la jeunesse, sociologie des espaces ruraux, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2207002024-01-09T17:53:31Z2024-01-09T17:53:31ZApprentissage : une dépense publique importante pour un rendement économique et social élevé<p>Dès le début de son premier mandat, le président de la République, Emmanuel Macron, a initié une réforme structurelle de l’apprentissage via la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000037367660">loi du 5 septembre 2018</a> pour la liberté de choisir son avenir professionnel. L’exécutif l’a ensuite accentuée dès juillet 2020 en réponse à la crise sanitaire octroyant une aide publique exceptionnelle aux employeurs pour tous les nouveaux contrats jusqu’à bac+5 inclus, <a href="https://travail-emploi.gouv.fr/actualites/presse/communiques-de-presse/article/developpement-de-l-apprentissage-le-gouvernement-maintient-en-2024-l-aide-au">aide d’un montant fixe de 6 000 euros en 2024</a>.</p>
<p>Les résultats de ces mesures sont spectaculaires car entre fin 2018 et fin 2022, le nombre d’entrées en apprentissage a été multiplié par 2,6 passant de 321 000 à 837 000 nouveaux contrats (et de 112 000 en 2017 à 522 000 en 2022 dans l’enseignement supérieur). Mieux, le système est devenu un véritable tremplin pour l’emploi puisqu’un an après leur sortie d’études, 70 % des apprentis étaient en poste dans le secteur privé pour les niveaux allant du CAP au BTS (niveau bac + 2) contre 50 % seulement des lycéens professionnels.</p>
<p><iframe id="zTB0I" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/zTB0I/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Au niveau licence et master, <a href="https://www.ccomptes.fr/system/files/2023-07/20230707-note-thematique-Soutien-public-formation-professionnelle-apprentissage.pdf#page=11">l’écart reste encore de 5 points</a> avec un taux d’emploi à 18 mois d’environ 90 %. Au niveau macro-économique les différentes études convergent pour attribuer à la politique d’apprentissage la création d’environ <a href="https://sciencespo.hal.science/hal-04163775/document">250 000 emplois salariés entre fin 2019 et fin 2022</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/enseignement-superieur-lalternance-est-elle-en-train-de-simposer-comme-le-mode-de-formation-dominant-217143">Enseignement supérieur : l’alternance est-elle en train de s’imposer comme le mode de formation dominant ?</a>
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<p>Cette réussite a toutefois un coût élevé pour les finances publiques qui est passé de <a href="https://www.ccomptes.fr/system/files/2023-07/20230707-note-thematique-Soutien-public-formation-professionnelle-apprentissage.pdf#page=6">6 milliards d’euros en 2018 à 16,8 en 2022</a>, soit 3,4 fois plus en seulement 4 ans. Les bénéficiaires ayant doublé, le coût unitaire moyen a donc fortement progressé, de <a href="https://www.ofce.sciences-po.fr/pdf/pbrief/2023/OFCEpbrief117.pdf#page=12">14 403 à 22 736 euros par an</a> de +57,9 %. À ces dépenses, il faudrait également ajouter l’estimation des droits sociaux acquis par les apprentis à savoir à court terme sur le chômage et à très long terme sur la retraite.</p>
<h2>Amendement retoqué</h2>
<p>Outre le coût des réformes, c’est leur équité qui est largement critiquée au motif que le dispositif ne finance plus seulement des publics fragiles éloignés de l’emploi mais des formations d’excellence de niveau master. De fait, 37,6 % des nouveaux contrats visent l’obtention d’un diplôme de niveau baccalauréat ou inférieur en 2022 contre 63,2 % en 2017. Ces constations ont suscité une polémique jusque dans les rangs de la majorité présidentielle, le député Marc Ferracci (Renaissance) ayant déposé un amendement au Projet de loi de finances pour 2024 restreignant les aides aux diplômes de moins de bac+2 au motif que :</p>
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<p>« L’apprentissage a un rendement décroissant avec le niveau de qualification, on doit se poser la question de l’efficacité des aides dans le supérieur ».</p>
</blockquote>
<p>Cet amendement, soutenu par Bercy qui y voyait l’occasion d’économiser 700 millions d’euros de subventions publiques par an, <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/11/13/l-executif-renonce-a-restreindre-les-aides-a-l-apprentissage_6199926_823448.html">a finalement été écarté</a> par la première ministre Élisabeth Borne au nom de l’objectif du million d’apprentis avant la fin du présent quinquennat fixé par le président de la République.</p>
<p>L’apprentissage du supérieur favorise en effet <a href="https://www.oecd-ilibrary.org/education/regards-sur-l-education-2022_8b532813-fr">l’acquisition de compétences techniques pointues</a> dans une économie de la connaissance développée. Il incite les jeunes à allonger leur durée d’études et partant à obtenir une meilleure rémunération. Selon le Conseil d’analyse économique (CAE), un diplôme de niveau licence ou bac+3 permet de gagner <a href="https://www.cae-eco.fr/tout-diplome-merite-salaire-une-estimation-des-rendements-prives-de-lenseignement-superieur-en-france-et-de-leur-evolution">30 % de plus qu’un baccalauréat</a>, un diplôme de niveau master (bac+5) 60 % de plus et un diplôme de grande école 80 % supplémentaire.</p>
<h2>Plus que des bénéfices économiques</h2>
<p>La littérature scientifique a évalué le rendement des études sur les revenus du travail tout au long de la vie en actualisant l’ensemble de ces revenus (nets de charges sociales et d’impôt sur le revenu) sur les 42 ans d’activité d’une carrière professionnelle tout en déduisant à la fois le coût des années d’études et le coût d’opportunité du manque à gagner pendant la formation. La conclusion est sans appel puisqu’un diplôme de grande école de niveau master (bac+5) assurerait en moyenne un revenu permanent actualisé net d’impôts et de coûts associés au diplôme de 720 000 euros contre 490 000 euros pour un bachelier et 500 000 euros pour un diplôme bac+3.</p>
<p>Encore faut-il noter que les réformes de 2018 et 2020 réduisent significativement le coût d’opportunité pour les apprentis car leur formation (pouvant aller jusqu’à 20 000 euros par an dans une grande école de management) est intégralement prise en charge et qu’ils touchent un salaire (certes plus faible qu’une première embauche) pendant leurs études.</p>
<p>À ces gains financiers liés à une plus grande <a href="https://www.pourleco.com/le-dico-de-l-eco/capabilites-theorie-des">capabilité</a>, il faut ajouter d’autres avantages moins tangibles mais réels que souligne le CAE : une meilleure protection contre le chômage, de meilleures opportunités professionnelles, une meilleure reconnaissance sociale mais aussi une hausse des indicateurs de santé, de bien-être et d’espérance de vie et donc in fine des retraites plus confortables servies plus longtemps.</p>
<p>L’éducation augmentant la productivité de celui qui la reçoit (même si elle est logiquement plus faible au cours de la phase d’apprentissage), au niveau macro-économique les bienfaits de l’apprentissage doivent également être mis dans la balance.</p>
<p>Les bénéfices dits socio-économiques comprennent les rendements publics socio-fiscaux comme les recettes publiques (impôts sur le revenu, charges sociales, etc.) générées par des rémunérations du travail plus élevées, de l’ordre de 8,5 % de l’investissement public dans l’enseignement supérieur. Ces bénéfices intègrent par ailleurs des externalités positives additionnelles comme <a href="https://econpapers.repec.org/article/eeeecoedu/v_3a45_3ay_3a2015_3ai_3ac_3ap_3a89-102.htm">l’amélioration de la santé globale de la population</a> ou encore une moindre délinquance. Les études disponibles l’évaluent grosso modo à environ 2,5 %, soit un rendement social global très élevé de l’enseignement supérieur de l’ordre de <a href="https://www.centre-dalembert.universite-paris-saclay.fr/wp-content/uploads/2019/07/pp_les_benefices_socio-economiques_diplome_superieur_18042018_0-1.pdf">11 % dans les pays OCDE</a>.</p>
<h2>Réguler la jungle de l’offre</h2>
<p>Pour concilier logiques éducative, sociale et économique de l’apprentissage, il est toutefois possible d’améliorer la régulation d’une offre de formation devenue pléthorique en renforçant le contrôle de l’accès au financement public. <a href="https://www.francecompetences.fr/">France Compétences</a>, l’organisme créé le 1<sup>er</sup> janvier 2019 pour vérifier la qualité des formations inscrites au <a href="https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/R40438">Répertoire national des certifications professionnelles</a> (RNCP), retoquait déjà en 2022 <a href="https://www.francecompetences.fr/app/uploads/2023/01/FranceCompetences_RUF.pdf">près de 50 % des demandes de renouvellement ou de création des formations</a>.</p>
<p>Le régulateur pourrait désormais renforcer sa mission en assurant un audit externe rigoureux de l’adéquation aux métiers des formations proposées par les universités dont les diplômes d’État sont encore actuellement reconnus de plein droit. Il pourrait également interdire la location de titres RNCP qui permet trop souvent à des officines privées sans véritable projet pédagogique de bénéficier du titre d’une formation accréditée moyennant une redevance opaque.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220700/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Éric Pichet dirige le MS gestion de patrimoine et Immobilier de KEDGE, formation bac+6 qui n’accepte que des étudiants en apprentissage.</span></em></p>Différentes études montrent que les cursus qui mêlent études et travail en entreprise conduisent à des bénéfices pour les individus comme pour l’ensemble de la société.Éric Pichet, Professeur et directeur du Mastère Spécialisé Patrimoine et Immobilier, Kedge Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2198632024-01-01T15:44:00Z2024-01-01T15:44:00ZUtiliser l’IA en classe : et si les enseignants regardaient du côté de l'art<p>L’intelligence artificielle (IA) porte en elle les germes d’<a href="https://www.mckinsey.com/capabilities/mckinsey-digital/our-insights/the-economic-potential-of-generative-ai-the-next-productivity-frontier">impacts majeurs dans de nombreux secteurs de la société</a> au cours des prochaines décennies. Certains de ces effets pourraient être positifs, d’autres moins.</p>
<p><a href="https://www.theguardian.com/commentisfree/2023/jul/14/ai-artificial-intelligence-disrupt-education-creativity-critical-thinking">Quand ChatGPT est sorti</a>, la profession enseignante, fière de son intégrité et du standard élevé de ses normes éthiques, a craint que l’IA puisse élargir les possibilités de <a href="https://www.forbes.com/sites/rashishrivastava/2022/12/12/teachers-fear-chatgpt-will-make-cheating-easier-than-ever/?sh=415845d1eef9">tricherie</a> chez les étudiants. La question reste d’actualité.</p>
<p>Certains spécialistes de l’éducation ont fait pression pour que leurs établissements adoptent de nouvelles politiques, plaidant notamment pour le retour des examens en face à face. D’autres ont pensé que l’IA n’était qu’une mode, attendant qu’elle passe son chemin.</p>
<p>Bien sûr, l’IA ne risque pas de disparaître de nos horizons. En tant que membre du monde éducatif, je me suis demandé de quel côté ma profession pourrait trouver de précieuses leçons quant à l’adoption de cette technologie. L’un des modèles à prendre pour développer de nouvelles approches pourrait venir du monde de l’art. Voilà longtemps que les artistes explorent la rencontre entre technologie et créativité.</p>
<p>Le peintre David Hockney est l’un des artistes les plus célèbres à avoir adopté l’IA. En juin 2023, il a exposé une œuvre générée par IA sur la scène de la pyramide du festival de Glastonbury 2023. Intitulée <a href="https://www.theartnewspaper.com/2023/06/23/millions-to-see-david-hockneys-new-ai-work-on-glastonburys-pyramid-stage"><em>I lived In Bohemia, Bohemia Is A Tolerant Place</em></a>, l’œuvre a été développée sous la forme d’une vidéo d’une minute.</p>
<p>S’il ne s’agit que de sa première œuvre générée par l’IA, Hockney a déjà recours depuis de nombreuses années à diverses technologies analogiques et numériques. Il a notamment utilisé la photocopieuse Xerox, la Paintbox de Quantel et une station de travail graphique par ordinateur. Ces technologies ont contribué à ouvrir le potentiel sensoriel et créatif de son regard. Sa récente installation artistique immersive à Londres : <a href="https://www.nytimes.com/2023/02/22/arts/design/david-hockney-immersive-lightshow-london.html">David Hockney : Bigger & Closer</a>, atteste de sa réputation d’innovateur.</p>
<h2>De nouvelles expériences artistiques avec l’IA</h2>
<p>Hockney n’est pas le seul à s’être aventuré sur ce terrain. De nombreux artistes ont trouvé des moyens créatifs et innovants d’utiliser l’IA dans leur travail. Robbie Barrat est un artiste contemporain qui explore les croisements entre l’art et l’intelligence artificielle. Il est connu pour son travail sur les <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9seaux_antagonistes_g%C3%A9n%C3%A9ratifs">réseaux antagonistes génératifs</a>, un modèle où deux systèmes d’apprentissage automatique sont placés en compétition pour produire de meilleurs résultats. Ces réseaux ont été utilisés pour créer des visages artificiels réalistes et y sont si bien arrivés que les gens <a href="https://theconversation.com/deepfakes-faces-created-by-ai-now-look-more-real-than-genuine-photos-197521">ne peuvent souvent pas faire la différence entre un visage généré par l’IA et un vrai</a>.</p>
<p>Dans un projet, Barrat a entraîné un réseau antagoniste génératif sur un ensemble de données de peintures de nus classiques. Il a incorporé ses propres croquis et dessins numériques dans le réseau entraîné, générant des interprétations uniques et surréalistes de la forme humaine. En scannant ou en numérisant des croquis et en les introduisant dans le modèle d’IA, il a permis au système de produire de <a href="https://www.theverge.com/2018/10/23/18013190/ai-art-portrait-auction-christies-belamy-obvious-robbie-barrat-gans">nouvelles compositions</a>. Les œuvres d’art qui en résultent présentent une fusion de son style artistique et des modèles d’IA appris à partir des peintures classiques.</p>
<p>D’autres artistes ont intégré l’IA à la réalité augmentée (RA) et à la réalité virtuelle (RV) pour créer des expériences immersives et interactives.</p>
<p>Refik Anadol utilise par exemple des algorithmes pour traiter et interpréter de grandes quantités de données et les transformer en œuvres d’art spectaculaires. Il incorpore ces visuels générés par l’IA dans des expériences de réalité augmentée et de réalité virtuelle pour</p>
<p><a href="https://refikanadol.com/works/wdch-dreams/">créer des installations hypnotiques et interactives</a>.</p>
<h2>Une expertise humaine indispensable pour mettre à profit les technologies</h2>
<p>Bien entendu, tous les artistes ne sont pas aussi enthousiastes vis-à-vis de cette technologie. Nombre d’entre eux perçoivent les générateurs d’images tels que DALL-E et Midjourney comme une menace. Mais le fait que de grands artistes comme Hockney et Anadol aient utilisé l’IA pour se poser de nouveaux défis est un signal. Les enseignants devraient s’interroger sur la manière de se servir de l’IA pour leurs cours et leurs évaluations.</p>
<p>La réticence du secteur de l’éducation à adopter l’IA peut se comprendre dans la mesure où celle-ci est entourée de <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S2666920X2300022X">mythes et d’idées fausses</a>. Il convient donc de tordre le cou à certaines de ces croyances.</p>
<p>La première est que l’IA nuirait aux expériences d’apprentissage. Certains éducateurs craignent que,si les étudiants s’appuient sur l’IA, leurs capacités de <a href="https://educationaltechnologyjournal.springeropen.com/articles/10.1186/s41239-021-00292-9">réflexion et de résolution de problèmes soient compromises</a>, de même que leur capacité à assimiler des informations de manière autonome. Cependant, la clé d’une intégration réussie de l’IA dans l’éducation est d’aider les élèves à comprendre que les outils intelligents ne remplacent pas l’expertise humaine et qu’il ne s’agit que d’outils permettant de <a href="https://www.timeshighereducation.com/campus/chatgpt-and-future-university-assessment">l’augmenter et de l’améliorer</a>.</p>
<p>Le deuxième mythe est que l’IA « isolerait » les apprenants. Si l’IA peut fournir un retour d’information et un soutien personnalisés, elle ne peut pas remplacer l’interaction humaine avec un enseignant ni l’apprentissage social et émotionnel qui l’accompagne.</p>
<p>Certains universitaires craignent qu’une dépendance excessive à l’égard de l’IA n’aboutisse à un sentiment de déconnexion entre les élèves et leurs encadrants. En fait, les enseignants peuvent utiliser les systèmes d’IA pour aider les élèves à apprendre de manière collaborative et à résoudre des problèmes collectivement.</p>
<p>Le troisième mythe est que l’IA <a href="https://hbsp.harvard.edu/inspiring-minds/chatgpt-and-ai-text-generators-should-academia-adapt-or-resist">étoufferait la créativité</a>. Or son introduction en tant que technologie <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC9504190/">peut soutenir et renforcer la créativité dans les formations</a>. Par exemple, les <a href="https://hbr.org/2023/07/how-generative-ai-can-augment-human-creativity">outils d’IA générative peuvent être utilisés</a> pour promouvoir la pensée divergente, remettre en question les préjugés, aider à évaluer des idées, encourager à affiner sa pensée et faciliter la collaboration.</p>
<h2>Des compétences pour le monde du travail de demain</h2>
<p>La quatrième et dernière idée reçue est que l’IA encouragerait les apprenants à tricher lors des examens. Mais cette façon de voir les choses <a href="https://www.technologyreview.com/2023/04/06/1071059/chatgpt-change-not-destroy-education-openai/">ne capte qu’une toute petite partie de l’histoire</a>. En intégrant efficacement l’intelligence artificielle dans les évaluations, nous pouvons aider les élèves à la maîtriser, en leur donnant les <a href="https://www.whitehouse.gov/wp-content/uploads/2022/12/TTC-EC-CEA-AI-Report-12052022-1.pdf">compétences dont ils auront besoin dans la vie</a>.</p>
<p>Nous devrions concevoir des évaluations favorisant l’application des connaissances, des compétences et leur compréhension dans des contextes réels.</p>
<p>L’IA peut être utilisée comme un outil de collaboration, une source d’inspiration et un guide utile. Elle est étroitement liée aujourd’hui aux enjeux éducatifs dans la mesure où les apprenants devront être en mesure de <a href="https://hbr.org/2023/06/what-will-working-with-ai-really-require">collaborer avec l’IA</a> dans le <a href="https://www.whitehouse.gov/wp-content/uploads/2022/12/TTC-EC-CEA-AI-Report-12052022-1.pdf">monde du travail de demain</a>.</p>
<p>Les artistes ont rendu possible ce qui était auparavant inimaginable. Aujourd’hui, les professionnels de l’éducation peuvent faire de même, en <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s10796-022-10308-y">donnant aux élèves les moyens de devenir des penseurs critiques</a> aptes à résoudre des problèmes avec créativité, prêts à affronter un avenir où l’IA sera monnaie courante.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/219863/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Lucy Gill-Simmen ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Si les artistes ont adopté l’IA malgré les risques que la technologie fait peser sur leur travail, pourquoi les enseignants ne pourraient-ils s’inspirer de leur exemple ?Lucy Gill-Simmen, Vice-Dean for Education & Student Experience, Royal Holloway University of LondonLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2136112023-11-13T19:33:58Z2023-11-13T19:33:58ZRéussite étudiante : en quoi les premières semaines à l’université sont-elles décisives ?<p>La réussite ou l’échec dans l’enseignement supérieur sont souvent mesurés de manière quantitative, en pourcentages par filières et types de baccalauréat obtenus, ou encore selon l’<a href="https://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/atoms/files/cereq_-_parcours_scolaires_et_insertion_professionnelle_-_etude_fs_-_sept2023.pdf">origine socioprofessionnelle des parents</a> sans prendre suffisamment en compte d’autres facteurs plus qualitatifs. Ainsi la réussite est mesurée selon le taux de réussite de la L1 à la L2 ou encore selon l’obtention en trois ou quatre ans de la licence.</p>
<p>Est-ce un échec d’avoir une licence en quatre ans, mais en ayant mieux approfondi ses connaissances ou en ayant précisé son projet professionnel ? Est-ce une réussite d’obtenir un master 2 en 5 ans à l’issue duquel on se rend compte que l’on s’est trompé d’orientation ? De même, si les étudiants qui ont déjà connu un redoublement ou un échec au baccalauréat antérieur ont une tendance à décrocher plus vite que les autres, peu d’études montrent ce qu’ils sont devenus quelques années plus tard.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-les-universites-americaines-accueillent-leurs-nouveaux-etudiants-189252">Comment les universités américaines accueillent leurs nouveaux étudiants</a>
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<p><a href="https://www.persee.fr/doc/forem_0759-6340_1987_num_18_1_1211">Pour Bernard Charlot</a>, même si des facteurs sociaux existent, ils n’expliquent pas tout. Pour essayer de comprendre à partir de quel moment l’expérience étudiante se transforme en réussite ou en échec, il est intéressant de se pencher sur l’histoire personnelle de l’étudiant, sur son expérience.</p>
