tag:theconversation.com,2011:/ca-fr/topics/extreme-droite-20397/articlesextrême droite – La Conversation2024-03-24T17:52:48Ztag:theconversation.com,2011:article/2255032024-03-24T17:52:48Z2024-03-24T17:52:48ZComment Éric Zemmour a-t-il droitisé la France ?<p>Comment expliquer la popularité grandissante du Rassemblement national (RN) aujourd’hui ? <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/03/11/elections-europeennes-2024-le-rn-dans-une-dynamique-favorable_6221331_823448.html">Les sondages récents</a> sur les intentions de vote aux élections européennes mettent en avant un nouvel indicateur central du vote RN : les électeurs <a href="https://theconversation.com/comment-le-ressentiment-nourrit-le-vote-rn-dans-les-zones-rurales-213110">insatisfaits</a> de la vie qu’ils mènent seraient plus susceptibles de voter pour lui.</p>
<p>Des <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/09/03/marine-le-pen-nantie-du-vote-populaire-vise-les-classes-moyennes_6187612_823448.html">études</a> sur la sociologie électorale du RN mettent en effet l’accent sur sa capacité à capter les classes moyennes en jouant sur la « peur du déclassement » à laquelle il apporterait une réponse en termes de maintien des acquis sociaux. Ce parti deviendrait ainsi le</p>
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<p>« porte-parole d’une demande de souverainisme et de justice sociale, défendant une redistribution qui ne serait pas disponible aux étrangers ».</p>
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<p>Cependant, ces analyses invitent à un raccourci entre demande de justice sociale et adhésion aux idées de « préférences nationales » du RN. Or cela repose sur une idée trompeuse : que le vote RN est un vote d’adhésion totale – théorie qui a été remise en cause par les <a href="https://www.septentrion.com/FR/livre/?GCOI=27574100118550">analyses sociologiques</a>. On peut notamment trouver un exemple de cette adhésion partielle et contextuelle aux idées du RN dans le militantisme de groupes sociaux qui seraient à priori plus rétives à l’engagement au RN que d’autres, notamment les activistes homosexuels ou les militantes féministes. Il convient dès lors de parler de synchronicité plutôt que de lien causal entre le vote RN des classes moyennes et leur perception d’un malaise social.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/france-peripherique-abstention-et-vote-rn-une-analyse-geographique-pour-depasser-les-idees-recues-175768">« France périphérique », abstention et vote RN : une analyse géographique pour dépasser les idées reçues</a>
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<h2>Vers la fin de la stigmatisation du vote RN ?</h2>
<p>La vraie question qui est posée par l’élargissement du socle électoral du RN aux classes moyennes et à une partie des classes supérieures est celle de la marginalité du RN. Il y a 30 ans, le vote FN était honteux, vu comme un geste lourd de sens qui catégorisait automatiquement ses acteurs comme racistes. Aujourd’hui le programme du RN n’a pas changé, mais on peut désormais voter RN et l’assumer publiquement. Cela peut nous porter à croire que le stigmate négatif qui était associé au vote pour l’extrême droite est en voie de disparition.</p>
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<p>Il importe dès lors aux études actuelles de poser la question du moteur de la disparition de ce stigmate, c’est-à-dire des ressorts de l’interaction entre les électeurs RN et le débat public. Au niveau microsociologique, celui des électeurs, des <a href="https://www.septentrion.com/FR/livre/?GCOI=27574100118550">études récentes</a> montrent que la dimension toujours stigmatisante du RN peut être « dépassée, contournée par l’inclusion dans des entre-soi particuliers ».</p>
<p>Au niveau macrosociologique, celui du débat public, <a href="https://www.theses.fr/s300079">mes recherches</a> tendent à montrer le décloisonnement des idées portées par l’extrême droite, auparavant confinées au domaine directement politique, pour se diffuser aujourd’hui dans les domaines journalistiques, littéraires et philosophiques. Mon hypothèse est la suivante : la popularité grandissante du RN serait en partie liée à une « droitisation » du débat public français.</p>
<h2>Le rôle des producteurs idéologiques illibéraux dans la « droitisation » du débat public</h2>
<p>En effet, l’un des atouts dont l’extrême droite française dispose aujourd’hui est la multiplication d’intellectuels et d’écrivains qui défendent et font circuler ses idées dans le débat public sous couvert d’un nouveau <a href="https://www.illiberalism.org/illiberalism-conceptual-introduction/">positionnement illibéral</a>, c’est-à-dire opposé au progressisme, aux droits des femmes, des individus racisés, des immigrés et de la communauté LGBTQ+.</p>
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<p>Les producteurs idéologiques illibéraux que j’identifie – notamment <a href="https://theconversation.com/eric-zemmour-une-histoire-francaise-169213">Éric Zemmour</a>, <a href="https://theconversation.com/alain-finkielkraut-nouvel-academicien-le-fragile-bonheur-de-limmortalite-53241">Alain Finkielkraut</a>, <a href="https://theconversation.com/apres-houellebecq-economiste-houellebecq-sociologue-du-travail-171992">Michel Houellebecq</a> et <a href="https://michelonfray.com">Michel Onfray</a> – participent, en irriguant le débat public de leurs idées <a href="https://www.sciencespo.fr/cevipof/sites/sciencespo.fr.cevipof/files/NoteBaroV13_GI_CulturalBacklash_fevrier2022_VF.pdf">nativistes</a>, <a href="https://www.huffingtonpost.fr/politique/article/zemmour-candidat-on-a-relu-son-premier-sexe-et-on-a-des-questions-a-lui-poser_189446.html">patriarcales</a> et <a href="https://tetu.com/2021/12/01/tribune-election-presidentielle-2022-eric-zemmour-candidat-homophobie/">hétéronormées</a>, à la normalisation des présupposés racistes, misogynes et LGBT-phobes sur lesquels reposent ces idées.</p>
<p>L’objectif de mes recherches est d’étudier le rôle de ces producteurs idéologiques illibéraux dans la « droitisation » du débat public en France. L’angle d’approche n’est pas celui de la demande, mais de l’offre : autrement dit, je ne cherche pas à montrer que les Français deviennent plus racistes, sexistes ou homophobes dans leurs valeurs politiques – thèse qui est contestée par la <a href="https://esprit.presse.fr/article/vincent-tiberj/a-force-d-y-croire-la-france-s-est-elle-droitisee-43763">sociologie électorale</a>. Mon hypothèse suppose au contraire un décalage entre une demande publique de tolérance et de respect de la diversité, d’une part, et une offre idéologique obsédée par l’immigration et les valeurs dites « traditionnelles », d’autre part.</p>
<p><a href="https://academic.oup.com/edited-volume/55211/chapter-abstract/441369796">Je me suis tout particulièrement intéressée</a> aux idées qu’ Éric Zemmour véhicule dans ses écrits afin d’expliquer son rôle dans la droitisation du débat public français.</p>
<h2>Le cas Éric Zemmour</h2>
<p>Dans sa trilogie d’essais politiques à succès, Zemmour retrace l’histoire de ce qu’il considère comme la destruction de l’identité et de la souveraineté de la France dans tous les domaines. Ces livres reprennent toutes les thématiques classiques de l’illibéralisme : la disparition des hiérarchies traditionnelles, de l’homogénéité culturelle et le besoin de défendre la nation comprise d’une manière très ethnicisée. L’essai le plus populaire de cette trilogie, <a href="https://www.albin-michel.fr/le-suicide-francais-9782226254757"><em>Le Suicide français</em></a>, publié en 2014 avec un tirage initial de 85 000 exemplaires, s’est finalement vendu à plus de 450 000 exemplaires. Les maigres résultats électoraux de Zemmour à l’élection présidentielle de 2022 sont donc à mettre en contraste avec le rayonnement médiatique massif de ses écrits et son <a href="https://www.illiberalism.org/wp-content/uploads/2022/09/Perine-Schir-and-Marlene-Laruelle-Eric-Zemmour-The-New-Face-of-the-French-Far-Right-Media-Sponsored-Neoliberal-and-Reactionary-1.pdf">omniprésence dans le débat public</a>.</p>
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<h2>Détourner les propos des forces progressistes</h2>
<p>L’idéologie progressiste condamnée par Zemmour serait responsable non seulement de la marginalisation de l’ancienne majorité culturelle mais aussi de son « remplacement » par des immigrés, musulmans notamment. Zemmour défend ici ouvertement les fondements de la théorie du <a href="https://www.francetvinfo.fr/elections/presidentielle/l-article-a-lire-pour-comprendre-pourquoi-le-grand-remplacement-est-une-idee-raciste-et-complotiste_4965228.html">« grand remplacement »</a> formulée par Renaud Camus, assurant qu’elle est <a href="https://www.fnac.com/a16213716/Eric-Zemmour-La-France-n-a-pas-dit-son-dernier-mot">« ni un mythe ni un complot »</a> en la prolongeant d’une intentionnalité cachée de sa propre création.</p>
<p>En invitant « naïvement » cette population musulmane à s’installer en France, cette dernière aurait eu l’opportunité de <a href="https://www.albin-michel.fr/le-suicide-francais-9782226254757">mettre en œuvre sa stratégie</a> de « revanche » à travers la « contre-colonisation ». En effet, selon Zemmour, les anciennes colonies de la France en Afrique du Nord, d’où proviennent la majorité des immigrés musulmans français, nourrissent un rêve secret de revanche contre leurs anciens maîtres.</p>
<p>Zemmour <a href="https://www.albin-michel.fr/le-suicide-francais-9782226254757">tire cet argument</a> de la célèbre citation de l’auteur décolonial <a href="https://theconversation.com/quotes-from-frantz-fanons-wretched-of-the-earth-that-resonate-60-years-later-173108">Frantz Fanon</a> : « Le colonisé est un persécuté qui rêve en permanence de devenir persécuteur. » Si Fanon fait ici référence à la violence nécessaire pour parvenir à la décolonisation, il n’évoque en aucun cas une ambition cachée de « revanche ». On peut voir ici un exemple d’une des techniques rhétoriques de persuasion favorites de Zemmour : pour délégitimer en amont toute critique de ses arguments, il se réapproprie la terminologie de ses adversaires progressistes en en retournant le sens, afin d’atteindre des positions opposées.</p>
<p>Zemmour voit une preuve de cette « contre-colonisation » dans la surreprésentation des familles immigrées musulmanes dans les banlieues. Bien que les sources de ce phénomène aient été <a href="https://www.quesaisje.com/la-crise-des-banlieues?v=1820">clairement identifiées</a> comme économiques et sociales, il existe <a href="https://www.albin-michel.fr/le-suicide-francais-9782226254757">pour Zemmour</a> une raison plus profonde : les musulmans, où qu’ils vivent, formeraient « un peuple dans le peuple », car l’islam serait « à la fois une identité, une religion et un système juridico-politique ». Selon Zemmour, l’islam présupposerait intrinsèquement une volonté de domination, et le rôle de la communauté des fidèles serait de la mettre en œuvre dans le monde.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/vivons-nous-dans-une-ere-de-migration-de-masse-196916">Vivons-nous dans une ère de migration de masse ?</a>
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<h2>Manipuler par transfert d’autorité</h2>
<p>Ce réquisitoire contre les musulmans permet ensuite à Zemmour d’introduire le présupposé selon lequel il existe un type d’immigrés potentiellement assimilables – les immigrés chrétiens européens blancs – et un autre qui ne le sera jamais. Les immigrés musulmans ne pourraient être mélangés avec les « bons » immigrés, tout comme <a href="https://www.fnac.com/a16213716/Eric-Zemmour-La-France-n-a-pas-dit-son-dernier-mot">« l’huile et le vinaigre »</a> ne peuvent pas être mélangés.</p>
<p>Cette dernière référence, régulièrement convoquée par Zemmour, serait d’après lui empruntée au général de Gaulle, bien que ce dernier ne l’a jamais prononcée publiquement (elle aurait été formulée en 1959 lors d’une entrevue privée avec Alain Peyrefitte. Peyrefitte l’a <a href="https://www.fayard.fr/livre/cetait-de-gaulle-tome-i-9782213028323/">rapportée</a> près de 25 ans après la mort de de Gaulle, qui n’a jamais pu en confirmer la véracité.)</p>
<p>L’authenticité de la citation n’est pas essentielle dans la stratégie de Zemmour. Le véritable objectif de ce passage – et de l’intense activité de <a href="https://ici.radio-canada.ca/ohdio/premiere/emissions/on-dira-ce-qu-on-voudra/segments/chronique/119094/maude-landry-en-francais-svp-name-dropping">« name dropping »</a> qui caractérise l’ensemble de ses ouvrages – n’est pas l’objectivité mais la <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/la-langue-de-zemmour-cecile-alduy/9782021497472">« manipulation par transfert d’autorité »</a> par laquelle l’auteur fait accepter une opinion problématique en l’associant à une figure d’autorité largement appréciée par le grand public.</p>
<h2>Décréter des vérités indiscutables sur la nature humaine</h2>
<p>Éric Zemmour use également de cette <a href="https://www.arretsurimages.net/chroniques/arrets-sur-histoire/zemmour-et-la-midinette-beauvoir">stratégie</a> pour discréditer les femmes, détournant notamment <a href="https://www.albin-michel.fr/destin-francais-9782226320070">Simone de Beauvoir</a> ou Benoite Groult.</p>
<p>Dans les écrits de Zemmour, les femmes sont <a href="https://theses.fr/s300079">systématiquement décrites</a> en fonction de ce qu’elles peuvent apporter aux hommes : soit comme des génitrices, soit comme des objets de conquête sexuelle. La vie des femmes se <a href="https://www.albin-michel.fr/le-suicide-francais-9782226254757">résumerait</a> selon l’auteur à une « quête obstinée de protection » qu’elles acquièreraient par le mariage, et le « besoin de protéger et d’éduquer ses petits ». Avec l’utilisation du registre du comportement animal, l’auteur souhaite donner une objectivité à son propos en proposant une perspective éthologique (et non anthropologique) qui exclue automatiquement les femmes de la catégorie des être rationnels.</p>
<p>L’auteur atteste de cette différence fondamentale en <a href="https://www.albin-michel.fr/le-suicide-francais-9782226254757">rappelant</a> :</p>
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<p>« la subtilité des rapports entre les hommes et les femmes. Le besoin des hommes de dominer – au moins formellement – pour se rassurer sexuellement. Le besoin des femmes d’admirer pour se donner sans honte ».</p>
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<p>Apparait ici un autre procédé rhétorique favori de Zemmour : le discours aphoristique. Il prétend se référer à des vérités indiscutables sur la nature humaine, en usant notamment d’une combinaison d’articles définis à valeur générique (« des femmes »,« des hommes ») et l’usage de l’infinitif (« dominer », « admirer ») permettant un effacement des traces qui permettent de relier l’énoncé avec la scène d’énonciation.</p>
<p>Zemmour reconnaît que les femmes ont progressivement obtenu des droits qui leur permettent d’échapper à leur statut de soumission. Cette nouvelle indépendance reposerait selon lui sur une <a href="https://www.albin-michel.fr/le-suicide-francais-9782226254757">« virilité d’emprunt »</a> : pour s’émanciper, les femmes auraient décidé de « devenir des hommes ». Cette approche suppose qu’intelligence et masculinité soient indissociables.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/quand-les-nouvelles-femmes-de-droite-sinvitent-dans-la-campagne-177293">Quand les « nouvelles femmes de droite » s’invitent dans la campagne</a>
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<h2>Invisibiliser le lien entre idées promues et discriminations</h2>
<p>Si les femmes ont décidé de « devenir des hommes », cela suppose également l’absence de catégories alternatives en dehors de celles des femmes et des hommes. En effet, <a href="https://www.albin-michel.fr/le-suicide-francais-9782226254757">pour Zemmour</a>, les études de genre ne seraient rien d’autre qu’« une volonté totalitaire mal dissimulée de nous transformer en androgynes, en neutres », et de détruire simultanément les catégories sur lesquelles s’est construite l’ancienne domination patriarcale.</p>
<p><a href="https://www.albin-michel.fr/le-suicide-francais-9782226254757">Selon Zemmour</a>, il n’est pas nécessaire de défendre les droits de la communauté queer car « la prétendue “homophobie” » n’existe pas. En effet, l’homosexualité est conceptualisée par l’auteur comme « une forme particulière d’adultère », c’est-à-dire une pratique sexuelle qui existerait en marge du modèle du mariage hétérosexuel. On pourrait ainsi concilier « le mariage pour la famille et les enfants, et le goût des garçons pour le plaisir ». L’homosexualité n’aurait donc vocation qu’à rester dans le cadre strictement privé, et l’auteur <a href="https://www.albin-michel.fr/le-suicide-francais-9782226254757">va jusqu’à dire</a> que cette autocensure est « la garantie d’une vraie liberté », rendant ainsi invisible le lien causal entre hétéronormativité prescriptive, discriminations et violences envers les personnes LGBTQ.</p>
<p>La diffusion des idées de Zemmour dans l’espace public et médiatique – notamment via <a href="https://www.nouvelobs.com/edito/20230412.OBS72090/bollore-un-projet-politique.html">l’empire médiatique reactionnaire</a> de Vincent Bolloré – contribue à normaliser les discriminations défendues par l’illiberalisme. Cela légitime en retour les projets politiques d’extrême droite.</p>
<h2>Faciliter la tâche du RN</h2>
<p>A ce jour, Zemmour n’arrive pas à s’imposer sur le terrain de la lutte politique.</p>
<p>Le combat culturel qu’il mène profite d’avantage au RN qu’à Reconquête, son propre parti. L’atout du RN est qu’il dispose d’une forme de monopole du parti d’extrême droite dans l’espace médiatique. Celui-ci s’est renforcé peu à peu par une formulation du combat électoral en affrontement bilatéral entre le RN et la majorité présidentielle – lors des <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2018/11/09/progressistes-contre-populistes-macron-tente-d-imposer-sa-vision_5381010_823448.html">européennes de 2019</a>, des <a href="https://www.la-croix.com/France/Presidentielle-2022-Emmanuel-Macron-installe-deja-duel-Marine-Le-Pen-2022-04-08-1201209364">présidentielles de 2022</a> et encore pour les <a href="https://www.francetvinfo.fr/elections/europeennes/c-est-trop-tard-pour-faire-autrement-la-majorite-divisee-sur-la-strategie-anti-rn-pour-les-elections-europeennes_6419575.html">européennes de 2024</a>.</p>
<p>Ce monopole fonctionne comme un champ de gravitation : toute défense publique d’idéologie illibérale est systématiquement mise en lien avec le programme porté par le parti, et semble ainsi le légitimer. Le RN profite ainsi du labeur des producteurs idéologiques comme Zemmour ou <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/01/19/le-rassemblement-national-savoure-sa-victoire-ideologique-obtenue-sans-reflexion-de-fond_6211708_823448.html">Michel Onfray</a>, qui n’ont pourtant rien à voir avec le parti.</p>
<p>Un large score du RN aux élections européennes serait ainsi d’avantage imputable à cet effet gravitationnel, plutôt qu’à une prétendue adéquation entre son programme et les valeurs politiques des Français.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/225503/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Périne Schir ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Producteur d’idées illibérales, Éric Zemmour participe à une « droitisation » du débat public en usant de plusieurs stratégies rhétoriques.Périne Schir, Research fellow at the Illiberalism Studies Program, the George Washington University ; PhD student in political philosophy, Université de Rouen NormandieLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2257022024-03-17T15:33:02Z2024-03-17T15:33:02ZLe Portugal, théâtre à son tour d’une percée de l’extrême droite<p>Depuis sa création le 19 avril 2019, le parti <a href="https://www.courrierinternational.com/une/enquete-chega-le-parti-qui-veut-mettre-le-feu-la-politique-portugaise-mais-qui-brule-de">Chega !</a> (« Assez ! », CH) n’en finit plus d’obtenir des scores en hausse : une première entrée au Parlement avec un député (son leader André Ventura) aux élections législatives d’octobre 2019 ; 2 députés <a href="https://www.ritimo.org/Portugal-Chega-un-parti-d-extreme-droite-present-dans-le-systeme-politique">à l’Assemblée législative de la Région autonome des Açores</a> en octobre 2020 ; puis <a href="https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMAnalyse/3206">12 députés au Parlement national aux élections législatives de 2022</a>, avec près de 7,38 %.</p>
<p>Ce 10 mars 2024 se sont déroulées au Portugal des <a href="https://theconversation.com/portugal-elections-sous-haute-tension-221186">élections législatives anticipées</a> au cours desquelles Chega a considérablement amélioré son score en recueillant pas moins de 18,06 % des voix, quadruplant ainsi le nombre de ses députés au Parlement, qui passe de <a href="https://www.lefigaro.fr/vox/monde/portugal-la-percee-d-andre-ventura-s-explique-en-grande-partie-par-sa-tolerance-zero-en-matiere-d-immigration-20240313">12 à 48</a>. CH représente aujourd’hui la troisième force politique au Portugal, derrière les deux grands partis de centre droit (79 sièges) et de centre gauche (77).</p>
<h2>Un salazarisme décomplexé ?</h2>
<p>« Nous sommes un groupe de gens ordinaires, pas une élite ; des gens qui souffrent du système actuel. » C’est ainsi que Ventura <a href="https://brasil.elpais.com/brasil/2019/12/12/internacional/1576187485_020229.html">présentait</a> sa formation politique lors de sa création en 2019. Aujourd’hui, l’objectif affiché de Chega ne serait pas – du moins d’après ses dires – de réhabiliter le salazarisme mais, avant tout, de s’insérer dans la <a href="https://theconversation.com/en-pologne-aux-pays-bas-et-ailleurs-en-europe-les-multiples-visages-des-populismes-de-droite-radicale-218664">vague populiste de droite</a> qui, depuis plusieurs années, un peu partout en Europe, profite à de nombreuses formations de ce camp. Les deux visées n’étant pas antinomiques, André Ventura, non sans une certaine habileté, s’emploie, en jouant sur les ambiguïtés, à attirer le plus de voix possible.</p>
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<p>Il existe une certaine proximité entre André Ventura (né en 1983) et <a href="https://www.cairn.info/la-dictature-de-salazar-face-a-l-emigration--9782724612714-page-99.htm">António de Oliveira Salazar</a> (1889-1975), qui <a href="https://laviedesidees.fr/Fernando-Rosas-art-durer-fascisme-Portugal">dirigea le Portugal d’une main de fer de 1932 à 1968</a>. Curieuse coïncidence, André Ventura eut comme l’ancien dictateur une vocation de séminariste (mais courte, puisqu’elle ne dura qu’une année) et devint également par la suite, comme lui, professeur de droit. Pour autant, malgré une appréhension commune du monde formulée dans le slogan « Dieu, patrie, famille » auquel Ventura ajoute le mot « travail », il ne tient pas à apparaître comme l’incarnation de la continuité de Salazar.</p>
<p>Ainsi, en 2023, il ne se rendit pas à Vimieiro, dans le district de Viseu où naquit Salazar, lors de l’implantation du CIEN (Centre d’interprétation de l’État nouveau), occupé qu’il était par sa campagne électorale… ou ne tenant pas à s’afficher comme partisan inconditionnel d’un personnage qui demeure <a href="https://legrandcontinent.eu/fr/2021/04/25/salazar-et-le-salazarisme-la-posterite-politique-dun-dictateur/">controversé dans le pays</a>, pour le moins pour une partie de la population, et à propos duquel il a notamment déclaré : « la plupart du temps, Salazar n’a pas résolu les problèmes du pays et nous a fait prendre beaucoup de retard à maints égards. Il ne nous a pas permis d’avoir le développement que nous aurions pu avoir, surtout après la Seconde Guerre mondiale », ajoutant : « Pas besoin d’un Salazar à chaque coin de rue, il faut un André Ventura à chaque coin de rue. »</p>
<p>Pourtant, en dépit de ces déclarations, Ventura tient à séduire la partie de l’électorat nostalgique de <a href="https://www.cairn.info/revue-pole-sud-2005-1-page-39.htm">« l’État nouveau »</a>. En effet, chaque fois qu’il le peut, il présente le 25 avril 1974 – jour de la <a href="https://www.rtbf.be/article/la-revolution-des-oeillets-que-fete-exactement-le-portugal-le-25-avril-11187709">Révolution des Œillets</a>, dont on fêtera prochainement le cinquantième anniversaire – comme la source de tous les maux de la société portugaise.</p>
<p>Dans l’un de ses discours au Parlement, en 2022, il prend la défense des forces de sécurité, selon lui déconsidérées et rendues « muettes » depuis ce jour-là, et termine son allocution en les comparant à des « héros ». Dans un <a href="https://www.bing.com/videos/riverview/relatedvideo?q=discurso+de+andr%c3%a9+ventura&mid=3BFB91F7F5513B583E593BFB91F7F5513B583E59&FORM=VIRE">autre de ses discours</a>, le 25 novembre 2023, il joue sur la date, proposant d’institutionnaliser désormais celle du <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1990/11/27/il-y-a-quinze-ans-au-portugal-la-chute-d-otelo-de-carvalho_3985464_1819218.html">25 novembre 1975</a>, jour qui s’est soldé par la victoire des militaires modérés lesquels, selon lui, ont mis fin à la révolution politique et ont conduit à la normalisation démocratique du pays. Il se pose également en défenseur du peuple, à qui il veut rendre sa « dignité » ; il entend notamment remettre à l’honneur les travailleurs en donnant la priorité aux nationaux et incite à faire revenir au pays les jeunes expatriés.</p>
<p>Certains observateurs soulignent que si Ventura n’est pas à proprement parler « salazariste », il n’hésite pas à <a href="https://sicnoticias.pt/programas/reportagemsic/2021-04-01-Andre-Ventura-nao-e-um-salazarista-mas-apropria-se-do-discurso-de-Salazar-d3d78e3f">évoquer l’imaginaire salazariste</a>. En effet, il reprend à son compte les fondements de l’idéologie de l’État nouveau : il place la famille au centre de la société et, dès 2020, il affiche sa foi catholique – autre pilier du salazarisme –, se montrant volontiers à l’Église en compagnie de son épouse Dina.</p>
<p>Lors de sa campagne de 2022, Ventura <a href="https://www.rtp.pt/noticias/eleicoes-legislativas-2022/chega-quer-15-dos-votos-e-ser-terceira-forca-em-portugal_es1375346">s’était engagé</a> à combattre la corruption supposément encouragée par le PS alors au pouvoir. Son slogan mis en avant à cette occasion, et toujours d’actualité aujourd’hui, appelle à « limpar » (<em>nettoyer</em>) le Portugal – un écho, peut-être pas involontaire, au souhait de « régénérer » le pays pour lancer une ère nouvelle qu’avait formulé Salazar à ses débuts…</p>
<h2>Après le Portugal, des visées européennes ?</h2>
<p>Chega fait siennes les thématiques de l’immigration et de l’insécurité, qui se trouvent aussi au cœur des programmes de plusieurs de ses alliés européens. Dès 2020, la formation portugaise a rejoint, au Parlement européen, le groupe <a href="https://fr.idgroup.eu/">Identité et Démocratie</a> (ID), où siègent notamment la Lega italienne, le Rassemblement national français et l’AfD allemande, et aspire à jouer le rôle d’un « pont » pour <a href="https://observador.pt/especiais/chega-na-europa-ventura-fica-na-familia-politica-de-le-pen-e-que-ser-ponte-para-uniao-das-direitas/">l’union des droites</a> souhaitant à long terme réunir tous les patriotes en un même groupe.</p>
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<p>L’argument de campagne pour 2024 a changé par rapport à ceux des campagnes précédentes, mais cela ne veut pas dire qu’il est plus modéré. Auparavant, Ventura se focalisait sur la stigmatisation de la communauté tzigane et promettait de réduire les acquis sociaux et de procéder à des coupes importantes du RSI (revenu d’insertion) ; désormais, il s’en prend moins aux droits sociaux et, conformément aux programmes de ses camarades d’ID, il <a href="https://rr.sapo.pt/fotoreportagem/politica/2024/03/05/como-o-discurso-do-chega-mudou-e-o-que-isso-diz-da-sua-estrategia/368696/">concentre ses attaques</a> sur l’immigration musulmane et sur « l’idéologie du genre » les adaptant toutefois à son pays. Le Portugal connaît dernièrement une <a href="https://www.jn.pt/2856889709/numero-de-imigrantes-em-portugal-quase-duplica-em-10-anos/amp/">forte immigration</a> (121 000 immigrants en 2022, 118 000 en 2023) ; un tiers des nouveaux arrivants proviennent du Brésil mais la plupart des autres arrivent d’autres pays hors UE, notamment d’Inde. Sur les questions sociétales, Ventura semble surtout adapter son discours aux circonstances. En 2020, il se prononce en faveur du mariage entre personnes de même sexe, déclarant à ce sujet qu’il ne verrait <a href="https://www.publico.pt/2020/11/15/politica/noticia/andre-ventura-defende-casamento-gay-critica-salazar-atrasounos-muitissimo-1939288">aucun inconvénient à ce que son fils soit homosexuel</a> ; mais le 16 décembre 2023, il s’insurge contre un <a href="https://vivreleportugal.com/actualite/les-enfants-peuvent-choisir-leur-sexe-nouvelle-loi-soutenue-par-les-socialistes/">projet de loi du PS</a> « visant à garantir le respect de l’autonomie, de la vie privée et de l’autodétermination des enfants et des adolescents qui traversent des transitions d’identité sociale et d’expression de genre », affirmant que ce texte <a href="https://fb.watch/qOS-ciqmWG/?">« mettrait en péril les enfants »</a>.</p>
<p>Durant la campagne des législatives, Ventura <a href="https://www.bbc.com/portuguese/articles/cg695nxk7xko">s’est positionné comme le promoteur d’un contrôle plus strict de l’immigration</a>, en voulant créer un crime de « séjour illégal sur le sol portugais » et imposer des quotas annuels d’entrée des étrangers en fonction « des qualifications des immigrants et des besoins du marché portugais ». Estimant qu’on ne « peut pas vivre dans un pays où tout le monde entre sans contrôle ni critère, sans savoir pourquoi il entre et à quoi il sert », il balayait d’un revers de main les accusations de racisme et de xénophobie, affirmant souhaiter <a href="https://www.bbc.com/portuguese/articles/cg695nxk7xko">« une immigration décente, mais pas incontrôlée »</a>.</p>
<h2>Quelle place dans le nouveau paysage politique ?</h2>
<p>Pour l’heure, les négociations pour former un nouveau gouvernement ont commencé. Le chef de file de la droite, Luis Montenegro, qui a remporté les législatives, a d’ores et déjà annoncé qu’il ne souhaitait pas travailler avec Chega. <a href="https://fr.euronews.com/2024/03/11/les-elections-au-portugal-laissent-le-pays-dans-lincertitude-quant-a-son-avenir-politique">De son côté, Ventura a déclaré</a> qu’il était prêt, pour participer au gouvernement, à abandonner certaines de ses propositions les plus controversées comme la castration chimique pour les délinquants sexuels et les peines de prison à vie. Il affirme que, sans sa participation au gouvernement, le Portugal plongera dans une crise politique majeure : son ralliement permettrait à une coalition de droite et d’extrême droite de gouverner ; sans cela, le Parlement étant très divisé, le pays sera difficilement gouvernable.</p>
<p>En politique, tout est possible… Et si les adversaires d’hier devenaient les alliés de demain ? Quoi qu’il en soit, Chega a désormais les yeux tournés vers l’échéance des élections européennes de juin prochain, où le parti compte encore bien accroître ses scores…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/225702/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Benjamin Rojtman-Guiraud est membre du Conseil municipal de la Ville de Maxéville (54)</span></em></p>Le Portugal a longtemps été une exception en Europe : l’extrême droite y réalisait des scores nettement plus faibles qu’ailleurs. Mais la donne a changé avec les législatives du 10 mars dernier.Benjamin Rojtman-Guiraud, Doctorant en Science politique, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2249892024-03-13T15:56:20Z2024-03-13T15:56:20ZComprendre le complexe rapport de l’Espagne à la figure de Franco<p><em>Francisco Franco aura exercé le pouvoir en Espagne pendant 39 ans, de 1936 à sa mort en 1975. Lors de la guerre civile (1936-1939), il bénéficia de l’appui décisif de l’Allemagne hitlérienne et de l’Italie mussolinienne, qu’il soutint durant la Seconde Guerre mondiale sans pour autant y engager ouvertement son pays. Les trente années d’après-guerre furent celles d’une dictature personnelle d’idéologie nationale-catholique, ne laissant aucune place à l’opposition. Les victimes de son règne, et spécialement des exactions de ses troupes durant la guerre civile et au cours des années suivantes, se comptent en dizaines de milliers.</em></p>
<p><em>Pourtant, le personnage ne suscite pas aujourd’hui un rejet unanime dans son pays, où l’on assiste dernièrement à la percée du parti d’extrême droite Vox qui, sans se dire franquiste, porte sur son action un regard complaisant. Sophie Baby, maîtresse de conférences HDR en histoire contemporaine à l’Université de Bourgogne et membre honoraire de l’Institut universitaire de France publie aujourd’hui aux Éditions La Découverte <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/juger_franco_-9782348079061">« Juger Franco ? Impunité, réconciliation, mémoire »</a>, un ouvrage appelé à faire date qui revient sur les défis posés par la violence du franquisme, sur sa difficile appréhension par l’Espagne d’après-1975, rapidement devenue démocratique, sur ses traces encore visibles, et aussi sur la dimension internationale des problématiques mémorielles liées aux quatre décennies de pouvoir du Caudillo.</em></p>
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<p>Le général Francisco Franco, décédé le 20 novembre 1975 après avoir présidé pendant près de quarante ans au destin de l’Espagne, n’a pas été jugé et ne le sera jamais. Sa dépouille a longtemps trôné face à l’autel, sous les dalles de la basilique de Valle de los Caídos, façonnée à la gloire de la « Croisade » par la main-d’œuvre esclave du régime, à quelques kilomètres de la capitale. Recouverte de couronnes et de fleurs fraîches, sa tombe attirait les nostalgiques, qui honoraient sa mémoire du salut fasciste et d’une messe célébrée pompeusement chaque 20-N par les fidèles gardiens du lieu. Jusqu’à ce qu’en octobre 2019, le gouvernement socialiste de Pedro Sánchez organise le transfert de son cercueil vers le caveau familial, selon un cérémonial qui reflétait à la fois le changement de régime mémoriel amorcé au tournant du siècle et la prégnance de conservatismes qui ne cessent d’interpeller l’observateur étranger. La mémoire de celui qui avait affirmé être prêt à tuer la moitié du pays au nom de sa salvation n’est pas bannie par-delà les Pyrénées, une fondation éponyme subventionnée jusqu’à il y a peu par l’État porte son héritage, valorisé par nombre d’Espagnols rétifs à remuer les cendres du passé et à porter un jugement définitif, moral et politique, sur le régime franquiste.</p>
<p>Comment peut-on refuser encore de condamner la mémoire du dictateur parvenu au pouvoir à l’aide des avions d’Hitler et des troupes de Mussolini, après trois ans d’une guerre civile provoquée par le soulèvement du 18 juillet 1936, dans cette Espagne devenue depuis les années 1980 une démocratie consolidée, pleinement intégrée à l’Union européenne ? C’est ce paradoxe, toujours irrésolu et à vif, qui est à l’origine de ce livre, mû par le désir de comprendre l’ébullition mémorielle conflictuelle aujourd’hui à l’œuvre en Espagne et plus encore, de déchiffrer cette énigme, pour ce pays si proche, d’une impunité persistante du franquisme.</p>
<h2>Juger Franco ? Le paradoxe espagnol</h2>
<p>L’ouvrage explore les impulsions et les résistances à l’insertion de l’Espagne dans l’âge global de la mémoire qui s’est emparé du monde occidental à la fin du XX<sup>e</sup> siècle, face aux traces irréductibles des violences de masse qui l’ont endeuillé.</p>
<p>La société espagnole aborda le XXI<sup>e</sup> siècle par un retour sur la « dernière catastrophe » (Henry Rousso) de son histoire, la guerre civile de 1936-1939. Un mouvement civique dit de « récupération de la mémoire historique », né en l’an 2000, engagea l’Espagne dans cette ère de la mémoire. Jusque-là dominait le grand récit de la réconciliation, cristallisé pendant la transition à la démocratie (1975-1982) et qui s’était imposé dans les années 1980 comme le mythe fondateur de la démocratie espagnole. La rupture avec le passé, interprété comme un long cycle de violences fratricides et éternellement vengeresses, était incarnée par la loi d’amnistie de 1977, qui avait prononcé l’absolution mutuelle des crimes de nature politique commis jusqu’alors, qu’ils aient été perpétrés par les opposants au régime ou par ses agents. Les légitimités d’antan étaient ainsi absorbées au profit d’une nouvelle légitimité partagée, démocratique et déracinée. Franco n’avait pas été jugé et les crimes du régime ne pourraient jamais l’être.</p>
<p>L’irruption de la « mémoire historique » a fait basculer ce régime d’historicité tourné vers un futur sans passé dans un présentisme qui révélait les failles de l’utopie modernisatrice transitionnelle. Le passé était bien vivant, incarné par les ossements retrouvés dans les fosses communes, dont les exhumations témoignaient du nombre stupéfiant et d’une présence disruptive, dispersée sur tout le territoire. Les pouvoirs publics se sont emparés, à reculons, de ces nouvelles aspirations : deux lois mémorielles ont été adoptées, par des gouvernements de gauche, en 2007 puis en 2022. Les crimes du franquisme pourraient-ils être poursuivis, en tant que crimes contre l’humanité, imprescriptibles et non amnistiables ? Rien de moins sûr, au regard de l’indignation soulevée à cette éventualité dans les rangs de la droite espagnole, aiguillonnés par l’essor d’une extrême droite néopopuliste et farouchement réactionnaire.</p>
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<p>Ce changement global de régime mémoriel, d’un paradigme réconciliateur fondé sur l’oubli des crimes du passé à un autre, arqué sur le devoir de mémoire et la lutte contre l’impunité, est au cœur de ce livre. Celui-ci fait le choix décisif, qui en constitue l’originalité, de s’écarter de l’intensité d’un présent autarcique et écrasant par un double décentrement du regard, plongeant d’une part dans la longue durée et embrassant, d’autre part, un ailleurs mondialisé.</p>
<h2>Sortir de la violence : le temps long d’un espace euro-américain de la mémoire</h2>
<p>L’Espagne est loin d’avoir été une terre isolée, étrangère aux dynamiques fondatrices du monde de l’après-guerre, étanche aux mutations globales qui affectaient la relation de l’Occident à son passé tragique. Le pays s’est approprié tout en les adaptant des pratiques, des catégories, des normes venues d’ailleurs au fil des opportunités politiques. Il en a aussi été acteur et créateur, un temps modèle de réconciliation et même champion de la lutte contre l’impunité, à l’heure de l’arrestation du général Pinochet en 1998 sur ordre d’un juge espagnol, avant d’être taxé de contre-modèle mémoriel. L’analyse réinsère ainsi le cas espagnol dans une histoire globale des droits de l’homme, de la criminalisation des violences de masse, de la mémoire et de la victimisation contemporaine, de la justice pénale internationale, qu’il vient enrichir de ses paradoxes et de sa projection transnationale.</p>
<p>L’histoire de l’Espagne constitue un laboratoire d’expériences privilégié parce que s’y entrelacent conflits et sorties de conflits, saisis dans l’épaisseur de leurs temporalités, sur une longue durée, faite de jeux et rejeux sans cesse réactivés. Il faut remonter dans le temps même de la guerre pour happer les fondements, les élans et les mutations, les déboires et les résidus des dynamiques de criminalisation et d’absolution du franquisme. En proposer une histoire non linéaire, qui complexifie la polarité binaire apparente entre un modèle amnistiant et un modèle punitif de sortie de violence, implique de revenir à ces origines pour en suivre le fil.</p>
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<p>Au lent processus de sortie de guerre civile se superposa la guerre mondiale, qui éclata quelques mois après la reddition républicaine. Les exilés qui avaient fui en masse les représailles, en France surtout, furent emportés dans la tourmente du conflit mondial, s’y mêlant comme travailleurs forcés du nazisme, combattants de la Libération, résistants, déportés, et furent impliqués de fait dans les logiques judiciaires et réparatrices de l’après-guerre. La dénonciation du franquisme se déploya ainsi dans un espace nécessairement transnational et, plus précisément, euro-américain. L’Espagne apparaît même, en ce second XX<sup>e</sup> siècle, comme un maillon central d’une Euro-Amérique pluriséculaire, réactivée par les conséquences de la guerre d’Espagne.</p>
<p>Aux dynamiques de cette double sortie de guerre, qui retentirent jusqu’à la fin du siècle, s’ajoutèrent à la mort de Franco les dynamiques de sortie d’une dictature longue de près de quarante années, draguant leur lot de crimes et de victimes. L’après-franquisme fut à son tour la proie d’un nouveau cycle de violences, le terrorisme basque se prolongeant jusqu’à l’orée du siècle suivant, générant des strates supplémentaires de dispositifs de sortie de violence. Loin de faire face à la « dernière catastrophe » uniquement, l’Espagne a été confrontée à un enchevêtrement de sorties de violence, aux échos en miroir et aux résonances résurgentes tout au long du siècle, à l’origine de logiques victimaires exponentielles et concurrentes.</p>
<h2>Ancrer l’enquête transnationale</h2>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/581301/original/file-20240312-30-htczlm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/581301/original/file-20240312-30-htczlm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/581301/original/file-20240312-30-htczlm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=889&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/581301/original/file-20240312-30-htczlm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=889&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/581301/original/file-20240312-30-htczlm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=889&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/581301/original/file-20240312-30-htczlm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1117&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/581301/original/file-20240312-30-htczlm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1117&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/581301/original/file-20240312-30-htczlm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1117&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Cet extrait est tiré de « Juger Franco ? Impunité, réconciliation, mémoire », de Sophie Baby, qui vient de paraître aux éditions La Découverte.</span>
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<p>L’espace transnational euro-américain dans lequel se projettent les acteurs pour dessiner l’après-franquisme est à la fois un tremplin pour légitimer des aspirations, contourner les obstacles rencontrés dans la péninsule, contraindre les pouvoirs publics nationaux, et un réservoir de ressources, d’idées, de dispositifs, de réseaux mobilisables pour donner corps, rendre intelligible ou renouveler une cause balbutiante qui contribue à son tour à redessiner les tendances globales. Les pages qui suivent pointent de manière impressionniste la focale sur un prisonnier, une veuve de déporté, une militante des droits humains, un médecin légiste, une association, une commission d’enquête, un tribunal. Des fils sont tirés dans la longue durée, comme autour de Guernica, ville emblématique qui a connu une projection internationale précoce de la gestion de son passé, où s’entremêlent les temporalités dans un environnement hautement conflictuel, révélant, par-delà sa singularité totémique, des dynamiques partagées.</p>
<p>L’enquête ressuscite les récits alternatifs, les entreprises souterraines et reléguées aux marges, les projets imaginés mais non aboutis, les initiatives esquissées puis abandonnées. Sans ces autres chemins ébauchés, le renversement de régime mémoriel observé au début du XXI<sup>e</sup> siècle aurait-il été possible ? Le souffle puissant de la réconciliation avait-il éteint toute soif de justice ? La voix impérieuse de « l’oublieuse mémoire liée à la refondation prosaïque du politique » avait-elle fait disparaître « la voix de l’inoublieuse mémoire » (Paul Ricœur) ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/224989/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sophie Baby ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Franco, mort en 1975, n’a jamais été jugé, mais des lois mémorielles ont été promulguées pour entretenir la mémoire de ses victimes.Sophie Baby, Maîtresse de conférences HDR en histoire contemporaine, Université de Bourgogne – UBFCLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2243912024-03-11T16:11:39Z2024-03-11T16:11:39ZComment une idée politique s’impose-t-elle dans le débat public ?<p>Le Rassemblement national a récemment revendiqué sa <a href="https://www.francetvinfo.fr/societe/immigration/projet-de-loi-immigration-la-victoire-ideologique-du-rassemblement-national-est-de-plus-en-plus-forte-chaque-jour-se-targue-jordan-bardella_6253689.html">« victoire idéologique »</a> à propos du vote de la loi sur l’immigration. De fait, alors que les <a href="https://www.academia.edu/11495225/Vers_lextr%C3%AAme_avec_Luc_Boltanski_2014_">idées d’extrême droite</a> étaient autrefois marquées d’une forte illégitimité intellectuelle et politique, restant cantonnées dans des <a href="https://www.cairn.info/revue-agone-2014-2.htm?contenu=sommaire">espaces sociaux assez restreints</a>, certaines de ses conceptions comme la <a href="https://sciencespo.hal.science/hal-03398326">« préférence nationale »</a>, et de ses formules, comme le <a href="https://www.cairn.info/revue-politix-2019-2-page-111.htm">« grand remplacement »</a>, tendent à occuper une <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/01/21/fait-divers-immigration-les-idees-d-extreme-droite-se-diffusent-dans-les-medias-et-l-opinion_6212070_823448.html">place grandissante</a> <a href="https://www.editionstextuel.com/livre/la_grande_confusion">dans les médias et le débat politique</a>.</p>
