tag:theconversation.com,2011:/ca-fr/topics/gafam-45037/articlesGAFAM – La Conversation2024-03-14T18:58:15Ztag:theconversation.com,2011:article/2247812024-03-14T18:58:15Z2024-03-14T18:58:15ZKai-Fu Lee, grand organisateur de l’IA open source en Chine… et inspiration pour la France ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/578944/original/file-20240229-26-7xmelz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=33%2C0%2C3762%2C2504&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Kai-Fu Lee en septembre 2018, à San Francisco</span> <span class="attribution"><span class="source">TechCrunch / Flickr</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/">CC BY-NC-SA</a></span></figcaption></figure><p>Pendant que plusieurs géants de la Silicon Valley <a href="https://www.numerama.com/tech/1590098-lopen-source-en-ia-gagne-du-terrain-face-aux-modeles-proprietaires.html">resserrent l’accès</a> aux codes de leurs modèles d’<a href="https://theconversation.com/topics/intelligence-artificielle-ia-22176">IA générative</a>, c’est l’exact contre-pied que tente de prendre Kai-Fu Lee, informaticien et homme d’affaires taïwanais basé à Pékin. Sa <a href="https://arenes.fr/livre/i-a-la-plus-grande-mutation-de-lhistoire/">volonté</a> ? Structurer un écosystème fondé sur un modèle de langage <a href="https://theconversation.com/topics/open-source-86032"><em>open source</em></a> performant dont les start-up <a href="https://theconversation.com/topics/chine-20235">chinoises</a> seront les premières bénéficiaires.</p>
<p>Après un passage chez Apple et Silicon Graphics, cet expert mondialement reconnu de l’IA a participé à la création de Microsoft Research Asia, organisation qui a contribué à la formation d’un grand nombre d’ingénieurs chinois de premier plan. Kai-Fu Lee a également présidé l’activité recherche de Google en Chine.</p>
<p>La concurrence commerciale entre les géants de l’IA va peu à peu s’intensifier. Celle-ci opposera vraisemblablement des écosystèmes construits autour de l’exploitation des <a href="https://queue.acm.org/detail.cfm?id=3595879">différents modèles de langage disponibles</a>. Selon Kai-Fu Lee, l’écosystème qui s’imposera sera enraciné dans un modèle de langage <em>open source</em> de petite taille et facile à entraîner. Il regroupera un grand nombre d’ingénieurs informés des dernières avancées technologiques et capables de transformer celles-ci en applications commercialisables. Ces ingénieurs auront été très tôt familiarisés aux détails du modèle de langage qu’ils exploitent. Formés dans une institution qui inclut une activité de capital-risque, ils sauront développer des idées à haut potentiel commercial et susceptibles d’attirer les financements les plus importants.</p>
<p>Tel est l’environnement qu’il a cherché à bâtir depuis maintenant 15 ans.</p>
<h2>Sinovation pose les fondations</h2>
<p>En 2009, l'ingénieur lance Sinovation, une société de capital-risque spécialisée dans le financement de start-up technologiques. Durant les premières années, la firme opère aux États-Unis et en Chine. L’intensification de la guerre commerciale entre les deux pays et la difficulté croissante à conclure des accords avec des entreprises américaines conduit néanmoins la direction à fermer ses bureaux de la Silicon Valley en 2019. Aujourd’hui, Sinovation compte 400 entreprises dans son portefeuille, représentant un total de 3 milliards de dollars d’actifs sous gestion.</p>
<p>Outre ses activités de financement, conscient des apports de Microsoft Research Asia pour la formation et le développement des compétences des futurs ingénieurs, l'homme d'affaires crée en 2016 l’Institut Sinovation Ventures pour l’IA. Celui-ci assure une large diffusion des avancées scientifiques et accélère leur transformation en des applications commercialisables.</p>
<p>Le projet présente un intérêt stratégique majeur pour le développement de l’IA en Chine : il contribue à la formation d’ingénieurs de haut niveau et finance les entreprises que ces professionnels sont susceptibles de lancer.</p>
<h2>01.AI, le pari de l’open source</h2>
<p>En juin dernier, Kai-Fu Lee a lancé une nouvelle start-up, <a href="https://www.01.ai/">01.AI</a>, après avoir levé quelque 200 millions de dollars auprès des BATX, groupe d’entreprises (Baidu, Alibaba, Tencent, Xiamoi) que l’on considère parfois comme des GAFAM chinois. L’objectif était de créer de premières « applications tueuses », c’est-à-dire des applications tellement convaincantes qu’elles sont adoptées par des centaines de millions d’utilisateurs à l’instar de TikTok.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1706759603852128603"}"></div></p>
<p>Et les choses n’ont pas trainé ! En janvier, 01.AI a lancé un modèle d’IA « multimodal » surnommé « Yi » fondé sur 34 milliards de paramètres, soit moitié moins que ChatGPT4. Cette taille modeste facilite son entraînement. À travers le monde, de <a href="https://www.marktechpost.com/2024/02/03/meet-yi-the-next-generation-of-open-source-and-bilingual-large-language-models/">nombreux développeurs, ont déjà adopté Yi</a>.</p>
<p>Le modèle de langage de 01.Ai fait partie des <a href="https://www.numerama.com/tech/1590098-lopen-source-en-ia-gagne-du-terrain-face-aux-modeles-proprietaires.html">modèles dits open source</a>, comme l’est aussi, par exemple, LlaMA, le langage de Meta. Ils s’opposent aux modèles dits propriétaires dont les fondations techniques ne sont pas partagées. Contrairement à ce que peut laisser entendre son nom, Open IA qui fait tourner ChatGPT fait partie des modèles propriétaires, tout comme les outils développés par Google. Les intérêts associés à l’ouverture sont multiples. Elle facilite l’accès d’un plus grand nombre de chercheurs et d’ingénieurs aux modèles de langage, contribue à une meilleure formation des professionnels et permet de créer un large écosystème de développeurs chargés d’étendre les domaines d’applications de Yi.</p>
<h2>Une source d’inspiration ?</h2>
<p>La Chine se montre assez peu soucieuse du respect des libertés individuelles. Les lois encadrant le respect de la vie privée sont moins protectrices des individus et il est plus facile en Chine qu’en Occident de <a href="https://www.leto.legal/guides/la-protection-des-donnees-personnelles-en-chine-quels-impacts-sur-votre-activite">construire un ensemble de données</a> suffisamment important pour entraîner un modèle de langage. Ce malgré une <a href="https://investir.lesechos.fr/marches-indices/economie-politique/la-chine-adopte-une-loi-sur-la-confidentialite-des-donnees-personnelles-1811082">loi de type RGPD</a> entrée en vigueur en 2021. Beaucoup d’<a href="https://www.wired.com/story/chinese-start-up-01-ai-is-winning-the-open-source-ai-race/">observateurs</a> attribuent ainsi la compétitivité de Yi à l’ensemble de données sur lequel il a été entraîné. Ce modèle inclut deux fois moins de paramètres que GPT-4 et pourtant les <a href="https://huggingface.co/01-ai/Yi-34B-Chat">performances des deux modèles sont comparables</a>.</p>
<p>La France, elle, ne manque pas d’atouts sérieux dans l’industrie mondiale de l’IA. L’Hexagone compte, lui aussi, un <a href="https://www.lesechos.fr/tech-medias/intelligence-artificielle/dans-lia-une-ecole-francaise-commence-a-emerger-1953208">nombre important de chercheurs et d’ingénieurs IA</a> de tout premier plan. Beaucoup de ces experts sont impliqués dans la création de réseaux neuronaux, de modèles d’apprentissage ou de langage pour Apple, AT&T, IBM, Google ou Meta. Les financeurs également sont au rendez-vous : Xavier Niel, Rodolphe Saadé et Eric Schmidt ont, par exemple, assuré le lancement de Mistral AI et plus récemment, en novembre 2023, du laboratoire non lucratif Kyutai. Ces deux organisations se sont engagées dans la voie de l’open source et Mistral AI propose déjà un <a href="https://techcrunch.com/2024/02/26/mistral-ai-releases-new-model-to-rival-gpt-4-and-its-own-chat-assistant/">modèle très compétitif</a>.</p>
<p>Par ailleurs, ces deux projets disposent des ressources financières nécessaires à leur développement. Kyutai a déjà levé <a href="https://www.rtl.fr/actu/sciences-tech/intelligence-artificielle-xavier-niel-lance-kyutai-un-labo-francais-de-recherche-pour-contrer-openai-chatgpt-7900322148">300 millions d’euros</a> et Mistral AI vient de finir un tour de financement de <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2023/12/11/la-start-up-francaise-mistral-ai-a-leve-385-millions-d-euros_6205065_3234.html">385 millions d’euros</a> après avoir levé 105 millions d’euros pour son amorçage. Elle était valorisée à hauteur de 2 milliards de dollars à la fin de l’année dernière. Les ressources financières des deux organisations sont donc, aujourd’hui, supérieures à celles de 01.AI en Chine.</p>
<p>La France ne manque donc ni des compétences ni des sources de financement nécessaires au développement de solutions assurant notre indépendance technologique. Elle ne dispose néanmoins pas (encore ?) d’un écosystème autour des modèles <em>open source</em> de Kyutai et Mistral AI. En Chine, Kai-Fu Lee a adossé un institut de recherche et de formation à une société de capital risque dédiée aux financements de projets IA. Une excellente idée et que nous devrions copier ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/224781/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Eric Braune ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Plutôt que de le taire, Kai-Fu Lee mise sur l’open source pour faire de son modèle de langage d’IA le vainqueur de la compétition qui s’enclenche.Eric Braune, Professeur associé, INSEEC Grande ÉcoleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2169342023-11-07T17:29:15Z2023-11-07T17:29:15ZÉconomie numérique : le bilan comptable reflète mal la valeur économique des entreprises<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/557292/original/file-20231102-25-fzu1md.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=80%2C24%2C2208%2C1758&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La valeur comptable de Google ne s’élève qu’à 61&nbsp;774&nbsp;millions de dollars alors que la capitalisation boursière du géant du numérique atteignait 1&nbsp;148&nbsp;milliards de dollars fin 2022.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://pxhere.com/en/photo/1439975">Mohamed Hassan/Pxhere</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Les processus de création de valeur ont connu d’importantes évolutions ces dernières années. Comparons par exemple Google (Alphabet), un étendard de la nouvelle économie et une entreprise relevant du secteur industriel traditionnel, comme le constructeur automobile General Motors. La réussite de Google apparaît au travers de sa capitalisation boursière, celle-ci atteignant <a href="https://abc.xyz/assets/d4/4f/a48b94d548d0b2fdc029a95e8c63/2022-alphabet-annual-report.pdf">1 148 milliards de dollars pour environ 190 234 salariés</a> fin 2022. General Motors affiche pour sa part une capitalisation boursière vingt fois plus faible, de <a href="https://investor.gm.com/static-files/12adf215-2927-498e-a958-66345e607b98">47,79 milliards de dollars, avec plus de 86 000 salariés</a>.</p>
<p>Cet écart témoigne d’un bouleversement profond du processus de création de valeur. Par ailleurs, la valeur comptable – c’est-à-dire la valeur que l’entreprise peut communiquer à travers ses états financiers – ne s’élève qu’à 61 774 millions de dollars pour Google, sans comparaison avec le niveau atteint par sa capitalisation boursière. Pour General Motors, l’écart entre ces deux valeurs existe certes, mais dans une moindre mesure.</p>
<h2>Problèmes d’évaluation</h2>
<p>Il convient donc de bien distinguer la valeur comptable de la valeur de marché. La valeur comptable retrace l’historique de l’entreprise, traduit par des entrées ou des sorties de trésorerie, son résultat réalisé. La valeur boursière est quant à elle une valeur actualisée des anticipations de la création de valeur de l’entreprise (les prévisions de flux de trésorerie disponibles). Il est donc normal que la valeur de marché soit différente de la valeur comptable.</p>
<p>Cependant, lorsque ce différentiel devient considérable, cette déconnexion peut témoigner d’une défaillance de l’outil de suivi (en l’occurrence la comptabilité) à capter la valeur présente dans l’entreprise. Les outils de traçabilité de la valeur financière ne permettent alors plus de transmettre une valeur de l’entreprise qui soit proche de sa valeur de marché. La recherche a par exemple démontré que les investissements en <a href="https://www.nber.org/system/files/working_papers/w7223/w7223.pdf">recherche et développement</a> (R&D) et en <a href="https://www.jstor.org/stable/3665583">publicité</a> entraînaient une hausse des résultats, et que par conséquent ils étaient positivement associés à la valeur des sociétés.</p>
<p>La reconnaissance des actifs incorporels identifiés reste cependant liée à des problèmes d’évaluation. Le modèle comptable actuel ne reconnaît pas de nombreux actifs incorporels fondés sur la connaissance. Cela peut soulever des inquiétudes quant à la capacité réelle des investisseurs à valoriser les sociétés à forte intensité de capital immatériel.</p>
<h2>Des évolutions très lentes</h2>
<p>Un <a href="https://econpapers.repec.org/article/eeejfinec/v_3a26_3ay_3a1990_3ai_3a2_3ap_3a255-276.htm">travail de recherche</a> publié en 1990 montrait déjà que les entreprises de haute technologie qui annonçaient une augmentation des dépenses de R&D connaissent des rendements anormaux positifs. Cette étude soulignait également qu’une intensité de R&D plus élevée que la moyenne de l’industrie ne conduisait à une augmentation des cours boursiers que pour les entreprises des secteurs de haute technologie.</p>
<p>Pourtant, l’évaluation comptable n’a que très peu évolué depuis. La dernière <a href="https://www.ifrs.org/issued-standards/list-of-standards/ias-38-intangible-assets/">modification de la norme internationale IAS 38</a> – Immobilisations incorporelles – remonte à mars 2004. Cependant, l’International Accounting Standards Board (IASB), normalisateur comptable international, s’intéresse à nouveau à la question de la reconnaissance comptable des immatériels et à la diffusion d’informations financières les concernant. Le dernier <a href="https://www.ifrs.org/content/dam/ifrs/project/third-agenda-consultation/thirdagenda-feedbackstatement-july2022.pdf">programme de consultation de l’IASB</a> publié en 2022 place les immatériels en haut de la liste.</p>
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<p>L’IASB souligne que « La plupart des personnes interrogées ont jugé hautement prioritaires les projets potentiels sur les risques liés au climat, les cryptomonnaies et les transactions associées, ainsi que les actifs incorporels ».</p>
<p>De même, l’édition 2023 de <a href="https://eaa-online.org/eaa-iasb-research-forum-2023-2/">l’IASB Research Forum</a>, qui a eu lieu à l’IÉSEG School of Management, les 2 et 3 novembre 2023, avait pour sujet les actifs immatériels, et en particulier la reconnaissance au bilan des immobilisations incorporelles développées en interne.</p>
<p>Le normalisateur français, l’autorité des normes comptables (ANC) avait déjà consacré son édition 2017 des <a href="https://www.anc.gouv.fr/sites/anc/accueil/recherche/etats-generaux-de-la-recherche-c/7emes-etats-generaux--2017.html">États généraux de la recherche comptable</a> au sujet de l’économie numérique. Dans ce cadre, nous avions publié un <a href="https://www.anc.gouv.fr/files/live/sites/anc/files/contributed/ANC/3_Recherche/D_%C3%89tats%20generaux/2017/Policy%20papers/Policy%20paper%20Anne%20Jeny%20VF.pdf">article</a> intitulé « Quel impact de l’économie numérique sur la comptabilité ? ». L’enjeu de la reconnaissance des actifs immatériels ». Un groupe de travail sur les problématiques de comptabilisation de ces transactions a en parallèle été lancé.</p>
<p>Le 18 décembre 2020, le Collège de l’ANC a rendu son <a href="https://www.anc.gouv.fr/files/live/sites/anc/files/contributed/ANC/2_Normes_internationales/NI%202020/ANC_Letter-CL-on-Goodwill-and-Impairment.pdf">commentaire</a> sur le document de réflexion DP/2020/1 de l’IASB relatif aux regroupements d’entreprises – notes annexes, goodwill et dépréciation (Business Combinations – Disclosures, Goodwill and Impairment). L’ANC y encourage la reconnaissance de plus d’actifs immatériels individuels au moment des regroupements d’entreprises, plutôt que leur reconnaissance dans le <em>goodwill</em>, c’est-à-dire l’écart entre le montant de l’achat et la valeur réelle de l’entreprise.</p>
<p>Autrement dit, la prise de conscience de l’importance de sujet s’étend, mais reste encore à savoir comment une meilleure comptabilité des actifs immatériels se traduira concrètement dans les faits.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/216934/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anne Jeny ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les règles comptables actuelles ne reconnaissent pas de nombreux actifs incorporels comme la R&D, les dépenses de publicité ou les brevets déposés.Anne Jeny, Professor, Accounting Department, IÉSEG School of ManagementLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2165522023-11-05T18:21:55Z2023-11-05T18:21:55ZLicornes européennes et Gafam : concurrents ou partenaires ?<p>Licornes, gazelles, <a href="https://theconversation.com/topics/start-up-23076">start-up</a> : voici comment sont parfois désignées les entreprises dont le taux de croissance est très rapide. Elles suscitent un intérêt certain des pouvoirs publics en raison de leur rôle dans la <a href="https://www.cairn.info/revue-de-l-entrepreneuriat-2019-2-page-7.htm">création d’emplois</a> et la souveraineté économique. En témoigne l’<a href="https://twitter.com/EmmanuelMacron/status/1482963796629012482">engouement du président de la République</a> à chaque « naissance ». Ces entreprises valorisées chacune à plus d’un milliard de dollars sans être cotées en Bourse s’appellent par exemple Blablacar, Deliveroo, Backmarket, Doctolib, Qonto ou Lydia. Ces dernières recherchent la croissance avant la rentabilité, à <a href="https://theconversation.com/les-25-licornes-de-macron-une-dangereuse-fascination-179071">leurs dépens parfois</a>.</p>
<p>Depuis de nombreuses années, les licornes européennes tentent de rattraper leur retard par rapport aux <a href="https://theconversation.com/topics/gafam-45037">Gafam</a>. Les américains Google (Alphabet), Apple, Facebook (Meta), Amazon et Microsoft dominent le secteur technologique européen. Le cumul de leurs valorisations boursières <a href="https://www.lafinancepourtous.com/decryptages/finance-et-societe/nouvelles-economies/gafa-gafam-ou-natu-les-nouveaux-maitres-du-monde/">dépasse le PIB du Japon, le troisième au monde en 2022</a>. Sans cesse ces cinq géants recherchent à étendre leurs services et à acquérir des start-up innovantes. Actuellement, sur la scène internationale, seule la Chine a véritablement réussi à développer des concurrents, que l’on regroupe sous l’étiquette BATX (Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi). Vouloir les concurrencer semble aujourd’hui particulièrement ambitieux pour les licornes européennes ; en revanche, la collaboration avec ces plates-formes reste incontournable.</p>
<p>Ce sont les liens entre ces deux entités qui ont fait l’objet de nos <a href="https://atlasafmi2023.sciencesconf.org/data/pages/Programme_Atlas_AFMI_Bordeaux_3_4_5_juillet_2023_Final_2.pdf">recherches</a> présentées lors de la 13<sup>e</sup> conférence annuelle d’ATLAS – AFMI, colloque international en stratégie. Concurrents ou partenaires ? La relation est parfois très paradoxale.</p>
<h2>Quatre stratégies pour les licornes</h2>
<p><a href="https://www.bfmtv.com/economie/entreprises/quelles-sont-les-prochaines-licornes-europeennes_AV-202206150305.html">125 nouvelles licornes européennes</a> ont émergé entre avril 2022 et fin mars 2022, contre 52 l’année précédente. Elles n’ont en revanche été que <a href="https://www.maddyness.com/2023/06/14/france-futures-licornes/">34 l’année suivante</a> portant le <a href="https://www.latribune.fr/technos-medias/innovation-et-start-up/la-france-a-le-plus-grand-reservoir-de-futures-licornes-europeennes-967101.html">total à 311</a>. Le <a href="https://hbr.org/2016/03/what-big-companies-can-learn-from-the-success-of-the-unicorns">succès des licornes</a> est lié à leur petite taille qui facilite les prises de décisions et leurs mises en œuvre rapides. En outre, leurs fondateurs et dirigeants sont généralement des entrepreneurs expérimentés. Elles proposent des plates-formes numériques bien diffusées par les réseaux sociaux qui permettent une communication bien plus rapide que pour les entreprises traditionnelles.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1507392867416772609"}"></div></p>
<p>De l’autre côté, les Gafam bénéficient de vastes effets de réseaux. Leurs dépenses en recherche et développement sont impressionnantes (près de <a href="https://fr.statista.com/infographie/16120/entreprises-qui-depensent-le-plus-en-r-d/">127 milliards de dollars en 2020</a>). Facebook et Google génèrent des revenus publicitaires à partir des données collectées par les cookies, même si ces entreprises sont régulièrement <a href="https://www.blogdumoderateur.com/google-facebook-lourdement-sanctionnes-cnil/">rappelées à l’ordre</a> sur le sujet. Leurs revenus proviennent aussi des start-up et concurrents qu’ils <a href="https://www.lesnumeriques.com/pro/microsoft-google-et-amazon-ont-realise-un-nombre-record-d-acquisitions-en-2021-n175483.html">acquièrent en grand nombre</a>. Rien qu’en 2021, Alphabet, la maison mère de Google, a acquis <a href="https://www.lefigaro.fr/secteur/high-tech/les-gafam-n-ont-jamais-fait-autant-d-acquisitions-qu-en-2021-20220125">120 sociétés</a>, rejoignant ainsi l’univers dans lequel gravitaient YouTube, HTC Pixel Phone ou les montres connectées Fossil. Par le passé, Facebook, devenu Meta, a mis la main sur WhatsApp et Instagram, Apple sur Intel ou Shazam. Microsoft a acquis Skype et LinkedIn ; enfin Amazon a racheté Whole Foods et la Métro-Goldwyn-Mayer.</p>
<p>Face aux titans du numérique, <a href="https://www.cairn.info/revue-gerer-et-comprendre-2019-3-page-16.htm?ora.z_ref=li-69858169-pub">quatre approches stratégiques</a> ont été adoptées par les licornes : l’affrontement, l’évitement, la négociation et la vassalisation. La société suédoise Spotify illustre parfaitement la première en se lançant en rivalité directe avec Apple Music grâce à son service de streaming musical. En ce qui concerne l’évitement, c’est le fait de proposer un service qui n’est pas encore inclus à l’univers des Gafam comme le fait Doctolib avec ses services de réservations médicales et paramédicales en ligne. La négociation se rapporte à tout accord de collaboration, <a href="https://www.lesnumeriques.com/telephone-portable/back-market-vend-iphone-reconditionnes-par-apple-n65053.html">Back Market</a>, par exemple, qui commence à vendre des smartphones reconditionnés par Apple en 2017. Devenir un vassal, enfin, équivaut à se laisser acquérir par l’un des géants.</p>
<h2>Des opportunités à saisir</h2>
<p>Les résultats de l’étude menée auprès des licornes européennes révèlent que leurs collaborateurs ne sont pas fatalistes : non, le marché numérique européen n’est pas l’exclusivité de Gafam. Un <em>business developper</em> parisien nous explique ainsi :</p>
<blockquote>
<p>« Sur le marché français par exemple, il y a des opportunités pour les licornes au point que les parts de marché d’Amazon diminuent au profit des entreprises de l’hexagone. »</p>
</blockquote>
<p>À son image, la majorité des intervenants sollicités considère qu’il est plus judicieux d’appréhender les Gafam comme des pourvoyeurs d’opportunités de développement plutôt que comme des menaces. Ce co-fondateur d’une licorne française adopte le point de vue suivant :</p>
<blockquote>
<p>« Je pense qu’ il est préférable de les voir comme des partenaires plutôt que comme des concurrents »</p>
</blockquote>
<p>Les Gafam, ce seraient ainsi des exemples à suivre, traçant une voie vers des secteurs intéressants où il faut s’installer. Un autre <em>business developper</em>, localisé, lui, à Roubaix, nous confie :</p>
<blockquote>
<p>« Leur succès nous stimule et nous fait découvrir des opportunités et où il faut s’installer. Cela nous pousse à nous dépasser pour devenir une grande entreprise numérique européenne. »</p>
</blockquote>
<p>Enfin, le fait d’être acquis par une Gafam est parfois perçu comme un tremplin pour l’entreprise acquise, puisqu’elle va pouvoir jouir de financement et de la mise à disposition de moyens technologiques bien plus importants :</p>
<blockquote>
<p>« Pour moi c’est un accélérateur d’innovation »</p>
</blockquote>
<h2>Des menaces à éviter</h2>
<p>Tous les discours ne s’avèrent pas aussi positifs. Beaucoup, à l’instar de ce vice-président d’une licorne parisienne, redoutent une dépendance relative aux bases de données et aux technologies qu’elles développent :</p>
<blockquote>
<p>« Il est, pour cela, très compliqué de faire émerger une souveraineté européenne car toutes les bases des données et technologies leur appartiennent »</p>
</blockquote>
<p>Un responsable marketing ajoute :</p>
<blockquote>
<p>« Les Gafam neutralisent la concurrence car leur offre est déjà super complète et très qualitative. »</p>
</blockquote>
<p>Un business developper considère lui aussi les cinq géantes comme des tueurs de concurrence :</p>
<blockquote>
<p>« Elles sont devenues tellement grandes et puissantes qu’il est désormais très difficile de les concurrencer. Facebook, par exemple, a su forcer WhatsApp et Instagram à vendre par peur. »</p>
</blockquote>
<p>Les GAFAM sont ainsi perçues de manière ambivalente par les collaborateurs des licornes européennes. Beaucoup attendent de l’Europe qu’elle intervienne afin de mieux cadrer cette relation.</p>
<hr>
<p><em>Marine Sabathe a également contribué à la collecte des données d’entretiens.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/216552/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Pour les salariés des licornes européennes, les Gafam semblent autant des prédateurs dont il faut se méfier que des alliés pouvant les propulser vers le haut.Kaouther Ben Jemaa Boubaya, Enseignant Chercheur en stratégie, EDC Paris Business SchoolRhita Sabri, Enseignante chercheuse à l'ENCG - Kénitra , Université Ibn Tofail.Vesselina Tossan, maître de conférences HDR en sciences de gestion , Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2118602023-08-22T16:41:37Z2023-08-22T16:41:37ZBlocage des nouvelles par Meta : un enjeu de sécurité publique… ou financier ?<p>Ottawa a adopté le 22 juin la <a href="https://www.parl.ca/DocumentViewer/fr/44-1/projet-loi/C-18/sanction-royal">Loi sur les nouvelles en ligne</a> (C-18), qui vise à établir un partage des revenus entre les géants du web et les médias. </p>
<p>Elle oblige les entreprises comme Google et Meta à indemniser les médias canadiens pour l’utilisation de leurs contenus sur leurs plates-formes. En réponse, depuis le 1<sup>er</sup> août, Meta empêche le partage de liens vers du contenu médiatique sur ses plates-formes.</p>
<p>Les conséquences du blocage des nouvelles par Meta sont significatives. Les médias ne peuvent plus diffuser leurs nouvelles sur ses plates-formes, dont Facebook et Instagram, ce qui réduit le trafic vers leurs propres sites web et aggrave leur situation financière déjà fragile. Les citoyens, qui n’ont pas quitté les réseaux sociaux pour autant, sont exposés à moins de contenu médiatique.</p>
<p>Les médias ont fait le pari difficile que les citoyens opteraient pour consulter directement leurs sites pour être au fait de l’actualité au lieu de passer par les réseaux sociaux. Mais nous savons qu’il est <a href="https://theconversation.com/heres-what-happens-in-your-brain-when-youre-trying-to-make-or-break-a-habit-201189">difficile de changer ses habitudes</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/google-et-facebook-seuls-ne-sauveront-pas-les-medias-de-leur-marasme-financier-149054">Google et Facebook seuls ne sauveront pas les médias de leur marasme financier</a>
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<p>Le projet de loi, ainsi que le blocage des nouvelles par Meta qui a suivi, ont fait l’objet d’une couverture médiatique importante, sous différents angles. Après les dénonciations d’atteinte à la vie démocratique, un nouvel argument consiste à dire que ce blocage met en danger la sécurité de citoyens au pays, notamment en contexte d’incendies de forêt. Dernier en date, le <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2004937/justin-trudeau-facebook-feux-blocage">premier ministre Justin Trudeau a accusé Meta</a>, lundi, de prioriser ses profits plutôt que la sécurité des Canadiens en bloquant les nouvelles locales. « Je veux souligner à quel point c’est une frustration pour moi, que Facebook continue de bloquer l’accès aux nouvelles locales sur les feux de forêt pour les Canadiens qui en ont de besoin », a-t-il déclaré.</p>
<p>Mais qu’en est-il vraiment ?</p>
<p>Doctorante et chargée de cours en communication sociale et publique à l’Université du Québec à Montréal, l’auteure étudie les controverses publiques, le lobbyisme et la communication politique.</p>
<h2>Un enjeu de sécurité publique ?</h2>
<p>Depuis peu, les médias ont ainsi adopté une rhétorique de la <a href="https://www.persee.fr/doc/polix_0295-2319_1999_num_12_46_1057">« montée en généralité »</a> pour traiter du bras de fer entre le gouvernement et les géants de la technologie. </p>
<p>Ce procédé rhétorique consiste à insérer un intérêt particulier dans un intérêt plus grand. Ainsi, les médias ne semblent pas seulement défendre leurs propres intérêts (qui sont ici financiers), mais le bien-être d’une grande partie de la population. </p>
<p>Par exemple, des reportages sur les <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2004095/feu-foret-tno-yellowknife-blocage-nouvelles-meta-facebook">feux de forêt à Yellowknife</a> mettent l’accent sur l’accès aux contenus médiatiques. D’autres sur les <a href="https://www.journaldequebec.com/2023/08/13/je-trouve-ca-preoccupant-un-ex-enqueteur-du-spvm-met-en-garde-contre-les-dangers-du-blocage-de-nouvelles">services de police</a> démontrent que la portée des informations qu’ils partagent, notamment lors d’enlèvements ou de disparitions, est grandement réduite en raison des mesures imposées par Meta. Les médias soutiennent ainsi que le blocage de nouvelles compromet non seulement leur stabilité financière, mais aussi la sécurité publique, s’inscrivant ainsi dans l’intérêt général.</p>
<p>Les géants de la technologie sont à la fois dépeints comme des entités monstres qui accaparent les revenus publicitaires, tout en étant des acteurs essentiels pour le maintien de la sécurité publique. En adoptant cette rhétorique, les médias reconnaissent bien malgré eux leur relation de dépendance, certes inéquitable, avec les plates-formes. Effectivement, les médias <a href="https://about.fb.com/news/2022/10/metas-concerns-with-canadas-online-news-act/">tiraient des bénéfices de l’utilisation de ces plates-formes</a> pour augmenter leur trafic et leurs revenus.</p>
<p>Cela dit, pour comprendre les solutions possibles et dépasser cette situation, prenons du recul pour comprendre la Loi sur les nouvelles en lignes (C-18).</p>
<h2>Des géants aux modèles d’affaires différents</h2>
<p>La Loi sur les nouvelles en lignes (C-18) vise à établir les bases d’un partage de revenus entre les géants du web et les médias. Autrement dit, les GAFAM devront débourser (selon des modalités à établir) un certain montant pour chaque lien d’actualités ou contenu relayé sur leurs plates-formes. </p>
<p>Certains géants, tels que Google (<a href="https://news.google.com/">Google News</a>) et Microsoft (<a href="https://www.msn.com/fr-car-ca">MSN News</a>), raclent le contenu des organismes de presse vers leurs propres sites d’actualités. Ainsi, grâce à cette nouvelle loi, ils devront les dédommager et payer un montant pour le contenu partagé sur leurs plates-formes. </p>
<p>Cependant, le modèle d’affaires de Meta est différent. Ce sont ses utilisateurs qui partagent les liens d’actualité, et non l’entreprise elle-même. Meta a ainsi peu de contrôle sur ce qui est partagé sur sa plate-forme (à l’exception de la <a href="https://about.meta.com/actions/promoting-safety-and-expression/">possible suppression de contenus violents ou de désinformation</a>). Inclure dans une même catégorie tous les géants du web, qui ont des modèles d’affaires différents, a été une erreur de la part du gouvernement. </p>
<p>Imaginons que vous deviez payer 1 $ pour chaque personne entrant dans votre maison. Que feriez-vous ? Vous barreriez la porte. C’est un peu ce que fait Meta en bloquant les nouvelles. C’est une <a href="https://about.fb.com/news/2023/06/changes-to-news-availability-on-our-platforms-in-canada/#translation">décision d’affaires</a>, basée sur leur absence de contrôle quant aux liens partagés sur leurs plates-formes. Ils ne contreviennent pas à la loi, mais s’y soumettent. Un peu au même titre qu’un individu ne paiera pas de taxe sur l’essence s’il n’en consomme pas. </p>
<h2>L’Australie est passée par là</h2>
<p>Dans cette guerre, les yeux du monde sont rivés vers le Canada. Si Meta accepte de payer les organismes de presse canadiens, cela créerait un précédent pour d’autres législations qui pourraient être tentées d’adopter des lois semblables. </p>
<p>La <a href="https://leginfo.legislature.ca.gov/faces/billTextClient.xhtml?bill_id=202320240AB886">Californie</a>, l’<a href="https://www.reuters.com/technology/indonesia-mulls-media-bill-seeking-fairer-share-big-tech-2021-11-23/">Indonésie</a>, l’<a href="https://www.compcom.co.za/wp-content/uploads/2023/03/Media-Statement-Terms-of-Reference-to-establish-a-Media-and-Digital-Platforms-Market-Inquiry-17-March-2023.pdf">Afrique du Sud</a> ont présenté récemment des pièces législatives allant en ce sens, tandis que le <a href="https://www.cjr.org/business_of_news/australia-pressured-google-and-facebook-to-pay-for-journalism-is-america-next.php">Royaume-Uni, les États-Unis</a> la <a href="https://www.beehive.govt.nz/release/big-online-platforms-pay-fair-price-local-news-content">Nouvelle-Zélande</a> et l’<a href="https://www.politico.eu/article/eu-strikes-deal-on-law-to-fight-illegal-content-online-digital-services-act/">Union européenne</a> ont fait part de leur intention de faire de même.</p>
<p>L’Australie est aussi allée de l’avant. En février 2021, Meta avait bloqué le contenu d’actualité de ses plates-formes. Or, à la différence du Canada, le blocage a eu lieu avant que la loi ne soit officiellement adoptée. Ce faisant, le gouvernement australien a modifié son projet de loi pour qu’il ne s’applique pas à Meta, à condition que ce dernier conclût suffisamment d’accords avec les médias pour les rémunérer pour leur contenu. Depuis, Meta et Google ont conclu des ententes avec les médias s’élevant à environ 175 millions de dollars canadiens. Les bénéfices de cette loi <a href="https://www.cjr.org/business_of_news/australia-pressured-google-and-facebook-to-pay-for-journalism-is-america-next.php">ont été nombreux pour les organismes de presse</a>. </p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/facebook-sort-larme-nucleaire-contre-les-medias-australiens-le-canada-pourrait-etre-sa-prochaine-cible-155604">Facebook sort l’arme nucléaire contre les médias australiens. Le Canada pourrait être sa prochaine cible</a>
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<h2>Retourner à la table à dessin</h2>
<p>Quelle que soit notre opinion sur la justification de Meta, les conséquences de ce blocage sont néfastes pour tous. De plus, il apparaît évident qu’une solution individuelle ne résoudra pas ce problème structurel. Ainsi, demander aux citoyens de cesser de consulter les réseaux sociaux pour se rendre directement sur les sites de nouvelles ou leur demander de <a href="https://www.lapresse.ca/debats/courrier-des-lecteurs/2023-08-18/place-aux-lecteurs/pour-la-creation-d-un-reseau-social-public.php">rejoindre de nouvelles plates-formes dites publiques</a> n’est pas une réponse suffisante.</p>
<p>À l’instar de ce qui a été fait en Australie, la solution devra refléter la complexité du problème. Une solution unique ne peut rendre compte de la diversité du paysage médiatique canadien, ainsi que celle des géants du web. Le gouvernement devrait plutôt contraindre les plates-formes à négocier avec chaque organisme de presse pour des solutions adaptées : soutien financier direct aux médias, ajustement des algorithmes, formations, transparence, etc. Les options sont nombreuses. La Loi sur les nouvelles en ligne répond à un réel problème, mais offre une solution imparfaite. Et pour l’instant, tout le monde est perdant.</p>