<p>Dans cette logique dont nous avons tenté, dans une <a href="https://www.eyrolles.com/Entreprise/Livre/les-100-premiers-jours-a-l-universite-9782806636522/">recherche ethnographique</a>, à partir de journaux d’étudiants inscrits dans une vingtaine d’universités plus ou moins grandes et d’entretiens formels et informels de mieux comprendre les enjeux des premières semaines à l’université : comment les étudiants vivent-ils cette entrée dans un nouveau monde éducatif ? Quelles stratégies de travail développent-ils ? Quels sont leurs projets professionnels et personnels ?</p>
<p><a href="https://journals.openedition.org/sdt/37761">Alain Coulon</a> avait déjà évoqué que la réussite universitaire était liée à la capacité d’insertion active des étudiants dans le milieu universitaire et l’hypothèse pourrait être formulée que tout se joue dans les 100 premiers jours de l’étudiant à l’université et que cette capacité à s’insérer dépend de facteurs qui ne sont pas seulement liés au rapport au savoir académique et à ses prérequis.</p>
<h2>Une population étudiante hétérogène</h2>
<p>L’université depuis les années soixante a connu l’explosion de ses effectifs. Selon <a href="https://journals.openedition.org/lectures/57412">Hugrée et Poullaouec</a>, de 2008 à 2021, le nombre d’étudiants a augmenté de 25 %, pendant que dans le même temps le budget chutait de 12 %. Les effectifs dans l’enseignement supérieur français ont été multipliés par 8 en 50 ans pour des raisons à la fois démographiques et académiques. En effet, selon les mêmes auteurs, plus de 80 % d’une génération obtient un baccalauréat contre 10 % au début des années 60. Les trois quarts d’entre eux s’inscrivent à l’université.</p>
<p>Le terme d’étudiant correspond à une facilité de définition pour constituer une notion commune. Pourtant l’étudiant type n’existe pas. <a href="https://www.persee.fr/doc/rfsoc_0035-2969_1994_num_35_4_4353">François Dubet</a> a proposé la construction d’une typologie de l’expérience étudiante à travers la combinaison de trois dimensions élémentaires : la nature du projet poursuivi, le degré d’intégration dans la vie universitaire et l’engagement dans une « vocation » intellectuelle.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/aQMM4suCzjI?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Poitiers : rentrée universitaire à la fac d’histoire (France 3 Nouvelle-Aquitaine, 2020).</span></figcaption>
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<p>Les objectifs pour lesquels les lycéens s’inscrivent dans l’enseignement supérieur sont très variés : la connaissance pour la connaissance, la volonté de préparer un métier, être étudiant pour être étudiant, la volonté de se tester dans des études considérées difficiles, la possibilité de réfléchir à des projets variés… Pour prendre une métaphore sportive, on distingue également plusieurs catégories d’étudiants arrivant à l’université :</p>
<ul>
<li><p>les sprinters : on essaie d’aller vite sur deux ou trois ans et de ne pas perdre de temps pour intégrer en admission parallèle une école d’ingénieur, de gestion ou de commerce ;</p></li>
<li><p>les marathoniens : on sait que l’université va être un long parcours et on pense que l’on a le temps de s’y habituer. Même s’il y a un échec en première année, cela ne présage pas de problèmes futurs ;</p></li>
<li><p>les battus d’avance : on sait ou l’on pense que l’on n’a pas le niveau. On est là pour participer mais sans en avoir l’entraînement et sans trop connaître les règles du jeu.</p></li>
</ul>
<p>Certains étudiants sont encore dans une phase de recherche et de découverte personnelle, d’autres sont dans une logique d’apprentissage de l’autonomie à la fois scolaire et personnelle. Cet apprentissage de l’indépendance est plus ou moins progressif et se vit différemment selon les étudiants. Parfois, les champs des possibles se transforment en impasses.</p>
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<p>Isoler des facteurs de réussite ou d’échec comme certaines <a href="https://www.institutmontaigne.org/expressions/reussite-et-echec-en-premier-cycle-universitaire-en-france-comment-en-juger">études</a> l’ont fait en mettant en avant la nature du baccalauréat obtenu est pertinent sur le plan de la rationalité, mais ne rend pas compte de l’intrication et de la complexité de chaque facteur les uns avec les autres. L’échec ou la réussite correspond bien à une nébuleuse d’interactions qui dépasse l’analyse causale et statistique. La socialisation des premières semaines est bien un indicateur de l’affiliation universitaire comme en témoigne une étudiante en économie-gestion qui explique cette montée en puissance de doutes sur l’utilité de son entrée dans l’enseignement supérieur :</p>
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<p>« Au fil des premières semaines, j’ai vécu beaucoup de choses. J’ai commencé un travail le soir après les cours et les week-ends qui m’a fait rencontrer d’autres personnes. J’ai aussi rencontré un garçon un peu plus âgé que moi qui travaille depuis deux ans comme commercial après un BTS. Son travail a l’air de le passionner et je me demande si des études courtes n’auraient pas été plus intéressantes. Je me sens en plus assez isolée à la fac. J’ai quitté mes parents et mes amis du lycée en septembre et puis, depuis presque trois mois à la fac, j’ai le sentiment qu’on n’apprend pas la vie à l’université. Donc aujourd’hui, j’ai plein de doutes, même si je pense avoir réussi mes partiels. »</p>
</blockquote>
<h2>Un accueil qui compte dans le sentiment d’affiliation à l’établissement</h2>
<p>Plusieurs raisons d’affiliation ou de mise à distance apparaissent dans les témoignages des étudiants et qui correspondent à des moments vécus lors des premières semaines de l’enseignement supérieur. La découverte des locaux, d’abord, est souvent une surprise plus ou moins bonne pour les étudiants, comme l’exprime un participant de l’enquête :</p>
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<p>« Déjà, j’étais dans un lycée qui n’était pas terrible, mais là, c’est pas une université, c’est un HLM. Ce sont des bâtiments construits dans les années soixante-dix. La plupart des TD sont dans des préfabriqués qui datent des années quatre-vingt. Les toilettes sont dans un état lamentable. On amène son papier toilette, parce qu’il n’y en a pas toujours. J’entendais à la radio la ministre parler d’excellence de l’université. Faudrait qu’elle vienne chez nous… »</p>
</blockquote>
<p>D’autres étudiants sont plus satisfaits : </p>
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<p>« On a l’impression d’être dans une famille, on a un local avec des fauteuils, on peut se connecter au WIFI et les profs viennent souvent dans ce local. C’est très sympa de discuter aussi avec les étudiants de L2 ou de L3. »</p>
</blockquote>
<p>L’accueil lors des premiers jours est particulièrement important. Il va ensuite être un facteur plus ou moins fort d’intégration :</p>
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<p>« La responsable de filière est venue nous parler dix minutes, ensuite on a eu notre premier cours. Elle ne nous a pas donné d’horaires pour nous recevoir et l’accueil était un peu froid. J’ai l’impression que c’était une corvée pour elle. »</p>
</blockquote>
<p>Dans d’autres cas, l’impact paraît plus fort pour l’intégration :</p>
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<p>« On a eu une demi-journée d’intégration super ; la majeure partie des profs est venue se présenter pu, par groupe de 15, des étudiants de L2 nous ont fait visiter les locaux, les salles infos. Ils nous ont montré où étaient les bureaux des secrétariats, de l’association sportive, du BDE. On s’est senti très pris en charge. C’était bien et en plus, cela nous fait avoir des contacts avec des étudiants de 2<sup>e</sup> année. »</p>
</blockquote>
<h2>Étudier et changer de cadre de vie</h2>
<p>L’entrée à l’université correspond à la période où on l’on va quitter ses parents pour la première fois de manière durable. C’est un moment qui est assez peu évoqué lorsque l’on parle d’échec ou de réussite à l’université et pourtant ce moment est crucial pour les primo-étudiants qui expérimentent cette nouvelle vie. L’un dit :</p>
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<p>« C’est impossible de dormir dans ma résidence universitaire. Tous les soirs, c’est la fête dans un studio. J’ai essayé de me plaindre, mais on me fait passer pour une rabat-joie. Mais au bout d’un moment c’est intenable de ne dormir que quatre heures par nuit. »</p>
</blockquote>
<p>Une autre ajoute :</p>
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<p>« Les premiers temps, c’est un peu débile à avouer, mais j’avais un peu peur le soir… on se rend compte que les parents, ils sont peut-être souvent chiants, mais c’est rassurant d’être chez eux. »</p>
</blockquote>
<p>La mobilité géographique, notamment le passage d’une petite ville à une grande ville (ou d’un bourg à une ville moyenne) est un élément encore marquant pour beaucoup d’étudiants. Quelques étudiants se brûlent encore aux lumières de la ville.</p>
<p>Aller à l’université représente une suite de ruptures : quitter son lycée, sa famille, sa ville, sa province. Plus ces ruptures sont nombreuses et plus le risque d’isolement est réel :</p>
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<p>« C’est pas évident lorsque je me retrouve dans ma chambre du CROUS le soir devant mon ordinateur. Les autres résidents de mon palier sont plus âgés, donc le contact ne se fait pas facilement. »</p>
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<p>À ces nouvelles configurations s’ajoutent aussi les temps des nouvelles socialisations, de constitution d’un réseau d’amis, d’adaptation à la prise de notes notamment en amphithéâtre, d’organisation des tâches domestiques dont les témoignages montrent leurs effets sur la réussite ou l’échec lors du premier semestre à l’université.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/a-quelles-conditions-les-outils-numeriques-aident-ils-les-etudiants-a-reussir-186175">À quelles conditions les outils numériques aident-ils les étudiants à réussir ?</a>
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<p class="fine-print"><em><span>Gilles Pinte ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’entrée à l’université ne marque pas seulement un cap en termes d’exigences de formation. C’est aussi un bouleversement des cadres de vie qui peut influer sur la réussite étudiante.Gilles Pinte, Maître de conférences en sciences de l'éducation, Université Bretagne SudLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2172302023-11-12T16:15:02Z2023-11-12T16:15:02ZAvec la pandémie, les abandons d’études ont-ils augmenté à l’université ?<p>La pandémie de Covid-19 a bouleversé les trajectoires académiques de nombreux étudiants. Qu’ils aient été novices dans l’enseignement supérieur ou déjà engagés dans leur parcours universitaire, ceux-ci ont été confrontés à une situation sans précédent : la fermeture des universités et la transition vers l’apprentissage en ligne ont transformé le rapport à l’éducation.</p>
<p>Les salles de classe virtuelles sont devenues la nouvelle norme, et les interactions en personne ont cédé la place à des relations à distance. Outre l’aspect social, la qualité de l’apprentissage a été mise à l’épreuve. Les défis techniques et la variabilité de l’accès à Internet ont entraîné des inégalités dans la participation et l’engagement des étudiants. Les méthodes d’enseignement en ligne, bien que nécessaires, ont laissé de côté les interactions pédagogiques, impactant l’efficacité de l’apprentissage.</p>
<p>L’ensemble de ces facteurs a eu des répercussions profondes sur l’expérience des étudiants. De nombreux jeunes ont exprimé des sentiments de solitude, d’isolement, et d’incertitude quant à leur avenir académique. En somme, la pandémie a généré une transformation radicale de l’expérience étudiante, parfois au point de décourager certains étudiants, qui ont été contraints d’abandonner leurs études.</p>
<h2>Les répercussions de la pandémie sur les choix d’orientation</h2>
<p>Il est essentiel de prendre en considération que la pandémie n’a pas seulement eu un impact immédiat en interrompant les cours à l’échelle mondiale, mais elle a également eu des effets sur l’acquisition de connaissances. Des études menées dans plusieurs pays estiment que la pandémie a entraîné une <a href="https://www.researchgate.net/publication/367558783_A_systematic_review_and_meta-analysis_of_the_evidence_on_learning_during_the_Covid-19_pandemic">chute d’environ 35 % résultats scolaires sur une année académique</a>. Les élèves les moins privilégiés semblent avoir été les plus durement touchés par cette perte d’apprentissage, ce qui a aggravé les inégalités éducatives déjà existantes.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/inegalites-scolaires-des-risques-du-confinement-sur-les-plus-vulnerables-135115">Inégalités scolaires : des risques du confinement sur les plus vulnérables</a>
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<p>La perturbation de l’éducation due à la pandémie de Covid-19 va avoir des conséquences qui vont au-delà de la simple diminution des performances académiques, influençant également les choix futurs des étudiants. En Suède, une étude récente met en lumière que la <a href="https://www.iza.org/publications/dp/15107/from-epidemic-to-pandemic-effects-of-the-Covid-19-outbreak-on-high-school-program-choices-in-sweden">pandémie a influencé les choix d’orientation des étudiants</a> en réduisant l’intérêt pour les formations professionnelles dans des secteurs fortement touchés comme l’hôtellerie et la restauration.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-mystere-de-la-grande-demission-comment-expliquer-les-difficultes-actuelles-de-recrutement-en-france-173454">Le mystère de la « Grande démission » : comment expliquer les difficultés actuelles de recrutement en France ?</a>
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<p>Cette tendance reflète les inquiétudes des étudiants quant à la stabilité et à la viabilité de certaines carrières à la lumière des perturbations économiques provoquées par la pandémie. Ainsi, les conséquences à long terme du Covid-19 sur l’éducation et les perspectives professionnelles des étudiants sont à surveiller de près.</p>
<p>En France, une analyse approfondie du comportement des étudiants à l’université révèle une <a href="https://www.researchgate.net/publication/374978342_Dropping_Out_of_University_in_Response_to_the_Covid-19_Pandemic">chute notable de 10,6 % dans la probabilité des étudiants de poursuivre leurs études suite la pandémie de Covid-19</a>. Cette réduction du taux de réinscription est d’autant plus préoccupante qu’elle équivaut à la somme des baisses observées durant la décennie précédente. Ces chiffres mettent en évidence un phénomène inquiétant puisque ces décrochages se traduisent par des opportunités sur le marché du travail moindres pour les étudiants concernés.</p>
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<p>De plus, les taux de présence aux examens n’ont pas montré de variations significatives l’année de la pandémie. Cela suggère que la diminution des taux de réinscription ne peut être attribuée à une augmentation de l’absentéisme, mais plutôt à d’autres facteurs liés à la crise sanitaire. Cette situation suscite des interrogations majeures quant à la manière dont les étudiants ont été touchés par la pandémie et la manière dont elle a affecté leurs perspectives académiques et professionnelles.</p>
<h2>Des facteurs démographiques et universitaires à prendre en compte</h2>
<p>Les répercussions de la pandémie sur les étudiants varient considérablement en fonction de diverses caractéristiques démographiques et de leur niveau d’études. Nos résultats montrent que les étudiants en premier et deuxième cycle universitaire ont été les plus durement touchés, avec une baisse significative d’inscriptions de 20,9 % et 17,3 % respectivement par rapport à l’année précédente.</p>
<p>De même, les étudiants inscrits dans des domaines liés aux sciences, à la technologie, à l’ingénierie et aux mathématiques (STEM) ont subi une diminution encore plus marquée des taux de réinscription, ce qui met en évidence les défis particuliers auxquels ces étudiants ont dû faire face en raison des restrictions liées à la pandémie.</p>
<p>Une autre tendance qui mérite d’être soulignée est que les hommes semblent avoir été davantage affectés par la pandémie que les femmes, du moins en ce qui concerne l’abandon des études. Cette disparité entre les sexes dans les taux de réinscription met en lumière la nécessité de prendre en compte les facteurs socio-démographiques dans l’élaboration de politiques éducatives pour atténuer les conséquences de la pandémie sur les étudiants.</p>
<p>Lors du déconfinement, les différentes régions ont été soumises à des restrictions sanitaires d’intensités variables. Notamment, les zones situées à l’est ont été classées en zone rouge, ce qui a entraîné un processus de déconfinement plus progressif, marqué par la mise en place de mesures de restriction supplémentaires pendant une brève période. Au sein de ces zones, il est intéressant de noter qu’il ne semble pas y avoir eu d’effet significatif découlant de ces mesures additionnelles.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-corps-a-t-il-encore-sa-place-dans-lenseignement-a-distance-157915">Le corps a-t-il encore sa place dans l’enseignement à distance ?</a>
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<p>Cette observation suggère que ce n’est pas tant l’intensité des politiques de restrictions qui a influencé les comportements de réinscription des étudiants, mais plutôt l’expérience globale du confinement en elle-même. Ce constat souligne une nouvelle fois l’importance de comprendre les <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/32861840/">répercussions émotionnelles et psychologiques de la pandémie sur les étudiants</a>, qui ont dû faire face à des bouleversements majeurs dans leur parcours éducatif.</p>
<p>La compréhension des effets de la pandémie sur les étudiants revêt une importance cruciale, car elle permet de mieux appréhender les défis auxquels sont confrontés les étudiants dans un monde post-pandémie. Il est impératif que les décideurs politiques prennent en compte les leçons tirées de cette période sans précédent afin de bâtir un avenir éducatif plus résilient et équitable pour tous.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217230/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Etienne Dagorn a bénéficié d'un financement de la Région Île-de-France (Chaire en sciences humaines et sociales, EX061002 - 21010352) pour la réalisation de cette recherche.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Léonard Moulin a bénéficié d'un financement de la Région Île-de-France (Chaire en sciences humaines et sociales, EX061002 - 21010352) pour la réalisation de cette recherche.</span></em></p>La pandémie de Covid-19 a perturbé la pédagogie et l’organisation des études supérieures, avec des conséquences à long terme sur les choix d’orientation des jeunes.Etienne Dagorn, Postdoctoral fellow, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLéonard Moulin, Research fellow, Institut National d'Études Démographiques (INED)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2171372023-11-09T16:42:59Z2023-11-09T16:42:59Z60 ans après le traité de l’Élysée, le « couple » franco-allemand a changé de nature<blockquote>
<p>« Il n’est pas un homme dans le monde qui ne mesure l’importance capitale de cet acte […] parce qu’il ouvre toutes les grandes portes d’un avenir nouveau pour la France, pour l’Allemagne, pour l’Europe et par conséquent pour le monde tout entier ».</p>
</blockquote>
<p>Il y a soixante ans, le 22 janvier 1963, le général Charles de Gaulle et le chancelier Konrad Adenauer signaient ensemble un <a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/caf90031143/signature-a-l-elysee-du-traite-de-cooperation-franco-allemand">accord de coopération rédigé en allemand et en français</a>. Destiné à consolider l’amitié franco-allemande, à consacrer la solidarité entre les peuples français et allemand et à renforcer le rôle moteur du couple franco-allemand dans la construction européenne, le texte posait les bases d’une union et d’une coopération politique, économique, en matière de défense, de politique étrangère, d’éducation et de jeunesse. La réconciliation du peuple allemand et du peuple français marquait ainsi la fin de la rivalité, historique, de la France et de l’Allemagne.</p>
<h2>Des relations sans équivalent</h2>
<p>Depuis a émergé l’expression du « couple » franco-allemand, qui ne renvoie pas uniquement à la proximité géographique entre les deux pays ou à la nécessaire gestion d’une frontière commune. Ce terme témoigne surtout des relations étroites de la France et de l’Allemagne, dans de nombreux domaines depuis la gestion des frontières jusqu’au rapprochement des populations.</p>
<p>Qu’il s’agisse, en effet, de géopolitique, de culture ou encore de coopération universitaire, les relations entre la France et l’Allemagne ne semblent pas connaitre d’équivalent. D’abord parce qu’elles s’inscrivent dans une histoire dense et riche, ensuite parce qu’elles intéressent de nombreux domaines. Enfin, parce que la signature du traité de l’Élysée en 1963 ne fut pas un moment dans l’histoire, mais le début d’un long processus régulièrement marqué par la volonté réitérée des dirigeants français et allemand de rappeler l’intensité de la coopération et de l’amitié entre les deux pays.</p>