<p>La réussite de telles idées, qui semblent (du moins à celles et ceux qui ne les partagent pas) <a href="https://www.mediapart.fr/journal/culture-et-idees/221123/ceux-qui-ont-banalise-l-idee-folle-du-grand-remplacement">« folles »</a> et dangereuses conduit à questionner les <a href="https://www.atlande.eu/clefs-concours/1061-les-idees-politiques-comme-faits-sociaux-terrains-methodes-denquete-analyses-9782350309330.html">mécanismes sociaux</a> par lesquels des idées s’imposent politiquement au-delà de leur contenu propre et de l’éventuelle force intrinsèque de leurs arguments.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-les-medias-peuvent-influencer-la-signification-dune-information-201408">Comment les médias peuvent influencer la signification d’une information ?</a>
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<h2>Gagner la bataille des idées</h2>
<p>Dans la vulgate marxiste, les idées sont d’abord vues comme le reflet des positions économiques et sociales. Pour les philosophes <a href="https://www.marxists.org/francais/marx/works/1845/00/kmfe18450000c.htm">Karl Marx et Friedrich Engels</a>, « les pensées de la classe dominante sont aussi, à toutes les époques, les pensées dominantes ; autrement dit, la classe qui est la puissance matérielle dominante de la société est en même temps la puissance spirituelle dominante ». En imposant sa domination économique, la classe bourgeoise impose donc également, selon Marx et Engels, ses idées, idées qui dissimulent la réalité des rapports sociaux (les inégalités et l’exploitation) en justifiant l’ordre existant.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/578919/original/file-20240229-18-cklp59.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="////" src="https://images.theconversation.com/files/578919/original/file-20240229-18-cklp59.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/578919/original/file-20240229-18-cklp59.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=850&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/578919/original/file-20240229-18-cklp59.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=850&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/578919/original/file-20240229-18-cklp59.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=850&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/578919/original/file-20240229-18-cklp59.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1068&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/578919/original/file-20240229-18-cklp59.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1068&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/578919/original/file-20240229-18-cklp59.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1068&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Le philosophe italien Antonio Gramsci (1891-1937), fondateur de la notion d’hégémonie culturelle.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Wikicommons</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>Renouvelant l’approche marxiste, certains auteurs ont souligné l’autonomie relative des idées en considérant qu’elles n’étaient pas déterminées aussi mécaniquement par l’infrastructure économique et qu’elles pouvaient être inversement porteuses d’une transformation sociale. Pour le militant et théoricien communiste <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/l_oeuvre_vie_d_antonio_gramsci-9782348044809">Antonio Gramsci</a>, puisque la suprématie économique de la classe bourgeoise repose sur tout un « appareil d’hégémonie » (école, administration, médias…) qui diffuse sa conception du monde, ses croyances et les fait accepter, la classe dominée doit construire, grâce à ses propres intellectuels « organiques » (c’est-à-dire « organiquement » liés à leur classe sociale), une contre-hégémonie, afin d’enclencher une dynamique révolutionnaire. Pour Gramsci, la bataille des idées est une dimension essentielle de la bataille politique.</p>
<p>Initialement formulée dans un horizon marxiste, cette théorie de « l’hégémonie culturelle » a été réappropriée dans des <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/en-quete-de-politique/en-quete-de-politique-du-samedi-14-octobre-2023-8145689">perspectives politiques très opposées</a>. C’est le cas dès les années 1960 en Italie avec le groupe postfasciste <em>Ordine nuovo</em>.</p>
<p>En France, suite à la victoire de François Mitterrand en 1981, l’essayiste d’extrême droite Alain de Benoist et le <a href="https://www.persee.fr/doc/raipr_0033-9075_2010_num_174_1_4229">GRECE</a> (Groupement de recherche et d’études pour la civilisation européenne), laboratoire d’idées de la <a href="https://www.persee.fr/doc/xxs_0294-1759_1993_num_40_1_3005">« Nouvelle Droite »</a> dont il est le cofondateur en 1969, se font les défenseurs d’un « gramscisme de droite ». En 2007, c’est <a href="https://www.vie-publique.fr/discours/166441-interview-de-m-nicolas-sarkozy-ministre-de-linterieur-et-de-lamenage">Nicolas Sarkozy</a> qui s’en revendique : « J’ai fait mienne l’analyse de Gramsci : le pouvoir se gagne par les idées » déclare-t-il alors. Cette antienne a depuis été reprise par <a href="https://aoc.media/analyse/2022/04/03/a-droite-gramsci-et-ses-avatars/">Eric Zemmour</a> notamment.</p>
<h2>Stratégies rhétoriques</h2>
<p>Dans cette lutte idéologique, les stratégies de présentation des idées sont cruciales. On peut par exemple s’appuyer sur une logique de scandalisation en empruntant une rhétorique outrancière ou un style « populiste ». <a href="https://www.youtube.com/watch?v=p7w3PJzsA2w">« Je suis le bruit et la fureur, le tumulte et le fracas »</a> affirmait ainsi Jean-Luc Mélenchon en 2010 afin de réintroduire dans le débat une certaine forme de conflictualité politique.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/p7w3PJzsA2w?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Jean-Luc Mélenchon déclare lors d’un meeting en 2010 : « Je suis la bruit et la fureur, le tumulte et le fracas ».</span></figcaption>
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<p>La stratégie inverse, qui consiste à viser une certaine normalisation, peut aussi être employée. De longue date, le <a href="https://www.cairn.info/les-faux-semblants-du-front-national--9782724618105-page-25.htm">Front national</a>, renommé Rassemblement national, a cherché la respectabilité en dissimulant une partie de son idéologie afin de la rendre davantage acceptable et de <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/marine-le-pen-prise-aux-mots-cecile-alduy/9782021172102">mieux la diffuser</a>.</p>
<p>Le recours à l’autorité de la science ou de l’expertise constitue aussi un procédé classique de ces entreprises de légitimation. Depuis le XIX<sup>e</sup> siècle, du <a href="https://www.pulaval.com/livres/le-marxisme-dans-les-grands-recits-essai-d-analyse-du-discours">marxisme</a> au <a href="https://www.cairn.info/revue-raisons-politiques-2017-3-page-71.htm?contenu=resume">néolibéralisme</a>, beaucoup d’idéologies politiques se sont présentées comme des sciences.</p>
<p>Mais au-delà de son apparente rationalité ou cohérence, l’efficacité persuasive d’une idée politique réside dans son aptitude à <a href="https://www.decitre.fr/livre-pod/peur-espoir-compassion-indignation-9782247117680.html">mobiliser des affects</a> (joie, colère, peur, indignation, compassion…) et à déployer des récits spécifiques. On se souvient ainsi comment le candidat écologiste à la présidentielle de 1974 René Dumont avait cherché à alerter sur l’épuisement des ressources naturelles en <a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/i09167743/rene-dumont-je-bois-devant-vous-un-verre-d-eau-precieuse">buvant un verre d’eau à la télévision</a>. Dans un autre genre, le clip de campagne d’Eric Zemmour mettait en scène <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/entre-les-lignes/eric-zemmour-les-ressorts-emotionnels-de-sa-video-de-candidature-analyses_4846243.html">l’imaginaire du « grand remplacement »</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">Candidat à l’élection présidentielle de 1974, René Dumont, écologiste, tente de sensibiliser les téléspectateurs au gaspillage. INA.</span></figcaption>
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<h2>Circulations intellectuelles</h2>
<p>La fortune d’une idée ne tient pas qu’aux stratégies de communication et à l’habilité rhétorique de ses promoteurs. Pour s’imposer, elle suppose d’être relayée par une multitude de médiateurs, de « passeurs » et de vecteurs comme des <a href="https://www.cairn.info/revue-actes-de-la-recherche-en-sciences-sociales-2009-1-page-8.htm">intellectuels</a>, des journalistes, des éditeurs, des <a href="https://www.cairn.info/revue-politix-2019-2-page-7.htm?contenu=article">partis politiques</a>, des <a href="https://www.cairn.info/revue-societes-contemporaines-2011-1-page-5.htm">militants</a> ou des groupes de réflexion.</p>
<p>Le succès des idées d’extrême droite doit sans doute beaucoup à la constitution de ce qui a été désignée comme une <a href="https://www.cairn.info/revue-quaderni-2015-2-page-101.htm?contenu=resume">nébuleuse « néo-réactionnaire »</a> regroupant des essayistes, romanciers, journalistes – tels que Pascal Bruckner, Alain Finkielkraut, Michel Houellebecq, Eric Zemmour ou Mathieu Bock-Côté – qui partagent un certain nombre de topiques : une conception essentialisante de l’identité nationale, le rejet de l’immigration, la dénonciation de la « bien-pensance », etc.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/578920/original/file-20240229-28-f8qt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="L’économiste austro-hongrois Friedrich Hayek (1899-1992), considéré comme l’un des pères du néolibéralisme" src="https://images.theconversation.com/files/578920/original/file-20240229-28-f8qt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/578920/original/file-20240229-28-f8qt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=750&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/578920/original/file-20240229-28-f8qt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=750&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/578920/original/file-20240229-28-f8qt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=750&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/578920/original/file-20240229-28-f8qt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=942&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/578920/original/file-20240229-28-f8qt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=942&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/578920/original/file-20240229-28-f8qt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=942&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">L’économiste austro-hongrois Friedrich Hayek (1899-1992), considéré comme l’un des pères du néolibéralisme.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Wikicommons</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>De même, les travaux académiques consacrés aux idées néolibérales ont souligné l’importance jouée par la <a href="https://www.cairn.info/revue-actes-de-la-recherche-en-sciences-sociales-2002-5-page-9.htm">société du Mont-Pèlerin</a>, ce groupe de réflexion fondé en 1947 sous l’égide de l’économiste Friedrich Hayek (dans la localité suisse du Mont-Pèlerin), qui, via l’organisation de conférences, la traduction d’ouvrages et leurs relais dans les élites du monde occidental ont contribué à diffuser leurs idées économiques dans les instances internationales telles que le <a href="https://www.persee.fr/doc/arss_0335-5322_1998_num_121_1_3241">FMI ou la Banque Mondiale</a> jusque dans les <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/business_model-9782348042706">« business schools » et les universités</a>.</p>
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<p>La carrière d’une idée politique est ainsi tributaire non seulement des ressources matérielles ou financières des acteurs qui travaillent à sa circulation mais aussi et surtout de leurs ressources symboliques. Les sociologues français Pierre Bourdieu et Luc Boltanski ont bien analysé comment <a href="https://www.leslibraires.fr/livre/839981-la-production-de-l-ideologie-dominante-pierre-bourdieu-luc-boltanski-demopoliis">l’idéologie dominante</a> se façonne et circule à travers des lieux prétendument « neutres ». Il s’agit, dans les années 1970 en France, d’institutions comme le Commissariat général au Plan, de grandes écoles comme Sciences Po ou l’ENA ou encore de revues comme <em>Esprit</em>, qui permettent à des membres des élites caractérisés par le cumul des fonctions (par exemple, inspecteur des finances, directeur de cabinet et enseignant à Sciences Po), de se rencontrer.</p>
<h2>Des supports médiatiques aux appropriations ordinaires</h2>
<p>Cependant, une idée ne s’impose véritablement que si elle est reçue et surtout <a href="https://www.cairn.info/revue-politix-2015-1-page-7.htm?contenu=resume">appropriée</a> par de larges publics au-delà même des champs intellectuel et politique. À cet égard, si les effets des médias sont loin d’être directs et unilatéraux, ils n’en demeurent pas moins essentiels.</p>
<p>Le rôle des réseaux socionumériques apparaît aujourd’hui évident dans la diffusion de certains discours tels que le <a href="https://www.cairn.info/revue-mots-2022-3.htm">complotisme</a> ou des thèmes chers à l’extrême droite. Ils contribuent à faire émerger de nouvelles figures d’<a href="https://www.cairn.info/revue-quaderni-2023-2-page-39.htm?contenu=article">« influenceurs »</a> politiques. On le constate du coté des identitaires : ils ont su aussi mettre à profit ces moyens de communication, pour diffuser la notion de <a href="https://www.cairn.info/revue-pouvoirs-2022-2-page-47.htm">« remigration »</a> qu’ils ont largement popularisée sur X (ex-Twitter), au point qu’il n’est peut-être pas excessif de parler d’un <a href="https://journals.openedition.org/questionsdecommunication/8455">« gramscisme numérique »</a>.</p>
<p>Plus généralement, au sein même des médias grand public, on a souvent souligné le développement depuis une dizaine d’années d’un <a href="https://www.afsp.info/pdf.php?id=7505">espace médiatique de droite radicale</a> contribuant <a href="https://www.fayard.fr/livre/comment-sommes-nous-devenus-reacs-9782213716473/">à discuter et donc légitimer des idées d’extrême droite qui étaient jusque-là considérées comme taboues</a>.</p>
<p>Au-delà des journaux télévisés et des émissions politiques, les <a href="https://www.cairn.info/la-politique-sur-un-plateau--9782130594383.htm?contenu=sommaire"><em>talk-shows</em></a> se sont imposés comme des lieux de « débat » politique, qui peuvent contribuer à la banalisation de certains messages : <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/touche-pas-a-mon-peuple-claire-secail/9782021544732">Touche pas à Mon Poste !</a> est ainsi accusé de faire le jeu du Rassemblement national et de Reconquête à travers la surreprésentation des invités d’extrême droite et de leurs thèmes (insécurité, immigration…).</p>
<p>Les idées politiques peuvent également se loger dans une grande variété de productions médiatiques, artistiques ou culturelles, y compris celles qui sont considérées comme mineures : un genre musical tel que le rap peut se faire aussi bien le support d’idées <a href="https://www.cairn.info/revue-sociologie-de-l-art-2015-1-page-153.htm">postcoloniales</a> – avec des groupes comme Ministère des Affaires populaires, La Rumeur… – que <a href="https://journals.openedition.org/clo/4385">racistes</a> comme on le voit avec l’émergence d’un « rap identitaire » porté par des figures telles que Millésime K, Kroc Blanc, Amalek…</p>
<p>Elles ne se diffusent donc pas que par des canaux ni même des porte-paroles labellisés comme politiques. La réussite définitive d’une idée politique peut d’ailleurs se mesurer à sa capacité à se masquer comme telle en s’imposant sur le mode de l’<a href="https://www.editions-harmattan.fr/livre-le_discours_ideologique_ou_la_force_de_l_evidence_thierry_guilbert-9782296049307-25348.html">évidence</a> et à devenir, pour reprendre les mots des politistes <a href="https://www.cairn.info/revue-raisons-politiques-2017-3-page-5.htm">Mathieu Hauchecorne et Frédérique Matonti</a>, « si profondément incorporée qu’elle n’a le plus souvent pas besoin d’être mise en mots et peut dans bien des cas s’exprimer ou agir à l’insu des personnes qui l’utilisent. »</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/224391/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Cédric Passard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Dans les luttes idéologiques, les stratégies de présentation des idées sont cruciales.Cédric Passard, Maître de conférences en science politique, Sciences Po LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2249402024-03-06T16:13:14Z2024-03-06T16:13:14ZRT et Sputnik : comment les médias internationaux russes se restructurent après leur interdiction dans les pays occidentaux<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/579388/original/file-20240303-26-j1qrt6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C1880%2C1156&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Vladimir Poutine visite les locaux de RT à Moscou, le 10 décembre 2015, en compagnie de Margarita Simonian, rédactrice en chef de la chaîne RT, du site Sputnik et de l'agence d'informations Rossia Segodnia (en russe, la Russie aujourd'hui, soit le même nom que Russia Today). </span> <span class="attribution"><span class="source">Kremlin.ru</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/">CC BY-NC-SA</a></span></figcaption></figure><p><em>Le chercheur Maxime Audinet est l’un des meilleurs spécialistes français du complexe dispositif d’influence de la Russie, au cœur duquel se trouve le réseau RT (anciennement Russia Today). Son ouvrage très complet, <a href="http://www.inatheque.fr/publications-evenements/publications-2021/russia-today-rt-un-m-dia-d-influence-au-service-de-l-tat-russe-.html">« Un média d’influence d’État »</a>, paru en 2021, faisait déjà référence ; il ressort ces jours-ci, toujours aux éditions de l’INA, dans une version mise à jour et enrichie au regard des nombreux développements observés depuis que, le 24 février 2022, la confrontation entre la Russie et l’Ukraine, en cours depuis 2014, a pris une ampleur nouvelle. Nous vous en présentons ici quelques extraits où l’auteur revient sur les répercussions qu’a eues l’invasion à grande échelle de l’Ukraine sur la galaxie RT.</em></p>
<hr>
<h2>Un média sanctionné et interdit dans les pays occidentaux</h2>
<p>Saper les capacités informationnelles de l’État agresseur russe après son invasion de l’Ukraine s’impose rapidement comme un objectif prioritaire parmi les « mesures restrictives » émises par l’Union européenne contre Moscou. Les médias russes transnationaux RT et Sputnik se retrouvent à ce titre en ligne de mire.</p>
<p>Le 1<sup>er</sup> mars 2022, quelques jours après le lancement de l’offensive, le Conseil de l’Union européenne adopte un <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32022R0350">règlement</a> visant à lutter contre les « actions de propagande » mises en œuvre par la Russie pour « justifier et soutenir son agression de l’Ukraine ».</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/11nlrJpiYxk?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Le texte de mars 2022 […] conduit à la suspension de l’ensemble des canaux de diffusion numérique et audiovisuelle de RT et Sputnik sur le territoire de l’Union, à leur déréférencement des principaux moteurs de recherche, ainsi qu’à leur <a href="https://larevuedesmedias.ina.fr/guerre-ukraine-plateformes-numeriques-gafam-deplateformisation-interdiction">« déplateformisation »</a>, autrement dit la fermeture de leurs comptes et chaînes sur les réseaux sociaux (Facebook, Twitter, YouTube, Instagram, Telegram, etc.).</p>
<p>[…]</p>
<p>Certaines rédactions cessent purement et simplement leurs activités, comme RT America (abandonné par ses plates-formes de distribution), RT UK (après la révocation définitive de la licence accordée par le régulateur britannique Ofcom), ainsi que les branches grecque, italienne, tchèque, polonaise et allemande de Sputnik.</p>
<p>[…]</p>
<p>En Allemagne, où la chaîne RT DE, à peine lancée, est interdite quelques semaines avant l’invasion […], la double rédaction berlinoise de RT (composée du site RT DE et de l’agence Ruptly) fait face à des <a href="https://www.tagesspiegel.de/gesellschaft/medien/russischen-medien-in-berlin-laufen-mitarbeiter-davon-4314460.html">départs massifs après le 24 février</a>.</p>
<p>[…]</p>
<p>En France, les fonds de RT France sont gelés par la Direction générale du Trésor, rendant impossible la poursuite de ses activités. Dans une atmosphère particulièrement tendue, RT France est d’abord placée en redressement judiciaire en mars 2023, avant qu’un jugement en liquidation judiciaire ne soit <a href="https://www.bodacc.fr/pages/annonces-commerciales-detail/?q.id=id:A202300763039">acté par le tribunal de commerce de Nanterre</a> le 7 avril 2023, entraînant avec lui le licenciement de plusieurs dizaines de salariés de la chaîne et du site qui avaient décidé de rester après les sanctions de mars 2022.</p>
<p>Un certain nombre d’employés de RT France <a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/020923/le-jdd-nouveau-porte-voix-du-kremlin">trouvent progressivement des emplois dans l’écosystème médiatique « alternatif » ou de droite radicale et d’extrême droite française</a> (CNews, <em>Journal du dimanche</em>, Omerta, Sud Radio, Prisma, Europe 1, etc.). Un de mes enquêtés, ancien de RT France, parle même d’un « effet de vase communicant » et de « passerelle » avec la chaîne d’opinion CNews, et plus largement des médias détenus par le groupe Vivendi de Vincent Bolloré, tout en indiquant que la plupart des autres rédactions ne répondent pas aux sollicitations de recrutement des anciens employés de la chaîne russe.</p>
<p>Après une phase de transition « saisissante » et marquée par un « sentiment de dépassement » de la direction, pour reprendre les mots de ce même enquêté à Paris, les rédactions de RT France et RT DE, et avec eux une partie importante de la production de leurs contenus, sont relocalisées au cours de l’année 2023 en Russie, au siège moscovite.</p>
<h2>En quête de nouvelles audiences depuis 2022</h2>
<p>Au-delà de ces manœuvres, RT tente de compenser la perte d’une partie des audiences occidentales par la recherche de nouveaux débouchés médiatiques.</p>
<p>[…] C’est surtout vers l’Afrique subsaharienne que les regards se tournent, parallèlement à une <a href="https://www.irsem.fr/media/5-publications/etude-irsem-83-audinet-le-lion-ok.pdf">nouvelle phase d’expansion de la présence russe sur le continent</a>. Ce tournant vers l’Afrique – principalement dans ses régions francophone et anglophone – concerne en premier lieu la rédaction francophone de Sputnik.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1550492119395082244"}"></div></p>
<p>Sputnik France avait déjà consolidé son réseau de correspondants dès 2018, en amont du sommet Russie-Afrique de Sotchi. En août 2022, après avoir quitté la France et cessé de produire des contenus entre mars et juillet, le site en français de Sputnik, rebaptisé « Sputnik Afrique », rouvre dans les locaux moscovites de Rossia Segodnia avec une nouvelle identité éditoriale et un nouveau site (« sputniknews.africa »), qui remplace l’ancien nom de domaine « fr.sputniknews.com ». Sa branche anglophone Sputnik Africa ouvre en avril 2023, et la croissance de ses audiences africaines se confirme depuis lors.</p>
<p>[…]</p>
<p>En dépit des [déclarations des autorités russes sur la nécessité de développer la présence de RT en Afrique], de l’enregistrement en 2022 par TV-Novosti de plusieurs noms de domaine sans ambiguïté (rt-afrique.com, rtafrica.media, etc.), d’une campagne de recrutement de journalistes avortée au Kenya et de plusieurs annonces <a href="https://mid.ru/ru/foreign_policy/news/themes/id/1898648/">prônant un élargissement du réseau sur le continent</a>, RT n’a toujours pas ouvert un bureau en Afrique subsaharienne au moment de l’écriture de ces lignes, fin 2023. La tendance n’en reste pas moins à la conquête de nouvelles audiences non occidentales, alors que la Russie cherche à préserver sa réputation et <a href="https://meduza.io/en/feature/2022/11/11/putin-the-anti-colonialist">engranger des soutiens dans les pays du « Sud global »</a>, en parallèle du conflit de haute intensité dont elle est responsable en Ukraine.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/224940/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Maxime Audinet a reçu des financements du CNRS (CEFR/UMIFRE) pour mener des recherches en Russie.</span></em></p>Porte-voix du Kremlin, RT et Sputnik, interdits en Europe depuis l’invasion à grande échelle de l’Ukraine, tentent de continuer d’émettre vers l’Occident et développent leur présence en Afrique.Maxime Audinet, Chercheur « Stratégies d’influence » à l’Institut de recherche stratégique de l'école militaire (IRSEM). chercheur associé au Centre de recherches pluridisciplinaires multilingues (CRPM) de l’Université Paris Nanterre, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2243422024-02-27T16:13:33Z2024-02-27T16:13:33ZL’interview de Poutine par Tucker Carlson et sa réception par l’extrême droite occidentale<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/578015/original/file-20240226-28-fli2ug.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=19%2C0%2C1857%2C1156&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L’interview accordée par le président russe à l’éditorialiste superstar de la galaxie trumpiste, le 8&nbsp;février au Kremlin, a donné lieu à de très longs développements de Vladimir Poutine sur l’histoire de la Russie et de l’Ukraine, au grand désarroi de son interlocuteur.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="http://www.kremlin.ru/events/president/news/73411/photos/74852">Kremlin.ru</a></span></figcaption></figure><p><a href="https://www.marianne.net/monde/ameriques/pro-trump-ex-fox-news-qui-est-tucker-carlson-lamericain-qui-a-interviewe-poutine">Tucker Carlson</a>, l’ancien présentateur star de la chaîne conservatrice Fox, est une figure bien connue au sein de l’univers « MAGA » (<em>Make America Great Again</em>, l’éternel slogan de campagne de Donald Trump). Avec son ton « politiquement incorrect », il est depuis des années l’un des grands représentants du trumpisme et, au-delà, de la rhétorique provocatrice de l’extrême droite occidentale – un style qualifié par Ruth Wodak et al. de <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/0957926520977217">« normalisation éhontée de l’impolitesse »</a>.</p>
<p>Sur les questions de politique étrangère, Carlson a <a href="https://eu.usatoday.com/story/news/world/2023/05/01/tucker-carlson-fox-news-russia/11757930002/">largement épousé la présentation russe de la guerre russo-ukrainienne</a>, se montrant très critique à l’égard de Kiev et tout à fait favorable à Moscou, si bien qu’il est <a href="https://www.motherjones.com/politics/2022/03/exclusive-kremlin-putin-russia-ukraine-war-memo-tucker-carlson-fox/">considéré depuis longtemps par le Kremlin</a> comme un moyen privilégié de toucher l’opinion publique américaine.</p>
<p>Mais le coup de maître de Carlson a été, de toute évidence, <a href="https://tuckercarlson.com/the-vladimir-putin-interview/">son interview de deux heures avec Vladimir Poutine</a>, à Moscou, le 8 février dernier. Au vu du déroulement de l’entretien, il semble que les questions n’avaient pas été discutées à l’avance et que les deux parties avaient des attentes divergentes sur les propos qui y seraient tenus : Carlson espérait que Poutine approuverait la vision trumpiste du monde et ses griefs contre le libéralisme, tandis que Poutine, pour sa part, espérait convaincre le grand public américain que les États-Unis et la Russie finiront par se réconcilier d’une manière ou d’une autre et trouver une issue à la guerre qui soit favorable à Moscou.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/kVJByqRQVag?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<h2>« L’interview la plus suivie de toute l’histoire »</h2>
<p>Les médias occidentaux ont réagi à cette interview controversée de deux manières opposées. Certains ont décidé de ne pas l’évoquer du tout, une décision contestable dans la mesure où l’entrevue entre le journaliste américain et le président russe a suscité un très large écho : avec plus de 200 millions de vues, X (anciennement Twitter) a notamment affirmé que cet événement aurait été le <a href="https://eu.statesman.com/story/news/2024/02/09/tucker-carlson-putin-interview-video-twitter-most-watched-video-russia-ukraine-war/72536955007/">plus suivi sur sa plate-forme depuis la création de celle-ci</a>.</p>
<p>Sachant qu’une « vue » est comptabilisée à partir de deux secondes de connexion, ce chiffre de 200 millions est gonflé et correspond non pas au nombre de visionnages de la vidéo mais au nombre de clics sur des posts la contenant. YouTube considère qu’une vidéo a été vue à partir du moment où la connexion a duré au moins 30 secondes : la <a href="https://www.youtube.com/watch?v=fOCWBhuDdDo">vidéo</a> y affiche 18 millions de vues au moment où ces lignes sont écrites. Ce chiffre est probablement plus proche de la vérité. Cela en fait malgré tout un succès médiatique colossal.</p>
<p>D’autres médias ont parlé de l’interview, qualifiant comme d’habitude Carlson d’<a href="https://www.politico.eu/article/tucker-carlson-joins-long-line-useful-idiot-journalists-helping-tyrants/">idiot utile de Poutine</a> et affirmant que leur discussion démontrait une fois de plus que la coalition MAGA était <a href="https://www.washingtonpost.com/world/2024/02/07/tucker-carlson-putin-russia-ukraine/">à la solde du Kremlin</a>.</p>
<p>Ces deux postures – ne pas parler de l’interview, ou la dénoncer – passent toutes deux à côté de l’essentiel : une figure clé de la galaxie MAGA et le chef de l’État russe ont tenté de dialoguer, et cette tentative a donné lieu à un résultat pour le moins mitigé.</p>
<p>L’entreprise a été un relatif succès, car elle a permis à Poutine de s’adresser au grand public américain et de tenter de saper le soutien de celui-ci à la politique pro-ukrainienne conduite par l’administration Biden, dans un contexte où les dirigeants russes sont privés d’accès aux grands médias occidentaux. Le président russe s’est donc vu offrir la possibilité d’exposer longuement sa vision géopolitique du monde – quoi qu’on pense de celle-ci. En outre, les <a href="https://theconversation.com/how-you-can-tell-propaganda-from-journalism-lets-look-at-tucker-carlsons-visit-to-russia-223829">vidéos ultérieures tournées par Carlson en Russie</a> et publiées sur ses réseaux sociaux ont montré qu’à Moscou la vie continuait comme si de rien n’était, ce qui n’est que rarement mis en avant par les grands médias occidentaux.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1760616703287853139"}"></div></p>
<p>Mais l’entretien a également mis en évidence les limites du partenariat supposé entre les conservateurs américains et la Russie. Contrairement aux attentes des observateurs, Poutine n’a pas profité de l’occasion pour mener une offensive de charme auprès de l’électorat républicain et de l’opinion conservatrice mondiale. Il ne s’est pas non plus étendu sur « l’Occident libéral décadent » et ses « valeurs perverties ». Interrogé sur Dieu, il n’a pas parlé de spiritualité et de valeurs traditionnelles, alors que la religion est au cœur de tout discours conservateur américain.</p>
<p>Il a préféré faire à son hôte un <a href="https://www.independent.co.uk/news/world/europe/putin-history-tucker-carlson-russia-b2499837.html">long exposé sur l’histoire commune de la Russie et de l’Ukraine</a>, ce à quoi Carlson ne semblait manifestement pas préparé. Comme l’a <a href="https://landmarksmag.substack.com/p/a-symposium-on-tucker-carlsons-controversial">joliment formulé</a> Paul Greiner, Carlson « aurait été ravi d’entendre un “discours d’ascenseur” sur l’histoire russe qui aurait duré trente secondes, puis une longue liste de griefs » à l’encontre de l’OTAN. Il a eu droit aux deux, mais le passage sur l’Occident a été plutôt court, celui sur l’histoire très long.</p>
<p>Cela nous donne un aperçu de l’écart de perception entre, d’une part, les conservateurs américains, pour qui l’exaltation des « racines historiques » n’implique pas une connaissance approfondie de l’histoire mondiale, et d’autre part l’establishment politique russe, qui voit l’histoire <a href="https://www.lexpress.fr/monde/europe/l-histoire-de-l-ukraine-selon-poutine-contredit-tous-les-faits-etablis_2170236.html">comme un élément essentiel de légitimation de sa politique actuelle</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-reactions-ukrainiennes-a-la-reecriture-de-lhistoire-par-vladimir-poutine-168136">Les réactions ukrainiennes à la réécriture de l’histoire par Vladimir Poutine</a>
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<p>À plusieurs reprises, Poutine s’est montré irrité par les questions de Carlson relatives à l’expansion de l’OTAN et à la légitimité du récit de « dénazification » de l’Ukraine propagé par la Russie. Les deux hommes se sont également opposés sur leur vision de la Chine : le présentateur américain a répété le discours républicain habituel selon lequel la Chine est le nouvel ennemi global aussi bien des États-Unis que de la Russie, tandis que le chef de l’État russe a non seulement défendu une vision positive du partenariat entre Moscou et Pékin, mais a aussi <a href="https://tass.com/politics/1744037">replacé la montée en puissance de la Chine et le déclin de l’Occident dans un contexte mondial plus large</a>. Là encore, les deux visions du monde sont loin d’être convergentes.</p>
<h2>Les réactions de l’extrême droite européenne</h2>
<p>Les difficultés de l’extrême droite occidentale et de l’establishment russe à trouver un langage commun se sont également manifestées dans les réactions à l’interview. Même l’extrême droite allemande, la plus ouvertement pro-russe, ne s’est pas spécialement attardée sur le contenu de l’entretien. Certains responsables de l’AfD en ont fait l’éloge ; ainsi, Steffen Kotré a souligné l’offre de Poutine de reprendre l’approvisionnement en gaz de l’Allemagne – mais ce fut le seul communiqué de presse sur le sujet publié sur le site officiel de l’AfD au Bundestag. Björn Höcke, chef officieux de la mouvance la plus radicale de l’AfD, a également salué la vidéo, la qualifiant de <a href="https://t.me/BjoernHoeckeAfD/2016">« tour de force journalistique »</a>.</p>
<p>Dans le reste de l’Europe, l’événement a été largement passé sous silence, soit parce que les dirigeants d’extrême droite ne souhaitent pas être perçus comme chantant les louages de Poutine, soit parce qu’ils ne partagent pas les orientations géopolitiques de la Russie. Nigel Farage, l’ex-chef du Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni, connu pour avoir à titre personnel noué des liens étroits avec l’extrême droite américaine, a par exemple <a href="https://www.gbnews.com/politics/us/putin-manipulating-debate-usa-ukraine-tucker-carlson">commenté</a> l’interview, mais s’est montré largement critique, la qualifiant de tentative de « propagande » pour atteindre le public américain. Il a également déclaré que Carlson aurait dû se montrer plus incisif et <a href="https://www.nationalreview.com/corner/what-tucker-carlson-didnt-ask-putin/">interroger Poutine sur Alexeï Navalny</a> (qui était encore en vie au moment de l’entretien).</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1758523710707810726"}"></div></p>
<p>En France, où <a href="https://theconversation.com/entre-le-rassemblement-national-et-la-russie-une-longue-lune-de-miel-181633">l’extrême droite penche nettement du côté de Moscou</a>, la stratégie a consisté à atténuer les appréciations positives pour éviter de prêter le flanc à des critiques publiques. Ainsi, ni les comptes officiels sur les réseaux sociaux du Rassemblement national, ni ceux de Reconquête n’ont publié quoi que ce soit sur l’interview. Seules quelques voix l’ont commentée individuellement, comme <a href="https://twitter.com/ChagnonPatricia/status/1756307189755470134">Patricia Chagnon-Clevers</a>, députée RN au Parlement européen, ou <a href="https://twitter.com/NicolasDumasLR/status/1755950436413059170">Nicolas Dumas</a>, élu régional de Reconquête.</p>
<p>En Espagne, la couverture de l’interview a été faible. Plusieurs articles <a href="https://www.publico.es/internacional/putin-despacha-periodista-ultra-amigo-abascal-paz-depende-washington.html">ont souligné que Carlson est un « ami » du leader de Vox, Santiago Abascal</a>, l’a récemment interviewé et a assisté à un meeting à ses côtés en novembre dernier, mais ils se sont davantage intéressés à Carlson qu’à Poutine. L’extrême droite italienne n’a pas non plus beaucoup évoqué l’interview elle-même, puisque Georgia Meloni est de toute façon très atlantiste et pro-ukrainienne.</p>
<p>Cela contraste avec la visibilité médiatique, du côté russe, de la visite de Carlson à Moscou, qui a été largement suivie et commentée par les médias nationaux. À cette occasion, l’idéologue ultra-radical Alexandre Douguine a notamment publié un billet exalté consacré au « <a href="https://www.arktosjournal.com/p/tucker-carlson-and-maga-communism">communisme MAGA</a> », réunissant Trump et Marx, et a déclaré que les patriotes américains et les forces de gauche pouvaient œuvrer ensemble pour saper l’hégémonie libérale des États-Unis dans le monde.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1757015299268727146"}"></div></p>
<h2>Les réactions des conservateurs et de l’extrême droite aux États-Unis</h2>
<p>Même aux États-Unis, la réaction de la droite à l’interview a été très faible. Certains commentateurs conservateurs « mainstream », comme Ben Shapiro, Richard Hannia et Matt Walsh, se sont montrés favorables à Carlson, mais ont estimé que l’interview n’était pas efficace. Hannia a jugé que l’interview montrait que Poutine, dans son obsession de l’histoire, était <a href="https://twitter.com/RichardHanania/status/1755750991964913902">« déconnecté »</a> et Shapiro est allé encore plus loin, <a href="https://twitter.com/benshapiro/status/1755950137803722820">qualifiant</a> la longue diatribe de Poutine sur l’histoire russe de mauvaise justification pour ce qui était en fin de compte « une invasion barbare d’un pays souverain ».</p>
<p>D’autres ont semblé acquiescer aux commentaires de Poutine. Charlie Kirk, fondateur de « Turning Point USA », a choisi de publier des extraits de l’entretien sans commentaire, concluant seulement que Carlson avait livré avec cette interview une « masterclass ». Candice Owens, personnalité médiatique de droite radicale et contributrice régulière du Daily Wire, a soutenu l’affirmation de Poutine selon laquelle les États-Unis (y compris le président) étaient contrôlés par les services de renseignement américains et a <a href="https://youtu.be/5BdtMv-vyn0?si=OgpjyFAYDhoNXHR2">loué</a> la version de l’histoire russe donnée par Poutine.</p>
<p>Les personnalités de la droite la plus radicale se sont montrées nettement plus réceptives à l’interview. L’activiste politique d’extrême droite Jack Posobiec a <a href="https://twitter.com/HumanEvents/status/1756054087425040484">déclaré</a> que, bien qu’il ne soit pas d’accord avec une grande partie des propos de Poutine, il était intéressant de noter que celui-ci était prêt à faire la paix malgré les griefs historiques qu’il a rappelés. Il a également <a href="https://twitter.com/HumanEvents/status/1756046152519020611">considéré</a> que Poutine était impressionnant dans sa capacité à parler longuement de l’histoire de la Russie, tandis les États-Unis sont, selon lui, dirigés par un président qui est « pratiquement un légume ». Jackson Hinkle, apologiste de la Russie et commentateur d’extrême droite bien connu, a livré une <a href="https://twitter.com/ElijahSchaffer/status/1755795057284927808">analyse chaotique</a> de l’interview dans sa conversation avec le podcasteur Elijah Schaffer. Les deux hommes ont soutenu Poutine et ont déploré que Zelensky soit traité avec trop de complaisance par les journalistes occidentaux.</p>
<p>Cette opinion est partagée par d’autres commentateurs d’extrême droite, comme Tim Pool, qui s’est <a href="https://twitter.com/Timcast/status/1755595593982886043">plaint</a> que les médias avaient fait un moins bon travail en interviewant Zelensky, ou <a href="https://rumble.com/v4c905i-putin-x-tucker-interview.html">Nick Fuentes</a>, qui a exprimé à plusieurs reprises son admiration à l’égard de Poutine, même s’il a estimé que sa leçon d’histoire ne trouverait pas d’écho auprès du public américain et que l’ensemble de l’entretien n’avait « pas été révolutionnaire » puisqu’il n’avait apporté aucune nouvelle information ou révélation.</p>
<p>Quant aux élus républicains, ils sont pour la plupart restés critiques à l’égard de Poutine et ont <a href="https://www.politico.com/news/2022/02/01/gop-tucker-carlson-ukraine-00004370">rejeté</a> les efforts de Carlson visant à saper le soutien américain à l’Ukraine. Toutefois, cette position n’est pas partagée par tous. Quand Carlson a annoncé que l’entretien aurait lieu, l’élue de Géorgie Marjorie Taylor Greene a <a href="https://www.businessinsider.com/taylor-greene-defends-prospect-tucker-carlson-interviewing-putin-in-moscow-2024-2">défendu</a> cette initiative. Matt Gaetz (élu de Floride) a également salué l’interview et, après sa diffusion, <a href="https://twitter.com/mattgaetz/status/1755991276476924208">a fait remarquer</a> à quel point il trouvait impressionnante la capacité de Poutine à parler longuement d’histoire, alors que Joe Biden semble avoir des problèmes de mémoire. Le sénateur de l’Ohio JD Vance a <a href="https://twitter.com/JDVance1/status/1756031269517902297">critiqué</a> le fait que Carlson n’ait pas interpellé Poutine sur l’emprisonnement des journalistes, mais a <a href="https://twitter.com/JDVance1/status/1756091114732269846">souligné</a> l’importance de la longue diatribe de Poutine sur l’histoire.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1758200227217932653"}"></div></p>
<p>Aussi divisée que soit la droite américaine dans son interprétation de l’interview, une chose est certaine : celle-ci n’a pas été au cœur de ses préoccupations. L’entretien a été éclipsé par deux autres événements qui ont eu lieu le 8 février. D’abord, <a href="https://www.politico.com/news/2024/02/08/trump-supreme-court-oral-arguments-transcript-00140499">l’audition par la Cour suprême</a> des arguments des parties dans l’affaire en cours <a href="https://www.oyez.org/cases/2023/23-719">Trump v. Anderson</a> sur la question de savoir si Donald Trump peut être empêché de se présenter à la prochaine présidentielle en raison de son implication dans l’insurrection du 6 janvier 2021. Les juges de la Cour suprême se sont montrés uniformément sceptiques à l’égard de l’argument selon lequel les États peuvent choisir de disqualifier des candidats en vertu du 14<sup>e</sup> amendement, un point de vue qui a été largement salué par la droite.</p>
<p>Le deuxième événement qui a éclipsé l’interview de Poutine est la conférence de presse surprise du président Joe Biden sur le <a href="https://www.npr.org/2024/02/08/1229805332/special-counsel-report-biden-classified-documents">rapport</a> du ministère de la Justice concernant sa gestion de documents classifiés. Prenant la parole à peu près au moment où l’interview de Tucker Carlson était diffusée, Joe Biden s’est montré à cette occasion vif d’esprit, mais a commis une <a href="https://www.theguardian.com/us-news/video/2024/feb/09/israeli-offensive-on-gaza-over-the-top-says-biden-video">gaffe malencontreuse</a> : parlant du refus égyptien d’ouvrir le point de passage de Rafah entre l’Égypte et la bande de Gaza, il a déclaré que ce refus était dû au « président du Mexique, Sissi ». La droite américaine n’a évidemment pas manqué l’occasion de se moquer du président Biden et de marteler qu’il était inapte à exercer ses fonctions.</p>
<h2>Les droites dures occidentales et la Russie : accords et dissonances</h2>
<p>Il existe une véritable affinité idéologique <a href="https://www.cairn.info/revue-cites-2023-1-page-113.htm">entre l’extrême droite occidentale et la Russie</a> : une ontologie conservatrice commune de l’humanité qui croit à des identités collectives héritées du passé, dont les individus ne devraient pas chercher à se libérer ; une dénonciation de la démocratie et du libéralisme, ainsi que de la mondialisation, aussi bien économique que normative et culturelle ; une vision de l’État-nation comme entité suprême sur la scène internationale ; et une certaine admiration mutuelle et des emprunts ou idéologiques réciproques.</p>