<p>En adoptant ce projet de loi, Ottawa était bien au fait que Meta allait bloquer les liens d’actualité : non seulement l’expérience australienne a prouvé que le géant ne bluffait pas, mais Meta <a href="https://about.fb.com/news/2022/10/metas-concerns-with-canadas-online-news-act/">a fait part de ses intentions</a> au tout début du processus. Le gouvernement aurait du être moins téméraire, prendre exemple de l’expérience australienne, retourner à la table à dessin et négocier des solutions réalistes avec les géants de la techno et ce, pour le bien du journalisme canadien.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/211860/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Justine Lalande a reçu un financement des Fonds de recherche du Québec, Société et culture (FRQSC).</span></em></p>Les médias disent que le blocage de nouvelles de Meta met en danger la sécurité de citoyens. En adoptant cette rhétorique, ils reconnaissent leur relation de dépendance vis-à-vis de ses plates-formes.Justine Lalande, Doctorante, Département de communication sociale et publique, Université du Québec à Montréal (UQAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2068962023-06-27T18:25:04Z2023-06-27T18:25:04Z« Forçats du numérique » : Comment une décision de justice au Kenya fragilise la sous-traitance des multinationales du web<p>L’histoire commence en mai 2022 au Kenya : Daniel Motaung, un ancien modérateur de contenu de la société locale Samasource Ltd dépose alors une <a href="https://videos-cloudfront.jwpsrv.com/647897f3_5bec6dcbb2468547552b60296026dacc2f4e5165/content/conversions/eLnWahTz/videos/YkrYeJro-33331102.mp4">plainte</a> (<em>petition</em> en anglais) contre ses dirigeants, ainsi que leurs donneurs d’ordre, de nombreux géants du web, dont Meta (la société mère de Facebook).</p>
<p>Dans cette plainte, Daniel Motaung accuse Sama et Meta de traite d’êtres humains, de démantèlement de syndicats et de ne pas fournir un soutien adéquat en matière de santé mentale.</p>
<p>Sama – leader dans le domaine de l’annotation – emploie des <a href="https://cset.georgetown.edu/wp-content/uploads/Key-Concepts-in-AI-Safety-Specification-in-Machine-Learning.pdf">« étiqueteurs »</a>, qui ont pour mission de visionner et de taguer des contenus très éclectiques, souvent consternants, parfois extrêmement violents, provenant de divers réseaux sociaux et d’internet. L’objectif : modérer les contenus sur les réseaux sociaux et fournir des bases de données équilibrées pour l’apprentissage des intelligences artificielles.</p>
<p>Neuf mois, plus tard, le 6 février 2023, une première décision historique a été rendue par le juge <a href="http://kenyalaw.org/caselaw/cases/view/250879/">kényan Jakob Gakeri</a> : ce dernier a statué sur le fait que les cours kényanes étaient compétentes pour juger des sociétés étrangères dont des filiales se trouvent au Kenya, ainsi que la responsabilité des donneurs d’ordre. La procédure est en cours pour de nouvelles audiences.</p>
<p>C’est la première fois qu’une telle affaire est jugée dans les pays où vivent ces « forçats du numérique », et que le jugement se fait selon les termes de la plainte déposée. Une façon d’exposer à la planète entière les coûts humains du numérique.</p>
<h2>Les termes de la plainte</h2>
<p>Sama fait ainsi travailler des milliers d’opérateurs venant de toute l’Afrique subsaharienne pour modérer et étiqueter des contenus des géants du web comme Meta, Microsoft et OpenAI (la société à l’origine de ChatGPT) dans le cadre de « partenariats d’externalisation ». Cette dernière a d’ailleurs <a href="https://time.com/6247678/openai-chatgpt-kenya-workers/">confirmé</a> que les employés de Sama l’avaient aidé à filtrer certains contenus toxiques.</p>
<p>Le juge a entériné les termes de la pétition sur la violation des droits constitutionnels de ces opérateurs, et dénonce ainsi les conditions matérielles et psychologiques déplorables dans lesquelles ils travaillent.</p>
<p>Avec cette décision, le juge a aussi retenu le bien-fondé des termes de la demande qui, élaborant sur les salaires insuffisants pour vivre décemment à Nairobi, sur la détresse psychologique des salariés (le demandeur souffrant de troubles du stress post-traumatique – selon ses conseils) et sur la définition du <a href="https://www.unodc.org/documents/e4j/tip-som/Module_6_-_E4J_TiP-_final_FR_final.pdf">Haut-Commissariat des Nations unies aux Droits de l’Homme</a> (HCDH), soutenait que la situation vécue par les étiqueteurs pouvait être qualifiée d’exploitation en vue d’un gain économique, en d’autres termes, de « traite d’êtres humains »… d’autant plus que les soutiens psychologiques contractuellement annoncés n’auraient jamais été mis en œuvre (à nouveau, selon les attendus de la pétition et les termes des conseils du demandeur).</p>
<p>Meta a tenté de faire appel de cette décision du juge Gakeri afin d’éviter le procès, sans succès. De plus, suite à cette décision du juge Gakeri, le contrat de Sama avec Meta a été annulé, et le repreneur, Majorel, aurait essayé de blacklister les étiqueteurs de Sama. Deux cent d’entre eux ont porté plainte contre Meta et Sama pour licenciement abusif, dans une autre procédure.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/enquete-derriere-lia-les-travailleurs-precaires-des-pays-du-sud-201503">Enquête : derrière l’IA, les travailleurs précaires des pays du Sud</a>
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<h2>L’étiquetage des données permet les services de modération du web et l’apprentissage des systèmes d’IA</h2>
<p>Cette décision du juge Gakeri – et les suivantes – pourrait avoir un impact majeur sur les services de modération portés par les grandes plates-formes Internet, en particulier celles qui utilisent l’intelligence artificielle.</p>
<p>En effet, l’<a href="https://ieeexplore.ieee.org/abstract/document/6685834">étiquetage précis des données est essentiel pour que les algorithmes d’intelligence artificielle puissent apprendre et arbitrer correctement leurs résultats</a> : par exemple, si une image est étiquetée « route » alors qu’il s’agit d’un mur, l’IA équipant une voiture autonome pourrait se tromper et provoquer un accident.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-fonctionne-chatgpt-decrypter-son-nom-pour-comprendre-les-modeles-de-langage-206788">Comment fonctionne ChatGPT ? Décrypter son nom pour comprendre les modèles de langage</a>
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<p>L’étiquetage des données consiste à fournir des informations pour aider les machines à apprendre à partir de données brutes comme des images, des fichiers texte et des vidéos. Cependant, <a href="https://theconversation.com/intelligence-artificielle-les-defis-de-lapprentissage-profond-111522">différents types d’apprentissages</a> existent (supervisé, semi-supervisé, par renforcement…) et on a besoin de plus ou moins de données en fonction de l’expérience utilisateur escomptée.</p>
<h2>L’étiquetage des données est source de valeur pour les acteurs du numérique</h2>
<p>Ces informations viennent des bases de données constituées par les géants du net lors d’opérations d’étiquetage et de <a href="https://link.springer.com/chapter/10.1007/978-3-319-67256-4_32">modération des contenus</a>. Celles-ci sont censées prévenir et protéger tous les individus d’un accès non désiré à certaines données – comme une vidéo de décapitation par exemple – en créant et complétant les <a href="https://citeseerx.ist.psu.edu/document?repid=rep1&type=pdf&doi=3363e2b897cdfe9f8dcb546ac420d28584867a27">métadonnées</a>, des données qui informent sur le contenu du fichier associé. Cette méthodologie a permis la création d’immenses bases de métadonnées, informées – et informant – en temps réel de la nature des contenus transitant par les réseaux.</p>
<p>Les métadonnées font le lien entre contenu et information, ce qui a permis de rénover le modèle économique des acteurs du web et des <a href="https://theconversation.com/la-moderation-des-contenus-est-elle-compatible-avec-lactivite-commerciale-des-reseaux-sociaux-199573">réseaux</a>, qui ont réalisé la <a href="https://www.inderscienceonline.com/doi/abs/10.1504/IJMSO.2007.019442">valeur de ces métadonnées</a>. En effet, celles-ci peuvent servir à entraîner certains algorithmes d’intelligence artificielle : ce n’est pas un hasard si Facebook a changé son nom pour Meta. Les coûts de la modération sont colossaux, car pour que les algorithmes de modération soient précis et efficaces, les données doivent être soigneusement contrôlées et décrites – une tâche qui nécessite une analyse de haute qualité et donc <a href="https://heinonline.org/HOL/LandingPage?handle=hein.journals/hjl58&div=7&id=&page=">onéreuse</a> – et ce d’autant plus qu’elle doit faire l’objet de validations multiples afin d’éviter les <a href="https://doi.org/10.1016/j.bpg.2020.101712">biais des étiqueteurs</a>.</p>
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<p>Sous réserve de maintenir la qualité, ces coûts se sont donc transformés en valeur pour les géants du net. En effet, un algorithme mal entraîné peut rapidement devenir <a href="https://arxiv.org/abs/2303.01325">toxique</a>, <a href="https://theconversation.com/ia-et-moderation-des-reseaux-sociaux-un-cas-decole-de-discrimination-algorithmique-166614">biaisé</a> ou même produire des <a href="https://ccforum.biomedcentral.com/articles/10.1186/s13054-023-04473-y">hallucinations</a> (c’est-à-dire créant des résultats qui ne correspondent à aucune donnée sur laquelle l’algorithme a été entraîné, ou qui ne suivent aucun autre modèle discernable). Ceci détériore la confiance dans les contenus, ce qui affecte l’audience et donc l’intérêt des annonceurs.</p>
<p>Du côté des algorithmes d’apprentissage des systèmes d’IA, comme leur <a href="https://scholar.google.com/scholar_url?url=https://dl.acm.org/doi/abs/10.1145/3544548.3580805&hl=fr&sa=T&oi=gsb&ct=res&cd=1&d=3898150833569525423&ei=kKZ1ZKfsIu3AsQKExJC4Cg&scisig=AGlGAw9vGHbPuCjU2ICSUe-bVyzP">crédibilité est avant tout fondée sur la capacité à fournir des réponses plausibles et précises</a>, une <a href="https://arxiv.org/abs/2301.09902">tâche impossible</a> sans données bien étiquetées.</p>
<p>Pour ces différentes raisons, une bonne qualité d’étiquetage nécessite un grand nombre d’étiqueteurs. En d’autres termes, cette <a href="https://www.imf.org/en/Publications/fandd/issues/2020/12/rethinking-the-world-of-work-dewan">industrie est à forte intensité de main-d’œuvre</a>… d’autant qu’au moins <a href="https://www.internetlivestats.com/google-search-statistics/">10 % à 15 % des données crées chaque jour sont nouvelles et uniques</a>.</p>
<h2>Quel modèle économique pour l’étiquetage ?</h2>
<p>Les industriels cherchent à trouver un équilibre entre la nécessité d’innover et le coût de cette innovation. Par exemple, le <a href="https://www.govtech.com/question-of-the-day/how-much-does-it-cost-to-run-chatgpt-per-day">fonctionnement de ChatGPT coûte 700 000 dollars par jour sans amélioration des modèles</a>, alors que pour encourager <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/1461444816629474">l’adoption</a> d’un outil numérique, on considère généralement que le prix doit être modéré pour l’utilisateur (environ 20 euros par mois pour ChatGPT+ par exemple).</p>
<p>Les coûts de main-d’œuvre (d’étiquetage) représentent une <a href="https://www.jstor.org/stable/j.ctv1ghv45t">grande partie des dépenses dans ce secteur</a>. Dans une approche un <a href="https://link.springer.com/content/pdf/10.1007/978-3-030-58675-1_2-1.pdf">peu obsolète de la division du travail</a> et de réduction des coûts, l’étiquetage a donc été sous-traité à des acteurs spécialistes comme Sama aux États-Unis ou Majorel au Luxembourg, qui disposent de filiales au Kenya.</p>
<p>Ce travail implique une exposition continue à des images, des sons, des contenus parfois insoutenables. Dans le cas Sama, il a été rémunéré à hauteur de 1,5 euro de l’heure après impôts – soit moins de la moitié du salaire moyen dans le secteur informatique kenyan qui est à <a href="https://kenya.paylab.com/salaryinfo/information-technology">4,3 euros de l’heure</a>.</p>
<p>Ce sont les conditions de cette sous-traitance qui sont à l’origine de la décision du Juge Gakeri.</p>
<h2>Les impacts des décisions des juges</h2>
<p>L’originalité de cette lecture juridique tient au fait qu’elle bat en brèche la stratégie usuelle des entreprises du secteur des technologies de l’information, qui sont de fait des entreprises de main-d’œuvre, mais qui refusent d’être qualifiées comme telles et dissimulent leurs importants besoins humains derrière une chaîne de sous-traitants – bien loin des <a href="https://cup.columbia.edu/book/in-the-name-of-humanity/9780231110204">productions sans humains fantasmées à la fin du XXᵉ siècle</a>.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/532160/original/file-20230615-23-cdzd6y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="maison de poupée représentant un sweat shop, atelier de couture" src="https://images.theconversation.com/files/532160/original/file-20230615-23-cdzd6y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/532160/original/file-20230615-23-cdzd6y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=480&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/532160/original/file-20230615-23-cdzd6y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=480&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/532160/original/file-20230615-23-cdzd6y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=480&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/532160/original/file-20230615-23-cdzd6y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=603&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/532160/original/file-20230615-23-cdzd6y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=603&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/532160/original/file-20230615-23-cdzd6y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=603&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Les filiales de sous-traitance pour l’étiquetage des données du web sont-elles les nouveaux sweat shops ? Ici une maison de poupées présentée au Great American Dollhouse Museum.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Dollhouse-sweatshop.jpg">Photomatters/Wikipedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Cette pratique constitue un <a href="https://link.springer.com/chapter/10.1007/978-3-319-58643-4_3">non-sens économique</a>, puisque c’est la connaissance, la maîtrise sur toutes leurs phases des processus productifs et leur optimisation qui permettent la consolidation des marges et la pérennisation des modèles concernés.</p>
<p>Peut-être que la position du juge Gakeri apportera aux multinationales du web une aide précieuse en matière d’amélioration de leur rentabilité et de leur modèle économique. Toujours est-il que désormais, le donneur d’ordre sera autant responsable et justiciable que son prestataire en matière de conditions de travail, voire davantage.</p>
<p>On scrute aujourd’hui l’impact environnemental d’une structure dans toutes ses ramifications planétaires. Évaluera-t-on demain la responsabilité sociale des entreprises de la même manière, en considérant le processus de production des technologies de l’information comme un tout mondialisé ?</p>
<h2>Au-delà de l’éthique des usages de l’IA, faut-il inventer une éthique des processus de sa fabrication ?</h2>
<p>L’usage des technologies d’intelligence artificielle soulève déjà des questions éthiques, par exemple celle d’<a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/0960085X.2021.1960905">utiliser ou non la décision algorithmique pour établir des demandes de remboursement de prestations sociales</a>.</p>
<p>On voit désormais émerger le besoin impérieux d’une <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s43681-021-00084-x">éthique de la <strong>production</strong> des systèmes d’intelligence artificielle</a>, car ici l’absence d’éthique sanctionne en temps réel la qualité et la confiance que l’on peut avoir dans les algorithmes produits. Si un <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s10677-016-9745-2">algorithme mal entraîné</a> peut demain faire dérailler un train ou une chaîne de production, la qualité de l’annotation devient non négociable – et cette activité demande mieux et plus que les conditions constatées au Kenya.</p>
<p>Le procès en cours depuis mars (puisque le juge a validé la compétence des cours kényanes dans ce domaine) changera peut-être la donne. D’autres secteurs confrontés à ces problématiques, la mode par exemple, ont <a href="https://www.emerald.com/insight/content/doi/10.1108/JFMM-05-2015-0040/full/html?fullSc=1">amélioré leurs pratiques, la transparence de leurs fournisseurs et de leurs méthodologies de productions</a>, notamment du fait d’opérations massives de « Name and shame » par la société civile, qui ont amené progressivement des utilisateurs finaux à se détourner des marques non vertueuses (sans pour autant que ces dernières ne le deviennent toutes).</p>
<p>Il n’est pas certain que, dans le domaine des technologies de l’information et d’intelligence artificielle, l’utilisateur final puisse effectuer ce type d’arbitrage, car ceux-ci deviennent de plus en plus partie intégrante des outils de productivité informatique utilisés quotidiennement par tous. En outre, les critères constituant les processus de production éthiques de l’IA demeurent à inventer. L’affaire en cours pourrait-elle constituer une bonne motivation pour penser à ces derniers ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/206896/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Caroline Gans Combe a reçu des financements de l'Union Européenne dans le cadre de ses recherches, notamment sur les questions relatives à l'éthique de l'intelligence artificielle et des algorithmes. </span></em></p>Des plaintes récentes au Kenya exposent les coûts humains de l’IA et de la modération du web, dissimulés dans des chaines de sous-traitance.Caroline Gans Combe, Associate professor Data, econometrics, ethics, OMNES EducationLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2074382023-06-21T18:39:40Z2023-06-21T18:39:40ZComment nous sommes contributeurs des modèles d’IA à notre insu<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/533157/original/file-20230621-21-wzm6b4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">shutterstock</span> </figcaption></figure><p>Vous êtes-vous déjà demandé à quoi servaient les systèmes de détection de « robots » sur les sites web, où l’on vous demande d’identifier sur une image un passage piéton, un feu de circulation ou un animal particulier ? D’ailleurs comment le système vérifie-t-il les réponses données ? Et surtout comment ces données sont-elles utilisées ?</p>
<p><a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2016/02/10/petite-histoire-des-captchas-ces-tests-d-identification-en-pleine-mutation_4862727_4408996.html">Cette technique</a> a été créée dès le milieu des années 1990, le système est concrétisé et le terme inventé et déposé par des chercheurs de l’université de Canegie-Mellon aux États-Unis en 2000 dans une toute première version, avec pour objectif d’identifier des utilisateurs humains.</p>
<p>Puis les systèmes du type CAPTCHA (<em>Completely Automated Public Turing test to tell Computers and Humans Apart</em>/Test public de Turing entièrement automatisé pour distinguer les ordinateurs des humains) ont été démocratisés par Google en 2009. Le dispositif CAPTCHA ou reCAPTCHA (le nom du système CAPTCHA de Google) fait partie de la famille des tests de Turing. Il est une mesure de sécurité par détection d’utilisateur humain. L’objectif principal est de limiter l’accès et l’interaction de « robots » numériques, des programmes informatiques automatisés (aussi appelés « bots »), avec tout formulaire en ligne. La mesure de sécurité empêche, par exemple, les tentatives répétées de connexion à une page web, le décryptage de votre mot de passe lorsque que vous vous authentifiez en ligne, le remplissage automatisé d’un formulaire, etc.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Exemples de reCAPTCHA" src="https://images.theconversation.com/files/533162/original/file-20230621-20-hw1fuf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/533162/original/file-20230621-20-hw1fuf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=296&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/533162/original/file-20230621-20-hw1fuf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=296&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/533162/original/file-20230621-20-hw1fuf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=296&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/533162/original/file-20230621-20-hw1fuf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=372&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/533162/original/file-20230621-20-hw1fuf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=372&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/533162/original/file-20230621-20-hw1fuf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=372&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Exemples de reCAPTCHA.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Google</span></span>
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</figure>
<p>Tout d’abord sous la forme d’un texte manuscrit à retranscrire, ou encore un numéro de rue à identifier depuis une photo, les systèmes d’aujourd’hui utilisent davantage la reconnaissance visuelle d’un objet parmi un ensemble d’images ou dans une même image. Le système reCAPTCHA est proposé par Google à titre gratuit pour les gestionnaires de site web, ainsi que leurs utilisateurs.</p>
<h2>Un intérêt pour Google</h2>
<p>Son caractère gratuit est utile, certes. Néanmoins il sert également aux intérêts de Google. Bien que son usage <a href="https://web.stanford.edu/%7Ejurafsky/burszstein_2010_captcha.pdf">comme mesure de sécurité</a> soit indéniable, son utilisation répandue permet également de contribuer à la reconnaissance de contenus. C’est ce que l’on désigne comme l’étape de labellisation, indispensable pour alimenter des modèles d’apprentissage en IA, et notamment le Machine Learning.</p>
<p>Pour exemple, le système reCAPTCHA a permis dès 2011 de digitaliser l’ensemble des archives de Google Books, ainsi que 13 millions d’articles issus du catalogue du New York Times remontant à 1851. Mais dès 2017, les modèles d’apprentissage se sont montrés capables de <a href="https://www.science.org/doi/10.1126/science.aag2612">résoudre les tests CAPTCHA initiaux basés sur des images de texte</a>. La seconde version s’est davantage orientée vers l’utilisation d’images ou de morceaux d’images, comme l’illustre la seconde image dans cet article.</p>
<h2>Qu’est-ce que le Machine Learning et comment cela fonctionne-t-il ?</h2>
<p>Les modèles de Machine Learning constituent une des briques les plus utilisées aujourd’hui en intelligence artificielle. Également communément appelé apprentissage machine, cette approche permet d’entraîner un modèle, dans notre cas de reconnaissance d’image ou de texte à partir d’un jeu de données initial alimentant le modèle. À partir de ces données d’entrée, le modèle définit ainsi mathématiquement un ensemble de critères pour permettre d’estimer une probabilité de similarité. Plus le modèle dispose d’un grand volume et d’une grande variété de données en entrée, plus le modèle enrichira la définition de ces critères d’évaluation. Mais un modèle de ce type est entraîné pour reconnaître un élément spécifique (un objet, un visage, un comportement, un mouvement de fonds financier, etc.) qui est défini dès sa conception.</p>
<p>En apprentissage supervisé, c’est le concepteur du modèle qui définit les critères à évaluer en fournissant un ensemble de données d’entraînement préidentifiées. Cette identification préalable correspond à la labellisation des données d’entrée. Lors de son entraînement, le modèle associera ainsi les données fournies à leur labellisation spécifique pour construire une matrice de critères.</p>
<p>La labellisation des données d’entrée constitue donc un élément essentiel pour d’entraînement, notamment des modèles de reconnaissance visuelle.</p>
<h2>Un enjeu de taille pour l’entraînement des modèles d’IA</h2>
<p>Le volume et la variété des données collectées aujourd’hui sont plus que gigantesques, et cette labellisation ne peut se faire exclusivement de manière automatisée par une machine. Ainsi l’intervention d’un acteur humain est nécessaire pour traiter et labelliser l’ensemble de ces données.</p>
<p>C’est ce qu’il se passe lorsque vous utilisez un système du type reCAPTCHA. Celui-ci collecte ainsi les contributions de chacun pour labelliser et classifier les images proposées. La machine aura effectué un prétraitement, mais l’intervention humaine permet de confirmer cette classification initiale. Démultipliez cela par le nombre d’utilisateurs en variant les propositions d’images, et vous obtenez ainsi un système de confirmation optimisé à moindre coût. La démultiplication est nécessaire afin de garantir au maximum la véracité des données collectées. En effet, la qualité des données d’entrée pour ces modèles est essentielle, et est l’un des principaux enjeux aujourd’hui de la conception et de l’utilisation pertinente des modèles d’intelligence artificielle.</p>
<p>Ces labellisations contribuent ainsi l’amélioration des données d’entraînement destinées à Google Maps, au moteur de recherche d’images de Google ou encore aux modèles qui seront peut-être à terme utilisés par les véhicules autonomes (et notamment le projet <a href="https://waymo.com/">Waymo</a> de Google).</p>
<h2>Les travailleurs du clic</h2>
<p>Une partie de ces tâches est réalisée par les utilisateurs du web au quotidien, sans même le savoir comme nous l’avons vu précédemment. Néanmoins certaines actions sont réalisées à la chaîne par des personnes très faiblement rémunérées et à la tâche pour le faire, comme l’a révélé récemment une <a href="https://time.com/6247678/openai-chatgpt-kenya-workers/">enquête publiée</a> par Time Magazine sur les travailleurs nigérians, contributeurs de ChatGPT.</p>
<p>Ces travailleurs du clic font partie intégrante du bon fonctionnement de ces modèles d’IA. Antonio Casilli, chercheur et professeur de sociologie à Telecom Paris, a depuis longtemps travaillé sur le sujet, mettant en avant notamment cette approche et les <a href="http://www.casilli.fr/2014/12/05/no-captcha-is-google-jargon-for-mechanical-turk-for-free/">pratiques des plates-formes numériques</a> comme Google (Alphabet), Facebook (Meta), ou encore Amazon.</p>
<p>Difficile cependant de définir la part de l’un et de l’autre sur l’ensemble du système et des acteurs aujourd’hui impliqués.</p>
<p>Il s’avère que cette forme de microtravail rémunéré, où les contributions des utilisateurs (non rémunérées), sont indispensables pour alimenter les modèles que l’on connaît, et couvre d’ailleurs différents aspects de contribution. Comme l’explique <a href="https://hal.science/hal-02554196/document">l’article</a> publié en 2020 par Poala Tubaro, Antonio Casilli et Marion Coville, ces contributions à la marginalisation et à la précarisation d’une partie non négligeable de travailleurs du numérique.</p>
<h2>Des alternatives à ces systèmes</h2>
<p><a href="https://mon-dpo-externe.com/quelles-sont-les-solutions-alternatives-a-google-recaptcha/">Il existe des alternatives</a> au système reCAPTCHA, qui reste néanmoins très largement utilisé. Pour exemple, nous pouvons citer les solutions du type Puzzle CAPTCHA, ou hCAPTCHA. Néanmoins, ces alternatives demandent souvent soit une implémentation à réaliser par le gestionnaire du site web, soit une contribution financière, à comparer avec la gratuité du reCAPTCHA proposée par Google.</p>
<p>De son côté Google travaille également sur une nouvelle version de la solution reCAPTCHA (<a href="https://developers.google.com/search/blog/2018/10/introducing-recaptcha-v3-new-way-to?hl=fr">v3</a>). Cette version permettrait de s’affranchir de l’interruption de navigation imposée par la v2 avec son popup, en calculant un score permettant de déterminer si le comportement observé sur un site web est davantage lié à un humain ou un bot.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/207438/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Benoit Loeillet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le système CAPTCHA permet, pour un site Internet, de valider que l’utilisateur est un humain et pas un robot. Derrière cette fonction se cache un travail bien utile pour les géants de la tech.Benoit Loeillet, Associate professor, EM Lyon Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2045682023-05-09T10:33:33Z2023-05-09T10:33:33ZTravail, management, fraude… Les multiples risques de l’intelligence artificielle pour les entreprises<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/522988/original/file-20230426-987-s8qq58.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=23%2C107%2C725%2C490&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La Chine a récemment décidé d’encadrer l’utilisation de ChatGPT tandis que l’Italie souhaite interdire l’outil.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Artificial_Intelligence_%26_AI_%26_Machine_Learning_-_30212411048.jpg">Wikimedia commons</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p><a href="https://theconversation.com/fr/topics/intelligence-artificielle-ia-22176">L’intelligence artificielle (IA)</a> semble être à la fois source d’opportunités et de menaces pour le futur. Du côté des opportunités, l’homme a toujours cherché à automatiser les tâches physiquement pénibles et/ou répétitives. L’individu est ainsi plus productif et est capable d’utiliser sa propre capacité intellectuelle <a href="https://www.aeaweb.org/articles?id=10.1257/jep.29.3.3">pour d’autres activités plus stimulantes</a>. L’IA permettra d’aller plus loin dans ce processus. Du côté des menaces, on retrouve globalement la peur de l’inconnu et toutes les insécurités qu’il génère.</p>
<p>L’intelligence artificielle (IA) fait référence à des machines conçues pour effectuer des tâches similaires à l’intelligence humaine, interpréter les données externes, apprendre de ces données externes et utiliser cet apprentissage à s’adapter aux tâches pour obtenir des <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0883902622000398">résultats spécifiques et personnalisés</a>.</p>
<p>Récemment, le focus médiatique autour de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/chatgpt-133745">ChatGPT</a>, attise les hardiesses et les peurs, si bien que des pays comme la <a href="https://www.boursedirect.fr/fr/actualites/categorie/economie/en-pleine-euphorie-chatgpt-la-chine-veut-encadrer-l-intelligence-artificielle-afp-f4e3b1bd045942c365a43da853354bd34c090976">Chine</a> ou <a href="https://etudestech.com/decryptage/chatgpt-interdit-italie/">l’Italie</a> ont récemment décidé de limiter voire d’en interdire l’usage. Des voix s’élèvent également en France où ChatGPT a été interdit dans un <a href="https://www.sciencespo.fr/fr/actualites/sciences-po-fixe-des-regles-claires-sur-lutilisation-de-chat-gpt-par-les-etudiants">certain nombre d’établissements universitaires</a> et où des <a href="https://www.leparisien.fr/high-tech/intelligence-artificielle-la-france-pourrait-elle-interdire-chatgpt-01-04-2023-POX4EU6CZ5CZZAEXOOVZJKJISA.php">élus réclament son interdiction au parlement</a>.</p>
<p>Cet outil donne une idée de la puissance potentielle de l’IA. En effet, avant ChatGPT, l’automatisation était essentiellement liée à la robotisation des tâches manuelles. ChatGPT pourrait en revanche remplacer l’intelligence humaine. Une étape importante semble donc franchie.</p>
<h2>Risques multiples</h2>
<p>Dans ce contexte, nous avons mené une <a href="https://www.openscience.fr/Les-risques-lies-a-l-innovation-le-cas-de-l-intelligence-artificielle">recherche</a> pour identifier les différents risques liés à l’essor de l’IA. Ils sont de plusieurs types : les risques managériaux, risques opérationnels, risques au sein du marché de travail, risques d’autres clivages sociaux et les risques de concurrence mondiale.</p>
<p>Les <strong>risques managériaux</strong> principaux sont liés à la responsabilité humaine dans la décision et de la dépendance humaine aux outils d’analyse de données. Le manager prend des décisions en se basant sur les informations générées par les outils d’IA. <a href="https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=3263878">Qui est responsable</a> si les résultats donnés par l’outil numérique sont faux et que le manager en conséquence a pris une mauvaise décision ayant des implications lourdes ? Un exemple peut être les études de marchés développés par ChatGPT avec des recommandations plausibles mais basées sur de mauvaises informations et sur lesquelles s’appuieraient des décisions managériales.</p>
<p>Les <strong>risques opérationnels</strong> sont eux essentiellement liés à la sécurité et à la fraude. D’un côté, l’IA pourrait aider à améliorer la sécurité des transactions financières, mais il peut aussi <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/13669877.2021.1958047">augmenter le pouvoir de nuisance des fraudeurs</a>. En effet, cette numérisation extrême constitue un terrain propice aux <a href="https://theconversation.com/fr/topics/cyber-attaques-36559">cyberattaques</a>. Un outil d’IA peut par exemple imiter la voix d’un tiers de confiance et obtenir ainsi des informations confidentielles. ChatGPT pourrait même étudier et permettre de briser les pare-feux des entreprises.</p>
<p>Les <strong>risques au sein du marché de travail</strong> sont liés au possible remplacement de certains métiers par l’IA. Jusqu’à récemment, les craintes étaient liées <a href="https://psycnet.apa.org/record/2014-07087-000">aux métiers des cols bleus</a> mais désormais ces craintes se portent <a href="http://theconversation.com/artificial-intelligence-has-a-gender-bias-problem-just-ask-siri-123937.">sur les cols blancs</a>. Par exemple, les textes écrits dans n’importe quel domaine, des problèmes complexes de mathématiques, des programmes informatiques peuvent à présent être effectués par ChatGPT, bien qu’une intervention humaine soit souvent requise pour finaliser les résultats. Ces compétences pourraient donc remplacer beaucoup de métiers à terme. Pour qu’elle fonctionne mieux, l’IA doit pouvoir discerner les données produites par des experts fiables de celles produites par d’autres.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<p><em>Chaque lundi, que vous soyez dirigeants en quête de stratégies ou salariés qui s’interrogent sur les choix de leur hiérarchie, recevez dans votre boîte mail les clés de la recherche pour la vie professionnelle et les conseils de nos experts dans notre newsletter thématique « Entreprise(s) ».</em></p>
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<p>Au-delà de ces problématiques qui concernent directement les entreprises, d’autres risques apparaissent, tels que ceux qui concernent les <strong>clivages sociaux.</strong> Ceux-ci peuvent concerner les <a href="https://theconversation.com/artificial-intelligence-has-a-gender-bias-problem-just-ask-siri-123937">discriminations de genres</a> ou l’accentuation des inégalités en termes de richesses. D’une part, les entreprises du numérique sont accusées de préjugés sexistes dans leurs algorithmes de recherche. En effet, si un outil génératif ne répond pas à un besoin par un souci d’être politiquement correcte, il est possible de s’alimenter sur des outils concurrents qui autoriseraient ces biais. D’autre part, les personnes ayant les moyens financiers pourraient se former aux nouveaux outils de l’IA et les moins favorisés seraient déclassés par ces changements.</p>
<p>Les <strong>risques de concurrence internationale</strong> font référence au poids des entreprises mondialisées du numérique ayant une base d’utilisateurs très importante, comme les <a href="https://theconversation.com/fr/topics/gafam-45037">Gafam</a> américains ou les chinoises Alibaba ou ByteDance. Ces entreprises de marché capitalistique donneraient implicitement au gouvernement de leur pays d’origine un <a href="https://hbr.org/1990/03/the-competitive-advantage-of-nations">pouvoir de domination géopolitique</a>. Pour l’instant, la majorité des outils disponibles sur le marché sont par des entreprises américaines, ce qui renforce l’hégémonie des États-Unis. La Chine ne s’y trompe pas : la société Baidu a développé Ernie Bot, mais il n’est pas encore efficace car il doit prendre en compte la censure des informations par le gouvernent chinois. Et Alibaba prévoit aussi d’avoir l’outil concurrençant ChaptGPT.</p>
<h2>Le rôle décisif des pouvoirs publics</h2>
<p>Les risques liés à l’IA sont multiples. Sont-ils pour autant source d’inéluctables problèmes ? La réponse à cette question dépend de l’utilisation qui sera faite de l’IA. La réponse serait affirmative si l’IA est utilisée à des fins de surveillance, de fraude sur les données, voire de destruction volontaire d’emplois par des entrepreneurs ou si elle perpétue des biais sociaux. La réponse sera négative, si le développement et l’utilisation de ces outils est encadré par la loi, et lorsque ces outils permettront l’amélioration des conditions de travail ou la fourniture de services aux citoyens là où il n’y a en avait pas.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/204568/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Comme le montrent les réactions récentes à l’essor de ChatGPT, le développement de l’IA soulève de nouvelles problématiques qui s’imposent directement aux organisations.Vipin Mogha, Enseignant-Chercheur en Finance et Entrepreneuriat, ESCE International Business SchoolArvind Ashta, Professor Finance and Control, Burgundy School of Business Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2039372023-04-19T16:56:43Z2023-04-19T16:56:43ZConsommation sur Internet : perdant ou gagnant face à la fluctuation des prix ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/521247/original/file-20230417-24-m5jkvl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=50%2C14%2C908%2C651&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le géant du e-commerce Amazon, un exemple de plate-forme qui utilise la tarification dynamique.