<p>Ainsi, 40 ans après la signature du traité de l’Élysée, le 22 janvier 2003, le président français Jacques Chirac et le chancelier Gerhard Schröder ont posé les bases d’une concertation structurée en créant le <a href="https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers-pays/allemagne/relations-bilaterales/les-conseils-des-ministres-franco-allemands/">Conseil des ministres franco-allemand</a> ayant pour mission d’assurer la coopération entre les deux États. Dans chaque pays, un secrétaire général coordonne désormais la préparation de ces conseils, qui se tiennent 1 à 2 fois par an, et assure le suivi des décisions entreprises.</p>
<p>Dans cette perspective, de nombreux axes de coopération ont été définis et mis en œuvre grâce à la création de structures binationales dans de nombreux domaines : concertation politique, défense et de sécurité (CFADS), environnement (CFAE), économie et finance (CEFFA), culture (HCCFA), jeunesse…</p>
<h2>Un moteur de la construction européenne</h2>
<p>Pilier de la construction européenne, le traité de l’Élysée a été réaffirmé, cinquante-six ans plus tard, le 22 janvier 2019 à Aix-la-Chapelle, par le président Emmanuel Macron et la chancelière Angela Merkel. Il s’agissait alors de consacrer le rôle moteur du « couple franco-allemand » non plus dans la construction, mais dans l’intégration européenne qui constitue le fil conducteur de la concertation entre la France et l’Allemagne.</p>
<p>Paris et Berlin entendaient ainsi approfondir et élargir la coopération entre la France et l’Allemagne, « dans le but d’aller de l’avant sur la voie d’une Europe prospère et compétitive, plus souveraine, unie et démocratique » et de « définir des positions communes sur toutes les questions européennes et internationales importantes ».</p>
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<figcaption><span class="caption">Signature du traité franco-allemand d’Aix-la-Chapelle, déclaration d’Emmanuel Macron (Élysée, 2019).</span></figcaption>
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<p>En d’autres termes, la coopération franco-allemande, loin de se cantonner à une dimension binationale doit être comprise aux niveaux européen et international. Historiquement, en effet, le « couple » franco-allemand s’est construit autour de la résolution des rapports de pouvoirs entre la France et l’Allemagne au niveau interne, comme élément d’équilibre favorisant la construction européenne, comme au niveau externe, renforçant le rôle de l’Europe dans la résolution des difficultés géopolitiques.</p>
<h2>Un renforcement du poids de l’Europe dans le monde</h2>
<p>Moteur du développement européen, la relation franco-allemande reste unique dans et hors de l’Europe, ce qui lui confère un poids politique essentiel dans la définition de la politique étrangère et le développement de la souveraineté européenne. Lors de leur déclaration commune, en 1963, le président de Gaulle et le chancelier Adenauer avaient déjà souligné le rôle déterminant de la relation franco-allemande qui « ouvre toutes les grandes portes d’un avenir nouveau pour la France, pour l’Allemagne, pour l’Europe et par conséquent pour le monde tout entier ».</p>
<p>Plus récemment, par une déclaration conjointe, la France et l’Allemagne ont réaffirmé leur détermination, aux côtés de leurs alliés et de leurs partenaires du monde entier, « à défendre les valeurs et les intérêts européens ainsi qu’à préserver l’ordre international fondé sur les principes de la Charte des Nations unies ». Mise à l’épreuve des bouleversements géopolitiques, de la pandémie du Covid-19, de la définition d’un modèle énergétique européen ou encore de la politique monétaire, l’intimité du couple franco-allemand ne va cependant pas sans crispation.</p>
<p>Si les déclarations communes rappellent et réaffirment la volonté de renforcer toujours plus les liens entre la France et l’Allemagne, la question se pose de l’avenir de ces relations. Au-delà de la définition des politiques de concertations et de coopération, l’amitié franco-allemande se nourrit en effet des relations entre les citoyens français et allemands.</p>
<p>Lors de la signature du traité de l’Élysée, le président de Gaulle et le chancelier Adenauer soulignaient l’importance « de la solidarité qui unit les deux peuples tant du point de vue de leur sécurité que du point de vue de leur développement économique et culturel » et le rôle déterminant que la jeunesse se trouve appelée à jouer dans la consolidation de l’amitié franco-allemande.</p>
<h2>Quel avenir pour l’amitié franco-allemande ?</h2>
<p>De fait, de nombreuses initiatives ont été mises en œuvre pour favoriser les échanges scolaires et universitaires afin de favoriser l’interculturalité, la compréhension de la culture du partenaire et l’acceptation des différences. Par exemple, depuis 1963 l’Office franco-allemand pour la Jeunesse (OFAJ – DFJW) a permis à près de <a href="https://www.ofaj.org/">9,5 millions de jeunes de participer à plus de 382 000 programmes d’échanges</a>.</p>
<p>Symbole de l’intégration franco-allemande, le <a href="https://www.education.gouv.fr/reussir-au-lycee/le-baccalaureat-franco-allemand-3929">baccalauréat franco-allemand</a> vient par exemple couronner, par un examen passé dans les deux langues, des études binationales et biculturelles. Si seuls trois lycées (Buc, Fribourg, Sarrebruck) préparent aujourd’hui au baccalauréat franco-allemand, l’ouverture d’établissements supplémentaires est à l’étude.</p>
<p>De la même façon, <a href="https://www.dfh-ufa.org/en/">l’université franco-allemande</a> (UFA – DFS) favorise la coopération franco-allemande dans l’enseignement supérieur. Elle a pour mission de promouvoir les relations et les échanges entre établissements d’enseignement français et allemands, en apportant son soutien à des projets binationaux dans le domaine de l’enseignement, tant au niveau des premiers que des seconds cycles, de la recherche et de la formation de futurs chercheurs.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/557749/original/file-20231106-19-wcyk7l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/557749/original/file-20231106-19-wcyk7l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=322&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/557749/original/file-20231106-19-wcyk7l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=322&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/557749/original/file-20231106-19-wcyk7l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=322&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/557749/original/file-20231106-19-wcyk7l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=404&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/557749/original/file-20231106-19-wcyk7l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=404&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/557749/original/file-20231106-19-wcyk7l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=404&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">L’acte fondateur des lycées franco-allemands se trouve dans le traité de l’Elysée du 22 janvier 1963.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Schrifttafeln_am_Deutsch-Franz%C3%B6sischen_Gymnasium_in_Freiburg-Oberau.jpg">Andreas Schwarzkopf/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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</figure>
<p>Au niveau collectif, la tendance semble donc bien favorable au renforcement de la coopération franco-allemande. Pour autant, au niveau individuel, la coopération franco-allemande se heurte à la <a href="https://www.lesechos.fr/politique-societe/societe/education-lenseignement-de-lallemand-en-perte-de-vitesse-1870805">désaffection de l’apprentissage de la langue allemande</a> par les lycéens : la baisse constante des collégiens et lycéens choisissant l’enseignement de l’allemand se poursuit de façon constante et dramatiquement stable depuis plusieurs années.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/fermeture-de-plusieurs-instituts-goethe-en-france-une-decision-dommageable-pour-la-relation-franco-allemande-216849">Fermeture de plusieurs Instituts Goethe en France : une décision dommageable pour la relation franco-allemande</a>
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<p>Sous cet éclairage, les acteurs de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/enseignement-superieur-20797">l’enseignement supérieur</a> public comme privé ont un rôle majeur à jouer afin de rendre compte non seulement de l’importance politique et géopolitique de la maîtrise des langues allemandes et françaises, mais aussi pour rendre compte du dynamisme économique de la coopération franco-allemande. Sous cet éclairage, parler les deux langues dans un domaine d’expertise apparaît comme un atout majeur pour les candidats au recrutement au niveau européen et international.</p>
<p>À ce jour, les programmes franco-allemands proposés dans l’enseignement supérieur constituent donc pour les étudiants maîtrisant les deux langues la garantie de valoriser une compétence particulièrement recherchée dans le monde professionnel.</p>
<p>Conformément au souhait du général de Gaulle et du chancelier Adenauer, les cursus franco-allemands témoignent de l’importance de la coopération franco-allemande non seulement aux niveaux culturel et académique mais aussi au niveau économique : aujourd’hui comme il y a soixante ans, l’amitié franco-allemande « ouvre toutes les grandes portes d’un avenir nouveau pour la France, pour l’Allemagne, pour l’Europe et par conséquent pour le monde tout entier ». <em>Es lebe die deutsch-französische Freundschaft !</em> (Vive l’amitié franco-allemande !)</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217137/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>La coopération entre la France et l’Allemagne ne se cantonne plus à une dimension binationale et doit désormais être comprise aux niveaux européen et international.Gaëlle Deharo, Enseignant chercheur en droit privé, ESCE International Business SchoolMadeleine Janke, Professur für Betriebliches Rechnungswesen, Hochschule für Wirtschaft und Recht BerlinLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2171432023-11-08T20:43:21Z2023-11-08T20:43:21ZEnseignement supérieur : l’alternance est-elle en train de s’imposer comme le mode de formation dominant ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/557788/original/file-20231106-23-sj1af9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C88%2C1157%2C755&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Plus d’un demi-million d’étudiants supplémentaires suivaient un cursus en apprentissage en 2022, soit quatre fois plus que cinq ans plus tôt.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://pxhere.com/en/photo/1445221">Pxhere/Mohamed Hassan</a></span></figcaption></figure><p>On assiste depuis quelques années à l’explosion du nombre de contrats d’apprentissage dans l’enseignement supérieur français. Les nouveaux contrats sont ainsi passés de <a href="https://www.ccomptes.fr/system/files/2023-07/20230707-note-thematique-Soutien-public-formation-professionnelle-apprentissage.pdf">112 000 en 2017 à 522 000 en 2022</a>, ce qui signifie qu’ils ont plus que quadruplé en l’espace de cinq ans. Comment expliquer une telle augmentation, alors que l’alternance et l’apprentissage sont généralement perçus comme des dispositifs réservés <a href="https://www.letudiant.fr/etudes/alternance/lalternance-cest-pour-les-metiers-manuels-12881.html">aux formations de type certificat d’aptitude professionnelle (CAP) ou brevet d’études professionnelles (BEP)</a> et comme des <a href="https://etudiant.lefigaro.fr/article/bruno-ducasse-montpellier-bs-l-alternance-doit-etre-reconnue-comme-un-modele-qui-contribue-a-l-ouverture-sociale_64f9abf4-ac21-11eb-971d-750f817f7560/">dispositifs au service de la diversité et l’ouverture sociale quand ils concernent l’enseignement supérieur</a> ?</p>
<p>L’alternance fait actuellement l’objet d’un engouement qui semble dépasser ce cadre et qu’il est utile de bien comprendre. Pour ce faire, nous avons mené un projet de recherche (à paraître) basé sur 48 entretiens qualitatifs d’étudiants en alternance, de responsables alternance d’institutions d’enseignement supérieur et de responsables ressources humaines d’entreprises accueillant des étudiants en alternance. Et les premières conclusions de ce travail de recherche mettent à mal plusieurs idées reçues à ce sujet.</p>
<p><iframe id="zTB0I" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/zTB0I/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Beaucoup d’observateurs estiment que le succès de l’alternance dans l’enseignement supérieur est lié à la mise en place d’un <a href="https://travail-emploi.gouv.fr/archives/archives-presse/archives-communiques-de-presse/article/plan-1-jeune-1-solution-nouvelles-mesures-pour-favoriser-l-embauche">plan d’aides aux entreprises</a> intitulé « 1 jeune, 1 solution » par le gouvernement en août 2020 à la suite de la crise du Covid-19. Ce plan visant à favoriser l’embauche d’alternants a d’ailleurs été <a href="https://www.service-public.fr/particuliers/actualites/A14253">renouvelé</a> début 2023 et doit se poursuivre jusqu’à la fin du quinquennat.</p>
<p>Mais résumer le succès de l’apprentissage à ce plan d’aide serait réducteur. Si celui-ci a parfois constitué un effet d’aubaine pour certaines entreprises, on constate aussi que ces mesures, visant originellement à faciliter l’entrée dans la vie professionnelle de jeunes touchés par les conséquences de la crise sanitaire, n’ont fait qu’amplifier une hausse qui était déjà bien présente avant leur mise en place. Le nombre de contrats d’apprentissage dans l’enseignement supérieur n’a ainsi cessé d’augmenter depuis près de dix ans. Ce volume était par exemple en hausse de <a href="https://www.ccomptes.fr/system/files/2023-07/20230707-note-thematique-Soutien-public-formation-professionnelle-apprentissage.pdf">32 % entre 2018 et 2019</a>, juste avant la mise en place des mesures gouvernementales.</p>
<h2>Une mutation profonde</h2>
<p>En réalité, le succès de l’alternance et de l’apprentissage dans l’enseignement supérieur français apparait comme le résultat d’une mutation de sa perception. Longtemps, le modèle dominant de formation en France a privilégié un format où l’étudiant se consacrait à temps plein à ses études (si on laisse de côté petits boulots, vie associative, etc.) et l’introduction des stages et des expériences en entreprises dans de nombreux cursus a marqué la <a href="https://journals.openedition.org/ripes/605">première étape d’une professionnalisation plus forte des étudiants français</a>.</p>
<p>Mais les stages ne concernent habituellement pas des périodes alternées entre cours et entreprise (même s’il existe aujourd’hui la possibilité de stages alternés dans certaines formations) et le jeune concerné garde son statut d’étudiant. L’entreprise ne finance pas sa formation et ne lui verse pas de salaire mais une <a href="https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F32131">gratification minimale</a>. L’apprentissage est un système différent : l’étudiant devient en réalité un salarié qui étudie (et non plus un étudiant qui travaille) et l’entreprise finance sa formation et lui verse un salaire.</p>
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<p>D’où sans doute l’idée que l’apprentissage n’intéresserait les jeunes que pour des raisons financières et qu’il ne pourrait constituer qu’un dispositif d’ouverture sociale pour les plus démunis. Ceux-ci choisiraient l’apprentissage pour accéder à des études supérieures qu’ils ne peuvent pas financer et les plus riches choisiraient la voie classique compte tenu de leur capacité à financer leurs études et leur vie étudiante.</p>
<p>Or, les avancées de notre recherche vont à l’encontre de ces affirmations.</p>
<h2>Un mode de formation désormais dominant et plébiscité</h2>
<p>Si l’argument économique reste un élément de choix fort pour l’ensemble des répondants et sert effectivement d’ascenseur social au service des moins aisés, la décision de se tourner vers l’apprentissage est aussi motivée par d’autres éléments et ne concerne pas simplement les étudiants désargentés.</p>
<p>L’apprentissage est désormais perçu comme le mode de formation le plus professionnalisant et le mieux adapté pour se former et trouver un travail au-delà des avantages financiers qu’ils confèrent. Il permet, bien plus qu’avec les stages, de se confronter à la réalité de certains métiers et de certains secteurs et de s’orienter de manière optimale une fois le diplôme en poche. Un étudiant en alternance dans une école de management à Paris qui a participé à notre étude en témoigne :</p>
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<p>« Évidemment, le fait de me faire financer mes études et d’être payé a joué dans mon choix. Mais en réalité, ça n’a pas été le point décisif car mes parents avaient les moyens de me financer ma formation. Mais nous avons pensé que c’était un vrai plus pour mon futur professionnel et une formule plus efficace que les stages ».</p>
</blockquote>
<p>L’alternance apparait donc aux yeux des étudiants comme un tremplin vers l’emploi. D’ailleurs, les <a href="https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/sites/default/files/imported_files/documents/NF2021.8-_Insertionalternants.num_1408279.pdf">chiffres</a> font état d’un taux d’emploi stable plus élevé pour les diplômés de licence professionnelle et de master qui ont suivi leur cursus en apprentissage (respectivement 11 et 14 points de plus par rapport à leurs homologues ayant suivi un parcours classique).</p>
<p><iframe id="qsx7Q" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/qsx7Q/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>De leur côté, les institutions d’enseignement supérieur et les directions des ressources humaines (DRH) confirment cette impression. Les responsables de ces dernières sont par exemple nombreux à affirmer que les entreprises privilégieront, entre deux profils, le jeune qui aura effectué une partie de son enseignement supérieur en alternance. Le DRH d’une PME de Nouvelle-Aquitaine en témoigne :</p>
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<p>« Aujourd’hui, la grande majorité des entreprises considère qu’un jeune qui a fait de l’alternance est plus mature et plus en capacité de comprendre les cultures d’entreprise et de s’intégrer aux équipes en place. Et a donc tendance à préférer ce type de candidatures au détriment de profils ayant suivi des parcours classiques ».</p>
</blockquote>
<p>Au bilan, l’apprentissage semble donc aujourd’hui perçu comme une formule gagnante par les nouvelles générations, les universités, les écoles et les entreprises.</p>
<h2>La question clef du financement</h2>
<p>Faut-il dès lors aller vers un « tout alternance » dans l’enseignement supérieur ? Notre recherche met aussi en lumière les limites de la mise en place d’une alternance généralisée. D’abord, parce que combiner études et entreprises <a href="https://books.google.fr/books?hl=fr&lr=&id=Xz5YDwAAQBAJ">exige une force de travail et une maturité</a> que certains jeunes ne possèdent pas à cette étape de leur existence. Le rythme de l’alternance laisse aussi peu de place à une vie étudiante, sociale et associative et aux expériences à l’international qui servent de passage initiatique vers la vie adulte de beaucoup de jeunes.</p>
<p>La très grande majorité des répondants privilégie ainsi un format alliant des premières années d’études post-bac sur un rythme classique, éventuellement financées par des bourses pour les moins fortunés, et une fin de parcours en alternance pour tous afin de pouvoir tirer le meilleur des deux formules.</p>
<p>Toutefois, comme souvent, c’est la question du financement d’un système désormais reconnu et établi qui risque de poser problème. Au-delà d’un nécessaire cadrage de <a href="https://www.leparisien.fr/etudiant/orientation/alternance/aides-a-lalternance-attention-aux-abus-de-certaines-ecoles-ou-entreprises-VTOITNFOCRDH7OIM5U4M5MN2FU.php">pratiques abusives</a>, qui ont vu des écoles et des entreprises, peu soucieuses du suivi et de la formation des étudiants, se financer grâce aux mesures gouvernementales, c’est le coût pour la puissance publique et la <a href="https://www.banquedesterritoires.fr/apprentissage-vers-une-seconde-baisse-de-financement-des-contrats-en-septembre">tendance à la baisse</a> du niveau de financement des contrats qui représentent le véritable défi. Car au-delà de son bien-fondé, cette baisse va fortement impacter le budget des centres de formation d’apprentis (CFA) mais aussi des universités et des écoles. Et pourrait à terme détourner en partie ces dernières de ce modèle de formation… pourtant plébiscité par les étudiants, les entreprises et les institutions d’enseignement supérieur.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217143/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Olivier Guyottot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Au-delà des intérêts économiques, la possibilité de concilier études et vie professionnelle est désormais perçue comme le moyen le plus adapté pour s’insérer dans le monde de travail.Olivier Guyottot, Enseignant-chercheur en stratégie et en sciences politiques, INSEEC Grande ÉcoleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2149792023-10-23T18:06:30Z2023-10-23T18:06:30ZUniversités : comment les inégalités se sont renforcées en France et au Royaume-Uni<p>Les systèmes d’enseignement supérieur en France et au Royaume-Uni connaissent d’importantes turbulences depuis quelques années. Les établissements, les étudiants et les personnels apparaissent de plus en plus vulnérables. Les universités sont en difficulté <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/06/09/le-sous-financement-chronique-des-universites-doit-cesser-selon-la-cncdh_6083480_3224.html">sur le plan budgétaire</a>, les étudiants luttent contre l’endettement et la <a href="https://theconversation.com/a-luniversite-le-cercle-vicieux-de-la-precarite-etudiante-201914">pauvreté</a>, et le personnel académique fait face à une perte de pouvoir d’achat (salaires et retraites) et à une précarisation croissante.</p>