<p>Cependant, cet ensemble de valeurs partagées ne suffit pas à donner lieu à une coopération politique et stratégique explicite. Le fait que Poutine ait décidé de se concentrer sur l’histoire nationale comme argument central pour justifier sa guerre en Ukraine, c’est-à-dire d’insister sur ce qui rend la Russie unique et non sur ce qu’elle partage avec l’Occident conservateur, est révélateur. Le fait que Carlson soit arrivé sans préparation et apparemment sans connaître la vision russe de la guerre, et qu’il ait tenté d’introduire dans la discussion les paradigmes habituels de la culture américaine en matière de politique étrangère sans se rendre compte qu’ils n’ont pas de sens pour les Russes, est également parlant.</p>
<p>Si le Kremlin croit sincèrement en l’existence d’un « bon » Occident, conservateur, prêt à se réconcilier avec lui au nom d’intérêts nationaux bien compris, cela ne fait pas pour autant de Trump un partenaire naturel et facile pour la Russie. Cela ne signifie évidemment pas que le trumpisme et la Russie ne peuvent pas prendre ensemble des décisions qui auraient un impact sur l’ordre mondial – mais il serait erroné de croire que ces deux parties sont capables de conduire une attaque coordonnée contre la démocratie libérale sur la base d’arguments idéologiques parfaitement ciselés.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/224342/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>La réaction des extrêmes droites européennes et américaine à l’entretien Carlson-Poutine a mis en lumière les divergences existant entre cette mouvance et le Kremlin plus que leurs points d’accord.Marlene Laruelle, Research Professor of International Affairs and Political Science, George Washington UniversityJohn Chrobak, Research Program Coordinator for the Illiberalism Studies Program, George Washington UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2216832024-02-05T15:14:07Z2024-02-05T15:14:07ZTrois raisons de ne pas qualifier l’extrême droite de populiste<p>Le terme <em>populisme</em> fait partie des plus entendus et des plus galvaudés de ces dernières années. Employé <a href="https://theconversation.com/le-populisme-un-terme-trompeur-106361">à tort et à travers</a> tant dans la presse politique que dans la littérature académique, il qualifie – le <a href="https://absp.be/article/populisme-voila-lennemi/">plus souvent de façon péjorative</a> – toutes sortes de partis et figures politiques qui n’ont pourtant rien à voir les uns avec les autres. On dit que Donald Trump est populiste alors que c’est Barack Obama qui se <a href="https://time.com/4389939/barack-obama-donald-trump-populism/">revendique</a> de la tradition populiste américaine. On le dit de <a href="https://www.lesechos.fr/idees-debats/editos-analyses/argentine-le-dangereux-populisme-liberal-de-javier-milei-2030695">Javier Milei</a> alors qu’il a précisément fait campagne contre le populisme argentin incarné par le péronisme. Mais sait-on seulement ce que représente, historiquement, le populisme ?</p>
<h2>Des origines démocrates et anti-oligarchiques</h2>
<p>Le premier mouvement à se revendiquer populiste émergea aux États-Unis à la fin du XIX<sup>e</sup> siècle. Loin des clichés contemporains sur l’anti-pluralisme fondamental du populisme, il s’agissait d’un mouvement <a href="https://www.editionstextuel.com/livre/lantipopulisme_ou_la_nouvelle_haine_de_la_democratie">défendant la démocratie</a> et les garanties constitutionnelles de la liberté contre les dérives oligarchiques du pouvoir en place. Certains de ses membres <a href="https://lavamedia.be/fr/la-longue-histoire-du-populisme/">partageaient les préjugés racistes</a> du Parti républicain et du Parti démocrate d’alors, mais l’orientation générale du mouvement était sociale et démocratique et il comportait – au contraire des autres partis – un nombre significatif d’afro-américains. Le People’s Party (Parti du peuple) qui émergea de ce mouvement essentiellement paysan finit par être absorbé par le Parti socialiste américain et par le Parti démocrate.</p>
<p>Pratiquement au même moment apparurent, en Russie, les <a href="https://www.librairie-gallimard.com/livre/9782070281664-les-intellectuels-le-peuple-et-la-revolution-tome-1-histoire-du-populisme-russe-au-XIXe-si%C3%A8cle-franco-venturi/">narodniki</a>, un mouvement d’intellectuels démocrates et socialistes qui entendaient prêter leur voix à la paysannerie opprimée et s’opposer au Tsar. Dans ce mouvement, comme chez les populistes américains, on ne trouve ni anti-pluralisme, ni leader charismatique, ni opposition aux institutions représentatives. Plutôt une <a href="https://aoc.media/opinion/2022/03/01/en-russie-la-potentialite-emancipatrice-du-peuple/">forme d’anti-oligarchisme au nom du peuple et de la démocratie</a>. Ce mouvement finira par se diviser entre une aile libérale et une aile socialiste qui, après s’être convertie au marxisme, fonda la social-démocratie russe. Les deux ailes restèrent attachées aux libertés démocratiques.</p>
<h2>Les dérives d’un concept</h2>
<p>Alors comment se fait-il que le terme <em>populiste</em>, revendiqué par ces deux mouvements, ait pu dériver au point de qualifier aujourd’hui tout ce qu’ils auraient rejeté – notamment l’autoritarisme oligarchique de Donald Trump et de Vladimir Poutine, ces nouveaux Tsars ?</p>
<p>La distance historique et le manque de documentation ont peut-être joué un rôle dans le cas du populisme russe, mais certainement pas dans le cas du populisme américain, qui est très bien documenté. Nous avons donc développé <a href="https://www.researchgate.net/publication/377001107_Populism_and_democracy_a_reassessment">trois hypothèses explicatives</a>.</p>
<p>Un premier moment de la <a href="http://www.populismus.gr/wp-content/uploads/2016/07/WP3-jaeger-final-upload.pdf">dérive sémantique</a> fut la réinterprétation du populisme américain par plusieurs politistes, dans les années 1950, comme la préfiguration du <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Maccarthysme">maccarthysme</a> ou même du fascisme. Ces réinterprétations ont depuis été remises en cause par les historiens, qui soulignent aujourd’hui le <a href="https://www.editionstextuel.com/livre/lantipopulisme_ou_la_nouvelle_haine_de_la_democratie">caractère profondément démocratique du populisme américain</a>, qui visait à renforcer la démocratie représentative et non à l’affaiblir.</p>
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<p>Une deuxième étape, plus décisive, fut l’application du terme <em>populisme</em> à des régimes latino-américains – principalement le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/P%C3%A9ronisme">péronisme</a> en Argentine – par des auteurs comme le sociologue <a href="https://www.taylorfrancis.com/books/mono/10.4324/9780429336072/authoritarianism-fascism-national-populism-gino-germani">Gino Germani</a>. Le terme a été appliqué de l’extérieur, car ces régimes, contrairement aux exemples américain et russe, ne se qualifiaient pas eux-mêmes de populistes. En qualifiant le péronisme de « national-populiste », Germani voulait marquer la différence entre le péronisme et des formes de nationalisme qui n’avaient pas sa dimension sociale-égalitaire (à côté de sa dimension autoritaire). Mais le résultat est que le mot populisme fut associé de ce fait aux autres caractéristiques du péronisme (ses aspects nationaliste et autoritaire) qu’il ne visait pourtant pas à désigner.</p>
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<p>Un troisième moment, d’une plus grande ampleur politique, a été celui des années 1980. En France, en Italie et en Autriche tout d’abord, les partis d’extrême droite ont remporté leurs premiers grands succès électoraux sur le sol européen depuis la Seconde Guerre mondiale et ont donc commencé à rechercher une forme de normalisation et de respectabilité. Ces partis ont stratégiquement adopté un langage démocratique et ont donc renoncé à formuler leur nationalisme xénophobe en termes d’opposition à la démocratie parlementaire. Cela a conduit un grand nombre de commentateurs politiques à parler à leur propos de « populisme », ce qui était à bien des égards une <a href="https://editions-croquant.org/sociologie/823-le-populisme-du-fn-un-dangereux-contresens.html">erreur de dénomination</a>.</p>
<p>L’extrême droite s’est alors joyeusement emparée du terme pour mieux se légitimer comme démocratique et pour séduire la classe ouvrière. En effet, quel parti à la recherche de succès électoral refuserait d’être présenté comme défenseur du peuple ? À l’heure actuelle, de nombreuses figures de l’extrême droite internationale (Viktor Orban, Steve Bannon, Éric Zemmour) se revendiquent « populistes », entendant ainsi se montrer plus démocratiques que leurs détracteurs qui, en utilisant le terme comme arme de stigmatisation, montrent leur mépris du peuple et leur adhésion à un idéal élitiste ou technocratique incompatible avec la démocratie.</p>
<h2>Éviter le contresens</h2>
<p>On pourrait en conclure que le terme a désormais changé de sens et que c’est l’usage contemporain qui doit prédominer. Nous pensons néanmoins qu’il y a <a href="https://www.researchgate.net/publication/377001107_Populism_and_democracy_a_reassessment">de bonnes raisons</a> d’éviter de s’aligner sur l’usage aujourd’hui dominant.</p>
<p>La première, c’est que quand un concept est trop large, désigne trop de choses différentes, il n’est <a href="https://journals.openedition.org/ress/6797">plus très utile</a>. C’est le cas du concept de populisme tel qu’il est aujourd’hui utilisé. S’il désigne à la fois un mouvement égalitariste et ancré à gauche comme <a href="https://www.cairn.info/revue-du-crieur-2015-2-page-86.htm">Podemos</a> en Espagne et son opposé politique – un autoritarisme xénophobe et favorable aux plus riches, comme Donald Trump –, il n’est plus d’aucune aide. Car le seul point commun entre les deux est un vague appel au peuple qui est en fait un trait commun de la plupart des mouvements qui cherchent un soutien électoral, et un discours anti-establishment que tiennent pratiquement tous les partis d’opposition qui veulent remplacer les partis au pouvoir.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1082260768148594688"}"></div></p>
<p>La seconde, c’est qu’en s’alignant sur l’usage contemporain dominant, on en arrive à des conclusions historiquement absurdes, comme lorsque le politologue <a href="http://www.premierparallele.fr/livre/quest-ce-que-le-populisme">Jan-Werner Müller</a> doit affirmer que le mouvement populiste américain n’était pas populiste, pour préserver la définition qu’il utilise. Ou comme lorsqu’on désigne Donald Trump comme l’héritier du populisme alors que c’est Bernie Sanders (mieux qu’Obama) qui incarne la continuité avec le populisme historique.</p>
<p>La troisième raison c’est qu’on fait le jeu de l’extrême droite en l’affublant d’un terme qui lui offre un pedigree démocratique et une légitimité populaire, dissimulant ce faisant ses tendances profondément autoritaires et sa grande complaisance à l’égard des plus fortunés, à rebours de l’anti-oligarchisme démocratique des populismes historiques.</p>
<h2>Retrouver le populisme sans l’idéaliser</h2>
<p>Contre cet usage dominant, <a href="https://www.researchgate.net/publication/377001107_Populism_and_democracy_a_reassessment">nous suggérons</a> de préserver le terme <em>populiste</em> pour qualifier des mouvements politiques qui ont un agenda égalitaire ou démocratique, entendent défendre les classes les plus défavorisées contre des captations oligarchiques de la démocratie, et qui plutôt que de s’appuyer sur une idéologie bien définie comme le socialisme par exemple, en appellent au sens commun démocratique.</p>
<p>Reposant sur une idéologie très fine, le populisme peut prendre différentes formes. Il n’offre en effet pas une vision claire de ce que serait une société juste ou une démocratie idéale. Selon les contextes dans lesquels ils émergent, les mouvements populistes peuvent donc entretenir différents types de rapports aux institutions politiques. Dans des systèmes politiques sclérosés où les partis politiques sont déconnectés de leurs électeurs, les populistes sont très susceptibles de dénoncer les institutions représentatives existantes, mais plus par attachement à la démocratie populaire que par anti-pluralisme.</p>
<p>Le populisme bien défini n’est donc <a href="https://theconversation.com/le-populisme-est-il-vraiment-un-risque-politique-pour-les-democraties-87013">pas une menace pour la démocratie</a> – mais cela ne veut pas dire non plus que ce soit nécessairement la solution la plus prometteuse ! En particulier, dans le contexte européen contemporain, où la crise de la démocratie représentative se marque dans le déclin des corps intermédiaires (partis et syndicats) qui assuraient le lien continu entre les groupes sociaux et l’État, la difficulté des mouvements populistes à reconstruire ces canaux de médiation de façon durable constitue un écueil fondamental du point de vue démocratique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221683/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pierre-Etienne Vandamme a reçu des financements du FWO (Research Foundation - Flanders).</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Arthur Borriello et Jean-Yves Pranchère ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>Employé avec largesse, le terme « populisme » est associé à des partis et figures politiques n’ayant rien à voir les uns avec les autres. Mais alors, qu’est-ce donc que le populisme ?Pierre-Etienne Vandamme, Chercheur en théorie politique, KU LeuvenArthur Borriello, Professor, Université de NamurJean-Yves Pranchère, Professeur, Université Libre de Bruxelles (ULB)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2222302024-02-01T14:55:59Z2024-02-01T14:55:59ZArgentine : de qui le libertarien Javier Milei s’inspire-t-il ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/571967/original/file-20240129-15-ptpo3h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C2048%2C1364&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Javier Milei au Forum économique mondial à Davos le 17janvier 2024.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/worldeconomicforum/53470873389/in/photolist-2psXJES-2pt3cLa-2pt2k1g-2pt2k2i-2pt3JZt-2psY18k-2psYJfd-2psTouF-2psT8s1-2pt16wB-2pt3Lif-2pt3dV9-2pt3Lg1-2pt2iNm-2pt3cGC-2psVXB3-2pt1zki-2pt3JYw-2pt1zcT-2pt3JRC-2pt3JNM-2pt2iMz-2psVXA1-2pt1zgL-2pt3JVL-2pt2iGp-2pt3JNb-2pt3cAL-2psVXsk-2pt2iBQ-2pt18qg-2pt18sA-2pt1av3-2psToM9-2psToGz-2pt1amL-2psXY69-2psToQq-2psZDbu-2psZD8y-2psTmFW-2psToJt-2pt1aiz-2psZBm2-2psXYgV-2pt18vX-2psY1au-2psZzeS">World Economic Forum Annual Meeting</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p>L’élection de Javier Milei <a href="https://theconversation.com/topics/argentine-45194">à la tête de l’exécutif argentin</a> a déjà été <a href="https://theconversation.com/le-dilemme-milei-et-lavenir-incertain-de-largentine-219556">largement commentée</a>, beaucoup s’interrogeant sur le personnage et ses idées radicales. Le <a href="https://legrandcontinent.eu/fr/2024/01/18/milei-a-davos-le-discours-integral/">discours</a> prononcé lors du Forum économique mondial de Davos (Suisse) le 17 janvier par ce premier président ouvertement libertarien nous donne l’occasion de revenir sur les <a href="https://theconversation.com/topics/histoire-des-idees-63303">racines intellectuelles</a> de son engagement politique, à savoir <a href="https://www.cairn.info/revue-cahiers-d-economie-politique-1-2006-2-page-27.htm">l’école économique autrichienne</a>.</p>
<p>Cette tradition de pensée, fondée à Vienne par Carl Menger, Eugen von Böhm-Bawerk et Friedrich von Wieser, s’est enrichie tout au long du XX<sup>e</sup> siècle, en particulier des travaux de Ludwig von Mises et Friedrich Hayek. Ce dernier a été récompensé par un « Nobel » d’économie en 1974. Prônant un libéralisme radical, cette hétérodoxie longtemps marginalisée séduit aujourd’hui de nombreux esprits.</p>
<p>Javier Milei n’a jamais fait mystère de ses inspirations, loin de là. Dans ses interviews, il s’est souvent référé à un disciple américain de Mises, l’anarchocapitaliste Murray Rothbard, qui voit dans l’existence de l’État la source même de toutes les inefficacités économiques et de la destruction de l’éthique de la liberté. Cependant, lorsque Milei dénonce, à Davos, les dangers de l’interventionnisme, vante les mérites d’une concurrence entrepreneuriale ou s’attaque au concept de justice sociale, il mobilise plus particulièrement des idées d’Hayek sur lesquelles nos <a href="https://www.michalon.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=68853">travaux</a> reviennent par ailleurs.</p>
<p>Selon Hayek, lorsque les prix sont réglementés, manipulés par des interventions qu’il juge arbitraires, ils ne peuvent plus jouer leur rôle, celui de synthétiser des connaissances potentiellement dispersées dans des millions de cerveaux individuels. Devenant incapables d’incorporer la même somme d’intelligence sociale que s’ils étaient libérés de tout dirigisme, ils n’aiguillent plus les ressources dans les directions prévues : c’est le paradoxe de l’interventionnisme que l’auteur met en évidence dans son livre le plus célèbre, <em>la Route de la Servitude</em> de 1944.</p>
<p>Du fait des effets pervers engendrés par ses propres actions, l’État serait par définition incapable d’atteindre les buts qu’il se fixe. Il crée alors une nouvelle réglementation pour corriger les dégâts de la précédente, produisant alors un nouveau déséquilibre qu’il essaie de corriger par une intervention supplémentaire. S’engage une course sans fin vers toujours plus de réglementation.</p>
<p>D’étape en étape, la vie tout entière devient bureaucratisée au nom du contrôle et d’une soi-disant prévisibilité. Les normes s’accumulent. L’ordre spontané est remplacé par une économie administrative qui ne produirait qu’inefficacité, gaspillage et contradictions. L’économie, entravée, désorientée, découragée, produit de moins en moins de richesses.</p>
<p>Pour Hayek, dans une situation de complexité aussi forte que la nôtre, aucun État ne peut assurer l’ordre économique. La « prétention à la connaissance », c’est-à-dire la volonté de nos dirigeants d’ignorer leur propre ignorance, afin d’intervenir toujours plus, est la source du déclin des économies capitalistes occidentales. Tel est le message hayekien adressé par Milei dans son discours de Davos.</p>
<h2>Face à la « caste »</h2>
<p>Cette situation d’interventionnisme discrétionnaire, gouverné par les rapports de forces institutionnels, serait aussi le fruit d’un clientélisme politique : un soutien électoral qui se monnaye en échange de subsides, de protections, de revenus arbitrairement accordés par les autorités publiques et les banques centrales. Des individus se coaliseraient pour obtenir de l’État un niveau de richesses qu’ils sont incapables de réaliser par leurs propres efforts productifs.</p>
<p>À Davos, Milei a dénoncé des castes privilégiées et parasitaires qui se drapent d’une identité communautaire pour légitimer leurs revendications :</p>
<blockquote>
<p>« Ne vous laissez pas intimider ni par la caste politique ni par les parasites qui vivent de l’État. Ne vous soumettez pas à une classe politique qui ne cherche qu’à se perpétuer au pouvoir et à maintenir ses privilèges. »</p>
</blockquote>
<p>Ces groupes se serviraient idéologiquement auprès de l’opinion du concept de justice sociale (qui pour, Hayek n’est rien d’autre qu’un mirage car impossible à définir objectivement) pour transférer dans leurs poches une richesse créée par autrui. Ce système de prédation encourage ses victimes à s’organiser eux-mêmes en communautés revendicatrices pour échapper à la spoliation.</p>
<p>Sous le prétexte d’une plus grande égalité, chacun finit par voler tout le monde, dans une forme de <a href="https://www.lemonde.fr/livres/article/2023/12/22/l-obsession-egalitaire-d-erwan-le-noan-la-chronique-essai-de-roger-pol-droit_6207348_3260.html">parasitisme destructeur du lien social</a>. En étouffant la création de valeur, cette redistribution généralisée animée par la recherche de rentes (le <em>rent-seeking</em>) conduit tout droit l’économie dans des trappes à pauvreté, thèse que nous reprenons dans un <a href="https://editionsdelaube.fr/catalogue_de_livres/la-societe-de-la-regression-le-communautarisme-a-lassaut-de-lindividu/">ouvrage récent</a>.</p>
<h2>« Héros de l’économie moderne »</h2>
<p>Pour Hayek, la solution passe par un strict retour à l’État de droit, et au rétablissement d’un marché libre, véritablement efficace car inspiré par l’esprit entrepreneurial. En effet, le marché n’est rien d’autre que l’expression monétaire des échanges individuels réalisés grâce aux découvertes des entrepreneurs.</p>
<p>Milei cite volontiers Israel Kirzner, un disciple de Hayek, qui explique que les entrepreneurs sont la clef de voûte d’une concurrence définie comme une procédure de découverte :</p>
<blockquote>
<p>« Les partisans de la justice sociale partent de l’idée que l’ensemble de l’économie est un gâteau qui peut être partagé différemment, mais ce gâteau n’est pas donné, c’est une richesse qui est générée dans ce qu’Israël Kirzner appelle un “processus de découverte”. Si le bien ou le service offert par une entreprise n’est pas désiré, cette entreprise fait faillite, à moins qu’elle ne s’adapte à la demande du marché. Si elle fabrique un produit de bonne qualité à un prix attractif, elle se portera bien et produira davantage. Le marché est donc un processus de découverte dans lequel le capitaliste trouve la bonne direction au fur et à mesure. »</p>
</blockquote>
<p>En débusquant les opportunités cachées, en ajustant en permanence les activités de la façon la plus décentralisée possible à l’évolution des savoirs et des besoins, les entrepreneurs seraient les « héros de l’économie moderne », comme le proclamait aussi <a href="https://www.michalon.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=77609">Ayn Rand</a>, autre compagne de route de l’école autrichienne.</p>
<p>Tous ces auteurs défendent la « fertilité de la liberté » : l’information véhiculée par le marché à travers les découvertes entrepreneuriales encourage une complexité des activités et un niveau de division du travail qui est l’unique manière de <a href="https://lirsa.cnam.fr/medias/fichier/hayekhtml__1263317035974.html">faire survivre et cohabiter pacifiquement des populations sur une grande échelle</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1733971490112933971"}"></div></p>
<p>Faisant d’un « ennemi » un « ami », seul l’échange marchand (la « catallaxie » dans le langage hayekien) peut assurer une complémentarité généralisée des intérêts entre les êtres humains au sein « d’ordres étendus » ayant permis d’accroître la population et le revenu par tête dans des proportions inouïes. Javier Milei l’a souligné à l’envi dès le début de son discours pour mettre en valeur les accomplissements historiques d’un capitalisme libéré de ses entraves :</p>
<blockquote>
<p>« Croyez-moi, il n’y a personne de mieux placé que nous, Argentins, pour témoigner de ces deux questions. Lorsque nous avons adopté le modèle de la liberté – en 1860 – nous sommes devenus en 35 ans la première puissance mondiale, tandis que lorsque nous avons embrassé le collectivisme, au cours des cent dernières années, nous avons vu comment nos citoyens ont commencé à s’appauvrir systématiquement, jusqu’à tomber au 140<sup>e</sup> rang mondial. »</p>
</blockquote>
<h2>Milei peut-il faire triompher ses idées seul ?</h2>
<p>Tout chez Milei n’emprunte toutefois pas à l’école autrichienne : sans doute Hayek aurait-il été loin de partager son mélange de rhétorique nationale, de fondamentalisme religieux et d’objectivisme moral. Les positions du président argentin sur l’avortement font bien plus appel à Donald Trump et à la droite américaine qu’au libéralisme subjectiviste autrichien. On peut aussi relever une vision primaire du thème des externalités (comment intégrer au marché les conséquences non voulues de son fonctionnement, telles que la pollution atmosphérique par exemple), une analyse simpliste des mécanismes d’interaction sociale et l’absence de réflexion sur les coûts de la liberté parallèlement à ses gains.</p>
<p>Ce moment où Milei est confronté à une <a href="https://www.la-croix.com/greve-generale-en-argentine-milei-face-a-une-premiere-contestation-20240124">première vague de contestations dans son propre pays</a> est aussi l’occasion de poser des questions cruciales : son élection correspond-elle vraiment à un désir des Argentins de bénéficier d’un authentique libéralisme entrepreneurial et d’assumer individuellement les risques de la compétition ? Ou bien espèrent-ils restaurer un libéralisme conservateur, soucieux de reconstituer des rentes de la propriété laminées par une <a href="https://www.latribune.fr/economie/international/argentine-l-inflation-atteint-des-sommets-a-plus-de-200-en-2023-987683.html">inflation de plus de 200 %</a>, et qui n’hésitera pas à s’affranchir des règles de la concurrence si elle menace des intérêts corporatistes ?</p>
<p>La présidence de Milei sera aussi l’occasion d’examiner une question rarement traitée par les libéraux, qui est de savoir s’il est possible de construire un libéralisme entrepreneurial dans un pays indépendamment des autres. À l’heure où l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a <a href="https://www.impots.gouv.fr/actualite/entree-en-application-en-2024-dun-impot-minimum-pour-les-groupes-dentreprises#:%7E:text=Conform%C3%A9ment%20aux%20r%C3%A8gles%20coordonn%C3%A9es%20d%C3%A9velopp%C3%A9es,une%20p%C3%A9riode%20de%204%20ans">décidé la mise en place d’un impôt minimal</a> pour les plus grandes entreprises, on doit se demander si le libéralisme d’une nation inscrite dans la division internationale du travail est viable si ses partenaires commerciaux ne respectent pas les mêmes règles du jeu. Malgré les discours de campagne, on ne voit guère l’Argentine s’affranchir de relations d’échanges avec des pays comme la Chine ou le Brésil.</p>
<p>Comment interpréter alors le discours de Davos ? L’appel de Milei à suivre l’exemple argentin est-il simplement un encouragement adressé aux autres pays, dans un esprit universaliste cher aux libéraux ? Ou à l’inverse, le libéralisme de ces autres pays ne serait-il pas la condition <em>sine qua non</em> de la réussite de son propre projet national ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/222230/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Thierry Aimar ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les idées économiques du nouveau dirigeant argentin empruntent largement au schéma intellectuel défendu par l’école économique autrichienne et Friedrich Hayek.Thierry Aimar, Maître de conférences en sciences économiques, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2212512024-01-23T16:36:18Z2024-01-23T16:36:18ZÉlections européennes : les stratégies complexes des partis italiens<p>Les élections européennes revêtent en Italie, comme dans l’ensemble des États membres de l’Union européenne, une double signification. Elles représentent tout d’abord un jalon dans la vie politique interne, une échéance qui permet aux partis d’enregistrer leur niveau de popularité auprès des citoyens et d’en tirer les conclusions en termes de stratégie électorale ultérieure. Elles permettent ensuite la constitution des différents <a href="https://www.europarl.europa.eu/about-parliament/fr/organisation-and-rules/organisation/political-groups">groupes parlementaires européens</a> et débouchent sur la formation de la nouvelle législature de l’assemblée parlementaire strasbourgeoise, avec une influence directe sur la constitution de la future Commission européenne (celle-ci doit <a href="https://european-union.europa.eu/institutions-law-budget/leadership/elections-and-appointments_fr">obtenir le vote de confiance du Parlement européen</a> pour pouvoir entrer en fonction au début de son mandat).</p>
<p>En Italie, dans l’actuelle phase de pré-campagne électorale, ce sont les enjeux internes qui priment. Chaque formation est à la recherche de la tête de liste optimale afin de réaliser la meilleure performance électorale possible, gage d’une affirmation de son pouvoir à l’intérieur du pays. La coalition de droite, emmenée par la cheffe du gouvernement <a href="https://theconversation.com/fr/topics/giorgia-meloni-124819">Giorgia Meloni</a>, entend marquer la solidité de son assise alors qu’à gauche la secrétaire du Parti démocrate, <a href="https://www.rfi.fr/fr/podcasts/europ%C3%A9en-de-la-semaine/20230729-elly-schlein-l-anti-meloni-et-nouvelle-figure-de-la-gauche-italienne">Elly Schlein</a>, veut réaliser un bon score de façon à conserver sa légitimité à la tête du principal parti d’opposition pour garder la possibilité de fédérer le camp de la gauche lors des échéances futures.</p>
<h2>Calculs domestiques à droite…</h2>
<p>Le premier débat est celui relatif aux têtes de liste. Giorgia Meloni et Elly Schlein sont tentées de prendre la tête de leurs listes respectives pour les élections européennes. Si toutes deux sont convaincues de pouvoir être des locomotives efficaces pour les résultats électorats de leur formation, il s’agit également, pour l’une comme pour l’autre, de conserver le leadership au sein de leur camp.</p>
<p>Les <a href="https://www.politico.eu/europe-poll-of-polls/italy/">sondages sont actuellement très favorables à Giorgia Meloni</a> et à son parti « Fratelli d’Italia », qui récolte presque 30 % d’intentions de vote dans les enquêtes pré-électorales. Giorgia Meloni semble bénéficier d’un état de grâce après plus d’une année passée à la tête de l’exécutif italien. Cette popularité personnelle, mais aussi une <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/italie/italie-apres-15-mois-au-pouvoir-giorgia-meloni-a-imprime-sa-marque_6281874.html">pratique plutôt individuelle du pouvoir</a>, la pousse à vouloir incarner l’offre politique de son parti dans le cadre des élections européennes, ce qui réaffirmerait également son statut de cheffe de parti. Il faut également relever qu’au sein de la droite italienne on a longtemps vu Silvio Berlusconi jouer la personnalisation de son camp politique en se présentant de façon systématique comme tête de liste lors des différentes élections.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1747549199518871936"}"></div></p>
<p>Mais déjà apparaissent des contre-feux face à ces désirs de primauté. À droite, une victoire trop écrasante du parti de Giorgia Meloni ferait de l’ombre aux deux autres formations qui composent la coalition actuellement au pouvoir : Forza Italia et la Lega.</p>
<p>Forza Italia a du mal à survivre à la <a href="https://theconversation.com/italie-silvio-berlusconi-ou-la-revolution-liberale-qui-na-jamais-eu-lieu-207848">disparition de Silvio Berlusconi</a>, qui a toujours représenté la figure tutélaire de ce parti. L’actuel secrétaire de ce mouvement politique, Antonio Tajani, qui est également le ministre des Affaires étrangères de l’actuel gouvernement, est un modéré qui n’a pas le charisme de Berlusconi.</p>
<p>Aussi peut-on déjà observer une érosion électorale qui pourrait même prendre un aspect de véritable débâcle si ce parti (qui avait obtenu 8,78 % des suffrages aux européennes de 2019) passait sous la barre des 6 %. Forza Italia a longtemps été le pivot des coalitions de droite en Italie, une fonction qui s’exprimait dans les résultats mais aussi dans l’ancrage de modération qu’offrait cette formation, membre, au Parlement européen, du Parti populaire européen, qui regroupe les partis de droite dits traditionnels.</p>
<p>De plus, Forza Italia a toujours exprimé les intérêts des milieux entrepreneuriaux italiens, ne serait-ce que par l’influence importante de la famille Berlusconi en son sein. La réduction de cette formation de centre droit à une portion congrue ne représente pas un objectif politique pour Giorgia Meloni et les siens, car cela risquerait de déséquilibrer la coalition au pouvoir, mais aussi de susciter l’inimitié avec des centres de pouvoirs externes (le groupe de médias Mediaset, qui possède notamment trois chaînes de télévision et appartient à la famille Berlusconi).</p>
<p>Une autre évolution majeure au sein de la droite italienne concerne la Lega, qui semble engagée dans un cycle particulièrement négatif. Alors qu’aux élections européennes de 2019 elle caracolait en tête avec plus de 33 % des suffrages exprimés, elle se situe aujourd’hui autour de 9 % dans les enquêtes d’opinion, ce qui correspond d’ailleurs au niveau obtenu lors des dernières législatives, en 2022. La pente descendante des votes pour la Lega et Forza Italia crée également les termes d’une compétition entre les deux formations qui semblent inexorablement tirées vers le bas dans l’actuel cycle électoral.</p>
<p>La Lega et son leader, Matteo Salvini, ne veulent pas céder du terrain, si bien que la Lega apparait comme le principal compétiteur de Fratelli d’Italia, en cherchant sans relâche à déborder le parti de Giorgia Meloni sur sa droite. Il pourrait donc être paradoxalement contre-productif pour Meloni de devancer très nettement, en juin prochain, ses deux partenaires de coalition : ceux-ci pourraient dès lors être tentés de remettre en cause la viabilité de la majorité parlementaire actuelle. On pourrait penser que Giorgia Meloni serait attirée par une prise de pouvoir hégémonique ; mais le régime parlementaire italien rend assez improbable la possibilité de gouverner avec un seul parti. Il convient donc d’être attentif aux équilibres de la coalition au pouvoir.</p>
<h2>… et à gauche</h2>
<p>Ce questionnement à droite n’est pas sans conséquences sur le camp de gauche. Elly Schlein voudrait elle aussi se présenter comme tête de liste pour affirmer sa primauté sur le Parti démocrate. Cependant, des voix internes comme celles de Romano Prodi ou Enrico Letta lui conseillent de faire un pas de côté pour éviter l’opération politicienne qui consisterait à s’imposer en tête de liste pour démissionner aussitôt élue, car il semble peu probable qu’Elly Schlein choisisse d’aller siéger à Strasbourg.</p>
<p>Cette volonté de transparence exprimée par certains leaders du parti peut représenter un piège politique visant à affaiblir Schlein : si la liste du Parti démocrate obtient un score relativement médiocre, en dessous des 20 %, alors son leadership sur le parti pourrait être remis en question au bénéfice d’autres figures qui peuvent apparaître comme d’éventuels recours à gauche, comme l’actuel Commissaire européen Paolo Gentiloni.</p>
<p>Enfin, il est probable qu’Elly Schlein ne prendra sa décision qu’une fois celle de Giorgia Meloni connue, car elle voudra éviter un mano à mano avec la cheffe du gouvernement face à laquelle, dans la conjoncture actuelle, elle ferait pâle figure.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1746055296609300679"}"></div></p>
<p>Ici encore, il s’agit pour Elly Schlein de conserver la possibilité de fédérer un camp de « gauche élargie » dans une coalition capable de remporter des élections locales et nationales, en stabilisant des accords avec le Mouvement 5 Etoiles (M5S) et des formations centristes, comme « Plus d’Europe ». Cette stratégie ne peut réussir que si le Parti démocrate apparaît comme capable d’exercer l’hégémonie sur la coalition, et donc de se situer nettement au-dessus d’un M5S qui pointe à 16 % dans les sondages.</p>
<p>Il faut également relever l’actuelle marginalisation des formations du centre. Alors qu’aux dernières élections législatives Carlo Calenda et Matteo Renzi s’étaient alliés dans un groupe « Azione-Italia Viva » pour arriver à un résultat de 7,8 %, cet accord a volé en éclats et ces deux personnalités politiques ont maintenant des destins séparés. Matteo Renzi a annoncé sa candidature comme tête de liste du parti Italia Viva aux élections européennes, en espérant dépasser le seuil minimal de 4 % des votes exprimés, nécessaires pour obtenir des élus dans la loi italienne.La mésentente entre Carlo Calenda et Matteo Renzi fait peser une hypothèque sur la participation italienne au groupe Renew, un point plutôt négatif pour la formation d’Emmanuel Macron, Renaissance.</p>
<p>Par ailleurs, à gauche, on ne constate dans la phase actuelle que très peu d’espace pour d’autres sensibilités : lors des dernières législatives la liste d’alliance gauche-verte n’a enregistré que 3,6 % des suffrages, ce qui illustre le caractère étriqué du « camp de gauche » qu’Elly Schlein appelle de ses vœux.</p>
<h2>Meloni et Salvini, deux positionnements différents au Parlement européen</h2>
<p>Au-delà de ces questions essentielles pour l’avenir du panorama politique interne, il convient également de poser des questionnements sur les conséquences européennes de ce cadre électoral italien.</p>
<p>Lors de la campagne pour les européennes de 2019, le leader de la Lega Matteo Salvini, à l’époque ministre de l’Intérieur, se distinguait par son positionnement populiste et souverainiste. Ce faisant il mettait l’accent sur la défense d’une « Europe des peuples » qu’il opposait à l’Europe technocratique incarnée en particulier par le président français Emmanuel Macron. Une posture efficace : la Lega dépassait les 30 % et obtenait 25 députés au Parlement européen. Toutefois, l’influence du parti à Strasbourg s’est révélée limitée puisque ses députés siègent au sein du groupe <a href="https://www.touteleurope.eu/institutions/les-groupes-du-parlement-europeen-identite-et-democratie-id/">Identité et Démocratie</a> (ID) (en compagnie notamment des 18 élus du RN français) : or ID est resté en dehors des coalitions et n’a donc que marginalement pesé sur les débats.</p>
<p>En 2024, le scénario est différent. La Lega <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/12/03/italie-matteo-salvini-recoit-ses-allies-europeens-a-florence-dont-jordan-bardella-mais-sans-marine-le-pen_6203697_3210.html">continue d’afficher son compagnonnage avec le RN</a>, ce qui lui procurera certainement une position ancillaire au sein du futur groupe européen ID, puisque cette fois, elle obtiendra sans doute moins de députés que le RN et que, en outre, ID devrait s’élargir à davantage de formations. Cela ne devrait pas changer le relatif isolement de ce groupe au sein du Parlement européen mais cela entraînera probablement la nécessité d’élargir la coalition majoritaire au Parlement européen, face à la croissance de ce vote « hors majorité ».</p>
<p>L’affirmation du parti Fratelli d’Italia représente une variable dans le jeu politique européen. À Strasbourg, Fratelli d’Italia appartient au groupe des Conservateurs et Réformistes européens (ECR), où elle siège aux côtés de formations comme le Pis (Pologne) ou Vox (Espagne). Au cours de sa première année à la tête du gouvernement italien, Giorgia Meloni a opté pour une posture constructive au niveau européen, loin des rodomontades de Matteo Salvini. Les rencontres avec la présidente de la Commission, <a href="https://www.europe1.fr/international/lampedusa-giorgia-meloni-et-ursula-von-der-leyen-appellent-a-la-solidarite-des-europeens-4204076">Ursula von der Leyen</a>, mais aussi avec celle du Parlement européen, <a href="https://www.governo.it/en/articolo/president-meloni-meets-president-european-parliament-metsola/24518">Roberta Metsola</a>, ont confirmé cette tendance.</p>
<p>Giorgia Meloni apparait donc comme œuvrant à une probable stratégie de convergence avec la prochaine majorité de soutien à la Commission européenne, qui devrait graviter autour du PPE. Même si le groupe ECR n’en fait pas partie de manière organique, des compromis pointent déjà, ce qui devrait aboutir à une forme de « soutien externe » de la part des députés européens de Fratelli d’Italia à la future Commission. De plus, Giorgia Meloni pourrait être conduite à exercer un rôle de médiation avec Viktor Orban dans le contexte délicat de la présidence hongroise de l’Union qui débutera en juillet 2024.</p>
<p>Au sein de la coalition de droite italienne passe donc une ligne de démarcation entre populaires (Forza Italia) et conservateurs (Fratelli d’Italia) d’un côté, et Lega de l’autre, ancrée dans le groupe Identité et Démocratie.</p>
<p>Le positionnement politique de Giorgia Meloni peut lui permettre de jouer un rôle plutôt actif d’appui à la future coalition qui dominera le Parlement européen, sans toutefois en être un membre officiel, tout au moins pour le moment. Il s’agit d’une situation fragile car elle dépend du maintien de la coalition au pouvoir en Italie, <a href="https://theconversation.com/la-politique-italienne-est-elle-vraiment-atteinte-dinstabilite-chronique-187812">jamais certain</a>. Et elle caractérise une Italie qui reste à la marge du jeu européen. Il faut cependant relever combien cette situation apparaît comme en évolution par rapport aux précédentes élections de 2019 : cette fois, l’Italie se rapproche du barycentre européen.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221251/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Pierre Darnis a reçu des financements de recherche d'organismes publics (Académie d'excellence Université Côte d'Azur) ainsi que différents financements de recherche dans le cadre de projects financés par la Commission Européen (Horizon)</span></em></p>La droite au pouvoir et l’opposition de gauche s’interrogent encore sur la stratégie à adopter en vue des élections de juin prochain.Jean-Pierre Darnis, Professeur des Universités, directeur du master en relations franco-italiennes, Université Côte d'Azur, Chercheur associé à la Fondation pour la Recherche Stratégique (FRS, Paris), professeur invité à l'université LUISS de Rome, Université Côte d’AzurLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2212492024-01-22T15:36:28Z2024-01-22T15:36:28ZRemigration : ce que « l’anti-mot de l’année » en Allemagne dit du débat public actuel<p>Dans de nombreux pays européens, les fins et les débuts d’année donnent lieu au choix - parfois à l’élection - du mot/des mots de l’année, entendus comme ces unités lexicales qui condensent à elles seules tout un pan de discours, de positions, de controverses qui ont marqué les douze mois écoulés.</p>
<p>L’idée sous-jacente à ces classements, <a href="https://u-bourgogne.hal.science/halshs-03871342/">largement développée en analyse de discours</a>, est que certains mots, souvent <a href="https://www-cairn-info.proxy-bu1.u-bourgogne.fr/revue-langage-et-societe-2010-4-page-5.htm">appréhendés comme « formules »</a>, fonctionnent comme des révélateurs et des marqueurs des soubresauts et des évolutions de la société dans à peu près tous les domaines : politique, économie, vie sociale, sport, etc. Ils sont les pierres angulaires de positionnements et de postures de toute nature et leur simple énoncé active toute une série d’arguments et contre-arguments.</p>
<p>Si cette tradition n’est pas implantée en France – en tout cas pas de façon organisée et institutionalisée – elle l’est largement autour de nous. C’est le cas au Royaume-Uni, où ce sont les Presses universitaires d’Oxford qui président à ce choix et <a href="https://theconversation.com/im-an-expert-in-slang-here-are-my-picks-for-word-of-the-year-218286">ont retenu, pour 2023, le mot <em>rizz</em></a> qui désigne le charisme, le charme, l’attractivité ; ou en Belgique flamande et aux Pays-Bas, où l’éditeur de dictionnaires van Dale fait la même chose et <a href="https://www.les-plats-pays.com/article/le-mot-neerlandais-de-lannee-2023-denonce-linflation-due-a-la-cupidite">a opté, pour l’année qui vient de s’achever, pour <em>graainflatie</em></a>, un mot-valise parfois traduit par « cupideflation » en français et hérité du néologisme anglais <em>greedflation</em> pour désigner la stratégie mise en œuvre par certains industriels afin de profiter de l’inflation liée à l’augmentation des coûts pour augmenter leurs marges. Dans le même domaine de l’économie, on se souvient des discussions, pendant toute l’année 2023, en France et dans d’autres pays, autour de la paire de termes <a href="https://theconversation.com/hausses-de-prix-dissimulees-comment-reagissent-les-consommateurs-191920"><em>shrinkflation</em>/<em>réduflation</em></a>.</p>
<h2>Du mot à l’anti-mot de l’année en Allemagne</h2>
<p>En Allemagne, qui est au centre de cet article, le choix des mots de l’année est beaucoup plus institutionnalisé et connaît, chaque année, un large écho médiatique. J’utilise ici le pluriel, car <a href="https://tekst-dyskurs.eu/resources/html/article/details?id=226831">il y en a en fait plusieurs</a>.</p>
<p>Tout d’abord, le « mot de l’année », au sens strict, qui est choisi régulièrement depuis 1977, après un premier essai isolé en 1971, par une société savante, la <a href="https://gfds.de/"><em>Gesellschaft für deutsche Sprache</em></a> (société pour la langue allemande) dont le siège est à Wiesbaden. À partir d’une première collecte de mots faite dans les médias, mais aussi de propositions spontanées envoyées par des citoyens, le jury, largement composé d’experts de la langue réunis dans le bureau de l’association, opère des vagues de sélection successives pour arriver à une liste de dix mots dont celui classé numéro un prend le titre de mot de l’année.</p>
<p>Cette année, c’est <a href="https://allemagneenfrance.diplo.de/fr-fr/actualites-nouvelles-d-allemagne/08-breves-de-la-semaine/-/2635084"><em>Krisenmodus</em></a> – littéralement <em>le mode de crise</em> – qui a été retenu pour désigner cet état de crise permanente ou perpétuelle dans lequel vit l’Allemagne, et pas seulement elle, depuis la crise Covid, avec les conséquences, en particulier mentales, que peut entraîner cette situation.</p>
<p>À côté de cette première initiative, une autre fait souvent couler davantage d’encre encore : c’est <a href="https://www.unwortdesjahres.net/">l’« anti-mot » de l’année</a>, que l’on pourrait paraphraser comme le mot abject dont l’emploi est ainsi dénoncé et condamné.</p>