</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>La <a href="https://www.cgt.fr/actualites/france/interprofessionnel/pouvoir-dachat/inflation-plus-dure-en-france-du-fait-de-la-stagnation-des-salaires">stagnation des salaires</a>, l’<a href="https://theconversation.com/en-france-linflation-a-probablement-atteint-son-pic-en-2022-194987">inflation record</a>, la <a href="https://www.radioclassique.fr/economie/inflation-limpressionnante-chute-de-la-consommation-des-menages-en-france/">chute de la consommation des ménages</a> viennent aujourd’hui considérablement redistribuer les cartes de notre société de consommation. Une stratégie utilisée par les sites de vente peut particulièrement renforcer ces phénomènes. On la nomme la tarification dynamique en ligne. Il s’agit d’une stratégie de variation incessante des prix à la hausse et à la baisse, à laquelle de plus en plus de sites ont recours pour des catégories différentes de produits ou de services.</p>
<p>À titre illustratif, cette méthode a été utilisée par le site Ticketmaster pour distribuer les billets des <a href="https://www.rtbf.be/article/bruce-springsteen-des-tickets-vendus-a-plus-de-5000-11038366">concerts de Bruce Springsteen</a> dans le cadre de sa tournée 2023, avec des prix qui sont montés jusqu’à 5 000 dollars pour les places les plus prisées, menant les fans à s’insurger.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/521241/original/file-20230417-20-k0oy6h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Le chanteur Bruce Springsteen" src="https://images.theconversation.com/files/521241/original/file-20230417-20-k0oy6h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/521241/original/file-20230417-20-k0oy6h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=405&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/521241/original/file-20230417-20-k0oy6h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=405&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/521241/original/file-20230417-20-k0oy6h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=405&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/521241/original/file-20230417-20-k0oy6h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=509&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/521241/original/file-20230417-20-k0oy6h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=509&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/521241/original/file-20230417-20-k0oy6h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=509&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Certains billets pour les concerts de la tournée 2023 de Bruce Springsteen ont été mis à prix à 5 000 dollars.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/10567940@N05/3949821038">Andrés Fevrier/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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</figure>
<p>Nos travaux de <a href="https://www.cairn.info/revue-recherches-en-sciences-de-gestion-2022-4-page-83.htm">recherche</a> invitent particulièrement à envisager les conséquences que la tarification dynamique en ligne peut avoir sur les achats des consommateurs. Comment fonctionne-t-elle ? Quand leur profite-t-elle ou nuit-elle à leurs achats ? Quelles sont les options dont ils disposent pour la limiter ?</p>
<h2>Comment ça marche ?</h2>
<p>La tarification dynamique en ligne repose principalement sur le recours à des algorithmes d’intelligence artificielle utilisés pour orchestrer une fluctuation des prix pour un même produit ou service au cours du temps. Cette stratégie utilise, entre autres, des données relatives aux consommateurs (comme les fameux cookies collectés en ligne ou les informations volontairement données lors d’une inscription en ligne sur un site comme le nom ou l’âge) et les données du marché (comme les prix pratiqués par les concurrents). Cette méthode de fixation des prix permet, par exemple, à des <a href="https://www.boursorama.com/conso/actualites/pourquoi-les-prix-varient-autant-sur-les-sites-de-e-commerce-et-comment-trouver-les-meilleurs-5937d3896007c3653da4711bf57eb9ae">sites de vente de réaliser une variation des prix</a> en temps réel à l’instar d’Amazon, de Cdiscount ou de la Fnac.</p>
<p>L’automatisation algorithmique de la fixation du prix peut même devenir la base du modèle économique de certaines entreprises. Par exemple, pour <a href="https://www.uber.com/fr/fr/ride/how-it-works/upfront-pricing/">l’application Uber</a>, le prix est fixé instantanément selon l’offre et la demande, en s’appuyant, entre autres, sur la planification informatisée des courses demandées par les clients et du nombre de chauffeurs disponibles à ce moment-là pour une zone géographique donnée.</p>
<p>L’objectif premier d’une entreprise qui a recours à la tarification dynamique est de maximiser son profit. Ce dernier est encore plus optimisé lorsque cette méthode repose sur une personnalisation du prix pour chaque consommateur. Dans ce cas, l’algorithme utilisé mobilise, entre autres, son <a href="https://doi.org/10.1177/076737010902400205">« consentement à payer »</a> (correspondant au montant maximal qu’il est prêt à payer pour un produit), critère qui découle d’un calcul algorithmique prenant par exemple en compte son historique d’achats.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1071900613280231424"}"></div></p>
<h2>Le consommateur, gagnant ou perdant ?</h2>
<p>Dans le cadre de la tarification dynamique en ligne, on peut légitimement se demander dans quelle mesure une variation continue des prix pour un produit identique mène le consommateur à se sentir gagnant ou perdant…</p>
<p>Deux formes extrêmes de tarification dynamique peuvent être identifiées. La première est une forme basique où le prix du produit ou du service proposé varie dans le temps de la même façon pour tous les consommateurs. La seconde forme est totalement personnalisée c’est-à-dire qu’un prix différent est appliqué à chaque consommateur en se basant sur l’estimation algorithmique de son <a href="https://doi.org/10.1177/076737010902400205">« consentement à payer »</a>. Dans ce second cas, les consommateurs se voient proposer au même moment des prix différents pour un article identique. L’évaluation du consentement à payer peut ne pas être le reflet de la réalité économique et sociale des individus. L’algorithme peut donc conduire à une surestimation de ce paramètre qui peut être perçue comme injuste par les individus et donc les mener à se sentir perdants.</p>
<p>De façon générale, quelle que soit l’approche utilisée pour la tarification dynamique en ligne, lorsqu’un prix est perçu comme élevé, le consommateur se voit comme perdant, à l’image des réactions des fans qui ne pouvaient s’offrir les places pour un des concerts de <a href="https://www.rtbf.be/article/bruce-springsteen-des-tickets-vendus-a-plus-de-5000-11038366">Bruce Springsteen</a>. Tandis que <a href="https://www.boursorama.com/conso/actualites/pourquoi-les-prix-varient-autant-sur-les-sites-de-e-commerce-et-comment-trouver-les-meilleurs-5937d3896007c3653da4711bf57eb9ae">lorsqu’il paie un prix qu’il perçoit comme bas</a>, le consommateur en ressort gagnant.</p>
<h2>Que peut faire le consommateur ?</h2>
<p>Des outils traqueurs de prix se développent pour aider les consommateurs à retrouver l’historique des prix pratiqués par certaines plates-formes comme Amazon afin de décider si leur achat est à réaliser maintenant ou s’ils prennent le pari d’attendre. Il est également possible de trouver des sites qui aiguillent les consommateurs lors d’achat de produits particuliers quand la tarification dynamique en ligne devient fréquemment utilisée dans certains domaines comme pour les <a href="https://www.protegez-vous.ca/nouvelles/technologie/la-tarification-dynamique-dans-les-concerts-en-10-questions">places de concert</a>.</p>
<p>Les consommateurs peuvent aussi essayer autant que possible de limiter les données que les sites peuvent collecter en n’autorisant pas la <a href="https://www.generation-nt.com/actualites/fluctuation-prix-internet-tarification-dynamique-1909160">collecte de cookies</a> lorsqu’ils visitent un site. Ils peuvent aussi éviter de donner toutes les informations demandées lorsqu’ils saisissent un formulaire d’inscription. Il est également envisageable d’effectuer certains achats lorsque ce n’est pas la saison afin de s’assurer que la demande de produits est faible à l’instar de l’achat d’un parasol ou d’un barbecue en hiver.</p>
<p>Évidemment, la tarification dynamique soulève également la question de la responsabilité des entreprises. Ces dernières doivent s’interroger sur les limites des différents algorithmes auxquels elles peuvent avoir recours en intégrant les préoccupations des consommateurs. Par exemple, un enjeu pour les sites est de trouver comment minimiser les biais liés aux algorithmes qui peuvent engendrer des prix amenant à surévaluer le <a href="https://doi.org/10.1177/076737010902400205">« consentement à payer »</a> des individus. Pour chaque type de produit ou service, il s’agirait donc de s’interroger aussi sur les intervalles de variation de prix et les fréquences de changement du prix perçus comme acceptables par les potentiels acheteurs.</p>
<p>Par ailleurs, certains sites affichent officiellement le recours à cette stratégie à l’image d’<a href="https://www.uber.com/fr/fr/ride/how-it-works/upfront-pricing/">Uber</a> tandis que d’autres, tel qu’<a href="https://www.reactev.com/fr/blog/strategie-de-prix-dynamiques-amazon">Amazon</a>, décident de ne pas partager les secrets de fabrication de l’algorithme utilisé. À l’ère où les consommateurs appellent les entreprises à plus de transparence, les préoccupations éthiques des entreprises permettant aux individus de ne pas se sentir lésés en comprenant mieux les prix qui leur sont proposés lors de l’achat d’un produit peuvent finalement apparaître comme essentielles et s’avéraient être un atout stratégique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/203937/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>La tarification dynamique (variation continue des prix à la hausse et à la baisse), couplée à l’inflation, peut parfois donner le sentiment aux individus d’être gagnants.Sarah Benmoyal Bouzaglo, Maitre de conférences, Université Paris CitéCorina Paraschiv, Professeur des Universités en Sciences de Gestion, Université Paris CitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1977072023-01-23T18:48:37Z2023-01-23T18:48:37ZL'effet rebond : quand la surconsommation annule les efforts de sobriété<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/504182/original/file-20230112-11-zf5z90.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=113%2C57%2C971%2C553&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Dans le transport aérien civil, chaque kilomètre de vol par passager consomme environ trois fois moins de carburant qu’il y a quarante ans, mais le nombre de kilomètres de vol a explosé.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/158652122@N02/51111707897">Mike McBey/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Dans le livre de Lewis Carrol <a href="https://www.librairie-gallimard.com/livre/9782070466603-alice-au-pays-des-merveilles-de-l-autre-cote-du-miroir-lewis-carroll/"><em>De l’autre côté du miroir</em></a> (la suite des Aventures d’Alice au pays des merveilles), on voit la Reine rouge prendre Alice par la main pour courir. Mais plus elles courent, moins le paysage bouge aux alentours ! Face à l’étonnement d’Alice, la Reine lui explique qu’il faut courir sans cesse pour rester sur place. C’est une excellente image de ce qui se passe dans notre société, où les gains d’efficacité sont sans cesse rattrapés, annulés, dépassés par l’envolée des consommations.</p>
<p>Dans le <a href="https://theconversation.com/fr/topics/transport-aerien-29163">transport aérien</a> civil, chaque kilomètre de vol par passager consomme environ trois fois moins de carburant qu’il y a quarante ans. Voilà qui est bon pour la planète, direz-vous. Hélas non, car la baisse des coûts a fait que le voyage aérien s’est considérablement développé et démocratisé. Le nombre de kilomètres de vol a explosé. En 2017, on a dépassé 4 milliards de passagers dans les vols de l’aviation civile dans le monde. Alors que le volume de GES émis par passager-kilomètre diminuait de moitié, le <a href="https://theshiftproject.org/wp-content/uploads/2021/03/Pouvoir-voler-en-2050_ShiftProject_Rapport-2021.pdf">volume total d’émissions a été multiplié par deux</a> ; L’impact global sur les consommations de matières et d’<a href="https://theconversation.com/fr/topics/energie-21195">énergie</a> a crû considérablement.</p>
<p>Prenons un autre exemple, plus banal encore, celui de l’éclairage. Aucune de nos activités courantes n’a connu sur le long terme une telle augmentation d’efficacité et une chute aussi vertigineuse du coût par unité produite (Au passage, cela signifie que le fameux retour à la bougie évoqué par les écolo-sceptiques serait une catastrophe écologique !). Mais la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/consommation-20873">consommation</a>, d’abord portée par le gaz de ville, puis par l’électricité, a plus que rattrapé cette augmentation d’efficacité. Elle a été, grosso modo, multipliée par dix tous les cinquante ans.</p>
<p>Depuis les débuts de l’éclairage urbain dans les années 1830 jusqu’en 2000, le <a href="https://www.researchgate.net/publication/227349575_Seven_Centuries_of_Energy_Services_The_Price_and_Use_of_Light_in_the_United_Kingdom_1300-2000">nombre de lumens-heure a été multiplié par 100 000</a>. Le résultat est que désormais on voit nos villes nocturnes de l’espace, comme sur les belles images envoyées par Thomas Pesquet ! Mais l’aviation et l’éclairage ne sont que des illustrations d’un phénomène universel, que l’on va retrouver pour les mobilités, pour le chauffage, pour l’informatique, pour l’habillement. En réalité, pour la quasi-totalité de nos activités.</p>
<h2>Des biens et des services moins coûteux</h2>
<p>Ainsi, « le moins alimente le plus », écrit le [chercheur et analyste politique canadien] <a href="https://www.cairn.info/magazine-books-2020-5-page-23.htm">Václav Smil</a>. Le signe de ce rattrapage, ou débordement, par la demande est que les gains d’efficacité constatés au niveau « macro » sont nettement plus faibles que ceux qu’on observe au niveau « micro ». Ils existent néanmoins.</p>
<p>Pour l’ensemble du monde, la quantité de gaz à effet de serre (GES) par unité de PIB a ainsi <a href="https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/edition-numerique/chiffres-cles-du-climat/pdf/pages/partie2/partie2.pdf">diminué d’un tiers depuis 1990</a>. En France, elle a baissé de 50 % (si on s’en tient aux émissions sur le territoire national : rappelons que le carbone incorporé dans nos importations représente désormais plus de la moitié de notre empreinte réelle). En Chine, qui partait de loin, la baisse de ce ratio « tonnes de GES par unité de PIB » a été beaucoup plus rapide encore, même si, à ce jour, il reste sensiblement plus élevé que dans les pays occidentaux. […]</p>
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<p>Pourquoi les gains d’efficacité réalisés au niveau « micro » sont-ils ainsi atténués, voire dilapidés ? La réponse est très simple. L’efficacité rend les biens et les services moins coûteux, plus accessibles, plus désirables, et la demande, dopée par la publicité et par les multiples formes de l’effort pour vendre, croît en proportion, ou même davantage. On appelle cela l’effet rebond, ou, si on veut avoir l’air savant, l’effet ou le <a href="https://energyhistory.yale.edu/library-item/w-stanley-jevons-coal-question-1865">paradoxe de Jevons</a>.</p>
<p>En 1865, les producteurs de charbon britanniques s’inquiétaient de l’efficacité croissante des machines à vapeur, qui utilisaient de moins en moins leur précieux combustible. William Stanley Jevons, homme d’affaires et économiste, un des fondateurs, avec Léon Walras, de l’école marginaliste, leur répondit :</p>
<p>« C’est une erreur complète de supposer que l’usage plus économique de l’énergie va faire baisser la consommation. C’est exactement le contraire qui va se passer. »</p>
<p>Un siècle et demi plus tard, il est difficile de lui donner tort</p>
<h2>Le numérique, emblématique de l’effet rebond</h2>
<p>Il y a beaucoup moins d’aluminium ou d’acier dans chaque canette de 33 centilitres, mais le nombre de canettes a tellement crû que la consommation d’acier ou d’aluminium pour les canettes s’est envolée (Un conseil, au passage : l’acier est un meilleur choix écologique, car plus facile à recycler !). Dans le monde <a href="https://theconversation.com/fr/topics/numerique-20824">numérique</a>, les gains d’efficacité pour les processus de base sont très spectaculaires. Même les mégafermes de serveurs, sur lesquelles repose la croissance du cloud, sont de plus en plus efficaces en énergie et en émissions de carbone.</p>
<p>Les <a href="https://theconversation.com/fr/topics/gafam-45037">Gafam</a> (Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft) ne mentent pas quand ils soulignent que ces hyperscalers (la dernière génération des infrastructures du cloud) sont <a href="https://www.lesechos.fr/tech-medias/hightech/lenvironnement-le-nouveau-filon-du-cloud-1373837">30 % à 50 % plus efficaces que les anciennes fermes</a>. Mais, au bout du compte, il s’agit bien de permettre la multiplication des utilisations, notamment du côté du grand public, par le streaming vidéo en particulier.</p>
<p>L’empreinte globale du monde numérique, qui paraît léger et immatériel, a déjà <a href="https://theshiftproject.org/wp-content/uploads/2020/10/Deployer-la-sobriete-numerique_Rapport-complet_ShiftProject.pdf">dépassé celle de l’aviation civile</a> et ne cesse de croître. Elle repose sur un effet rebond massif, le cœur du modèle économique des plates-formes étant précisément la croissance ultrarapide des volumes que permettent les effets de réseau. L’effet pervers est que ces augmentations sont insensibles pour l’usager qui échange des photos ou regarde des vidéos, et dont la consommation locale est négligeable au regard des coûts globaux.</p>
<p>Un autre domaine très problématique est celui du ciment et de la construction, où les gains d’efficacité (en énergie et en émissions de GES) restent relativement limités, parce que techniquement difficiles à obtenir, alors que la demande explose en Asie et en Afrique.</p>
<p>L’effet Jevons est donc omniprésent. Il peut être indirect – les baisses de prix dans un domaine dégageant du revenu disponible pour d’autres consommations – ou direct, par augmentation de la consommation du bien concerné. Bien entendu, la croissance de la demande n’est pas indépendante des stratégies marketing et commerciales déployées par les entreprises, qui mobilisent des ressources considérables. Le renouvellement plus ou moins frénétique des produits et des catalogues commerciaux reste un moyen classique pour doper la demande.</p>
<p>Pensez aux centaines de variantes des produits les plus simples qui apparaissent lorsque vous consultez Internet pour un achat banal. Les <a href="https://theconversation.com/vos-appareils-electroniques-sont-ils-obsoletes-de-plus-en-plus-rapidement-169765">stratégies d’obsolescence programmée</a> et d’accroissement incessant de la diversité se retrouvent même dans les modèles de services. Nous connaissons tous l’imagination avec laquelle les offreurs de logiciels arrivent à nous obliger de changer de version en permanence.</p>
<h2>« Profondeur technologique »</h2>
<p>Il y a une autre forme de « recyclage » des gains d’efficacité, analogue à l’effet rebond mais beaucoup moins étudiée : c’est la progression incontrôlée de la complexité technique et fonctionnelle de nos objets. […] En lien avec la globalisation, nos objets sont devenus en quelques décennies considérablement plus compliqués que ceux des générations précédentes, tant par le nombre de composants que par leur complexité technologique. Les microprocesseurs, par exemple, se sont disséminés bien au-delà de nos ordinateurs et de nos portables. L’<a href="https://theconversation.com/fr/topics/internet-des-objets-21322">Internet des objets</a> nous promet une vague encore plus puissante et étendue.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/504009/original/file-20230111-15-6zrfrs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/504009/original/file-20230111-15-6zrfrs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/504009/original/file-20230111-15-6zrfrs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=1122&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/504009/original/file-20230111-15-6zrfrs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=1122&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/504009/original/file-20230111-15-6zrfrs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=1122&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/504009/original/file-20230111-15-6zrfrs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1410&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/504009/original/file-20230111-15-6zrfrs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1410&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/504009/original/file-20230111-15-6zrfrs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1410&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://editionsdelaube.fr/catalogue_de_livres/bifurcations/">Éditions de l’aube, octobre 2022</a></span>
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<p>Or il est certain que cet effet de « profondeur technologique » pèse lourd dans la balance climatique, même si personne, à ma connaissance, ne l’a chiffré. Derrière nos objets et nos services quotidiens, on trouve maintenant des réseaux de plus en plus labyrinthiques d’activités productives, avec des myriades de fournisseurs en cascade – ce qui, soit dit au passage, rend irréaliste l’idée de certains économistes de pister précisément les impacts écologiques de ces chaînes en recensant toutes les activités qui les composent.</p>
<p>L’évolution de nos voitures est un bon exemple. Au lieu de rendre les modèles plus simples (et beaucoup moins coûteux), les gains d’efficacité ont été recyclés principalement dans une formidable augmentation de complexité, avec une part énorme désormais consacrée à l’électronique et, de plus en plus, au logiciel.</p>
<p>Bien sûr, une partie de ces nouveaux équipements et des nouvelles fonctionnalités imaginées par les bureaux d’études est très utile. Qui voudrait se passer de fonctions de sécurité comme l’ABS, ou même de confort comme la caméra arrière ? Mais le processus d’ensemble est à l’évidence piloté davantage par la passion des ingénieurs et la créativité du marketing que par une analyse des véritables besoins des usagers, et encore moins par celle des conséquences écologiques. Il ne s’agit pas de refuser les avancées de la technique, ni de les brider par avance. Il faut cependant bien constater qu’il n’existe aucun forum, ni dans la société, ni dans les entreprises, pour exercer ce que [l’ingénieur] <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/l-age-des-low-tech-philippe-bihouix/9782021160727">Philippe Bihouix</a> appelle le « techno-discernement ».</p>
<p>« N’importe quelle mesure du progrès dans le niveau de vie de l’individu donne un coefficient de progrès incomparablement plus faible que dans la quantité d’énergie dépensée par habitant », écrivait déjà [l’écrivain] <a href="https://books.google.fr/books/about/Arcadie.html?id=Wy4JAQAAIAAJ&redir_esc=y">Bertrand de Jouvenel</a> dès la fin des années 1950. Depuis, cette quantité a été multipliée par 7, et nettement plus pour les plus riches d’entre nous. Vivons-nous sept fois mieux ?</p>
<p>L’ingénieur Jean-Marc Jancovici rappelle souvent que nous ne consommons pas d’énergie. Ce qui consomme de l’énergie, ce sont les centaines, les milliers, les dizaines de milliers de machines qui travaillent pour nous, machines dont nous avons oublié l’existence, car la plupart d’entre elles sont très lointaines, devenues « abstraites » à nos yeux.</p>
<p>Reprenant une image proposée par [l’architecte américain] Buckminster Fuller dès 1940, il parle des « équivalents-esclaves » qui sont à notre disposition, en prenant comme unité l’énergie déployée par un humain en une journée de travail. Leur nombre est faramineux et se chiffre en centaines. Cette image montre à quel point nos processus se sont auto-emballés depuis un siècle, et même un demi-siècle. Elle est aussi source d’espoir, car elle suggère qu’une réduction substantielle de notre extravagant train de vie est possible en gardant l’essentiel de nos acquis, surtout si on partage mieux nos « esclaves ».</p>
<hr>
<p><em>Ce texte est extrait du livre <a href="https://editionsdelaube.fr/catalogue_de_livres/bifurcations/">« Bifurcations : réinventer la société industrielle par l’écologie ? »</a> de Pierre Veltz, publié aux Éditions de l’aube en octobre 2022. Les intertitres ont été ajoutés par la rédaction</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/197707/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pierre Veltz ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Ce principe, théorisé par l’économiste britannique William Stanley Jevons en 1865, se concrétise aujourd’hui dans des secteurs comme le transport aérien ou le numérique.Pierre Veltz, Professeur émérite, École des Ponts ParisTech (ENPC)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1924232022-10-18T16:46:43Z2022-10-18T16:46:43ZDMA : la nouvelle législation européenne suffira-t-elle à encadrer les GAFAM ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/489531/original/file-20221013-20-ammf7r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=53%2C179%2C1144%2C718&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le Parlement européen (photo) et le Conseil de l’Union européenne ont adopté le Digital Markets Act l’été dernier.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Debate_European_Parliament_%27Copyright_in_the_digital_Single_Market%27_11-9-2018.jpg">Wikimedia commons</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Le 12 octobre 2022, la version finale de la nouvelle législation de l’Union européenne sur les marchés numériques, dite <a href="https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/TA-9-2022-0270_EN.html">Digital Markets Act</a> (DMA), était publiée. Cette réglementation du Conseil et du Parlement européen est entrée en vigueur le 1<sup>er</sup> novembre 2022, et ses principales règles commencent à s’appliquer ce 2 mai 2023. Cette loi inédite a vocation à réglementer les pratiques commerciales des « digital gatekeepers », que l’on peut traduire par « contrôleurs d’accès » aux <a href="https://theconversation.com/fr/topics/plates-formes-31157">plates-formes</a>.</p>
<p>Fournisseurs de services <a href="https://theconversation.com/conversation-avec-asma-mhalla-les-services-des-gafam-sont-devenus-une-commodite-indispensable-170272">devenus essentiels</a>, les grandes sociétés de numérique, et en premier lieu les Google, Apple, Facebook, Amazon and Microsoft (<a href="https://theconversation.com/fr/topics/gafam-45037">GAFAM</a>), constituent désormais un passage obligé pour les entreprises qui cherchent à se rapprocher de leurs utilisateurs finaux. L’incidence des contrôleurs d’accès sur le marché interne est donc non négligeable et leur positionnement commercial leur confère une domination présente ou future.</p>
<p>Si la DMA n’est pas une panacée, elle est le gage d’une réglementation bien plus efficace que le <a href="https://theconversation.com/fr/topics/droit-europeen-107798">droit européen</a> de la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/concurrence-22277">concurrence</a> pour limiter les positions de domination de marché des GAFAM et d’une refonte de leurs pratiques.</p>
<h2>Quelle finalité pour la DMA ?</h2>
<p>Cette loi répond aux constatations de plusieurs expertises ayant débuté en 2019, comme le <a href="https://assets.publishing.service.gov.uk/government/uploads/system/uploads/attachment_data/file/785547/unlocking_digital_competition_furman_review_web.pdf">UK Furman Report</a>, le <a href="https://www.chicagobooth.edu/research/stigler/news-and-media/committee-on-digital-platforms-final-report">US Stigler Report</a> et le <a href="https://ec.europa.eu/competition/publications/reports/kd0419345enn.pdf">EU Vestager Report</a> qui concluent que les cinq GAFAM règnent sans partage sur les marchés des plates-formes essentielles.</p>
<p>Ces rapports sont formels : la forte subordination du marché à cette poignée d’acteurs découle d’un concours de circonstances congénitales liées aux marchés des plates-formes : fort effet de réseau (la valeur d’un service s’accroit en fonction du nombre d’utilisateurs), haut rendement de l’utilisation des données, économies d’échelle et de gamme, facilité d’exploitation des inclinations des consommateurs en ligne, etc.</p>
<p>Additionnées, ces circonstances favorisent l’émergence sur le marché d’un ou deux acteurs hégémoniques. Une fois cet état de domination consommé, des obstacles à l’entrée découlant des facteurs précités entravent la concurrence, même lorsque l’offre alternative est de meilleure qualité.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1171892685550096384"}"></div></p>
<p>La législation vise un double objectif : d’abord, abaisser les obstacles à l’entrée ; ensuite, créer des conditions plus équitables pour les entreprises et les utilisateurs finaux en encadrant les conditions d’utilisation. De ce fait, les « digital gatekeepers » visés seront tenus de respecter un ensemble de règles rigoureuses. Il est fort à parier que la Commission européenne, autorité de désignation des contrôleurs, signalera les GAFAM. Toutefois, certaines plates-formes européennes clés pourraient y échapper.</p>
<h2>Des règles draconiennes malgré les pressions</h2>
<p>Une fois visé, les contrôleurs d’accès disposeront de six mois pour se conformer aux 22 règles des articles 05 à 07 de la législation. Ils devront, par exemple, partager leurs données avec la concurrence et leurs clients, permettre les transferts d’applications (<em>side-loading</em>) effectués en dehors de leur magasin d’application, assurer l’interopérabilité de certains systèmes de communication, rendre publiques les techniques de fichage et s’abstenir de favoriser leurs propres services dans les résultats de recherche.</p>
<p>Il est difficile de prévoir comment, touchés en plein cœur, les GAFAM réagiront. Tout manquement sera en effet sanctionnable d’une amende sévère : à la moindre violation, le contrôleur encourra une amende de 10 % de son chiffre d’affaires à l’échelle planétaire. Un contrôleur récidiviste verra ce montant atteindre 20 %, et pourrait être interdit de toutes fusions et acquisitions. Cette législation sera appliquée par la Commission, sous le contrôle de la Cour de Justice de l’UE.</p>
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<p>Si d’autres juridictions majeures comme les <a href="https://www.promarket.org/2021/06/29/house-antitrust-bills-big-tech-apple-preinstallation/">États-Unis</a> et le <a href="https://www.gov.uk/government/consultations/a-new-pro-competition-regime-for-digital-markets/outcome/a-new-pro-competition-regime-for-digital-markets-government-response-to-consultation">Royaume-Uni</a> ont envisagé des réglementations analogues, cette législation est à ce jour la plus étendue et complète de toutes. Cette expérience juridique complexe impliquera d’ailleurs des coûts d’application importants pour la Commission et les contrôleurs.</p>
<p>La réglementation a ses détracteurs, notamment les sociétés technologiques américaines qui se plaignent d’un <a href="https://www.nytimes.com/2022/03/24/technology/eu-regulation-apple-meta-google.html">traitement inéquitable</a>. Elles qui soutiennent que la législation, portant préjudice à la qualité des services et à l’innovation des GAFAM, nuira aux consommateurs européens.</p>
<p>Les GAFAM ont d’ailleurs mené une <a href="https://www.politico.eu/article/big-tech-boosts-lobbying-spending-in-brussels/">campagne de lobbying</a> soutenue pour faire dérailler ou écorner la proposition initiale de la Commission, mais force est de constater que ce fût peine perdue. Le texte final a même pris une tournure draconienne. Le Parlement européen a donc été un acteur décisif dans l’extension de la liste des services visés par la législation, l’ajout de nouvelles règles et le renforcement des pénalités.</p>
<h2>La demi-victoire des autorités nationales</h2>
<p>Les GAFAM ne sont pas les seuls mécontents. Pourtant d’accord sur le fond, les autorités de la concurrence des États membres, <a href="https://www.bmwk.de/Redaktion/DE/Downloads/M-O/non-paper-friends-of-an-effective-digital-markets-act.pdf">l’Allemagne, la France et les Pays-Bas</a> en tête, appelaient à davantage d’appropriation nationale dans la mise en œuvre.</p>
<p>Dans une rare <a href="https://www.autoritedelaconcurrence.fr/sites/default/files/DMA--JointEUNCAspaper.pdf">déclaration conjointe</a>, les 27 autorités ont soutenu que, fortes de leurs compétences et ressources, elles étaient en mesure d’appuyer son application.</p>
<p>À noter qu’une fois en vigueur, cette législation ôtera aux autorités nationales leur compétence en matière de réglementation des contrôleurs et leur reléguera uniquement les questions de concurrence appelant à une évaluation ponctuelle de l’influence des acteurs économiques sur les marchés et les incidences de leurs pratiques. Par exemple, la section 19a de l’ambitieuse <a href="https://www.bundeskartellamt.de/SharedDocs/Meldung/EN/Pressemitteilungen/2021/19_01_2021_GWBNovelle.html">loi allemande contre les restrictions de la concurrence</a> (GWB), adoptée en janvier 2021 en vue de lutter contre les géants du numérique, pourrait être rendue caduque par la DMA.</p>