<p>Des deux côtés de la Manche, les syndicats enseignants se mobilisent. <a href="https://www.cairn.info/revue-societes-contemporaines-2020-3-page-173.htm">Au Royaume-Uni</a>, ils revendiquent des améliorations en matière de salaires et de conditions de travail, mettant en avant des contradictions internes au discours qui relie les frais d’inscription élevés au maintien d’un service de qualité. En France, la contestation se focalise sur la dénonciation d’une politique de mise en concurrence au sein de la profession, favorisée par la <a href="https://theconversation.com/comment-la-loi-de-programmation-de-la-recherche-aggrave-les-inegalites-entre-territoires-en-france-146114">Loi de programmation de la recherche</a> qui contribue au développement des inégalités internes au système d’enseignement supérieur.</p>
<p>Ces débats relativement similaires en France et au Royaume-Uni concernant les personnels académiques s’articulent autour de deux questions majeures :</p>
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<li><p>l’augmentation massive du nombre des personnels précaires d’une part ;</p></li>
<li><p>le <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-pedagogie-2020-2-page-19.htm">renforcement des inégalités dans les conditions de travail</a> selon les disciplines et/ou les établissements, d’autre part.</p></li>
</ul>
<p>Cette convergence des problèmes peut surprendre quand on connait les différences de structures qui existent entre les deux systèmes : le modèle hautement marchandisé et décentralisé britannique s’oppose presque terme à terme au modèle français centralisé et quasiment gratuit (bien que 25 % des étudiants français soient désormais inscrits dans <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/07/13/l-enseignement-superieur-prive-un-marche-devenu-lucratif-et-illisible_6181815_3224.html">l’enseignement supérieur privé</a> et que des droits d’inscriptions conséquents soient désormais en place dans certains établissements).</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/enseignants-chercheurs-le-metier-universitaire-ecartele-153044">Enseignants-chercheurs : le métier universitaire écartelé</a>
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<p>Pourtant, malgré ces différences, nous montrons dans un <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/03050068.2023.2258676">récent papier</a> que les développements des professions universitaires des deux pays ont suivi des évolutions historiques parallèles, caractérisées par des réponses similaires aux transformations induites par la massification entamée dans les années 1960 et renforcée au début des années 1990.</p>
<h2>De l’ère des élites universitaires à l’âge managérial</h2>
<p>Sur la moyenne durée (le dernier siècle), trois périodes se dégagent qui correspondant à des configurations organisationnelles successives de la profession académique, en lien avec les évolutions du contexte.</p>
<p>La première période peut être qualifiée d’<strong>ère des élites universitaires</strong>. Elle représente le mode traditionnel de (re)fondation des universités contemporaines. Du XIX<sup>e</sup> siècle à la Seconde Guerre mondiale, elle se caractérise par la permanence du personnel en place, avec un recours limité à une main-d’œuvre de substitution, dont la très grande majorité rejoindra à terme le groupe des titulaires. Dans ces systèmes de petite taille, la profession forme une communauté au sein de laquelle les carrières sont linéaires, même si leur rythme varie dans le temps (un recrutement important limite les possibilités d’entrée de la génération suivante, créant des blocages cycliques). Le marché du travail est à la fois fermé et malthusien.</p>
<p><strong>L’ère de la massification fordiste</strong> qui suit durant la seconde moitié du XX<sup>e</sup> siècle est marquée par l’augmentation du nombre des employés permanents, complétée par un recours accru aux employés contractuels (en particulier après la crise des années 1970). Dans cette nouvelle configuration, le nombre de ces derniers dépasse celui du personnel permanent, et les carrières peuvent être temporairement plus rapides (en fonction des besoins de recrutement), mais tendanciellement plus longues (les accès aux positions permanentes sont plus incertains). Le marché du travail est ouvert dans la mesure où une fraction non négligeable du personnel contractuel a la possibilité (mais non la garantie) de rejoindre le groupe du personnel permanent. Cette configuration se caractérise par un lien plus fort entre différentiation du travail académique entre établissements et segmentation professionnelle.</p>
<p>Enfin, <strong>l’âge managérial</strong> de la seconde massification des années 1990 est associé à l’émergence d’une nouvelle catégorie d’universitaires marginalisés. Les personnels permanents et contractuels ont été complétés par une troisième catégorie de plus en plus nombreuse de travailleurs précaires, travaillant à la pièce et sans contrat, même de moyenne durée.</p>
<p>Les travailleurs permanents ne sont plus majoritaires au Royaume-Uni (45 %). En France, le nombre de travailleurs précaires appelés « vacataires » est plus élevé que le nombre de travailleurs permanents et contractuels. Deux marchés du travail coexistent alors : l’un basé sur le modèle de l’époque fordiste, qui associe un ratio de permanent/contractuel suffisamment favorable pour qu’il puisse être qualifié d’ouvert. L’autre qui rassemble nombre de contractuels et tous les précaires, en marge du premier, et sans liens permettant l’accès au groupe des permanents.</p>
<h2>Des inégalités entre établissements du supérieur</h2>
<p>Les conséquences de ce « troisième moment » du système sont identiques en France et au Royaume-Uni. La précarisation d’une partie de la main-d’œuvre, la segmentation professionnelle et la différenciation sectorielle en sont les caractéristiques principales, conséquences des tensions fortes produites par une augmentation massive des étudiants dans un contexte de ressources contraintes inégalement distribuées.</p>
<p>La détérioration du ratio entre personnel enseignant et étudiants en constitue la marque la plus immédiate. Elle n’est pas le simple résultat des variations démographiques (le nombre des étudiants fluctue selon une temporalité différente de celles des effectifs enseignants) mais aussi et surtout un effet de la <a href="https://universites2024.fr/effectifs-et-moyens-des-universites-secret-defense-ou-transparence/">pression financière</a>.</p>
<p>Le recours à l’emploi précaire s’impose comme la principale variable d’ajustement, contribuant fortement à la segmentation de la profession. En France, la diminution du nombre des personnels permanents, impliqués à la fois dans l’enseignement et la recherche coïncide d’abord avec la montée en puissance des personnels permanents uniquement enseignants, suivie par un recrutement massif de « vacataires ».</p>
<p>Au Royaume-Uni, la croissance du personnel sous contrat à durée déterminée et du personnel payé à la pièce a permis d’absorber la massification dans un contexte d’austérité et de financiarisation croissante. Dans les deux systèmes, la question des inégalités devient centrale.</p>
<p>Ce processus de segmentation est également favorisé par un phénomène de différenciation institutionnelle commun aux deux pays. Il ne s’agit plus alors seulement de la question de l’accès à l’enseignement supérieur en général mais du type d’institution dans laquelle sont poursuivies les études.</p>
<p>Les différences des taux d’encadrement entre universités, ou entre universités et autres établissements, reflètent les différences de ressources par étudiants (financières, mais aussi sociales et culturelles) et contribuent à renforcer la stratification sociale. Le cumul s’opère alors entre caractéristiques sociales des étudiants et inégalités de financement des établissements.</p>
<p>Au Royaume-Uni, la différence de ressources et de prestige entre les universités traditionnelles et nouvelles s’est traduite par une disparité significative des taux d’encadrement. Les inégalités sont encore plus prononcées si l’on considère les universités d’élite du <em>Russell Group</em>. En France, les inégalités se situent en premier lieu entre les écoles et les universités, mais aussi de plus en plus entre les <a href="https://www.snesup.fr/article/inegalites-de-dotation-quels-sont-les-taux-dencadrement-et-les-budgets-par-etudiant-des-universites-et-etablissements-denseignement-superieur-publics">universités elles-mêmes</a>.</p>
<p>Finalement, les populations les plus favorisées socialement bénéficient des institutions les mieux financées et les mieux dotées sur le plan pédagogique. À l’inverse, les établissements qui accueillent le public de la massification bénéficient de moindres moyens financiers qui affectent d’autant plus leur fonction d’élargissement social de l’enseignement supérieur.</p>
<h2>Des systèmes en croissance sur des fondements inchangés</h2>
<p>Cette évolution historique similaire aboutissant à la mise en place d’un double marché soulève la question des conditions dans lesquelles les systèmes d’enseignement supérieur se transforment. Elle permet tout particulièrement de comprendre la façon dont ont été prises en charge les massifications successives des systèmes, indépendamment de la manière dont ils sont organisés.</p>
<p>Les deux systèmes partagent un contexte de restriction du financement public. En France, ceci conduit à un sous-financement chronique à l’origine de la crise actuelle. <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/23322969.2021.1896376">Au Royaume-Uni</a>, cela permet de comprendre comment l’augmentation des droits d’inscription s’est substituée au financement public, au lieu de permettre un accroissement des ressources, amplifiant les inégalités au sein des établissements et entre eux.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-recherche-a-lepreuve-de-la-mise-en-concurrence-131514">La recherche à l’épreuve de la mise en concurrence</a>
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<p>Dans les deux pays, le choix de la solution la plus économique (une précarisation du personnel) s’est fait sans tenir compte des risques d’inégalités croissantes qu’elle induit, tant pour la profession universitaire que pour les étudiants. D’aucune façon la question d’une réforme structurelle et institutionnelle n’a été envisagée. C’est donc par une simple croissance de systèmes inchangés mais de plus en plus mal financés que les deux pays ont ambitionné de produire les diplômés de plus en plus nécessaires à une société de la connaissance.</p>
<p>Or la résolution des inégalités des chances dans l’enseignement supérieur nécessite une relance combinée de l’investissement public et une réorganisation des systèmes d’enseignement supérieur et de leur personnel académique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/214979/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Vincent Carpentier a reçu des financements de l'Economic and Social Research Council, the Office for Students and Research England (grant reference ES/M010082/1, ES/M010082/2 and ES/T014768/1) afin de soutenir le Centre for Global Higher Education. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Emmanuelle Picard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Entre la France et le Royaume-Uni, les systèmes d’enseignement supérieur sont très différents. Mais leurs réponses face aux défis de la massification étudiante ne se rejoignent-elles pas ?Emmanuelle Picard, Professeure d'histoire contemporaine, spécialiste de l'enseignement supérieur et de la recherche, ENS de LyonVincent Carpentier, Reader in History of Education, UCLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2147662023-10-08T17:15:54Z2023-10-08T17:15:54ZÉcoles de management : quels enseignements pour une transition juste ?<p>En 2022, les prises de parole des étudiantes et des étudiants lors des cérémonies de remise de diplômes à <a href="https://www.youtube.com/watch?v=SUOVOC2Kd50">AgroParisTech</a>, à <a href="https://www.youtube.com/watch?v=tZSO3yIc4SQ">HEC Paris</a>, aux <a href="https://www.youtube.com/watch?v=dyQc8XXLgho&t=613s">Mines Paris-PSL</a> ou encore <a href="https://www.dailymotion.com/video/x8c3cs9">l’École Polytechnique</a> ont marqué les esprits. Face aux revendications à réorienter les enseignements vers plus de responsabilité mais aussi à la croyance en d’autres possibles, les écoles doivent désormais poser une réflexion critique sur les paradoxes auxquels elles sont confrontées et repenser leurs choix stratégiques et pédagogiques.</p>
<p>Bien avant ces sorties étudiantes, et sous l’impulsion des remises en question émanant même de la communauté des chercheuses et chercheurs en management, les établissements avaient déjà amorcé des changements. Certains ont remanié leurs énoncés de mission afin d’expliciter leur adhésion aux principes de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/responsabilite-societale-des-entreprises-rse-21111">responsabilité sociale d’entreprises (RSE)</a> et de développement durable ; et beaucoup d’autres ont créé de <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S1472811719300035">nouveaux cours et cursus dédiés</a>.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/eJHfxF9letc?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Polytechnique : Urgence écologique et sociale – Trois promotions appellent à s’engager (Diplômes Polytechnique Écologie, 2022).</span></figcaption>
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<p>Le bilan de ces initiatives reste toutefois mitigé, et les <a href="https://www.emerald.com/insight/content/doi/10.1108/JGR-12-2020-0110/full/html">débats se poursuivent</a>. Nous nous efforçons pour notre part depuis quelques années de transformer les formations au travers différentes expériences, dans des programmes de formation pour des Bachelor of Business Administration (BBA, niveau Bac +3), des Master of Business Administration (MBA, bac +5) et de l’Executive Education (formation professionnelle pour les cadres supérieurs délivrant un Master 2, bac+5) en France et au Québec.</p>
<p>Nous décrivons ces dernières dans le chapitre d’un <a href="https://www.routledge.com/Transforming-Business-Education-for-a-Sustainable-Future-Stories-from-Pioneers/Irwin-Rimanoczy-Fritz-Weichert/p/book/9781032591162">ouvrage à paraître</a> aux Éditions Routledge, issu du groupe de travail « <a href="https://www.unprme.org/working-group/prme-working-group-on-sustainability-mindset">Sustainability Mindset</a> » du <a href="https://www.unprme.org/">programme Principles for responsible management education (PRME)</a> des Nations unies.</p>
<h2>Comprendre les présupposés</h2>
<p>La vision de nos rôles quant à l’enseignement en management s’inspire de propositions issues des divers courants de recherche (<a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/1350507618795090">Critical Management Education</a>, <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/0018726719827366">Critical Management Studies</a>) et en intégrant des <a href="https://agone.org/livres/pedagogie-des-opprimes">approches décoloniale et antiraciste</a> en <a href="https://journals.aom.org/doi/abs/10.5465/AMBPP.2022.14410abstract">enseignement du management</a>. Ces principes incluent d’abord la <a href="https://theconversation.com/podcast-limportance-dapprendre-a-desapprendre-131620">déconstruction des convictions tenues pour acquises</a> concernant les organisations et le management (leur généalogie, leurs mandats, leurs rapports à la société, la croissance, la productivité, etc.). Il s’agit ensuite de sensibiliser les apprenantes et les apprenants aux limites des pratiques vertes ou éthiques ancrées dans une logique néolibérale et implantées de manière coloniale.</p>
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<p>Il s’agit finalement de familiariser les étudiantes et les étudiants à des récits mettant en exergue les justices dans les relations des organisations aux territoires, aux humains et aux non-humains. Ces récits apparaissent utiles dans la construction de solutions qui ne dissocient pas la transition écologique des aspirations de justices spatiale, raciale, de genre, etc.</p>
<p>Comment actons-nous plus précisément ces rôles ? Dans le cadre d’un programme Executive, l’approche historique critique est par exemple privilégiée. Travailler avec des archives reste en effet déstabilisant mais permet de mieux comprendre les présupposés des visions classiques de la RSE.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-les-ecoles-de-commerce-peuvent-elles-repondre-aux-discours-engages-des-etudiants-196668">Comment les écoles de commerce peuvent-elles répondre aux discours engagés des étudiants ?</a>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/ecologie-jeunes-et-diplomes-des-grandes-ecoles-le-grand-tournant-vraiment-205417">Écologie, jeunes et diplômés des grandes écoles : le grand tournant, vraiment ?</a>
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<p>Les conceptions économiques de Howard Bowen, identifié comme le <a href="https://www.cairn.info/la-responsabilite-sociale-de-l-entreprise--9782130626640-page-7.htm">père de la RSE</a>, sont ainsi confrontées à d’autres visions présentées sous forme de textes, de films ou de tableaux peints traitant de dominations. Ensuite, les cours visent à se familiariser avec les perspectives décoloniales à travers des publications académiques, d’articles de journaux, de poésies, de discours militants. Celles et ceux qui suivent la formation sont ensuite invités à faire les liens entre ce que ces matériels révèlent et les réalités dans leurs propres sphères politiques et communautaires.</p>
<p>Cela les amène à poser une réflexion sur leur carrière, leurs décisions passées et sur les pratiques de leurs organisations qui pourraient être extractivistes, porteuses d’injustice de genre et ainsi reproductrices de relations coloniales.</p>
<h2>Contester l’idée du « one best way »</h2>
<p>Dans un programme de BBA, des approches hétérodoxes sont mobilisées dans un premier temps pour dévoiler les inégalités structurelles empêchant l’avènement d’un développement équitable, et sensibiliser le public aux failles du dogme de la croissance illimitée dans un monde aux ressources limitées. Les dysfonctionnements du capitalisme et les injustices (économiques, sociales, raciales, de genre, etc.) subies en particulier par les acteurs des périphéries sont plus particulièrement mis en exergue.</p>
<p>Dans un deuxième temps, le programme mobilise des <a href="https://www.iso.org/publication/PUB100401.html">outils déjà utilisés par des organisations</a> en focalisant sur la lutte contre la pauvreté, les inégalités et le changement climatique pour inciter à réfléchir à des alternatives. Des études de cas (entreprises capitalistes, entreprises d’économie sociale et solidaire, commerce équitable, etc.) permettent de renforcer les apprentissages.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/551395/original/file-20231002-15-d0axvr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/551395/original/file-20231002-15-d0axvr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/551395/original/file-20231002-15-d0axvr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/551395/original/file-20231002-15-d0axvr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/551395/original/file-20231002-15-d0axvr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/551395/original/file-20231002-15-d0axvr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/551395/original/file-20231002-15-d0axvr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/551395/original/file-20231002-15-d0axvr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption"><em>Transforming Business Education for a Sustainable Future Stories from Pioneers</em>, de Linda Irwin, Isabel Rimanoczy, Morgane Fritz, James Weichert.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.routledge.com/Transforming-Business-Education-for-a-Sustainable-Future-Stories-from-Pioneers/Irwin-Rimanoczy-Fritz-Weichert/p/book/9781032591162">Éditions Routledge, 2023 (non traduit)</a></span>
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<p>Enfin, un programme de MBA mobilise des expériences documentées (jugements de tribunaux, rapports d’organismes, émissions de radios et de télévisions, etc.) pour dévoiler les faces cachées des dispositifs et programmes souvent qualifiés de responsables (par exemple, codes de conduite, philanthropie, commerce de la base de la pyramide, etc.).</p>
<p>Ces cas aident à repérer des traces d’asymétrie de pouvoir, d’essentialisation des peuples, de paternalisme, d’exclusion des voix et des connaissances non dominantes. Cet objectif de déconstruction se complète par celui de visibilisation des pratiques d’organisations porteuses d’innovations (par exemple, la fondation Catherine Donnelly qui utilise une démarche décolonisée d’investissement, la clinique Minowé qui fait de la sécurisation culturelle des autochtones la base de ses offres de services de santé et services sociaux).</p>