<p>Lancé en 1991 et d’abord choisi dans le sillage du « mot de l’année », il est depuis 1994 déterminé par un jury indépendant constitué de quatre linguistes, un journaliste et un autre membre coopté chaque année, issu des milieux de la culture et des médias. Par « anti-mot », le jury entend des formulations soit « dénuées d’humanité », soit « inadaptées pour ce qu’elles désignent ». Bref, des mots et des formules détestables qu’un emploi réfléchi de la langue ne devrait pas produire.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1746882492026458399"}"></div></p>
<p>Le but de cette action est très largement de faire réfléchir les locuteurs de l’allemand à l’utilisation de la langue en contexte, tradition très ancrée dans le monde germanophone, y compris comme discipline académique connue sous le nom de <a href="https://heiup.uni-heidelberg.de/journals/heso/issue/view/2372"><em>Sprachkritik</em></a> – critique de la langue. Les travaux du philologue Victor Klemperer <a href="https://journals.openedition.org/germanica/2464">sur la langue du Troisième Reich</a>, consignés dans son ouvrage majeur publié en 1947, prennent toute leur place dans cette tradition, tout comme la publication en 1958, sous la plume de Dolf Sternberger, Gerhard Storz et W. E. Suskind, du <a href="https://www-cairn-info.proxy-bu1.u-bourgogne.fr/revue-hermes-la-revue-2010-3-page-47.htm?contenu=article"><em>Dictionnaire de l’inhumain</em></a>, qui commentait et mettait en perspective les pires vocables de la dictature nazie.</p>
<h2><em>Remigration</em> et le spectre des affaires de l’AfD</h2>
<p>Publié ce 15 janvier par le jury décrit ci-dessus, l’anti-mot de l’année 2023 est <em>remigration</em> (qui rappelle le concept de « remigration » en français, nous y reviendrons). Les derniers événements autour du parti d’extrême droite Alternative für Deutschland (AfD) lui donnent un relief et une actualité toute particulière.</p>
<p>Dans son <a href="https://www.unwortdesjahres.net/presse/aktuelle-pressemitteilung/">communiqué de presse</a>, le jury justifie son choix par les arguments suivants. Il s’agit tout d’abord d’un euphémisme, une forme linguistique visant donc à atténuer, adoucir une réalité par trop brutale – ici le projet d’expulser par la force, voire de déporter de façon massive des personnes vivant en Allemagne et issues de l’immigration. Pour le jury, il s’agit très clairement d’un mot relevant du combat idéologique d’extrême droite, cachant les véritables intentions qu’il véhicule derrière une façade anodine.</p>
<p>Ce faisant, on assiste à un détournement de sens idéologique puisque, en tout cas pour la tradition allemande, ce terme est issu de la recherche sur les migrations et l’exil où il désigne des formes volontaires de retour dans son pays natal. Ce détournement idéologique en faisait bien sûr un candidat de choix pour être désigné « anti-mot ». Le communiqué de presse du jury continue par ailleurs en dénonçant l’objectif de la Nouvelle Droite qui se cache derrière ce terme, en l’occurrence arriver à une hégémonie culturelle et à l’homogénéité ethnique de la nation allemande.</p>
<p>Ce choix ne pouvait pas plus tomber à point nommé dans la mesure où il vient alimenter un débat enflammé qui fait rage depuis le 10 janvier dernier dans le paysage politique et médiatique allemand suite à la publication ce jour-là d’une <a href="https://correctiv.org/aktuelles/neue-rechte/2024/01/10/geheimplan-remigration-vertreibung-afd-rechtsextreme-november-treffen/">enquête</a> du site d’investigation <em>Correctiv</em>. Cette enquête très détaillée, structurée en actes à la façon d’une pièce de théâtre, révèle une rencontre secrète, le 25 novembre 2023, dans un hôtel situé près de la ville de Potsdam, organisée à l’initiative d’un dentiste retraité bien connu sur la scène d’extrême droite allemande et d’un investisseur non moins connu du secteur de la gastronomie (mais lui-même absent à ladite réunion).</p>
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<figcaption><span class="caption">Immigration : le « plan secret » de l’extrême droite allemande fait scandale, LCI, 19 janvier 2024.</span></figcaption>
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<p>Cette rencontre avait deux objectifs affichés : d’une part, la collecte de fonds de campagne pour l’AfD et diverses structures proches, existantes ou en création ; et d’autre part, la présentation et la discussion d’un « plan d’action ». Elle a réuni un certain nombre de membres de l’AfD – dont Roland Hartwig, le conseiller personnel de la dirigeante du parti Alice Weidel –, des représentants de diverses mouvances néonazies et des donateurs fortunés, pour discuter justement, dans l’hypothèse d’une accession au pouvoir de l’AfD, d’un « plan de remigration » visant une expulsion à grande échelle de plusieurs catégories de personnes.</p>
<p>Ce plan, qui constituait le point central de la rencontre, a été présenté par Martin Sellner, figure historique du mouvement identitaire autrichien. Sellner y désigne trois groupes-cibles pour la remigration : les demandeurs d’asile, les étrangers ayant droit de séjour et les citoyens « non assimilés ». Il va même plus loin en imaginant la création d’un « État-modèle », par exemple en Afrique du Nord, à même d’accueillir les groupes en question ainsi que celles et ceux qui souhaitent les soutenir. On comprend, à lire ces détails, les arguments du jury de l’anti-mot de l’année pour justifier son choix, et en particulier la dimension euphémistique du terme – et ce d’autant plus dans le contexte allemand dont l’« héritage discursif » a été rappelé ci-dessus.</p>
<p>Ces révélations ont rouvert le débat d’une éventuelle interdiction constitutionnelle du parti AfD en Allemagne, question qui revient comme un serpent de mer dans le débat politique fédéral : une pétition en cours a déjà réuni 400 000 signatures et le député chrétien-démocrate Marco Wanderwitz cherche aussi les soutiens nécessaires au sein de la Diète fédérale pour engager la procédure idoine. Dimanche 14 janvier, des manifestations organisées en réaction à ces révélations à Berlin et Potsdam ont rassemblé des dizaines de milliers de personnes, dont le chancelier Olaf Scholz et la ministre des Affaires étrangères Annalena Baerbock.</p>
<h2>Remigration – un internationalisme ?</h2>
<p>Le terme choisi comme anti-mot de l’année 2023 en Allemagne, et que le jury présente comme une dérivation du latin <em>remigrare</em> pour <em>rentrer chez soi</em>, apparaît en fait, et surtout, comme un internationalisme utilisé sous cette forme dans beaucoup de langues : il alimente donc de façon croisée des discours dans plusieurs pays qui se répondent, s’alimentent et s’entretiennent mutuellement.</p>
<p>En français, il a fait l’objet d’une forte thématisation dans la discussion politico-médiatique lors du dernier scrutin présidentiel avec la proposition du candidat <a href="https://theconversation.com/fr/topics/eric-zemmour-106952">Éric Zemmour</a>, dont plusieurs thématiques ont d’ailleurs été <a href="https://journals.openedition.org/corela/14675">analysées par l’analyse française du discours</a>, de mettre en place un « ministère de la Remigration ».</p>
<p>Une brève interrogation du corpus français disponible sur l’outil <a href="https://www.sketchengine.eu/">SketchEngine</a>, en particulier de ses contextes d’emploi, montre très clairement <a href="https://journals.openedition.org/mots/30959">son ancrage dans un discours d’extrême droite</a>, confirmant le statut qui lui est reconnu comme marqueur de la mouvance identitaire. Il y voisine en effet avec des noms comme <em>islamisation, communautarisme, identité, remplacement, invasion</em>, mais aussi avec des verbes d’action comme <em>enclencher la remigration</em> ou de positionnement comme <em>prôner la remigration</em>.</p>
<p>On le voit ici nettement, de tels mots – j’ai parlé plus haut d’internationalismes – circulent d’une langue et d’une culture à l’autre dans des discours apparentés où ils constituent autant de signaux d’appartenance et de reconnaissance. Dans le domaine politique, comme dans beaucoup d’autres, les combats idéologiques passent par des combats sémantiques où il s’agit d’occuper les concepts, d’y imprimer sa marque pour, finalement, les soustraire à l’adversaire. Dans cette perspective, le choix 2023 du jury de l’anti-mot allemand de l’année ne pouvait mieux atteindre ses objectifs : nous amener à toujours interroger les implications des mots que nous employons.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221249/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Laurent Gautier a reçu des financements du Conseil Régional de Bourgogne Franche-Comté, de l'ANR et de la Commission Européenne pour divers projets de recherche.</span></em></p>Chaque année, un jury allemand désigne le mot le plus détestable à avoir marqué le débat public. En 2023, sur fond de montée de l’extrême droite, le choix s’est porté sur « remigration ».Laurent Gautier, Professeur des Universités en linguistique allemande et appliquée, Université de Bourgogne – UBFCLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2211862024-01-21T14:41:25Z2024-01-21T14:41:25ZPortugal : élections sous haute tension<p>« Ah ! les affaires, quelle eau trouble, empoisonnée et salissante ! », écrit Émile Zola en 1898 dans son roman <em>Paris</em> peu après le scandale du canal de Panama, au moment de s’engager dans la tempête de l’affaire Dreyfus. Comme un écho lointain, le premier ministre portugais Antonio Costa martèle « évidemment » – « obviamente ! » – en <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/11/07/portugal-le-premier-ministre-antonio-costa-a-demissionne-eclabousse-par-un-scandale-de-corruption_6198745_3211.html">annonçant sa soudaine démission</a> le 7 novembre 2023.</p>
<p>« Évidemment », une fois considéré, non sans dignité, que ses fonctions ne sont pas compatibles avec la moindre suspicion mettant en cause son intégrité dans une sombre affaire de corruption où seraient impliqués certains de ses proches, dont son chef de cabinet et l’un de ses principaux conseillers, sans compter son propre ministre des Infrastructures. « Évidemment », puisque des écoutes téléphoniques, diligentées par le ministère public, semblent l’attester.</p>
<p>Sauf que, une fois la démission annoncée et la décision prise dans la foulée par le président de la République de convoquer des élections législatives anticipées, les chefs d’accusation s’avèrent flous. L’affaire des écoutes téléphoniques révèle même une <a href="https://www.lejdd.fr/international/portugal-vise-par-un-scandale-de-corruption-le-premier-ministre-demissionnaire-victime-dune-confusion-de-nom-139632">confusion de noms</a> entre le chef du gouvernement et son ministre de l’Économie, Antonio Costa Silva.</p>
<p>Procureure générale de la République portugaise depuis 2018, Lucília Gago en sort ébranlée. D’aucuns laissent entendre que l’affaire fait « pschitt », avec beaucoup de bruit pour rien. Une affaire en « eau trouble, empoisonnée et salissante », à l’arrière-goût amer, propice à toutes les interrogations et inquiétudes quant à l’issue du scrutin programmé le 10 mars prochain.</p>
<h2>Pourquoi voter de nouveau ?</h2>
<p>« C’est une étape qui se clôt », a précisé le premier ministre en annonçant sa démission, mettant un terme à huit années de présidence du Conseil. Avant de préciser quelques jours plus tard qu’il n’occuperait plus de charges publiques au Portugal, renonçant également à sa fonction de secrétaire général du Parti socialiste qu’il exerçait depuis 2014. De fait, c’est une page qui se tourne avec l’effacement contraint de la personnalité politique phare de la vie politique portugaise des dix dernières années, par ailleurs figure de proue de la social-démocratie européenne.</p>
<p>Alors qu’Antonio Costa avait remporté haut la main les élections législatives anticipées en janvier 2022, le PS obtenant la majorité absolue des sièges au Parlement, comment en est-on arrivé là ?</p>
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<p>La démission du premier ministre s’inscrit dans un climat fortement dégradé depuis fin 2022, sous l’ombre portée du <a href="https://www.lesechos.fr/monde/europe/au-portugal-le-tapgate-provoque-une-crise-au-sommet-de-letat-1942058">« TAPgate »</a>, la compagnie aérienne nationale en voie de privatisation dont le nom a été accolé à divers scandales et démissions au sein du gouvernement. Dont celle, le 4 janvier 2023, de Pedro Nuno Santos, influent ministre des Infrastructures et du Logement, pour couvrir sa secrétaire d’État, ancienne salariée de la TAP accusée d’avoir perçu une importante indemnité lors de son départ de la compagnie.</p>
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<figcaption><span class="caption">Antonio Costa démissionne après une enquête pour corruption.</span></figcaption>
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<p>À la fin du printemps 2023, le successeur de Pedro Nuno Santos, João Galamba, est déjà sur la sellette, en raison de <a href="https://www.lexpress.fr/monde/europe/au-portugal-la-gauche-rattrapee-par-ses-demons-76BOYBUMMZC65GMEHQLWII2ME4/">son rôle jugé équivoque</a> dans l’attribution de juteuses concessions pour l’exploration de lithium – <a href="https://blog.leslignesbougent.org/portugal-riche-grace-au-lithium/">l’une des grandes richesses du Portugal de demain</a> – lorsqu’il était secrétaire d’État à l’Énergie. Antonio Costa refuse alors de démettre Joao Galamba de ses fonctions, comme le réclame pourtant avec vigueur le président de la République Marcelo Rebelo de Sousa, professeur de droit et président du PSD (parti social-démocrate, centre droit) de 1996 à 1999, élu début 2016 et réélu en 2021 dès le premier tour.</p>
<p>C’est le début d’une séquence qui s’est refermée début novembre avec la démission du premier ministre. Une séquence qui souligne les limites d’une cohabitation, souvent montrée en exemple depuis 2016, entre un chef de l’État et un chef du gouvernement de sensibilités politiques différentes. Et qui illustre toutes les ambiguïtés de la nature d’un régime qualifié le plus souvent de semi-présidentiel depuis <a href="https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMDictionnaire/1804">l’adoption de la Constitution en 1976</a> et, avec <a href="https://www.theses.fr/2001PA010327">l’apparition du fait majoritaire en 1987</a>, de « mixte parlementaire-présidentiel » ou de « premier-présidentiel », voire de « parlementariste à correction présidentielle ».</p>
<p>Par son droit de veto suspensif et, surtout, de dissolution de l’Assemblée de la République – la chambre unique du Parlement portugais –, le chef de l’État dispose de pouvoirs constitutionnels importants qui lui permettent de peser dans le jeu politique. Et cela, d’autant plus lorsque le président de la République se révèle particulièrement habile et visible sur la scène médiatique, comme c’est le cas de Marcelo Rebelo de Sousa.</p>
<p>Avec la <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/01/30/portugal-le-premier-ministre-socialiste-antonio-costa-obtient-une-nette-victoire-electorale-mais-sans-majorite-absolue_6111627_3210.html">majorité absolue</a> obtenue par le Parti socialiste en janvier 2022, lors d’élections législatives anticipées suite à la mise en minorité du gouvernement d’Antonio Costa sur le vote du budget 2022, l’espace politique et médiatique du chef de l’État s’était mécaniquement réduit.</p>
<p>La décision de celui-ci de recourir à de nouvelles élections législatives anticipées s’inscrit dans ce contexte de tension institutionnelle et médiatique, alors qu’un autre choix était possible : celui d’accepter la démission du premier ministre en nommant une personnalité issue du parti disposant de la majorité au Parlement, comme cela avait été le cas à l’été 2004 et début 1981.</p>
<h2>Un choix risqué</h2>
<p>En ouvrant cette nouvelle séquence électorale, deux ans seulement après les précédentes législatives, le chef de l’État a opté pour la solution de retourner aux urnes malgré <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/11/10/portugal-des-elections-legislatives-convoquees-apres-la-demission-du-premier-ministre_6199240_3210.html">l’avis réservé du Conseil d’État</a> le 9 novembre. C’est le choix d’un vote démocratique pour donner aux électeurs la possibilité de s’exprimer et de clarifier la situation, non sans arrière-pensée politique peut-être : le président espère probablement que le scrutin permettra de remettre en selle le PSD.</p>
<p>Mais c’est un choix risqué au regard du contexte qui a conduit à la démission du chef du gouvernement, sur fond de ténébreuse affaire de favoritisme, sinon de corruption, dont la justice n’a pu établir pour l’heure la véracité. Cette discordance des temps judiciaire, politique et médiatique renforce le climat de défiance à l’égard d’une classe politique souvent pointée du doigt, avec les effets en cascade de ces scandales de corruption.</p>
<p>Ces <em>spillover effects</em> érodent la confiance dans les institutions, tout en nourrissant un sentiment délétère d’impunité. Entre classement sans suite comme dans <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/portugal-l-instruction-de-l-affaire-de-l-ex-premier-ministre-socrates-touche-a-sa-fin-20210409">l’affaire José Socrates</a> au printemps 2021 – après sept ans d’instruction, les charges de corruption active pesant sur l’ancien premier ministre (PS) de 2005 à 2011, incarcéré en 2014 et 2015, ont été abandonnées – et <a href="https://www.lemonde.fr/ameriques/article/2017/03/26/affaire-petrobras-retour-sur-les-trois-annees-qui-ont-marque-le-bresil_5100932_3222.html">syndrome Lava Jato</a> qui, dans le cas brésilien, a montré tous les dangers depuis la <a href="https://www.lemonde.fr/ameriques/article/2016/08/31/bresil-la-presidente-dilma-rousseff-destituee_4990645_3222.html">destitution de la présidente Dilma Rousseff</a> à l’été 2016, perçue comme un coup d’État judiciaire ayant ouvert la voie à l’extrême droite et Jair Bolsonaro, entre « business as usual » et « catch me if you can », l’opinion publique oscille, déboussolée et désenchantée.</p>
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<figcaption><span class="caption">José Socrates mis en cause et arrêté dans une affaire de corruption.</span></figcaption>
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<p>Autant dire qu’avec l’émergence en 2019 du parti d’extrême droite <a href="https://www.ritimo.org/Portugal-Chega-un-parti-d-extreme-droite-present-dans-le-systeme-politique">Chega</a>, le choix de recourir à de nouvelles élections se fait sous haute tension. Le parti fondé et dirigé par André Ventura, jeune transfuge du PSD élu député en octobre 2019, a rapidement occupé l’espace médiatique et pesé sur la recomposition de la droite, alors que le Portugal avait <a href="https://theconversation.com/portugal-le-pays-qui-dit-nao-a-lextreme-droite-125472">longtemps été épargné par l’onde de droite radicale populiste</a> observée ailleurs en Europe.</p>
<p>Avec ses 12 députés à l’Assemblée (sur 230) et les 7,5 % de suffrages obtenus aux législatives de janvier 2022, Chega ne peut que viser plus haut, les sondages le créditant de plus de 15 % d’intentions de vote – soit, avec la représentation proportionnelle, au moins une trentaine d’élus au Parlement. Plus encore que l’immigration, le principal carburant de ce parti est la dénonciation de <a href="https://www.tdg.ch/crise-politique-au-portugal-l-affaire-des-liasses-de-billets-dope-l-extreme-droite-421113087741">« la corruption des élites »</a>. Chega appelle à une grande lessive, qui devrait commencer par le Parti socialiste. Des affiches grand format sont placardées dans les rues en 2023 ; André Ventura y apparaît en « chevalier blanc » de la démocratie avec comme slogan « Le Portugal a besoin d’un grand nettoyage ».</p>
<h2>Une majorité introuvable ?</h2>
<p>Face à ce danger, les deux principaux partis de gouvernement, PS et PSD, s’organisent. Le PS tente de tourner la page d’un Antonio Costa resté très actif, avec <a href="https://www.ouest-france.fr/europe/portugal/portugal-pedro-nuno-santos-remporte-les-primaires-du-parti-socialiste-dbbedae3-24c6-4ac3-9928-b9b7a3d285d4">l’élection mi-décembre</a> de son nouveau secrétaire général Pedro Nuno Santos, 46 ans, ancien ministre des Relations avec le Parlement (2015-2019), puis des Infrastructures et du Logement (2019-2022).</p>
<p>Élu avec près des deux tiers des suffrages au terme d’une primaire interne l’ayant opposé à un candidat plus centriste, Pedro Nuno Santos entend bien succéder à Antonio Costa comme premier ministre et incarner la stabilité. Il a rapidement réorganisé le PS, dont le solide ancrage local constitue un précieux atout, sans exclure une nouvelle alliance à gauche avec le Bloco de Esquerda (Bloc de Gauche), en revitalisant l’idée d’une nouvelle <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2017/10/DARCY/58001"><em>geringonça</em></a>, ce « bidule brinquebalant » qui avait fonctionné entre 2015 et 2019.</p>
<p>Quant au PSD, en proie depuis 2015 à une crise de leadership et aux coups de boutoir de Chega, il tente d’incarner l’espoir à droite d’un retour au pouvoir, suite à sa « victoire volée » d’octobre 2015, quand la coalition PSD-CDS (Centre démocratique et social) était arrivée en tête sans pouvoir gouverner, mise en minorité à l’Assemblée suite au vote d’une motion de censure par l’ensemble des forces de gauche, donnant naissance à la <em>geringonça</em>.</p>
<p>Ces nouvelles élections législatives, deux ans après l’échec de janvier 2022, semblent donner à la droite une occasion inespérée de reprendre l’ascendant. Sous la direction de son <a href="https://lepetitjournal.com/lisbonne/politique-luis-montenegro-president-psd-portugal-339241">nouveau président élu à l’été 2022</a>, Luís Montenegro, le PSD a opté pour la solution d’une nouvelle coalition avec le CDS, absent au Parlement depuis 2022, et le petit Parti populaire monarchiste (PPM), revitalisant la légendaire « Alliance démocratique », vainqueur des élections fin 1979 autour de <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1980/12/06/francisco-sa-carneiro-le-gout-de-l-autorite_2808335_1819218.html">Francisco Sá Carneiro</a>, leader charismatique du centre droit, nommé premier ministre avant de disparaître tragiquement dans un accident d’avion en décembre 1980.</p>
<p>On le voit bien, c’est la solution des alliances qui est privilégiée pour tenter d’obtenir une majorité à l’Assemblée. En l’état, aucun parti ne paraît en mesure de recueillir seul une majorité claire, sinon absolue. Si, à gauche, la voie d’une nouvelle <em>geringonça</em> semble s’esquisser, à droite l’épouvantail Chega pèse sur la recomposition de cette famille politique.</p>
<p>Malgré les <a href="https://www.euractiv.fr/section/elections/news/vers-une-coalition-des-partis-pour-isoler-lextreme-droite-au-portugal/">dénégations de son président</a>, d’aucuns suspectent le PSD de ne pas exclure une alliance avec Chega, afin de réunir une majorité parlementaire pour gouverner. Avec comme précédent le cas de l’assemblée régionale des Açores où deux conseillers Chega avaient <a href="https://rr.sapo.pt/noticia/politica/2020/11/24/acores-bolieiro-cita-sa-carneiro-na-tomada-de-posse-e-reconhece-exigente-missao/216069/">fourni l’appoint en 2020</a> pour faire basculer au PSD cette région autonome.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/569598/original/file-20240116-27-xk1ief.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/569598/original/file-20240116-27-xk1ief.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/569598/original/file-20240116-27-xk1ief.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/569598/original/file-20240116-27-xk1ief.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/569598/original/file-20240116-27-xk1ief.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/569598/original/file-20240116-27-xk1ief.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/569598/original/file-20240116-27-xk1ief.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Santiago Abascal, leader du parti d’extrême droite espagnol Vox et Andre Ventura, leader du parti d’extrême droite portugais Chega, durant la campagne des élections législatives portugaises de 2022.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/voxespana/51814205056">Flickr</a></span>
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<p>Entre normalisation rapide et lutte pour l’hégémonie, Chega a déjà débauché quelques élus du PSD, cherchant à s’affirmer comme le principal parti de droite, « l’unique chemin pour battre le socialisme au Portugal », comme l’a de nouveau déclaré son président André Ventura, réélu avec plus de 98 % des voix lors de la sixième convention nationale de sa formation les 13 et 14 janvier 2024.</p>
<h2>25 avril toujours ?</h2>
<p>Avec pour toile de fond les commémorations du 50<sup>e</sup> anniversaire de la <a href="https://editionschandeigne.fr/revue-de-presse-sous-less-oeillets-le-revolution/">Révolution des Œillets</a> en avril prochain, ces élections sont bien sous haute tension. Certains acquis du 25 avril 1974 – à commencer par la Constitution « marxiste maçonnique » de 1976 – sont clairement dans le viseur de Chega, dont le président vient de déclarer que le choix se fera entre « le Portugal de 2024 », qu’il prétend incarner, et « le Portugal de 1974 », celui de Pedro Nuno Santos.</p>
<p>Nul doute que le système politique portugais peut de nouveau se révéler « résilient », malgré – ou peut-être grâce à – un <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Abstention-comment-sen-sortent-autres-pays-europeens-2021-06-21-1201162352">taux d’abstention élevé</a>, un faible intérêt pour la politique et le <a href="https://www.marianne.net/agora/tribunes-libres/monnaie-surevaluee-vieillissement-desindustrialisation-ce-que-le-portugal-dit-de-lue">vieillissement de l’électorat</a>.</p>
<p>Nul doute également que la société portugaise se révèle <a href="https://migrant-integration.ec.europa.eu/news/portugal-survey-finds-public-increasingly-tolerant-migrants_en">l’une des plus ouvertes à l’immigration</a>, comme l’ont rappelé les enquêtes de European Social Survey en 2023. Chega et Ventura peuvent connaître un revers analogue à <a href="https://www.lepoint.fr/monde/l-espagne-brise-l-envol-de-l-extreme-droite-en-europe-24-07-2023-2529349_24.php">celui de Vox</a> et de Santiago Abascal en Espagne lors des législatives de juillet 2023.</p>
<p>Mais le vote du 10 mars pourrait se révéler un pari risqué si, faute de majorité parlementaire, la stabilité qui a dominé la vie politique portugaise depuis une quarantaine d’année, était remise en cause. Née du 25 avril, la démocratie a montré jusqu’ici sa solidité. Alors, « 25 de Abril sempre ! » (25 avril toujours !) ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221186/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Yves Léonard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Au Portugal, les législatives anticipées de mars s’annoncent serrées, la gauche cherchant à conserver le pouvoir face à un centre droit qui devra composer avec la montée de l’extrême droite.Yves Léonard, Membre du Centre d'histoire de Sciences Po et chercheur associé à l’université de Rouen-Normandie, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2203202024-01-18T14:49:04Z2024-01-18T14:49:04ZLe nouveau président argentin, Javier Milei, est-il d’extrême droite ? La réponse n’est pas simple<p>Une onde de choc secoue l’Argentine <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2028009/argentine-vote-presidentielle-massa-milei">depuis l’arrivée au pouvoir de Javier Milei, le 10 décembre</a>. </p>
<p>Son idéologie qualifiée « d’anarcho-capitaliste » promet de grands bouleversements dans un pays caractérisé par une longue tradition étatique, <a href="https://www.lesechos.fr/monde/ameriques/largentine-en-pleine-crise-lance-une-nouvelle-serie-de-mesures-contre-linflation-1972952">et aux prises avec une profonde crise économique</a>. </p>
<p>Le caractère radical de ses propositions aura réussi à lui attirer de nombreux Argentins, mais à s’en aliéner tout autant, <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2038012/argentine-greve-generale-24-janvier-reforme-javier-milei">avec plusieurs appels à la grève générale</a>. </p>
<p>Des analystes ont essayé de comprendre les liens idéologiques entre Javier Milei et les divers mouvements d’extrême droite qui ont émergé au cours des vingt dernières années, particulièrement en Europe et aux États-Unis. </p>
<p>Doctorant en science politique à l’Université Laval, mes recherches portent sur les autoritarismes, particulièrement en Argentine. Je souhaite ainsi explorer les relations entre Javier Milei et la mouvance d’extrême droite. </p>
<h2>Attention aux comparaisons rapides</h2>
<p>Javier Milei <a href="https://theconversation.com/le-dilemme-milei-et-lavenir-incertain-de-largentine-219556">peut être décrit comme un populiste</a>. Cette association est pertinente, voire naturelle, si l’on regarde ses multiples références à des figures d’extrême droite telles que <a href="https://twitter.com/JMilei/status/1727501082560205296">Donald Trump</a>, le Brésilien <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/11/20/javier-milei-elu-president-de-l-argentine-recoit-les-felicitations-de-donald-trump-et-jair-bolsonaro_6201217_3210.html">Jair Bolsonaro</a> et <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Santiago_Abascal">l’Espagnol Sergio Abascal</a>, président de la formation Vox, <a href="https://thediplomatinspain.com/en/2023/11/milei-invites-abascal-to-his-inauguration-as-argentine-president/">qu’il a invité à son investiture</a>.</p>
<p>Ses appels à lutter contre le « gauchisme », <a href="https://www.infobae.com/opinion/2022/05/20/javier-milei-y-su-guerra-contra-el-marxismo-cultural-la-oscura-historia-detras-del-termino/">ses critiques du « marxisme culturel »</a> et son caractère ouvertement antisystème renforcent cette identification.</p>
<p>Cependant, ce rapprochement assez simpliste fait fi de divergences importantes avec le programme de Milei, notamment en matière de politique économique et migratoire. Ainsi, malgré les similitudes, des divergences importantes existent, en particulier dans la manière dont chaque mouvement comprend le rôle de l’État et sa relation avec la société dans son ensemble. </p>
<p>En particulier, j’aimerais attirer l’attention sur une différence centrale, soit le rôle du nationalisme, ainsi que sur les nouveautés apportées par Milei dans le contexte de la montée de la droite au niveau global.</p>
<h2>Le nationalisme nativiste au cœur de l’extrême droite</h2>
<p>Dans un article de synthèse, <a href="https://doi.org/10.1146/annurev-polisci-042814-012441">Matt Golder</a>, professeur de science politique à la Pennsylvania State University, analyse la littérature scientifique sur les partis politiques d’extrême droite en Europe. Il y trouve trois éléments de plus en plus caractéristiques de ce mouvement, soit le « nationalisme », le « populisme » et le « radicalisme ».</p>
<p>Le nationalisme exposé par des partis d’extrême droite peut être décrit comme du « nativisme ». En suivant <a href="https://doi.org/10.1017/CBO9780511492037">Cas Mudde</a>, professeur du département de science politique à l’University of Georgia, le « nativisme » est compris comme « du nationalisme plus de la xénophobie ». Il est basé sur l’idée de l’existence d’une population « native », imaginaire, <a href="https://doi.org/10.1146/annurev-polisci-042814-012441">construite sur des aspects généralement culturels ou ethniques</a>, et dont l’homogénéité doit être protégée de tout élément qui lui est étranger et externe. </p>
<p>En concevant cette communauté homogène, le <a href="https://doi.org/10.1017/CBO9780511492037">nativisme s’ajoute au nationalisme, conçu comme la congruence entre État et nation</a>, soit l’élément de la xénophobie mentionné par Cas Mudde. Ce faisant, les mouvements d’extrême droite avancent une préférence radicalisée pour tout ce qui peut être défini comme appartenant à la « communauté nationale ».</p>
<p>Cette version du nationalisme est bien connue et il est facile d’en trouver des exemples européens et américains : les appels contre le « Grand remplacement » exprimés par <a href="https://www.france24.com/fr/france/20220214-le-grand-remplacement-o%C3%B9-la-machine-%C3%A0-fantasmes-de-l-extr%C3%AAme-droite">Éric Zemmour</a>, les mises en garde contre les immigrants de <a href="https://www.independent.co.uk/news/world/americas/us-politics/the-snake-song-lyrics-trump-b2464914.html">Donald Trump</a>, ou l’islamophobie de <a href="https://www.spiegel.de/international/germany/interview-with-frauke-petry-of-the-alternative-for-germany-a-1084493.html">l’Alternative pour l’Allemagne</a>, entre autres. </p>
<p>Ce nativisme des partis d’extrême droite devient un fondement de leurs projets politiques, incluant leur politique économique.</p>
<p>C’est pour cette raison que l’extrême droite contemporaine avance aussi des projets nettement protectionnistes. L’euro-scepticisme, la nationalisation, ainsi que le discours anti-globalisation sont des éléments partagés par une grande partie des mouvements d’extrême droite. La racine de ces projets est la croyance en une communauté nationale, définie en termes soit ethnique, soit culturel, qui doit être protégée de l’influence d’éléments provenant de l’extérieur. </p>
<h2>Libéraliser l’économie, la priorité de Milei</h2>
<p>On ne trouve pas l’élément du nativisme du côté de Javier Milei, bien que sa liste de promesses puisse surprendre en raison de son caractère radical et par son ampleur.</p>
<p>Les projets et la plate-forme de son parti, La Libertad Avanza (LLA), constituent plutôt une opposition claire au nativisme, répandu en Argentine et représenté par le mouvement péroniste. Les accusations concernant sa prétendue idéologie anti-immigration ne sont pas non plus fondées, du moins jusqu’ici.</p>
<p>Le programme de Javier Milei parle d’immigration que de façon marginale. Il suffit de lire la <a href="https://www.electoral.gob.ar/nuevo/paginas/pdf/plataformas/2023/PASO/JUJUY%2079%20PARTIDO%20RENOVADOR%20FEDERAL%20-PLATAFORMA%20LA%20LIBERTAD%20AVANZA.pdf">plateforme électorale</a> de LLA, où les sujets de la « nation » ou de l’immigration sont relativement absents. </p>
<p>Il est vrai que l’Argentine a reçu proportionnellement, ces dernières années, <a href="https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMTendanceStatPays?langue=fr&codePays=ARG&codeTheme=1&codeStat=SM.POP.NETM">moins d’immigrants que la majorité des pays d’Europe ou d’Amérique du Nord</a>. Le débat concerne davantage l’universalité du service de santé et d’éducation, grâce à laquelle toute personne, sans égard à sa condition migratoire <a href="https://sherloc.unodc.org/cld/uploads/res/document/ley-de-migraciones-25871-english_html/Ley_de_Migraciones_25871_English.pdf">peut disposer du système de santé publique (même les touristes) et d’éducation gratuite</a>. Javier Milei n’est donc pas tant opposé à l’immigration (il a <a href="https://www.youtube.com/watch?v=xfNnAKnHxGo">même exprimé son appui</a>), mais à certain type de dépenses de l’État qui y sont associés. </p>
<p>En revanche, la libéralisation a constitué et continue à être le pilier de son programme, parfaitement incarnée dans la proposition d’élimination de la banque centrale et l’instauration de la libre concurrence monétaire. <a href="https://www.electoral.gob.ar/nuevo/paginas/pdf/plataformas/2023/PASO/CABA%20501%20LA%20LIBERTAD%20AVANZA%20ADHIERE%20PLATAFORMA%20ON.pdf">Son programme</a> inclut aussi la dollarisation, l’optimisation et la diminution de la taille de l’État, l’ouverture au commerce international, la réforme du code de travail, de la loi sur la santé mentale, des réglementations des services médicaux.</p>
<h2>Attendre avant de juger le projet politique de Milei</h2>
<p>Autrement dit, malgré le style populiste et le caractère radical de ses propositions, l’approche de Milei rend difficile son identification immédiate, sans d’autres qualificatifs, avec l’extrême droite européenne et américaine. </p>
<p>Cela ne veut pas nécessairement dire qu’il faut exclure le phénomène de Milei de la famille élargie de l’extrême droite. Comme <a href="https://www.bbc.com/mundo/articles/c983y398v0do">Cristóbal Rovira, professeur à la Pontificia Universidad Católica de Chile, affirme</a> cette « famille » n’a pas d’éléments qui sont nécessairement partagés par tous ses membres. Cependant, il oblige à reconsidérer les associations immédiates et faciles. Le fait que Javier Milei ait déclaré sa préférence pour Trump ne fait pas de lui un Trumpiste.</p>
<p>Il y a certainement des individus à l’intérieur de son parti politique qui se montrent plus proches des projets politiques de Donald Trump ou de Sergio Abascal. Cependant, les positionnements personnels de Javier Milei définissent en grande partie ce que l’on peut attendre de son gouvernement et le caractère de son projet politique.</p>
<p>Bien que Milei affirme lui-même sa parenté idéologique avec des leaders souvent inclus dans la grande famille de l’extrême droite contemporaine, les éléments de son programme et le cœur de son idéologie imposent le maintien d’une certaine distance. De façon plus large, la mise en contexte de tout phénomène politique est nécessaire afin de comprendre leur nouveauté et implication.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220320/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Federico Chaves Correa ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Des aspects du programme du président argentin Javier Milei s’apparentent à l’extrême droite, mais d’autres pas. Sans l’exclure de cette mouvance, il faut attendre avant de juger son projet politique.Federico Chaves Correa, Doctorant en science politique, Université LavalLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2164862024-01-17T16:43:50Z2024-01-17T16:43:50ZComment les eurodéputés RN tirent parti du Parlement européen<p><em>Si l’élection de nombreux députés d’extrême droite permettant la constitution d’un groupe Rassemblement national (RN) à l’Assemblée nationale en 2022 a été très commentée par les journalistes, sa présence au Parlement européen, sans discontinuer depuis les années 1980, passe plus inaperçue. L’Assemblée européenne est un lieu où les dirigeant·e·s du FN/RN se forment à la démocratie et lors des élections européennes de juin prochain, ils tenteront à nouveau d’obtenir des sièges.</em></p>
<p><em>Avec son ouvrage <a href="https://www.raisonsdagir-editions.org/catalogue/a-lextreme-droite-de-lhemicycle/">« À l’extrême droite de l’hémicycle. Le RN au cœur de la démocratie européenne »</a> (éditions Raisons d’agir), Estelle Delaine nous offre de nouvelles clés pour comprendre la manière dont le Rassemblement national s’insère dans les institutions démocratiques. À partir d’archives parlementaires et partisanes, d’entretiens et d’observations, ce livre révèle comment les élus RN apprennent à manipuler le lexique démocratique, à transcrire leurs propositions politiques en amendements techniques, à parfois s’inscrire dans le consensus politique, à se connecter avec des représentants d’intérêts. Il expose comment les eurodéputés d’extrême droite, alors qu’ils déclarent combattre l’Union européenne de l’intérieur, bénéficient en réalité des ressources et des réseaux de la démocratie européenne.</em></p>
<hr>
<p>Dès sa genèse, l’évolution du Parlement européen a fait l’objet d’analyses parfois divergentes, du fait de son originalité dans le paysage des institutions démocratiques, mais aussi parce que des années 1950 aux années 1970 coexistaient plusieurs projets européens différents – les institutions des Communautés européennes cohabitant alors avec celles de l’Union de l’Europe occidentale, du Conseil de l’Europe et de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord – comme l’indique <a href="https://www.cvce.eu/obj/discours_de_robert_schuman_strasbourg_19_mars_1958-fr-48fe3630-311c-476c-b39f-740b8749137b.html">Robert Schuman</a>, l’un des pères fondateurs de l’unification européenne, dans son discours d’investiture en tant que président de l’Assemblée européenne en 1958.</p>
<p>Certains considèrent que la progression des prérogatives du Parlement européen a été importante, faisant de cette institution le <a href="https://global.oup.com/academic/product/building-europes-parliament-9780199231997">symbole d’une démocratisation de l’Union européenne</a>, quand d’autres trouvent son pouvoir insuffisant en comparaison aux assemblées nationales – les pouvoirs du Parlement européen sont alors considérés comme des indicateurs (avec l’issue des référendums des années 1990, la complexité du fonctionnement ou le taux d’abstention) du « déficit démocratique » reproché à l’Union européenne.</p>
<p>La plupart des travaux, à l’instar de ceux du politologue <a href="https://www.librairie-sciencespo.fr/livre/9782275036205-le-gouvernement-de-l-union-europeenne-une-sociologie-polique-2e-edition-andy-smith/">Andy Smith</a>, font cependant le constat qu’il est impossible de considérer l’Europe d’aujourd’hui autrement que comme un gouvernement fortement fissuré. Ces fissures sont autant de portes d’entrée pour des formations antidémocratiques comme les partis d’extrême droite. En arrivant au Parlement européen, les membres de partis d’extrême droite peuvent non seulement se connecter avec d’autres représentants d’euroscepticisme et d’antidémocratisme, mais ils sont aussi propulsés au cœur du fonctionnement de la démocratie européenne.</p>
<h2>Des eurosceptiques et antiparlementaires dès les origines du Parlement</h2>
<p>Rappelons d’abord qu’extrême droite, euroscepticisme et antiparlementarisme ne sont pas des synonymes, et ne se recouvrent pas tout à fait. En arrivant dans <a href="https://www.cairn.info/revue-savoir-agir-2012-1-page-49.htm">l’Eurocratie</a> (le mode technocratique des institutions politiques de l’Union européenne, et les fortes critiques qui l’ont toujours accompagné) les partis d’extrême droite n’introduisent pas l’antiparlementarisme. Ils perpétuent et renouvellent certaines de ses versions pratiquées de longue date.</p>
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<p>Le Parlement européen a d’abord été pensé d’après un modèle fédéral afin de progressivement mettre en place la légitimité de la sphère européenne.</p>
<p>Mais en pratique, au-delà des théories démocratiques (fédérale, technocratique, référendaire, participative…) dont le Parlement européen se saisit, de vives réticences jalonnent son histoire. Dès sa genèse en 1958, on retrouve la présence de positions antiparlementaristes, c’est-à-dire opposées à ce que l’Assemblée européenne naisse ou obtienne des pouvoirs de contrôle et de délibération. On sait que certains membres des gouvernements nationaux, y compris d’États membres fondateurs, pouvaient être réticents à développer l’échelon européen – comme <a href="https://www.charles-de-gaulle.org/lhomme/dossiers-thematiques/de-gaulle-europe/">Charles de Gaulle</a>, chef de l’État français, qui a fait jouer tout le poids de son veto contre l’octroi de plus de pouvoir aux institutions européennes (dont le Parlement) et pour un fonctionnement intergouvernemental. De plus, les « pères de l’Europe » ne mentionnent pas d’institution délibérative lors de <a href="https://european-union.europa.eu/principles-countries-history/history-eu/1945-59/schuman-declaration-may-1950_fr">discours fondateurs des Communautés</a>, et pour cause, ils perçoivent le parlementarisme <a href="https://www.puf.com/content/De_Vichy_%C3%A0_la_Communaut%C3%A9_europ%C3%A9enne">avec les yeux de leur temps</a>, critiques des Républiques parties en guerre, et dans un contexte de Guerre froide.</p>
<h2>L’extrême droite dans une Europe néolibérale</h2>
<p>Les dernières décennies ont certes vu le poids du Parlement être revalorisé mais ont aussi correspondu à la réaffirmation d’un cadre économique néolibéral <a href="https://www.la-croix.com/Actualite/Monde/Discours-de-Jose-Manuel-Barroso-sur-l-etat-de-l-Union-europeenne-_NG_-2010-09-07-578206">prônant l’austérité en temps de crises</a> ainsi qu’à une <a href="https://cessp.cnrs.fr/European-Civil-Service-in-Times-of-Crisis">managérisation</a> de la fonction publique européenne ; autant de processus qui sont venus renforcer les institutions exécutives de l’Europe au détriment du Parlement européen.</p>
<p>Une organisation institutionnelle qui laisse peu de place à l’instance élective impose aux eurodéputés une dépendance à la fois aux agents administratifs non élus, et à l’exécutif (la Commission et les ministres des États membres représentés par le Conseil de l’Union européenne). De plus, dans la fabrique de la loi européenne, autour d’un élu s’activent eurofonctionnaires, membres des cabinets de la Commission européenne et du Conseil de l’Union européenne, membres des groupes politiques opposés, représentants des ministères et des parlements nationaux, syndicalistes, lobbyistes, journalistes. Toutes ces personnes se rencontrent et se côtoient lors de réunions, peuvent se retrouver lors d’événements, de <em>team building</em>, <em>networking</em>, de fêtes, d’apéritifs, etc. Durant ces moments l’extrême droite parlementaire est en contact permanent avec tous ces professionnels. Ces logiques de travail conduisent à la connexion des personnels d’extrême droite avec d’autres personnes puisant leurs références politiques dans d’autres traditions d’antidémocratisme, d’antilibéralisme, ou d’euroscepticisme (qu’elles soient ou non d’extrême droite), mais aussi avec des personnalités politiques de premier plan.</p>
<p>Tout ces éléments viennent complexifier les distinctions politiques (extrême droite/néolibéralisme/européisme) et expliquent des rapprochements entre différents professionnels à la fois en concurrence et pourtant évoluant dans le même monde. Évidemment, ces connexions n’ébranlent pas toutes les logiques institutionnelles et sociales et politiques, ceux qui occupent des positions dominantes dans la Commission ou le Conseil de l’Union européenne sont peu inquiétés par des eurodéputés minoritaires.</p>