<p>Les autorités nationales n’ont finalement remporté qu’une victoire en demi-teinte. En effet, dans son ultime mouture, la législation habilite les autorités nationales à lancer des enquêtes et recueillir des éléments de preuve. Toutefois, afin d’harmoniser son application, la Commission reste seule compétente en matière d’appréciation des pratiques et de prise de décisions quant aux éventuelles atteintes.</p>
<h2>Le spectre de l’application privée</h2>
<p>L’application de la loi par la Commission sera certainement complétée par l’action privée. La DMA ne prévoit pas explicitement que les acteurs privés ayant subi un préjudice du fait du manquement au regard de la législation sont en droit réclamer des indemnisations à une plate-forme. Cependant, l’article 42 énonce que la <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/?uri=CELEX%3A32020L1828">directive 2020/1828 relative au recours collectifs</a>, opposable dans les cas d’infraction au droit communautaire, s’appliquera aux violations de la DMA. Il est donc probable qu’une fois que la Commission aura rendu ses premiers avis, des recours en justice soient entendus.</p>
<p>La DMA conjugue, à raison, de nombreux éléments clés du RGPD et demande instamment à la Commission de travailler avec les instances européennes de protection des données sur certains points. En effet, comme ne l’avions souligné dans un <a href="https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=4089978">article</a> de recherche récent, la réglementation des modèles commerciaux fondés sur l’exploitation des données appelle une approche interdisciplinaire et interinstitutionnelle, une donne longtemps peu connue du droit européen de la concurrence.</p>
<h2>Quelle adaptation possible des règles ?</h2>
<p>La législation a été critiquée pour son franc <a href="https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=4021843">recours aux règles de principe</a>, à savoir les règles proscrivant une pratique donnée, sans obligation de démontrer ses effets délétères. Peu coûteuses et rapidement déployables, ces règles promettent d’être beaucoup plus d’efficaces que celles du droit de la concurrence.</p>
<p>En effet, l’abus des règles relatives aux positions dominantes énoncées dans <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/HTML/?uri=CELEX%3A12008E102">l’article 102 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE</a>), qui impose une appréciation économique approfondie du pouvoir de marché de l’acteur à l’examen et des effets potentiels de ses pratiques sur les conditions de concurrence, font durer les enquêtes pendant plus de 5 ans en moyenne.</p>
<p>Certes, les règles de principe ne sont pas sans défaut. Cette approche est inflexible et féconde d’erreurs : certaines pratiques non préjudiciables dans les faits peuvent être proscrites (faux positif), alors que d’autres, clairement néfastes, peuvent être autorisées (faux négatif). En outre, ces règles peuvent être contournées, si une société exploite les failles juridiques en modifiant ses pratiques de sorte que sa position de domination ne soit en rien affaiblie.</p>
<p>Cependant, la dernière version de la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/digital-markets-act-dma-128496">DMA</a> est munie de dispositifs permettant à la Commission d’infléchir les règles contre-productives, et surtout, d’intervenir pour les mettre à jour, en vertu des règles de non-contournement.</p>
<p>S’il appartient à la Commission d’invoquer ces dispositifs et si la DMA est, par essence, plus tolérante vis-à-vis des faux positifs que des faux négatifs, Bruxelles peut adapter ses règles rapidement si elles ne produisent pas les résultats escomptés. L’on peut donc espérer que la Commission surveillera de près les incidences de la législation sur les entreprises et les consommateurs et qu’elle n’hésitera pas à intervenir, si nécessaire. Pour cela, les outils existent.</p>
<h2>La DMA répondra-t-elle à l’exercice ?</h2>
<p>Cependant, la DMA n’encadre pas la question de l’acquisition par des contrôleurs. Sur une période relativement courte, les GAFAM ont ensemble phagocyté plus de 800 sociétés, pour la plupart des start-up innovantes porteuses de technologies complémentaires. Malgré les <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/0003603X221082748?journalCode=abxa">inquiétudes croissantes</a> que suscitent ce phénomène et que nous observions dans une recherche récente, les autorités européennes de la concurrence et leurs homologues américaines n’ont jamais interdit ne serait-ce qu’une seule de ces acquisitions.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-gafam-acquereurs-de-start-up-predateurs-ou-accelerateurs-de-linnovation-189603">Les GAFAM acquéreurs de start-up, prédateurs ou accélérateurs de l’innovation ?</a>
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<p>Il est donc légitime de se demander si les règles européennes existantes sur les fusions et acquisitions, élaborées à l’ère de l’économie des enseignes physiques, seront à la hauteur des enjeux du numérique. L’UE aurait pu profiter de l’occasion pour revoir les théories de préjudice et des normes de preuve utilisées dans le droit européen des fusions afin de l’adapter à l’économie des plates-formes.</p>
<p>La DMA ne s’applique que pour les services de plate-forme essentiels proposés aux utilisateurs établis ou situés dans l’UE, mais pas au-delà. Il reste à voir si <a href="https://www.brusselseffect.com/">« l’effet Bruxelles »</a> réapparaîtra et si les contrôleurs appliqueront d’eux-mêmes les règles européennes dans d’autres juridictions, ou, s’il est réaliste et rentable pour les contrôleurs de suivre des règles moins strictes dans les juridictions plus laxistes (voire totalement permissives). Il est permis de penser que la mise en conformité s’arrêtera là où les contreparties seront trop onéreuses pour les plates-formes.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/192423/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anne C. Witt ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le Digital Market Act, qui doit entrer en vigueur prochainement, constitue la réglementation la plus ambitieuse à ce jour pour limiter les positions dominantes des géants du numérique.Anne C. Witt, Professor of Law, Augmented Law Institute, EDHEC Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1910462022-09-23T09:44:32Z2022-09-23T09:44:32ZDonnées de santé, de fertilité, de localisation… Les craintes post-Roe inédites et légitimes des Américaines<p>La <a href="https://theconversation.com/fin-du-droit-a-lavortement-aux-etats-unis-moins-de-democratie-plus-de-religion-184914">révocation de l’arrêt Roe v. Wade par la Cour suprême américaine</a>, le 24 juin dernier, est un moment décisif dans la politique américaine. Cette décision retire les protections constitutionnelles du droit à l’avortement et renvoie la question aux États, dont la <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/06/24/droit-a-l-avortement-ces-etats-americains-susceptibles-d-interdire-l-ivg_6124636_3211.html">moitié environ devrait l'interdire</a>.</p>
<p>La dernière fois que l’avortement était illégal aux États-Unis, c’était il y a près d’un demi-siècle… L’époque a changé. Nous vivons désormais dans une ère de surveillance numérique généralisée, rendue possible par le développement d'Internet et des téléphones portables.</p>
<p>Or ces données numériques, surtout les plus personnelles, pourraient bien aujourd’hui être utilisées pour identifier, suivre et incriminer les femmes qui demandent un avortement.</p>
<p>Depuis une vingtaine d’années, les grandes entreprises technologiques, les opérateurs d’applications mobiles, les <a href="https://www.cnil.fr/fr/la-cnil-lance-une-etude-sur-les-donnees-de-geolocalisation-collectees-par-des-applications-mobiles">« Data brokers » ou courtiers en données</a> et les sociétés de publicité en ligne ont mis en place un système complet pour collecter, analyser et partager d’énormes quantités de données – nos données normalement « privées ». Les entreprises peuvent ainsi <a href="https://www.wired.com/story/groups-call-ethical-guidelines-location-tracking-tech/">suivre chacun de nos mouvements</a>, <a href="https://techcrunch.com/2022/01/13/joint-statement-surveillance-ads-inferred-data/">établir le profil de notre comportement</a> et <a href="https://theconversation.com/ai-is-increasingly-being-used-to-identify-emotions-heres-whats-at-stake-158809">fouiner dans nos émotions</a>.</p>
<p>Jusqu’à présent, ce système a surtout été utilisé pour nous vendre des choses. Mais à la suite de l’arrêt rendu l’été dernier, nombreux sont ceux qui craignent que, désormais, les données personnelles ne soient utilisées pour surveiller les grossesses, puis partagées avec les services répressifs ou vendues à des « justiciers » autodésignés.</p>
<p>(<em>De premières dérives ont été identifiées. La Federal Trade Commission, agence indépendante du gouvernement des États-Unis chargée du respect du droit de la consommation, a intenté une action en justice contre Kochava Inc. le 29 août 2022. <a href="https://theconversation.com/ftc-lawsuit-spotlights-a-major-privacy-risk-from-call-records-to-sensors-your-phone-reveals-more-about-you-than-you-think-189618">La société est accusée de vendre des données de géolocalisation provenant de centaines de millions d’appareils mobiles qui, en l’occurrence, peuvent être utilisées pour « identifier des consommateurs qui ont visité des cliniques de santé reproductive »</a>, ndlr.</em>)</p>
<h2>Des données partout, sur tout</h2>
<p>Il existe diverses sources de données qui pourraient être utilisées pour identifier, suivre et poursuivre les femmes soupçonnées de vouloir avorter.</p>
<p>Google, par exemple, partage régulièrement des informations privées sur ses utilisateurs avec les forces de l’ordre, <a href="https://www.cnet.com/news/privacy/google-is-giving-data-to-police-based-on-search-keywords-court-docs-show/">même sans mandat</a>. Dans ce cas, il pourrait s’agir de <a href="https://www.fastcompany.com/90468030/how-an-online-search-for-abortion-pills-landed-this-woman-in-jail">mots-clés utilisés lors de recherche en ligne et qui pourraient être utilisés comme preuves</a> par des agences qui enquêtent ou poursuivent des affaires liées à un avortement.</p>
<p>La surveillance en ligne peut également porter sur les données de localisation. La police américaine <a href="https://www.theguardian.com/us-news/2021/sep/16/geofence-warrants-reverse-search-warrants-police-google">utilise déjà les données de localisation</a> des appareils mobiles pour recueillir des preuves contre des criminels présumés. (<em>À noter que Google a annoncé qu’il allait <a href="https://theconversation.com/what-you-need-to-know-about-surveillance-and-reproductive-rights-in-a-post-roe-v-wade-world-185933">supprimer les historiques de localisation de ses utilisateurs qui se rendent chez des prestataires de soins d’avortement</a>, ndlr.</em>)</p>
<p>De plus, de nombreuses applications mobiles suivent votre localisation et la partagent avec des courtiers en données (Data brokers). Ces derniers les vendent ensuite à une myriade de tiers inconnus, <a href="https://www.vice.com/en/article/epdpdm/ice-dhs-fbi-location-data-venntel-apps">y compris les services de police</a>. Cela se produit même lorsque les gens ont <a href="https://www.vice.com/en/article/5dgmqz/huq-location-data-opt-out-no-consent">refusé la collecte de données de localisation</a>. Cette technologie pourrait être utilisée pour suivre les déplacements des femmes et signaler lorsqu’elles se sont rendues à proximité d’un centre d’avortement… ou simplement dans un autre État où l’avortement est légal.</p>
<p>[<em>Plus de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<h2>L’indiscrétion des réseaux sociaux</h2>
<p>L’activité des réseaux sociaux et les données collectées par ces plates-formes tentaculaires peuvent aussi être utilisées pour déduire si une personne est enceinte… ou si elle souhaiterait se faire avorter.</p>
<p><a href="https://revealnews.org/article/facebook-data-abortion-crisis-pregnancy-center/">Une enquête menée cet été</a> a montré que des centaines de « centres de crise de la grossesse » (similis cliniques dont l’objectif est en fait de dissuader les femmes d’avorter), installés partout aux États-Unis, partageaient avec Facebook des informations sur les personnes qui avaient parfois simplement consulté leur site web. Dans certains cas, leur nom et adresse ainsi que le fait qu’une femme envisagerait d’avorter étaient accessibles.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1540352807743660033"}"></div></p>
<p>L’enquête a également montré que les organisations antiavortements ont pu avoir accès à certaines de ces informations. Si l’avortement devient un crime, ces informations pourraient être utilisées dans le cadre de procédures judiciaires.</p>
<h2>La délicate question des applications de suivi menstruel</h2>
<p>Des <a href="https://theconversation.com/fiabilite-securite-ethique-quels-risques-derriere-les-failles-des-applications-de-suivi-menstruel-190115?notice=L%27article+a+%C3%A9t%C3%A9+mis+%C3%A0+jour.">centaines de millions de femmes utilisent ces applications</a> pour mieux suivre leur cycle menstruel, parfois pour prévoir une grossesse – ou, à l'inverse, pour éviter de tomber enceinte. Elles peuvent également enregistrer leur activité sexuelle ou leurs traitements hormonaux.</p>
<p>Autant de données qui pourraient être utilisées pour identifier et suivre les femmes soupçonnées de vouloir avorter. Par exemple, un changement brutal dans un cycle pourrait être le signe d’une intervention médicale.</p>
<p>En effet, alors qu’elles s’en défendent, nombre de ces applications <a href="https://secureservercdn.net/45.40.152.13/99x.577.myftpupload.com/wp-content/uploads/2022/01/Digital-Health-is-Public-Health-Consumers-Privacy-and-Security-in-the-Mobile-Health-App-Ecosystem.pdf">partagent des informations sensibles non cryptées</a> avec des courtiers en données et des sociétés de publicité… et ceci sans que les utilisatrices en soient informées ou y consentent.</p>
<p><a href="https://www.npr.org/2022/05/10/1097482967/roe-v-wade-supreme-court-abortion-period-apps">Avec la fin des protections institutionnelles pour les avortements</a>, beaucoup s’inquiètent du fait que ces données intimes puissent être utilisées comme preuves dans de futures procédures judiciaires. Au point parfois de conseiller de quitter les applications non sécurisées.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1540345161955385345"}"></div></p>
<h2>Un moment unique pour les démocraties</h2>
<p>À la suite de l’arrêt de juin dernier, des appels ont donc été lancés aux femmes aux États-Unis pour qu’elles <a href="https://www.abc.net.au/news/2022-06-28/after-roe-v-wade-concerns-rise-for-period-tracker-information/101186384">suppriment non seulement leurs applications de suivi de fertilité et des règles</a>, mais désactivent aussi le suivi de la localisation sur leur téléphone, voire utilisent des <a href="https://www.washingtonpost.com/technology/2022/06/26/abortion-online-privacy/">« burner phones »</a> (téléphones prépayés, destinés à un usage unique et limité dans le temps).</p>
<p>Cependant, ces efforts individuels, très disparates, risquent d’être inefficaces ou peu pratiques à l’usage. Le système de surveillance numérique est trop vaste pour que nous puissions y échapper facilement et efficacement.</p>
<p>Des milliards de pages web contiennent des traceurs qui collectent des données personnelles détaillées. Plus de 6,5 milliards de téléphones dans le monde peuvent être facilement transformés en outils de surveillance sophistiqués. Il est aussi de plus en plus difficile d’éviter le regard des caméras dont les images peuvent être <a href="https://www.nytimes.com/2020/01/18/technology/clearview-privacy-facial-recognition.html">stockées dans des bases de données</a> et <a href="https://theconversation.com/la-reconnaissance-faciale-du-deverrouillage-de-telephone-a-la-surveillance-de-masse-184484">analysées par des algorithmes spécialisés</a>.</p>
<p>Pire encore, ces données sont collectées, stockées et échangées selon des modalités que nous ne comprenons pas bien, avec des règles et réglementations minimales.</p>
<p>Les défenseurs de la vie privée et les chercheurs nous mettent en garde depuis des années contre le potentiel destructeur de cet appareil de surveillance numérique.</p>
<p>Les critiques ont souvent noté que ce système pouvait soutenir et enhardir des régimes totalitaires, <a href="https://theconversation.com/le-pour-et-le-contre-faut-il-sinspirer-du-systeme-de-credit-social-chinois-176171">comme celui de la Chine</a>. La surveillance dans les pays occidentaux, comme les États-Unis, a été considérée comme moins problématique parce qu’elle était axée sur le commerce.</p>
<p>L’annulation de l’arrêt Roe v. Wade est toutefois un moment décisif en raison de son importance pour les droits reproductifs des femmes. Il peut également contribuer à définir l’époque d’une autre manière : le système de surveillance numérique existant, utilisé jusqu'ici de manière routinière (et en partie volontaire), pourrait désormais être perçu comme un outil utilisé pour criminaliser des citoyens.</p>
<h2>Il n’est pas trop tard</h2>
<p>Une grande partie de la législation existante est en décalage avec les technologies actuelles et doit être réformée, aux États-Unis mais pas seulement. <a href="https://www.oaic.gov.au/engage-with-us/submissions/reform-of-australias-electronic-surveillance-framework">L’Australie aussi se pose des questions</a> (<em>l’<a href="https://www.cnil.fr/fr/rgpd-de-quoi-parle-t-on">Europe, avec le RGPD</a>, et la <a>France également</a>, ndlr</em>).</p>
<p>À quoi ressembleraient de nouvelles règles ? Pour freiner la surveillance numérique, elles devraient :</p>
<ul>
<li><p>Limiter strictement la collecte, le stockage, le partage et le croisement des données numériques,</p></li>
<li><p>Réglementer étroitement l’utilisation des technologies de reconnaissance faciale,</p></li>
<li><p>Exiger des plates-formes numériques, des sites web et des applications mobiles qu’ils offrent aux utilisateurs des options de non-traçage simples et réelles,</p></li>
<li><p>Exiger des entreprises qu’elles proposent un véritable cryptage de bout en bout pour protéger les données des utilisateurs.</p></li>
</ul>
<p>Nous sommes à l’aube d’une ère où la surveillance numérique est utilisée à grande échelle contre des citoyens ordinaires. D’énormes changements sont nécessaires, non seulement pour protéger le choix reproductif des femmes, mais aussi pour protéger la vie privée et la liberté de chacun contre une surveillance indue.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/191046/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Uri Gal ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’annulation de l’arrêt Roe v. Wade a signé la fin de la protection du droit à l’avortement aux États-Unis. Quels risques pour les femmes, à l’heure d’Internet et des données de santé en ligne ?Uri Gal, Professor in Business Information Systems, University of SydneyLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1901152022-09-23T09:44:30Z2022-09-23T09:44:30ZFiabilité, sécurité, éthique : quels risques derrière les failles des applications de suivi menstruel<p>Depuis une dizaine d’années, les entreprises qui développent des solutions technologiques dédiées à la santé des femmes sont en plein essor. Le marché de la <a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-02535020/document">« FemTech » (<em>female technology</em>)</a> devrait ainsi atteindre une valeur de 50 milliards de dollars d’ici 2025. Un secteur phare est celui des <a href="https://femtech.hypotheses.org/53">applications (apps) qui permettent de suivre les cycles menstruels</a> et de contrôler la période de fertilité dans un but de contraception ou de conception. Plusieurs centaines de millions de femmes dans le monde en seraient des utilisatrices régulières.</p>
<p>Selon les apps, différentes fonctionnalités sont proposées. Les versions gratuites recueillent les données de suivi du cycle menstruel : dates des règles, température, aspect de sa glaire cervicale, symptômes liés au cycle, douleurs. Sont également proposées des options « premium » payantes (30-50€ par an) pour affiner les prédictions et conseiller les usagères. Des informations intimes sont alors recueillies : humeurs, libido et rapports sexuels, utilisation ou non de préservatifs, état de santé, sommeil, poids, alimentation…</p>
<p>Toutes ces applications font appel à des services tiers (généralement des entreprises privées américaines type Google, Amazon…) pour stocker leurs données.</p>
<h2>Un succès qui suit la désaffection pour la pilule</h2>
<p>Le recours aux technologies numériques pour le contrôle des règles et de la fertilité s’inscrit dans un contexte global de <a href="https://www.cairn.info/revue-population-et-societes-2014-5-page-1.htm">changement des pratiques contraceptives observé aux États-Unis et en Europe depuis plus de 10 ans</a>. Plusieurs événements marquants ont contribué à engendrer un climat de défiance vis-à-vis des produits de l’industrie pharmaceutique.</p>
<p>Les années 1990-2000 ont vu la révélation de scandales sanitaires liés aux effets secondaires de divers médicaments (<a href="https://theconversation.com/surete-des-medicaments-les-consequences-durables-du-scandale-du-diethylstilbestrol-174497">Distilbène</a>, Mediator, Valproate…). Dans cette même période, des études épidémiologiques ont signalé des risques plus élevés de thrombose veineuse suite à la commercialisation des pilules contraceptives de troisième et quatrième générations. En France, le recours à la contraception hormonale a depuis diminué chez les femmes de tous les groupes sociaux.</p>
<p>Le <a href="https://www.medecinesciences.org/en/articles/medsci/full_html/2021/06/msc200546/msc200546.html">rejet de la pilule</a> s’inscrit également dans un contexte de sensibilisation croissante à l’écologie « globale », où respect du fonctionnement naturel du corps et préservation de l’environnement face au risque de pollution de l’eau par les hormones sont pris en compte.</p>
<p>D’autres <a href="https://linc.cnil.fr/fr/la-medecine-connectee-nos-culottes">raisons de réticences</a> à la contraception médicamenteuse peuvent s’expliquer par à une remise en cause de la médecine « classique », des expériences de violences gynécologiques, des <a href="https://ojs.uclouvain.be/index.php/emulations/article/view/maudetthome">convictions religieuses</a>, etc.</p>
<p>C’est dans ce contexte d’une demande de méthodes de contraception non médicales que s’est <a href="https://estsjournal.org/index.php/ests/article/view/655">développé le marché des apps de suivi menstruel</a>, qui proposent des méthodes naturelles de contraception. De plus, le recours aux technologies numériques pour contrôler son cycle et sa fertilité est perçu par nombre de jeunes femmes comme une garantie de fiabilité, avec l’avantage d’une commodité d’utilisation et d’un coût minimal.</p>
<p>Les services personnalisés des apps sont également présentés par leurs concepteurs comme un vecteur d’autonomisation des femmes : un « journal intime », confié à une intelligence artificielle, qui les libère des consultations médicales.</p>
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<h2>La fiabilité : des promesses à la réalité</h2>
<p>Des <a href="https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fpubh.2018.00098/full">recherches récentes</a> ont <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1472648320305095">scruté les méthodologies</a> proposées par les <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/32253280/">apps de suivi menstruel</a>. Il s’avère que la majorité d’entre elles (54,4 %) utilisent le calendrier des règles pour <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1472648320305095">prédire période de fertilité et date d’ovulation</a>. Ce constat est alarmant car cette méthode, basée sur la date d’ovulation 14 jours après le début des règles, est <a href="https://www.nature.com/articles/s41746-019-0152-7">largement reconnue comme non fiable</a>.</p>
<p>Même les femmes avec des cycles très réguliers ont des jours d’ovulation variables. Des variations de durée de cycles de sept jours et plus concernent la moitié de la population féminine, ce qui <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/29749274/#:%7E:text=Conclusions%3A%20Ovulation%20day%20varies%20considerably,predict%20the%20day%20of%20ovulation.">ôte toute capacité de prédiction à ces apps</a>.</p>
<p>Les seules données fiables sont physiologiques : prise quotidienne de température (+ 0,2 à 0,4 °C à l’ovulation), changement de consistance de la glaire cervicale à l’approche de l’ovulation, concentration urinaire de LH (hormone lutéinisante) qui augmente 24-36h avant l’ovulation. Or si certains de ces paramètres sont enregistrés dans 28,6 % des apps, ils ne sont pas systématiquement inclus dans les algorithmes de prédiction…</p>
<p>Ces biais méthodologiques se traduisent par des défauts de fiabilité. D’après des études comparatives menées sur une centaine d’apps, <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/34629005/">seules 9 à 19 % ont fait des prédictions correctes sur la période de fertilité</a>. Pour un même profil de cycle, les dates d’ovulation prédites variaient, selon les méthodes de calcul, de 2-9 jours pour 67 % des apps testées.</p>
<p>Ce manque de fiabilité, tant à des fins de contraception que de conception, s’explique en partie par la réalité de leur usage. Dans un cadre d’utilisation « parfaite », l’efficacité théorique est bonne… Mais suivre à la lettre les consignes est une tâche pesante : noter ses dates de règles, cycle après cycle, et prendre sa température chaque jour demande une discipline stricte, la glaire cervicale peut être mal interprétée, etc. Ainsi, même les meilleurs algorithmes de prédiction sont <a href="https://www.kff.org/womens-health-policy/fact-sheet/natural-family-planning-as-a-means-of-preventing-pregnancy/">faillibles quand ils sont alimentés par des données incomplètes ou erronées</a>.</p>
<p>Il ressort donc que la majorité de ces apps n’utilisent pas de méthode de calcul adéquate et n’apportent pas d’informations suffisamment solides sur les dates d’ovulation et de fertilité à leurs usagères.</p>
<h2>Des failles préoccupantes dans la protection des données personnelles</h2>
<p>Plusieurs ONG internationales engagées dans la <a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2017/08/24/que-deviennent-les-donnees-des-applications-pour-le-suivi-des-menstruations_5176119_4408996.html">protection de la vie privée sur Internet</a> (<a href="https://www.eff.org/fr/node/96638">Electronic Frontier Foundation</a>, <a href="https://www.privacyinternational.org/long-read/3196/no-bodys-business-mine-how-menstruation-apps-are-sharing-your-data">Privacy International</a>, Coding Rights, <a href="https://www.consumerreports.org/health-privacy/what-your-period-tracker-app-knows-about-you-a8701683935/">Consumer Report CR’s Digital Lab</a>) ont scruté les politiques de sécurité des apps les plus populaires : informations sur le partage des données, procédures d’identification, contrôle des informations personnelles par les usagères, méthodologies pour sécuriser les données. Les résultats des enquêtes concordent pour montrer des failles dans les procédures de protection des données personnelles.</p>
<p>La majorité des apps <a href="https://www.nytimes.com/2021/01/28/us/period-apps-health-technology-women-privacy.html">partagent en effet leurs données avec de « tierces parties »</a> (sociétés partenaires extérieures telles Google, Amazon, Facebook, etc.), le plus souvent <a href="https://www.eff.org/fr/node/96638">à l’insu des usagères</a>.</p>
<p>L’autorisation de collecte des données, qui figure dans la notice des conditions générales d’utilisation des apps, est fréquemment acceptée sans être lue. Or, concrètement, les « tierces parties » peuvent identifier votre smartphone et vos applications pour vous envoyer des messages personnalisés.</p>
<p>De plus, même si vos données sont anonymisées, elles peuvent être recoupées avec d’autres informations (géolocalisation, contacts sur Internet, cartes de fidélité, etc.) pour vous tracer. Des sociétés spécialisées, dénommées <a href="https://www.wedig.fr/blog/data-fidelisation/qui-sont-les-data-brokers-ces-nouveaux-courtiers-de-donnees">« data brokers », compilent ces informations individuelles pour en dresser le profil détaillé qu’elles vendront ensuite à des entreprises</a> afin qu’elles ciblent au mieux leurs clients (publicitaires, assurances, etc.).</p>
<p>Aux États-Unis, les <a href="https://www.consumerreports.org/privacy/popular-apps-share-intimate-details-about-you-a1849218122/">apps de suivi menstruel ne sont pas soumises à la loi fédérale</a> sur l’assurance maladie (<em>Health Insurance Portability and Accountability Act</em>, HIPAA) qui réglemente les conditions de partage des informations privées sur la santé. En 2021, le Sénat a renforcé la loi exigeant que les apps de santé permettent aux consommateur(trice)s de vérifier, modifier ou supprimer leurs données de santé collectées par les entreprises (<em>the Protecting Personal Health Data Act</em>). Ces mesures étaient déjà en vigueur dans l’État de Californie depuis janvier 2020.</p>
<p>Dans l’Union européenne, le Règlement général sur la protection des données (RGPD) protège les citoyen·ne·s de la collecte et de l’exploitation de leurs données personnelles par des tiers, publics et privés : un consentement explicite de l’utilisateur est nécessaire pour l’utilisation de ses données. Le RGPD s’applique pour les entreprises conceptrices d’apps de suivi menstruel dont le siège social est basé en Europe.</p>
<p>Mais pour certaines apps au fonctionnement opaque, le lieu d’enregistrement n’est pas clairement défini… Le fait qu’elles soient disponibles dans les pays européens n’est pas donc le gage d’une sécurisation des données privées. Ainsi, en 2020, le Norwegian Consumer Council (groupe de défense de consommateurs) a scruté les algorithmes de deux apps de suivi menstruel très populaires et montré qu’elles <a href="https://fil.forbrukerradet.no/wp-content/uploads/2020/01/mnemonic-security-test-report-v1.0.pdf">partageaient des informations avec des dizaines de sociétés publicitaires, et ce en violation du RGPD</a>.</p>
<h2>Protéger la vie sexuelle des femmes</h2>
<p>La <a href="https://theconversation.com/donnees-de-sante-de-fertilite-de-localisation-les-craintes-post-roe-inedites-et-legitimes-des-americaines-191046">mise au jour de mauvaises pratiques des apps de suivi menstruel</a> appelle à une vigilance éthique pour éclairer le choix des millions d’utilisatrices.</p>
<p>D’une part, il convient que les concepteurs utilisent des méthodes fiables de prédiction, basées sur des connaissances scientifiques solides. Ce n’est pas le cas pour une majorité d’apps qui offrent le service minimum de la méthode du calendrier des règles aux failles avérées. On ne peut que déplorer l’absence de procédures de contrôle qualité dans ce domaine.</p>
<p>D’autre part, une information compréhensible par tout public sur leur fonctionnement est indispensable pour sensibiliser à la réalité souvent occultée du risque de voir les données de la vie sexuelle intime exploitées par des tiers à des fins commerciales – ou autres. L’enjeu économique que représente le marché du suivi menstruel laisse planer une menace, celle de privilégier les intérêts économiques au détriment de la vie intime des femmes.</p>
<p>Dans un futur souhaitable où la fiabilité des prédictions et la sécurité des données personnelles seraient garanties, les apps représentent un outil potentiel pour dispenser des informations précieuses sur la santé sexuelle et reproductive : sur les maladies sexuellement transmissibles, l’accès à l’IGV, à la PMA, prise en charge en cas de violences conjugales, etc.</p>
<p>Dans ce cadre, les professionnels de santé, le planning familial ou encore les associations de femmes auraient un rôle central à jouer pour guider les femmes dans leurs choix et leur venir en aide. Reste à espérer qu’à l’instar de l’<a href="https://fr.unesco.org/artificial-intelligence/ethics">émergence d’une conscience éthique de la part de certains acteurs de l’intelligence artificielle</a>, les concepteurs d’apps de suivi menstruel adoptent des pratiques vertueuses pour concilier leur quête de profit avec des objectifs de santé publique et de solidarité.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/190115/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Catherine Vidal ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’usage des applications de suivi menstruel pose d’importantes questions – éthiques, de fiabilité, de protection des données privées. Nombre de mauvaises pratiques ont été révélées récemment.Catherine Vidal, Neurobiologiste, membre du Comité d’éthique de l’Inserm, InsermLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1905952022-09-22T18:43:14Z2022-09-22T18:43:14ZEntre éthique et lois, qui peut gouverner les systèmes d’intelligence artificielle ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/484625/original/file-20220914-8999-6nr6ho.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C1280%2C854&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les applications de l'IA sont partout, et introduisent de nouveaux risques, jusqu'à la manipulation des comportements. Comment contrôler ses usages?</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://pixabay.com/fr/photos/intelligence-artificielle-robot-ia-2167835/">Pixabay</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>Nous avons tous commencé à réaliser que le développement si rapide de l’IA allait vraiment modifier le monde dans lequel nous vivons. L’IA n’est plus seulement une branche de la science informatique, elle s’est échappée des labos de recherche avec le développement des « systèmes d’IA », des « logiciels qui, pour des objectifs définis par l’homme, génèrent des contenus, des prédictions, des recommandations ou des décisions influençant les environnements avec lesquels ils interagissent » (<a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/ALL/?uri=CELEX:52021PC0206">définition de l’Union européenne</a>).</p>