<p>La traduction de la vision de l’enseignement en pratiques pédagogiques déconstructives et reconstructives, dont des illustrations viennent d’être mentionnées, est sous-tendue par les principes de <em>conscientização</em> et de pluralisme. La <a href="https://www.fpce.up.pt/ciie/sites/default/files/PauloFreire--Conscientiza%C3%A7%C3%A3o_pp.5-19.pdf"><em>conscientização</em></a>, inspirée des enseignements du pédagogue brésilien Paulo Freire, favorise le développement d’une résistance aux oppressions à travers les réflexions et les actions. Le pluralisme conteste à son tour l’idée d’une « one best way ».</p>
<p>Ainsi, nos cours invitent à questionner les modèles et les critères de décision présentés souvent comme les meilleurs car éprouvés par les entreprises multinationales et adoptés par les partenaires sur leur chaîne de valeurs. Nos étudiantes et étudiants comprennent à la fin de leur parcours qu’il existe une variété de systèmes économiques et culturels, de modes de gouvernance (outre celle fondée sur la propriété privée), de logiques organisationnelles (au-delà de celles axées sur les rentes) et d’innovations (en plus de celles de l’ordre de la technique).</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/214766/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Certaines initiatives émergent pour tenter de répondre aux mieux aux attentes en matière de responsabilité des nouvelles générations d’étudiantes et d’étudiants.Lovasoa Ramboarisata, Professor of strategy & CSR, Université du Québec à Montréal (UQAM)Celine Berrier-Lucas, Professeure Associée en RSE, PhD, ISG International Business SchoolDimbi Ramonjy, Professeur associé en Stratégie et RSE, ExceliaLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1910882023-07-12T15:38:22Z2023-07-12T15:38:22ZFace à la crise écologique, le défi lancé par les jeunes générations aux écoles et aux universités<p>Les jeunes souhaitent contribuer à un monde meilleur, ils s’en sentent responsables, et attendent de leur école ou de leur université de les préparer à un métier en <a href="https://www.ipsos.com/fr-fr/9-jeunes-sur-10-estiment-que-leur-generation-doit-changer-le-monde-mais-aussi-quils-ny-sont-pas">accord avec leurs convictions</a>. Il s’agit d’un sérieux défi pour les établissements d’enseignement supérieur qui doivent répondre à ces attentes s’ils souhaitent rester attractifs et continuer à former les talents de chaque nouvelle génération.</p>
<p>Les ambitions et les aspirations des jeunes convergent mondialement. Quel que soit le pays, <a href="https://www.amnesty.fr/presse/le-changement-climatique-class-en-tte-des-problmes">leur implication dans la question écologique</a> est croissante. Dans <a href="https://www.ipsos.com/fr-fr/france-seuls-37-des-jeunes-estiment-que-le-systeme-educatif-les-prepare-bien-entrer-sur-le-marche">l’enquête menée en 2019 par WISE, Ipsos et JobTeaser dans cinq pays</a>, la responsabilité sociale des entreprises (RSE) faisait son entrée parmi les cinq critères intervenant dans le choix d’un emploi les plus cités.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/lenvers-des-mots-bifurquer-191438">« L’envers des mots » : Bifurquer</a>
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<p>Les enquêtes sur la situation en France donnent des résultats similaires. Selon la 5<sup>e</sup> édition du <a href="https://www.cge.asso.fr/barometre-bcg-ipsos-cge-talents-ce-quils-attendent-de-leur-emploi/">baromètre de Boston Consulting Group–Conférence des Grandes Écoles–Ipsos</a>, publiée en mai 2023, et dans la continuité des résultats des éditions précédentes, étudiants et diplômés des grandes écoles françaises expriment une déception massive par rapport à l’engagement RSE des grandes entreprises, des PME et de l’État.</p>
<p>Même s’ils reconnaissent à plus de 70 % que les employeurs s’impliquent davantage qu’il y a dix ans, ils considèrent que cela reste motivé par la nécessité d’améliorer leur image, pas par la conviction. Cela ne les empêche pourtant pas de vouloir rejoindre les entreprises pour leur carrière ou « pour les faire changer de l’intérieur » (48 %), notamment dans les deux secteurs les plus recherchés pour leur premier emploi : l’environnement (76 %) et l’énergie (68 %).</p>
<p>C’est précisément cette exigence qui est exprimée publiquement depuis quelques années par des discours prononcés <a href="https://theconversation.com/agroparistech-quand-de-futurs-ingenieurs-racontent-leur-conversion-ecologique-183764">lors des cérémonies de remise des diplômes</a>, par la <a href="https://manifeste.pour-un-reveil-ecologique.org/fr">signature de manifestes</a> et de <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/09/17/les-universites-et-grandes-ecoles-doivent-integrer-l-urgence-climatique-dans-leur-strategie_5511279_3232.html">tribunes dans la presse</a> ainsi que par des <a href="https://etudiant.lefigaro.fr/article/nos-etudes-ne-serviront-pas-a-detruire-la-planete-a-hec-ou-l-x-les-jeunes-mobilises-pour-le-climat_4d79201c-e40b-11ed-8ada-6bcd9e4e0c49/">mobilisations collectives</a> pour éveiller la conscience écologique des grandes entreprises ou contester leur présence sur les campus.</p>
<h2>Dans les formations, l’écueil d’une logique disciplinaire</h2>
<p>Quelles leçons tirer de ces tendances ? Ces chiffres et ces mobilisations peuvent paraître épisodiques mais c’est la convergence des aspirations qui est notable. Depuis plus de cinq ans, chaque cohorte de jeunes issue des meilleures formations s’interroge sur les valeurs et l’engagement sociétal et environnemental de ceux qui les embaucheront.</p>
<p>Si les jeunes générations ont des aspirations claires, elles ne se sentent pas toujours préparées à les réaliser, au regard des connaissances et compétences requises. <a href="https://www.carenews.com/fondation-du-college-de-france/news/69-des-jeunes-declarent-manquer-d-informations-scientifiques">Une enquête conduite en France auprès des 18-35 ans en 2021</a> par la Fondation de France avait montré que beaucoup de jeunes, bien que préoccupés par les questions environnementales, avouaient ne pas bien connaître la signification d’expressions telles que « gaz à effet de serre » (46 % des répondants) ou « empreinte écologique » (55 % des répondants).</p>
<p>En effet, toutes les écoles et universités ne sont pas encore en mesure de bien cibler les compétences à mobiliser pour devenir acteurs de la transition écologique, car les cursus de formation sont souvent organisés selon des logiques disciplinaires. Et quand les compétences sont identifiées, elles le sont par métier ou alors elles relèvent des compétences transversales ou « soft skills », ce qui ne correspond pas aux attentes des étudiants pour se positionner sur des métiers à fort impact.</p>
<p>Dans certains cas, ce sentiment d’impréparation s’appuie sur ce que les médecins définissent comme <a href="https://theconversation.com/leco-anxiete-nous-guette-et-ce-nest-pas-forcement-une-mauvaise-nouvelle-123028">« éco-anxiété »</a> ou « solastalgie », une détresse mentale que de nombreux adolescents et étudiants développent à mesure qu’ils deviennent plus conscients de l’état de l’environnement.</p>
<p>Paradoxalement, plus les étudiants sont formés, plus ils acquièrent les clefs de compréhension des mécanismes du vivant et des limites planétaires, plus leur revendication est forte. Ce sont avant tout les <a href="https://www.isf-france.org/formic">étudiants et diplômés des grandes écoles d’ingénieur</a> qui ont exprimé le besoin d’une formation plus ambitieuse. Si savoir, c’est comprendre les interdépendances entre l’action humaine et les crises écologiques, cette prise de conscience de sa propre responsabilité génère un devoir d’action. Se rendre compte que leur mode de vie est une partie de la cause, met les étudiants face à un <a href="https://www.nonfiction.fr/article-1206-lethique_environnementale_aujourdhui.htm">impératif éthique d’agir</a> pour changer le cours des choses.</p>
<h2>Les établissements réfléchissent à un socle commun de compétences</h2>
<p>Dans ce contexte, beaucoup de responsables d’établissements d’enseignement supérieur ont pris des mesures pour retenir les étudiants et prouver leur pertinence aux employeurs. Dans un premier temps, ces mesures ont principalement été des déclarations publiques.</p>
<p>Au lendemain de la COP21 de Paris, sous la houlette de Columbia University, 115 écoles de santé publique et de médecine de tous les continents ont décidé de lancer une initiative commune, visant à former les futurs professionnels médicaux aux effets du changement climatique sur la santé. En 2017, un <a href="https://www.earth.columbia.edu/projects/view/863">consortium mondial sur l’éducation au climat et à la santé</a> (GCCHE) a été créé, au nom d’un « impératif pour une action rapide ». Les présidents de ces établissements reconnaissaient ainsi que le climat était sous-représenté dans les programmes de santé et s’accordaient sur la nécessité de poursuivre le renforcement des compétences par la formation.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/crise-ecologique-ces-eleves-ingenieurs-qui-veulent-transformer-leur-metier-184339">Crise écologique : ces élèves ingénieurs qui veulent transformer leur métier</a>
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<p>Des initiatives similaires ont vu le jour dans différentes régions du monde au cours des cinq dernières années. Au Royaume-Uni, par exemple, les 24 universités qui composent le <a href="https://russellgroup.ac.uk/news/russell-group-publishes-joint-statement-on-environmenta-sustainability/">Russell Group</a> ont déclaré publiquement en décembre 2019 leur engagement à « lutter contre le changement climatique par la recherche, l’enseignement et des pratiques plus durables ». Le Russell Group a donc à son tour créé un Environmental Sustainability Network afin « d’apprendre les uns des autres, de renforcer les efforts pour réduire les déchets, augmenter le recyclage » et réduire les émissions de CO<sub>2</sub> sur le campus.</p>
<p>En France aussi, les responsables de l’enseignement supérieur on fait entendre leur volonté d’<a href="https://www.lejdd.fr/Societe/exclusif-formons-tous-les-etudiants-aux-enjeux-climatiques-lappel-de-80-dirigeants-detablissements-3919612">introduire davantage d’enseignements liés au climat et à l’environnement</a>. L’année 2019 a été ponctuée de déclarations appelant le gouvernement à consacrer des ressources financières supplémentaires dans le but de pouvoir former tous les étudiants aux questions climatiques et écologiques.</p>
<p>Suivant l’exemple de nombreuses universités européennes et américaines, la majorité des présidents et directeurs d’établissements d’enseignement supérieur français, rejoints par les conférences nationales (CPU, CGE, CDEFI), ont annoncé <a href="https://theconversation.com/pourquoi-les-universites-doivent-declarer-letat-durgence-ecologique-et-climatique-126880">vouloir faire du climat une « urgence »</a>, engageant ainsi leurs communautés dans une transformation efficace et rapide à travers <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/09/17/les-universites-et-grandes-ecoles-doivent-integrer-l-urgence-climatique-dans-leur-strategie_5511279_3232.html">l’évolution des cursus</a>, la formation du personnel, l’introduction de pratiques responsables dans la gestion du campus et de la vie étudiante.</p>
<p>Au fil des tribunes et des rapports, la réflexion sur un cadre commun de référence, par-delà les métiers, les statuts et les secteurs, s’est imposée progressivement dans le débat public. Un consensus s’est établi sur le fait que répondre au double défi climat-biodiversité nécessite des formations renouvelées pour tous les métiers du privé et de la fonction publique, ainsi que <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/12/03/repondre-au-defi-climatique-necessite-de-former-l-ensemble-des-agents-publics_6021502_3232.html">l’introduction de la préoccupation climatique et écologique</a> dans toutes les politiques publiques et dans les stratégies d’entreprise.</p>
<h2>D’une formation pour spécialistes de l’environnement à une formation à l’environnement pour tous</h2>
<p>Une enquête de 2023 menée par <a href="https://iau-aiu.net/IMG/pdf/iauhesdsurvey2023_accelerating_actions.pdf">l’Association internationale des universités</a> (IAU) donne un aperçu de l’engagement des établissements du monde entier sur les objectifs du développement durable (ODD). En comparaison avec les résultats des enquêtes précédentes (2016 et 2019), le nombre d’universités qui inscrit les ODD dans le plan stratégique reste stable (38 %). Près de la moitié des établissements déclarent allouer un budget spécifique et croissant aux initiatives en lien avec le développement durable.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/face-a-lurgence-ecologique-comment-transformer-les-programmes-des-ecoles-et-universites-190090">Face à l’urgence écologique, comment transformer les programmes des écoles et universités ?</a>
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<p>Néanmoins, l’enquête pointe un certain nombre de difficultés qui entravent une transformation plus profonde et transversale : le manque de financement, le manque de personnel formé, le manque de mécanismes de gratification pour les cours. Si la majorité des universités (65 %) offrent des cours dédiés, ces cours sont généralement spécialisés, concentrés dans un nombre restreint de départements – appartenant le plus souvent aux STEM (science, technologie, ingénierie et mathématiques)- et largement inconnus sur le campus. Les approches trans et interdisciplinaires sont rares et les perspectives systémiques difficiles à mettre en œuvre.</p>
<p>En France, la situation est très contrastée. Jusqu’à une époque très récente, peu de cursus proposaient des cours obligatoires liés aux enjeux énergétiques et climatiques, comme le montrait un rapport publié par le <a href="https://theshiftproject.org/wp-content/uploads/2019/04/Rapport_ClimatSup_TheShiftProject-2019.pdf">Shift Project</a> en mars 2019 sur l’enseignement supérieur et le climat. Les écoles d’ingénieurs offrent traditionnellement plus de cours que les écoles de management et, même dans les universités, les étudiants inscrits dans des programmes de science, technologie, ingénierie et mathématiques ont plus de cours liés à l’environnement que les autres. Enfin, ces cours sont généralement réservés aux cycles supérieurs, presque jamais au premier cycle, produisant ainsi de fortes inégalités d’accès.</p>
<p>L’enjeu a été donc de passer d’une formation pour spécialistes de l’environnement à une formation à l’environnement pour tous. C’est le <a href="https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/fr/enseigner-la-transition-ecologique-dans-le-superieur-51505">rapport remis en 2020 par le paléoclimatologue Jean Jouzel et par l’écologue Luc Abbadie</a> à la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche qui a fait bouger les lignes sur ces aspects. En recommandant de généraliser l’approche environnementale à toutes les formations, le rapport fait de la transition écologique une partie intégrante des parcours de formation de premier cycle, de façon à ce que tous les étudiants de niveau bac+2, toutes filières confondues, disposent des quelques compétences communes.</p>
<p>La dimension pluridisciplinaire de la transition écologique – mobilisant des savoirs allant de la géographie à la biologie, de la philosophie à l’économie en passant par les sciences de la terre – ajoute un obstacle supplémentaire à la nécessaire adaptation des formations et génère des formes de résistance à tous les niveaux. En effet, un cours commun à tous les programmes d’enseignement et disciplines est beaucoup plus difficile à réaliser que n’importe quel enseignement spécialisé. Pourtant, ce que l’on attend de l’enseignement supérieur, sous peine de désaffection chronique, est la promesse de former tous les futurs professionnels, pas seulement ceux qui travailleront dans le domaine de l’énergie et de l’environnement, pour qu’ils sachent naviguer dans la complexité.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/191088/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alessia Lefébure ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Très engagés, les jeunes attendent des formations du supérieur qu’elles leur transmettent les compétences nécessaires pour affronter les défis écologiques. Comment les établissements y répondent-ils ?Alessia Lefébure, Sociologue, membre de l'UMR Arènes (CNRS, EHESP), École des hautes études en santé publique (EHESP) Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2080672023-06-28T20:05:23Z2023-06-28T20:05:23ZLa discrimination positive à Harvard : la fin d’une conception contestée de la justice ?<p>En 2014, une <a href="https://studentsforfairadmissions.org/">ONG</a> <a href="https://www.supremecourt.gov/docket/docketfiles/html/public/21-707.html">a attaqué les universités de Caroline du Nord et de Harvard</a>, les accusant de discriminer les étudiants asiatiques au profit des étudiants blancs à travers les pratiques d’« affirmative action » censées promouvoir la diversité ethno-raciale. Après plusieurs années de procédure, la Cour suprême des États-Unis doit enfin rendre sa décision en ce mois de juin 2023.</p>
<p>Cette décision s’imposera à toutes les universités qui pratiquent cette discrimination positive mise en place dans les années 60 en réaction à l’exclusion dont les noirs américains avaient souffert. Ce n’est pas la première fois que la Cour suprême est amenée à se prononcer sur sa légalité. Dans de précédentes décisions, elle avait notamment <a href="https://www.law.cornell.edu/wex/regents_of_the_university_of_california_v_bakke_(1978)">interdit les quotas</a> ainsi que les <a href="https://supreme.justia.com/cases/federal/us/539/244/">systèmes de points supplémentaires automatiques selon la race</a>.</p>
<p>La cour avait expliqué, en 2013 puis en 2016, que les universités devaient chercher <a href="https://www.washingtonpost.com/politics/2023/06/27/supreme-court-affirmative-action-admissions-history/">d’autres moyens de diversifier</a> leurs promotions, c’est-à-dire neutres du point de vue racial. Mais pour peu que la race ne soit <a href="https://supreme.justia.com/cases/federal/us/539/306/">pas le seul critère de choix</a>, la Cour suprême acceptait jusqu’à aujourd’hui la discrimination positive. On considère que la nomination de plusieurs juges conservateurs par Donald Trump à la Cour suprême pourrait faire pencher la balance du côté des opposants à l’<a href="https://theconversation.com/harvard-case-could-represent-the-end-of-race-in-college-admissions-105191">« affirmative action »</a>.</p>
<p>Cette décision importante impactera aussi les pratiques en usage dans les entreprises. L’enjeu est de tourner la page de politiques de discrimination positive qui ont un impact négatif sur certaines minorités éthno-raciales. Ce qui n’est envisageable qu’en s’attaquant aux discriminations en raison de l’origine sociale avec des politiques neutres du point de vue racial. L’exemple d’Harvard est à cet égard crucial pour comprendre les <a href="https://www.wider.unu.edu/sites/default/files/Publications/Working-paper/PDF/wp2023-14-does-affirmative-action-address-ethnic-inequality.pdf">limites</a> des politiques mises en œuvre jusqu’alors.</p>
<h2>Les biais des évaluations subjectives de la personnalité</h2>
<p>Pour sa défense, Harvard a été obligée de communiquer des données inédites sur ses recrutements. Jamais autant de détails sur la réalité de la sélection des étudiants n’avaient été disponibles. Ce que montrent les données transmises est que non seulement les étudiants asiatiques seraient victimes de discrimination (Harvard s’en défend) mais surtout que la procédure de recrutement favoriserait les enfants de riches au détriment des autres.</p>
<p>À côté d’une discrimination positive au bénéfice des noirs et des Hispaniques, que Harvard reconnait, perdurerait une discrimination en raison de l’origine sociale, discrète et de grande ampleur. C’est ce que détaille un économiste de Duke University, Peter Arcidiacono qui a exploité la masse d’informations concernant <a href="https://www.brown.edu/Departments/Economics/Faculty/Glenn_Loury/louryhomepage/teaching/Affirmative_Action/Meeting_V/supporting_documents/Doc%20415-8%20--%20(Arcidiacono%20Expert%20Report).%20pdf">tous les recrutements d’Harvard sur plusieurs années</a>.</p>
<p>D’une part, à Harvard comme dans les autres universités, il apparaît que les candidats asiatiques sont défavorisés <a href="https://reports.collegeboard.org/media/pdf/2022-total-group-sat-suite-of-assessments-annual-report.pdf">bien que leurs scores académiques soient nettement meilleurs</a>. Pour expliquer ce phénomène, Harvard note que la sélection des étudiants repose sur d’autres critères, plus <a href="https://projects.iq.harvard.edu/files/diverse-education/files/expert_report_-_2017-12-15_dr._david_card_expert_report_updated_confid_desigs_redacted.pdf">personnels ou extrascolaires</a>. Il y a les lettres de recommandation, l’engagement dans la vie associative et surtout le « personal rating ». La note est attribuée au regard d’un essai rédigé par le candidat, d’un entretien avec un ancien, d’un avis d’un membre du personnel ayant parfois rencontré les candidats lors d’une visite du campus, de rapports de ses enseignants.</p>