<p>Néanmoins, la présence de ces eurodéputés peut renforcer des formes de fragilité de l’institution parlementaire lors des processus de décisions. Au niveau des groupes parlementaires majoritaires, le travail s’organise en tenant compte de cet élément, ce qui renforce paradoxalement la représentation de tendances marginales dans les commissions car une potentielle désunion affaiblit le Parlement dans les négociations. Or, dans cette configuration, les élus peuvent déclarer vouloir <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/le-vrai-du-faux/marine-le-pen-dit-elle-vrai-sur-le-blocage-du-parlement-europeen_1762269.html">bloquer les institutions</a>, préférer appuyer des <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2019/05/10/comment-le-rassemblement-national-vote-au-parlement-europeen_5460545_4355770.html">positions conservatrices</a> ou <a href="https://rassemblementnational.fr/videos/lexercice-dautosatisfaction-de-madame-von-der-leyen">investir le rôle d’opposants politiques démocratiques</a> et trouver des soutiens conjoncturels.</p>
<h2>Des membres de l’extrême droite formés à la démocratie</h2>
<p>Passé un premier étonnement de la présence de représentants nationalistes ou eurosceptiques d’extrême droite aux carrières longues au Parlement européen, comme <a href="https://www.europarl.europa.eu/meps/fr/1023/JEAN-MARIE_LE+PEN/history/8">Jean-Marie Le Pen</a> ou <a href="https://www.europarl.europa.eu/meps/fr/4525/NIGEL_FARAGE/history/9">Nigel Farage</a>, on comprend l’attrait d’un Parlement pour des élites partisanes d’extrême droite.</p>
<p>À l’instar d’autres parlements dans l’histoire, le Parlement européen offre des ressources importantes, et permet aux élus d’extrême droite de se former <em>à</em> et <em>par</em> la démocratie, potentiellement pour préparer d’autres élections – en ce sens Marine Le Pen a déclaré <a href="https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2023/01/08/a-l-assemblee-nationale-le-rn-se-fond-dans-le-paysage_6157027_4500055.html">au Monde en janvier 2023</a> (au sujet de son mandat de députée nationale, elle qui a aussi été eurodéputée de 2004 à 2017) : « nous ne sommes pas là pour faire une longue carrière parlementaire. Nous sommes là pour conquérir le pouvoir. En apprenant à être parlementaires, nous fabriquons en même temps un programme et des équipes de gouvernement. »</p>
<p>Le Parlement européen permet en effet des <a href="https://www.liberation.fr/france/2020/02/24/damien-rieu-le-pro-de-l-agit-prop_1779491/">recrutements</a>, l’accès à des informations et des lieux de pouvoirs, des <a href="https://www.lepoint.fr/politique/emmanuel-berretta/les-fratelli-d-italia-ne-sont-pas-des-pestiferes-au-parlement-europeen-29-09-2022-2491812_1897.php;https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-billet-politique/marine-le-pen-peut-elle-defaire-l-europe-7360671">alliances et des coalitions</a> ainsi que l’accroissement des ressources financières des partis nationaux et européens <a href="https://www.cnccfp.fr/elections/representants-parlement-europeen/">qui s’investissent dans les campagnes</a>. Ce dernier point n’est pas négligeable : il comprend les frais de campagne (dont le montant était de 4 906 744 euros en 1994 et de 5 518 155 euros en 1999 pour le Front national (FN)) et les fonds de fonctionnement de groupes parlementaires (qui est pour le groupe d’extrême droite Europe des Nations et des Libertés de 17,5 millions d’euros entre 2015 et 2019).</p>
<p>D’autres sources de financements par des <a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/dossier/largent-russe-du-rassemblement-national">banques et millionnaires russes</a> ainsi que des multiples <a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/dossier/argent-public-le-rn-accuse-de-detournements-de-fonds-europeens">scandales politico-financiers</a> sur l’utilisation des enveloppes de fonds européens par les dirigeants du RN ont des incidences sur la pratique de la politique européenne qui demeurent encore à déterminer. Au sein du Parlement, les eurodéputés Rassemblement national (RN) y expérimentent un accès à des ressources directement issues de leur participation au jeu démocratique.</p>
<h2>Une formation feutrée</h2>
<p>Au Parlement européen, les élus d’extrême droite sont souvent décrits comme étant <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2019/05/14/le-bien-maigre-bilan-du-rassemblement-national-au-parlement-europeen_5461712_823448.html">peu présents, ou inefficaces</a>. Pourtant, les équipes parlementaires y font des apprentissages importants. L’incorporation des élites d’extrême droite dans l’élite politique européenne se fait aussi, paradoxalement, via le compromis, le consensus et la constitution d’alliances qui caractérisent le travail parlementaire européen.</p>
<p>Mes travaux soulignent que les dirigeants d’extrême droite ne sont pas sociologiquement désajustés dans une institution parlementaire supranationale – ils ont des origines sociales dominantes, sont diplômés du supérieur (y compris des écoles prestigieuses comme l’<a href="https://www.whoswho.fr/decede/biographie-ivan-blot_15145">ENA</a> ou Sciences Po Paris), ont des professions de cadres supérieurs (comme <a href="https://www.snesup.fr/sites/default/files/fichier/entretien_avec_gerard_lebreton_-_pu_lyon_3_-_conseiller_de_marine_le_pen_-_mars_2017.pdf">professeur d’université</a>, qui ne les distingue donc pas des autres eurodéputés ou assistants parlementaires. De ce fait, ils sont disposés à parfois mobiliser des registres déconflictualisés et consensuels – ce qui n’est donc pas le marqueur d’une modération politique mais de savoir-faire sociaux et universitaires.</p>
<p>S’il est peu probable qu’ils deviennent europhiles, les cadres d’extrême droite peuvent se projeter quelque temps dans ce lieu : le Parlement européen est un espace professionnel suffisamment prestigieux pour qu’ils ressentent une certaine revanche sociale en y restant, même dans un groupe minoritaire. Au-delà des idéologies, il y a une cohérence à la participation d’élites d’extrême droite à des espaces politiques comprenant majoritairement des membres des classes supérieures.</p>
<p>L’engagement politique d’élites sociales est différent de ceux des militants populaires : par la lecture ou l’écriture (sur des blogs, dans la presse ou dans des essais indépendants), la tenue de conférences ou d’une chaîne YouTube, voire pour celles et ceux qui ont des héritages familiaux liés à l’aristocratie, des dîners mondains ou de préservation du patrimoine. Il n’est donc pas moins « extrême » mais prend des formes variées et qui travaillent et traduisent leurs propos dans des registres plus mesurés. Un poste dans une équipe parlementaire RN est donc un moyen de poursuivre un militantisme nationaliste en bénéficiant d’un salaire et d’un statut qui permet de répondre à leurs aspirations ou à leurs ambitions professionnelles.</p>
<p>Comment des élites sociales peuvent-elles se décrire comme étant si reléguées ? En effet, la thématique du stigmate essaime les discours des élites partisanes d’extrême droite qui se disent « illégitimées » et <a href="https://www.ouest-france.fr/politique/le-rn-denonce-l-ostracisme-de-son-groupe-au-parlement-europeen-6432033">ostracisées dans le champ politique</a> et dans la société. Or, se sentir décalé ne veut pas dire être dominé : il est possible de se vivre subjectivement comme un ou une déclassée tout en s’inscrivant de plain-pied dans les couches supérieures de la société. En effet, ils et elles peuvent, sur le plan des pratiques, mener un travail de maintien de positions dominantes et de distinction tout en développant des discours exprimant leur relégation.</p>
<p>Un sentiment d’échec peut aussi parcourir de nombreuses personnes diplômées mais avec des trajectoires scolaires difficiles et parsemées de revers objectifs ou plus subjectifs, ce qui renforce alors une crainte du déclassement ou de l’avenir. Leur engagement politique projeté au Parlement européen se nourrit des doctrines déclinistes et pessimistes d’extrême droite qui permettent de faire correspondre à des maux généraux des sentiments de peur très intimes. Il faut donc déconstruire le paradoxe apparent de ces élites se réclamant de l’antisystème au Parlement européen tout en bénéficiant d’un métier ajusté à leur profil sociologique.</p>
<p>L’Eurocratie est un espace professionnel internationalisé qui fournit des possibilités de reconversions à des « ex » de partis d’extrême droite européanisés, initialement passés par des postes d’assistant parlementaire mais aujourd’hui « fondus » dans le décor dans les milieux de la culture, de l’entrepreneuriat, du <em>lobbying</em> ou du droit. Une fois débarrassés des étiquettes partisanes ou du stigmate de la politique nationale, ne subsistent alors entre les agents que la concordance d’habitus dominants, et des affinités tirées de titres scolaires comparables.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/216486/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Estelle Delaine ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Alors qu’ils déclarent combattre l’Union européenne de l’intérieur, les eurodéputés d’extrême droite bénéficient en réalité des ressources et des réseaux de la démocratie européenne.Estelle Delaine, Maîtresse de conférences en sciences politiques, Université Rennes 2Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2172372024-01-09T17:55:29Z2024-01-09T17:55:29ZGay et militant au Rassemblement national : un engagement improbable ?<p>En début d’année 2023, le Rassemblement national lançait une association parlementaire pour <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/le-rn-lance-une-association-pour-combattre-le-poison-wokiste-qui-met-en-danger-la-civilisation-5323822">lutter contre le « wokisme »</a> et notamment, contre la « propagande LGBT dans les écoles ». Ces prises de position au sein du FN/RN sur les questions LGBT+ sont anciennes et elles renvoient l’image d’un <a href="https://www.cairn.info/les-faux-semblants-du-front-national--9782724618105-page-185.htm">parti « sexiste et homophobe »</a>.</p>
<p>La visibilité de <a href="https://tetu.com/2023/04/01/politique-rassemblement-national-elus-gays-parti-assemblee-vernis-arc-en-ciel-rn/">membres du parti ouvertement homosexuels</a> – pour l’essentiel des hommes gays – a donc souvent été perçue comme improbable ou, tout du moins, paradoxale.</p>
<p>La contradiction pourrait se résumer en ces termes : comment des hommes qui s’identifient comme gays peuvent-ils rejoindre un parti qui n’encourage pas les politiques en faveur des droits LGBT+, voire qui s’y oppose activement ?</p>
<h2>Un apparent paradoxe</h2>
<p>Dans un chapitre de l’ouvrage <a href="https://journals.openedition.org/lectures/62633"><em>Sociologie politique du Rassemblement national. Enquêtes de terrain</em></a>, j’ai cherché à dénouer les fils de l’apparent paradoxe entre l’orientation sexuelle et l’orientation politique des homosexuels frontistes.</p>
<p>Je me suis pour cela concentrée sur deux <a href="https://www.dunod.com/sciences-humaines-et-sociales/portraits-sociologiques-dispositions-et-variations-individuelles">portraits sociologiques</a>, élaborés à partir d’entretiens approfondis avec des militants – Maxime, 23 ans au moment de l’enquête, et Julian, 27 ans – qui ont rejoint le parti après l’arrivée de Marine Le Pen à sa tête.</p>
<p>Ces deux cas étudiés sont loin d’épuiser l’ensemble des trajectoires possibles d’engagement de gays au FN/RN, mais le choix de resserrer ainsi l’analyse permet d’entrer dans le détail des parcours individuels et dans le concret des expériences au sein du parti. Ils montrent que loin de s’opposer, homosexualité et militantisme frontiste s’articulent et se façonnent mutuellement.</p>
<h2>Le conservatisme en héritage</h2>
<p>Maxime, étudiant en droit, est issu d’une famille des classes supérieures avec un père ingénieur et une mère universitaire qui a travaillé dans sa jeunesse pour Philippe de Villiers, le fondateur du parti souverainiste Mouvement pour la France. Il développe dès le plus jeune âge un intérêt pour la politique, avec des valeurs conservatrices de droite.</p>
<p>Dans la famille de Julian, la politique est également fortement valorisée : si son père avait un « devoir de réserve » en étant militaire dans la Marine nationale, sa mère a été attachée parlementaire auprès de députés de l’Union des Démocrates Indépendants (UDI) pendant quelques années.</p>
<p>Ses parents l’ont ainsi poussé à militer à son tour, ce qu’il fait, avant même d’être en âge de voter, en participant à la campagne de Nicolas Sarkozy en 2007. Bien que les membres de sa famille ne soutiennent pas directement le Front national, les valeurs conservatrices qu’ils véhiculent rendent probable l’adhésion de Julian à certaines des idées frontistes. Julian appartient en effet, selon ses mots :</p>
<blockquote>
<p>[à l’une de ces] « vieilles familles qui sont très croyantes, qui sont vraiment attachées à une terre, des familles très traditionnelles et conservatrices – on se le dit souvent : en cas d’épuration ethnique, on serait les derniers à rester avec les Le Pen ».</p>
</blockquote>
<h2>« peut-être que je finirai hétéro »</h2>
<p>L’importance de la religion catholique est un autre point mis en avant par les enquêtés pour expliquer leurs préférences politiques. Maxime dit par exemple que sa famille maternelle est proche de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie-X qui rassemble des catholiques qualifié·e·s de <a href="https://www.nouvelobs.com/education/20170719.OBS2319/integrisme-racisme-j-ai-ete-eleve-a-la-fraternite-saint-pie-x.html">« traditionalistes »</a>. Il passe sa scolarité dans une école privée catholique hors contrat où les sociabilités adolescentes rejoignent ses valeurs conservatrices :</p>
<blockquote>
<p>« Cathos tradi’, ils s’engagent pas politiquement, ils font plus de l’associatif, les trucs de la Manif pour tous et tout ça ».</p>
</blockquote>
<p>Avec ses camarades du lycée, il part ainsi manifester contre la « loi Taubira », <a href="https://www.gouvernement.fr/action/le-mariage-pour-tous">visant à ouvrir le mariage aux couples de même sexe</a>, au moment où elle est débattue à l’Assemblée en 2013. À cette période, il se définit comme hétérosexuel et n’a jamais eu de relation homosexuelle.</p>
<p>C’est à 19 ans, lors d’une soirée en boîte de nuit, qu’il a un premier rapport sexuel avec un homme alors qu’il est en couple avec une femme. Il quitte, peu de temps après, sa copine et entame des relations avec des partenaires de même sexe. Pour autant, son opposition au « Mariage pour tous » n’a pas varié :</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/mNQ3c-jl5KQ?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">KTO TV, 2013.</span></figcaption>
</figure>
<blockquote>
<p>« Je pense, et je le pense de plus en plus, que… les gays sont pas stables. Je vois le nombre de rapports sexuels que les gays peuvent avoir c’est… affreux ! […] pour un gosse je pense que c’est pas un bon modèle. Et le mariage entraîne la filiation. […] Je pense que le mode de vie aussi n’est pas sain. C’est pour ça aussi peut-être que je finirai hétéro. »</p>
</blockquote>
<p>La progressive définition de soi comme gay et la socialisation secondaire au sein d’espaces de sociabilité homosexuelle ne modifient donc pas fondamentalement les représentations qu’il avait auparavant de l’homosexualité.</p>
<h2>Défendre un ordre hétéronormé tout en étant gay</h2>
<p>Certains <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/le_commerce_des_pissotieres-9782707152039">travaux déjà anciens</a> ont fait l’hypothèse que le conservatisme d’hommes gays serait dû à la recherche d’une « respectabilité sociale » pour « compenser » le stigmate attaché à l’homosexualité.</p>
<p>Dans le cas de nos enquêtés, les attitudes politiques ne sont pas tant une conséquence de leur sexualité minorisée que de leurs socialisations conservatrices qui les mènent, d’une part, à rejoindre le Front national, et, d’autre part, à défendre un ordre hétéronormé tout en étant gay.</p>
<p>Leur position au sein du parti n’apparaît pas subversive à cet égard puisqu’ils promeuvent des valeurs familialistes qui valorisent l’hétérosexualité :</p>
<blockquote>
<p>« La vie à deux, le couple se fait entre un homme et une femme », « des enfants j’en voudrais mais uniquement avec une femme… »</p>
</blockquote>
<p>Cela étant, ils ne s’attachent pas non plus à défendre, dans toutes les sphères de leur existence, des opinions et des pratiques conservatrices. Tout en <a href="https://www.cairn.info/manuel-indocile-de-sciences-sociales--9782348045691-page-798.htm">considérant l’hétérosexualité comme supérieure</a>, ils s’identifient comme gays, participent plusieurs fois par semaine à des soirées avec d’autres homosexuels dans des bars ou des boîtes de nuit et ont de nombreuses relations sexuelles et affectives avec des hommes.</p>
<p>Leur rapport aux normes de genre est également ambivalent. En entretien, ils déprécient fortement les hommes « efféminés », dont ils cherchent à se distinguer, et disent préférer les <a href="http://iris.ehess.fr/index.php?2419">« gays très hétéros »</a>. Mais ils peuvent se révéler très différents au quotidien et dans la sphère intime. Ainsi, loin du <a href="https://www.liberation.fr/politique/lextreme-droite-obsedee-par-sa-virilite-20210613_JGSCXRLMP5ECFFQBJ5VF2M77OM/">stéréotype du militant viril d’extrême droite</a>, ils utilisent couramment des pronoms féminins pour se désigner ou encore affirment apprécier être « considéré comme la maîtresse, l’amante tu vois de ce mec-là ».</p>
<p>Cette ambivalence vis-à-vis de l’homosexualité et de la masculinité est parfois vécue sur le mode du <a href="https://www.politika.io/fr/article/habitus">« déchirement »</a> (« peut-être que je finirai hétéro » avec, dans « l’idéal », « une maison en pavillon, une femme, un 4x4, les gros chiens et… des enfants »), mais elle n’est pas tout le temps, ni systématiquement, source de tensions individuelles.</p>
<h2>Sociabilités gaies en milieu partisan</h2>
<p>L’engagement militant de gays au FN est lié à leurs dispositions politiques mais aussi au contexte partisan où il prend place. Leur expérience au sein du parti est notamment façonnée par l’existence de sociabilités gaies intrapartisanes auxquelles ils vont progressivement prendre part.</p>
<p>Maxime et Julian <a href="https://www.cairn.info/revue-agora-debats-jeunesses-2011-1-page-7.htm">ne parlent pas de leur homosexualité</a> au moment où ils entrent dans le parti. Ils ne le font qu’une fois qu’ils y sont suffisamment insérés, après plusieurs mois pour l’un et un an et demi pour l’autre, et qu’ils constatent que l’homosexualité n’est pas un « problème » pour les militants qu’ils côtoient. Ils découvrent alors que la sphère militante donne accès à des espaces de sociabilité homosexuelle, à l’entre-soi gay lors de soirées en boîtes de nuit ou chez des militants par exemple.</p>
<p>Si cela ne constitue pas au départ une incitation à rejoindre le parti, cela contribue à inscrire leur engagement partisan dans la durée et s’apparente sous certains aspects à une <a href="https://www.persee.fr/doc/rfsp_0035-2950_1977_num_27_1_393715">rétribution de leur militantisme</a>.</p>
<p>Julian commente ainsi :</p>
<blockquote>
<p>« Y’a plein de mecs qui sont gays, mais alors là, même dans les cadres et compagnie. Y’avait un cadre qui était venu dans la section, dont je citerai pas le nom, on avait passé deux jours dans sa suite au Pullman où y’avait d’autres cadres du Front national qui nous avaient rejoints, on avait fait que baiser ! Fin bon, y’a pas de soucis là-dessus ! »</p>
</blockquote>
<p>Soulignons qu’il ne s’agit-là ni d’une spécificité du FN ni des militants gays : les <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/0011392113486659">liens intimes</a> font pleinement partie des expériences partisanes, où qu’elles se situent sur le spectre politique, même si les liens relevant de la sexualité sont rarement mis en avant.</p>
<h2>Le relatif contrôle de la visibilité homosexuelle</h2>
<p>L’homosexualité et sa visibilité ne sont cependant pas acceptées dans toutes les sphères du FN : il s’agit d’un vecteur d’affinités tout autant que d’oppositions intra-partisanes. Maxime explique par exemple avoir été fortement critiqué dans certains espaces où son homosexualité était connue :</p>
<blockquote>
<p>« Donc [pour eux] j’étais dans la bande de Philippot soi-disant, alors que pas du tout, j’étais bien content qu’il s’en aille d’ailleurs, j’étais plutôt dans la ligne de Marion [Maréchal]… Mais du coup j’étais dans les “mignons” à abattre. »</p>
</blockquote>
<p>La visibilité gaie vient parfois alimenter des logiques d’appartenance à des sous-groupes partisans. Maxime continue par ailleurs de « cacher » son homosexualité dans sa fédération d’origine, implantée dans le département rural où vivent ses parents, qu’il considère comme plutôt hostile envers les gays et au sujet de laquelle il conclut :</p>
<blockquote>
<p>« Y’a quand même plein de gens qui sont au Front national qui sont homophobes. »</p>
</blockquote>
<p>La publicisation de l’homosexualité à l’extérieur du parti est également fortement contrôlée. Ainsi Maxime a poursuivi en justice, avec le soutien du FN à l’époque, un journaliste qui l’a « outé » dans la presse, suite à sa participation à une manifestation contre le « Mariage pour tous ». L’enjeu du procès est alors, selon lui, de publiquement « affirmer qu’[il n’est] pas gay ».</p>
<h2>Les usages de l’homonationalisme</h2>
<p>Les expériences partisanes de Julian et Maxime sont également marquées par la progressive appropriation d’idées <a href="https://www.cairn.info/revue-cahiers-du-genre-2013-1-page-151.htm">homonationalistes</a>. Ces idées reposent sur la stigmatisation de certaines populations, notamment racisées, en mobilisant de manière approximative et équivalente l’origine migratoire, l’appartenance religieuse, le lieu d’habitation, etc. Elles visent à les présenter comme étant intrinsèquement « homophobes » et les exclure de ce qui est pensé comme étant la « Nation française ».</p>
<p>Le parti est un lieu de production et de diffusion de l’homonationalisme, relayé par les cadres dans les <a href="https://www.liberation.fr/france/2010/12/20/pourquoi-marine-le-pen-defend-les-femmes-les-gays-les-juifs_701823/">discours officiels notamment depuis 2010</a> pour s’adapter aux normes de la compétition politique dans un contexte d’<a href="https://www.cairn.info/enquete-sur-la-sexualite-en-france--9782707154293-page-243.htm">acceptation croissante de l’homosexualité</a>.</p>
<p>Lorsque Julian et Maxime rejoignent le FN, ce n’est toutefois pas pour promouvoir des idées homonationalistes. Ils disent d’ailleurs n’avoir jamais connu de violences hétérosexistes de la part <a href="https://books.openedition.org/ined/14944">d’autres personnes que leurs proches</a>.</p>
<h2>Le souci de « la sécurité »</h2>
<p>L’homonationalisme n’est donc pas la cause de leur engagement politique mais les enquêtés vont, par la suite, le mobiliser comme une justification idéologique de leur affiliation au Front national.</p>
<p>Maxime commente ainsi :</p>
<blockquote>
<p>« Je pense que le vrai droit – et c’est pour ça qu’il y a autant de gays qui votent Front national, c’est impressionnant dans mon entourage, les gays, il doit y en avoir 60-70 % qui votent Front national – c’est la sécurité. Quand tu sors d’une boîte de nuit ou autre, tu tiens la main d’un gars et tu vas te faire agresser par la racaille du coin. […] j’ai pas forcément peur de l’islam. Mais la racaille qui interprète mal l’islam, ouais ouais c’est sûr ça peut faire peur ».</p>
</blockquote>
<p>Les militants participent, à leur tour, à diffuser ces idées sur la sécurité au sein de leur entourage ou via des supports de communication politique. Maxime poste régulièrement des tweets sur le sujet – comme celui disant que « les agressions homophobes sont causées par la montée de l’islamisme. Ne nous voilons pas la face » – qui sont ensuite « likés » par d’autres membres du parti.</p>
<p>La rhéthorique homonationaliste permet ainsi de justifier idéologiquement leur engagement en tant que gays et les conduit ponctuellement à donner une dimension politique à leur sexualité. Si l’expérience de l’homosexualité apparaît, au départ, marginale dans la formation de leurs préférences politiques, elle participe <em>in fine</em> à façonner leur engagement.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217237/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Maialen Pagiusco ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Loin de s’opposer, homosexualité et militantisme frontiste s’articulent et se façonnent mutuellement.Maialen Pagiusco, Doctorante, ATER en science politique, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2200782024-01-07T15:34:43Z2024-01-07T15:34:43ZEn Suède, la multiplication des autodafés du Coran met à l’épreuve le pari multiculturel<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/567329/original/file-20231225-19-xykc6z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C313%2C2160%2C1807&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L’activiste et politicien dano-suédois Rasmus Paludan pendant un autodafé du Coran devant l’ambassade de Turquie à Stockholm le 21&nbsp;janvier 2023.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Rasmus_Paludan#/media/Fichier:Rasmus_Paludan_burning_the_Koran_2023-01-21_(2).jpg">Tobias Hellsten/ToHell.Wikipedia </a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0/">CC BY-NC</a></span></figcaption></figure><p>Entre l’enlisement de la guerre en Ukraine et les effets de l’embrasement de la bande de Gaza, l’année 2023 a été caractérisée, partout en Europe, par une dégradation du climat sécuritaire et par de brusques recompositions du cadre des relations diplomatiques. En Suède, des tensions sans précédent ont marqué l’actualité, assorties d’inquiétudes palpables et, hélas, justifiées, relatives à la sécurité des ressortissants suédois à l’étranger.</p>
<p>Cet été, à <a href="https://edition.cnn.com/2023/06/28/europe/sweden-quran-protest-intl/index.html">Ankara</a>, à <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1342756/coran-brule-en-suede-manifestation-devant-la-mosquee-al-amine-a-beyrouth.html">Beyrouth</a> et à <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1342773/pakistan-des-milliers-de-personnes-protestent-contre-lautodafe-dun-coran-en-suede.html">Islamabad</a>, des manifestants ont mis le feu au drapeau suédois ; en <a href="https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20230720-des-partisans-de-moqtada-al-sadr-ont-incendi%C3%A9-l-ambassade-de-su%C3%A8de-%C3%A0-bagdad">Irak</a> et au <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/liban-un-cocktail-molotov-lance-contre-l-ambassade-de-suede-20230810">Liban</a>, les désordres ont été suivis de violences contre les ambassades du pays.</p>
<p><a href="https://www.tf1info.fr/international/direct-belgique-deux-personnes-decedees-dans-une-fusillade-a-bruxelles-2273181.html">Le 17 octobre, à Bruxelles</a>, un islamiste se revendiquant de l’État islamique a abattu deux supporters de l’équipe suédoise de football venus assister au match Belgique-Suède. Cet attentat a confirmé le bien-fondé des craintes de Stockholm. Depuis l’été, le gouvernement avait en effet recommandé à ses ressortissants de se montrer très précautionneux lorsqu’ils se trouvent à l’étranger : un choc pour un pays identifié depuis des décennies à des politiques migratoires généreuses et au souci du dialogue interculturel.</p>
<h2>Provocations anti-islam et menaces d’attentats</h2>
<p>Cette flambée d’hostilité tient à une cause : les autodafés du Coran, d’abord <a href="https://www.euronews.com/2019/04/25/denmark-s-quran-burning-politician-gathering-support-for-election-candidacy">organisés au Danemark</a> depuis la fin des années 2010, et qui ont désormais la Suède pour théâtre habituel.</p>
<p>L’initiateur de cette modalité de provocation anti-islamique est un citoyen dano-suédois, <a href="https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2019/05/31/rasmus-paludan-le-visage-danois-de-l-extreme-xenophobie_5469724_4500055.html">Rasmus Paludan</a>, avocat de profession, aujourd’hui âgé de 41 ans. Leader du parti danois « Ligne dure » (<em>Hart Stram</em>), Paludan a émergé il y a quelques années comme un pourfendeur de « l’islamisation des sociétés européennes » et du brassage des cultures. Sa formation a récolté 1,8 % des suffrages aux élections législatives danoises de 2019. Après que son parti s’est vu exclu de la vie politique du pays pour avoir manipulé les listes de signatures nécessaires pour déposer des candidatures, Paludan s’est tourné vers la Suède, où les <a href="https://information.tv5monde.com/international/suede-la-question-de-limmigration-au-coeur-des-legislatives-29998">enjeux liés à l’immigration se trouvent</a> au cœur des débats de société depuis une dizaine d’années. </p>
<p>Son premier exploit, en 2020, a eu pour cadre Rosengården, un quartier de Malmö dont près de 90 % des habitants sont d’origine étrangère, épicentre des <a href="https://www.bbc.com/news/world-europe-39047455">révoltes urbaines des années 2015-2017</a>. L’action incendiaire de Paludan a entraîné une <a href="https://www.nst.com.my/world/world/2020/08/620385/riot-sweden-amidst-quran-burning-rally">recrudescence des violences</a>, ce qui lui a valu un arrêté d’interdiction de séjour sur le sol suédois. Sa condition de binational lui a toutefois permis de contourner la décision de justice et de concentrer son activité sur la Suède, où il a fait des émules, dont un réfugié irakien, <a href="https://www.lefigaro.fr/international/qui-est-salwan-momika-le-bruleur-de-coran-a-l-origine-d-une-crise-diplomatique-entre-la-suede-et-le-monde-musulman-20230721">Salwan Momika</a>.</p>
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<p>Les autodafés se sont vite multipliés, même si Paludan et Momika (qui s’est spécialisé dans la diffusion en direct des autodafés sur la plate-forme TikTok) restent les protagonistes les plus médiatisés de cette forme de contre-liturgie. Les sites où ils se déroulent sont choisis pour exacerber les tensions entre autochtones et immigrés : lieux de culte dédiés à l’islam, quartiers à haute concentration d’étrangers, ambassades de pays musulmans…</p>
<p>Au printemps 2022, Paludan s’est engagé dans une « tournée électorale » (d’après ses propres mots) à travers la Suède : une série de profanations dûment autorisées, qui ont occasionné d’une part des échauffourées violentes dans plusieurs villes, et d’autre part une dégradation de l’image du pays au Moyen-Orient. Une énième provocation, aux abords de l’ambassade de Turquie en janvier 2023, a suscité des réactions particulièrement virulentes d’Ankara, au point de compromettre le premier point de l’agenda de politique étrangère du gouvernement : l’adhésion à l’OTAN.</p>
<p>En effet, le <a href="https://www.letemps.ch/monde/adhesion-de-la-suede-a-l-otan-un-coran-brule-a-stockholm-seme-la-zizanie">Parlement turc a réagi en demandant le rejet de la demande de la Suède</a>, formalisée sept mois auparavant (rappelons qu’un pays ne peut pas rejoindre l’Alliance atlantique si l’un des pays membres s’y oppose ; la Turquie, qui a intégré l’OTAN en 1952, peut donc bloquer à elle seule l’entrée de la Suède). Pendant quelques jours, l’Institut suédois (agence officielle de diplomatie culturelle) comptabilisera 350 000 interventions <em>par heure</em> sur les médias sociaux en turc, dénonçant l’affront à la foi musulmane effectué par Paludan sans que les autorités suédoises n’interviennent. La plainte contre Paludan déposée auprès de la police par un citoyen suédois sera classée sans suite.</p>
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<p>Pour autant, les provocateurs ne cessent pas leurs actions. En juin, à l’ouverture des festivités de <a href="https://www.lepoint.fr/societe/qu-est-ce-que-l-aid-el-kebir-la-grande-fete-musulmane-28-06-2023-2526640_23.php">l’<em>Aid al-Adha</em></a>, un autodafé sous protection policière est organisé par Momika devant la grande mosquée de Stockholm. Il déclenchera un déluge de protestations, la Ligue des États arabes et l’Organisation de coopération islamique s’insurgeant contre l’intolérable… tolérance de la justice suédoise. Au Pakistan, en Iran et en Irak, où l’auteur d’un tel geste encourrait la peine de mort, des milliers d’individus manifestent pour exiger le boycott de la Suède, voire la vengeance à l’égard du pays.</p>
<p>Du fait de ces menaces, l’agence suédoise de contre-espionnage (SÄPO) a décidé au mois d’août de relever au niveau 4 (sur 5) le seuil d’alerte contre les attaques terroristes visant le pays : un retour au climat de 2016, lorsque la guerre en Syrie avait provoqué un bond historique du nombre des réfugiés en Suède, doublée de l’aggravation des tensions dans les banlieues. Et en octobre, nous l’avons dit, <a href="https://www.touteleurope.eu/societe/attentat-a-bruxelles-deux-suedois-tues-le-suspect-abattu-la-france-renforce-sa-securite/">deux Suédois mouraient à Bruxelles</a> sous les balles d’un homme qui les avait visés expressément du fait de leur nationalité.</p>
<h2>Des causes endogènes, et une nouvelle fracture du spectre politique</h2>
<p>Bien que l’activisme anti-islam, y compris dans la forme de la profanation du Coran, soit le fait d’acteurs transnationaux, c’est en Suède qu’il se manifeste de la manière la plus voyante. Les tensions interethniques qui secouent le pays depuis la crise migratoire des années 2015-2016 et la prolifération des <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/un-monde-d-avance/guerre-des-gangs-en-suede-des-victimes-toujours-plus-jeunes_6054725.html">règlements de comptes entre gangs</a>, ont participé à créer un terrain favorable. Selon le gouvernement, la Russie aurait également <a href="https://www.theguardian.com/world/2023/jul/26/russia-using-disinformation-to-imply-sweden-supported-quran-burnings">fait jouer ses réseaux</a> pour attiser les conflits entre Suédois installés de longue date et nouveaux arrivants, afin de déstabiliser ce pays qui a pris le parti de l’Ukraine depuis le début de la guerre en février 2022 et a mis fin à deux siècles de neutralité pour rejoindre l’OTAN.</p>
<p>La polémique sur l’islam s’inscrit surtout dans une période marquée par un tournant en matière de politique intérieure : la percée, en septembre 2022, du Parti populiste des <a href="https://politiqueinternationale.com/revue/n178/article/lessor-des-democrates-de-suede-ou-la-fin-de-lexception-suedoise">« Démocrates de Suède »</a> (SD), qui fait de la lutte contre l’immigration – sur la base du postulat de la guerre des civilisations – l’axe de son discours. Depuis l’installation de l’exécutif dirigé par le libéral-conservateur Ulf Kristersson, les SD lui assurent une majorité par leur appui externe, tout en s’efforçant d’insuffler dans l’action du gouvernement leurs thèmes de prédilection. Leur dernière proposition en date est la <a href="https://www.courrierinternational.com/article/polemique-l-extreme-droite-suedoise-en-guerre-contre-les-mosquees">démolition de nombre des mosquées existant dans le pays</a>.</p>
<p>La généralisation des autodafés n’a fait qu’exacerber la préoccupation du monde islamique face à la banalisation de ce type d’agissements ; mais la cible de la colère des représentants des communautés musulmanes est avant tout l’indifférence des autorités, qui détonne avec le cas de la France – mais aussi de voisins scandinaves, tels que la Finlande – où de tels projets sont <a href="https://www.20minutes.fr/france/704393-20110411-france-il-brule-urine-coran-trois-mois-sursis-requis">immédiatement jugulés</a>. Comment expliquer la posture passive des responsables suédois face à ce phénomène, à l’heure où la situation en matière politique de sécurité apparaît (d’après le <a href="https://europeanconservative.com/articles/news/swedish-pm-delivers-a-grim-christmas-speech/">discours de Noël 2022 du premier ministre Kristersson</a>) comme « la pire depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale » ?</p>
<h2>Les raisons culturelles de l’inaction des autorités</h2>
<p>La cause technique le plus souvent invoquée pour expliquer la généralisation des autodafés en Suède est l’absence d’un arsenal juridique qui les interdit. Le blasphème et la diffamation de la religion ont été rayés des textes de loi il y a plus de 50 ans. C’est donc autour de l’enjeu de la possibilité formelle d’enrayer cette provocation, plutôt que sur ses causes, ou son bien-fondé, que la discussion s’est cristallisée.</p>
<p>À ce jour, les tribunaux ont rechigné à mobiliser deux articles pertinents du code pénal qui répriment, respectivement, « les comportements vexatoires » et « l’incitation à la haine raciale ». Le premier exige que l’impact choquant du geste soit avéré – et non seulement probable – alors que dans le second cas de figure, l’interprétation qui prévaut chez les magistrats est que l’injure à l’égard d’un culte n’est pas assimilable à la discrimination d’un groupe ethnique.</p>
<p>La pratique, et plus généralement une approche antinormative de la liberté d’expression, découragent finalement l’activation de ces dispositifs légaux. C’est pourquoi les cours administratives d’appel ont été amenées à annuler des interdictions policières prononcées contre les actions de Paludan ou de Momika.</p>
<p>Face à une indignation qui fédère <a href="https://www.europe1.fr/international/coran-brule-le-president-turc-erdogan-fustige-la-suede-4191624">Erdogan</a>, <a href="https://www.aa.com.tr/fr/monde/poutine-le-non-respect-du-coran-est-un-crime-r%C3%A9prim%C3%A9-par-la-l%C3%A9gislation-russe-/2933734">Poutine</a> et <a href="https://www.euractiv.fr/section/international/news/un-coran-brule-au-coeur-du-blocage-hongrois-pour-laccession-de-la-suede-a-lotan/">Orban</a>, mais aussi le <a href="https://www.letemps.ch/monde/le-conseil-des-droits-de-l-homme-condamne-les-autodafes-du-coran">Conseil des droits de l’homme de l’ONU</a>, l’opposition sociale-démocrate semble pencher vers un réajustement de l’arsenal juridique, alors que les déclarations des partis au gouvernement oscillent entre la critique des autodafés et le refus de « céder aux diktats étrangers ».</p>
<p>Il convient de rappeler que si le principe de la liberté d’expression représente depuis le XVIII<sup>e</sup> siècle un pilier de l’identité nationale, une législation souvent poussée par des urgences politiques en a restreint la portée. Depuis 1933, par exemple, le port de vêtements révélant une appartenance politique est interdit aux citoyens suédois. En 1996, un homme ayant arboré, lors de la fête nationale, un drapeau suédois orné de figures mythologiques et du mot <em>Valhalla</em> avait ainsi été condamné en justice. En 2014, les collages de l’artiste Dan Park – mettant en scène la pendaison de trois individus de couleur, identifiés par leur nom, comme après un lynchage – <a href="https://hyperallergic.com/154676/sentenced-swedish-artist-dan-park-incited-against-an-ethnic-group/">lui valurent</a> une lourde amende, six mois de prison et la destruction de ses œuvres.</p>
<p>La réticence à modifier la loi s’explique aujourd’hui par le rejet de l’idée que la sphère du sacré puisse être l’objet de tutelles ou d’interdits <em>ad hoc</em>. S’attaquer à un « symbole » – a statué le parquet dans le cas de l’autodafé organisé devant l’ambassade turque – n’est jamais illégal, pour autant que la manifestation n’a pas pour cible des croyants en chair et en os. Cette position est au cœur de l’exception suédoise, par rapport à la France, au Royaume-Uni ou au Danemark – capable de défendre farouchement le droit au blasphème lors de l’épisode des caricatures de Mahomet (2005), mais qui vient d’adopter, le 7 décembre, une <a href="https://fr.euronews.com/2023/12/08/le-danemark-interdit-de-bruler-le-cora">loi</a> qui pénalise le « traitement inapproprié » (incendie ou profanation) de textes religieux dans l’espace public.</p>
<p>Dans un spectre politique polarisé, la querelle a contribué à raidir les positions. Si les SD y ont vu l’occasion de s’ériger en défenseurs d’une vertu nationale – la tolérance, étendue aux expressions extrêmes du droit de réunion – le gouvernement se livre à un équilibrisme périlleux : dénoncer l’instrumentalisation du thème de l’islamophobie par des puissances étrangères souvent fort peu démocratiques et tolérantes par ailleurs, tout en se dissociant d’une manifestation du rejet de l’Autre aussi repoussante.</p>
<p>Une enquête publique a été lancée en août pour examiner le pour et le contre de la révision des normes sur la liberté d’expression : elle rendra ses conclusions le 1<sup>er</sup> juillet 2024. En s’appuyant sur des dispositifs consensuels bien rodés, l’establishment tâche de sortir d’une impasse qui place la Suède dans une position excentrée – et inconfortable – par rapport à la manière dont la majorité des pays occidentaux conçoivent l’équilibre entre droit d’expression des individus et sensibilité des communautés de foi.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220078/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Piero S. Colla ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>En Suède, des activistes très hostiles à l’islam brûlent des Corans en public, ce qui vaut au pays des critiques véhémentes venues des pays musulmans mais aussi des menaces terroristes très réelles.Piero S. Colla, Chargé de cours à l’université de Strasbourg, laboratoire « Mondes germaniques et nord-européens », Université de StrasbourgLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2202252023-12-20T19:57:59Z2023-12-20T19:57:59ZGérald Darmanin, symbole des illusions perdues du macronisme ?<p>Le projet de loi sur l’immigration était annoncé comme un moment décisif pour les différents acteurs de la vie politique française et en particulier pour Gérald Darmanin, le ministre de l’Intérieur. Il constitue sans doute un tournant important pour l’homme politique et illustre a plusieurs égards les difficultés auxquelles font face Emmanuel Macron, le macronisme et le système politique français dans son ensemble.</p>
<p>Les derniers événements ont été particulièrement difficiles pour le ministre même si celui qui a remis <a href="https://www.francetvinfo.fr/politique/gerald-darmanin/info-franceinfo-vote-de-rejet-de-la-loi-immigration-gerald-darmanin-a-propose-sa-demission-refusee-par-le-president-lors-d-un-entretien-lundi-soir-a-l-elysee_6237198.html">sa lettre de démission, refusée par l’Élysée</a> (suite au vote de la motion de rejet de la loi sur l’immigration) <a href="https://www.lefigaro.fr/politique/en-direct-loi-immigration-nous-sommes-plus-pres-d-un-accord-que-d-un-desaccord-affirme-darmanin-20231218">se félicite</a> aujourd’hui de la séquence politique qui a vu l’adoption de cette même loi.</p>
<p>L’homme politique est-il pour autant renforcé de cet épisode et que nous dit-il de l’état du macronisme ?</p>
<h2>Une image d’homme de droite</h2>
<p>Si Gérald Darmanin a pu publiquement <a href="https://www.francetvinfo.fr/politique/gerald-darmanin/presidentielle-2027-gerald-darmanin-estime-qu-edouard-philippe-est-le-mieux-place-mais-s-interroge-sur-son-envie_6109053.html">interroger sa volonté</a> de se positionner dans la course pour le poste de président de la République, il fait très clairement parti des personnes qui pourraient prétendre à la succession d’Emmanuel Macron.</p>
<p>Darmanin s’est construit une image d’homme de droite attaché au respect de l’ordre et son rôle de ministre de l’Intérieur a donné corps à ce positionnement. Mais plusieurs ratés (<a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/02/16/gerald-darmanin-doit-tirer-les-lecons-du-chaos-au-stade-de-france_6162045_3232.html">incidents du Stade de France</a>, <a href="https://www.lexpress.fr/societe/terrorisme-islamiste-darmanin-plaide-pour-une-injonction-de-soins-FJ5FEWIDYZCEVKUAN3CSTXHOG4/">attaques terroristes</a>…) et polémiques (<a href="https://www.lepoint.fr/societe/gerald-darmanin-maintient-ses-propos-sur-karim-benzema-25-10-2023-2540792_23.php#11">affaire Karim Benzema</a>, <a href="https://www.francetvinfo.fr/politique/gerald-darmanin/accusations-de-viol-a-l-encontre-de-gerald-darmanin-le-non-lieu-en-faveur-du-ministre-de-l-interieur-est-confirme-en-appel_5620133.html">accusation de viol</a>…) ont écorné sa réputation d’efficacité et de rigueur. Le rejet de « son » projet de loi sur l’immigration porte un coup certain à ses ambitions personnelles qui s’appuyaient en grande partie sur sa légitimité en matière de sécurité.</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Difficile pourtant de prévoir ce qu’il adviendra des ambitions présidentielles de Darmanin tant la période qui s’ouvre est inédite sous la V<sup>e</sup> République. <a href="https://www2.assemblee-nationale.fr/decouvrir-l-assemblee/histoire/la-ve-republique/les-grandes-etapes-de-la-ve-republique">Pour la première fois</a>, un président encore jeune quittera la présidence sans avoir été battu… alors que la possibilité qu’<a href="https://fr.news.yahoo.com/emmanuel-macron-pourrait-il-se-representer-en-2032-151353458.html?guccounter=1&guce_referrer=aHR0cHM6Ly93d3cuZ29vZ2xlLmNvbS8&guce_referrer_sig=AQAAAEKnCJD-4Puu94CtwDzyqMxOwQpDP1vGFHerRERgF4B1jyXWISobCd63hHgltqw3Oh95r1Db3-hkKua6TWiKp0H1yAoVvvxfn1Yr3jSxxiXfgw8aSkHR0_DL6ujHfEb48njeoWtcR5S6knPk_DbXa0vZG6669MwJO4f0YDYY0TT3">il puisse se représenter de manière non consécutive</a> n’est pas écartée.</p>
<p>Jamais, une telle situation n’était arrivée et la succession d’Emmanuel Macron risque donc de réserver des stratégies et des montages politiques nouveaux.</p>