<p>Les enjeux de la gouvernance de ces systèmes d’IA – avec toutes les nuances de l’éthique, du contrôle, de la régulation et de la réglementation – sont devenus cruciaux, car leur développement est aujourd’hui aux mains de quelques empires numériques comme les <a href="https://www.lebigdata.fr/gafam-tout-savoir">Gafa-Natu-Batx</a>… qui sont devenus les maîtres de véritables choix de société sur l’automatisation et sur la <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-03126059/">« rationalisation »</a> du monde.</p>
<p>Le tissu complexe croisant l’IA, l’éthique et le droit se construit alors dans des rapports de force – et de connivence – entre les états et les géants de la tech. Mais l’engagement de citoyens devient nécessaire, pour faire valoir d’autres impératifs qu’un <a href="https://theconversation.com/les-mots-de-la-science-s-comme-solutionnisme-170732">solutionnisme</a> technologique où « tout ce qui pourra être connecté sera connecté et rationalisé ».</p>
<h2>Une éthique de l’IA ? Les grands principes dans l’impasse</h2>
<p>Certes, les trois grands <a href="http://www.sietmanagement.fr/le-numerique-et-lethique-deontologique-devoir-moral-ethique-de-la-discussion/">principes éthiques</a> permettent de comprendre comment une véritable bioéthique a pu se construire depuis Hippocrate : la vertu personnelle de « prudence critique », ou la rationalité de règles qui doivent pouvoir être universelles, ou l’évaluation des conséquences de nos actes vis-à-vis du bonheur général.</p>
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<p>Pour les systèmes d’IA, ces grands principes ont aussi été la base de centaines de comités d’éthique : serment <a href="https://www.holbertonturingoath.org/accueil">Holberton-Turing</a>, <a href="https://www.declarationmontreal-iaresponsable.com/">déclaration de Montréal</a>, <a href="https://www.openglobalrights.org/new-human-rights-principles-on-artificial-intelligence/?lang=French">déclaration de Toronto</a>, Programme de l’<a href="https://unesdoc.unesco.org/ark:/48223/pf0000368711_fre">Unesco</a>… et même <a href="https://about.fb.com/news/2019/01/tum-institute-for-ethics-in-ai/">Facebook</a> ! Mais les chartes d’éthique de l’IA n’ont jamais encore débouché sur un mécanisme de sanction, ou même la moindre réprobation.</p>
<p>D’une part, la course aux innovations numériques est <a href="http://www.sietmanagement.fr/wp-content/uploads/2016/04/Techno-f%C3%A9odalisme.pdf">indispensable au capitalisme</a> pour surmonter les contradictions dans l’accumulation de profit et elle est indispensable aux états pour développer la <a href="https://www.greeneuropeanjournal.eu/la-gouvernementalite-algorithmique-et-la-mort-du-politique/">gouvernementalité algorithmique</a> et un <a href="https://www.forbes.fr/technologie/Covid-19-le-pretexte-dun-totalitarisme-numerique/">contrôle social inespéré</a>.</p>
<p>Mais d’autre part, les systèmes d’IA sont toujours à la fois un remède et un poison (un <a href="https://www.cairn.info/revue-psychotropes-2007-3-page-27.htm"><em>pharmakon</em></a> au sens de Bernard Stiegler) et ils créent donc continuellement des situations éthiques différentes qui ne relèvent pas de principes mais exigent une « pensée complexe » ; une dialogique au sens de Edgar Morin, comme le montre l’<a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/halshs-03368851">analyse des conflits éthiques autour de la plate-forme de données de santé Health data hub</a>.</p>
<h2>Un droit de l’IA ? Une construction entre régulation et réglementation</h2>
<p>Même si de grands principes éthiques ne seront jamais opérationnels, c’est de leur discussion critique que peut émerger un droit de l’IA. Le droit se heurte en effet ici à des obstacles particuliers, notamment <a href="https://theconversation.com/lia-pour-le-meilleur-sans-le-pire-107552">l’instabilité scientifique</a> de la définition de l’IA, l’aspect extraterritorial du numérique mais aussi la rapidité avec laquelle les plates-formes développent de <a href="https://www.affiches-parisiennes.com/le-droit-de-la-sante-a-l-heure-des-nouvelles-technologies-107439.html">nouveaux services</a>.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/kyWl69MR6io?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">L’Union européenne veut imposer ses règles aux Gafa. Source : France 24.</span></figcaption>
</figure>
<p>Dans un développement du droit de l’IA, on peut alors voir <a href="https://journals.openedition.org/ethiquepublique/6554">deux mouvements parallèles</a>. D’une part, une régulation par de simples directives ou recommandations pour une intégration juridique progressive de normes (de la technique vers le droit, telle la <a href="https://www.annales.org/enjeux-numeriques/2019/en-2019-12/2019-12-9.pdf">certification en cybersécurité</a>). D’autre part, une véritable réglementation par une législation contraignante (du droit positif vers la technique, tel le <a href="https://www.vie-publique.fr/eclairage/19588-rgpd-reglement-general-sur-la-protection-des-donnees-de-quoi-sagit-il">règlement RGPD</a> sur les données personnelles).</p>
<h2>Rapports de force… et connivences</h2>
<p>Les données personnelles sont souvent décrites comme un <a href="https://annales.org/ri/2022/ri-ao%C3%BBt-2022.pdf#page=19">nouvel or noir très convoité</a>, car les systèmes d’IA ont un besoin crucial de données massives pour alimenter l’apprentissage statistique.</p>
<p>En 2018, le RGPD est devenu une véritable régulation européenne de ces données qui <a href="https://theconversation.com/gafam-et-europe-regulations-et-tensions-vont-redessiner-le-digital-dans-tous-les-secteurs-157606">avait pu profiter de deux grands scandales</a>, le programme d’espionnage Prims de la NSA et celui des données Facebook détournées chez Cambridge Analytica. Le RGPD a même permis à l’avocat militant Max Schrems en 2020 de faire invalider <a href="https://noyb.eu/fr/lettre-ouverte-sur-lavenir-des-transferts-de-donnees-ue-usa">tous les transferts de données personnelles aux États-Unis</a> par la Cour de justice de l’Union européenne. Mais les rapports de connivence <a href="https://theconversation.com/je-taime-moi-non-plus-la-difficile-relation-entre-les-gafam-et-les-etats-152121">entre états et géants du numérique</a> restent nombreux : Joe Biden et Ursula von der Leyen n’ont de cesse de réorganiser ces transferts de données contestés par une <a href="https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/FS_22_2100">nouvelle régulation</a>.</p>
<p>Les monopoles Gafa-Natu-Batx orientent aujourd’hui le développement des systèmes d’IA : ils contrôlent les futurs possibles par les <a href="https://www.researchgate.net/profile/Bilel-Benbouzid/publication/328995393_Machines_a_predire/links/5c66911e92851c48a9d54346/Machines-a-predire.pdf">« machines prédictives »</a> et la manipulation de <a href="https://www.hbrfrance.fr/chroniques-experts/2017/02/14474-les-applis-nous-transforment-en-zombies/">l’attention</a>, ils imposent la complémentarité de <a href="https://theconversation.com/la-gratuite-casse-tete-du-regulateur-face-aux-gafam-123700">leurs services</a> et bientôt l’intégration de leurs systèmes dans <a href="https://theconversation.com/fr/topics/internet-des-objets-21322">l’Internet des objets</a>. Les états réagissent à cette concentration.</p>
<p>Aux États-Unis, un procès pour obliger Facebook <a href="https://www.lesnumeriques.com/pro/le-gendarme-americain-de-la-concurrence-gagne-le-droit-de-poursuivre-facebook-en-justice-n174355.html">à revendre Instagram et WhatsApp</a> va s’ouvrir en 2023, et une modification de la <a href="https://www.lesnumeriques.com/pro/washington-fait-un-pas-pour-reguler-les-gafam-dans-le-sillage-de-bruxelles-n179845.html">législation antitrust</a> va être votée.</p>
<hr>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/leurope-propose-des-regles-pour-lintelligence-artificielle-160808">L’Europe propose des règles pour l’intelligence artificielle</a>
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<hr>
<p>En Europe à partir de 2024, le règlement sur les marchés numériques, l’<a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/03/29/avec-le-digital-markets-act-une-serieuse-mise-au-pas-des-geants-du-net-en-europe_6119626_3232.html">acte DMA</a>, encadrera les acquisitions et interdira aux « grands contrôleurs d’accès » l’autoréférencement ou les offres groupées entre leurs différents services. Quant au règlement sur les services numériques, l’<a href="https://www.francetvinfo.fr/internet/reseaux-sociaux/twitter/desinformation-fraudes-messages-de-haine-quatre-questions-sur-la-legislation-europeenne-qui-vise-a-reguler-le-far-west-des-plateformes-en-ligne_5097682.html">acte DSA</a>, il obligera les « grandes plates-formes » à une transparence sur leurs algorithmes, à une gestion rapide des contenus illégaux et il interdira la publicité ciblée sur des caractéristiques sensibles.</p>
<p>Mais les connivences restent fortes, car chacun protège aussi « ses » géants en brandissant la menace chinoise. Ainsi sous les menaces de l’administration Trump, le gouvernement français <a href="https://theconversation.com/pourquoi-la-france-suspend-la-taxe-gafa-130553">avait suspendu le paiement de sa « taxe Gafa »</a> pourtant votée par le parlement en 2019 et les <a href="https://www.lesechos.fr/monde/enjeux-internationaux/impots-des-multinationales-un-accord-historique-conclu-a-locde-1353442">tractations fiscales</a> continuent dans le cadre de l’OCDE.</p>
<h2>Une réglementation européenne nouvelle et originale sur les risques spécifiques des systèmes d’IA</h2>
<p>Les progrès spectaculaires dans la reconnaissance de formes (aussi bien sur les images, que sur les textes, les voix ou les localisations) créent des systèmes de prédiction qui présentent des risques croissants sur la santé, la sécurité ou les droits fondamentaux : manipulations, discriminations, contrôle social, armes autonomes… Après le règlement chinois sur la transparence des algorithmes de recommandations en mars 2022, l’adoption de <a href="https://blogdroiteuropeen.files.wordpress.com/2022/05/wp-ia-act-final-.pdf">l’acte AIA</a>, règlement européen sur l’intelligence artificielle, sera une nouvelle étape en 2023.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/484341/original/file-20220913-4756-tncc1e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/484341/original/file-20220913-4756-tncc1e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/484341/original/file-20220913-4756-tncc1e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=335&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/484341/original/file-20220913-4756-tncc1e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=335&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/484341/original/file-20220913-4756-tncc1e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=335&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/484341/original/file-20220913-4756-tncc1e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=421&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/484341/original/file-20220913-4756-tncc1e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=421&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/484341/original/file-20220913-4756-tncc1e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=421&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Classification européenne des risques des systèmes d’IA.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Yves Meneceur, 2021</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Cette législation originale est basée sur le <a href="https://management-datascience.org/articles/18515/">degré de risque</a> des systèmes d’IA, dans une approche pyramidale semblable aux risques nucléaires : inacceptable, haut risque, faible risque, risque minimum. À chaque niveau de risque sont associés des interdits, des obligations ou des exigences, qui sont <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/ALL/?uri=CELEX:52021PC0206">précisées en annexes</a> et qui font encore l’objet de négociations entre le <a href="https://www.euractiv.fr/section/economie/news/loi-sur-lia-des-eurodeputes-presentent-un-nouveau-compromis-sur-les-obligations-pour-les-systemes-dia-a-haut-risque/">Parlement</a> et la <a href="https://www.senat.fr/europe/textes_europeens/e17013.pdf">Commission</a>. La conformité et les sanctions seront contrôlées par les autorités nationales compétentes et le Comité européen de l’intelligence artificielle.</p>
<h2>Un engagement de citoyens pour un droit de l’IA</h2>
<p>À ceux qui considèrent comme une utopie l’engagement de citoyens dans la construction d’un droit de l’IA, on peut d’abord rappeler la stratégie d’un mouvement comme <em>Amnesty International</em> : <a href="https://www.amnesty.org/fr/latest/press-release/2021/04/eu-legislation-to-ban-dangerous-ai-may-not-stop-law-enforcement-abuse/">faire avancer le droit international</a> (traités, conventions, règlements, tribunaux sur les droits humains) pour ensuite l’utiliser <a href="https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2022/03/elsalvador-pegasus-iachr/">dans des situations concrètes</a> comme celle du logiciel espion Pegasus ou de l’interdiction des armes autonomes.</p>
<p>Un autre exemple réussi est celui du mouvement <a href="https://noyb.eu/fr"><em>None of your Business</em></a> (ce n’est pas votre affaire) : <a href="https://www.cnil.fr/fr/invalidation-du-privacy-shield-les-suites-de-larret-de-la-cjue">faire avancer le droit européen</a> (RGPD, Cour de justice de l’Union européenne…) en déposant tous les ans des <a href="https://noyb.eu/fr">centaines de plaintes</a> contre les pratiques de violation de la vie privée par les entreprises du numérique.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-reconnaissance-faciale-du-deverrouillage-de-telephone-a-la-surveillance-de-masse-184484">La reconnaissance faciale, du déverrouillage de téléphone à la surveillance de masse</a>
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</em>
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<p>Tous ces collectifs de citoyens, qui s’emploient à construire et à se servir d’un droit de l’IA, ont des formes et des démarches très diverses. Depuis les associations européennes de <a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2022/07/01/donnees-personnelles-des-associations-europeennes-de-consommateurs-portent-plainte-contre-google_6132915_4408996.html">consommateurs</a> qui portent plainte ensemble contre la gestion des comptes Google, jusqu’aux <a href="https://reporterre.net/Exclusif-la-carte-des-sabotages-des-antennes-5G">saboteurs</a> d’antennes 5G qui refusent la numérisation totale du monde, en passant par les <a href="https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/opinion-google-city-de-toronto-les-raisons-dun-echec-1203831">habitants</a> de Toronto qui font échouer le grand projet de <em>smart city</em> Google ou les médecins <a href="https://interhop.org/">militants</a> du logiciel libre qui veulent protéger les données de santé…</p>
<p>Cette mise en avant de différents impératifs éthiques, à la fois opposés et complémentaires, correspond bien à la <a href="https://theconversation.com/reconsiderer-les-fusions-dentreprises-grace-a-la-pensee-dedgar-morin-173448">pensée complexe</a> de l’éthique proposée par Edgar Morin, en acceptant les résistances et les perturbations comme inhérentes au changement.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/190595/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Bernard Fallery ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’intelligence artificielle est partout, avec ses limites et ses défauts. Pour mieux comprendre l’approche européenne.Bernard Fallery, Professeur émérite en systèmes d'information, Université de MontpellierLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1865022022-09-12T22:46:27Z2022-09-12T22:46:27ZLa taxe mondiale sur les multinationales est-elle vraiment une opportunité pour l’Afrique ?<p>Avec l’essor mondial de géant comme Amazon, Facebook ou encore Netflix, les importations de services numériques ont considérablement augmenté en Afrique ces dernières années. Dans les États membres de l’Union africaine (UA), celles-ci sont ainsi passées d’un montant d’environ 19 milliards de dollars en 2007 à 37 milliards de dollars en 2017.</p>
<p><iframe id="rXnfz" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/rXnfz/2/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Cependant, les recettes fiscales prélevées sur leurs activités <a href="https://www.cfr.org/blog/when-services-trade-data-tells-you-more-about-tax-avoidance-about-actual-trade">restent faibles</a>. En effet, les entreprises numériques bénéficient de l’absence d’obligation directe de payer des impôts dans les pays où elles ne sont pas résidentes. Face à ce problème de déperdition fiscale, certains États mettent en œuvre des taxes directes sur les bénéfices de ces sociétés (dite taxe GAFA). En Afrique, le <a href="https://businessday.ng/bd-weekender/article/digital-taxation-an-infant-in-nigeria-a-giant-abroad-mobolaji-oriola/">Nigeria</a>, le <a href="https://theconversation.com/kenya-is-moving-aggressively-to-tax-digital-business-what-next-163901">Kenya</a> et le <a href="https://itweb.africa/content/kYbe97XDjgZ7AWpG">Zimbabwe</a> disposent désormais d’une législation qui impose directement les opérations numériques des multinationales non résidentes (entre 3 % et 6 %).</p>
<h2>1,3 milliard à récupérer</h2>
<p>Afin de proposer un cadre international harmonisé, le projet relatif à l’érosion de la base d’imposition et au transfert des bénéfices (BEPS), réalisé sous l’égide de Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et du G20, a permis d’approuver, en octobre 2021, un <a href="https://www.oecd.org/fr/fiscalite/beps/declaration-sur-une-solution-reposant-sur-deux-piliers-pour-resoudre-les-defis-fiscaux-souleves-par-la-numerisation-de-l-economie-octobre-2021.htm">cadre inclusif</a> reposant sur deux piliers pour relever les défis fiscaux soulevés par la numérisation de l’économie :</p>
<ul>
<li><p>Le premier pilier se concentre sur l’assiette d’imposition et a pour objectif la réaffectation des droits d’imposition vers la juridiction du marché concerné, indépendamment de la présence physique, et concerne de nombreuses entreprises du numérique (les industries extractives et services financiers réglementés sont exclus).</p></li>
<li><p>Le deuxième pilier se concentre quant à lui sur le taux d’imposition et la création de règles coordonnées répondant aux risques actuels provenant de montages financiers qui permettent aux multinationales de transférer des bénéfices vers des juridictions à faible imposition. Il propose ainsi l’adoption d’un taux d’imposition minimum de 15 % et aura peu d’impact sur les économies du continent qui ont déjà des <a href="https://data.worldbank.org/indicator/IC.TAX.PRFT.CP.ZS?locations=ZG">taux supérieurs</a> et peu de siège d’entreprises multinationales. Cependant, le <a href="https://worldinvestmentreport.unctad.org/world-investment-report-2022/chapter-3-the-impact-of-a-global-minimum-tax-on-f">rapport mondial sur l’investissement</a> note qu’en relavant le taux minimum à 15 % cela rendra relativement toutes les juridictions avec un taux supérieurs plus attractives.</p></li>
</ul>
<p>Sur les 25 pays africains membres du Cadre inclusif OCDE/G20 sur le BEPS, 23 sont signataires de la déclaration d’octobre 2021 approuvant cette solution à deux piliers (Kenya et Nigeria ne l’ont pas encore <a href="https://www.oecd.org/fr/presse/la-communaute-internationale-conclut-un-accord-fiscal-sans-precedent-adapte-a-l-ere-du-numerique.htm">signée</a>, ils devront abandonner leur taxe unilatérale s’ils participent).</p>
<p><iframe id="oNn8K" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/oNn8K/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>En s’appuyant sur la proposition du BEPS et en utilisant les données entreprises Orbis, il est possible de modéliser les scénarios du pilier 1 pour les services numériques. <a href="https://www.afd.fr/fr/ressources/taxe-sur-le-commerce-numerique-une-opportunite-pour-lafrique">Selon les estimations</a>, les recettes fiscales potentielles pour les 55 États membres de l’Union africaine (EMUA) sont de 1,3 milliard dollars américains par an, soit 0,05 % du PIB.</p>
<p>[<em>Plus de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd'hui</a>]</p>
<p>Comparativement, il s’agit d’un montant supérieur aux recettes qui seraient tirées d’une éventuelle taxe directe sur les services numériques fixée à 3 % des recettes brutes (800 millions de dollars). Il faudrait que celle-ci soit relevée à environ 5 % pour obtenir un montant proche.</p>
<p><iframe id="YNv3X" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/YNv3X/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Il convient de noter qu’actuellement, certaines importations de services numériques peuvent déjà être taxées de manière indirecte dans le cadre de <a href="https://www.oecd-ilibrary.org/sites/9789264271401-en/index.html?itemId=/content/publication/9789264271401-en">taxes à la consommation</a>. Dix-huit des EMUA ont ainsi proposé (ou mettent déjà en œuvre) une taxe indirecte sur les opérations numériques des multinationales (de 12 à 20 %).</p>
<p><iframe id="sWtuM" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/sWtuM/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<h2>Un pilier très large</h2>
<p>Cependant, si on appliquait les taux TVA et autres <a href="https://read.oecd-ilibrary.org/taxation/revenue-statistics-in-africa-2021_c511aa1e-en-fr#page1">taxes à la consommation existantes dans les 55 pays</a> au commerce de service numérique, en moyenne les recettes potentielles pour les EMUA auraient été de 0,22 % du PIB (en 2017) si les recettes étaient <a href="https://www.brookings.edu/research/mobilization-of-tax-revenues-in-africa/">effectivement collectées</a>. Les estimations indiquent que les revenus seraient donc nettement supérieurs ceux générés par une taxe directe proposée par le pilier 1 de la déclaration.</p>
<p><iframe id="N9MSI" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/N9MSI/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Si la mise en œuvre <a href="https://www.oecd-ilibrary.org/sites/9789264271401-en/index.html?itemId=/content/publication/9789264271401-en">complète et effective</a> de la collecte transfrontalière des taxes à la consommation existante sur les importations de service numérique pourrait théoriquement générer des recettes fiscales plus élevées que celles du pilier 1 du programme BEPS, il convient de noter que les propositions du premier pilier du BEPS vont au-delà des seules sociétés de services numériques et généreront probablement des revenus substantiels. En effet, ce piler 1 intègre en plus de ses sociétés numériques toutes les EMN dès lors qu’elles utilisent des canaux numériques de distribution. </p>
<p>Comment expliquer cet écart ? Le pilier 1 stipule qu’afin d’être éligibles à ce droit de taxation, les pays doivent recevoir au moins 1 million d’euros de recettes par multinationale concernée, ce qui exclut <em>de facto</em> les économies africaines de ce modèle d’allocation des recettes fiscales, à l’exception des 12 plus grandes économies du continent en termes de PIB (Soudan, Côte d’Ivoire, Tanzanie, Ghana, Kenya, Éthiopie, Maroc, Angola, Algérie, Égypte, Afrique du Sud et Nigeria).</p>
<p>Ceci dit, le cadre inclusif prévoit une exception pour les économies dont le PIB est inférieur à 40 milliards d’euros, en leur attribuant un droit d’imposition à partir d’un seuil de 250 000 euros. </p>
<h2>Une centaine des 500 plus grandes entreprises concernées</h2>
<p>En dépit de cet élargissement du périmètre, l’OCDE estime que la réattribution des bénéfices au titre du pilier 1 s’appliquera à seulement une <a href="https://www.oecd-ilibrary.org/sites/ecdb6a47-en/index.html?itemId=/content/component/ecdb6a47-e">centaine de multinationales enviro</a>. Il s’agit certes des plus importantes mais la disposition prévoit d’étendre le champ d’application à d’autres EMN qu'au bout de sept ans. Cependant, cela représente la tout de même la <a href="https://worldinvestmentreport.unctad.org/world-investment-report-2022/chapter-3-the-impact-of-a-global-minimum-tax-on-fdi/">majorité des IDE</a> dans le monde. </p>
<p>Toutes les grandes sociétés de services numériques ont des marges bénéficiaires avant impôt comprises entre 13 % (Netflix) et 39 % (Facebook), et allant jusqu’à 70 % pour Amazon, ce qui impliquerait donc des bénéfices réaffectés au niveau mondial (25 % du bénéfice résiduel). Les montants imposables diffèrent toutefois considérablement, Netflix, Adobe et PayPal se situant au bas de l’échelle ; et Meta, Alphabet (anciennement Google), Amazon, Microsoft et Apple se positionnant en haut de cette échelle.</p>
<p><iframe id="5RxVy" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/5RxVy/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>La part qui est allouée aux économies africaines dans le cadre des nouvelles règles du pilier 1 semble <em>a priori</em> minime et il faudra attendre encore 7 ans avant une éventuelle extension du champ d’application de cette règle pour y inclure davantage de multinationales.</p>
<p>Il est donc primordial qu’un nombre plus important de pays du continent participe au cadre inclusif du BEPS, auquel 23 États ont jusqu’alors adhéré, les actions multilatérales étant plus propices à des résultats probants dans une économie mondialisée. D’autant que, les difficultés éprouvées par les pays du G20 lors de ces négociations montrent par analogie à quel point la capacité de négociation des EMUA seuls face aux géants du secteur serait réduite. En parallèle, les pays doivent travailler a mieux <a href="https://events.ataftax.org/index.php?page=documents&func=view&document_id=98&_ga=2.223340763.1748778267.1657606484-1483344514.1657606484">collecter</a> les <a href="https://www.oecd-ilibrary.org/sites/e0e2dd2d-en/index.html?itemId=/content/publication/e0e2dd2d-en">taxes indirectes sur les services numériques</a> afin de maximiser l’ensemble de revenus (directs et indirects) <a href="https://events.ataftax.org/index.php?page=documents&func=view&document_id=155&token=b60310bc53dbc2bda82aaebdceef3d85&thankyou">potentiels</a>.</p>
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<p><em>Nicolas Köhler-Suzuki, directeur d’International Trade Intelligence, et Rutendo Tavengerwei, conseillère en politique commerciale spécialisée dans l’Afrique ont participé à la rédaction de cet article, qui s’appuie sur l’<a href="https://www.afd.fr/fr/ressources/taxe-sur-le-commerce-numerique-une-opportunite-pour-lafrique">étude</a> publiée le 9 septembre par <a href="https://theconversation.com/institutions/agence-francaise-de-developpement-afd-2711">l’Agence française de développement</a> (AFD) dans la collection « Questions de développement »</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/186502/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Le cadre inclusif international proposé fin 2021 par l'OCDE et le G20 prévoit une récupération de recettes fiscales sur les services numériques moindres qu'une taxation indirecte locale.Julien Gourdon, Economiste, Agence française de développement (AFD)Jean-Baptiste Pétigny, Coordinateur, Facilité française d'Assistance Technique auprès de l'Union africaine, Expertise France, Agence française de développement (AFD)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1896032022-09-05T22:55:18Z2022-09-05T22:55:18ZLes GAFAM acquéreurs de start-up, prédateurs ou accélérateurs de l’innovation ?<p>Depuis 2001, Google/Alphabet a acquis <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/List_of_mergers_and_acquisitions_by_Alphabet">250 start-up</a>. Apple <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/List_of_mergers_and_acquisitions_by_Apple">123</a> depuis 1988. Facebook/Meta <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/List_of_mergers_and_acquisitions_by_Meta_Platforms">95</a> depuis 2005. Amazon <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/List_of_mergers_and_acquisitions_by_Amazon">113</a> depuis 1998. Microsoft <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/List_of_mergers_and_acquisitions_by_Microsoft">273</a> depuis 1987. Ces acquisitions par les <a href="https://theconversation.com/fr/topics/gafam-45037">GAFAM</a> constituent-elles une menace ou une opportunité pour l’innovation ? La réponse peut influencer le comportement du législateur.</p>
<p>En 2021, aux États-Unis, le président Joe Biden nomma <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2021/06/16/lina-khan-une-farouche-critique-des-gafa-nommee-a-la-tete-de-l-antitrust-americain_6084421_3234.html">Lina Khan à la direction de la <em>Federal Trade Commission</em></a> dont la mission est de protéger le consommateur en interdisant la création de position monopolistique par de grandes entreprises. Cette nomination constitua un choc pour l’industrie high-tech et plus particulièrement pour les GAFAM.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/gafam-comment-limiter-les-acquisitions-tueuses-de-start-up-175350">GAFAM : comment limiter les « acquisitions tueuses » de start-up ?</a>
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<p>En effet, cette professeure de droit à l’université Columbia s’est fait connaitre en 2017 par un <a href="https://www.yalelawjournal.org/pdf/e.710.Khan.805_zuvfyyeh.pdf">article</a> dans le <em>Yale Law Journal</em> dans lequel elle estime que les lois antitrust sont inadaptées pour réguler des <a href="https://theconversation.com/fr/topics/plates-formes-31157">plates-formes</a> comme Amazon ou Google. Elle affirme que l’acquisition de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/start-up-23076">start-up</a> par les GAFAM constitue une forme de prédation de l’innovation par ces entreprises qui souhaitent éviter l’émergence de concurrents et se constituer des positions monopolistiques. Du fait de la taille très modeste des start-up, ces acquisitions ne sont pas soumises aux fourches caudines de la FTC. Depuis sa nomination, Lina Khan mène une croisade juridique et médiatique contre les GAFAM pour les empêcher d’acquérir ces start-up au nom de l’intérêt général, de la lutte contre les monopoles et pour favoriser <a href="https://theconversation.com/fr/topics/innovation-21577">l’innovation</a>.</p>
<h2>Les start-up, initiateurs d’innovation</h2>
<p>Pourtant, l’histoire industrielle est pavée d’entreprises (DEC, IBM, Xerox, ATT, Kodak, Hewlett-Packard, Alcatel…) qui ont connu de grandes difficultés ou disparu malgré des investissements massifs en recherche et développement. La leçon du XX<sup>e</sup> siècle est que ces investissements en <a href="https://theconversation.com/fr/topics/randd-34548">R&D</a> permettent rarement aux grandes entreprises de générer des innovations radicales porteuses de croissance. L’innovation radicale reste souvent initiée par des start-up hors des frontières des grandes entreprises.</p>
<p>Comme nous l’avions montré dans un <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/03085140902786827">article</a> de recherche de 2009, dans le nouveau paradigme de l’<em>open innovation</em> qui émerge au XXI<sup>e</sup> siècle, les grandes entreprises participent aux écosystèmes d’innovation pour trouver des leviers de croissance en acquérant des start-up. Dans ce modèle de management de l’innovation, elles externalisent la recherche et l’exploration de l’innovation et se focalisent sur le développement et l’exploitation des innovations acquises. C’est dans ce paradigme qui faut replacer les <a href="https://ideas.repec.org/a/eee/eurman/v29y2011i3p181-192.html">stratégies d’acquisition et développement (A&D)</a> des grands groupes comme les GAFAM.</p>
<p>Ces acquisitions de start-up, loin de phagocyter l’innovation, contribuent à en financer la croissance pour en faire des « scale-up », le nom donné aux start-up qui réussissent. YouTube, créé en 2005, serait-elle devenue la plate-forme la plus populaire de visionnage de vidéos si elle n’avait pas été acquise en 2006 par Google et ainsi bénéficier des capacités financières, technologiques et commerciales de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/google-20719">Google</a> ? Est-ce qu’Android, créé en 2003, serait le système d’exploitation équipant aujourd’hui plus de <a href="https://www.ecranmobile.fr/La-part-de-marche-d-Android-recule-a-moins-de-70-des-smartphones_a70750.html">70 % des smartphones dans le monde</a> si la start-up n’avait pas été acquise par Google en 2005 ? La même interrogation se pose concernant WhatApp, Oculus et Instagram qui ont été acquises par <a href="https://theconversation.com/fr/topics/facebook-22128">Facebook</a>, LinkedIn acquise par Microsoft ou encore Audible et Zappos acquises par Amazon.</p>
<h2>Dynamique vertueuse dans l’écosystème de l’<em>Open Innovation</em></h2>
<p>Cette généralisation des stratégies d’A&D a modifié le comportement de plusieurs acteurs des écosystèmes d’<em>open innovation</em> et a initié une dynamique vertueuse. Entrepreneurs, étudiants et universités créent ou encouragent la création de start-up en sachant qu’elles pourront être acquises par une grande entreprise et ainsi rétribuer l’initiative entrepreneuriale.</p>