<p>Il n’est pas donné par Harvard de définition précise de ce critère. L’évaluation des qualités personnelles donne lieu à des jugements de la personnalité supposée des candidats que l’on retrouve pêle-mêle dans les documents de l’université : « l’intégrité, la bienveillance, le courage, la gentillesse, la serviabilité, la capacité de résilience, l’empathie, la confiance en soi, les capacités de leadership, la maturité, la persévérance ». Ce qui est certain en revanche c’est que ce « personal rating » est déterminant pour être admis (80 % des admis ont 1 ou 2 sur une échelle de 5) et, curieusement, les étudiants asiatiques sont mal jugés sur ce critère.</p>
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<figcaption><span class="caption">Harvard’s Secretive Admissions Process Unveiled in Court Documents (Wall Street Journal, 2019).</span></figcaption>
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<p>On peut émettre trois hypothèses pour expliquer ce constat : la première est que l’université aurait des objectifs quantitatifs à atteindre chaque année par groupe ethno-racial ce dont l’université se défend. La deuxième est que les candidats asiatiques seraient réellement différents (du point de vue de leur personnalité par exemple) et la dernière que les recruteurs aient vis-à-vis des asiatiques un jugement biaisé par des <a href="https://sociology.indiana.edu/documents/Chavez_2020a.pdf">stéréotypes</a>.</p>
<p>Notons que l’évaluation de la personnalité est faite à travers un entretien avec un ancien diplômé qui n’est nullement un psychologue ou un professionnel du recrutement. Comme le souligne le <a href="https://www.justice.gov/opa/press-release/file/1090856/download">département de la justice</a>, Harvard semble pratiquer des quotas de manière officieuse, ceci notamment via ses subjectives évaluations de la personnalité. Le département de la justice en fait la démonstration en posant une question à laquelle Harvard ne peut répondre aisément : pourquoi le Personnal Rating des asiatiques est-il chaque année inférieur à celui des blancs et les pourcentages par groupes ethno-raciaux stable ?</p>
<h2>Des étudiants héritiers</h2>
<p>Ce n’est pas la première fois qu’Harvard est accusé d’utiliser des appréciations relatives à la personnalité supposée pour diminuer drastiquement les admissions d’étudiants de qualité mais jugés trop nombreux. Dans les années 20 et 30, ce sont les candidats juifs qui en furent victimes ; ils n’avaient pas alors le <a href="https://www.supremecourt.gov/DocketPDF/20/20-1199/173420/20210331104529484_Amicus%20%20brief.pdf">« character and fitness »</a> approprié. Il y avait 20 % d’étudiants juifs à Harvard en 1920, 28 % en 1925 et après la mise en place du processus d’admission tenant compte du caractère leur part est tombé à 15 %. Plusieurs grandes universités ont mis en place ces évaluations de la personnalité pour écarter les candidats juifs comme l’a décrit un professeur de sociologie de Berkeley dans son livre <em>The Chosen : The Hidden History of Admission and Exclusion at Harvard, Yale, and Princeton</em>. Dans une <a href="https://scholar.harvard.edu/files/dobbin/files/2007_asq_karabel.pdf">recension du livre</a>, un professeur de sociologie d’Harvard souligne que c’est jusqu’à aujourd’hui ce système d’admission dont l’origine remonte à l’antisémitisme des années 20 qui doit être réformé.</p>
<p>D’autres critères jouent un rôle lors des sélections des étudiants comme le fait d’être enfant de diplômé. Cette discrimination positive au bénéfice des familles d’anciens, <a href="https://raw.githubusercontent.com/tyleransom/SFFAvHarvard-Docs/master/TrialExhibits/P316.pdf">parfaitement assumée et officielle</a>, s’explique par le sens du collectif qu’elle développerait et les soutiens financiers des anciens étudiants – autant d’aspects qui bénéficieraient à tous et donc aussi aux moins favorisés. Ces héritiers représentent 14 % des effectifs d’étudiants et ils ont près de 6 fois plus de chances d’être admis que les autres.</p>
<p>Harvard n’est pas un cas particulier. On estime que, dans les grandes universités, surtout les plus sélectives et celles qui sont privées, le taux d’enfants d’anciens diplômés se situe entre <a href="https://edreformnow.org/wp-content/uploads/2022/10/The-Future-of-Fair-Admissions-Legacy-Preferences.pdf">10 et 25 %</a>. Le problème est assez grave pour que des universités aient déjà renoncé à ces pratiques et que certains États commencent à obliger les établissements à fournir les chiffres de ces admissions (Californie) ou même interdisent les coups de pouce donnés à ces héritiers (Colorado).</p>
<p>Il y a ensuite les étudiants qui ont la chance d’être les enfants des gros</p>
<p>donateurs. Ils sont sur ce que l’on nomme la « Dean’s List » à la discrétion de la direction et comptent pour <a href="https://www.nber.org/system/files/working_papers/w26316/w26316.pdf">9,5 %</a> des admis en 2019. Puis, les enfants du personnel de Harvard (enseignants, administratifs) représentent 1,3 % des étudiants.</p>
<p>Enfin, Harvard pratique aussi une discrimination positive en faveur des athlètes, expliquant qu’ils aideraient à développer le <a href="https://raw.githubusercontent.com/tyleransom/SFFAvHarvard-Docs/master/TrialExhibits/P316.pdf">sens de la communauté sur le campus</a> et sont un élément de diversité profitable aux autres étudiants.</p>
<p>On peut se dire que ces groupes favorisés ne sont pas si nombreux or ils composent 29 % des effectifs. En fait, 43 % des blancs qui sont à Harvard appartiennent à l’un de ces groupes privilégiés (et seulement 16 % des étudiants qui sont noirs, hispaniques ou asiatiques). Pire, <a href="https://www.nber.org/system/files/working_papers/w26316/w26316.pdf">75 %</a> de ces étudiants (enfants de donateurs, enfants du personnel, athlètes et enfants d’anciens d’Harvard) n’auraient jamais intégré l’université d’Harvard sans ces gros coups de pouce au vu de leurs compétences.</p>
<h2>Sport et reproduction sociale</h2>
<p>Des économistes se sont intéressés de près à <a href="https://www.nber.org/system/files/working_papers/w26316/w26316.pdf">ces heureux enfants bien nés ou sportifs émérites</a>. Commençons par les sportifs, qui représentent 10 % des étudiants. Ceux-ci ont des scores aux tests inférieurs aux autres et ne seraient jamais rentrés dans cette prestigieuse université sans être des athlètes. Ils ont 14 fois plus de chances d’être admis (86 % de chances contre 5,5 % pour le candidat de base). On pourrait se dire que cela participe de la diversité ou que le prestige des exploits sportifs est un atout pour Harvard.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-merite-est-il-encore-un-ideal-democratique-159488">Le mérite est-il encore un idéal démocratique ?</a>
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<p>Et puis on imagine intuitivement que ces grands sportifs appartiennent à tous les milieux sociaux (le sport comme ascenseur social) et que, par le sport, des profils plus divers intègreraient Harvard. Il n’en est rien. En réalité, le recrutement des « athlètes » fonctionne comme un discret mécanisme de reproduction sociale. Les athlètes blancs admis sont <a href="https://www.nber.org/system/files/working_papers/w26316/w26316.pdf">3,2 % à être économiquement désavantagés</a> quand les admis ordinaires sont 14,6 %. En 2019, 26 % de ces athlètes blancs avaient des parents gagnants plus de 500000 dollars par an alors que la moyenne est de 15,4 % dans l’université. Harvard est l’université qui propose, curieusement, le plus grand nombre de sports en compétition (42) de sorte que nombre de sports justement pratiqués par les plus riches sont proposés (squash, hockey sur gazon, ski, etc.). Et on découvre que ce ne sont pas seulement des athlètes de haut niveau qui bénéficient d’un coup de pouce (<em>tip</em>) mais également de simples pratiquants.</p>
<p>Depuis 2019 et le <a href="https://www.theguardian.com/us-news/2019/mar/12/college-admissions-fraud-scandal-felicity-huffman-lori-loughlin">scandale des faux sportifs</a> de bonne famille qui étaient intégrés dans les meilleures universités au moyen de faux documents préparés à grands frais par des consultants, la lumière commence à être faite sur le recrutement des fameux « athlètes ». Parmi les athlètes admis à Harvard, on ne trouve que 3 % de jeunes de milieu modeste alors qu’ils sont 14 % parmi les admis ordinaires.</p>
<p>Si Harvard ne tenait plus compte de la race ou de l’ethnie pour ses admissions, il en résulterait un changement important des taux d’admissions <a href="https://www.thecrimson.com/article/2023/6/15/affirmative-action-ruling-explainer/">au détriment des étudiants noirs et hispaniques</a>. Mais ce résultat, observé dans d’autres universités qui ont été amenées à renoncer à l’affirmative action, ne tient pas compte d’autres modifications qui pourraient être réalisées dans le processus de recrutement. D’autres critères de sélection des étudiants pourraient être décidés comme le lieu de résidence, le revenu des parents, leur catégorie sociale ou leur niveau d’instruction.</p>
<p>Par ailleurs, si l’université cessait d’accorder une prime aux enfants d’anciens, de gros donateurs et aux athlètes, la <a href="https://deliverypdf.ssrn.com/delivery.php?ID=448116089123102085102073121121096081024087054032028010066127000036029054022009125007098026010040073024008099027126084097117076097088127087088126102068066070084077064109068103071064&EXT=pdf&INDEX=TRUE">part d’étudiants blancs baisserait et la part d’étudiants dont les parents sont fortunés baisserait nettement</a>. Corriger les effets de l’origine sociale en abandonnant les passe-droits et les effets de réseau est à la fois juste et apporte une contribution à l’égalité d’accès y compris ethno-raciale.</p>
<p>La décision de la Cour suprême va mettre la question de l’origine sociale au cœur des politiques dans le domaine éducatif et du travail alors que le prisme racial était jusqu’alors dominant aux États-Unis. L’autre conséquence est de remettre en cause l’idée que la poursuite de la diversité, faisant parfois des perdants (les Asiatiques), justifierait toutes les pratiques. Enfin, dans les universités comme les entreprises, les privilèges tirés du réseau familial seront de plus en plus scrutés et c’est là que se trouve sans doute l’effet principal du grand déballage sur les procédures d’Harvard auquel on assiste et de cette décision de la Cour suprême.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/208067/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-François Amadieu ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>En cherchant à favoriser la diversité des promotions, la discrimination positive n’a-t-elle pas créé d’autres inégalités ? La Cour suprême des États-Unis doit se prononcer sur la question.Jean-François Amadieu, Professeur d'université, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2071662023-06-19T17:50:05Z2023-06-19T17:50:05ZChatGPT : face aux artifices de l’IA, comment l’éducation aux médias peut aider les élèves<p>Qui n’a jamais entendu parler de <a href="https://theconversation.com/de-cambridge-analytica-a-chatgpt-comprendre-comment-lia-donne-un-sens-aux-mots-205534">ChatGPT</a>, cette intelligence artificielle générative, capable de répondre par des textes complexes aux requêtes lancées par des internautes ? La sortie en décembre 2022 de ce logiciel conçu par la société OpenAI a suscité une multitude d’articles, entre visions de catastrophe et utopie, produisant une panique médiatique, comme l’illustre la <a href="https://futureoflife.org/open-letter/pause-giant-ai-experiments/">lettre ouverte de mars 2023 demandant un moratoire dans le développement de ce type de systèmes</a>, signée par un millier de chercheurs.</p>
<p>Comme le montre une <a href="https://www.cjr.org/tow_center/media-coverage-chatgpt.php">étude de la <em>Columbia Journalism Review</em></a>, la panique n’a pas commencé en décembre 2022 avec l’événement lancé par OpenAI mais en février 2023 avec les annonces de Microsoft et Google, chacun y allant de son chatbot intégré dans leur moteur de recherche (Bing Chat et Bard, respectivement). La couverture médiatique opère un brouillage informationnel, se focalisant davantage sur le potentiel remplacement de l’humain que sur la réelle concentration de la propriété de l’IA dans les mains de quelques entreprises.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-fonctionne-chatgpt-decrypter-son-nom-pour-comprendre-les-modeles-de-langage-206788">Comment fonctionne ChatGPT ? Décrypter son nom pour comprendre les modèles de langage</a>
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<p>Comme toute panique médiatique (les plus récentes étant celles sur la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/realite-virtuelle-26557">réalité virtuelle</a> et le <a href="https://theconversation.com/sur-quelles-technologies-les-metavers-reposent-ils-177934">métavers</a>), elle a pour but et effet de créer un débat public permettant à d’autres acteurs que ceux des médias et du numérique de s’en emparer. Pour l’éducation aux médias et à l’information (EMI), les enjeux sont de taille en matière d’interactions sociales et scolaires, même s’il est encore trop tôt pour mesurer les conséquences sur l’enseignement de ces modèles de langage générant automatiquement des textes et des images et de leur mise à disposition auprès du grand public.</p>
<p>En parallèle des <a href="https://www.francetvinfo.fr/internet/reconnaissance-faciale-deepfakes-chatgpt-comment-l-union-europeenne-veut-reguler-l-intelligence-artificielle_5885762.html">actions politiques de régulation</a>, l’EMI permet aux citoyens de se prémunir des risques liés à l’usage de ces outils, en développant leur esprit critique et en adoptant des stratégies d’usages appropriées et responsables. <a href="https://savoirdevenir.net/2022/05/algo-litteratie-pour-tous-en-10-points-cles/">L’algo-littératie</a>, ce sous-champ de l’EMI qui considère ce que les data font aux médias, permet d’appliquer ces clés de lecture à l’IA. Voici quatre directions dans lesquelles l’EMI peut nous aider à nous retrouver dans ces chaînes d’interactions algorithmiques, de leurs productions à leurs publics.</p>
<h2>Tenir compte de la géopolitique de l’IA</h2>
<p>Ce sont les entreprises contrôlant les moteurs de recherche et donc l’accès à l’information, Google et Microsoft, qui ont le plus à gagner dans le développement des IA génératives. Elles s’organisent, à l’américaine, en duopole, avec un (faux) challenger, <a href="https://openai.com/blog/openai-lp">OpenAI LP</a>. Il s’agit en fait du bras commercial du laboratoire initialement à but non lucratif OpenAI (financé par Microsoft en grande partie).</p>
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<figcaption><span class="caption">UE et IA : la régulation au menu des députés européens (TV5 Monde, juin 2023).</span></figcaption>
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<p>Une autre histoire peut être racontée, surtout par les médias, celle de l’incroyable concentration de pouvoir et d’argent par un très petit nombre d’entreprises de la <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/la-tech-olivier-alexandre/9782021520187">Silicon Valley</a>. Elles se donnent le monopole de l’accès à l’information et de toutes les productions en découlant. Elles alimentent la concurrence frontale entre États-Unis et Chine sur le sujet. La stratégie de Google et Microsoft a en effet pour but de couper l’herbe sous les pieds du gouvernement chinois, qui ne cache pas <a href="https://oecd.ai/en/dashboards/countries/China">ses ambitions en matière de développement de l’IA</a>.</p>
<p>L’option d’une pause ou d’un moratoire relève de la chimère, face à ce qui est l’équivalent d’une course aux armements. Les inventeurs eux-mêmes, en apprentis sorciers repentis, dont Sam Altman le directeur général de OpenAI, ont proposé en mai 2023 <a href="https://openai.com/blog/governance-of-superintelligence">« une gouvernance de l’IA »</a>. Mais ne serait-ce pas dans l’espoir de ne pas subir de plein fouet une réglementation gouvernementale qui leur échapperait et mettrait un frein à leurs intentions commerciales ? L’Union européenne a anticipé en préparant un <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/artificial-intelligence-act-voici-ce-que-prepare-l-union-europeenne-pour-encadrer-l-ia-6603830">règlement IA</a> pour réguler les usages de cette nouvelle évolution du numérique.</p>
<h2>S’interroger sur la qualité des textes et des images fournis</h2>
<p>Tout ce qui est plausible n’est pas nécessairement porteur de sens. L’IA qui pilote le logiciel ChatGPT fait des propositions sur la base de requêtes et elles apparaissent rapidement… dans un langage plutôt stylé et de bonne tenue ! Mais cela peut générer des erreurs, comme l’a compris, à son grand dam, un avocat de New York qui avait monté un <a href="https://www.nytimes.com/2023/06/08/nyregion/lawyer-chatgpt-sanctions.html">dossier truffé de faux avis judiciaires</a> et de fausses citations juridiques.</p>
<p>Il faut donc se méfier de la pseudo-science générée par l’IA. Les contenus proposés peuvent présenter des biais car ils sont issus de l’exploitation d’énormes banques de données. Celles-ci incluent des ensembles de data avec des sources de toutes sortes… dont les médias sociaux ! La dernière version gratuite de ChatGPT s’appuie sur des données qui s’arrêtent à début 2022, donc pas vraiment au point sur l’actualité.</p>
<p>Ces banques de données sont pour beaucoup issues des pays anglophones, avec les biais algorithmiques attenants. De fait ChatGPT risque de créer de la désinformation et de se prêter à des usages malveillants ou d’amplifier les croyances de ceux qui l’utilisent.</p>
<p>Il est donc à utiliser comme tout autre instrument, comme un dictionnaire auprès duquel faire une recherche, élaborer un brouillon… sans lui confier de secrets et de données personnelles. Lui demander de produire ses sources est une bonne consigne, mais même cela ne garantit pas l’absence de filtres, le robot conversationnel ayant tendance à produire une liste de sources qui ressemblent à des citations mais ne sont pas toutes de vraies références.</p>
<p>Par ailleurs, il ne faut pas oublier les <a href="https://www.clubic.com/chatgpt/actualite-458292-oui-chatgpt-est-deja-l-auteur-ou-le-co-auteur-de-nombreux-livres-sur-le-kindle-store.html">problèmes de droits d’auteur</a> qui ne vont pas tarder à rentrer en action.</p>
<h2>Se méfier des imaginaires autour de l’IA</h2>
<p>Le terme d’<em>intelligence artificielle</em> n’est pas approprié pour ce qui relève d’un <a href="https://www.lumni.fr/video/mediatropismes-intelligence-artificielle#containerType=program&containerSlug=mediatropismes">traitement de données préentrainé</a> (le sens de l’acronyme GPT pour <em>generative pre-trained transformer</em>).</p>
<p>Cet anthropomorphisme, qui nous mène à attribuer de la pensée, de la créativité et des sentiments à un agent non humain, est négatif à double titre. Il nous rappelle tous les mythes anxiogènes qui alertent sur la non-viabilité de toute porosité entre le vivant et le non-vivant, du Golem à Frankenstein, avec des peurs d’extinction de la race humaine. Il dessert la compréhension sereine de l’utilité réelle de ces transformateurs à grande échelle. La science-fiction ne permet pas de comprendre la science. Et donc de formuler des repères éthiques, économiques, politiques.</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Ces imaginaires, pour actifs qu’ils soient, doivent être démystifiés. Ladite « boite noire » de l’IA générative est plutôt simple dans son principe. Les modèles de langage à grande échelle sont des algorithmes entraînés à reproduire les codes du langage écrit (ou visuel). Ils parcourent des milliers de textes sur Internet et convertissent une entrée (une séquence de lettres par exemple) en une sortie (sa prédiction pour la lettre suivante).</p>
<p>Ce que l’algorithme génère, à très grande vitesse, c’est une série de probabilités, ce que vous pouvez vérifier en refaisant la même requête et en voyant que vos résultats ne sont pas les mêmes. Aucune magie là-dedans, aucune sensibilité non plus, même si l’usager a le sentiment de tenir une « conversation », encore un mot du vocabulaire de l’humain.</p>
<p>Et cela peut être amusant, comme le montre l’IA BabyGPT créé par le <em>New York Times</em>, travaillant sur de petits corpus fermés, pour montrer comment <a href="https://www.nytimes.com/interactive/2023/04/26/upshot/gpt-from-scratch.html">écrire à la manière de Jane Austen</a>, de William Shakespeare ou de J.K. Rowling. Même ChatGPT ne s’y laisse pas prendre : quand on lui demande ce qu’il ressent, il répond, très cash, qu’il n’est pas programmé pour cela.</p>
<h2>Varier les outils</h2>
<p>Les publics de l’IA, notamment à l’école, se doivent donc de développer des connaissances et compétences autour des risques et opportunités de ce genre de robot dit conversationnel. Outre la compréhension des mécanismes du traitement automatique de l’information et de la désinformation, d’autres précautions prêtent à éducation :</p>
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<li><p>prendre garde au monopole de la requête en ligne, tel que visé par Bing Chat et Google Bard, en jouant de la concurrence entre elles, donc en utilisant régulièrement plusieurs moteurs de recherche ;</p></li>
<li><p>exiger des labels, des codes couleur et autres marqueurs pour indiquer qu’un document a été produit par une IA ou avec son aide est aussi frappé au coin du bon sens et certains médias l’ont déjà anticipé ;</p></li>