<p>Pour la première fois, la <a href="https://www.lejdd.fr/politique/presidentielle-2027-marine-le-pen-caracole-en-tete-edouard-philippe-favori-du-camp-macroniste-dapres-un-sondage-139319">favorite des sondages</a> et de l’élection présidentielle pourrait être Marine Le Pen, la candidate du parti représentant l’extrême droite française. Dans ce contexte, le positionnement d’homme de droite de Darmanin et sa connaissance des dossiers régaliens, légitimés par son passage place Beauvau, seront sans doute recherchés par ceux qui décideront de se lancer dans la bataille face à Marine Le Pen.</p>
<h2>Pas de vrai virage politique, sauf vers la droite</h2>
<p>Lors de sa première élection présidentielle, Emmanuel Macron s’était fait élire en promettant de <a href="https://theconversation.com/la-gauche-et-la-droite-font-elles-encore-sens-en-france-178181">dépasser le clivage droite/gauche</a>.</p>
<p>Les sujets mis en avant, à l’image de l’immigration, et les mesures prises, comme dans le cadre de la réforme des retraites, semblent entériner l’idée que le parti présidentiel penche désormais fortement <a href="https://theconversation.com/emmanuel-macron-lheritier-cache-de-nicolas-sarkozy-178669">à droite</a>.</p>
<p>Le départ d’anciens alliés issus de la gauche, à l’instar tout récemment de <a href="https://www.ouest-france.fr/politique/daniel-cohn-bendit/europeennes-daniel-cohn-bendit-rompt-avec-macron-et-appelle-les-ecologistes-a-rejoindre-glucksmann-1f927344-9804-11ee-b5ab-4c9dbbc4ce19">Daniel Cohn Bendit</a>, parait d’ailleurs confirmer ce virage.</p>
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<figcaption><span class="caption">Immigration : le projet de loi adopté par l’Assemblée nationale le 19 décembre 2023, HuffPost.</span></figcaption>
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<p>Lors de la seconde élection, il avait déclaré que le résultat morcelé du premier tour l’obligeait à faire de la politique autrement et qu’il avait <a href="https://www.youtube.com/watch?v=SMHd9uYD5H8">compris le message</a>. L’épisode des échanges et négociations entre Darmanin et Les Républicains (LR) lors de la loi sur l’immigration donne pourtant l’image de manœuvres politiciennes peu en accord avec l’idée de nouvelles pratiques politiques et de la recherche d’un consensus autour d’un projet commun. Alors que certains en appellent à une <a href="https://books.openedition.org/putc/157?lang=fr">VIᵉ république</a>, la façon dont les jeux de pouvoir s’organisent sous et autour d’Emmanuel Macron rappelle en tous points celles des époques précédentes.</p>
<p>La loi sur l’immigration symbolise à plusieurs égards la « politique à l’ancienne » que l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron devait faire disparaître. En ce sens, elle illustre l’échec de la tentative de faire de la politique autrement. La <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/un-parlement-en-toc-l-amertume-d-une-deputee-macroniste-decidee-a-ne-pas-se-representer-a-l-assemblee-5879426">décision de certains élus macronistes</a> de ne pas rempiler suite au premier quinquennat, avaient déjà en partie mis en exergue ce phénomène. Force est constater que l’utilisation répétée du 49.3 semble témoigner des <a href="https://www.lopinion.fr/politique/les-deputes-macronistes-doivent-encore-apprendre-a-perdre">difficultés du camp présidentiel</a> à <a href="https://theconversation.com/macron-incarnation-de-la-theorie-des-paradoxes-et-de-ses-limites-195300">co-construire, à négocier, à convaincre</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/changer-de-constitution-pour-changer-de-regime-180160">Changer de constitution pour changer de régime ?</a>
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<h2>Un décalage profond avec les électeurs</h2>
<p>L’incapacité de parvenir à mettre en place de nouvelles pratiques politiques illustre un phénomène plus profond pour la V<sup>e</sup> République et le système démocratique : celui du décalage entre la façon dont les décideurs politiques comprennent les messages des urnes et des élections et la réalité des aspirations des électeurs et de la population. L’affaire de la loi sur l’immigration vient rappeler que le macronisme n’est pas parvenu à combler ce décalage… qui s’est sans doute amplifié au cours des dernières années suite à des scandales comme <a href="https://www.lefigaro.fr/actualite-france/dossier/affaire-benalla-macron-garde-du-corps-video-manifestant">l’affaire Benalla</a> ou la crise des <a href="https://www.sciencespo.fr/cevipof/fr/content/qui-sont-les-gilets-jaunes-et-leurs-soutiens.html">« gilets jaunes »</a>.</p>
<p>Mais l’épisode de la loi sur l’immigration est aussi un tournant politique car la motion de rejet de la loi sur l’immigration a donné lieu à un vote uni de <a href="https://www.lesechos.fr/politique-societe/societe/loi-immigration-et-integration-ce-quil-faut-savoir-1902727">LR, du Rassemblement national (RN) et de la gauche</a>. Cette alliance, bien que de circonstance, montre à quel point le Rassemblement national est devenu un <a href="https://theconversation.com/lextreme-droite-premier-courant-politique-francais-182977">parti comme les autres</a> au sein de la vie politique française.</p>
<h2>Un parfum de fatalité ?</h2>
<p>Le Front Républicain contre l’extrême droite s’est transformé en un <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/12/13/l-arc-republicain-un-concept-destine-a-exclure-certains-du-champ-de-la-legitimite-politique_6205527_3232.html">Arc Républicain</a> visant tous les extrêmes. Et les partis « traditionnels » s’allient désormais de plus en plus avec le RN au hasard des circonstances. La <a href="https://www.lopinion.fr/politique/la-strategie-de-la-cravate-du-rn-fonctionne-t-elle">stratégie de Marine Le Pen</a> visant à cultiver une image sérieuse et modérée à l’Assemblée Nationale semble donc porter ses fruits, d’autant plus qu’elle positionne son groupe parlementaire en complète opposition avec la <a href="https://www.leparisien.fr/politique/la-on-va-dans-le-mur-au-sein-de-lfi-la-strategie-de-la-bordelisation-fait-debat-16-12-2023-SOHC2BQIXBDGXHV45XZP6OGKZE.php">stratégie volontiers provocatrice</a> et belliqueuse de LFI et de certaines personnalités de gauche.</p>
<p>Comme ses prédécesseurs, Emmanuel Macron, qui avait affirmé qu’il parviendrait à faire baisser l’extrême droite en France, ne parvient pas à empêcher l’expansion du RN. Les figures comme Gérald Darmanin semblaient pourtant <a href="https://www.lavoixdunord.fr/1182443/article/2022-05-20/gerald-darmanin-l-atout-droite-pop-de-macron-rempile-l-interieur">destinées à élargir le spectre du parti présidentiel</a> et devaient faire barrage au parti d’extrême droite en se positionnant sur ses thématiques et ses idées. Les déboires du ministre de l’Intérieur illustrent au contraire les limites des stratégies de lutte contre l’extrême droite visant à s’appuyer sur des personnalités censées reprendre et représenter leurs idées pour attirer les électeurs.</p>
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<a href="https://theconversation.com/le-rn-trou-noir-du-paysage-politique-francais-219757">Le RN, « trou noir » du paysage politique français</a>
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<p>Mais l’expansion du RN est à mettre en perspective avec les succès des partis d’extrême droite dans plusieurs pays d’Europe comme en <a href="https://fr.euronews.com/2023/10/22/giorgia-meloni-un-an-a-la-tete-de-litalie">Italie</a> ou au <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/11/24/extreme-droite-aux-pays-bas-l-original-triomphe-toujours-de-la-copie_6202071_3232.html">Pays Bas</a> ou par exemple en <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/11/20/en-argentine-le-choc-et-les-interrogations-apres-l-election-triomphale-de-javier-milei-a-la-presidence_6201228_3210.html">Argentine</a>. L’exemple français n’est pas exceptionnel et ces succès donnent un parfum de fatalité à l’incapacité d’Emmanuel Macron et du camp présidentiel à contrer l’expansion du parti présidé par Jordan Bardella.</p>
<p>La période de turbulences économiques, sociales, géopolitiques et environnementales actuelle est aussi un terrain particulièrement fertile pour la montée des extrêmes et des populismes. Dans le cas de la France, cette montée ne pourra être un tant soit peu contenue que si des personnes comme Gérald Darmanin et Emmanuel Macron parviennent à éviter des séquences comme celle de la loi sur l’immigration tant elles mettent en lumière les illusions perdues de leur aventure politique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220225/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Olivier Guyottot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Comment Gérald Darmanin incarne l’échec d’une « nouvelle façon » de faire de la politique.Olivier Guyottot, Enseignant-chercheur en stratégie et en sciences politiques, INSEEC Grande ÉcoleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2196522023-12-18T19:01:04Z2023-12-18T19:01:04ZInsécurité dans les campagnes : l’affrontement de deux mondes ?<p>Dans la nuit du 18 au 19 novembre 2023 le <a href="https://www.francetvinfo.fr/faits-divers/meurtre-de-thomas-a-crepol/mort-de-thomas-a-crepol-ces-elements-de-l-enquete-qui-montrent-la-complexite-du-dossier_6223491.html">meurtre de Thomas</a> a laissé la France sous le choc. Le jeune homme de 16 ans a été poignardé lors d’une fête de village à Crépol, un petit village d’un peu plus de 500 habitants dans la Drôme.</p>
<p>Pour beaucoup, les campagnes semblaient exemptes de ces formes de violence. Or ce meurtre relance de nombreuses questions à la fois sur l’insécurité en milieu rural, sur l’opposition entre jeunes ruraux et jeunes urbains et semble – en définitive – cristalliser <a href="https://theconversation.com/comment-le-ressentiment-nourrit-le-vote-rn-dans-les-zones-rurales-213110">des tensions politiques et sociales</a>. Derrière la question des violences dans ces territoires refont surface des tensions vis-à-vis de la polémique du <a href="https://www.sciencespo.fr/research/cogito/home/le-racisme-anti-blancs-existe-t-il/">racisme anti-blanc</a> et <a href="https://theconversation.com/attaques-terroristes-conflits-comment-exister-face-aux-tragedies-du-monde-215719">des tiraillements « civilisationnels »</a>.</p>
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<a href="https://theconversation.com/zones-rurales-contre-zones-urbaines-deux-france-sopposent-elles-vraiment-dans-les-urnes-189609">Zones rurales contre zones urbaines : deux France s’opposent-elles vraiment dans les urnes ?</a>
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<h2>Des violences avant tout intrafamiliales</h2>
<p>La question de l’insécurité au sein des espaces ruraux est centrale et difficile à éclaircir avec les chiffres mis à disposition par le gouvernement. Les rapports annuels sur l’insécurité et la <a href="https://www.interieur.gouv.fr/Interstats/Actualites">délinquance</a> ne permettent pas bien de distinguer rural et urbain.</p>
<p>Les zones de gendarmerie (en opposition avec les « zones de police ») représentent la moitié de la population française dont les deux tiers sont urbains ou périurbains. D’autre part, il faut noter que ces chiffres doivent être considérés à l’aune de l’évolution de notre rapport au délit comme c’est notamment le cas avec le phénomène des <a href="https://books.openedition.org/pressesmines/8223?lang=fr">violences sexistes et sexuelles</a> avec l’ouverture de la parole et le travail de sensibilisation qui font que les victimes expriment plus facilement qu’avant ces violences.</p>
<p>Nous pouvons toutefois tirer de ces rapports l’augmentation de plusieurs types de délits dans les communes à faible densité de population. Les villes – c’est-à-dire les zones à forte ou très forte densité de population – bien qu’hétérogènes se distinguent vis-à-vis de la criminalité et notamment de la violence en campagne. Entre 2016 et 2022, les homicides ont stagné en France avec <a href="https://www.interieur.gouv.fr/Interstats/Actualites/Interstats-Conjoncture-N-99-Decembre-2023">0,08 ‱ contre 0,19 ‱</a> pour les zones urbaines. Ils ont même diminué à Paris sur cette période.</p>
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<a href="https://theconversation.com/emeutes-en-france-des-films-pour-mieux-comprendre-le-conflit-208896">Émeutes en France : des films pour mieux comprendre le conflit</a>
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<p>Les vols avec et sans armes ont stagné (avec bien évidemment un taux très faible en 2020 du fait des confinements). Ce qui a pu augmenter sont les coups et violences volontaires ainsi que les violences sexuelles. Pour les violences volontaires, nous sommes passés dans les campagnes de 1,5 ‰ à 2,6 ‰ (4,5 à 6,5 dans les grandes villes) ; pour la très grande majorité des violences dans le cadre familial. Enfin, les violences sexuelles observées ont triplé, mais sont aussi le résultat de la libération de la parole notamment <a href="https://theconversation.com/un-an-apres-metoo-quest-ce-qui-a-change-105225">à la suite du mouvement #MeToo</a>.</p>
<h2>Distinguer délinquance et sentiment d’insécurité</h2>
<p>Quoi qu’il en soit, il faut se rappeler que l’évolution de la délinquance ne correspond pas nécessairement <a href="https://www.cairn.info/vous-avez-dit-securite--9782353712397.htm">au sentiment d’insécurité</a>.</p>
<p>Puisque de nombreux délits et crimes ne créent pas toujours des victimes, et ne participent pas à l’évolution du sentiment d’insécurité sur un territoire là où des comportements d’incivilité risquent d’y contribuer sans qu’ils soient pour autant répréhensibles pénalement. L’impolitesse, la mobilisation de l’espace public ou encore le <a href="https://www.fayard.fr/livre/la-galere-jeunes-en-survie-9782213019048/">« zonage »</a> des jeunes peuvent, par exemple, renforcer le sentiment d'insécurité.</p>
<p>Ce que l’on peut observer de manière générale c’est que les espaces ruraux connaissent moins de violences et de criminalité que le reste du territoire. Le Service Statistique du Ministère de la Sécurité Intérieure (SSMSI) rappelle ainsi que la majorité des actes délinquants reposent sur 1 % des communes sur le territoire national. Sans qu’il s’agisse d’une règle stricte, le rapport du SSMSI montre que la Creuse, département rural, connaît un taux de crime avec violence trois fois inférieur à celui de la Seine-Saint-Denis, et que les communes sans criminalités sont toujours dans des <a href="https://www.interieur.gouv.fr/Interstats/Actualites/Interstats-Conjoncture-N-99-Decembre-2023">espaces ruraux</a>. Est-ce à dire que l’on rencontre l’opposition de deux mondes ?</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/dans-les-campagnes-pourquoi-les-jeunes-se-detournent-ils-des-lieux-publics-186540">Dans les campagnes, pourquoi les jeunes se détournent-ils des lieux publics ?</a>
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<h2>L’affrontement de deux mondes ?</h2>
<p>L’opposition entre les campagnes et les villes est un phénomène <a href="https://theses.hal.science/tel-03559941/document">bien souvent exagéré</a>, par des visions folkloristes comme les <a href="https://www.les-bodins.fr/-Les-aventures-des-Bodin-s-.html">Bodin’s</a>, qui tend à effacer la nuance et l’hétérogénéité des territoires en France. Les différences économiques, en matière d’accès aux services sont à relativiser lorsque l’on observe, par exemple, une pauvreté présente principalement dans les zones urbaines « Quartiers Politiques de la Ville » (QPV) et au sein des espaces ruraux.</p>
<p>Dans les espaces ruraux, le <a href="https://www.theses.fr/2008TOU20042">discours récurrent</a> est celui de l’injustice de la centralisation et de l’urbanocentrisme des politiques. Alors que pour les quartiers politiques de la ville le discours fréquemment employé est celui de la marge que représentent les banlieues et de la stigmatisation de population dominées.</p>
<p>Le rural et l’urbain ne sont pas deux réalités opposées, le premier n’est pas le négatif de l’autre.</p>
<p>Puisque ce qui caractérise l’urbanité ou la ruralité est la <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/5039991?sommaire=5040030">densité de population</a>, nous pouvons alors facilement considérer que nous faisons face à un spectre de la ruralité et de la ville. Ce ne sont pas deux « mondes » ou deux « pôles » qui s’opposent, mais plutôt de nombreux espaces plus ou moins denses, plus ou moins éloignés des métropoles.</p>
<p>Des espaces urbanisés ou périurbains viennent se positionner – s’intercaler – entre ces territoires et nous permettent de considérer que nous ne sommes pas dans une opposition, mais dans un dégradé. De plus il faut garder à l’esprit que la ruralité comme l’urbanité ne sont pas des réalités homogènes.</p>
<p>Si cette considération est facile à avoir en tête lorsqu’on parle des villes, elle est plus difficile à prendre en considération lorsque l’on parle des campagnes. Si l’on accepte aisément que Neuilly-sur-Seine ne soit pas la même réalité que La Courneuve, on a souvent plus de mal à accepter que vivre sur l’île d’Oléron n’est pas la même chose que vivre dans un hameau dans les Alpes et que ce n’est pas non plus vivre au bord du bassin d’Arcachon ou au <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/ceux_qui_restent-9782348044472">centre de la Creuse</a>.</p>
<p>Ce qui persiste dans les imaginaires ce sont avant tout des prénotions que l’on peut avoir d’une part et d’autres de cette <a href="https://www.cairn.info/manuel-indocile-de-sciences-sociales--9782348045691-page-864.htm">hypothétique barrière</a>. Pour ce qui concerne les stéréotypes sur les ruraux : des idées préconçues sur le retard culturel, un entre-soi passéiste et xénophobe. Et pour les urbains, l’« ensauvagement », la violence et l’assistanat. Ainsi, bien avant toute autre chose, ce sont <a href="https://theconversation.com/coq-maurice-et-autres-bruits-de-la-campagne-une-vision-fantasmee-de-la-ruralite-127241">nos représentations</a> qui viennent jouer sur la construction d’un sentiment d’opposition entre ces deux « mondes ».</p>
<h2>La cristallisation de multiples tensions</h2>
<p>Les contextes géographiques distincts cachent des réalités communes de domination. Pauvreté élevée, marginalisation, faible taux de service, difficultés liées à <a href="https://pur-editions.fr/product/8573/des-vies-de-pauvres">l’emploi et à la formation</a>, les ressemblances sont sociologiquement bien plus structurantes des vécus que les ancrages géographiques et ce qui est vécu comme une diversité culturelle.</p>
<p>La ruralité et l’urbanité restent des marqueurs symboliques d’identités pour beaucoup de jeunes et derrière le drame qui a frappé les habitants de Crépol vient la peur de <a href="https://theconversation.com/emeutes-au-dela-des-eclats-le-reflet-de-vies-brutalisees-209239">« l’ensauvagement »</a> et de l’envahissement d’espaces qui semblent « préservés » de ces formes de violence.</p>
<p>Or, s’il y a un taux de criminalité avec violence plus « faible » en milieu rural qu’en ville, nous devons rappeler que cela ne signifie pas que les espaces ruraux sont exempts de toute forme de violence. Dans le <a href="https://www.nouvelle-aquitaine.fr/sites/default/files/2022-11/rapport%20rural%20der.pdf">rapport</a> sur les violences sexistes et sexuelles en milieu rural l’autrice rappelle que de nombreuses formes de violence sont passées sous silence et invisibilisées du fait de l’interconnaissance locale.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/violences-sous-silence-une-enquete-en-nouvelle-aquitaine-revele-lampleur-des-feminicides-en-milieu-rural-189187">Violences sous silence : une enquête en Nouvelle-Aquitaine révèle l’ampleur des féminicides en milieu rural</a>
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<p>En réalité, ce ne sont pas tant les questions de violences et/ou de criminalités qui font débat, mais un rapport à la politique et une récupération faite notamment par des mouvements d’extrême droite. À Bordeaux, Toulouse, Brest, Crépol ou encore Clermont-Ferrand des <a href="https://www.ouest-france.fr/societe/manifestation/mort-de-thomas-a-crepol-plusieurs-manifestations-de-lultradroite-interdites-en-france-4d96699a-9056-11ee-b098-8644c47fd929">manifestations ont été interdites</a> par crainte de violences entre des groupes d’extrême droite et d’extrême-gauche. Pourtant, les élus locaux apportent une nuance importante sur leur territoire, mais souvent peu visible et peu mise en avant face <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-13-14/le-13-14-du-lundi-04-decembre-2023-5011742">aux instrumentalisations de ce drame</a>.</p>
<p>Aussi, s’il faut être prudent avec les données que l’on peut mobiliser, il est clair que des montées identitaires et politiques traversent de tels évènements comme cela a pu être notamment observé sur le réseau social X. On voit ici encore que la ruralité, bien loin d’être en marge des problématiques contemporaines, se retrouve en leur cœur.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/219652/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Clément Reversé est membre du CERTOP et du CED</span></em></p>Comment le drame de Crépol et l’opposition entre jeunes ruraux et jeunes urbains cristallisent des tensions politiques et sociales.Clément Reversé, Sociologie de la jeunesse, sociologie des espaces ruraux, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2177222023-12-17T15:39:03Z2023-12-17T15:39:03ZDe la droite à l’extrême droite : sur les logiques du recrutement au sommet du Rassemblement national<p>Les événements récents autour du rejet de la loi immigration ont donné au Rassemblement national l’occasion de faire bruyamment entendre ses revendications politiques, <a href="https://www.lefigaro.fr/politique/jordan-bardella-demande-la-dissolution-de-l-assemblee-nationale-20231212">comme la dissolution du gouvernement</a>. Fort d’un grand nombre d’élus à l’Assemblée nationale, le parti lepéniste peut aussi compter sur un nombre important de transfuges politiques, autrement dit des convertis, parfois sur le tard, à l’extrême droite.</p>
<p>Qu’il s’agisse de Sébastien Chenu (venu de l’Union pour un mouvement populaire), de Julien Odoul (venu du centre), de Laurent Jacobelli (venu de Debout ! La France), ou encore de Franck Allisio ou de Philippe Ballard (qui viennent aussi, tous deux, de la droite), ces profils interrogent, comme ils questionnent plus largement la légitimation du RN.</p>
<p>En effet, nombre d’explications rapides et normatives sont régulièrement convoquées pour saisir ce phénomène : qu’il s’agisse de la la <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/france-culture-va-plus-loin-l-invite-e-des-matins/rn-apres-l-arc-republicain-l-elysee-en-ligne-de-mire-8945186">porosité</a> importante entre les électorats « de gauche » et ceux de « Marine » ou de l’équivalence des « extrêmes » (gauche et droite). Mais on évite généralement de penser un des faits empiriques parmi les plus flagrants : celui de l’importante porosité de la droite à l’extrême droite contemporaine, qu’il s’agisse des professionnels de la politique ou des électorats, comme cela a déjà été souligné par les <a href="https://www.deboecksuperieur.com/ouvrage/9782807305595-le-vote-fn">sociologues du vote</a>.</p>
<p>La « normalisation » du « Front » par des recrutements de professionnels venus de la droite, qui sont d’ailleurs bien médiatisés, mérite de fait attention car ils sont le signe d’un renouvellement (partiel) des équipes dirigeantes du RN et en disent long sur l’acceptabilité d’un engagement public à l’extrême droite aujourd’hui. Que nous disent du RN ces recrutements ? Sont-ils politiquement pluriels ? Sont-ils désintéressés ?</p>
<h2>Un nécessaire recul historique</h2>
<p>Il faut d’abord prendre un nécessaire recul historique sur les porosités dans le recrutement de professionnels de la politique à l’extrême droite, et en dehors. Invoquées aujourd’hui comme des marques de « normalisation », les conversions au Front national étaient monnaie courante dans les années 1980 ou 1990. De la séquence des élections législatives de 1986, jusqu’aux logiques du recrutement des cadres dirigeants du Front national des années 1990, on peut étudier le recrutement régulier <a href="https://www.cairn.info/le-front-national-a-decouvert--2724606965-page-83.htm">« d’élites vitrines »</a>, principalement venues de la droite et notamment de petites formations partisanes.</p>
<p>Bruno Mégret n’était-il pas, comme une large partie de ses soutiens alors convertis au Front national, un ancien partisan du Rassemblement pour la République (RPR) ?</p>
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<figcaption><span class="caption">Crise au FN : Bruno Mégret annonce son départ, INA, 1998.</span></figcaption>
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<p>De la même manière, la question des conversions et des <a href="https://www.persee.fr/doc/polix_0295-2319_2001_num_14_56_1186">inconstances</a> en politique de manière générale mérite d’être mise au centre de l’analyse pour décloisonner l’analyse du FN devenu Rassemblement national.</p>
<p>La politique n’est pas systématiquement une affaire de constance politique ou partisane. Les exemples historiques et contemporains ne manquent pas, à droite comme à gauche. Le cas de la formation de La République en Marche à l’occasion des échéances électorales de 2017 en est un bon exemple : ce parti est alors bien fourni en anciens cadres du <a href="https://www.cairn.info/l-entreprise-macron--9782706142635-page-229.htm">Parti socialiste</a>, tout comme les différents gouvernements de la présidence d’Emmanuel Macron sont composés d’anciens dirigeants de la droite, comme de la gauche.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-bilan-demmanuel-macron-agenda-neo-liberal-et-pragmatisme-face-aux-crises-178671">Le bilan d’Emmanuel Macron : agenda néo-libéral et pragmatisme face aux crises</a>
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<h2>Une porosité politique située à droite</h2>
<p>Ensuite, si porosités il y a, il faut les situer et quantifier les formations partisanes qui ont plus de chance de produire des convertis à l’extrême droite que d’autres.</p>
<p>D’une part, il convient de le rappeler et d’insister : les inconstants sont largement minoritaires dans les instances de direction du FN-RN. La majorité des dirigeants de l’organisation sont plutôt issus de filières partisanes à l’extrême droite, ce sont alors des militants du FN-RN, qui n’ont jamais fait partie d’autres formations politiques auparavant, à l’exception de mouvements ou petits partis d’extrême droite.</p>
<p>D’autre part, l’analyse des carrières des membres des bureaux politiques, le « conseil d’administration » du RN, atteste bien que la droite est bien plus poreuse à l’extrême droite que ne l’est la gauche, ou l’extrême-gauche.</p>
<p>Qu’il s’agisse de l’histoire du parti sur le temps long ou sous la présidence de Marine Le Pen (2011-2022), la très large majorité des transfuges viennent ainsi de la droite.</p>
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<p>Ce sont dans leur majorité d’anciens cadres de l’Union pour un mouvement populaire (UMP), ou de formations centristes (dans une moindre mesure) qui se reconvertissent en politique. Les cas bien médiatisés d’<a href="https://www.lepoint.fr/politique/andrea-kotarac-le-rn-doit-faire-sa-revolution-ecologique-08-10-2022-2492919_20.php">Andréa Kotarac</a> (LFI) ou <a href="https://www.lepoint.fr/politique/aurelien-legrand-l-ancien-du-npa-qui-gravit-les-echelons-du-fn-27-04-2016-2035358_20.php">d’Aurélien Legrand</a> (ex-NPA) ne doivent ainsi pas laisser à penser que la porosité du FN-RN s’étend massivement à toutes les formations partisanes.</p>
<p>Ce faisant, ce n’est ainsi pas une « normalisation » tous azimuts qu’il convient d’analyser, mais bien comment certains professionnels de la droite, soucieux d’opérer des carrières ascendantes et plus rapides que dans leurs organisations d’origine en viennent à militer, et surtout à vivre « de et pour » la politique à l’extrême droite.</p>
<h2>Des engagements professionnels et intéressés</h2>
<p>En effet, dès lors qu’on étudie des professionnels de la politique, on ne peut les considérer de la même manière que des électeurs « ordinaires » pour qui l’acte de vote, bien qu’il puisse revêtir des sens multiples, n’est pas systématiquement relié à leurs conditions matérielles d’existence, ni à leur emploi.</p>
<p>Les carrières des professionnels de la politique sont <a href="https://hal.science/halshs-00386826/">intéressées</a>, et pour une large partie des transfuges étudiés, l’enjeu est double.</p>
<p>D’une part, il peut s’agir de <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/10/22/les-candidats-ou-l-importance-des-files-d-attente-en-politique_6099534_3232.html">« couper la file d’attente »</a> de leurs anciennes formations partisanes et, par-là, de « monter » plus vite dans la hiérarchie politique.</p>
<p>D’autre part, cela se comprend car le marché des postes au RN est plus fluide qu’ailleurs, et les occasions ne manquent ainsi pas, pour certains transfuges, d’opérer des ascensions partisanes rapides, d’accéder à des mandats d’élus régionaux moins d’un an après une adhésion au RN, d’être recrutés comme collaborateurs politiques ou parlementaires, d’être promus à la tête d’une fédération, ou encore d’entrer au Palais Bourbon en 2017, puis en 2022.</p>
<h2>Des profils recrutés avec attention</h2>
<p>Tous ces éléments méritent toutefois d’être resitués dans deux processus. D’une part, recruter des transfuges ne se fait pas à l’aveugle. L’organisation travaille à capter certains profils, plutôt que d’autres, d’anciens professionnels de la politique réputés compétents, bien dotés en titres scolaires pour certains prestigieux, ayant des compétences techniques spécifiques (dans la communication politique par exemple).</p>
<p>Les cas de Laurent Jacobelli (diplômé de l’ESSEC, ex-cadre de l’audiovisuel, passé dans les groupes dirigeants de Debout La France), de Sébastien Chenu « pur professionnel » de la politique à l’Union pour un mouvement populaire ou de Philippe Ballard (ex-journaliste, ex professionnel de la politique locale à l’UMP) l’attestent bien.</p>
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<figcaption><span class="caption">Philippe Ballard, ancien présentateur de JT, élu RN dans l’Oise, s’exprime sur LCP, 13 mai 2023.</span></figcaption>
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<p>D’autre part, tous les transfuges ne se valent pas sur le marché politique à l’extrême droite. Le niveau et type de diplôme, tout comme l’expérience passée en politique structurent durablement les carrières au sein du FN-RN, les pentes des trajectoires d’ascension, tout comme les rétributions auxquelles les transfuges peuvent prétendre. Les militants de feu le <a href="https://www.lemonde.fr/education/article/2015/10/01/le-front-national-revient-a-sciences-po-paris_4779996_1473685.html">« FN Sciences Po »</a> accèdent par exemple à des mandats régionaux et à des postes de collaborateurs d’eurodéputés, quand un Julien Odoul (ex collaborateur centriste) ou un Sébastien Chenu (secrétaire départemental, conseiller régional puis député) opèrent des ascensions partisanes plus rapides et à des postes plus prestigieux (secrétaires départementaux, conseillers régionaux, députés).</p>
<p>Les conversions politiques au FN-RN sont ainsi plus probables dès lors que l’on vient de la droite, et les carrières espérées plus fructueuses pour les professionnels dès lors qu’ils disposent de monnaies d’échange particulières, qui prend la forme de titres scolaires distinctifs ou d’expériences politiques professionnelles.</p>
<p>Ces résultats n’épuisent toutefois pas la question de la place des idées dans les conversions en politique. Les transfuges sont prompts à mobiliser le registre de la « prise de conscience idéologique » pour les justifier. D’un point de vue sociologique, il faudrait plutôt saisir l’ajustement de possibles et pensables professionnels dans un contexte ou l’extrême droite (et ses idées et cadrages) n’est plus si illégitime aux yeux de bon nombre de professionnels de la politique et d’observateurs journalistiques, favorisant de ce fait un espace du dicible plus important pour celles et ceux qui s’y convertissent.</p>
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<p><em>Cet article fait écho au chapitre de l’autrice issu de l’ouvrage <a href="https://www.septentrion.com/fr/livre/?GCOI=27574100118550">« Sociologie politique du Rassemblement national : enquêtes de terrain »</a>, paru ce mois-ci aux Presses Universitaires du Septentrion.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217722/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Safia Dahani ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les profils issus de la droite et désormais affiliés au RN interrogent, comme ils questionnent plus largement la légitimation du parti lepéniste.Safia Dahani, Post-doctorante en sociologie, EHESS, CESSP, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2197572023-12-12T18:48:52Z2023-12-12T18:48:52ZLe RN, « trou noir » du paysage politique français<p>Les <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/02/20/manouchian-au-pantheon-la-normalisation-contrariee-de-marine-le-pen_6217449_823448.html">récentes polémiques </a>autour de la présence de Marine Le Pen lors de l'hommage à Nation et la panthéonisation de Méliné et Missak Manouchian soulignent la difficulté dans lequel se trouve la présidence de la République comme le gouvernement à définir une ligne stratégique cohérente face au Rassemblement national (RN). Certes, le chef de l'État a tenté de mettre à distance la formation d'extrême-droite dans un entretien <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/02/19/dans-un-entretien-inedit-a-l-humanite-emmanuel-macron-veut-convaincre-qu-il-ne-mene-pas-une-politique-d-extreme-droite_6217287_823448.html">avec le journal <em>L'Humanité</em></a>, mais cette critique ne permettra pas de convaincre l’opinion que le macronisme se rapproche de la gauche ni de contrer le RN qui en fait ses délices. <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/l-edito-politique/rn-et-arc-republicain-cacophonie-au-sommet-de-l-etat_6345301.html">La divergence de positionnement</a> du président de la République, qui entend exclure le RN de <a href="https://www.liberation.fr/politique/larc-republicain-une-notion-piegeuse-et-devoyee-20240219_T7EJMGZI2FHPVJRTHQWO4DYREA/">« l'arc républicain »</a>, et de son Premier ministre, qui considère au contraire qu'il en fait partie, témoigne même d’une situation de <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/12/12/projet-de-loi-immigration-gerald-darmanin-entraine-la-majorite-dans-la-crise_6205321_823448.html">crise politique</a> plus profonde. </p>
<p>Celle-ci devient cette fois explicite et vient confirmer le fait que le RN est devenu le « trou noir » du paysage politique français, absorbant tout ce qui se trouve à sa périphérie, pliant l’espace-temps politique en contraignant les autres partis à céder ou à échouer. Mais il s’avère également capable désormais de s'auto-alimenter politiquement en se renforçant des stratégies qui poussent à le confiner ou à le réduire à l'héritage historique du Front national. S’étant engagé sur la voie de la droitisation, le macronisme ne peut plus éviter le clivage droite-gauche qu’il a toujours renié et voulu dépasser. Sa critique du RN devient dès lors assez inefficace et les tentatives de l’exclure du champ de la politique « normale » contribuent à le renforcer en lui permettant de capter tous ceux qui refusent cette normalité.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/un-an-apres-lelection-demmanuel-macron-que-reste-t-il-de-la-macronie-203629">Un an après l’élection d’Emmanuel Macron, que reste-t-il de la « Macronie » ?</a>
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<h2>L’immigration reste un facteur central de clivage dans le débat politique</h2>
<p>On a souvent évoqué la fin du clivage droite-gauche, un clivage historiquement associé à une sociologie désormais dépassée où les ouvriers de gauche votaient contre les bourgeois de droite. De nombreuses études ont montré que les trajectoires électorales des citoyens sont désormais plus ondoyantes, <a href="https://www.pug.fr/produit/2011/9782706152979/le-vote-clive">plus fluides et plus incertaines</a>.</p>
<p><a href="https://www.contrepoints.org/2022/07/25/435689-luc-rouban-le-probleme-nest-pas-le-separatisme-mais-lanomie">La désaffiliation politique</a> des catégories socioprofessionnelles modestes, qui s’abstiennent ou votent pour le RN plus que pour la gauche, vient s’ajouter aux transformations de l’offre politique du RN qui n’est plus celle du Front national. Le RN entend prendre en charge l’ensemble des vulnérabilités, qu’elles soient économiques ou sociétales, dans le cadre d’un souverainisme lui-même adouci et qui ne revendique plus la sortie de l’Union européenne. Avec cela il faut prendre en compte le fait que 33 % des catégories supérieures ont voté pour Marine Le Pen au second tour de l’élection présidentielle de 2022. Le traditionnel « vote de classe » est ainsi bien mort car les « classes » se sont dissoutes dans des trajectoires individuelles qui se différencient fortement et ne communient plus dans les <a href="https://www.cairn.info/revue-cites-2023-3-page-43.htm">mêmes croyances</a>.</p>
<p>Le clivage droite-gauche, lui, en revanche, est toujours bien vivant et c’est bien le problème auquel le macronisme vient de se confronter. S’il est une question clivante entre la droite et la gauche, c’est bien celle de <a href="https://theconversation.com/immigration-les-francais-y-sont-ils-aussi-opposes-quon-le-dit-217580">l’immigration</a>, mais pas de toute l’immigration, celle des arabo-musulmans.</p>
<p>C’est bien à droite que cette question arrive en tête des préoccupations et c’est bien également au sein des droites que la fermeture des frontières aux migrations est considérée comme une priorité, avec un net rapprochement des électorats LR et de ceux de l’extrême droite. C’est ce que montrent bien de nombreuses enquêtes, notamment celle menée dans le cadre du <a href="https://www.sciencespo.fr/cevipof/sites/sciencespo.fr.cevipof/files/Barometre%20de%20la%20confiance%20en%20politique%20-%20vague%2014%20-%20Fevrier%202023%20-%20vFR.pdf%20(1).%20pdf">Baromètre de la confiance politique du Cevipof</a>.</p>
<iframe title="Perception de l’immigration et de l’islam selon l’électorat " aria-label="Colonnes groupées" id="datawrapper-chart-m0afJ" src="https://datawrapper.dwcdn.net/m0afJ/1/" scrolling="no" frameborder="0" style="border: none;" width="100%" height="484" data-external="1"></iframe>
<h2>Le macronisme impossible ?</h2>
<p>Cette polarisation forte sur le terrain de l’immigration, qui est aussi puissante que celle que provoque les <a href="https://forum-midem.de/wp-content/uploads/2023/08/TUD_MIDEM_Study_2023-1_Polarization_in_Europe_.pdf">réactions face au changement climatique</a>, ne permet guère la mise en place d’un compromis gestionnaire s’appuyant sur le <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/12/12/la-petite-histoire-retiendra-peut-etre-que-le-en-meme-temps-est-mort-un-11-decembre-dans-un-hemicycle-surchauffe_6205380_823448.html">« en même temps »</a> du macronisme.</p>
<p>Ce dernier a toujours tenté d’échapper aux contraintes de la vie partisane et de ses appareils en voulant sortir des doctrines constituées et des idéologies. Mais ses limites se sont vite révélées, notamment lors de la crise des <a href="https://theconversation.com/gilets-jaunes-quelle-democratie-veulent-ils-170146">« gilets jaunes »</a> et lors de la réforme des retraites.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/redistribution-des-richesses-quand-mobilisation-contre-la-reforme-des-retraites-et-gilets-jaunes-se-rejoignent-192893">Redistribution des richesses : quand mobilisation contre la réforme des retraites et « gilets jaunes » se rejoignent</a>
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<p>L’absence d’interlocuteur, voire d’opposant structuré, laisse le pouvoir face au redoutable choix entre la décision unilatérale du souverain « éclairé », qui suscite des réactions violentes non encadrées par les partis et les syndicats, et l’absence de décision, laissant le doute s’installer sur l’intérêt que portent les hautes sphères du pouvoir à la vie quotidienne des Français.</p>
<p>La lecture critique qui peut être faite désormais du macronisme est bien de s’être laissé enfermé, à partir de considérations totalement justifiables sur la nécessité de rendre <a href="https://theconversation.com/et-si-les-citoyens-participaient-aux-referendums-inities-par-le-president-187378">l’action publique efficace</a>, dans ce dilemme qui, de ce fait, produit de l’inefficacité politique. L’efficacité en politique reste en effet toujours de nature politique. Il faut séduire, emporter l’adhésion, susciter des ralliements, créer des mythes et un récit, quels que soient les chiffres ou les bilans économiques. Cette efficacité réelle ne se réduit pas à des politiques publiques, des décrets et des arrangements négociés entre groupes d’intérêts dans une temporalité réduite au prochain budget ou dans l’urgence de la crise, comme celle des agriculteurs. Gouverner, ce n’est pas faire de la « gouvernance » et de l’entre-soi. <a href="https://www.pug.fr/produit/1662/9782706142635/l-entreprise-macron">L’État n’est pas une entreprise privée</a>. Les efforts déployés par Gérald Darmanin pour convaincre ses alliés LR d’entrer dans le jeu du compromis lors de la loi immigration conduisaient à ignorer le fait que le débat politique en France est désormais un débat entre les droites, un débat dans lequel la vraie question est désormais de savoir s’il faut encore ou pas combattre le RN et, surtout, sur quel terrain car le RN n’est plus le FN et se retrouve en position de monopoliser la droite sociale.</p>
<h2>L’horizon des évènements</h2>
<p>Le gouvernement d’Élisabeth Borne a donc eu bien du mal à faire vivre une « majorité de projets » et celui de Gabriel Attal est désormais confronté au même problème car certains de ces projets sont bien plus porteurs que d’autres de valeurs mais également d’intérêts stratégiques pour LR ou le RN. Il ressort de la succession de conflits, d’incidents, de déclarations à l’emporte-pièce qui alimentent la crise démocratique, que l’on vit depuis l’élection de 2017, que le RN a pu s’imposer progressivement comme <a href="https://www.pressesdesciencespo.fr/fr/book/?GCOI=27246100180610">force politique de référence</a>.</p>
<p>Les autres forces de droite sont irrésistiblement attirées <a href="https://www.septentrion.com/fr/livre/?GCOI=27574100118550">par son champ gravitationnel</a> et se retrouvent sur l’horizon des évènements, avant dislocation et transformation en particules élémentaires. La stratégie de la diabolisation et du procès en extrémisme, quant à elle, ne fonctionne plus mais contribue à stigmatiser des électeurs ou des électeurs potentiels qui risquent de ne pas voter en fonction des programmes mais du sentiment de mépris social que cela va leur laisser.</p>
<p>Le RN profite du fait que ses zones d’ombre, sur la vie économique ou sur les relations internationales, comme ses points de faiblesse, notamment son faible ancrage dans la haute fonction publique et les élites culturelles ou scientifiques, qu’il essaie de compenser au cas par cas en ralliant par exemple l’ancien patron de Frontex sur sa liste pour les européennes, sont plus que compensés par la cohérence de ses positions souverainistes et anti-immigration. Et ce, à un moment où les questions internationales dominent : crise migratoire évidemment, mais aussi guerre en Europe, retour en force de <a href="https://theconversation.com/regards-croises-sur-lantisemitisme-ordinaire-en-france-217330">l’antisémitisme après le 7 octobre</a>, pandémies, réchauffement climatique.</p>
<p>Le RN incarne le retour du politique mais de manière plus habile que La France insoumise qui s’y consacre aussi mais en donne souvent une mauvaise image, celle de la conflictualité et de l’irrespect pour les institutions. Il est devenu le grand gagnant par défaut d’une situation où la modération est suspecte de macronisme, porté par un président en qui les Français n’ont pas confiance, et où la radicalité ne peut que renforcer ses propres positions.</p>
<p>C’est d’ailleurs ce qu’a signifié aussi cette <a href="https://www.ouest-france.fr/politique/loi-immigration-lalliance-entre-la-nupes-le-rn-et-les-republicains-pour-empecher-le-debat-0bc0d1e4-9854-11ee-b5ab-4c9dbbc4ce19">étonnante convergence</a> des oppositions dans le refus de débattre le projet de loi immigration. Bien qu’étant aux antipodes les uns des autres sur le terrain des valeurs et des projets de société, LFI, le RN et LR ont voté contre, non par cynisme mais en réalité contre « l’anti-politique » que représente le macronisme. Le refus de lancer une modification constitutionnelle pour élargir le champ du référendum, la multiplication d’agora extérieures au Parlement, comme les conventions citoyennes, laissent toujours ce goût étrange d’une fuite en avant dans un contexte fortement conflictuel où la violence s’est généralisée.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/219757/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Luc Rouban ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le RN est devenu le « trou noir » du paysage politique français, absorbant tout ce qui se trouve à sa périphérie, pliant l’espace-temps politique en contraignant les autres partis à céder ou à échouer.Luc Rouban, Directeur de recherche CNRS, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2178322023-12-05T17:12:14Z2023-12-05T17:12:14ZDu FN au RN : comment les femmes sont devenues indispensables à l’extrême droite<p>« J’étais assez contre mais, avec le recul, cette loi a permis aux femmes d’arriver en nombre dans ce monde. » <a href="https://www.leparisien.fr/politique/marine-le-pen-subir-du-sexisme-ca-mest-arrive-mais-jamais-au-rn-12-02-2023-VFWKWC27WFG5HHWV323VTUUIBY.php">Par ces quelques mots</a> au sujet de la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Loi_tendant_%C3%A0_favoriser_l%27%C3%A9gal_acc%C3%A8s_des_femmes_et_des_hommes_aux_mandats_%C3%A9lectoraux_et_fonctions_%C3%A9lectives">loi sur la parité</a>, Marine Le Pen met en lumière l’ambivalence régnant au <a href="https://theconversation.com/le-rn-est-il-devenu-un-parti-comme-les-autres-201690">Rassemblement national</a> (RN) à l’égard des hiérarchies de genre. Celles-ci structurent la plupart des groupements politiques, (y compris ceux qui se revendiquent progressistes, voire féministes). La subordination des femmes est particulièrement flagrante dans les groupes conservateurs qui défendent explicitement un ordre social basé sur une hiérarchie stricte des rôles des sexes et qui acceptent, par conséquent, la domination masculine.</p>