<p>Nous avions montré dans nos recherches que la perspective de vendre les start-up à de grands groupes constituait aussi une <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1111/j.1540-6520.2009.00356.x">incitation très forte pour les capital-risqueurs</a> à investir. Ces derniers sont les <a href="https://archives-rfg.revuesonline.com/article.jsp?articleId=12801">« transiteurs » indispensables de l’innovation</a> entre sa phase d’exploration menée par la start-up et celle d’exploitation réalisée par la grande entreprise. L’essentiel des sorties en capital des capital-risqueurs se fait dans le cadre de cession de leurs participations à de grands groupes ; l’introduction en bourse reste l’exception. En 2021, aux États-Unis, sur les 1538 sorties en capital réalisées par des capital-risqueurs, 1357 (soit 88,2 %) d’entre elles ont ainsi été le fruit d’une acquisition par une grande entreprise <a href="https://nvca.org/wp-content/uploads/2022/03/NVCA-2022-Yearbook-Final.pdf">contre 181 via une introduction en bourse</a>.</p>
<p>En amont de l’innovation, les grandes entreprises telles que les GAFAM participent massivement au financement des start-up et de l’écosystème d’<em>open innovation</em> à travers leurs fonds <em>corporate</em> de capital-risque. Le Google Venture fund détient <a href="https://www.gv.com/about">plus de 8 milliards de dollars d’investissement</a> dans des start-up dont certaines ont ou seront rachetées par la maison-mère. En 2021, aux États-Unis, les fonds de capital-risque des grandes entreprises ont contribué pour 142,2 milliards de dollars aux 332,8 milliards d’investissements en capital-risque réalisés dans le pays, soit 42,7 %.</p>
<p>Il faut donc replacer les acquisitions de start-up par les GAFAM et autres grands groupes dans le fonctionnement global des écosystèmes d’<em>open innovation</em>. Ces acquisitions favorisent l’accélération et l’industrialisation de l’innovation en apportant financement, compétences technologiques et marketing. Ces acquisitions constituent également un formidable mécanisme d’incitation à contribuer à la création de start-up innovantes pour les autres acteurs de l’écosystème, que ce soit les entrepreneurs, les salariés, les chercheurs universitaires, les capital-risqueurs et tous les prestataires de services rémunérés en actions ou stock-options de start-up.</p>
<p>Empêcher les grandes entreprises d’acquérir des start-up constituerait donc une remise en cause du fonctionnement de l’écosystème de l’<em>open innovation</em> et entrainerait le retrait d’acteurs critiques au cycle de vie de l’innovation. L’intérêt économique d’un groupe qui acquiert une start-up est de la développer pour nourrir sa croissance et rentabiliser son investissement. Quand Facebook a, en 2012, acquis la start-up Instagram (créée en 2010 <a href="https://www.latribune.fr/technos-medias/internet/20120409trib000692620/facebook-rachete-instagram-pour-1-milliard-de-dollars.html">) pour un milliard de dollars</a>, elle a ensuite massivement investi en ressources financières, technologiques et commerciales pour accroître le nombre d’utilisateurs de 30 millions en 2011 à <a href="https://mcetv.ouest-france.fr/decouvertes/mon-mag-lifestyle/instagram-compte-deux-milliards-dutilisateurs-mensuels-dans-le-monde-15122021/">plus de deux milliards fin 2021</a>.</p>
<p>Un grand groupe qui phagocyterait une innovation complémentaire et non concurrente d’une start-up acquise serait économiquement irrationnel. Les grands groupes ont plutôt tendance à affaiblir les start-up qui refusent d’être rachetées, notamment en copiant leurs fonctionnalités. <a href="https://www.sam-mag.com/default.aspx?ACT=5&content=79&id=53&mnu=1">Netscape refusa en 1994 d’être racheté par Microsoft</a> et finit par disparaitre face à la concurrence de Microsoft Explorer. En 2013, <a href="https://www.clubic.com/snapchat/actualite-595914-snapchat-facebook-rachat-1-milliard.html">Snapchat refusa une offre de rachat de la part de Facebook</a> et depuis ne cesse de voir son potentiel acquéreur l’affaiblir en la copiant.</p>
<h2>Quel rôle pour le régulateur ?</h2>
<p>Dès lors que l’on admet que ces acquisitions constituent un facteur d’accélération et non de prédation de l’innovation, il convient de s’interroger sur le rôle du législateur. Le danger est que lorsque l’innovation acquise arrive à maturité, elle acquiert une position monopolistique qui se fasse au détriment de nouvelles innovations.</p>
<p>Si Google Store était une entité indépendante, elle ne favoriserait pas les autres produits d’Alphabet. Il faut donc réguler les GAFAM quand leurs nouvelles activités sont arrivées à maturité. Le législateur pourrait imposer des scissions des innovations matures via des spin-off. Aujourd’hui, séparer YouTube de Google, Instagram de Facebook ou LinkedIn de Microsoft.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1171892685550096384"}"></div></p>
<p>D’autre part, en matière d’innovation, l’Europe doit s’inquiéter de la faiblesse de son industrie du capital-risque. Les montants investis restent faibles et de plus en plus de fonds de capital-risque américains investissent en Europe et concurrencent les fonds européens avec des capitaux bien plus importants.</p>
<p>Depuis 2016, Insight Partners a réalisé 84 investissements dans des start-up européennes, Accel 59, Tiger Global Management 51 et Index Ventures 46. Ces fonds constituent le cheval de Troie des grandes entreprises américaines qui parfois financent ces capital-risqueurs qui leur donnent accès à des informations privées sur ces start-up européennes mais surtout les rachètent à des valorisations supérieures à celles offertes par de grandes entreprises européennes.</p>
<p>En 2021, les capital-risqueurs américains ont participé à 2210 tours d’investissement en Europe pour un montant de 70,7 milliards d’euros. Le montant médian de la levée de capital par une start-up européenne est de <a href="https://pitchbook.com/news/articles/2022-us-vcs-europe-deals">38 millions d’euros quand un fond américain participe</a> au tour de financement contre seulement 6,3 millions d’euros quand il n’y a pas d’investisseur américain.</p>
<p>L’important pour la souveraineté européenne est donc de développer une puissante industrie du capital-risque bien connectée avec les grandes entreprises du continent pour favoriser le développement des start-up innovantes. On est encore loin du compte. En 2021, les sociétés de capital-risque européennes n’ont levé que <a href="https://www.investeurope.eu/research/activity-data/">18,2 milliards d’euros</a> dont 18 % par des fonds d’entreprise.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/189603/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Michel Ferrary ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les acquisitions des géants du numérique sont dans le collimateur du législateur américain qui estime qu’elles nuisent à l’innovation. Plusieurs exemples montrent cependant le contraire.Michel Ferrary, Professeur de Management à l'Université de Genève, Chercheur-affilié, SKEMA Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1818722022-04-26T19:46:27Z2022-04-26T19:46:27ZLa Chine est-elle (re)devenue la première puissance économique mondiale ?<p>La notion de « grande puissance » fait référence à des domaines comme la capacité à contribuer à l’ordre mondial ou le développement militaire. En matière économique, la notion de « puissance économique » est souvent mesurée <a href="https://www.oecd.org/fr/dev/asie-pacifique/etudesducentrededeveloppementleconomiemondialestatistiqueshistoriques.htm">par le produit intérieur brut</a> (PIB).</p>
<p>Ainsi, selon cet indicateur, l’Inde était en tête devant la Chine jusqu’aux années 1500. Puis la Chine a pris la première place jusqu’au milieu du XIX<sup>e</sup> siècle. Au moment de la révolution industrielle, l’Empire britannique a pris la première place avant de se faire doubler par les États-Unis juste avant la Première Guerre mondiale. Depuis un peu plus d’un siècle, les États-Unis sont ainsi considérés comme la première puissance économique mondiale.</p>
<p>Malgré tout, il y a eu des challengers. En 1956, le prix « Nobel d’économie », Maurice Allais indiquait qu’avec son rythme de production industrielle, l’Union soviétique allait rattraper les États-Unis vers 1970-1975. En effet, la croissance était de 4 à 10 % (comme aux États-Unis au XIX<sup>e</sup> siècle). Mais avec les chocs pétroliers et les crises économiques, cela ne fut pas le cas.</p>
<p>Dans les années 1980, le Japon était en train de rattraper les États-Unis. Son PIB augmentait de 5 % par an alors que celui des États-Unis de 1 %. À ce rythme, le Japon pouvait prendre la place de première puissance économique du monde. Finalement, cela n’est jamais arrivé avec la stagnation de l’économie japonaise.</p>
<p>Plus récemment, le décollage économique de la Chine a permis à ce pays de dépasser rapidement tous les autres sur de nombreux critères jusqu’à atteindre la seconde place. Aujourd’hui, selon les indicateurs, la Chine et les États-Unis rivalisent pour la place de leader. Mais la hiérarchie a-t-elle effectivement été aujourd’hui bousculée ?</p>
<h2>PIB, le grand rattrapage chinois</h2>
<p>Pour la Banque mondiale, les PIB totaux sont respectivement de 15 000 milliards et 21 000 milliards. La tendance montre quand même que les courbes pourraient se croiser d’ici trois ou quatre ans.</p>
<p><iframe id="AxQYv" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/AxQYv/2/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Et, si on utilise les PIB constants en parité de pouvoir d’achat, la Chine a déjà dépassé les États-Unis avec 23 000 milliards contre 20 000 milliards.</p>
<p><iframe id="RCvPs" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/RCvPs/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Le Fonds monétaire international (FMI), dans son World Economic Outlook, indique quant à lui des prévisions pour 2022 pour le PIB courant à <a href="https://www.imf.org/fr/Publications/WEO/Issues/2022/04/19/world-economic-outlook-april-2022">18 000 milliards de dollars en 2022 pour la Chine</a> contre 24 000 milliards pour les États-Unis.</p>
<p>On observe d’ailleurs que la Chine a fait un bond sur ces deux dernières décennies en matière commerciale. D’après l’Organisation mondiale du commerce à laquelle la Chine a adhéré en 2001, pour les exportations de marchandises, la part de la Chine est passée de <a href="https://www.wto.org/french/res_f/statis_f/wts2021_f/wts2021_f.pdf">5,9 % à 15,2 % entre 2003 et 2020</a>, alors que la part des États-Unis a reculé de 9,8 % à 8,4 %.</p>
<p>La Chine est donc désormais, et de loin, le premier exportateur mondial de marchandises. En valeur, cela représente 2600 milliards de dollars pour l’empire du Milieu, contre 1400 milliards de dollars pour les États-Unis.</p>
<p><iframe id="P6zeJ" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/P6zeJ/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>L’« usine du monde » est d’ailleurs aujourd’hui le premier fournisseur de plus de 60 pays, dont une vingtaine en Afrique.</p>
<h2>Le pari de la R&D</h2>
<p>Au-delà de l’indicateur que constitue le PIB, on observe également que la Chine rivalise désormais avec les États-Unis en matière d’innovation. La Chine est ainsi devenue le premier déposant mondial de brevets en 2011 devant les États-Unis et le Japon. Longtemps considérée comme une nation douée pour la copie, la Chine a donc depuis plusieurs décennies misé sur l’innovation et la R&D (même si le nombre de brevets n’est pas le seul indicateur, car il faut examiner l’exploitation de ces brevets les redevances qu’ils génèrent).</p>
<p>Selon l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle, l’écart est même en train de se creuser : la Chine dépose plus de <a href="https://www.wipo.int/edocs/pubdocs/en/wipo_pub_941_2020.pdf">deux fois plus de brevets que les États-Unis</a> et représente à elle seule 43 % de dépôts dans le monde.</p>
<p><iframe id="71yUK" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/71yUK/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p><iframe id="60EFO" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/60EFO/2/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>En matière de R&D, les investissements chinois sont considérables et ont aussi fortement augmenté. Selon l’Organisation de coopération et de développement (OCDE), la Chine est passée de dépenses représentant <a href="https://data.oecd.org/rd/gross-domestic-spending-on-r-d.htm">0,9 % du PIB en 2000 à 2,4 % en 2020</a>. Sur la même période, la France est passée de 2,1 % à 2,3 %, et les États-Unis de 2,6 % à 3,4 %. En volume, la Chine est passée de 38 milliards de dollars en 2000 à 563 milliards en 2020. Elle reste encore derrière les États-Unis (664 milliards) à la seconde place. En outre, la Chine a dépassé les États-Unis en <a href="http://data.uis.unesco.org/?lang=fr&SubSessionId=b44f1ff6-4835-4b53-9c63-e2bc42a887f5&themetreeid=-200">nombre de chercheurs</a> (2 millions contre 1,4 million).</p>
<p>Quant la comparaison entre les tissus d’entreprises, les États-Unis restent encore devant la Chine, avec une capitalisation boursière près de <a href="https://www.visualcapitalist.com/the-biggest-companies-in-the-world-in-2021/">quatre fois supérieure</a> grâce aux groupes comme Apple, Microsoft, Amazon, Facebook… Mais l’écart se resserre avec la montée de Tencent, Alibaba…</p>
<p>Côté chinois, les géants du numérique sont plus récents mais en forte croissance : Alibaba a un chiffre d’affaires de 72 milliards de dollars (contre 296 pour Amazon), Tencent a 1,2 milliard d’utilisateurs, Baidu comptabilise environ 80 % des requêtes en Chine, Xiaomi a 13,5 % des parts de marché (devant Apple et derrière Samsung). En termes de capitalisation boursière, les BATX (Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi), représentent <a href="https://hubinstitute.com/2018/transformation/infographie-Baidu-Alibaba-Tencent-Xiaomi-capitalisation-gafa">trois fois moins que les GAFA</a> (Google, Apple, Facebook et Amazon) mais avec des taux de croissance supérieurs en termes de chiffres d’affaires.</p>
<p><iframe id="N28cO" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/N28cO/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>La montée en puissance économique de la Chine se traduit également par son rôle de plus en plus important sur le marché mondial des matières premières. Pour le fer et l’acier, d’après l’OMC, la Chine est ainsi aujourd’hui le premier exportateur mondial avec <a href="https://www.wto.org/french/res_f/statis_f/wts2021_f/wts2021_f.pdf">13 % du marché, loin devant les États-Unis à 4 %</a>. Par ailleurs, la Chine est le pays qui extrait le plus d’or (devant l’Australie, la Russie et les États-Unis), et produit le plus d’aluminium (devant la Russie, le Canada et l’Inde).</p>
<p>Cependant, pour le pétrole et les autres combustibles, les États-Unis restent le premier exportateur mondial avec 8,6 % du marché, loin devant la Chine à 2,6 %. Et ce secteur crucial reste problématique pour la Chine, qui représente 21 % des importations mondiales. Ceci étant, si ces importations permettent des exportations de produits finis plus importants, cela reste bénéfique à la Chine.</p>
<p>À l’avenir, la Chine peut aussi prendre une position dominante dans d’autres domaines. L’empire du Milieu investit par exemple massivement dans l’électrique : une <a href="https://www.lesechos.fr/industrie-services/automobile/en-chine-la-voiture-electrique-fait-une-impressionnante-percee-1370888">voiture vendue sur cinq est aujourd’hui à moteur électrique</a> et certaines villes remplacent tous leurs bus par des bus électriques. Dans ce secteur, la Chine investit partout dans le monde à travers l’entreprise State Grid Corp. of China (SGCC), qui est aujourd’hui le plus grand gestionnaire de réseau et de distribution d’électricité dans le monde.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/181872/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Stéphane Aymard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’empire du Milieu pourrait dépasser les États-Unis en termes de PIB d’ici 3 ou 4 ans mais les détrône déjà dans l’innovation ou les matières premières hors énergie.Stéphane Aymard, Ingénieur de Recherche, La Rochelle UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1799662022-04-11T21:07:29Z2022-04-11T21:07:29ZSmartphones : pourquoi vos enfants ont tant de mal à se déconnecter<p>Avant même la pandémie, près des <a href="https://www.pewresearch.org/internet/2020/07/28/parenting-approaches-and-concerns-related-to-digital-devices/">trois quarts des parents</a> s’inquiétaient de l’usage que font <a href="https://doi.org/10.1016/j.chb.2020.106618">leurs enfants de leurs téléphones mobiles</a> et des effets néfastes de ces appareils sur eux et sur leurs relations familiales. Mais si les enfants ne parviennent pas à lâcher ces appareils, ce n’est ni vraiment leur faute ni celle de leurs parents. Chaque fois qu’un parent tente de persuader son enfant d’arrêter un jeu en ligne ou de mettre de côté son appareil, ce n’est pas tant à lui qu’il s’affronte qu’à l’invisible armée de <a href="https://psmag.com/environment/captology-fogg-invisible-manipulative-power-persuasive-technology-81301">spécialistes du comportement</a> qui rendent les nouvelles technologies si addictives.</p>
<p>Les créateurs d’applications et de jeux s’appuient sur les connaissances d’experts en <a href="https://www.humanetech.com/youth/persuasive-technology">design persuasif</a>, un champ d’études en psychologie dont l’objectif est de comprendre comment créer des technologies dont il est quasiment impossible de se passer.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-ecrans-atouts-ou-freins-du-dialogue-familial-132722">Les écrans, atouts ou freins du dialogue familial ?</a>
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<p>Mais la prudence est de mise quand on s’adresse aux enfants, comme le psychologue <a href="https://richardfreed.com/">Richard Freed</a> et moi-même l’expliquons dans <a href="https://connect.springerpub.com/content/sgrehpp/23/2/89">notre analyse</a> des questions éthiques soulevées par le design persuasif ciblant les enfants et les adolescents.</p>
<h2>Design persuasif</h2>
<p>Pour faire simple, on peut dire que, pour altérer nos comportements, le design persuasif allie <a href="https://www.sciencedirect.com/book/9781558606432/persuasive-technology">psychologie comportementale et technologie</a>. Il est possible d’en résumer les principes à <a href="https://behaviormodel.org">trois mécanismes clés</a> qui, combinés, peuvent pousser quelqu’un à modifier son comportement : créer une forte motivation, réclamer peu d’efforts et inciter fréquemment l’utilisateur à pratiquer l’activité concernée.</p>
<p>Ces principes peuvent être utilisés à des fins productives et utiles, par exemple encourager les gens à <a href="https://doi.org/10.3389/frai.2020.00007">marcher davantage</a> ou <a href="https://doi.org/10.3389/fnut.2021.661449">manger davantage de fruits et légumes</a>. Cependant, le design persuasif est couramment employé dans le but de leur faire <a href="https://arxiv.org/abs/2106.02604v2">passer davantage de temps</a> sur une application ou un jeu. Ils sont ainsi exposés à davantage de publicités et sont plus susceptibles de faire des achats proposés dans le jeu, ce qui assure des revenus supplémentaires au créateur de l’application.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/340315/original/file-20200608-176542-n430vs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C18%2C2448%2C1678&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/340315/original/file-20200608-176542-n430vs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=417&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/340315/original/file-20200608-176542-n430vs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=417&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/340315/original/file-20200608-176542-n430vs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=417&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/340315/original/file-20200608-176542-n430vs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=524&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/340315/original/file-20200608-176542-n430vs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=524&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/340315/original/file-20200608-176542-n430vs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=524&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">S’ils sont enclins à transgresser les règles, les adolescents sont aussi très influencés par les comportements numériques de leurs parents.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-vector/gadget-addiction-concept-flat-vector-illustration-1505734745">Shutterstock</a></span>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/adolescents-quelques-cles-pour-eviter-laddiction-au-smartphone-139928">Adolescents : quelques clés pour éviter l’addiction au smartphone</a>
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<p>Les adultes sont eux aussi influencés par le design persuasif. C’est pourquoi ils <a href="https://doi.org/10.1386/jdtv.9.1.69_1">passent des heures</a> à regarder des séries en streaming, parcourir le <a href="http://dx.doi.org/10.4018/978-1-4666-7373-1.ch010">fil d’actualité de leurs réseaux sociaux</a> et <a href="https://www.researchgate.net/publication/263561793_Persuasive_Game_Design_A_model_and_its_definitions">jouer aux jeux vidéo</a>.</p>
<p>Mais du fait de la plasticité de leur cerveau, les enfants sont <a href="https://dx.doi.org/10.1007/s40429-015-0079-2">particulièrement vulnérables</a> aux stratégies du design persuasif. L’extrême excitation des enfants lorsqu’ils reçoivent des autocollants ou des cadeaux – réels ou virtuels – s’explique par le fait que le striatum ventral, le centre du plaisir dans le cerveau, est <a href="https://doi.org/10.1177%2F0963721413480859">plus réactif à la dopamine</a>), la molécule de la satisfaction, <a href="https://doi.org/10.1038/nn.2558">chez les enfants</a> que chez les adultes.</p>
<p>Cette excitation pousse les enfants à répéter leur comportement pour éprouver à nouveau cette satisfaction, encore et encore. Dans un <a href="https://www.commonsensemedia.org/research/the-common-sense-census-media-use-by-tweens-and-teens-2019">sondage de 2019</a> sur le temps passé par les adolescents sur les écrans, trois types d’utilisateurs intensifs ont émergé, tous influencés par le design persuasif : les <a href="https://www.elsevier.com/books/persuasive-technology/fogg/978-1-55860-643-2">utilisateurs des réseaux sociaux</a>, les <a href="https://www.gamedeveloper.com/design/behavioral-game-design">amateurs de jeux vidéo</a> et ceux qui <a href="https://medium.com/the-data-nudge/how-netflix-uses-data-to-keep-you-binge-watching-personalize-your-viewing-experience-894c99a1e2b4">regardent des contenus en streaming</a>.</p>
<h2>Signaux sociaux d’acceptation</h2>
<p>Les réseaux sociaux comme Instagram, Facebook, TikTok et Snapchat sont <a href="https://www.pewresearch.org/internet/2020/07/28/parenting-approaches-and-concerns-related-to-digital-devices/">conçus pour maximiser</a> les résultats du design persuasif. En proposant des boutons « j’aime » et des émoticônes en forme de cœur, ces sites permettent de recevoir des signaux sociaux d’acceptation et d’approbation, ce qui <a href="https://www.pewresearch.org/internet/2018/11/28/teens-and-their-experiences-on-social-media/">motive énormément les adolescents</a>. Faire défiler les pages de ces sites requiert un effort minimal. Enfin, les applications sollicitent régulièrement l’attention des utilisateurs en <a href="https://doi.apa.org/doi/10.1037/xhp0000100">les bombardant de notifications</a> et d’invitations.</p>
<p>Snapchat, par exemple, encourage ses utilisateurs à envoyer des « snaps » au moins une fois toutes les 24 heures pour <a href="https://support.snapchat.com/en-US/i-need-help?start=5695496404336640">rester en mode Snapstreak</a> (« Ça chauffe »). Par <a href="https://doi.org/10.1016/j.chb.2016.05.083">peur</a> de manquer les réactions ou les mises à jour de leurs amis, les adolescents se connectent de <a href="http://dx.doi.org/10.12998/wjcc.v9.i19.4881">plus en plus fréquemment</a>) aux réseaux sociaux.</p>
<p>En ce qui concerne les jeux vidéo, Fortnite fait savoir aux joueurs qu’ils sont sur le point de battre un adversaire. Cela active un phénomène cognitif appelé <a href="https://psycnet.apa.org/doi/10.1111/j.1360-0443.2010.03050.x">« near miss »</a> (« raté de peu »), qui les incite à poursuivre la partie, car ils étaient si proches de la victoire qu’ils ont des chances de l’emporter la fois suivante. Ce n’est qu’un exemple parmi d’autres des manières dont le design persuasif est passé du système des <a href="https://doi.org/10.3389/fpsyg.2012.00621">jeux d’argent pour adultes</a> aux <a href="https://doi.org/10.1111/dmcn.13754">jeux vidéo numériques</a> ciblant les enfants et les ados.</p>
<h2>Questions d’éthique</h2>
<p>En tant que chercheuse en psychologie, je m’inquiète de voir que des <a href="https://www.microsoft.com/en-us/research/group/xbox-research/people/">psychologues aident les concepteurs de technologies</a> à mettre en application des principes psychologiques qui poussent les enfants et les adolescents à passer davantage de temps sur une application, un jeu ou un site Internet.</p>
<p>En parallèle, d’autres psychologues font des recherches sur les dangers liés à ces activités, y compris <a href="https://doi.org/10.1177/2167702617723376">l’anxiété</a>, la <a href="https://doi.org/10.1136/bmjopen-2018-023191">dépression</a>, les <a href="https://doi.org/10.1001/jama.2018.8931">troubles de l’attention</a> et <a href="https://doi.org/10.1542/peds.2016-1758k">l’obésité</a>. D’autres encore ont ouvert des centres de thérapie pour <a href="https://www.netaddictionrecovery.com/video-game-addiction-treatment/">soigner les addictions aux jeux vidéo</a> et autres troubles mentaux associés à un usage excessif et problématique des nouvelles technologies, comme <a href="https://virtual-addiction.com">l’anxiété et la dépression</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-amities-des-adolescents-sont-elles-hackees-par-les-reseaux-sociaux-127882">Les amitiés des adolescents sont-elles « hackées » par les réseaux sociaux ?</a>
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<p>De mon point de vue, les principes d’un champ de recherche ne doivent pas à la fois engendrer un problème et œuvrer à le résoudre. L’American Psychological Association, la plus grande association professionnelle de psychologues des États-Unis, a un <a href="https://www.apa.org/ethics/code">code d’éthique</a> qui interdit à ses membres de nuire ou d’accepter tout travail allant à l’encontre du bien-être des personnes, et leur rappelle d’être particulièrement vigilants dans leurs interactions avec les jeunes, qui n’ont pas encore atteint leur pleine maturité.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1232709212393951234"}"></div></p>
<p>J’estime donc que les psychologues ont l’obligation de protéger les enfants de l’influence de la technologie persuasive. Les chercheurs qui collaborent avec les concepteurs de réseaux sociaux et de jeux pensent peut-être qu’ils ne font qu’aider ces entreprises à créer des produits dynamiques et attrayants. Mais ils se voilent la face quant aux nombreux risques psychologiques qu’entraîne l’utilisation desdits produits.</p>
<p>Les parents et leurs enfants ont raison de s’inquiéter de la manière dont les jeux, les vidéos et les réseaux sociaux manipulent les jeunes esprits. Les psychologues pourraient faire l’effort de leur expliquer comment leur cerveau se développe, et comment le design persuasif exploite ce processus. Cela aiderait les familles à cesser de se disputer au sujet du temps passé sur les écrans et à prendre conscience que la plus grande menace ne vient pas des appareils électroniques en eux-mêmes, mais des entreprises qui conçoivent ces appareils et ces applications de manière à nous rendre dépendants.</p>
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<p><em>Traduit de l’anglais par Iris Le Guinio pour <a href="http://www.fastforword.fr">Fast ForWord</a></em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/179966/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Meghan Owenz ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Chaque fois qu’un parent tente de persuader son enfant de lâcher son smartphone, ce n’est pas tant à lui qu’il s’affronte qu’à l’invisible armée de concepteurs de ces technologies addictives.Meghan Owenz, Assistant Teaching Professor of Rehabilitation and Human Services, Penn StateLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1806122022-04-06T21:18:51Z2022-04-06T21:18:51ZLa fin des « cookies tiers » ne répond pas au besoin de contrôle des internautes sur leurs données<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/456082/original/file-20220404-13821-pq3hrr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=35%2C40%2C2914%2C1931&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Pour le moment, la plupart des solutions alternatives aux cookies privilégient l’objectif commercial aux dépens des attentes des internautes.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.piqsels.com/en/public-domain-photo-fkfnw/download">Piqsels</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Les révélations du <a href="https://www.wsj.com/articles/the-facebook-files-11631713039"><em>Wall Street Journal</em></a> contenues dans les <a href="https://www.latribune.fr/technos-medias/internet/facebook-files-le-scandale-le-plus-devastateur-de-l-histoire-de-facebook-893717.html">« Facebook Files »</a>, publiés en septembre dernier, ont une nouvelle fois montré que les utilisateurs s’exposaient à des risques liés à la divulgation des informations personnelles. Les réseaux sociaux ne sont pas les seuls en cause : les nombreux <em>data breach</em> (incidents de sécurité en termes de données confidentielles) rendus publics, illustrent régulièrement la <a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2022/03/18/assurance-maladie-des-donnees-personnelles-concernant-plus-de-500-000-francais-volees_6118149_4408996.html">vulnérabilité des individus</a> face à une navigation quotidienne sur les moteurs de recherche, sites de e-commerce et autres ayant recours à des « cookies tiers » , ces fichiers de données envoyés par un site web et stockés dans le navigateur web d’un utilisateur pendant que celui-ci navigue sur un site pour le suivre et optimiser le ciblage publicitaire.</p>
<p>Face à ces techniques répandues, les internautes restent aujourd’hui dans l’attente d’une plus grande transparence de la part des entreprises. Ainsi, en août 2019, <a href="https://www.blog.google/products/chrome/building-a-more-private-web/">Google a annoncé son intention de supprimer progressivement les cookies tiers</a> (<em>third party)</em> d’ici à 2023 (initialement prévu pour 2022) afin de mieux protéger la vie privée des utilisateurs. D’autres navigateurs avaient déjà entamé cette démarche : par exemple, Apple sur son navigateur <a href="https://www.blogdumoderateur.com/apple-bloque-cookies-tiers-safari/">Safari</a> (2017) ou bien <a href="https://blog.mozilla.org/press-fr/2019/09/03/firefox-bloque-desormais-par-defaut-les-cookies-tiers-de-pistage-et-les-mineurs-de-cryptomonnaies/">Mozilla</a> sur son navigateur Firefox (2019). L’annonce de Google a toutefois provoqué de très nombreuses réactions dans la sphère web car Chrome possède plus de <a href="https://gs.statcounter.com/browser-market-share">62 %des parts de marché</a> de la recherche en ligne.</p>
<h2>Deux logiques s’opposent</h2>
<p>De telles initiatives provenant d’acteurs majeurs montrent l’importance du sujet de la protection de la vie privée. Les cookies tiers étant voués à disparaître, diverses organisations tentent de s’emparer du sujet afin de proposer des alternatives permettant de « mieux faire de la publicité ». Toutefois, ces solutions protègent-elles réellement mieux les données personnelles des internautes ? Pas forcément, car la suppression des cookies tiers ne supprime pas complètement le traçage des individus sur le web ! Surtout, selon une <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/0767370120935734">étude</a> récente publiée dans la revue <em>Recherche et applications en marketing</em>, menée par l’une des auteures de cet article, les utilisateurs cherchent avant tout à retrouver du contrôle sur la divulgation et l’accès à leurs informations personnelles à des fins publicitaires.</p>
<p>Pour le moment, la plupart des solutions proposées sur le marché pour remplacer les cookies ont en effet un objectif commercial en ligne de mire… et bien moins de répondre aux véritables attentes des utilisateurs. Évidemment, les alternatives ne sont pas si faciles à mettre en place car deux logiques s’opposent : d’un côté, les utilisateurs et la protection de leur vie privée ; et de l’autre, les annonceurs et leur besoin croissant de cibler avec précision pour plus de performance. C’est pourquoi la <a href="https://www.cnil.fr/en/node/121694">CNIL a rappelé</a>, fin 2021, que « le développement de techniques alternatives aux cookies tiers ne peut se faire aux dépens du droit des personnes à la protection de leurs données personnelles et de leur vie privée ».</p>
<h2>Cohortes et empreintes numériques</h2>
<p>À ce jour, deux alternatives à l’utilisation des cookies tiers semblent plus pertinentes que les autres sur le marché :</p>
<ul>
<li><p>D’abord, le <a href="https://privacysandbox.com/">Privacy Sandbox</a>, tel que celui proposé par le navigateur Google Chrome, basé sur un algorithme d’apprentissage automatique non supervisé qui créé des cohortes d’individus. Autrement dit, les internautes ne sont plus ciblés individuellement car leurs comportements sont anonymes, agrégés. Ils sont intégrés à des cohortes d’individus qui ont les mêmes caractéristiques et centres d’intérêt. Il n’est alors pas possible pour un internaute d’être identifié parmi les autres internautes au sein de la même cohorte, mais les informations sont suffisantes pour réaliser un ciblage pertinent.</p></li>