<li><p>demander que les producteurs fassent de la rétro-ingénierie pour produire des IA qui surveillent l’IA. Ce qui est déjà le cas avec <a href="https://etedward-gptzero-main-zqgfwb.streamlit.app/">GPTZero</a> ;</p></li>
<li><p>entamer des poursuites judiciaires, en <a href="https://www.zdnet.fr/actualites/une-hallucination-de-chatgpt-vaut-a-openai-des-poursuites-judiciaires-voici-ce-qui-s-est-passe-39959320.htm">cas d’« hallucination » de ChatGPT</a>- - encore un terme anthropomorphisé pour marquer une erreur du système !</p></li>
<li><p>Et se souvenir que, plus on utilise ChatGPT, sous sa version gratuite comme payante, plus on l’aide à s’améliorer.</p></li>
</ul>
<p>Dans le domaine éducatif, les solutions marketing de la EdTech vantent les avantages de l’IA pour personnaliser les apprentissages, faciliter l’analyse de données, augmenter l’efficacité administrative… Mais ces métriques et statistiques ne sauraient en rien se substituer à la validation des compétences acquises et aux productions des jeunes.</p>
<p>Pour tout intelligente qu’elle prétende être, l’IA ne peut remplacer la nécessité pour les élèves de développer leur esprit critique et leur propre créativité, de se former et s’informer en maîtrisant leurs sources et ressources. Alors que la EdTech, notamment aux États-Unis, se précipite pour introduire l’IA dans les classes, d’école primaire au supérieur, la vigilance des enseignants et des décideurs reste primordiale pour préserver les missions centrales de l’école et de l’université. L’intelligence collective peut ainsi s’emparer de l’intelligence artificielle.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/207166/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Divina Frau-Meigs ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les nouveaux outils d’intelligence artificielle bouleversent l’information et multiplient les pièges en ligne. Quel type de boussole l’éducation aux médias fournit-elle aux élèves dans ce contexte ?Divina Frau-Meigs, Professeur des sciences de l'information et de la communication, Auteurs historiques The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2034842023-06-13T18:00:50Z2023-06-13T18:00:50ZLes jeunes se moquent-ils de l’orthographe ?<p>Avec l’avènement d’internet et des smartphones, la communication écrite s’est enrichie de tournures informelles. Écrire à quelqu’un, ce n’est plus nécessairement adopter les codes de la lettre. Ce qu’on appelle souvent le « langage SMS » connait un succès certain, même si son emploi est loin d’être généralisé, même dans les <a href="https://journals.openedition.org/discours/9020">écritures numériques…</a></p>
<p>On associe souvent ces usages alternatifs aux pratiques d’écriture des jeunes, même s’ils ne sont réservés à aucune génération. Parallèlement, le <a href="https://theconversation.com/orthographe-les-eleves-font-deux-fois-plus-de-fautes-que-leurs-parents-196311">recul du niveau en orthographe</a> des élèves scolarisés en France depuis quelques dizaines d’années est bien documenté. Il serait alors tentant de faire un lien entre les deux : les jeunes générations n’auraient-elles pas conscience de l’utilité sociale de l’orthographe ? Des pratiques d’écriture moins normées, liées aux usages numériques, influenceraient-elles leur rapport à l’écrit ?</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/orthographe-pourquoi-le-niveau-baisse-t-il-185516">Orthographe : pourquoi le niveau baisse-t-il ?</a>
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<p>Une enquête menée, dans le cadre d’une thèse, <a href="https://journals.openedition.org/pratiques/9953">auprès de 178 étudiants préparant un BTS (brevet de technicien supérieur) tertiaire en 2017</a> permet d’apporter quelques éléments de réponse à ces questions. Il s’agit d’un échantillon limité mais qui présente l’intérêt d’être varié en termes d’origine scolaire puisqu’il regroupe des bacheliers généraux, technologiques et professionnels.</p>
<p>Par ailleurs, il s’agit d’étudiants s’apprêtant à exercer un métier où l’écrit joue un rôle important puisqu’ils se forment pour devenir assistants de direction, travailler dans le tourisme ou le support informatique aux organisations. Il était donc particulièrement intéressant de recueillir leurs représentations concernant le rôle social de l’orthographe.</p>
<h2>Donner une bonne image de soi</h2>
<p>Les étudiants enquêtés ont été interrogés sur <a href="https://www.theses.fr/2019GREAL008">l’importance accordée à l’orthographe</a> en contextes scolaire, professionnel et privé. L’importance scolaire de l’orthographe est reconnue puisque 46 % d’entre eux la considèrent nécessaire et 47 % importante pour réussir aux examens. Mais l’importance professionnelle d’une bonne maitrise de l’orthographe semble encore plus marquée à leurs yeux, puisque 57 % la déclarent nécessaire et 38 % importante pour réussir dans la vie professionnelle.</p>
<p>Certains enquêtés se trouvaient d’ailleurs exposés dans leur formation à des cours d’orthographe répondant à ce besoin professionnel. Si certains en contestent les modalités, parfois perçues comme infantilisantes, aucun n’en remet en question l’utilité.</p>
<p>Les entretiens montrent que cette importance accordée à l’orthographe en contexte professionnel est liée à l’idée que l’orthographe influe sur l’image que le lecteur se fait de l’auteur du message. Un étudiant utilise une métaphore assez parlante à cet égard : « avoir une bonne orthographe, c’est comme être bien habillé dans la vraie vie ». Il s’agirait donc, dans les situations de communication médiées par l’écrit, de respecter la norme qui permettra d’être perçu comme un professionnel sérieux.</p>
<p>Les types d’écrits évoqués par ces étudiants en voie de professionnalisation sont parfois des écrits professionnels (lettres, rapports, etc.), mais surtout les écrits associés aux processus de recrutement qui les concernent au premier chef : le CV et la lettre de motivation. Leur regard sur l’orthographe au sein de ce processus s’avère d’ailleurs particulièrement pertinent puisqu’il a été montré que les <a href="https://theconversation.com/les-fautes-dorthographe-sur-le-cv-bien-plus-que-des-fautes-87696">erreurs orthographiques influent très négativement</a> sur la façon dont les recruteurs jugent ces documents.</p>
<h2>S’adapter au contexte de communication</h2>
<p>En contextes professionnel et scolaire, les enquêtés ont donc parfaitement conscience du rôle social de l’orthographe et ils sont extrêmement peu nombreux à le remettre en cause. Mais qu’en est-il dans le domaine privé ? Et en particulier dans les pratiques d’écritures numériques, telles que les réseaux sociaux ou les SMS ?</p>
<p>L’attachement à une orthographe normée s’illustre aussi dans cette partie de l’enquête. Ils sont environ 40 % à déclarer faire toujours attention à l’orthographe dans les SMS, quel que soit le contexte. Ils sont moins de 10 % à déclarer n’y faire attention que rarement, ou jamais. Les 50 % restant ont répondu y faire parfois attention.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-fautes-dorthographe-une-barriere-infranchissable-vers-lemploi-171129">Les fautes d’orthographe : une barrière infranchissable vers l’emploi ?</a>
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<p>Les entretiens ont permis de montrer qu’il s’agit majoritairement d’une adaptation au destinataire des modalités de la communication. Les échanges avec des personnes peu familières, des adultes et, a fortiori, des enseignants ou des professionnels se font ainsi le plus souvent dans une orthographe normée. Ces étudiants démontrent ainsi qu’ils sont conscients de la nécessité d’adapter la communication au destinataire.</p>
<p>Il est par ailleurs notable que ceux qui déclarent avoir recours à des procédés alternatifs tels que l’abréviation ne l’assimilent absolument pas à une négligence orthographique. Certains déclarent au contraire rester attentifs aux accords même s’ils s’autorisent des formes abrégées. Il s’agit d’adapter le code utilisé aux contraintes matérielles d’une communication qui se doit d’être rapide.</p>
<p>Plus globalement, les choix orthographiques apparaissent liés au réseau social, au sens large, dans lequel s’inscrit la communication. Comme on pouvait s’y attendre, certains disent être plus détendus avec leurs amis parce qu’ils savent que ceux-ci accordent peu d’importance à l’orthographe. Mais la situation inverse existe aussi et une étudiante dit même avoir progressé en orthographe au collège grâce aux échanges par SMS avec sa meilleure amie qui avait une excellente orthographe et dont l’influence lui a ainsi permis de progresser.</p>
<h2>Les défis d’un système orthographique très complexe</h2>
<p>Il en va de même des échanges en ligne qui peuvent prendre des formes diverses, dont certaines s’avèrent favorables au développement des compétences orthographiques. Dans notre corpus, c’est particulièrement vrai des quelques étudiants qui déclarent participer à des forums Role play game.</p>
<p>Cette pratique du jeu de rôle en ligne implique en effet de faire exister des personnages textuellement. Elle s’appuie donc sur une pratique d’écriture, et de lecture, qui souffre d’une orthographe non normée. Tous les étudiants concernés témoignent ainsi de la pression mise par les coordinateurs de ces forums sur les participants pour qu’ils se conforment à la norme orthographique.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/faut-il-modifier-les-regles-daccord-du-participe-passe-102599">Faut-il modifier les règles d’accord du participe passé ?</a>
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<p>À l’échelle de notre corpus, les pratiques d’écriture numériques n’apparaissent donc pas comme un obstacle au développement des compétences orthographiques. Le respect de la norme ne dépend pas du support mais du contexte social et, conformément à ce qu’on sait du <a href="https://www.persee.fr/doc/airdf_1260-3910_1990_num_6_1_919_t1_0023_0000_4">rapport des francophones à l’orthographe</a>, celui-ci est souvent favorable à une orthographe normée.</p>
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<p>Le paradoxe demeure cependant que notre enquête a aussi confirmé ce par quoi nous ouvrions notre article, c’est-à-dire la difficulté de ces étudiants scolarisés en France à produire des textes dénués d’erreurs orthographiques, notamment en ce qui concerne l’orthographe grammaticale.</p>
<p>Si celle-ci ne procède pas d’un désintérêt pour l’orthographe, s’ils ont une conscience aiguë du rôle que l’orthographe pourrait avoir dans leur vie professionnelle, d’où vient cette difficulté ? Nos résultats incitent à penser qu’il ne s’agit pas de négligence, mais de difficultés à mettre en œuvre le système orthographique du français, <a href="https://www.cafepedagogique.net/2023/05/17/michel-fayol-il-faut-tenir-compte-des-difficultes-specifiques-de-la-langue-francaise/?utm_campaign=Lexpresso_19-05-2023_1&utm_medium=email&utm_source=Expresso">reconnu comme extrêmement complexe</a>. On peut légitimement s’interroger sur les conséquences pratiques de ce décalage entre conscience forte d’une demande sociale et difficulté effective à y répondre.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/203484/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Hélène Le Levier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le niveau des élèves en orthographe baisse. Faut-il y voir pourtant une négligence des jeunes face au respect des codes, à l’ère du « langage SMS » ?Hélène Le Levier, Maitresse de conférences en sciences du langage à l’INSPÉ de Strasbourg, Université de StrasbourgLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2038612023-06-11T16:17:43Z2023-06-11T16:17:43Z« L’envers des mots » : Docimologie<p>Science des examens et des concours, la docimologie, de « dokimè » (épreuve) et « logos » (science) trouve son origine dans les travaux sur la validité des systèmes de notation du psychologue français Henri Piéron. C’est en 1922 qu’il propose le concept et lance des recherches autour des résultats du certificat d’études primaires. Celles-ci seront popularisées par son ouvrage <em>Examens et docimologie</em> <a href="https://www.siv.archives-nationales.culture.gouv.fr/siv/rechercheconsultation/consultation/ir/consultationIR.action?formCaller=&irId=FRAN_IR_004401&gotoArchivesNums=false&defaultResultPerPage=&frontIr=&optionFullText=&fullText=&udId=&consIr=&details=false&page=&auSeinIR=false">publié en 1963</a>, suivi en 1971 par le <em>Précis de docimologie</em> de <a href="https://orbi.uliege.be/handle/2268/86928">Gilbert Landsheere</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-les-notes-ont-elles-pris-tant-dimportance-dans-le-systeme-scolaire-142440">Comment les notes ont-elles pris tant d’importance dans le système scolaire ?</a>
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<p>Ces travaux fondateurs évoquent, de manière originale, le comportement <a href="https://www.cairn.info/l-evaluation-a-la-lumiere-des-contextes-et-des-dis--9782807307155-page-131.htm">« des examinés et des examinateurs »</a> afin de nous faire prendre conscience des <a href="https://journals.scholarsportal.info/browse/00411868/v03i0001">biais et des incertitudes</a> qui pèsent sur les notations et les évaluations. La préoccupation est pourtant loin d’être nouvelle. L’invention même de la note est le fruit d’une <a href="https://journals.openedition.org/rfp/4899">longue histoire</a>. Alors que les États-Unis se dirigent <a href="https://hal.science/hal-00844778/">dès 1910 vers l’évaluation via les QCM</a>, en France on préfère conserver l’évaluation classique des examens avec des réponses rédigées.</p>
<p>Comment fait-on pour juger une copie d’examen ? Qu’en est-il de la pertinence des notes en cas de répétition de l’examen ou de changement d’examinateurs ? Répondre à ces questions renvoie précisément aux <a href="https://data.bnf.fr/fr/temp-work/8bbfb12cecd69090488fd6cff439e1c6/">travaux fondateurs</a> de la docimologie. Ils montrent, à partir d’une analyse de la variance, que la part de l’explication d’une note serait liée, à hauteur de 40 %, aux compétences de l’élève. En corollaire, 60 % résulteraient de l’identité de l’examinateur.</p>
<p>Si la méthode utilisée par ces travaux précurseurs est critiquable, ils soulignent néanmoins toute l’ambiguïté entourant la justification d’une note. <a href="https://www.abebooks.fr/EXAMENS-DOCIMOLOGIE-Psychologue-PIERON-HENRI-PUF/22731058184/bd">Henri Piéron</a> ira même jusqu’à dire que « pour prédire la note d’un candidat, il vaut mieux connaître son examinateur que lui-même ! »</p>
<p>Quant aux psychologues Laugier et Weinberg, ils tenteront de déterminer le nombre de corrections nécessaires pour aboutir à une note qui soit « juste ». Ce faisant, mobilisant la formule de <a href="https://hal.science/hal-00844778/">Spearman-Brown</a>, ils aboutiront au constat, qu’en philosophie par exemple, il faudrait 127 correcteurs pour aboutir à une note équitable.</p>
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<p>Cette polémique sur la difficile notation des copies se retrouve régulièrement en première ligne lors des <a href="https://www.cafepedagogique.net/2023/04/12/bidouillage-des-notes-des-epreuves-de-specialites-selon-lapses/">corrections du baccalauréat</a>. Une recherche de 2008 ira même jusqu’à évoquer une sorte de <a href="https://shs.hal.science/halshs-00260958/">loterie des notes au bac</a>.</p>
<p>En fait, au-delà des polémiques, la docimologie soulève une question majeure. Les notes d’une classe doivent-elles, comme il est très souvent le cas, correspondre à une distribution de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Loi_normale">Gauss</a>, c’est-à-dire avec quelques élèves « faibles », quelques élèves « forts » et la grande majorité des élèves dans la « moyenne », à l’image de la <a href="https://www.editionsbdl.com/produit/polemiques-et-fake-news-scolaires-la-production-de-lignorance/">tyrannie de la Loi Normale</a> qui a régné au Japon entre 1955 et 2000 ?</p>
<p>Un dilemme de taille renvoie en effet, quasi systématiquement, à la moyenne des notes qui induit inévitablement une forme de hasard. Une moyenne trop élevée pourrait signifier une mauvaise appréciation du niveau des élèves, tandis que l’inverse pourrait suggérer des critères de notation trop stricts. Mais, si la majorité des élèves ont une note entre 8 et 12, à quoi bon utiliser une échelle de notation de 0 à 20 ?</p>
<p>Au-delà des moyennes, le bon sens impose de prendre en compte, avec plus d’attention, l’écart-type, c’est-à-dire l’étendue des notes, de la plus basse à la plus haute. Ce faisant, il est aisé d’imaginer qu’une matière d’enseignement pourrait avoir une influence déterminante sur la moyenne générale dès lors que l’écart-type des notes serait plus élevé que celui des autres matières enseignées.</p>
<p>En définitive, quelle est donc la finalité d’une note ? S’agit-il d’apprécier le niveau de compétence et les savoirs des élèves à un instant T, ou d’employer la notation tel un outil afin de classer, si ce n’est de <a href="https://www.cairn.info/sociologie-de-l-ecole--9782200621636.htm">filtrer</a> les élèves, dans l’idée d’aboutir à une allocation optimale des talents dans la société ?</p>
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<p><em>Cet article s’intègre dans la série <strong><a href="https://theconversation.com/fr/topics/lenvers-des-mots-127848">« L’envers des mots »</a></strong>, consacrée à la façon dont notre vocabulaire s’étoffe, s’adapte à mesure que des questions de société émergent et que de nouveaux défis s’imposent aux sciences et technologies. Des termes qu’on croyait déjà bien connaître s’enrichissent de significations inédites, des mots récemment créés entrent dans le dictionnaire. D’où viennent-ils ? En quoi nous permettent-ils de bien saisir les nuances d’un monde qui se transforme ?</em></p>
<p><em>De <a href="https://theconversation.com/lenvers-des-mots-validisme-191134">« validisme »</a> à <a href="https://theconversation.com/lenvers-des-mots-silencier-197959">« silencier »</a>, de <a href="https://theconversation.com/lenvers-des-mots-bifurquer-191438">« bifurquer »</a> à <a href="https://theconversation.com/lenvers-des-mots-degenrer-191115">« dégenrer »</a>, nos chercheurs s’arrêtent sur ces néologismes pour nous aider à mieux les comprendre, et donc mieux participer au débat public.</em></p>
<p><em>À découvrir aussi dans cette série :</em></p>
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<li><p><a href="https://theconversation.com/lenvers-des-mots-technoference-199446"><em>« L’envers des mots » : Technoférence</em></a></p></li>
<li><p><a href="https://theconversation.com/lenvers-des-mots-ecocide-200604"><em>« L’envers des mots » : Écocide</em></a></p></li>
<li><p><a href="https://theconversation.com/lenvers-des-mots-neuromorphique-195152"><em>« L’envers des mots » : Neuromorphique</em></a></p></li>
</ul><img src="https://counter.theconversation.com/content/203861/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Malgré leur apparence objective, les notes sont influencées par des biais et des incertitudes souvent plus grands qu’on ne le pense. Zoom sur la docimologie, la science qui s’empare de cette question.Nadir Altinok, Maître de conférences, IUT de Metz, UMR BETA, Université de LorraineClaude Diebolt, Directeur de Recherche au CNRS, UMR BETA, Université de StrasbourgLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2070432023-06-07T19:48:08Z2023-06-07T19:48:08ZFace à Parcoursup, le bac a-t-il encore une valeur ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/530123/original/file-20230605-21-plyave.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=35%2C2%2C1561%2C795&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Image extraite du film «&nbsp;Chante ton bac d'abord&nbsp;», qui suit une bande d'adolescents arrivés en fin de lycée.</span> <span class="attribution"><span class="source">Copyright Bodega Films (Allociné)</span></span></figcaption></figure><p>Le baccalauréat a-t-il toujours une valeur ? Et sert-il encore à quelque chose ? Nombreuses sont les <a href="https://theconversation.com/bac-2020-a-t-on-fait-le-bon-choix-135606">péripéties</a> ayant marqué la réforme du bac actée en 2019, instaurant <a href="https://eduscol.education.fr/725/presentation-du-baccalaureat-general">40 % de contrôle continu</a> et la fin des séries de bac général S (scientifique), ES (économique et social) et L (littéraire) au profit d’une combinaison de spécialités – maths, histoire-géographie, langues, humanités, etc. – dont les <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/03/21/j-ai-du-mal-a-realiser-que-c-est-vraiment-le-bac-alors-qu-on-est-au-milieu-de-l-annee-la-grande-premiere-des-epreuves-de-specialites_6166320_3224.html">épreuves finales sont organisées dès le mois de mars en terminale</a>.</p>
<p>La mise en place de cette nouvelle formule a été secouée tant par la <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/03/09/le-Covid-met-la-reforme-du-bac-a-l-epreuve_6072418_3224.html">crise du Covid-19</a> que par des résistances d’ordre syndical, ou idéologique, conduisant à interroger le sens de l’examen lui-même. La hauteur des derniers taux de réussite, jugés excessifs par beaucoup, ne conforte-t-elle pas l’idée que cet examen ne vaut plus rien ? Et la place prise par Parcoursup, et son calendrier, à conclure qu’il ne sert plus à rien ?</p>