<p>Certes, depuis la création du Front national (FN) en 1972, des femmes ont pu occuper des places de dirigeantes, locales et nationales, et ont été élues. Mais, comme le montrent mes recherches en cours, la plupart étaient actives dans les coulisses du parti et occupaient des positions secondaires, voire subalternes. Sous la présidence de Jean-Marie Le Pen, les femmes, déjà rares parmi les adhérents, étaient <a href="https://www.theses.fr/2002STR30016">reléguées à des places considérées marginales</a>. Elles rendaient leur militance légitime essentiellement en <a href="https://www.routledge.com/Right-Wing-Women-From-Conservatives-to-Extremists-Around-the-World/Bacchetta-Power/p/book/9780415927789">tant qu’épouses ou filles d’autres militants masculins</a>. Les hommes constituaient, en revanche, la majorité des membres actifs du FN et occupaient des positions de premier plan en tant que candidats, élus et responsables.</p>
<p>Cependant, des évolutions institutionnelles et partisanes au tournant des années 2000 invitent à ré-interroger les rapports de genre qui structurent le FN : dans quelle mesure ont-ils évolué ?</p>
<h2>Une injonction légale et un modèle</h2>
<p>L’introduction de la <a href="https://theconversation.com/les-zones-blanches-de-la-parite-en-politique-la-nouvelle-loi-sera-t-elle-efficace-156062">loi dite sur la parité</a> au début des années 2000 a permis une visibilité inédite aux femmes du FN en rendant leur présence nécessaire sur les listes électorales. Vu sa situation financière compliquée, le FN essaie d’éviter des amendes pour cause du non-respect de la loi. Les injonctions au respect de la représentation paritaire pèsent donc particulièrement sur le parti à la flamme : de plus en plus de femmes sont investies en tant que candidates et susceptibles d’être élues (<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Groupe_Rassemblement_national">sur 87 députés RN siégeant à l’AN, 33 sont des femmes, soit 38 %. À titre de comparaison, c’est 42 % chez LFI</a>). Et ces candidates frontistes ne sont pas une simple vitrine électorale. Les groupes des militants que j’ai observés durant mon enquête de terrain sont, en effet, de plus en plus mixtes. Lors de quelques réunions de sections, j’ai pu constater qu’environ la moitié des participants étaient des femmes.</p>
<p>Au-delà de l’injonction au respect des règles paritaires, on peut aussi penser que l’arrivée de Marine Le Pen à la tête du FN ait pu favoriser l’évolution des rapports de genre structurant le parti.</p>
<p>Pour nombre d’anciens membres du parti et de sympathisants, Marine Le Pen a légitimé sa place de présidente par la filiation avec le co-fondateur du FN. Cependant, l’hérédité politique n’est pas la seule ressource dont elle joue. Quarantenaire, divorcée et avocate, la benjamine de Jean-Marie Le Pen dispose de ressources personnelles importantes qui font d’elle une <a href="https://theconversation.com/lelite-de-lanti-elitisme-un-paradoxe-francais-182177">femme socialement dominante</a>. Marine Le Pen incarne ainsi pour certaines femmes un modèle à imiter. Cela en encourage certaines à se lancer dans une carrière politique locale. D’après mon enquête, il s’agirait surtout de femmes issues des classes moyennes et moyennes supérieures, généralement pourvues de compétences en communication, en organisation ou d’autres ressources jugées appropriées pour s’engager dans le domaine politique.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1724176697988108735"}"></div></p>
<p>Ces évolutions aux niveaux institutionnel (loi parité) et partisan (arrivée de Marine Le Pen) ont ouvert des opportunités inédites aux femmes. Elles peuvent désormais représenter le FN dans les conseils municipaux, départementaux, régionaux et au Parlement. Mais si elles exercent ainsi une forme de pouvoir politique, elles ne déjouent que partiellement les mécanismes de domination masculine particulièrement <a href="https://journals.openedition.org/teth/2117">prégnants</a> au sein des groupes militants frontistes.</p>
<h2>Le cas d’Isabelle</h2>
<p>Résidente dans une petite commune paupérisée du Sud-Est, Isabelle (prénom fictif) a porté les couleurs du FN à toutes les élections locales entre 2008 et 2017, a été conseillère régionale entre 2010 et 2021 et siège en tant que conseillère municipale depuis 2014. Son parcours m’a permis d’analyser comment le genre et la classe sociale peuvent se transformer en ressources politiques et permettre une entrée en politique au FN.</p>
<p>Professeure des écoles dans l’Éducation nationale, Isabelle représente une <a href="https://www.septentrion.com/fr/livre/?GCOI=27574100118550">catégorie socioprofessionnelle habituellement considérée comme réfractaire au FN</a> et peut incarner l’ouverture sociale apparemment recherchée par le parti (on songe à la création du <a href="https://www.france24.com/fr/20131014-collectif-racine-professeurs-front-national-marine-le-pen-municipales">Collectif Racine</a> pour rassembler les enseignants proches des idées du FN). Isabelle porte également la casquette de directrice d’école, elle appartient donc aux classes moyennes culturelles. Or, les cadres et les professions intellectuelles supérieures et intermédiaires sont sous-représentées parmi les candidats et, surtout, les candidates frontistes. La profession d’Isabelle semble avoir été tout aussi, voire davantage, centrale que son genre pour être sélectionnée en position éligible sur la liste des régionales.</p>
<p>En effet, lors d’une conférence de presse, Isabelle avait eu l’occasion d’exprimer ses opinions sur l’état de l’école publique à Jean-Marie Le Pen et avait montré partager le point de vue de Marine Le Pen sur l’éducation. Quelques semaines après la conférence, Isabelle reçoit un courrier de Jean-Marie Le Pen sollicite Isabelle pour qu’elle rejoigne la liste des candidats aux élections régionales de 2010 qu’il conduisait.</p>
<h2>Une valeur politique déterminée par les hommes</h2>
<p>S’intéresser aux conditions d’entrée en politique d’Isabelle apporte un éclairage édifiant sur l’inertie des hiérarchies de genre au sein de l’extrême droite. En effet, la valeur des attributs de genre et de classe d’Isabelle est déterminée par des hommes.</p>
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<p>Ce sont les leaders locaux (le secrétaire départemental du FN) et nationaux (Jean-Marie Le Pen) qui ont sollicité la candidature d’Isabelle. En tant que femme issue de la classe moyenne culturelle, elle incarnait un personnel politique socialement et politiquement plus légitime que l’ancien responsable de la section frontiste où Isabelle militait (celui-ci se déclarait royaliste et était, selon nos sources, peu mobilisé et agressif à l’égard des adhérents).</p>
<p>Le conjoint d’Isabelle, Christophe (prénom fictif), a joué ensuite un rôle déterminant. C’est lui qui l’a exhortée à accepter la candidature. Sans ses incitations, elle n’aurait probablement pas accepté d’être investie. Or, c’est parce qu’Isabelle est devenue candidate puis élue du FN que Christophe a été nommé secrétaire de circonscription. Il a pu se servir des ressources politiques de sa conjointe pour connaître une promotion.</p>
<p>Cet usage stratégique des ressources d’Isabelle par Christophe ainsi que le besoin ressenti par Isabelle de compter sur son conjoint et sur le président du FN pour accepter la candidature et accéder au mandat invitent à remettre toute forme de domination féminine en perspective.</p>
<p>Les interactions entre l’élue et son entourage montrent la résistance des logiques de domination masculine qui régissent l’entrée en politique des femmes au FN. Ce sont, notamment, Jean-Marie Le Pen et le secrétaire départemental du FN de l’époque qui décidaient quand et dans quelle mesure la classe et le genre pouvaient devenir des ressources politiques.</p>
<p>Isabelle n’est pas un cas atypique. Lors de mon enquête, en 2018, l’entrée en politique des femmes au FN (aujourd’hui RN) dépendait souvent du conjoint et des leaders - souvent des hommes - qui encourageaient et permettaient l’avancement leur « carrière ». Par conséquent, la féminisation du personnel frontiste soutenait toujours le genre frontiste dominant (masculin).</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217832/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Margherita Crippa a reçu des financements de université de sydney </span></em></p>Comment le genre et la classe sociale peuvent se transformer en ressources politiques et permettre une entrée en politique ? Cas d’école au sein de l’extrême droite française.Margherita Crippa, Doctorante, Université Paris Dauphine – PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2186642023-12-05T17:08:44Z2023-12-05T17:08:44ZEn Pologne, aux Pays-Bas et ailleurs en Europe : les multiples visages des populismes de droite radicale<p>Les récentes élections législatives en <a href="https://fr.statista.com/statistiques/1418875/resultats-elections-pologne-2023/">Pologne</a> (15 octobre 2023) et <a href="https://fr.euronews.com/2023/11/23/seisme-politique-aux-pays-bas-lextreme-droite-de-geert-wilders-remporte-les-legislatives">aux Pays-Bas</a> (22 novembre 2023) ont témoigné de la vitalité électorale des droites radicales populistes dans les deux pays.</p>
<p>En Pologne, le scrutin d’octobre a démontré la résilience du PiS (Droit et justice), au pouvoir depuis 2015. Malgré une mobilisation sans précédent de l’opposition emmenée par la Coalition civique de Donald Tusk (et qui devrait finir par réussir à former le gouvernement avec ses alliés, malgré la <a href="https://theconversation.com/pologne-malgre-sa-defaite-electorale-la-droite-dure-menace-letat-de-droit-217316">résistance acharnée du pouvoir sortant)</a>, le parti du premier ministre Mateusz Morawiecki est arrivé en première position avec 35,28 % des voix, flanqué de <em>Konfederacja</em>, coalition hétérogène d’anciens membres de l’extrême droite qui a, elle, réuni 7,16 % des suffrages. De leur côté, les Pays-Bas ont vu le PPV (Parti pour la liberté) de Geert Wilders l’emporter avec 23,6 % des suffrages, devenant contre toute attente le premier parti au Parlement avec 37 sièges, soit presque la moitié des sièges nécessaires pour obtenir une majorité (76 sur 150).</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/pays-bas-quels-scenarios-apres-la-victoire-du-leader-populiste-geert-wilders-218549">Pays-Bas : quels scénarios après la victoire du leader populiste Geert Wilders ?</a>
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<p>Ces succès s’inscrivent dans une tendance plus globale au regain des forces de droite radicale populiste dans nombre de pays européens, à l’instar de l’Italie, de la Suède ou de la Finlande, sans oublier naturellement la France. Ces partis ont actuellement le vent en poupe dans de nombreux États membres de l’UE : <a href="https://theconversation.com/autriche-lextreme-droite-bientot-de-retour-au-pouvoir-199626">Autriche</a>, <a href="https://www.rtl.be/actu/magazine/cptljd/apres-la-victoire-de-lextreme-droite-aux-pays-bas-le-vlaams-belang-peut-il/2023-11-26/article/612043">Belgique</a>, <a href="https://fr.euronews.com/2023/11/28/elections-en-2024-la-roumanie-sera-t-elle-le-prochain-pays-de-lue-a-voter-pour-lextreme-dr">Roumanie</a>, <a href="https://balkaninsight.com/2023/06/16/croatian-right-gears-up-early-for-election-eying-power/">Croatie</a>, <a href="https://fr.euronews.com/2023/03/05/legislatives-en-estonie-lextreme-droite-gagnante-selon-les-resultats-provisoires">Estonie</a> ou <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Bulgarie-crise-politique-perdure-lextreme-droite-prorusse-profite-2023-04-04-1201262064">Bulgarie</a>, en particulier. Outre-Rhin, l’AfD réunit actuellement 21 % des intentions de vote, loin devant les sociaux-démocrates du SPD, une percée <a href="https://www.lopinion.fr/international/elections-regionales-en-allemagne-une-poussee-de-lafd-en-hesse-et-en-baviere">confirmée dans les urnes début octobre</a> aux élections régionales en Bavière (14,6 %, +4 points) et en Hesse (18,4 %, +5 points). En <a href="https://www.lemonde.fr/europe/article/2006/07/01/en-slovaquie-la-gauche-s-allie-a-l-extreme-droite-et-aux-populistes_790625_3214.html">Slovaquie</a>, les ultranationalistes du Parti national (SNS) se sont imposés comme partenaires de Robert Fico à l’issue des élections de septembre dernier.</p>
<p>Les expériences polonaise et néerlandaise confirment la dynamique actuelle des droites radicales populistes. Elles illustrent également la diversité et la complexité de la scène populiste contemporaine.</p>
<h2>Des trajectoires parallèles</h2>
<p>Le PiS polonais incarne un modèle de parti conservateur qui s’est radicalisé au fil du temps en s’appropriant certains thèmes de l’extrême droite.</p>
<p>Le parti de <a href="https://www.institutmontaigne.org/expressions/portrait-de-jaroslaw-kaczynski-ancien-premier-ministre-polonais-president-du-parti-droit-et-justice">Jaroslaw Kaczynski</a>, créé en 2001, a adopté au départ un populisme de droite teinté de conservatisme social et de nationalisme. Son agenda national-conservateur s’est affirmé avec le temps, à travers des rapprochements successifs avec des mouvements situés plus à droite sur l’échiquier. Le PiS a remporté deux élections consécutives (2015 et 2019) en s’appuyant sur des <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/01/31/en-pologne-la-quasi-interdiction-de-l-avortement-est-entree-en-vigueur-sur-fond-de-manifestations_6068302_3210.html">réformes conservatrices</a>, la mise au pas du système judiciaire (<a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/06/05/la-reforme-de-la-justice-de-2019-en-pologne-enfreint-le-droit-de-l-union-europeenne_6176287_3210.html">réforme de 2019</a>) et l’affirmation récurrente qu’il représente un rempart contre les influences étrangères.</p>
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<p>Cet agenda national-conservateur lui a permis d’assurer un temps sa position de parti dominant et de convserver le pouvoir entre 2015 et 2023, ce qui explique sa trajectoire centrifuge marquée par une <a href="https://www.taurillon.org/l-etat-de-droit-en-pologne-une-situation-enlisee">dérive illibérale sur l’État de droit</a>. Cette tendance l’a d’ailleurs amené à entrer en conflit avec les institutions européennes à ce sujet.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/bras-de-fer-entre-bruxelles-et-varsovie-comprendre-la-strategie-des-autorites-polonaises-169665">Bras de fer entre Bruxelles et Varsovie : comprendre la stratégie des autorités polonaises</a>
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<p>Sur le plan économique, le PiS est volontiers interventionniste, mettant l’accent sur le soutien aux familles, la protection sociale et la promotion des entreprises polonaises (y compris par des mesures protectionnistes). En outre, le PiS a mis en place des programmes de soutien à l’agriculture, offrant des subventions aux agriculteurs et mettant l’accent sur la préservation de l’agriculture familiale traditionnelle.</p>
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<p>Le PVV néerlandais a été fondé en 2006 par Geert Wilders après son départ du Parti populaire pour la démocratie et la liberté (VVD) deux ans plus tôt. Son programme comprend des éléments nationalistes, conservateurs et libéraux, et prône la fermeté en matière d’immigration et de justice.</p>
<p>Une partie de son pouvoir de séduction repose sur un <a href="https://www.la-croix.com/international/Pays-Bas-Geert-Wilders-20-ans-campagne-anti-islam-anti-immigration-2023-11-23-1201291960">discours profondément anti-islam</a> – jusqu’à l’outrance – et une critique acerbe de la classe politique dirigeante. Wilders désigne l’immigration comme la principale menace pour l’État-providence néerlandais, dénonce le « tsunami de l’asile et de l’immigration de masse » et propose d’interdire les écoles islamiques, le Coran (qu’il a comparé à <em>Mein Kampf</em>) et les mosquées pour mettre un terme à ce qu’il considère comme « l’islamisation » du pays.</p>
<p>Le populisme demeure une caractéristique forte du PVV. En 2023, Wilders a largement fait appel au « ras-le-bol » des électeurs néerlandais après <a href="https://theconversation.com/la-chute-du-gouvernement-rutte-aux-pays-bas-illustration-des-forces-et-faiblesses-du-regime-parlementaire-209659">13 ans de gouvernement VVD de Mark Rutte</a>. Sur le plan économique, le PVV a progressivement évolué d’un programme néolibéral vers des positions plus sociales, proches de celles de Marine Le Pen en France.</p>
<p>Contrairement au PiS, le PVV n’a jamais été en mesure d’accéder au pouvoir jusqu’à présent. Les élections de 2023 marquent à cet égard un tournant historique vers sa normalisation. D’abord grâce aux efforts de Wilders pour <a href="https://www.ouest-france.fr/europe/pays-bas/elections-aux-pays-bas-geert-wilders-de-la-haine-de-lislam-au-discours-modere-pour-gagner-751b0e26-89df-11ee-a1c0-8cef14bedf93">tempérer ses positions les plus radicales</a> et se donner un profil plus fréquentable, mais surtout grâce à la porte entrouverte avant le scrutin par la nouvelle dirigeante du VVD, Dilan Yesilgöz-Zegerius, à une <a href="https://www.theguardian.com/commentisfree/2023/nov/23/netherlands-far-right-geert-wilders-victory-mark-rutte">possible alliance avec le PVV</a>.</p>
<h2>Divergences et convergences</h2>
<p>Si le PVV néerlandais, comme le RN en France, s’efforce d’épouser les grandes évolutions de société sur les questions de mœurs – souvent d’ailleurs pour mieux diaboliser un islam jugé « retrograde » ou « totalitaire » –, d’autres incarnent à l’inverse une réaction conservatrice face aux enjeux d’égalité femmes-hommes ou de promotion des droits LGBT. Viktor Orban en Hongrie et le PiS polonais s’imposent ainsi comme des hérauts de cette contre-révolution culturelle.</p>
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<a href="https://theconversation.com/en-pologne-loffensive-anti-lgbt-illustre-un-incroyable-renversement-de-valeurs-120770">En Pologne, l'offensive anti-LGBT illustre un incroyable renversement de valeurs</a>
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<p>En Italie, Giorgia Meloni a été élue sur le slogan <a href="https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMAnalyse/3289">« Dieu, famille, patrie »</a> ; en Espagne, Vox fait de la <a href="https://information.tv5monde.com/terriennes/vox-la-tentative-de-lultra-droite-contre-les-droits-des-femmes-en-espagne-30929">lutte contre l’avortement</a> ou le <a href="https://www.euractiv.fr/section/elections/news/espagne-un-candidat-du-parti-vox-compare-le-mariage-homosexuel-a-une-union-entre-une-personne-et-un-animal/">mariage homosexuel</a> un de ses principaux chevaux de bataille.</p>
<p>En dépit de leurs différences, le PVV et le PiS, et au-delà l’ensemble des partis de droite radicale populiste, se rejoignent sur certains traits idéologiques communs : rejet de l’immigration, hostilité envers l’islam, et affirmation de l’identité et de la souveraineté nationales, notamment face à l’Union européenne. Tous ces mouvements partagent également un agenda autoritaire et sécuritaire fondé sur la loi et l’ordre, et la plupart adhèrent à l’idée d’une « préférence nationale » pour assurer l’accès prioritaire aux nationaux à l’emploi et à l’aide sociale.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/563917/original/file-20231206-29-czbn14.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/563917/original/file-20231206-29-czbn14.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/563917/original/file-20231206-29-czbn14.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=599&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/563917/original/file-20231206-29-czbn14.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=599&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/563917/original/file-20231206-29-czbn14.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=599&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/563917/original/file-20231206-29-czbn14.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=753&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/563917/original/file-20231206-29-czbn14.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=753&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/563917/original/file-20231206-29-czbn14.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=753&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Proportion de sièges détenus au Parlement national par le principal parti de droite radicale, au 23 novembre 2023.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.aubedigitale.com/ou-lextreme-droite-a-gagne-du-terrain-en-europe/">Statista</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>Un peu partout en Europe, les partis de droite radicale populiste semblent en mesure d’exploiter les insécurités économiques, le pessimisme et les colères sociales, notamment face à l’impact de la guerre en Ukraine. Le gouvernement polonais du PiS a certes joué, dès février 2022, un rôle essentiel pour soutenir l’effort de guerre du pays voisin, tout en accueillant près d’un million et demi de réfugiés ukrainiens. Mais dans les mois précédant les élections du 15 octobre dernier, le PiS s’est progressivement rapproché des positions de <em>Konfederacja</em>, coalition dénonçant les effets du conflit ukrainien sur les populations rurales défavorisées, qui constituent le cœur de l’électorat du PiS. Ainsi, plusieurs prises de position négatives à l’égard de l’Ukraine, contre l’afflux de céréales et pour l’arrêt des livraisons d’armes ont marqué la fin de la campagne des conservateurs.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comprendre-les-tensions-polono-ukrainiennes-215109">Comprendre les tensions polono-ukrainiennes</a>
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<p>Par contraste, le PVV défend depuis longtemps des relations plus étroites avec Vladimir Poutine, considéré comme un allié dans la lutte contre le terrorisme et l’immigration de masse. Geert Wilders s’était mobilisé lors du <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2016/04/07/le-resultat-du-referendum-aux-pays-bas-nouveau-signe-de-defiance-pour-l-europe_4897522_3210.html">référendum de 2016 aux Pays-Bas</a> pour s’opposer à la ratification de l’Accord d’association entre l’UE et l’Ukraine. Wilders est à la fois très pro-OTAN à domicile mais également contre l’expansion de l’organisation à l’Est et contre la « russophobie hystérique » – il s’est notamment rendu à Moscou en 2018. Lors de sa campagne électorale, il a appelé de ses vœux l’avènement de « l’heure de la <em>realpolitik</em> », la <a href="https://www.kyivpost.com/post/24544">fin de la livraison d’armes et du soutien financier à Kiev</a> et l’ouverture de négociations avec la Russie.</p>
<h2>Les enjeux des élections européennes</h2>
<p>Cette montée en puissance des mouvements de droite radicale populiste pourrait représenter un enjeu majeur des élections européennes de juin 2024.</p>
<p>Ces partis, qui avaient longtemps été les principaux acteurs de l’opposition à l’Union européenne, ont, pour la plupart, opéré depuis quelques années un recentrage stratégique sur la question – souvent du fait de leur accession au pouvoir. En Italie, par exemple, <a href="https://information.tv5monde.com/international/giorgia-meloni-sest-elle-vraiment-convertie-leurope-1413340">Giorgia Meloni</a> s’est éloignée de ses positions les plus radicales sur l’immigration ou l’UE et recherche désormais le compromis avec Ursula von der Leyen et les autorités européennes sur ces sujets. En France, la question européenne a été très largement absente de la campagne présidentielle de Marine Le Pen en 2022, quand bien même cette dernière n’a jamais véritablement abandonné la <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/04/20/election-presidentielle-le-frexit-cache-de-marine-le-pen-est-un-projet-de-rupture-deletere-pour-la-france-et-pour-l-europe_6122908_3232.html">vieille idée d’une « Europe des nations libres et indépendantes »</a>, si chère à son père.</p>
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<p>En Pologne, le PiS s’oppose à Bruxelles depuis plusieurs années à propos de ses réformes judiciaires et de sa décision, en octobre 2021, de décréter certains articles des traités européens <a href="https://www.france24.com/fr/europe/20211007-trait%C3%A9s-de-l-ue-la-pologne-juge-certains-articles-incompatibles-avec-sa-constitution">incompatibles avec la Constitution nationale</a>, remettant en question le principe même de primauté du droit européen, s’alignant sur ce point avec la Hongrie de Viktor Orban. Aux Pays-Bas, Wilders a longtemps incarné un euroscepticisme « dur » prônant tout simplement une sortie unilatérale de l’Union. Comme beaucoup de ses homologues européens, le leader d’extrême droite a récemment adouci ses positions pour élargir sa base électorale, et propose désormais un <a href="https://www.levif.be/international/europe/le-nexit-de-geert-wilders-et-si-les-pays-bas-quittaient-lunion-europeenne/">référendum sur un éventuel « Nexit »</a>.</p>
<p>Jusqu’à présent, au Parlement européen, ces partis sont demeurés fortement divisés, répartis entre les groupes <a href="https://fr.idgroup.eu/">Identité et Démocratie</a>, celui des <a href="https://www.ecrgroup.eu/">Conservateurs et Réformistes européens</a> et les non-inscrits. Les désaccords entre ID et les CRE tiennent pour beaucoup à leurs positions respectives sur la question de l’attitude à adopter à l’égard de la Russie de Vladimir Poutine et, en filigrane, face à l’OTAN et aux États-Unis.</p>
<h2>Pro ou anti-Poutine ?</h2>
<p>Parmi les admirateurs zélés du président russe, on retrouve beaucoup des mouvements opposés à l’OTAN – RN, FPÖ, FvD néerlandais (qui a obtenu 2,2 % aux dernières législatives), ATAKA et Vazrazhdane en Bulgarie, SPD tchèque ou AUR en Roumanie. Pour les populistes de droite, Poutine a longtemps été vu comme l’incarnation d’un leadership fort, comme un défenseur des valeurs chrétiennes et un gardien de la civilisation européenne face à la « menace » de l’islam. De façon plus prosaïque, l’attitude des extrêmes droites européennes a été indexée, aussi, sur la dépendance au gaz russe dans des pays tels que l’Autriche, la Bulgarie, la Tchéquie ou la Serbie, ou sur l’existence d’intérêts économiques liés aux investissements russes comme en Italie ou en Hongrie. Sans oublier les liens financiers établis avec le maître du Kremlin, <a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/dossier/largent-russe-du-rassemblement-national">à l’image du parti lepéniste en France</a>, ou les liens d’amitié personnelle, comme cela fut le cas pour Silvio Berlusconi en Italie.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/au-dela-des-liens-entre-le-rn-et-la-russie-le-grand-projet-illiberal-europeen-207570">Au-delà des liens entre le RN et la Russie : le grand projet illibéral européen</a>
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<p>La topographie des groupes européens recoupe en partie cette ligne de clivage, opposant des partis plus « mainstream » et souvent plus atlantistes, autour de Giorgia Meloni, de Vox ou des Polonais du PiS chez les Conservateurs réformistes, à un groupe ID devenu au fil du temps le principal lieu de convergence des forces pro-russes autour de Marine Le Pen, Matteo Salvini ou de l’AfD allemande. Le cas de Geert Wilders, pro-OTAN et pro-russe, n’en ressort qu’avec plus d’originalité sur ce point.</p>
<p>Si la perspective d’une vaste alliance d’extrême droite au Parlement européen demeure assez peu probable, les succès à venir laissent toutefois entrevoir un nouveau glissement du centre de gravité de la politique européenne et un pouvoir de nuisance accru de la part de mouvements qui, s’ils poursuivent leur chemin vers la normalisation, n’en demeurent pas moins les principaux vecteurs d’opposition aux valeurs fondatrices de l’UE. </p>
<p>À l’image du PiS polonais, l’exercice du pouvoir par ces partis est marqué par une dérive illibérale, caractérisée par l’opposition à certaines des valeurs et des normes qui assurent l’équilibre politique et institutionnel des démocraties modernes. Une telle dérive participe d’un mouvement plus large et particulièrement préoccupant d’érosion démocratique, à laquelle la Coalition civique, en Pologne, devra répondre avec méthode. Parallèlement, le soutien européen à l’Ukraine risque de se trouver affaibli au Parlement européen aussi bien qu’au niveau des États membres. L’arrivée au pouvoir du PVV ne fait que renforcer une telle dérive.</p>
<p>Enfin, fort d’un éventuel futur statut de premier ministre, Wilders pourrait être tenté d’abandonner Marine Le Pen pour rejoindre Giorgia Meloni et les Conservateurs réformistes à Strasbourg en juin prochain. L’hypothèse d’une alliance de la droite du <a href="https://www.eppgroup.eu/fr">Parti populaire européen</a>, qui regroupe les partis de droite « traditionnels », et d’un groupe CRE renforcé, emmené par Giorgia Meloni et le PiS, laisserait entrevoir un durcissement des politiques migratoires de l’UE et, plus fondamentalement encore, un affaiblissement du <a href="https://commission.europa.eu/strategy-and-policy/priorities-2019-2024/european-green-deal_fr"><em>Green Deal</em> européen</a> par des partis d’extrême droite souvent climato-sceptiques et peu soucieux de transition énergétique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/218664/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>La droite radicale populiste a le vent en poupe en Europe, mais des divergences sensibles existent entre les partis de cette famille politique hétérogène.Florent Parmentier, Secrétaire général du CEVIPOF. Enseignant à Sciences Po. Chercheur-associé au Centre HEC Paris de Géopolitique, Sciences Po Gilles Ivaldi, Chercheur en science politique, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2173302023-11-30T16:51:39Z2023-11-30T16:51:39ZRegards croisés sur l’antisémitisme ordinaire en France<p><em>Depuis les attaques du Hamas sur des civils israéliens le 7 octobre et les représailles massives d'Israël à Gaza, des événements graves et une hausse de l’antisémitisme en France ont conduit à des prises de position politique ou médiatique, tandis que de nombreux débats émaillent les discussions pour savoir ce qui est antisémite ou non. Parmi les artistes engagés sur ce sujet, l’illustrateur Joann Sfar a publié une série de posts <a href="https://www.instagram.com/joannsfar/?hl=fr">Instagram</a> afin d’exprimer son ressenti. La chercheuse Solveig Hennebert s’est appuyée sur certains de ses dessins afin d’expliciter un certain nombre d’éléments constitutifs de l’antisémitisme. Si certains faits ont surgi en lien avec le contexte, ils doivent aussi être analysés dans l’histoire longue de l’antisémitisme, sans prétention à l’exhaustivité. Illustrations publiées avec l’aimable autorisation de Joann Sfar.</em></p>
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<p>Les dernières semaines ont vu une hausse des actes antisémites en France : <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/11/15/antisemitisme-1-518-actes-recenses-depuis-le-7-octobre-peu-de-condamnations_6200221_3224.html">1 518 ont été recensés</a> entre le 7 octobre et le 15 novembre. Depuis le début des années 2000, les chiffres oscillent entre 400 et 1 000 par an habituellement, mais il est courant d’observer des pics de propos ou violences antisémites selon les actualités nationales ou internationales. Face à ces actes antisémites, les personnes juives ou – assimilées – ont souvent exprimé un sentiment d’abandon <a href="https://www.persee.fr/doc/gazar_0016-5522_2018_num_250_2_5616?q=solveig%20hennebert">lors de cérémonies commémoratives</a> ou encore dans les entretiens que j’ai réalisés au cours de mon <a href="https://triangle.ens-lyon.fr/spip.php?article6505">enquête de terrain de thèse</a>.</p>
<p>J’utilise à dessein la formulation « personnes juives ou assimilées » que j’ai forgée dans le cadre de mes recherches. Cela permet d’inclure les personnes qui se définissent comme juives par religion, par culture, par rapport à leur histoire familiale ; tout autant que celles qui ne se considèrent pas comme juives, mais subissent l’antisémitisme malgré tout, du fait de représentations discriminantes liées au nom de famille, à l’apparence physique, etc.</p>
<p><a href="https://theconversation.com/la-democratie-pervertie-un-antisemitisme-sans-antisemites-91012">L’antisémitisme</a> renvoie à la haine contre les personnes juives envisagées comme appartenant à une « race ». Cette conceptualisation remonte entre autres au XV<sup>e</sup> siècle avec les <a href="https://sup.sorbonne-universite.fr/catalogue/histoire-moderne-et-contemporaine/iberica/la-purete-de-sang-en-espagne">premiers statuts de pureté de sang</a> dans la péninsule ibérique. Avant (sans que cela ait totalement disparu), les <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/annales-histoire-sciences-sociales/article/abs/de-lantijudaisme-a-lantisemitisme-et-a-rebours/AE18B33EDD926C84968F93C88DF6B61D">persécutions</a> étaient plutôt liées à de l’antijudaïsme, c’est-à-dire que les personnes étaient visées en tant que membres d’une religion et non d’une supposée race.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-juifs-francais-face-aux-attentats-et-a-lantisemitisme-aujourdhui-149757">Les Juifs français face aux attentats et à l’antisémitisme aujourd’hui</a>
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<h2>Les chiffres de l’antisémitisme</h2>
<p><div data-react-class="InstagramEmbed" data-react-props="{"url":"https://www.instagram.com/p/CzoIb4WoGWd","accessToken":"127105130696839|b4b75090c9688d81dfd245afe6052f20"}"></div></p>
<p>Le recensement des crimes et délits est source de <a href="https://theconversation.com/linsecurite-un-epouvantail-electoral-a-deminer-132362">nombreuses interrogations méthodologiques</a>, mais les chiffres restent malgré tout des indicateurs à prendre en compte. Les données sont collectées de la même manière à toutes les périodes, et indiquent donc quoi qu’il en soit une hausse drastique.</p>
<p>Des événements nationaux ou internationaux sont parfois identifiés comme le déclencheur d’une « nouvelle » vague d’attaques antisémites, et souvent associés au conflit israélo-palestinien. Cependant, des recherches scientifiques ont montré que les perceptions antisémites sont également en hausse lors d’événements centrés sur la France, comme ce fut le cas en 1999, au moment des débats sur l’indemnisation des spoliations subies par les <a href="https://sciencespo.hal.science/hal-02409301/file/2016-mayer-et-al-cncdh-2015-un-recul2.pdf">Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale</a>.</p>
<p>Il convient de garder en tête que si analytiquement le contexte peut avoir du sens, il faut prendre en compte ce qu’il y a de <a href="https://theconversation.com/la-maladie-n-9-un-symptome-de-lantisemitisme-francais-218057">structurel dans l’antisémitisme</a> tel qu’il s’exprime en France.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/combattre-lantisemitisme-lenseignement-de-la-shoah-a-lere-de-twitter-et-tiktok-198542">Combattre l’antisémitisme : l’enseignement de la Shoah à l’ère de Twitter et TikTok</a>
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<h2>L’héritage de l’extrême droite</h2>
<p><div data-react-class="InstagramEmbed" data-react-props="{"url":"https://www.instagram.com/p/CzG2HQ5ogTU","accessToken":"127105130696839|b4b75090c9688d81dfd245afe6052f20"}"></div></p>
<p>La présence du Rassemblement national et plus largement de l’extrême droite au <a href="https://www-mediapart-fr.bibelec.univ-lyon2.fr/journal/france/131123/aux-marches-contre-l-antisemitisme-des-elus-d-extreme-droite-au-lourd-passif">rassemblement contre l’antisémitisme du 12 novembre</a> a causé de nombreux débats, certains allant même jusqu’à parler de <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/11/12/gregoire-kauffmann-historien-la-presence-siderante-du-rn-a-la-manifestation-contre-l-antisemitisme-est-le-signe-d-une-profonde-recomposition-du-jeu-politique_6199658_3232.html">« recomposition du champ politique »</a>. À l’inverse, des organisations se sont mobilisées pour rappeler les <a href="https://blogs.mediapart.fr/juives-et-juifs-revolutionnaires/blog/121123/pour-l-emancipation-de-toutes-et-tous-contre-l-antisemitisme-d-ou-qu-il-vienne">liens du RN avec les idéologies antisémites</a>.</p>
<p>L’antisémitisme tel qu’il s’est exprimé ces dernières semaines s’inscrit dans une histoire longue avec des références au nazisme, un ancrage à l’extrême droite, et repose sur des mythes et des préjugés séculaires. En effet, de nombreux préjugés antisémites sont hérités de la <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/annales-histoire-sciences-sociales/article/abs/de-lantijudaisme-a-lantisemitisme-et-a-rebours/AE18B33EDD926C84968F93C88DF6B61D">l’antijudaïsme chrétien</a> :</p>
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<p>« les Juifs ont de l’argent »</p>
<p>« les Juifs contrôlent le monde »</p>
<p>« les Juifs contrôlent les médias »</p>
<p>« les Juifs sont des tueurs d’enfants »…</p>
</blockquote>
<p>L’ensemble de ces mythes qui sont formulés ainsi ou réappropriés selon des tournures différentes sont à comprendre dans une généalogie historique.</p>
<h2>Un nouvel antisémitisme ?</h2>
<p><div data-react-class="InstagramEmbed" data-react-props="{"url":"https://www.instagram.com/p/CyVOUNNIn2z","accessToken":"127105130696839|b4b75090c9688d81dfd245afe6052f20"}"></div></p>
<p>Ces dernières années nous assistons à des discours sur ce qui est présenté comme « un nouvel antisémitisme ». Celui-ci serait le fait des populations musulmanes – ou assimilées – et aurait des spécificités liées à l’islam.</p>
<p>Cependant, des <a href="https://sciencespo.hal.science/hal-02409301/file/2016-mayer-et-al-cncdh-2015-un-recul2.pdf">enquêtes scientifiques</a> montrent que ce sont toujours en partie les mêmes mythes issus de l’Europe chrétienne qui sont mobilisés dans les discours antisémites.</p>
<p>Les stéréotypes principaux sont ceux qui renvoient à l’argent et au pouvoir notamment. Par ailleurs, le rejet des Juifs va souvent de pair avec des visions négatives d’autres minorités.</p>
<p>Ainsi l’expression <a href="https://www.persee.fr/doc/comm_0588-8018_2020_num_107_1_2992?q=jud%C3%A9ophobie#comm_0588-8018_2020_num_107_1_T8_0068_0000">« nouvel antisémitisme »</a> ne semble pas appropriée puisque ce sont les mêmes préjugés qui reviennent. Même si des <a href="https://www-mediapart-fr.bibelec.univ-lyon2.fr/journal/international/211123/l-operation-du-7-octobre-ne-vise-pas-seulement-tuer-mais-filmer-les-tueries-et-les-atrocites">évolutions sont perceptibles</a>, il est nécessaire encore une fois de penser les préjugés dans une <a href="https://www.francebleu.fr/emissions/l-invite-du-6-9-france-bleu-isere/antisemitisme-un-mouvement-de-fond-depuis-les-annees-2000-juge-l-historien-grenoblois-tal-bruttmann-6454392">histoire longue</a>.</p>
<h2>« Laissez-moi hors de propos »</h2>
<p><div data-react-class="InstagramEmbed" data-react-props="{"url":"https://www.instagram.com/p/Cz3u953o_ZY/ ?hl=fr","accessToken":"127105130696839|b4b75090c9688d81dfd245afe6052f20"}"></div></p>
<p>La question du silence de certains vis-à-vis des événements n’a pas manqué de soulever aussi celle de l’antisémitisme à gauche. Le sujet ne cesse d’être discuté depuis le 7 octobre, même si ce débat est présent depuis de nombreuses années. Les différentes personnalités politiques de gauche accusées <a href="https://www.lepoint.fr/politique/melenchon-face-aux-accusations-repetees-d-antisemitisme-23-10-2023-2540503_20.php">se défendent de tous préjugés</a> à l’encontre des Juifs. Un argument souvent mobilisé est de renvoyer à la tradition antisémite de l’extrême droite. S’il est vrai que les électeurs du Rassemblement national ont des préjugés antisémites particulièrement élévés, ceux des électeurs de La France Insoumise sont également supérieurs à la moyenne, <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/11/10/nonna-mayer-les-stereotypes-antisemites-gardent-un-certain-impact-dans-une-petite-partie-de-la-gauche_6199286_823448.html">rapporte Nonna Mayer dans <em>Le Monde</em></a>. Ce sont par ailleurs notamment les mythes séculaires du rapport des Juifs à l’argent et au pouvoir qui persistent, y compris à l’extrême gauche.</p>
<p>L’antisémitisme de personnes à gauche du spectre politique n’est cependant pas récent, et des travaux universitaires montrent même que certains préjugés étaient présents au sein des <a href="https://laviedesidees.fr/Les-Juifs-un-probleme-pour-la">mouvements de résistance</a> de gauche (et de droite) pendant la Seconde Guerre mondiale.</p>
<h2>Des manifestations directes de la violence</h2>
<p><div data-react-class="InstagramEmbed" data-react-props="{"url":"https://www.instagram.com/p/CzVoJsIoYcO","accessToken":"127105130696839|b4b75090c9688d81dfd245afe6052f20"}"></div></p>
<p>Au niveau international, de nombreux actes de violence physique ont été perpétrés, des menaces de mort proférées. En France comme ailleurs, on a recensé des cris de « mort aux Juifs », des incitations à <a href="https://www.courrierinternational.com/article/video-des-slogans-antisemites-scandes-devant-l-opera-de-sydney-aux-couleurs-d-israel">« gazer les Juifs »</a>, des tags <a href="https://www.instagram.com/p/CzOh4Cvo3Ss/ ?hl=fr&img_index=1">« interdit aux Juifs »</a> notamment devant des boutiques parisiennes. Les agressions physiques, qu’elles soient mortelles ou non, <a href="https://www.publicsenat.fr/actualites/societe/1159-actes-antisemites-recenses-en-france-en-un-mois-annonce-gerald-darmanin">sont également multiples</a>, et la qualification antisémite n’est pas évidente.</p>
<p>Les discussions politico-médiatiques qui interrogent la réalité de la motivation antisémite des auteurs de certains faits contribuent à un <a href="https://theconversation.com/les-juifs-francais-face-aux-attentats-et-a-lantisemitisme-aujourdhui-149757">sentiment d’abandon</a> chez certaines personnes juives – ou assimilées, ressenti déjà présent lors d’actes antérieurs aux événements du 7 octobre.</p>
<p>Les crimes sont souvent d’autant plus traumatiques quand les personnes sont attaquées à leur domicile comme ce fut le cas de <a href="https://www.francetvinfo.fr/faits-divers/meurtres/meurtre-de-mireille-knoll/meurtre-de-mireille-knoll-l-affaire-sarah-halimi-a-peut-etre-pu-inciter-la-justice-a-retenir-le-caractere-antisemite-selon-l-avocat-d-un-des-deux-suspects_2688360.html">Mireille Knoll et Sarah Halimi</a>.</p>
<p>Le propos n’est pas de dire que toute personne juive agressée l’est à ce titre là ; cependant, les propos tenus par les agresseurs, les tags laissés sur les lieux, les revendications… sont des éléments qui doivent contribuer à interroger le motif. Par ailleurs, je ne remets pas en cause la non-poursuite des personnes qui ne sont pas responsables pénalement ; cependant, le fait que leur violence se soit tournée contre des personnes juives – ou assimilées – doit être interrogé socialement. Si les troubles psychiatriques peuvent expliquer le passage à l’acte, les préjugés antisémites s’inscrivent dans un contexte social.</p>
<h2>Banaliser</h2>
<p><div data-react-class="InstagramEmbed" data-react-props="{"url":"https://www.instagram.com/p/CzLcHuBoiJ9","accessToken":"127105130696839|b4b75090c9688d81dfd245afe6052f20"}"></div></p>
<p>Depuis le 7 octobre, des discours <a href="https://www.liberation.fr/checknews/tags-insultes-menaces-que-sait-on-du-recensement-des-antisemites-enregistres-depuis-le-7-octobre-20231117_FIAUJA3DKNGNDFHMH7K3R5B6H4/">relativisent l’existence de l’antisémitisme</a>, soit à travers une minimisation : des chiffres, des formes de la violence, de l’existence des victimes, ou encore du caractère antisémite de certains actes. S’il est vrai que c’est à la justice de statuer sur le caractère aggravant « antisémite », cela n’empêche pas que le motif soit envisagé en amont.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-maladie-n-9-un-symptome-de-lantisemitisme-francais-218057">La « maladie n°9 » : un symptôme de l’antisémitisme français</a>
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<p>Le traitement médiatique des actes antisémites est complexe, et y compris <a href="https://laviedesidees.fr/Les-Juifs-un-probleme-pour-la">après la Seconde Guerre mondiale</a> la spécificité des discriminations raciales n’était pas nécessairement dite ouvertement. Parfois sous couvert d’humour, la judaïcité des personnes est moquée ou tournée en dérision.</p>
<p>Les manifestations directes et paroxystiques de la violence, tels que les meurtres, les coups et blessures… ne doivent pas conduire à minimiser ce qu’il est commun d’appeler des <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2018/11/29/universites-americaines-zones-de-langage-surveille_5390404_3232.html">« micro-agressions »</a>.</p>