<li><p>Une seconde alternative au <em>cookieless</em> est le <a href="https://amiunique.org/">« fingerprinting »</a> (ou empreinte numérique). Elle permet de récupérer un maximum d’informations techniques (navigateur, processeur, type d’écran, adresse IP, débit, etc.) concernant l’internaute. Grâce à ces informations, il est possible de créer un profil unique qui pourra être utilisé par les annonceurs. Le « fingerprinting » permet en quelques millisecondes d’identifier avec <a href="https://github.com/fingerprintjs/fingerprintjs">99,5 %</a> de précision un utilisateur, sans avoir à stocker d’informations. Pour le moment, le <a href="https://www.cnil.fr/fr/rgpd-de-quoi-parle-t-on">Règlement général sur la protection des données</a> européen (RGPD) ne l’interdit pas explicitement. Cette pratique est autorisée si un consentement est donné par l’utilisateur (ce qui n’est pas sans rappeler le consentement demandé pour les cookies) et si les résultats de l’algorithme ne sont pas stockés dans la machine de l’utilisateur.</p></li>
</ul>
<h2>« Privacy by design »</h2>
<p>Ainsi, ces nouvelles approches poursuivent le besoin de ciblage des individus, mais ne répondent pas aux attentes de contrôle des internautes concernant leur vie privée. N’allons-nous donc pas finalement revenir au ciblage contextuel, c’est-à-dire l’utilisation d’algorithmes sémantiques permettant d’associer une page à un mot clé, dans le déclenchement des publicités affichées ? Rien n’est moins sûr : en effet, la performance de ce ciblage contextuel est loin d’égaler les performances des cookies en termes d’hypersegmentation et de reciblage.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/456085/original/file-20220404-19-7hgj60.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/456085/original/file-20220404-19-7hgj60.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/456085/original/file-20220404-19-7hgj60.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/456085/original/file-20220404-19-7hgj60.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/456085/original/file-20220404-19-7hgj60.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/456085/original/file-20220404-19-7hgj60.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/456085/original/file-20220404-19-7hgj60.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">L’hypersegmentation reste la méthode la plus efficace en termes de ciblage publicitaire.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.piqsels.com/en/public-domain-photo-fkfdi/download">Piqsels</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>D’autres pistes sont donc à envisager concernant les alternatives aux cookies tiers. Par exemple, selon un article publié dans <a href="https://dl.acm.org/doi/10.1016/j.ijinfomgt.2019.102061">International Journal of Information Management</a>, l’« expérience algorithmique » (« algorithmic expérience » ou AX) vise à rendre les interactions utilisateurs-algorithmes plus explicites. Certains travaux académiques montrent ainsi qu’une expérience algorithmique optimale est possible si les utilisateurs connaissent le fonctionnement des algorithmes et les données qu’ils traquent.</p>
<p>Au-delà des besoins de performance des entreprises et autres annonceurs, cette piste constituerait ainsi un premier pas dans la diffusion du <em>privacy by design</em>, c’est-à-dire permettre aux individus d’exercer leurs droits en matière de protection de leurs données personnelles (retrouver du contrôle) grâce à la mise en place par les acteurs du web d’interfaces intuitives, claires et conviviales.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/180612/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Les alternatives aux méthodes de ciblage publicitaire actuelles ne renforcent pas la maîtrise de la divulgation des informations personnelles.Carlos Raúl Sánchez Sánchez, Professeur associé, Montpellier Business SchoolAudrey Portes, Assistant Professor, Montpellier Business SchoolSteffie Gallin, Professeur Assistant, Montpellier Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1790712022-03-14T19:00:09Z2022-03-14T19:00:09ZLes 25 licornes de Macron, une dangereuse fascination ?<p>Dans une vidéo postée le 17 janvier dernier, Emmanuel Macron pouvait annoncer, tout sourire, la naissance de la 25<sup>e</sup> licorne française : « Derrière, il y a près de 20 000 start-up qui, par leur impact, sont essentielles à notre économie, à notre société », s’est-il réjoui.</p>
<p>Une licorne est une entreprise exerçant dans le secteur des nouvelles technologies, non cotée en bourse, et valorisée à plus d’un milliard de dollars. On en compte aujourd’hui <a href="https://bigmedia.bpifrance.fr/decryptages/la-licorne-est-elle-synonyme-de-reussite-entrepreneuriale">26 en France</a> dont les plus connues sont BackMarket, Qonto, Doctolib ou encore Lydia. Sur le plan international, cela reste peu (selon les méthodes de recensement, il y en aurait entre 650 et 1000 dans le monde), mais la dynamique s’avère exponentielle : il n’y avait que 12 licornes françaises en 2021 et seulement 3 en 2020.</p>
<p>La France semble attirer de plus en plus de très gros financeurs étrangers capables de mettre 50, 100 ou 200 millions d’euros dans une start-up. Le président de la République avait fixé, en 2019, l’objectif de 25 licornes françaises d’ici <a href="https://www.nouvelobs.com/economie/20190918.OBS18608/macron-veut-multiplier-les-licornes-francaises-en-semant-5-milliards-d-euros.html">2025</a>, but atteint donc, et même dépassé 3 ans avant la date de tombée.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1482963796629012482"}"></div></p>
<p>Si son quinquennat reste résolument associé à la France « start-up nation » et à la French tech, ce mouvement vers l’entrepreneuriat a débuté il y a beaucoup plus longtemps, dès la fin des années 1990, sous l’impulsion de politiques publiques qui visaient à projeter la France dans ce qu’on appelait alors la <a href="https://theconversation.com/la-bataille-dazincourt-1415-la-mode-des-start-up-1998-2017-et-lhistoire-des-passions-francaises-85491">« nouvelle économie »</a>. La Silicon Valley était le modèle absolu et semble l’être restée.</p>
<p>La presse économique se réjouit de ce carnet de naissances, mais certaines <a href="https://www.bfmtv.com/economie/tout-comprendre-la-licorne-animal-mythique-devenu-une-realite-economique-en-france_AV-202201190288.html">voix discordantes</a> se font aussi entendre. Et nos <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/10422587211059991">travaux</a> font partie de ceux qui invitent à nuancer l’enthousiasme ambiant. Leurs résultats suggèrent en effet que l’hyper-priorisation de la croissance est une injonction qui ne fonctionne pas pour une majorité d’entrepreneurs.</p>
<h2>Croître ou mourir</h2>
<p>Car outre leur valorisation stratosphérique, les licornes ont pour point commun d’opérer des levées de fonds à tour de bras tout en n’ayant (généralement) pas atteint un quelconque seuil de rentabilité. En d’autres termes, elles sont en hypercroissance, ont un besoin constant de nouveaux capitaux, « brûlent du cash » selon l’expression consacrée et sont rarement rentables.</p>
<p>Une récente <a href="https://www.allocine.fr/video/player_gen_cmedia=19595497&cserie=25775.html">mini-série consacrée à Uber</a> l’illustre parfaitement, en particulier dans une scène où le cofondateur Travis Kalanick redemande à son fonds d’investissement partenaire des millions quelques mois à peine après en avoir reçu un nombre certain. Leur devise partagée est « Grow or die », croître ou mourir. La demande reçoit une réponse positive.</p>
<p>Ils appliquent la logique suivante : dans un nouvel espace de marché (Uber a créé un nouveau marché), il va y avoir une licorne. Il faut donc miser sur la bonne et s’accrocher. C’est une stratégie de « <em>winner takes all</em> (le gagnant prend tout) » et les investisseurs sont en mode « <em>high risk high reward</em> (prime à qui prendra le plus de risque) ».</p>
<h2>Des modèles</h2>
<p>Dans son discours de 2019 ainsi que dans celui de ce début d’année, Emmanuel Macron explique qu’il y a là une « bataille pour la souveraineté ». L’idée est que si la France ne parvient pas à construire des champions dans les secteurs d’avenir tels que le digital ou l’intelligence artificielle, ses choix seront dictés par d’autres.</p>
<p>Il est vrai que nous avons beaucoup de retard en la matière. Les deep tech par exemple, ces start-up qui proposent des produits ou des services sur la base d’innovations de rupture, restent très <a href="https://www.bpifrance.fr/nos-actualites/generation-deeptech-reconnaitre-un-projet-deeptech">peu soutenues</a> en France. Leurs cycles de recherche et développement étant particulièrement longs, elles ont des besoins de financement encore plus élevés que les autres start-up. Et ces <a href="https://bigmedia.bpifrance.fr/decryptages/la-licorne-est-elle-synonyme-de-reussite-entrepreneuriale">investissements massifs</a> sont plus le fait, en France, de <a href="https://www.usine-digitale.fr/article/derriere-la-course-aux-licornes-les-questions-qui-se-posent.N1776552">fonds américains et japonais</a>.</p>
<p>Emmanuel Macron explique que l’ambition est d’irriguer l’ensemble de l’économie, plus particulièrement en créant des emplois directs et indirects. Les chiffres du <a href="https://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/atoms/files/fs-2021-rapport-rec-lemploi_dans_les_start-up.pdf">rapport</a> publié en octobre 2021 par France Stratégie semblent d’ailleurs corroborer cette assertion.</p>
<p>Ce qui est intéressant également est que ces licornes peuvent permettre de retenir nos talents, ces ingénieurs, par exemple, qui ne trouvent pas de projets assez ambitieux et à la pointe en France et qui s’expatrient. Il y a aussi dans ces licornes l’espoir qu’elles soient les têtes de pont, les animateurs, les leaders d’<a href="https://theconversation.com/quelle-politique-industrielle-pour-lintelligence-artificielle-en-france-122057">écosystèmes qui nous font cruellement défaut</a>. Dans son récent discours, le président affirme :</p>
<blockquote>
<p>« La French tech, ce n’est évidemment pas que les licornes, mais je les vois en quelque sorte comme des exemples, des modèles pour l’ensemble de l’écosystème ».</p>
</blockquote>
<h2>Licornes ou cygnes noirs ?</h2>
<p>Le tableau n’est cependant pas si idyllique. Rechercher sa souveraineté technologique, ou vouloir créer des emplois, constitue un objectif louable, mais la surmédiatisation des licornes a aussi des impacts négatifs. Deux sociologues des organisations américains, Howard Aldrich et Martin Ruef critiquent ainsi fortement, dans un <a href="https://journals.aom.org/doi/abs/10.5465/amp.2017.0123">article récent</a>, la chasse aux <a href="https://www.lesbelleslettres.com/livre/9782251444369/le-cygne-noir">« cygnes noirs »</a> du monde entrepreneurial. Ils emploient l’expression en référence au statisticien Nassim Taleb qui explique qu’il existe certains évènements aléatoires et rares à la fois qui, s’ils se réalisent, ont des conséquences d’une portée considérable et exceptionnelle.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/451641/original/file-20220311-14-a9nhkc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/451641/original/file-20220311-14-a9nhkc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/451641/original/file-20220311-14-a9nhkc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=902&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/451641/original/file-20220311-14-a9nhkc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=902&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/451641/original/file-20220311-14-a9nhkc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=902&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/451641/original/file-20220311-14-a9nhkc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1134&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/451641/original/file-20220311-14-a9nhkc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1134&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/451641/original/file-20220311-14-a9nhkc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1134&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">blank.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>GAFAM, BATX ou autres NATU… les deux chercheurs montrent qu’il s’agit bien de cygnes noirs : extrêmement rares et imprévisibles. Et pourtant, la communauté scientifique tout comme les médias leur vouent l’immense majorité de leurs ressources.</p>
<p>Tout ceci se fait aux dépens de ce qui constitue 99,99 % de l’entrepreneuriat à savoir des entreprises qui n’ont rien de tout cela mais qui font quand même marcher l’économie. C’est dans cette veine que <a href="https://www.bfmtv.com/economie/tout-comprendre-la-licorne-animal-mythique-devenu-une-realite-economique-en-france_AV-202201190288.html">certains entrepreneurs et entrepreneuses s’expriment</a> pour expliquer que leurs entreprises ne sont pas des licornes et qu’elles ne cherchent pas à le devenir.</p>
<p>Il faut aussi comprendre que placer la croissance avant la rentabilité est la meilleure façon d’aller vers l’échec. C’est ce que nous avons démontré sur un échantillon constitué par près de 40 % des PME européennes.</p>
<h2>Diamétralement opposées</h2>
<p>Différentes méthodes d’estimation statistiques nous conduisent au même résultat : les entreprises qui parviennent le plus à la réussite, c’est-à-dire qui combinent à la fois forte croissance et forte rentabilité, sont, le plus souvent, celles qui ont misé sur la rentabilité plutôt que sur la croissance. Autrement dit, réussir à une date t est plus probable lorsque l’on connaît une forte rentabilité en t-1 que lorsqu’on connaît une forte croissance en t-1. Grâce à des données sur 8 années de profondeur de champ, on observe même une forme de dépendance à la stratégie choisie initialement.</p>
<p>Ceci est diamétralement opposé à la philosophie licorne qui pourtant irrigue tous les aspects de l’écosystème entrepreneurial. Politiques publiques comme enseignants-chercheurs en gestion mettent la croissance sur un piédestal. Or, l’immense majorité des entrepreneurs <a href="https://www.nber.org/papers/w17041">ne partagent pas cette ambition</a>.</p>
<p>D’autres travaux invitent également à regarder avec méfiance le modèle licorne, soit que l’on <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/08985626.2017.1291762?journalCode=tepn20">surestime leur contribution à l’emploi</a>, soit que l’on oublie l’impact des stratégies de croissance sur les <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/j.1540-627X.2009.00282.x">chances de survie de l’entreprise</a>. De fait, en France, les start-up qui ont procédé à une levée de fonds ne représentent que <a href="https://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/atoms/files/fs-2021-rapport-rec-lemploi_dans_les_start-up.pdf">2,67 %</a> de l’ensemble des emplois créés par des start-up. Et beaucoup des licornes sont déclassées comme <a href="https://www.lesechos.fr/industrie-services/immobilier-btp/redresse-mais-plus-modeste-wework-entre-enfin-en-bourse-1356816">WeWork</a> voire meurent à l’image de la plate-forme de streaming Quibi.</p>
<p>Ces modèles irréalistes en termes de réussite entrepreneuriale peuvent d’ailleurs induire un certain nombre de comportements particulièrement nuisibles. L’obsession de la croissance et la pression des différentes parties prenantes, financeurs en particulier, <a href="https://theconversation.com/la-start-up-nation-un-symptome-mais-de-quoi-105599">favorisent l’opportunisme irresponsable</a>. On a pu l’observer dans des scandales tels que <a href="https://theconversation.com/start-up-frauduleuses-laveuglement-complice-des-investisseurs-105325">Theranos</a>, dont l’ancienne dirigeante, Elizabeth Holmes, a été récemment <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2022/01/04/etats-unis-au-proces-theranos-le-jury-reste-indecis-sur-la-culpabilite-d-elizabeth-holmes_6108076_3234.html">condamnée</a>.</p>
<p>Pour conclure, on peut entendre l’appel à aller plus loin : certains souhaiteraient même transformer nos licornes en <a href="https://www.challenges.fr/high-tech/french-tech/la-france-celebre-sa-25eme-licorne-et-apres_797347">« dragons »</a>. Mais on ne peut pas continuer à imposer ce type d’ambition à l’ensemble des entrepreneurs. Il s’agit aussi de reconnaître comme il se doit les entrepreneurs ordinaires, du quotidien.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/179071/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Leurs retombées sur l’économie sont indéniables. Reste qu’à prioriser la croissance sur la rentabilité, le modèle semble assez nocif pour une grande majorité d’entrepreneurs.Cyrine Ben-Hafaïedh, Professeur en Entrepreneuriat, Innovation et Stratégie, IÉSEG School of ManagementAnaïs Hamelin, Professeur des Universités en Sciences de Gestion à Sciences Po Strasbourg et l'EM Strasbourg, Université de StrasbourgLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1770862022-02-15T17:25:12Z2022-02-15T17:25:12ZDroit de la concurrence : l’arrêt Intel marque-t-il une rupture ?<p>L’annulation d’une décision de la Commission par le tribunal de l’Union européenne sur la base de la non-prise en considération de l’ensemble des circonstances de l’espèce ne devrait pas a priori intéresser les lecteurs, sauf ceux qui se passionnent pour le droit processuel de l’UE.</p>
<p>Cependant, un tel arrêt peut revêtir des dimensions remarquables, comme en ont témoigné les nombreuses réactions à la diffusion du communiqué de presse du 26 janvier 2022 relatif à <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2022/01/26/intel-voit-son-amende-de-1-milliard-d-euros-annulee-par-la-justice-europeenne_6111070_3234.html">l’annulation d’une décision sanctionnant Intel</a>, géant américain de semi-conducteurs, et lui imposant une amende de plus d’un milliard d’euros, pour abus de position dominante.</p>
<p>Premièrement, l’affaire est une des grandes sagas du droit de la concurrence européen. La plainte a été initialement déposée en octobre 2000. La procédure a été ouverte en 2004. La décision rendue en mai 2009. C’est bien cette décision rendue il y a 13 ans qui a été annulée, liée à une plainte déposée il y a 22 ans pour des pratiques ayant débuté en 1997 (25 ans donc). Cette décision représentait en outre un record en matière d’amende pour un abus de position dominante : il faudra attendre les <a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2021/11/10/l-ue-valide-une-amende-de-2-4-milliards-d-euros-contre-google-pour-pratiques-anticoncurrentielles_6101628_4408996.html">sanctions pour pratiques anticoncurrentielles concernant Google</a> en 2017, 2018 et 2019 pour voir ce record battu.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1486376769880010759"}"></div></p>
<p>Pourquoi, une décision de 2009 est-elle annulée en 2022 ? L’explication est le deuxième intérêt de l’affaire. Le tribunal, qui vient d’annuler la décision l’avait pourtant confirmée en appel en 2014 ! L’explication est à rechercher dans un arrêt de la Cour de Justice, laquelle est intervenue en cassation en 2017. Celle-ci se basait sur un argument central : le tribunal n’avait pas examiné les effets des rabais mis en cause pour caractériser l’éviction anticoncurrentielle d’AMD, également fabricant américain de semi-conducteurs, par Intel. C’est sur la base de cette évaluation que le tribunal annule la décision.</p>
<p>Techniquement, l’annulation repose sur un point de droit : c’est une question de procès équitable, d’attribution de la charge de la preuve et de son standard (c’est-à-dire de son degré d’exigence). La forme que prend un rabais de fidélité accordé par une entreprise dominante (même s’il conduit à une quasi-exclusivité) ne suffit pas à entraîner une sanction pour pratiques anticoncurrentielles : il faut démontrer l’existence d’un effet anticoncurrentiel.</p>
<h2>Approche par les effets</h2>
<p>Or, la Commission a, selon le tribunal, qui a repris en 2022 des tests qu’il n’avait pas contrôlés en 2014, n’a pas répondu à cette exigence et a commis des erreurs viciant son analyse. Ainsi, le tribunal réhabilite l’approche plus économique ou approche par les effets que la Commission défendait… en 2009 (au travers d’une communication sur ses orientations en matière d’application de l’article 82 (actuel <a href="https://eur-lex.europa.eu/eli/treaty/tfeu_2008/art_102/oj">article 102</a> du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, ou TFUE) aux abus d’éviction mis en œuvre par des entreprises dominantes). C’est un autre point qui explique le retentissement qu’a eu l’annulation de la décision de la Commission. L’approche par les effets conduit à sanctionner une pratique si et seulement si son effet sur le bien-être du consommateur est négatif.</p>
<p>Ce critère a été vivement critiqué ces dernières années. Les difficultés liées à son application conduiraient à une sous-application des règles de concurrence, à tolérer des pratiques permettant des opérateurs dominants à infliger des dommages irréversibles à la concurrence. Bref, elles conduiraient à un biais pro-défendeur.</p>
<p>Ces effets sont souvent mis en avant pour expliquer une application insuffisante des règles de concurrence aux États-Unis. C’est l’une des causes du phénomène que l’économiste français Thomas Philippon a appelé <a href="https://www.parisschoolofeconomics.eu/fr/actualites/11-decembre-conference-de-thomas-philippon-the-great-reversal-how-america-gave-up-on-free-markets/"><em>The great reversal, how America gave up on free markets</em></a> (le grand renversement, comment l’Amérique a renoncé à la liberté des marches). Ce phénomène a été longtemps dénoncé par les juristes américains <a href="https://www.lefigaro.fr/secteur/high-tech/2019/01/02/32001-20190102ARTFIG00185-lina-khan-la-juriste-qui-fait-trembler-amazon.php">Lina Khan</a> ou <a href="https://globalreports.columbia.edu/books/the-curse-of-bigness/">Tim Wu</a>… avant que ces derniers accèdent au printemps 2021 respectivement <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2021/06/16/lina-khan-une-farouche-critique-des-gafa-nommee-a-la-tete-de-l-antitrust-americain_6084421_3234.html">à la tête de la FTC</a> (Federal Trade Commission, le régulateur américain de la concurrence) et à un <a href="https://www.nytimes.com/2021/03/05/technology/tim-wu-white-house.html">poste de conseiller économique</a> du président Joe Biden.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1405441819991855105"}"></div></p>
<p>En effet, cette approche est battue en brèche depuis l’alternance de 2021. Dans le même temps, l’exemple européen a inspiré de nombreuses propositions de réformes du droit de la concurrence américain, tant au niveau de l’État fédéral (le <a href="https://judiciary.house.gov/uploadedfiles/competition_in_digital_markets.pdf">rapport</a> bipartisan de la Chambre des Représentants en octobre 2020) qu’au niveau des États fédérés (projets en 2021, d’introduire un abus de position dominante dans la loi antitrust de l’État de New York ou de réguler les plates-formes comme des industries de réseaux dans l’État de l’Ohio).</p>
<p>Doit-on conclure que l’arrêt Intel marque une rupture ? Annonce-t-elle un retour des juridictions européennes à des outils aujourd’hui objets de très vifs débats et de critiques acerbes aux États-Unis ?</p>
<p>L’enjeu est de taille car l’arrêt peut être lu comme un premier coup d’arrêt donné une politique bien plus vaste : celle de la régulation concurrentielle des Big Tech. Le <a href="https://ec.europa.eu/info/strategy/priorities-2019-2024/europe-fit-digital-age/digital-markets-act-ensuring-fair-and-open-digital-markets_fr">Digital Markets Act</a> est en cours d’adoption (il a été proposé en décembre 2020 par la Commission) et constitue une volonté d’encadrer les firmes en question par des règles ex ante et non par l’activation des règles de concurrence ex post.</p>
<h2>Une dynamique remise en cause ?</h2>
<p>De la même façon, le tribunal a confirmé en novembre 2020 la décision de la Commission concernant <a href="https://www.actualitesdudroit.fr/browse/affaires/droit-economique/35258/google-shopping-le-tribunal-de-l-union-confirme-l-abus-de-position-dominante-de-google">l’abus de position dominante de Google Shopping</a> de 2017. Or, cet arrêt vient de faire l’objet d’un <a href="https://www.capital.fr/entreprises-marches/google-fait-appel-dune-amende-de-24-milliards-deuros-infligee-par-bruxelles-1426123">recours</a> devant la Cour de justice de l’Union européenne. Sachant que le recours de Google repose sur un défaut argué de démonstration des effets des pratiques qui lui sont reprochées, l’enjeu est de taille. Il l’est d’autant plus que le tribunal va rendre possiblement un arrêt en 2022 sur la décision Google Android de 2018, décision dans laquelle encore la question des effets est au cœur du recours.</p>
<p>Cette décision pourrait donc remettre en cause la dynamique initiée par l’UE… à un moment où les efforts américains apparaissent comme conditionnés au résultat des midterms, les élections législatives de mi-mandat, de novembre 2022 qui pourraient faire perdre le Sénat aux démocrates.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1484475630880268288"}"></div></p>
<p>Doit adopter une telle vision ? Cela n’est pas acquis, au moins pour trois raisons.</p>
<p>L’affaire Intel porte certes sur un géant de la Tech mais il s’agit d’une procédure basée sur une pratique anticoncurrentielle très classique, dont les précédents cas avaient été traités dans le domaine aérien et dans celui des pneumatiques. Nulle économie des plates-formes ou des algorithmes ici mais une affaire très classique de rabais de fidélité par lesquels un opérateur dominant peut évincer des concurrents de plus petite taille qui ne peuvent de ce fait y répondre.</p>
<p>En d’autres termes, AMD pourrait avoir été évincé parce que seul un opérateur dominant pouvait proposer de telles offres. Il ne pouvait répliquer les offres de l’opérateur dominant. Le Digital Markets Act européen, quant à lui, traite de questions autres : la contestabilité des marchés numériques structurés autour de grandes plates-formes et les distorsions de concurrence dans les écosystèmes numériques. Ce n’est pas du droit de la concurrence mais un instrument de réglementation des marchés numériques présenté comme complémentaires à celui-ci.</p>
<p>Ensuite, si l’arrêt Intel semble réhabiliter l’approche plus économique et si effectivement le Tribunal a noté des erreurs factuelles dans le raisonnement économique de la Commission, l’annulation de la décision s’est faite sur des questions de standards juridiques. Le tribunal ne dit pas que les rabais n’avaient pas d’effets anticoncurrentiels, mais que</p>
<blockquote>
<p>« l’analyse de la Commission ne permet pas d’établir à suffisance de droit que les rabais litigieux étaient capables ou susceptibles d’avoir des effets anticoncurrentiels ».</p>
</blockquote>
<p>En outre, il faut noter que les rabais n’étaient pas la seule pratique reprochée à Intel : il y avait aussi des restrictions non déguisées. Or, toute la décision a été annulée. Que doit-on conclure pour les autres pratiques ? Rappelons que selon le <a href="https://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:C:2009:227:0013:0017:FR:PDF">point 23 de la décision de 2009</a>, la Commission avait reproché à Intel d’avoir :</p>
<blockquote>
<p>« octroyé des paiements à Media Saturn Holding (MSH), le plus grand distributeur européen d’ordinateurs de bureau, à la condition que ce dernier vende exclusivement des PC équipés de processeurs Intel. Ces paiements sont d’effet équivalent aux rabais conditionnels accordés aux équipementiers informatiques ».</p>
</blockquote>
<p>Ces pratiques sont-elles également concernées par la qualification d’incomplète appliquée par le Tribunal à l’analyse réalisée par la Commission ?</p>
<p>Enfin, il faut prendre en compte le fait que l’arrêt pourra faire l’objet d’un pourvoi en cassation (sur des points de droit) devant la Cour de Justice de l’Union européenne. Des questions pourront alors y être soulevées par la Commission.</p>
<p>Au final, l’arrêt du Tribunal est intéressant en plusieurs points. Il démontre l’importance dans les affaires de concurrence d’une analyse au cas par cas des pratiques concernées et la nécessité de considérer avec circonspection les agissements des entreprises dominantes. Si des stratégies visant à renforcer la concurrence leur sont ouvertes, des stratégies d’entraves doivent être sanctionnées. L’arrêt souligne ensuite le caractère déterminant des garanties légales en matière de respect de droit de la défense et de droit à un procès équitable. L’argumentaire central du tribunal ne porte pas sur la discussion du test économique – en l’espèce le test du « concurrent aussi efficace » – mais sur une question de standard de la preuve. Une présomption simple n’exonère pas la Commission d’une analyse des effets.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/177086/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Frédéric Marty ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’annulation de la sanction européenne visant le fabricant américain de semi-conducteurs européen pour abus de position dominante traduit-elle une nouvelle évolution de la doctrine juridique ?Frédéric Marty, Chargé de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), chercheur au GREDEG, Université Côte d’AzurLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1755642022-02-06T17:55:04Z2022-02-06T17:55:04ZCross-check, le système critiqué que Meta (Facebook) tente de tourner à son avantage<p>Créé en 2013 selon les dires de Meta, le système appelé « cross-check » cherche à éviter que certains contenus publiés sur Facebook ne soient retirés de la plate-forme à cause d’un processus de modération qui aurait été mis en œuvre de façon excessivement rigoureuse. Il s’agirait, en somme, d’une forme de précaution additionnelle, ajoutée dans le but de réduire le plus possible les atteintes à l’exercice de la liberté d’expression sur la plus populaire des plates-formes de réseaux sociaux.</p>
<p>C’est en tous cas la façon dont Meta décrit ce mécanisme : présenté sous cet angle, il semble être une addition bienvenue à la complexe machinerie qui, en coulisses, fait fonctionner la plate-forme et s’efforce de répondre aux attentes souvent contradictoires d’une multitude d’acteurs.</p>
<p>Plusieurs traits de « cross-check » invitent cependant à une lecture plus critique de sa raison d’être et de son fonctionnement.</p>
<h2>Un manque chronique de transparence</h2>
<p>D’abord, Meta n’a publiquement communiqué au sujet de ce système qu’en 2018, non par volonté spontanée de transparence mais contrainte et forcée, en réaction à un documentaire de <a href="https://www.channel4.com/press/news/dispatches-investigation-reveals-how-facebook-moderates-content">Channel 4</a>, basé sur les révélations d’un reporter infiltré dans un centre de modération à Dublin.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/8Qc3wpS6IVc?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Pressée de réagir après ces révélations, l’entreprise avait alors <a href="https://about.fb.com/news/2018/07/working-to-keep-facebook-safe/">reconnu</a> que la modération des contenus publiés par certains comptes était confiée à des équipes spéciales « pour s’assurer que (ses) politiques avaient été appliquées correctement ».</p>
<p>Jusqu’en <a href="https://web.archive.org/web/20210820023210/https:/transparency.fb.com/enforcement/detecting-violations/reviewing-high-visibility-content-accurately/">août 2021</a>, les explications de Meta sur le sujet se limitaient à signaler dans son <em>Centre de Transparence</em> que « ce processus, que nous appelons cross-check, signifie que nos équipes de révision évaluent ce contenu à plusieurs reprises ».</p>
<p><a href="https://www.francetvinfo.fr/internet/reseaux-sociaux/facebook/facebook-files-ce-qu-il-faut-retenir-des-revelations-accablantes-de-la-lanceuse-d-alerte-frances-haugen_4796783.html">Les révélations en septembre dernier</a> de la lanceuse d’alerte Frances Haugen, relayées par <a href="https://www.wsj.com/articles/facebook-files-xcheck-zuckerberg-elite-rules-11631541353"><em>The Wall Street Journal</em></a> puis reprises par le <a href="https://www.oversightboard.com/news/3056753157930994-to-treat-users-fairly-facebook-must-commit-to-transparency/">« Conseil de Surveillance »</a> ont poussé Meta à fournir une <a href="https://transparency.fb.com/enforcement/detecting-violations/reviewing-high-visibility-content-accurately/">description</a> du système plus digne de ce nom.</p>
<p>Cependant, le flou demeure sur de nombreux points, comme l’identité des comptes qui bénéficient de ces précautions redoublées, les conditions précises d’éligibilité ou les volumes concernés. Alors que la compagnie n’a de cesse de souligner, à juste titre, que ses rapports trimestriels de transparence sont de plus en plus complets, cross-check n’y a toujours pas trouvé sa place.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/fermeture-des-comptes-de-donald-trump-facebook-et-sa-cour-supreme-en-quete-de-legitimite-155064">Fermeture des comptes de Donald Trump : Facebook et sa « Cour suprême » en quête de légitimité</a>
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<p>Dans son propre rapport de transparence, ce même Conseil de Surveillance a <a href="https://www.oversightboard.com/news/215139350722703-oversight-board-demands-more-transparency-from-facebook/">ouvertement reproché</a> à Meta de ne pas avoir été franche dans ses échanges avec lui concernant ce mécanisme. Il souligne que ce manque de transparence a porté atteinte à sa capacité à prendre des décisions, notamment dans le cas de la <a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2021/06/04/facebook-va-durcir-sa-moderation-pour-les-chefs-d-etat-et-de-gouvernement_6082826_4408996.html">fermeture du compte Facebook</a> de l’ancien président des États-Unis Donald Trump.</p>