<p>Pour trancher, il nous faut comprendre ce qui est en jeu, et être attentifs à la confrontation entre plusieurs logiques, de nature conflictuelle. En passant ainsi d’une vision statique à une vision dynamique du problème.</p>
<h2>La montée de la logique du concours</h2>
<p>Le baccalauréat n’est pas un concours. Dans son travail consacré à <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/la-societe-du-concours-annabelle-allouch/9782021350258"><em>La société du concours</em></a>, Annabelle Allouch fait observer que, d’une façon générale, le renforcement du poids des concours s’accompagne d’une « dévalorisation du diplôme ». Le bac est un examen, qui atteste, en tant que diplôme, que l’on a suivi avec succès des études secondaires. Il témoigne de la réussite à une série d’épreuves de contrôle. Un concours est une modalité de sélection, qui permet de classer les candidats à un poste, ou une fonction, dans le cadre d’une politique de numerus clausus.</p>
<p>Le concours et l’examen diplômant imposent donc tous les deux le recours à des épreuves, mais avec des finalités différentes. Le diplôme <a href="https://www.esf-scienceshumaines.fr/accueil/380-le-defi-d-une-evaluation-a-visage-humain.html">certifie un niveau d’études</a>. D’une certaine façon, il départage les reçus et les recalés, ceux qui atteignent le niveau requis et ceux qui ne l’atteignent pas. Mais il n’a pas pour fin de sélectionner. Le tri opéré par le concours est beaucoup plus sévère, car sa fin propre est de sélectionner, pour un nombre de places limité dès le départ. À l’examen, il faut réussir. Au concours, <a href="https://www.puf.com/content/L%C3%A9valuation_une_menace">« réussir mieux que les autres »</a>. Ce n’est pas du tout la même chose…</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/loCIlDLQ97I?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Bac 2022 : les épreuves écrites des spécialités, une première (France 3 Grand Est).</span></figcaption>
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<p>Dans ces conditions, on peut se demander si <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/07/04/parcoursup-risque-de-tuer-le-bac_6133266_3232.html">l’entrée en jeu de Parcoursup ne chamboule pas les règles du jeu</a>, au point de « tuer » le baccalauréat, selon un titre du <em>Monde</em> en juillet 2022. Ce qui marquerait le triomphe du concours sur le diplôme. Car Parcoursup a été créé pour ajuster des souhaits individuels avec des offres institutionnelles de formation, ce qui impose une analyse en termes de rencontre. Or, en fin du secondaire, la correspondance entre les demandes des élèves et l’offre de places disponibles est loin d’être harmonieuse.</p>
<p>De facto, la sélection se trouve placée au cœur du système, en tout cas pour les « filières de prestige, ou bien « en tension ». Dans un contexte, qui plus est, d’inflation des taux de réussite au bac, l’essentiel, pour les lycéens, n’est pas d’obtenir son bac, mais de voir ses vœux satisfaits sur Parcoursup. C’est la logique de concours qui finit par l’emporter, au détriment de la logique du diplôme dans laquelle s’inscrit le bac.</p>
<h2>Un visa pour l’enseignement supérieur ?</h2>
<p>Le risque de voir <a href="https://theconversation.com/sur-parcoursup-les-emotions-des-lyceens-influencent-leurs-choix-179432">Parcoursup</a> venir « tuer » le bac est d’autant plus fort que, précisément, la logique des concours vient rencontrer et renforcer (conforter) la logique de construction de parcours qui est à l’œuvre dans toute histoire scolaire.</p>
<p>La société s’efforce de réguler les flux d’élèves en structurant le système scolaire de façon à offrir différentes possibilités de parcours, débouchant sur des diplômes qui sont, pour différentes raisons, de valeur inégale. Le jeu de la reconnaissance sociale se traduit ainsi par la mise sur le « marché » d’un ensemble de diplômes hiérarchisé, parmi lesquels le bac. Dans ce système, chacun s’efforce, en fonction de ses conditions matérielles d’existence, et de certaines dispositions d’origine individuelle, ou sociale, de s’inscrire dans un parcours de réussite conforme à ses aspirations.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/parcoursup-les-adolescents-face-au-stress-des-choix-dorientation-203018">Parcoursup : les adolescents face au stress des choix d’orientation</a>
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<p>Dans l’idéal, les logiques de développement individuel se déploient harmonieusement au sein d’un système scolaire rationnellement structuré. Dans la réalité, certaines ambitions entrent en collision. Il y a des points de passage où l’on se bouscule. Et c’est là qu’il s’avère particulièrement nécessaire de réussir mieux que les autres.</p>
<p>Apparaissent ainsi des moments cruciaux où le flux des élèves tentant de s’orienter au mieux de leurs intérêts vient buter contre les écluses et les digues mises en place par la société pour canaliser les parcours de formation. L’entrée dans l’enseignement supérieur, après le bac (et grâce à lui), est l’un de ces principaux moments. Car le bac est à la fois un diplôme, valant reconnaissance sociale de son niveau, et un passeport, permettant d’accéder au territoire des formations supérieures.</p>
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<p>Dans une logique de distribution de diplômes, la reconnaissance sociale dont leur possession témoigne ne manque pas d’importance. De nombreuses études ont souligné <a href="https://theconversation.com/une-jeunesse-des-jeunesses-des-diplomes-pour-imaginer-lavenir-171223">leur rôle protecteur en matière de chômage</a> et d’insertion sociale. Mais, en tant que passeport, le bac s’est démonétisé, car il ne comporte pas les « visas » qui permettraient de s’orienter vers l’espace d’études de son choix. Visas que, désormais, Parcoursup est seule à délivrer…</p>
<p>C’est pourquoi la logique individuelle de construction d’un parcours de réussite passe aujourd’hui beaucoup moins par l’obtention du bac, d’ailleurs pratiquement à la portée de tous (<a href="https://www.education.gouv.fr/resultats-definitifs-de-la-session-2022-du-baccalaureat-des-resultats-en-baisse-apres-deux.tricesions-357740">91 % de réussite en 2022</a>) que par des stratégies de positionnement sur Parcoursup, et la recherche des offres de formation jugées les plus « payantes » en matière de construction d’un capital culturel, et de future insertion socioéconomique.</p>
<h2>Les défis de l’orientation scolaire</h2>
<p>Finalement, pour celui qui s’inscrit dans un parcours scolaire, le problème principal, et récurrent, est de savoir bien s’orienter. En ce sens, le Chef de l’État a sans doute eu raison d’affirmer qu’il nous faut <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/01/14/au-congres-de-france-universites-emmanuel-macron-presente-sa-version-de-l-universite-de-demain_6109546_3224.html">« repenser profondément l’orientation de nos adolescents et de nos jeunes »</a>. Mais une chose est d’éclairer les choix. Autre chose de mettre concrètement tous les choix à la portée de tous.</p>
<p>Tant qu’il y aura une hiérarchisation sociale des formations et des filières, et tant que tous n’auront pas accès à tous les choix (société idéale que postulent ceux qui réclament la suppression sans remplacement de Parcoursup), les ambitions viendront buter sur des points de passage où, de fait, une sélection s’impose. Ces points de passage sont ainsi des lieux où une dynamique de formation se heurte à une exigence de sélection. En tout cas, tant que le nombre de places disponibles dans les unités de formation ne sera pas significativement supérieur au nombre de candidats…</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/debat-le-bac-a-t-il-encore-un-avenir-163323">Débat : Le bac a-t-il encore un avenir ?</a>
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<p>Le problème est donc, pour les individus, comme pour la société, d’optimiser la rencontre entre des dynamiques d’orientation pilotées individuellement, et des mécanismes de tri dont la présence et le jeu sont imposés par l’organisation, et par l’état, du système social de formation.</p>
<p>Dans ces conditions, on comprend que l’on puisse raisonner en termes de bonne ou de fausse monnaie. Du point de vue de l’accès aux filières « lucratives » du supérieur, le bac est devenu de la fausse monnaie. Il est un diplôme dont la valeur utilitaire est désormais minime. C’est Parcoursup, où se joue l’accès aux formations à plus forte plus-value (classes préparatoires, Sciences Po), qui impose son agenda.</p>
<p>Faut-il alors conserver le bac ? Oui, sans doute, comme rituel symbolique d’accession à la « maturité » (son nom dans la plupart des autres pays). Mais en prenant acte du fait, aujourd’hui fondamental, que <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/la-societe-du-concours-annabelle-allouch/9782021350258">« la sélection compte comme une certification symboliquement et monétairement plus forte que le diplôme »</a>.</p>
<p>Le bac remplit toujours, très formellement, la fonction d’écluse qu’il faut passer pour accéder à la haute mer des formations du supérieur. Dans la réalité, cette fonction d’écluse, à double valeur de sélection et d’orientation, est désormais dévolue à un mécanisme de type Parcoursup qui, dans l’état actuel des choses, signifie bien le crépuscule du baccalauréat…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/207043/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Charles Hadji ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Dans un système où une grande part du bac se joue en contrôle continu et où Parcoursup régule l’accès à l’enseignement supérieur, le bac a-t-il encore un sens ?Charles Hadji, Professeur honoraire (Sciences de l’éducation), Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2030182023-06-02T09:49:39Z2023-06-02T09:49:39ZParcoursup : les adolescents face au stress des choix d’orientation<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/529350/original/file-20230531-27-3hlj3x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C17%2C1917%2C1325&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les rêves offrent un espace pour se construire et se préparer à la rencontre avec la réalité.
</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>L’orientation est une source de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/stress-20136">stress</a> considérable pour les jeunes. Si c’est souvent en fin d’année scolaire, lors de la diffusion des résultats d’admission post-bac, que l’opinion publique en prend conscience, ce phénomène va bien au-delà des échéances de fin d’année scolaire. Il toucherait deux tiers des jeunes de 18 à 25 ans, selon une <a href="https://www.cnesco.fr/wp-content/uploads/2018/12/181211_Cnesco_orientation_enquete_jeunes_credoc.docx.pdf">enquête menée par le CREDOC</a> (Centre de Recherche pour l’Étude et l’Observation des Conditions de Vie) pour le CNSECO (Conseil National d’Évaluation du Système Scolaire).</p>
<p>Bien que le stress paraisse augmenter à l’approche de la classe de terminale, les <a href="https://journals.openedition.org/osp/617">collégiens expriment déjà eux aussi massivement leurs difficultés face à ces choix d’avenir</a>.</p>
<p>Alors que les lycéens reçoivent à compter du 1<sup>er</sup> juin 2023 sur <a href="https://www.parcoursup.fr/">Parcoursup</a> les premières réponses à leurs demandes d’inscription dans l’enseignement supérieur, interrogeons-nous sur ce que représente l’orientation pour les nouvelles générations.</p>
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<a href="https://theconversation.com/orientation-post-bac-linevitable-stress-de-parcoursup-161036">Orientation post-bac : l’inévitable stress de Parcoursup ?</a>
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<p>Si de nombreux dispositifs sont mis en place pour aider les élèves à construire leurs parcours, on continue généralement de se focaliser sur des enjeux d’insertion scolaire, universitaire, ou socio-professionnelle. On oublie souvent la spécificité du temps dans laquelle s’inscrivent ces échéances, l’adolescence, qui agit sur la manière d’envisager des projets d’avenir.</p>
<h2>L’orientation, cap important vers l’âge adulte</h2>
<p><a href="https://www.revuecliopsy.fr/wp-content/uploads/2019/10/RevueCliopsy22-Meloni-015.pdf">Le choix d’orientation</a> marque souvent une des premières prises de responsabilité des adolescents. Associé au développement de leur autonomie, il implique une distanciation avec les parents, et donc la perte de leur protection. Les appréhensions face à l’avenir sont encore plus fortes quand les élèves ont l’impression d’être démunis face à la <a href="https://theconversation.com/orientation-post-bac-linevitable-stress-de-parcoursup-161036">complexité des filières et des procédures</a> ou d’avoir un niveau trop faible.</p>
<p>Les jeunes <a href="https://www.education.gouv.fr/rapport-thematique-igesr-2020-l-orientation-de-la-quatrieme-au-master-325088">se plaignent fréquemment de l’injustice des dispositifs d’orientation</a>, et leur détresse peut dès lors se mêler à un sentiment de colère. Sans préjuger de son bien-fondé, cette plainte interpelle l’institution et, à travers elle, les adultes, à la fois critiqués et recherchés pendant ce processus d’autonomisation.</p>
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<a href="https://theconversation.com/choix-scolaires-une-orientation-heureuse-est-elle-possible-103295">Choix scolaires : une « orientation heureuse » est-elle possible ?</a>
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<p>Bien que les choix d’orientation soient moins tributaires qu’auparavant des traditions sociales et familiales, à travers eux, les adolescents se situent néanmoins <a href="https://www.cairn.info/revue-cliopsy-2009-2-page-105.htm">dans une filiation</a> en affirmant leur proximité avec un membre de leur entourage exerçant dans la voie envisagée ou manifestant son intérêt à son égard. C’est pourquoi la valorisation procurée par l’admission dans un cursus est aussi une façon d’espérer satisfaire les personnes importantes à leurs yeux.</p>
<p>« Être pris », « être refusé », « savoir s’ils veulent de moi » sont autant d’expressions que les jeunes utilisent pour signifier leurs préoccupations. Dès lors, les choix d’orientation engage la construction de l’image de soi à plusieurs niveaux. Tout d’abord, leur émission reflète l’idée que les adolescents se font d’eux-mêmes selon, notamment, leur assurance, leurs caractéristiques sociales, <a href="https://www.cairn.info/revue-travail-genre-et-societes-2007-2-page-87.htm">leur féminité/masculinité</a>, comme le développe notamment Françoise Vouillot.</p>
<p>Les réponses qu’ils reçoivent façonnent à leur tour leur représentation d’eux-mêmes. Non seulement elles renforcent ou affaiblissent leur confiance en eux mais elles consolident, ou au contraire, remettent en question leur identité, puisqu’à travers elles, l’espace social émet un jugement sur l’adéquation de leur personnalité avec la place envisagée.</p>
<h2>Choisir et affirmer son identité</h2>
<p>L’élaboration d’un projet d’orientation s’apparente effectivement à celle d’un « projet identitaire » selon la formule de <a href="https://cerisy-colloques.fr/pieraaulagnier2021/">Piera Aulagnier</a>. Avec lui, l’adolescent cherche à <a href="https://www.cairn.info/revue-travailler-2014-2-page-131.htm">repérer ses désirs</a>, à les affirmer, à les faire reconnaitre. Le projet lui permet ainsi de s’authentifier en évoquant ses rêves, ses idéaux, ses désirs, mais aussi leurs limitations. Toutefois, il reste soumis à la reconnaissance sociale, par la sélection et la remise de diplôme.</p>
<p>En d’autres termes, alors que le projet représente pour l’adolescent une occasion de prendre la parole en son nom en énonçant comment il souhaite se situer dans la vie collective, l’admission ou le refus dans la filière demandée soutient ou, au contraire, destitue cette tentative de s’affirmer en tant que personne.</p>
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<figcaption><span class="caption">#DitesNousTOUT : votre orientation, un choix de cœur ou stratégique ? (Région Occitanie, 2017).</span></figcaption>
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<p>Toutes les formes de stress ne sont néanmoins pas équivalentes. Certaines concernent davantage la crainte de manquer d’informations sur les voies existantes, sur les débouchés ou sur le quotidien d’une activité professionnelle. D’après nos observations de terrain, issues de nos recherches sur le vécu de l’orientation menées en établissements scolaires de différentes académies, ces préoccupations sont plus prégnantes chez des élèves ou chez des étudiants de milieux sociaux défavorisés. Centrées sur le fonctionnement et sur les attentes sociales, elles renvoient à un manque de repères externes.</p>
<p>À ces préoccupations se mêle une quête de repères internes mis à mal à l’adolescence avec les transformations physiques et psychiques. Sous cet angle, le stress de l’orientation pourrait être requalifié en angoisse. Avec lui, il s’agit finalement de l’angoisse liée au risque de perdre l’amour et l’estime de sa famille en n’étant pas à la hauteur des attentes, de l’angoisse face à la responsabilité d’affirmer ses désirs face aux demandes sociales, de l’angoisse du « qui suis-je ? »</p>
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<a href="https://theconversation.com/une-jeunesse-des-jeunesses-des-diplomes-pour-imaginer-lavenir-171223">« Une jeunesse, des jeunesses » : des diplômes pour imaginer l’avenir ?</a>
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<p>Quelques situations amplifient cette angoisse identitaire, comme le cas où les adolescents sont plus fragiles psychiquement. De même, les élèves « orientés par défaut » ou soumis à « une orientation subie », déjà en difficultés scolaires, ne parviennent pas à se sentir reconnus quand ils énoncent leurs projets au point pour certains d’affirmer « ne pas avoir d’avenir » ou « d’être bon à rien ».</p>
<p>Cette angoisse peut encore être oppressante pour les élèves issus de milieux sociaux défavorisés qui se sentent engagés dans un avenir sans issue, mais aussi éprouvante pour les élèves de milieux sociaux favorisés soumis à des pressions exigeantes. Enfin, elle peut être alimentée par <a href="https://doi.org/10.1051/psyc/202050060">l’assignation à un stigmate social, culturel ou médical</a>, qui assujettit les adolescents aux projets des autres à leur égard, les dépossédant de leur avenir. Ainsi, comme nous avons pu le montrer dans un précédent article, bien que les <a href="https://www.cairn.info/revue-psychologie-clinique-2020-2.htm">élèves atteints d’un handicap</a> soient régulièrement amenés à énoncer leurs projets d’avenir, leurs paroles sont finalement peu prises en compte.</p>
<h2>Des rêves à concilier avec les enjeux du monde contemporain</h2>
<p>Inhérente au processus de l’adolescence, l’angoisse du choix d’avenir est particulièrement forte alors que montent les <a href="https://theconversation.com/en-2020-les-generations-climat-haussent-le-ton-128959">inquiétudes environnementales</a>, sociales ou géopolitiques, rendant difficile la projection dans l’avenir, et par conséquent, les rêves de jeunesse. Or les <a href="https://doi.org/10.3917/ep.089.0162">rêves sont fondamentaux à l’adolescence</a>. En fournissant un espace protégé, ils accordent du temps pour grandir et imaginer une façon de se présenter aux autres avant de pouvoir affronter la rencontre de la réalité.</p>
<p>Pour autant, le contexte ne nous dédouane pas d’interroger la responsabilité des adultes. Il pourrait paraître paradoxal que le stress ou l’angoisse s’accroisse au moment même où l’institution aspire à développer des pratiques éducatives bienveillantes. Dans ce sens, Pierre Boutinet remarque la <a href="https://www.puf.com/content/Anthropologie_du_projet">contradiction d’une position institutionnelle qui encourage les élèves et les étudiants à exprimer des choix pour finalement ne pas en tenir véritablement en compte</a>. Les projets envisagés sont aussitôt confrontés à la réalité menaçante du poids des notes, du nombre de places en établissement et du manque de débouchés.</p>
<p>En somme, l’exigence de performance pousse à développer des compétences scolaires, professionnelles et sociales afin de maîtriser l’orientation. Mais le discours porteur de promesses d’émancipation au travail ne permet pas de prendre en compte les inquiétudes des adolescents en restant focalisé sur l’idée qu’une « bonne orientation » assurerait l’avenir.</p>
<p>Ce discours pourrait pourtant s’essouffler avec les successions de crises sociales et de crises d’emploi, ou encore, avec le développement de la <a href="https://theconversation.com/mesurer-la-souffrance-au-travail-des-sirenes-hurlantes-au-mur-du-silence-83751">souffrance au travail</a>. Pour l’heure, en évitant le questionnement intime des adolescents, le risque est de ne pas les considérer à travers leur histoire personnelle, mais comme des élèves ou des étudiants permutables et malléables à souhait.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/203018/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Dominique Méloni ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le choix d’orientation post-bac touche à des enjeux d’identité et il importe de ne pas éviter ce questionnement intime pour aider les adolescents à affronter l’inquiétude de l’avenir.Dominique Méloni, Maîtresse de conférences en sciences de l’éducation, spécialité psychologie de l’éducation. Psychologue clinicienne, Université de Picardie Jules Verne (UPJV)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.