<p>Nous pouvons poser l’hypothèse que l’une des conséquences des violences extrêmes (qu’elles soient racistes, sexistes, homophobes…) est de contribuer à banaliser les autres formes d’agressions. Ainsi, par rapport au génocide, ou aux meurtres, d’autres actes peuvent paraître anodins ; ils sont pourtant constitutifs de l’expérience de l’antisémitisme et témoignent de la permanence des préjugés et discriminations.</p>
<h2>« Leur peur, ma rage »</h2>
<p><div data-react-class="InstagramEmbed" data-react-props="{"url":"https://www.instagram.com/p/Cyc96WzIuFr","accessToken":"127105130696839|b4b75090c9688d81dfd245afe6052f20"}"></div></p>
<p>De nombreuses personnes font le récit de micro-agressions qu’elles subissent dans leur quotidien. Par exemple, le fait d’associer automatiquement les personnes juives – ou assimilées – à Israël et plus spécifiquement au gouvernement en place, ou les personnes musulmanes – ou assimilées – au Hamas et au terrorisme.</p>
<p>L’usage même du <a href="https://www.instagram.com/p/C0BoM2yNi_o/ ?img_index=1">terme « antisémitisme »</a> est parfois remis en question sur la base de l’argument selon lequel « les Arabes/les Palestiniens/les Musulmans » seraient également des Sémites.</p>
<p>Utiliser ce terme pour parler uniquement des discriminations envers les personnes juives – ou assimilées – serait alors selon eux excluant. Pourtant l’expression « peuples sémites » n’est pas une réalité sociale, mais le fruit d’une <a href="https://www.cairn.info/revue-etudes-2004-4-page-441.htm">conceptualisation raciste en Europe au XIX<sup>e</sup> siècle</a>.</p>
<p>Il s’agissait à l’époque de soutenir les idéologies stigmatisant les personnes juives – ou assimilées – en présentant une théorie pseudo-biologique sur les « sémites ». Cela a permis d’enraciner le <a href="https://www.cairn.info/revue-annales-2014-4-page-901.htm">discours racialiste</a> envers les individus qui ne peuvent plus sortir du groupe par la conversion (bien que celle-ci ne protégeait pas toujours). Par ailleurs, à cette époque, les discours étaient centrés sur l’Europe et les Juifs, et l’antisémitisme dans ce contexte a véhiculé le sens qu’on lui connaît aujourd’hui.</p>
<h2>« Dieu et moi ne sommes pas en bons termes »</h2>
<p><div data-react-class="InstagramEmbed" data-react-props="{"url":"https://www.instagram.com/p/CzqHrYJoDon","accessToken":"127105130696839|b4b75090c9688d81dfd245afe6052f20"}"></div></p>
<p>Depuis le 7 octobre, et face à la multiplication des actes antisémites, de nombreuses personnes juives – ou assimilées – ont pris la parole dans les médias, sur les réseaux sociaux, auprès de leurs proches… pour parler de leur vécu de l’antisémitisme. Certains à l’inverse ne prennent pas la parole, d’autres prient… ces réactions sont variées, à l’image de la diversité de la population juive.</p>
<p>Certains ont exprimé leurs critiques face à <a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/121123/marche-contre-l-antisemitisme-les-gauches-qui-appellent-ne-pas-manifester-renoncent-leur-role-historique">l’absence de la gauche</a> dans la lutte contre l’antisémitisme, et à la présence de l’extrême droite.</p>
<p>Le <a href="https://www.instagram.com/collectif_golem/">collectif « Golem »</a> a même été créé dans ce prolongement, à l’image d’une autre organisation, les <a href="https://www.lesguerrieresdelapaix.com/mouvement/ ?goto=manifeste">« guerrières de la paix »</a> créée en 2022, qui se mobilise aux côtés de personnes musulmanes – ou assimilées, contre « les racismes » et pour la paix en Israël-Palestine.</p>
<p>L’humour peut aussi être un moyen de surmonter les violences vécues au quotidien. Joann Sfar propose par exemple « la nouvelle blague juive », présentée en ouverture de cet article, pour dire que « ça ne va pas ». Cependant, l’humour ne doit pas faire oublier que <a href="https://www-cairn-info.bibelec.univ-lyon2.fr/revue-legicom-2015-1-page-39.htm#no11">certains propos peuvent être antisémites</a> s’ils stigmatisent une population (à travers une tradition, des traits physiques, etc.), même s’ils sont pensés pour faire rire.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/lantisemitisme-vieux-demon-de-la-gauche-francaise-215459">L’antisémitisme, vieux démon de la gauche française ?</a>
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<img src="https://counter.theconversation.com/content/217330/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Solveig Hennebert ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La vague de comportements et attaques antisémites de ces dernières semaines doit être analysée dans l’histoire longue de l’antisémitisme ordinaire en France.Solveig Hennebert, Doctorante, Université Lumière Lyon 2 Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2187392023-11-29T17:25:13Z2023-11-29T17:25:13ZDes affaires « Thomas » à « Mourad », une inquiétante libération de la parole raciste<p>Les récents événements, ratonnades à Romans sur Isère, <a href="https://www.slate.fr/story/256848/mort-thomas-agression-mourad-concurrence-politique-faits-divers-france">récupérations politiques</a> suite à la mort du jeune Thomas à Crépol et l’agression de Mourad dans le Val-de-Marne mais aussi les tags, comportements, agressions <a href="https://theconversation.com/comment-le-racisme-et-lantisemitisme-salimentent-aujourdhui-193740">racistes antisémites ou islamophobes</a>, témoignent <a href="https://www.liberation.fr/politique/elections/mort-de-thomas-a-crepol-pour-rn-et-reconquete-un-horizon-de-guerre-civile-a-peine-voile-20231128_VFDH3ICMGFAJFGPX2IGTPUBSUY/">d’une transformation d’un certain nombre d’idées en actes</a>.</p>
<p>Chaque fois qu’une société se montre de plus en plus hostile à toute marque d’altérité, elle convoque un imaginaire fondé sur <a href="http://www.editionsamsterdam.fr/linvention-de-la-tradition/">l’idéalisation d’un passé mythique</a>.</p>
<p>Les origines, la « communauté » deviennent alors des biens « menacés ». On recherche dans les traditions, dans les racines, parfois dans le sang, la vérité de l’identité. Il n’est pas rare alors de nourrir, sur le registre de la déploration, une <a href="https://editions.flammarion.com/contre-les-racines/9782081409460">nostalgie rance</a>. Et que déplorons-nous ? Que d’autres que nous viennent peupler nos paysages familiers, paysages géographiques et mentaux que nous ne reconnaissons plus, l’étranger les ayant dénaturés.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/une-enquete-devoile-les-ressentis-des-personnes-victimes-de-racisme-199114">Une enquête dévoile les ressentis des personnes victimes de racisme</a>
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<p>Ce refus de la rencontre, cette obsession de l’homogénéité ne restent pas dans les psychismes individuels. Ils nourrissent le ressentiment et s’incarnent politiquement dans des mesures répressives de contrôle des mouvements de population.</p>
<p>Tout particulièrement, lorsque les pouvoirs publics, comme la droite classique, entretiennent <a href="https://www.liberation.fr/politique/eric-ciotti-plus-a-droite-que-lextreme-droite-20231127_VDOYYNLN6BF3VEYRZLHLEY26O4/">l’illusion que le meilleur moyen de combattre l’extrême droite est de parler sa langue</a>.</p>
<p>Il convient d’analyser les mutations du climat intellectuel qui expliquent largement la libération de la parole raciste. Ce mouvement s’accomplit dans deux directions, l’islamophobie et l’antisémitisme.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/de-limpensable-au-possible-comment-le-rn-sest-insere-dans-la-societe-francaise-216651">De l’impensable au possible : comment le RN s’est inséré dans la société française</a>
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<h2>Du droit d’être islamophobe</h2>
<p>Pour la première d’entre elle, il est significatif que certains intellectuels aient réclamé, au nom de la liberté d’expression, le droit d’être islamophobe.</p>
<p>Pascal Bruckner, parmi d’autres, auteur de <em>Un racisme imaginaire. Islamophobie et culpabilité</em> (Grasset, 2017), n’hésite pas à <a href="https://www.licra.org/lislamophobie-une-arme-dintimidation-massive">prétendre</a> que « l’accusation d’islamophobie n’est rien d’autre qu’une arme de destruction massive du débat intellectuel, digne de ce qui se faisait contre “ les ennemis du peuple ” en Union soviétique » !</p>
<p>Le Conseil de l’Europe a pourtant, dès 2005, défini ce terme :</p>
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<p>« Peur ou préjugés à l’égard de l’islam, des musulmans et des questions qui les concernent, prenant la forme de situations quotidiennes de racisme et de discrimination. »</p>
</blockquote>
<p>Comment, en effet, ne pas voir que les mécanismes de l’essentialisme racisant sont ici repérables : <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/islamophobie-9782707189462">l’islamophobie</a>, en effet, construit une identité définitive, négativement attribuée à tous les musulmans.</p>
<p>Mais certains auteurs, appartenant le plus souvent à des courants rationalistes et/ou anticléricaux, revendiquent le terme pour désigner la critique de l’islam en tant que religion et, donc, défendent la légitimité de son rejet. La phobie, pourtant, ne peut être comprise comme un simple rejet.</p>
<p>Il y a surtout la peur et l’effroi suscités par la perception d’une menace. Bref, peut-on avoir peur de l’islam sans craindre les musulmans ? En définitive, ne contribue-t-on pas ainsi à occulter les discriminations dont les musulmans sont victimes ?</p>
<p>Ces discriminations – que de nombreux « républicains » autoproclamés, ont du mal à reconnaître – prennent des contours parfois <a href="https://theconversation.com/fr/topics/les-couleurs-du-racisme-121322">insidieux</a>, dont témoignent sans ambiguïté <a href="http://marieannevalfort.com/wp-content/uploads/2017/05/Panthe%CC%81onSorbonneMagazine2015_VALFORT.pdf">depuis plusieurs années</a> diverses <a href="https://www.liberation.fr/societe/violences-emploi-logement-ce-que-revele-le-premier-rapport-sur-les-discriminations-en-france-20231128_D5T5OUOXZBDNRLHUFMIUAZ3B74">enquêtes</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/lecole-de-la-republique-est-elle-islamophobe-52729">L’école de la République est-elle islamophobe ?</a>
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<h2>Un « racisme de résistance » assumé</h2>
<p>Ce processus d’aveuglement au racisme dont les musulmans sont victimes trouvent le renfort d’une <a href="https://theconversation.com/controverses-pourquoi-la-notion-de-la-cite-perturbe-le-debat-public-216654">interprétation contestable de la laïcité</a>, laquelle relativise sa dimension de pacification pour privilégier celle d’émancipation : la philosophie implicite est qu’il convient de combattre par la raison l’obscurantisme religieux.</p>
<p>Dans son livre de 2017, <em>Philosophie libérale de la religion</em> (titre de la récente traduction française), <a href="https://www.cairn.info/philosophie-liberale-de-la-religion--9791037028990.htm">Cécile Laborde</a> montre que l’objet privilégié de la laïcité française, durant les trois dernières décennies, est le religieux pathologique ou, si l’on préfère, le religieux dangereux. Cette vision de l’islam semble pourtant très éloignée de la <a href="https://www.cairn.info/revue-ethnologie-francaise-2017-4-page-599.htm">pratique du croyant ordinaire</a>.</p>
<p>Ce n’est pas un hasard si le Front national devenu Rassemblement national s’est <a href="https://www.marianne.net/politique/le-pen/presidentielle-pourquoi-le-programme-de-le-pen-transgresse-laicite-et-liberte-de-conscience">emparé de la laïcité</a> pour la transformer en valeur patrimoniale.</p>
<p>L’islamophobie se justifie ainsi, à l’extrême droite mais pas seulement, par une sorte de « racisme de résistance », c’est-à-dire attitude fondée sur l’hypothèse que l’influence islamique mettrait en péril nos valeurs, voire notre civilisation.</p>
<h2>Un nouvel antisémitisme ?</h2>
<p>Il faut aussi souligner ce qui apparaît comme le produit d’une opération idéologique de stigmatisation des musulmans : la thèse du « nouvel antisémitisme ».</p>
<p>En avril 2018, <em>Le Parisien</em> publie le <a href="https://www.leparisien.fr/societe/manifeste-contre-le-nouvel-antisemitisme-21-04-2018-7676787.php">« Manifeste contre le nouvel antisémitisme »</a>, rédigé par Philippe Val et réunissant environ 300 signataires dont un ancien président de la République (Nicolas Sarkozy). À peu près simultanément, chez Albin Michel, paraît <a href="https://www.albin-michel.fr/le-nouvel-antisemitisme-en-france-9782226436153"><em>Le Nouvel Antisémitisme en France</em></a>, ouvrage collectif signé de quinze auteurs (et préfacé par Élisabeth de Fontenay). Le « Manifeste » et l’ouvrage dénoncent une épuration ethnique des Juifs dans certains quartiers, « à bas bruit au pays d’Émile Zola et de Clemenceau », épuration dont la responsabilité est attribuée à l’islamisme et, par amalgame, bien souvent aux musulmans.</p>
<p>Pourtant, invoquer un « nouvel antisémitisme » qui serait spécifiquement musulman, c’est contribuer à l’opération de blanchiment de l’extrême droite, dont la judéophobie serait en voie d’extinction.</p>
<p>Or, comme le défendait lucidement une tribune publiée par <em>Le Monde</em> peu après, le 3 mai 2018 :« La lutte contre l’antisémitisme doit être le combat de tous ».</p>
<p>Cette tribune fit l’objet des attaques de l’extrême droite, mais aussi de celles des nationaux-républicains, terme qui désigne <a href="https://journals.openedition.org/lectures/58369">l’idéologie du Printemps républicain</a> et de quantité d’autres organisations unies par la volonté de transformer le principe juridique de laïcité en valeur identitaire. Autrement dit de substituer l’exaltation de l’identité nationale à l’attachement aux principes universalisables de la devise républicaine.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/gZERxHEKiFg?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Y a-t-il vraiment un « antisémitisme musulman » ? Médiapart, mai 2018.</span></figcaption>
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<p>Il ne s’agit évidemment pas de prétendre que les personnes de confession musulmane seraient exemptes de propos antisémites. Comment ignorer l’antisémitisme virulent porté par le djihadisme et auquel de jeunes musulmans sont parfois sensibles ? Ainsi que le souligne Claude Askolovitch, <a href="https://www.slate.fr/story/160777/manifeste-contre-nouvel-antisemitisme-logie-devastatrice">dans un article profondément juste</a>, le Manifeste, en exigeant de l’islam de France qu’il « ouvre la voie », « rend responsable chaque musulman de la violence de quelques-uns ». On peut, avec lui, se demander si « la passion nationale pour une laïcité de combat n’est pas un refus de notre part musulmane ». Et, ajoute-t-il :</p>
<blockquote>
<p>« On reproche d’abord aux musulmans d’être ici, d’ici. L’antisémitisme est un autre élément à charge de preuve : une bonne raison, progressiste, de détester celles et ceux, voilées, barbus, dont on ne veut pas. »</p>
</blockquote>
<p>Nous faisons nôtre sa conclusion :</p>
<blockquote>
<p>« Il est, dans le Juif, pour celui qui le hait, une licence à quitter l’humanité. Ce n’est ni nouveau, ni singulièrement, ni essentiellement musulman. »</p>
</blockquote>
<h2>L’inextinguible haine des Juifs</h2>
<p>L’idée, défendue depuis 2002 par Pierre-André Taguieff, selon laquelle l’antisémitisme a changé de nature en se parant des habits de l’antiracisme, c’est-à-dire en prenant la défense des Arabes et des musulmans, est non conforme au fait que les stéréotypes judéophobes s’accompagnent le plus souvent d’une image négative de l’islam et, plus généralement, nourrissent des opinions hostiles aux minorités, quelles qu’elles soient. Une étude quantitative, récemment menée en Allemagne, l’établit nettement. N’oublions pas le <a href="https://www.bmi.bund.de/SharedDocs/downloads/DE/publikationen/themen/heimat-integration/BMI23010-uem-frz.pdf">célèbre avertissement</a> de Fanon :« Noirs, quand on dit du mal des Juifs, tendez l’oreille, on parle de vous ».</p>
<p>Partout où le nationalisme progresse, que l’immigration arabe ou musulmane soit ou non présente, la haine des Juifs est réactivée et <a href="https://www.lemonde.fr/blog/filiu/2020/04/12/orban-reecrit-lhistoire-de-la-shoah-en-hongrie/">emprunte des chemins balisés</a>.</p>
<p>Dans l’actuel contexte de guerre au Proche-Orient, la croissance spectaculaire des actes antisémites est profondément alarmante. Il devrait être clair pour tous que chercher à les dissimuler sous le masque de l’antisionisme n’est qu’un mécanisme opportuniste de recyclage de la haine.</p>
<p>La tentative de considérer <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2018/09/LOOS/59034">l’antisionisme comme antisémite par nature doit être vigoureusement dénoncée</a>. Il existe des critiques légitimes de la politique de colonisation d’Israël qui se disent antisionistes sans que leurs positions puissent être qualifiées d’antisémites. Ceci étant, le terme antisionisme ne devrait être utilisé que dans un sens bien précis : désigner ceux qui ont combattu le sionisme (ou n’y ont pas adhéré) avant qu’il ne se réalise dans la création d’un État pour les Juifs.</p>
<p>Son usage devrait être considéré comme obsolète : ou l’on critique la politique coloniale d’Israël (était-il anti-français de s’élever contre la puissance coloniale française ?) ou l’on veut la destruction de l’État et, alors, on est antisémite.</p>
<p>Qu’il s’agisse de l’antisémitisme ou de l’islamophobie, les formations extrémistes jouent des termes pour diffuser leurs idées et promouvoir la haine de l’autre et le refus de l’altérité. Les derniers événements l’illustrent. C’est dans cette perspective que le combat pour donner leur sens aux mots relève de l’exigence démocratique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/218739/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alain Policar ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les mutations du climat intellectuel expliquent largement la libération de la parole raciste notamment dans deux directions, l’islamophobie et l’antisémitisme.Alain Policar, Chercheur associé en science politique (Cevipof), Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2185492023-11-27T17:12:45Z2023-11-27T17:12:45ZPays-Bas : quels scénarios après la victoire du leader populiste Geert Wilders ?<p>Les résultats des élections néerlandaises du 22 novembre dernier, qui ont vu la <a href="https://www.rfi.fr/fr/podcasts/europ%C3%A9en-de-la-semaine/20231126-geert-wilders-le-tribun-d-extr%C3%AAme-droite-au-seuil-du-pouvoir-aux-pays-bas">victoire du Parti pour la liberté</a> (PVV), ont provoqué une onde de choc au sein de l’establishment politique européen. Les effets de ce scrutin pourraient bien aller au-delà des seuls Pays-Bas.</p>
<h2>Une première dans l’histoire du pays</h2>
<p>Pour la première fois dans l’histoire des Pays-Bas, un parti d’extrême droite est devenu le premier en nombre de sièges au Parlement national. Le leader du PVV, Geert Wilders, est un homme politique excentrique connu pour sa rhétorique incendiaire. Il prône la sortie des Pays-Bas de l’Union européenne et a qualifié l’islam de <a href="https://www.lefigaro.fr/international/2008/03/07/01003-20080307ARTFIG00024-geert-wilders-l-ideologie-islamique-est-fasciste.php">« religion fasciste »</a>. Lors d’un procès en 2016, il a été reconnu <a href="https://www.lepoint.fr/monde/pays-bas-le-depute-wilders-relaxe-d-incitation-a-la-haine-09-12-2016-2089169_24.php">coupable d’incitation à la discrimination</a>, mais a été dispensé de peine.</p>
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<p>Les <a href="https://www.lesechos.fr/monde/europe/elections-aux-pays-bas-vers-un-paysage-politique-largement-renouvele-2030607">sondages pré-électoraux</a> avaient indiqué que le Parti pour la liberté pouvait arriver en tête, mais il apparaissait au coude à coude avec les grandes formations traditionnelles de la gauche (Parti travailliste-Gauche verte, PvdA/GL) et de la droite (Parti populaire pour la liberté et la démocratie, VVD). Les sondages se sont révélés loin du compte : Wilders a gagné avec une marge confortable (23,6 % des suffrages, contre 15,5 % au PvdA/GL et 15,2 % au VVD), même s’il devra <a href="https://www.france24.com/fr/europe/20231123-aux-pays-bas-l-extr%C3%AAme-droite-de-geert-wilders-face-au-d%C3%A9fi-de-r%C3%A9unir-une-coalition">chercher des partenaires de coalition</a> pour former un gouvernement.</p>
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<figcaption><span class="caption">Séisme politique aux Pays-Bas : l’extrême droite de Geert Wilders remporte les législatives. Euronews, 23 novembre 2023.</span></figcaption>
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<p>Un nouveau parti de droite, le Nouveau contrat social (NSC), a également obtenu un très bon score (12,8 %). Comme le Parti pour la liberté, ce parti désigne l’immigration comme étant la <a href="https://nltimes.nl/2023/10/24/election-front-runner-omtzigt-calls-stricter-immigration-limits-netherlands">première cause de problèmes</a> tels que l’engorgement des services publics néerlandais et le manque de logements abordables. Cependant, Pieter Omtzigt, le leader du NSC (et ancien député en tant que membre de l’Appel chrétien-démocrate, un parti chrétien-démocrate de centre droit qui, ce 22 novembre, n’a récolté que 3,3 % des suffrages), critique certains des discours les plus incendiaires de Wilders.</p>
<p>Omtzigt apparaît néanmoins comme le candidat le plus probable pour former une coalition avec Wilders, ainsi qu’avec le VVD, ancien parti du premier ministre sortant Mark Rutte, démissionnaire en juillet dernier. Mais il faudra attendre un certain temps avant de savoir si un tel partenariat est réalisable. Aux Pays-Bas, la mise en place d’une coalition est l’affaire de plusieurs mois et non de plusieurs semaines.</p>
<p>Ces pourparlers seront d’autant plus complexes que l’image et la personnalité de Wilders sont particulièrement clivantes. Bien que son parti ait remporté le plus grand nombre de sièges (37 sur 150), les controverses qui l’entourent depuis tant d’années risquent de l’empêcher d’obtenir le poste de premier ministre, même si son parti parvenait à mettre en place une coalition gouvernementale.</p>
<p>En cas de formation d’une coalition centrée sur le PVV, la question du maintien des Pays-Bas dans l’UE sera inévitablement mise en avant. Wilders souhaite un <a href="https://www.liberation.fr/international/europe/obsede-par-le-coran-prorusse-et-partisan-du-nexit-geert-wilders-lincrevable-figure-de-lextreme-droite-20231123_5KWABAQ5P5BMFDIWOU2EYKQSPE/">référendum sur la sortie des Pays-Bas de l’UE</a> et, même si ce projet ne se concrétise pas, on peut s’attendre à ce qu’il imprègne d’euroscepticisme tout gouvernement auquel il participerait.</p>
<p>Cela pourrait avoir des conséquences considérables pour l’UE. Même si les <a href="https://www.france24.com/fr/europe/20230920-europe-pour-les-extr%C3%AAmes-droites-ue-doit-%C3%AAtre-un-outil-pour-juguler-les-crises-migratoires">partis d’extrême droite en Europe divergent</a> sur la question de la sortie de l’Union, ils s’accordent sur la nécessité de transformer l’UE en un organe plus intergouvernemental, ce qui ôterait des prérogatives à Bruxelles.</p>
<h2>Un exemple venu d’Italie</h2>
<p>L’année dernière, <a href="https://theconversation.com/en-italie-la-victoire-annoncee-de-lextreme-droite-191111">Giorgia Meloni</a>, avec qui Wilders partage une certaine affinité idéologique, est devenue la première ministre de l’Italie. Le parti de droite radicale de Meloni, Frères d’Italie est arrivé en tête lors des législatives du 25 septembre 2022 et a formé une coalition avec d’autres partis de droite et de droite dure.</p>
<p>À l’instar de Wilders, Meloni était considérée comme une outsider sur la scène politique de son pays et a toujours placé l’immigration <a href="https://www.lecourrierdelatlas.com/italie-limmigration-au-coeur-de-la-campagne-electorale/">au cœur des débats</a>. Mais depuis son arrivée au pouvoir, sa rhétorique anti-immigration a dû être modérée. Elle a rapidement été confrontée aux appels des milieux d’affaires à remédier à la <a href="https://www.euractiv.fr/section/immigration/news/litalie-demande-larret-des-flux-migratoires-mais-veut-plus-de-main-doeuvre-etrangere/">pénurie de main-d’œuvre en Italie</a>, ce qui impliquait d’accorder des permis aux travailleurs immigrés.</p>
<p>Dans mon livre <a href="https://www.jstor.org/stable/j.ctvt9k3d3"><em>Political Entrepreneurs</em></a>, coécrit avec Sara Hobolt de la London School of Economics, nous montrons que la pratique du pouvoir change les partis politiques. Il est relativement facile de tenir des discours radicaux depuis les coulisses, mais une fois au gouvernement, les partis doivent assumer la responsabilité de la conduite des affaires de leur pays. Ils doivent prendre des décisions, peser les intérêts – et les réserves financières dont ils disposent pour mener à bien leur politique. Meloni, comme les dirigeants de tant d’autres partis populistes, a rapidement <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/migrants/crise-migratoire-a-lampedusa-qu-a-fait-giorgia-meloni-face-a-l-immigration-depuis-son-arrivee-au-pouvoir-en-italie_6073092.html">mis de l’eau dans son vin</a> une fois qu’elle est arrivée au pouvoir.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1706508650582319566"}"></div></p>
<p>C’est la leçon la plus importante pour Wilders : Frères d’Italie avait conduit une campagne électorale eurosceptique mais épousent désormais largement des positions proches de celles de Bruxelles, y compris sur les questions relatives à l’immigration. Meloni a même <a href="https://euobserver.com/migration/157613">affiché sa proximité</a> avec la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen.</p>
<p>Cela dit, l’expérience italienne offre également un autre exemple que Wilders pourrait trouver intéressant. Dans le cadre de nos recherches, nous avons constaté que les partis qui sont devenus populaires en s’opposant à la politique existante préfèrent parfois garder un pied dans le gouvernement et un pied en dehors. C’est par exemple le cas de Matteo Salvini, chef du parti La Ligue et partenaire de la coalition de Meloni.</p>
<p>Salvini ne manque jamais une occasion de souligner son indépendance, même si cela <a href="https://www.20minutes.fr/monde/2579959-20190808-crise-politique-italie-matteo-salvini-reclame-elections-anticipees-fait-eclater-coalition-populiste">cause des difficultés au gouvernement italien auquel La Ligue participe</a>. Seul un partenaire de coalition secondaire peut se permettre de telles frasques, car un premier ministre et son parti font face à une pression bien plus intense. Wilders pourrait donc trouver plus pratique de suivre la voie de Salvini plutôt que celle de Meloni.</p>
<p>Quelle que soit la voie qu’il emprunte, si Wilders fait partie du gouvernement, les résultats de ces élections auront certainement des conséquences sur les relations des Pays-Bas avec le reste de l’Europe.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/218549/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Catherine de Vries ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le controversé politicien néerlandais a remporté le plus grand nombre de sièges au Parlement, mais il pourrait encore trouver opportun de ne pas briguer le poste de premier ministre.Catherine de Vries, Professor of Political Science, Fellow and member of the Management Council of the Institute for European Policymaking, Bocconi UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2180572023-11-22T17:19:13Z2023-11-22T17:19:13ZLa « maladie n°9 » : un symptôme de l’antisémitisme français<p>Depuis le 7 octobre 2023, jour de l’attaque du Hamas contre Israël, 1518 actes antisémites ont été <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/11/15/antisemitisme-1-518-actes-recenses-depuis-le-7-octobre-peu-de-condamnations_6200221_3224.html">recensés en France</a>. Tandis que la riposte de Tsahal se poursuit, le conflit au Moyen-Orient polarise les opinions dans notre pays comme ailleurs.</p>
<p>Alors que la marche contre l’antisémitisme a réuni <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/11/13/marche-contre-l-antisemitisme-une-foule-compacte-digne-soucieuse-de-montrer-aux-juifs-de-france-qu-ils-ne-sont-pas-seuls_6199730_823448.html">plus de 100 000 personnes</a> le 12 novembre à Paris, Joël Mergui, président du consistoire israélite de la ville, a regretté que les instances musulmanes n’aient <a href="https://www.francetvinfo.fr/societe/antisemitisme/video-antisemitisme-on-n-a-pas-vu-les-instances-musulmanes-appeler-massivement-a-venir-manifester-regrette-le-president-du-consistoire-israelite-de-paris_6181035.html">« pas appelé à venir massivement manifester »</a>. Pas un mot, en revanche, sur la présence dans le cortège de Marine Le Pen, cheffe de file du Rassemblement national ; or, ce parti politique est proche d’une extrême droite au sein de laquelle l’antisémitisme français a trouvé son principal creuset.</p>
<p>Un épisode oublié peut nous le rappeler : il y a un peu plus de 100 ans, l’antisémitisme d’extrême droite se déchaînait contre les « Juifs d’Orient » et les « maladies » qu’ils étaient accusés de répandre dans Paris. En premier lieu, la peste, dont la dernière bouffée épidémique s’est déclenchée dans la capitale française en 1920.</p>
<p>En effet, comme le montre une recherche récente à paraître dans <a href="https://www.cairn.info/revue-deviance-et-societe.html"><em>Déviance et Société</em></a>, la tradition de l’extrême droite française a développé toute une rhétorique d’infamisation des Juifs et des minorités racisées. Sur le fond, ce texte pose la question des effets délétères de ces stigmatisations conduisant à opposer les minorités entre elles et à la nation.</p>
<h2>L’étrange « maladie n°9 »</h2>
<p>À l’été 1920 se répandent à Paris toutes sortes de rumeurs à propos de l’étrange « maladie n°9 ». Pour le moins singulière, cette dénomination intrigue autant que son origine est controversée. Selon les médecins, elle correspondrait à un simple numéro d’ordre dans le répertoire national des maladies contagieuses. Mais d’après une rumeur colportée par la <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k8175324/f1.image">presse</a>, elle renverrait plutôt au numéro du pavillon de l’hôpital Claude-Bernard où les cas auraient été regroupés.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/560735/original/file-20231121-4286-8tr3r9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/560735/original/file-20231121-4286-8tr3r9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/560735/original/file-20231121-4286-8tr3r9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=761&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/560735/original/file-20231121-4286-8tr3r9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=761&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/560735/original/file-20231121-4286-8tr3r9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=761&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/560735/original/file-20231121-4286-8tr3r9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=957&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/560735/original/file-20231121-4286-8tr3r9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=957&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/560735/original/file-20231121-4286-8tr3r9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=957&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Cité Trébert, intérieur d’un chiffonnier (1913) Photographie d’Eugène Atget, album « Zoniers ».</span>
<span class="attribution"><span class="source">BNF</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Sous ce nom d’emprunt, c’est la réalité du mal dont souffrent les malades que les autorités s’efforcent de cacher : celle d’une résurgence de la peste bubonique dans certains quartiers pauvres du nord de la ville, proches de la <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k64821967/f25.item">zone des fortifications</a>.</p>
<p>Les journaux se saisissent de l’affaire. <em>Le Populaire</em>, un quotidien socialiste, entame en août 1920 une chronique de ce que l’on ne tarde pas à appeler la <a href="https://www.lhistoire.fr/la-peste-des-chiffonniers">« peste des chiffonniers »</a>. Car le métier comme les conditions de vie de ces récupérateurs de déchets sont directement incriminés. En tout et pour tout, sur 106 cas signalés, 91 ont été confirmés, <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k64821967/f33.item">dont 34 mortels</a>.</p>
<p>Si elle a donc été rapidement maîtrisée, la « maladie n°9 » et les débats qu’elle a suscités ont toutefois largement dépassé le seul registre médical. Et pour cause : le mal s’est déclaré dans ces classes qu’une grande part de la bourgeoisie considérait comme « dangereuses », tant du point de vue de la <a href="http://www.editionsamsterdam.fr/les-sauvages-de-la-civilisation">salubrité que de la moralité</a>.</p>
<p>Dans son édition du 3 décembre 1920, le <em>Journal officiel</em> de la République française présente le compte rendu d’un débat tenu au Sénat à propos de la <a href="https://bibliotheques.paris.fr/Default/doc/SYRACUSE/189866/la-maladie-n-9-recit-historique-d-apres-le-journal-officiel-du-3-decembre-1920">« maladie n°9 »</a>.</p>
<p>L’interpellation est menée par Adrien Gaudin de Villaine, un sénateur antirépublicain proche de l’extrême droite et des royalistes de <a href="https://www.grasset.fr/livre/naissance-de-laction-francaise-9782246811602">l’Action française</a>.</p>
<p>Nés de l’affaire Dreyfus, ce mouvement et le journal du même nom défendent un « nationalisme intégral », qui s’illustre dans la croisade antibolcheviste et <a href="https://www.cairn.info/revue-d-histoire-moderne-et-contemporaine-2012-4-page-97.htm">« l’antisémitisme d’État »</a> ; autant de positions affichées pour une défense de la France qui, après s’être défaite de ses « ennemis extérieurs » (les Allemands), aurait à se protéger de ses « ennemis intérieurs » au premier rang desquels compteraient les Juifs et les étrangers, tous « indésirables ».</p>
<h2>La peste, mais laquelle ?</h2>
<p>Gaudin de Villaine tient un discours qui se caractérise par un glissement rhétorique dans l’ordre des mises en cause. À l’urgence de lutter contre le bacille tueur s’ajoute l’incrimination d’autres « corps infectieux » : non pas tant ceux des chiffonniers que ceux de tous ces « étrangers » qu’il accuse de répandre leurs miasmes dans les interstices de la capitale, hors de tout contrôle sanitaire, social ou légal.</p>
<p>Développant sa rhétorique de l’infamie, le sénateur surenchérit en précisant que :</p>
<blockquote>
<p>« Ces étrangers – tous juifs ! – bien que se disant Polonais, Russes, Roumains, ne se solidarisent même pas avec les israélites français. Ils se déclarent nettement juifs – comme religion et comme race […] »</p>
</blockquote>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/560736/original/file-20231121-29-luur34.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/560736/original/file-20231121-29-luur34.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/560736/original/file-20231121-29-luur34.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=897&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/560736/original/file-20231121-29-luur34.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=897&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/560736/original/file-20231121-29-luur34.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=897&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/560736/original/file-20231121-29-luur34.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1127&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/560736/original/file-20231121-29-luur34.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1127&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/560736/original/file-20231121-29-luur34.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1127&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Comment voter contre le bolchevisme ? (1919). Dessin d’Adrien Barrière, propagande antibolchevique lors des élections de 1919.</span>
<span class="attribution"><span class="source">BNF</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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</figure>
<p>Or, de tels « indésirables » ne se contenteraient pas d’« essaimer leurs microbes ». <a href="https://www.senat.fr/comptes-rendus-seances/3eme/pdf/1920/12/S19201202_1837_1853.pdf">Ils répandraient</a> aussi « dans le bas peuple avec lequel ils prennent contact, les doctrines du bolchevisme défaitiste ».</p>
<p>Selon leurs détracteurs, tous ces juifs porteurs de maladies seraient également communistes et propagateurs de <a href="https://books.openedition.org/septentrion/39264">la « peste rouge »</a>. Peu importe que les familles pointées du doigt aient fui les pogroms <a href="https://www.fayard.fr/livre/les-travailleurs-immigres-juifs-la-belle-epoque-9782213013961/">d’Europe centrale et orientale</a>. Ennemi déclaré des « judéo-bolcheviques », <a href="https://www.senat.fr/comptes-rendus-seances/3eme/pdf/1920/12/S19201202_1837_1853.pdf">Gaudin de Villaine avertit</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Nombre de Français en ont assez d’être traités en outlaws dans leur propre patrie », de sorte que les Juifs « pourraient bien, ici comme ailleurs, attirer sur eux de terribles représailles. »</p>
</blockquote>
<h2>Complotisme et rhétoriques de l’infamie</h2>
<p>Les épidémies de peste, à l’instar de celle qui <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/lsd-la-serie-documentaire/la-grande-peste-l-empreinte-d-une-tueuse-le-podcast-4-8-quand-la-terreur-alimente-la-haine-les-juifs-6472285">a décimé la population européenne au XIVᵉ siècle</a>, ont régulièrement été associées à la fustigation des minorités – les <a href="https://academic.oup.com/past/article-abstract/196/1/3/1488091">Juifs en tête</a> – que l’on rendait responsables de la contagion avant de les constituer en <a href="https://www.calmann-levy.fr/livre/la-causalite-diabolique-9782702136799/">boucs émissaires à sacrifier</a>.</p>
<p>Aussi modeste fût-elle du point de vue de sa morbidité, la peste parisienne de 1920 n’a pas manqué de reproduire ce type d’accusation.</p>
<p>L’épidémie survient au moment même où <em>Les Protocoles des Sages de Sion</em> – brûlot antisémite et acte <a href="https://www.fayard.fr/livre/les-protocoles-des-sages-de-sion-9782213621487/">fondateur du complotisme moderne</a> – connaissent une sorte d’essor international dû à la publication de nombreuses traductions. Deux versions françaises paraissent coup sur coup, en octobre et décembre 1920. Elles colportent la rumeur d’une prétendue « internationale juive » dont les ramifications infecteraient toutes les nations.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/560740/original/file-20231121-19-ctl49n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/560740/original/file-20231121-19-ctl49n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/560740/original/file-20231121-19-ctl49n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=679&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/560740/original/file-20231121-19-ctl49n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=679&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/560740/original/file-20231121-19-ctl49n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=679&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/560740/original/file-20231121-19-ctl49n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=854&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/560740/original/file-20231121-19-ctl49n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=854&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/560740/original/file-20231121-19-ctl49n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=854&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">« Oui, mais… c’est c’piton-là qu’tu pourras jamais faire naturaliser ! » (1902) Caricature d’Émile Gravelle, éditée sous forme de carte postale par la Librairie antisémite.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Bibliothèque historique de la Ville de Paris</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Réinscrite dans un tel cadre d’infamisation, la « maladie n°9 » devient la <a href="https://bourgoisediteur.fr/catalogue/la-maladie-comme-metaphore-le-sida-et-ses-metaphores/">métaphore</a> d’une altérité dégradée par l’intensification des stigmates sociaux, biologiques et raciaux.</p>
<p>Si nombre de parlementaires républicains se sont déclarés choqués par de telles idées, l’effet des rhétoriques de l’infamie s’est tout de même produit en instillant le doute dans les esprits quant au potentiel fond de vérité sur lequel ces arguments pourraient bien s’appuyer. La peur entretenue par le choc prétendument révélateur est l’un des leviers argumentaires privilégiés par les polémistes d’extrême droite, <a href="https://sk.sagepub.com/books/the-politics-of-fear">hier comme aujourd’hui</a>.</p>
<p>Depuis la fin du XIX<sup>e</sup> siècle, la fantasmagorie antisémite, ses images et ses écrits haineux ont composé ce que l’historien Maurice Kriegel a proposé d’appeler un <a href="https://www.cairn.info/revue-annales-2014-4-page-875.htm">« Juif textuel »</a>. À la différence des « Juifs réels », le premier n’existe que dans et par les caricatures dont il fait l’objet.</p>
<p>Façonnées par les droites extrêmes, ces caricatures sont parfois reprises à leur compte par certains <a href="https://www.cairn.info/revue-d-histoire-moderne-et-contemporaine-2015-2-page-89.htm">fondamentalistes musulmans</a>. Sans nier cette facette de l’antisémitisme, faut-il pour autant l’utiliser comme levier d’une opposition des minorités religieuses en France, où le « Musulman textuel » apparaîtrait comme un nouvel « ennemi de l’intérieur » ?</p>
<h2>Antisémitisme et islamophobie, même infamie</h2>
<p>Tandis que, en 1920, la « maladie n°9 » déchaînait les passions fustigatrices des « corps étrangers » infiltrés dans la nation, leurs contempteurs voyaient dans les « Juifs d’Orient » autant d’indésirables constituant l’avant-garde d’un déferlement : celui du « judéo-bolchevisme » s’apprêtant à se répandre sur l’Occident.</p>
<p>D’autres voient aujourd’hui dans l’<a href="https://theconversation.com/islamo-gauchisme-sen-prendre-a-la-recherche-montre-limpossible-decolonisation-de-luniversite-149411">« islamo-gauchisme »</a> (un néologisme dont la forme composée n’est pas sans précédent) le cheval de Troie d’un autre déferlement d’« indésirables » : celui des musulmans venus d’un Orient toujours aussi fantasmé que détesté par celles ou ceux qui, en Occident, le constituent en une <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/islamophobie-9782707189462">inépuisable source d’altérités menaçantes</a>.</p>
<p>Alors que les discours antisémites et islamophobes manifestent d’indéniables proximités du point de vue des principes rhétoriques mobilisés, il y a toutes les raisons de comparer sans les opposer ces formes de rejet, de racisme et de mépris déjà rapprochées dans une perspective historique par des chercheurs tels que <a href="https://www.editionsbdl.com/produit/semites-religion-race-et-politique-en-occident-chretien/">Gil Anidjar</a> et <a href="http://www.editionsamsterdam.fr/antisemitisme-et-islamophobie/">Reza Zia-Ebrahimi</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">Reza Zia-Ebrahimi : Antisémitisme et islamophobie. Une histoire croisée, IREMAM.</span></figcaption>
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<p>Tandis que le premier montre comment la raciologie française du XIX<sup>e</sup> siècle a créé les Sémites en réunissant dans une même « race » les deux corps de l’« ennemi » – <a href="https://www.cairn.info/revue-du-mauss-2017-1-page-338.htm?ref=doi">« le Juif et le Musulman »</a> –, le second nous fait voir la façon dont procède cette infamisation et quels pièges elle nous tend.</p>
<h2>S’opposer à tous les séparatismes</h2>
<p>Ici, la comparaison est la raison qu’il faut opposer à tous les séparatismes. Doit-on, contre l’antisémitisme dont la droite néo-conservatrice <a href="https://www.lepoint.fr/invites-du-point/l-antisemitisme-musulman-causes-consequences-et-remedes-16-11-2023-2543374_420.php">ne cesse d’accuser les musulmans</a>, accepter les compromissions qui rapprochent l’extrême droite des Juifs – ou les infamisés des infamants ?</p>
<p>Quels pires défenseurs pourraient avoir les Juifs de France que les héritiers de ceux qui ont collaboré à leur abaissement, <a href="https://www.nouveau-monde.net/catalogue/antisemythes">jusqu’à l’abjection ?</a></p>
<p>Faut-il donc oublier le passé et se laisser prendre au piège des rhéteurs de l’infâme qui, agitant la menace d’une épidémie ou d’une guerre, pointent du doigt la minorité exécrée tout en prétendant défendre l’intégrité d’une communauté ou d’une nation ? S’il faut un jour marcher ensemble, il sera difficile d’y arriver avec des membres fracturés.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/218057/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jérôme Beauchez a reçu des financements de l'Agence Nationale de la Recherche (ANR) et de l'Institut d'études avancées de l'Université de Strasbourg (USIAS).</span></em></p>L’extrême droite française a développé toute une rhétorique d’infamisation des Juifs et des minorités racisées qui poursuit son chemin et trouve des formes variées, comme lors de la peste de 1920.Jérôme Beauchez, Sociologue et anthropologue, Université de StrasbourgLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.