<h2>Un traitement de faveur pour des comptes de premier plan ?</h2>
<p>Ensuite, la logique qui sous-tend cross-check prête le flanc à au moins une objection de fond : dans sa mouture initiale, seuls certains comptes bénéficiaient de ce programme qui conditionne tout éventuel retrait de contenu à un examen minutieux en plusieurs étapes, tandis que le reste des comptes se voyaient soumis au processus classique, critiqué entre autres pour son caractère expéditif.</p>
<p>Quels étaient donc ces comptes faisant l’objet d’un traitement privilégié ? Là encore, le manque de transparence de Meta sème le trouble, car la compagnie ne <a href="https://transparency.fb.com/enforcement/detecting-violations/reviewing-high-visibility-content-accurately/">fournit</a>, à titre d’exemple, qu’une liste ouverte composée d’élus, journalistes, partenaires commerciaux significatifs et organisations de défense des droits de l’homme.</p>
<p>On peut aisément imaginer qu’il existe de nombreuses bonnes raisons pour traiter au moins certains de ces acteurs avec le plus de précautions possibles, spécialement quand la liberté de la presse ou la défense de droits de l’homme sont en jeu. Cross-check est sans aucun doute utile pour éviter de censurer des images violentes lorsque celles-ci permettent de dénoncer, par exemple, des violences policières ou plus généralement des agissements illégaux.</p>
<p>Mais il est tout aussi facile d’identifier des cas de figure pour lesquels un traitement de faveur serait clairement injustifié, comme une modération sur mesure guidée par des considérations économiques ou le désir d’éviter des réactions épidermiques de la part de groupes ou de personnalités politiques influents.</p>
<p>Dans ce cas de figure, ce système permettrait en pratique d’exempter certains comptes de l’application mécanique et objective des règles en vigueur. Une faculté certainement utile pour Meta qui a de façon répétée tenté de donner des gages contre les accusations de « biais anticonservateur » dont elle a souvent fait l’objet de la part de ceux qui s’en considèrent victimes.</p>
<p>Cette éventualité n’est pas que théorique : par exemple, certains hommes politiques républicains <a href="https://www.washingtonpost.com/politics/2022/01/11/gop-lawmakers-baseless-election-theft-posts-went-unchecked-by-twitter-facebook/">ont pu</a> à plusieurs reprises dénoncer sur Facebook une prétendue « fraude massive » lors de l’élection présidentielle de 2020, et ce malgré les règles en vigueur sur la plate-forme en la matière.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Une manifestante pose avec une installation représentant Mark Zuckerberg surfant sur une vague d’argent" src="https://images.theconversation.com/files/442547/original/file-20220125-13-i02nkb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/442547/original/file-20220125-13-i02nkb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=412&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/442547/original/file-20220125-13-i02nkb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=412&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/442547/original/file-20220125-13-i02nkb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=412&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/442547/original/file-20220125-13-i02nkb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=518&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/442547/original/file-20220125-13-i02nkb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=518&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/442547/original/file-20220125-13-i02nkb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=518&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Manifestation devant le Parlement à Londres le 25 octobre 2021, alors que la lanceuse d’alerte, Frances Haugen, est sur le point de témoigner.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>Meta se défend bien évidemment de ces suspicions, en soulignant que ses standards de la communauté s’appliquent également à tous. Cependant, force est de constater que, dans les faits, certains contenus sont aiguillés vers un centre de tri où ils sont manipulés avec bien plus de soin que le tout-venant. Sur ce point, le Conseil de Surveillance a lui-même <a href="https://oversightboard.com/decision/FB-691QAMHJ/">souligné</a> que « différents procédés peuvent conduire à des résultats concrets différents ».</p>
<h2>Un programme centré exclusivement sur les faux positifs</h2>
<p>La modération de contenus est une entreprise intrinsèquement périlleuse qu’il est impossible d’exécuter sans faux-pas : ni les ressources technologiques déployées, ni les moyens humains mobilisés ne sauraient éliminer totalement les cas de faux positifs (retraits indus) ou de faux négatifs (contenus attentatoires maintenus en ligne).</p>
<p>Présenté comme un moyen de réduire au maximum la marge d’erreur, cross-check se limite en fait à la chasse aux faux positifs. Cette conception restrictive du programme interpelle. Face à des cas difficiles, Meta est par défaut censée donner la priorité à la liberté d’expression (<a href="https://about.fb.com/news/2019/10/mark-zuckerberg-stands-for-voice-and-free-expression/"><em>to</em> <em>err on the side of a greater expression</em></a>).</p>
<p>L’application de ce principe produit nécessairement un certain nombre de faux négatifs, ce qui justifierait que le programme s’efforce également de détecter ces cas de figure. D’autant plus que la permanence en ligne de contenus qui violent les règles de la plate-forme est en elle-même source de risques à de nombreux niveaux, comme le contexte actuel le souligne de façon si insistante.</p>
<h2>Cross-check : une évolution déjà entamée, une direction qui reste à définir</h2>
<p>Une fois le programme connu et ses défauts pointés du doigt, Meta n’a pas ménagé ses efforts pour justifier la raison d’être de cross-check aux yeux du public et contrecarrer la désastreuse image d’une modération à deux vitesses.</p>
<p>Le changement de nom du programme relevait sans nul doute de cette logique : sa désignation initiale – <a href="https://www.channel4.com/press/news/dispatches-investigation-reveals-how-facebook-moderates-content">« shielded review »</a> – laissait clairement transparaître l’idée d’une protection spéciale concédée à certains utilisateurs. En comparaison, « cross-check » met davantage l’accent sur l’intention de détecter de possibles erreurs : puisqu’elle s’était retrouvée <em>de facto</em> dans l’obligation d’assumer l’existence officielle du programme, Meta se devait de corriger le tir en matière de communication.</p>
<p>De façon autrement plus substantielle, son fonctionnement a été revu, ou plutôt complété en 2020 avec l’introduction d’une « révision secondaire générale », ajoutée aux côtés du dispositif déjà existant, à présent désigné comme « révision secondaire de réponse rapide ».</p>
<p>Alors que ce dernier continue à fonctionner sur la base d’une liste préétablie (et évolutive) de comptes pour lesquels le processus de modération suit des règles particulières, le nouveau programme permet de soumettre virtuellement tout contenu à cross-check, du moment que celui-ci répond à une série de conditions basées sur des indicateurs objectifs… qui ne laissent pas totalement de côté les caractéristiques propres du compte sur lequel il a été publié. Cette initiative permet de « démocratiser » en quelque sorte l’accès au programme, mais préserve l’existence d’une caste d’utilisateurs qui en bénéficient par défaut, et qui restent désignés selon des critères obscurs.</p>
<p>En septembre 2021, Meta a soumis à son « Conseil de Surveillance » une <a href="https://about.fb.com/news/2021/09/requesting-oversight-board-guidance-cross-check-system/">demande de recommandations</a> sur la manière de « continuer à améliorer son système cross-check », dans le sens d’une plus grande équité entre utilisateurs et d’une transparence accrue. Cette sollicitation, que le Conseil a acceptée, donnera à ce dernier l’occasion de formuler de nombreuses questions pour lesquelles il n’avait jusqu’alors pas obtenu de réponses satisfaisantes – ou pas de réponse du tout.</p>
<p>De la sorte, Meta tente de transformer un programme opaque aux intentions discutables en un facteur d’amélioration de son modèle de modération. Une amélioration qui sera superficielle ou substantielle en fonction du cas qui sera fait des recommandations du Conseil de Surveillance, que l’on peut anticiper ambitieuses et vastes, dans la lignée de ses précédentes prises de position.</p>
<p>Quels que soient les développements à venir autour de cross-check, une constante est de plus en plus claire : pour que Meta tente de faire évoluer ses procédures vers plus de transparence, de cohérence et de prise en compte de sa propre responsabilité, elle a besoin d’être soumise à des pressions diverses, provenant d’acteurs externes à elle-même.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/175564/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Barthélémy Michalon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Un dispositif de vérification des contenus mis en place par Facebook suscite de nombreuses critiques. Il permettrait au réseau social d’avantager certains usagers « stars » au détriment des autres.Barthélémy Michalon, Doctorant en Sciences Politiques, mention Relations Internationales, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1753502022-01-25T19:44:10Z2022-01-25T19:44:10ZGAFAM : comment limiter les « acquisitions tueuses » de start-up ?<p>Le 30 novembre dernier, l’autorité de la concurrence britannique (CMA) ordonnait à Facebook de revendre la plate-forme Giphy, l’un des plus gros distributeurs de gifs sur Internet, dont elle avait fait l’acquisition quelques mois auparavant. Cette décision constitue une première en matière de contrôle des concentrations dans l’économie numérique ; alors que les « GAFAM » (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft) ont fait l’acquisition de <a href="https://academic.oup.com/icc/article/30/5/1307/6365871">plus de 700 entreprises depuis 2000</a>, aucune de ces opérations n’avait jusqu’à présent été bloquée.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1465672246127734786"}"></div></p>
<p>Les autorités de la concurrence font en effet face à deux obstacles qui limitent leurs possibilités d’intervention. Premièrement, la plupart de ces opérations n’arrivent pas sur leur bureau. Le cadre légal prévoit des seuils de notification sur base du chiffre d’affaires. Or, dans l’économie numérique, beaucoup de start-up ont un chiffre d’affaires peu élevé ; leur stratégie consiste à développer un produit, une application et un réseau, et à le monétiser ultérieurement. Les seuils de notifications sont donc rarement atteints.</p>
<p>Le deuxième obstacle est l’asymétrie d’information entre le contrôleur et le contrôlé. Les autorités de la concurrence ont la charge de contrôler un marché qui gagne tous les jours en complexité et en opacité. Comme le souligne <a href="https://itif.org/publications/2021/05/24/digital-markets-act-european-precautionary-antitrust">l’économiste Jacques Crémer</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Personne ne sait exactement comment les algorithmes déterminent les choix d’Amazon ou les classements de Booking. »</p>
</blockquote>
<p>De plus, les plates-formes bénéficient d’un avantage en termes d’accès à l’information. Les GAFAM sont au centre d’un réseau d’utilisateurs sur lesquels ils collectent des données. Combinées au développement des techniques de méta-analyse des marchés, ces données donnent aux plates-formes des outils de prévision de l’évolution des marchés supérieurs à ceux dont disposent les autorités de la concurrence.</p>
<p>Il est pourtant essentiel pour les autorités de la concurrence d’être en mesure d’éviter que ces acquisitions par les GAFAM ne menacent la concurrence saine sur les marchés. C’est particulièrement le cas dans l’industrie du numérique, du fait d’une spécificité de cette industrie que les économistes appellent « externalités de réseau » : plus les utilisateurs d’un service sont nombreux, plus ce service a de la valeur pour ces utilisateurs. Les externalités de réseau impliquent que, passé un certain seuil dans le nombre d’utilisateurs, la puissance d’une entreprise s’autorenforce jusqu’à, éventuellement, atteindre une position dominante.</p>
<h2>Acheter pour développer… ou tuer</h2>
<p>Mais qu’adviendrait-il de cette position de super puissance si quelques programmeurs dans leur garage venaient à développer un nouveau produit supérieur à celui proposé par l’entreprise dominante, au point que suffisamment de ses utilisateurs commencent à s’en détourner et créent un nouveau réseau ? La plate-forme en place aurait en effet toutes les raisons de vouloir éviter une telle situation.</p>
<p>Avec des capitaux tels que ceux détenus par les GAFAM, un moyen d’empêcher l’entrée du nouveau produit sur le marché est, tout simplement, son achat à un stade de développement précoce. Une fois propriétaire, l’acquéreur peut intégrer le produit concurrent dans son écosystème, ou bien tout simplement stopper son développement. Dans les deux cas, la concurrence potentielle ne se matérialise jamais.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1171892685550096384"}"></div></p>
<p>La stratégie d’achat-élimination de concurrents potentiels est connue sous le terme d’« acquisition tueuse » (« <a href="https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=3241707">killer acquisition</a> » en anglais). Le cas Facebook/Giphy en est un bon exemple. Avant son acquisition par Facebook, la plate-forme Giphy était en train de développer un service publicitaire assez prometteur : les publicitaires pouvaient souscrire à un service payant leur permettant d’inclure leur publicité dans des gifs. À la suite de l’achat de la plate-forme, Facebook <a href="https://www.gov.uk/cma-cases/facebook-inc-giphy-inc-merger-inquiry">avait interrompu ce service</a>, se débarrassant ainsi d’un concurrent potentiel sur le marché publicitaire.</p>
<p>D’après notre <a href="http://hdl.handle.net/2268/241664">étude</a> portant sur les acquisitions des GAFAM entre 2015 et 2017, 60 % des services acquis cessent d’être proposés sous leur nom d’origine après leur achat. Bien sûr, toutes ces acquisitions n’ont pas pour objectif de « tuer » ; certaines visent au contraire à continuer le développement du produit acquis sous le nom de l’acquéreur.</p>
<p><iframe id="j7mbj" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/j7mbj/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Des documents internes d’entreprises dominantes semblent en effet démontrer que, avant de se lancer dans le développement d’un nouveau produit, le <a href="https://scholar.google.com/citations?view_op=view_citation&hl=th&user=U-mWVcoAAAAJ&citation_for_view=U-mWVcoAAAAJ:p2g8aNsByqUC">recours à l’achat est envisagé</a>. Ainsi, les GAFAM pourraient externaliser une partie de leur R&D afin de <a href="https://ec.europa.eu/competition/publications/reports/kd0419345enn.pdf">bénéficier de l’agilité et de l’inventivité de start-up</a> qui elles-mêmes n’auraient pas eu les capitaux ou le réseau nécessaire pour commercialiser leur invention. Afin de pouvoir dissocier les cas – problématiques – d’« acquisitions tueuses » des cas – légitimes – d’acquisitions de R&D, les autorités de la concurrence doivent adapter leurs outils d’analyse, qu’ils soient méthodologiques ou législatifs.</p>
<h2>Mieux contrôler</h2>
<p>D’un point de vue méthodologique, l’analyse du potentiel anticoncurrentiel d’une acquisition doit être adaptée aux spécificités économiques du marché du numérique, notamment à la présence d’externalités de réseau et la possibilité d’une concurrence potentielle exercée par des start-up.</p>
<p>Prenons le cas de <a href="https://www.bfmtv.com/economie/entreprises/services/facebook-a-paye-22-milliards-de-dollars-pour-whats-app_AN-201410060211.html">l’acquisition de WhatsApp par Facebook</a>, en 2014, pour 22 milliards de dollars. La Commission européenne a autorisé l’opération argumentant qu’il existait <a href="https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/IP_14_1088">suffisamment de services de messagerie alternatifs</a>, mais en sous-estimant probablement le rôle des effets de réseaux comme barrière à l’entrée. Par conséquent, l’accroissement du pouvoir de marché de Facebook résultant de cette acquisition a été sous-évalué.</p>
<p>Ensuite, alors même qu’à la date de son acquisition WhatsApp ne pouvait pas être considéré comme un concurrent direct de Facebook, puisque l’application n’offrait pas tous les services d’un réseau social, les deux entreprises avaient en commun aussi bien certaines fonctionnalités (en l’occurrence, de messagerie) que leurs bases d’utilisateurs. Ainsi, si WhatsApp avait voulu s’étendre aux autres services proposés par Facebook, la base d’utilisateurs potentiellement intéressés lui était déjà acquise. Pour cette raison, il est essentiel de considérer la dynamique du marché numérique dans l’analyse des forces concurrentielles auxquelles sont soumises les entreprises du secteur.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/441682/original/file-20220120-15-egv4lp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/441682/original/file-20220120-15-egv4lp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/441682/original/file-20220120-15-egv4lp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/441682/original/file-20220120-15-egv4lp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/441682/original/file-20220120-15-egv4lp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/441682/original/file-20220120-15-egv4lp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/441682/original/file-20220120-15-egv4lp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">En 2014, Facebook rachetait le service de messagerie WhatsApp pour la somme de 22 milliards de dollars.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/140988606@N08/25076398627">Christoph Scholz/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>D’un point de vue législatif, des réformes du cadre de contrôle des concentrations dans l’économie numérique sont discutées, partout dans le monde. Pour répondre au faible nombre d’opérations effectivement examinées par une autorité de la concurrence, certains pays ont déjà mis en place une réforme de seuils légaux de notification. Par exemple, l’Autriche et l’Allemagne appliquent désormais un seuil de notification sur base du prix de la transaction.</p>
<p>Depuis mars 2021, la Commission européenne permet également aux États-membres de lui renvoyer l’examen d’opérations n’atteignant pas les seuils relatifs au chiffre d’affaires <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=uriserv%3AOJ.C_.2021.113.01.0001.01.FRA&toc=OJ%3AC%3A2021%3A113%3AFULL">lorsque ce dernier ne reflète pas le potentiel concurrentiel</a>, réel ou futur, d’au moins une des parties à la concentration.</p>
<p>Pour ce qui est des problèmes liés à l’asymétrie d’information entre plates-formes et autorités de la concurrence, la solution ne semble cependant pas encore avoir été trouvée. Certains experts envisagent le <a href="https://www.chicagobooth.edu/research/stigler/news-and-media/committee-on-digital-platforms-final-report">« renversement de la charge de la preuve »</a> ; les parties à la concentration auraient la charge de démontrer l’absence d’effets anticoncurrentiels. Mais les opposants restent nombreux. Selon ces derniers, en plus d’aller à l’encontre du principe légal fondamental selon lequel le plaignant est tenu de prouver le dommage, une telle mesure <a href="https://www.lexology.com/library/detail.aspx?g=b7159a3d-ae2e-4e87-ba37-e59f9200c2c4">risque de décourager les concentrations proconcurrentielles</a>.</p>
<p>Ainsi, les autorités de la concurrence doivent continuer de s’adapter pour pouvoir assurer le juste équilibre entre concurrence sur le marché et incitants à l’innovation, et ce à la vitesse fulgurante des développements de l’industrie du numérique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/175350/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Laureen de Barsy a reçu une bourse d'études (Van Rompuy scholarship) et des bourses de recherche (EOS et ARC). </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Axel Gautier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’asymétrie d’information et la faible visibilité des entreprises cibles limitent aujourd’hui les possibilités des autorités de la concurrence.Axel Gautier, Professeur d'économie, HEC Liège, LCII (Liège Competition and Innovation Institute), Université de LiègeLaureen de Barsy, PhD candidate in Economics, Université de LiègeLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1716362021-12-09T15:12:10Z2021-12-09T15:12:10ZLes Coops de l’information : une expérience unique au monde<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/436387/original/file-20211208-133881-4eo2kl.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C1910%2C1071&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">VISUELWEB</span> <span class="attribution"><span class="source">Les Coops de l'information</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p>Il y a deux ans, six villes du Québec et leurs régions ont failli perdre leurs journaux. <a href="https://www.lesoleil.com/"><em>Le Soleil</em></a> (Québec), <a href="https://www.ledroit.com/"><em>Le Droit</em></a> (Ottawa-Gatineau), <a href="https://www.lenouvelliste.ca/"><em>Le Nouvelliste</em></a> (Trois-Rivières), <a href="https://www.latribune.ca/"><em>La Tribune</em></a> (Sherbrooke), <a href="https://www.lequotidien.com/"><em>Le Quotidien</em></a> (Saguenay) et <a href="https://www.lavoixdelest.ca/"><em>La Voix de l’Est</em></a> (Granby) sont passés à deux doigts de fermer leurs portes.</p>
<p>Ils faisaient partie du Groupe Capitales Médias (GCM), propriété de l’ex-ministre fédéral Martin Cauchon. GCM s’était placé <a href="https://journalmetro.com/actualites/national/2363755/capitales-medias-declare-faillite/">sous la protection de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité en août 2019</a>. Cet automne-là, un <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1266137/faillite-liquidites-finances-capitales-medias">plan de sauvetage a été ficelé dans l’urgence</a>. La solution ? Transformer le groupe, et chaque journal, en autant de coopératives, une opération complétée le 19 décembre 2019.</p>
<p>Deux ans plus tard, les journaux sont toujours là. Je me suis penché ces derniers mois sur l’expérience unique au monde qu’ils mènent. Après avoir assisté à une douzaine de réunions internes et réalisé une cinquantaine d’entrevues, voici un survol des constats préliminaires qui se dégagent et des défis qui émergent à l’horizon.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Martin Cauchon en conférence de presse" src="https://images.theconversation.com/files/436385/original/file-20211208-25-1c19nds.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/436385/original/file-20211208-25-1c19nds.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=397&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/436385/original/file-20211208-25-1c19nds.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=397&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/436385/original/file-20211208-25-1c19nds.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=397&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/436385/original/file-20211208-25-1c19nds.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=499&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/436385/original/file-20211208-25-1c19nds.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=499&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/436385/original/file-20211208-25-1c19nds.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=499&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Martin Cauchon au moment de la création du Groupe Capitales Médias, formé des six quotidiens hors-Montréal qui appartenaient auparavant à Gesca, le 18 mars 2015, à Québec. À l’arrière-plan, Claude Gagnon, pdg du Groupe.</span>
<span class="attribution"><span class="source">La Presse Canadienne/Jacques Boissinot</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>De tremplin à aimant</h2>
<p>Les Coopératives de l’information sont comme un miraculé qui se rétablit après avoir failli mourir. Leur bon état de santé rassure et fait plaisir.</p>
<p>Tout d’abord, le groupe a mis sur pied de nouveaux projets, comme une <a href="https://www.lesoleil.com/2021/09/04/les-coops-de-linformation-forment-une-equipe-journalistique-dimpact-dea341fb886795ab8e5190d88c11d9e9">« équipe d’impact »</a> de six journalistes (un par journal) pour réaliser des dossiers et des enquêtes.</p>
<p>Les six journaux se sont mis à embaucher, aussi. La rédactrice en chef de <em>La Voix de l’Est</em>, Isabelle Gaboriault, qui compte 21 ans de carrière au plus petit quotidien du groupe, ne semble pas en revenir elle-même :</p>
<blockquote>
<p>J’ai embauché… attends, six, sept, huit, neuf… dix personnes en un an et demi ! […] Je n’ai jamais vécu ça !</p>
</blockquote>
<p>Bien sûr, <a href="https://www.ledevoir.com/culture/medias/650535/medias-le-journalisme-remonte-la-pente">plusieurs médias recrutent, ces jours-ci</a>. Mais ce qui distingue les Coops de l’info, c’est qu’elles attirent désormais des talents d’autres entreprises de presse. Pendant des générations, les six quotidiens voyaient leurs journalistes quitter pour des médias de la métropole. Ils ont été le tremplin de nombreuses carrières.</p>
<p>Au cours des deux dernières années, on a assisté au phénomène inverse. Quelques exemples : les Coops ont recruté l’analyste politique Hélène Buzzetti, auparavant au <em>Devoir</em> ; Marie-Claude Lortie et Hugo Fontaine ont pour leur part quitté <em>La Presse</em> pour devenir respectivement rédactrice en chef du <em>Droit</em> et directeur général de <em>La Tribune</em> ; la créatrice de RDI junior, Ève Tessier-Bouchard, a été embauchée pour mettre sur pied une plate-forme d’information destinée à la jeunesse.</p>
<h2>Ça change pas le monde, sauf que…</h2>
<p>Ça change quoi, une coop ? Journalistes, représentants publicitaires ou employés de bureau, les artisans des six journaux me répondent tous la même chose. La transparence et le dialogue entre dirigeants et employés sont les nouveautés qu’ils préfèrent. Le sentiment est partagé par les cadres, dont Stéphan Frappier, directeur général du <em>Nouvelliste</em> :</p>
<blockquote>
<p>Il n’y a plus de brouillard. Financièrement, c’est clair. Je n’ai jamais été aussi transparent. Tout est sur la table.</p>
</blockquote>
<p>Les journalistes, dont le métier est de comprendre, apprécient de pouvoir enfin maîtriser toutes les clés de leur propre journal. Mais ce nouveau pouvoir vient avec de grandes responsabilités.</p>
<p>Pour transformer GCM en coopératives, par exemple, il a fallu faire un compromis : fermer les régimes de retraite. Tout le monde (sauf au <em>Droit</em>) a été touché : employés actuels comme retraités. Les premiers ont perdu 25 % du montant qu’ils avaient mis de côté pour leur retraite ; les seconds ont vu leurs prestations diminuer d’autant. Louis Tremblay, qui était à l’époque président du Syndicat des communications du <em>Quotidien</em>, affirme :</p>
<blockquote>
<p>Je n’ai pas signé ça de gaité de cœur. S’il y avait eu une autre solution, on l’aurait prise !</p>
</blockquote>
<p>C’est encore un nœud de discorde. Les retraités poursuivent leurs anciens syndicats devant le Tribunal administratif du travail.</p>
<p>Il se produit quelque chose de particulier quand les employés se retrouvent propriétaires de leur gagne-pain. Ils deviennent prudents, comme le dit Mickaël Bergeron, chroniqueur à <em>La Tribune</em> et vice-président de son syndicat :</p>
<blockquote>
<p>Ça ne donne rien de se voter des augmentations de 15 % si c’est pour nous planter financièrement.</p>
</blockquote>
<figure class="align-center ">
<img alt="Le slogan des Coops de l’info : « Local. De calibre mondial. »" src="https://images.theconversation.com/files/436149/original/file-20211207-142574-1pajm8x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/436149/original/file-20211207-142574-1pajm8x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=363&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/436149/original/file-20211207-142574-1pajm8x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=363&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/436149/original/file-20211207-142574-1pajm8x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=363&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/436149/original/file-20211207-142574-1pajm8x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=457&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/436149/original/file-20211207-142574-1pajm8x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=457&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/436149/original/file-20211207-142574-1pajm8x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=457&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le slogan des Coopératives de l’information.</span>
<span class="attribution"><span class="source">lescoops.ca</span></span>
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</figure>
<h2>Les défis</h2>
<p>Le modèle d’affaires des Coops de l’information demeure donc fragile. Il repose sur quatre sources de revenus qui toutes sont essentielles, mais dont aucune n’est pérenne :</p>
<ul>
<li><p><strong>La publicité</strong>. J’ai été étonné de constater à quel point la pub imprimée génère encore d’importants revenus. Le problème, c’est que de moins en moins de gens sont abonnés aux éditions papier des journaux. Pour le moment, la pub papier rapporte encore davantage que ce qu’il en coûte pour imprimer et distribuer un produit à un lectorat de plus en plus clairsemé, souvent en milieu rural. L’opération ne sera bientôt plus rentable.</p></li>
<li><p><strong>Les abonnements numériques</strong>. La pandémie a forcé les Coops à prendre le « virage numérique » plus rapidement que prévu. Les journaux ne sont plus imprimés que le samedi (sauf à <em>La Voix de l’Est</em>, où une édition papier subsiste encore le mercredi). Le reste de la semaine, une application mobile est produite chaque matin. Et les sites web des journaux n’offrent que quatre articles gratuits par mois. Pour accéder au contenu numérique sans entrave, il faut s’abonner. Et c’est une autre réussite des Coops. Leur nombre d’abonnés numériques a dépassé 25 000 en 2021. À 9,95 $ par mois, cela assure des revenus annuels de près de 3 millions de dollars. Mais après un départ canon cette année, les abonnements numériques croîtront-ils suffisamment ?</p></li>
<li><p><strong>Des redevances des GAFA</strong>. Les Coops font partie d’une poignée de médias canadiens qui ont signé des ententes avec <a href="https://www.facebook.com/journalismproject/facebook-partners-with-canadian-news-publishers">Meta (anciennement Facebook)</a> et <a href="https://blog.google/products/news/google-news-showcase-canada/">Google</a> en 2021. Même les artisans des journaux ignorent combien ces ententes génèrent en redevances. Gilles Carignan dit que « ça paye le salaire de quelques journalistes » au journal qu’il dirige, <em>Le Soleil</em>. Les ententes ont une durée de trois ans. Les géants du web voudront-ils à nouveau soutenir le journalisme canadien si une loi ne les force pas à le faire ? On compte sur le nouveau ministre du Patrimoine canadien, Pablo Rodriguez, pour ressusciter un projet de loi sur lequel planchait son prédécesseur, Steven Guilbeault.</p></li>
<li><p><strong>De l’argent public</strong>. Ces dernières années, les gouvernements ont mis sur pied des programmes d’aide à la presse. Des crédits d’impôt, notamment, assurent plus de la moitié du salaire des journalistes (35 % au provincial et 25 % au fédéral). Ces programmes arrivent à échéance en 2024. On n’a aucune garantie qu’ils seront prolongés. Les conservateurs ont même promis de les supprimer, s’ils prenaient le pouvoir. Valérie Gaudreau, rédactrice en chef du <em>Soleil</em>, n’arrive pas à croire que Gérard Deltell, député conservateur de Chauveau, fasse pareille chose : « T’es un ancien journaliste, lui dirait-elle. T’es historien. Tu connais la valeur de l’information. »</p></li>
</ul>
<h2>Le rôle politique du public</h2>
<p>La partie est donc loin d’être gagnée pour les Coops de l’info. Quand je demande à leurs artisans quel est leur principal défi, la plupart me disent : répondre aux attentes du public. Comme le dit Patrice Gaudreault, ancien rédacteur en chef du <em>Droit</em> et responsable de l’équipe d’impact :</p>
<blockquote>
<p>Il faut continuer d’être pertinents. Alors, le public va le reconnaître, parce que c’est pour eux autres qu’on existe.</p>
</blockquote>
<p>Justement, les six journaux ont choisi un type particulier de coop où le public peut jouer un rôle : la coopérative de solidarité. Elle permet à des gens qui soutiennent sa mission d’en devenir membres. Ainsi, le public peut devenir membre des Coops de l’information.</p>
<p>Mais voilà : seulement quatre des six journaux accueillent des lectrices ou des lecteurs dans leur membership. Selon Vincent Roy, de la Coopérative de développement régional Outaouais-Laurentides, il y a là une occasion ratée pour les Coops de l’info. Le public pourrait leur donner un certain pouvoir politique, dit-il, au sens où il serait plus difficile pour des politiciens de couper les aides publiques aux six journaux si des dizaines de milliers de Québécois·e·s en sont membres au lieu d’y être seulement abonné·e·s.</p>
<p>L’idée n’est pas bête du tout. Ce serait peut-être là une façon de « [remettre] les citoyens au cœur de l’écosystème médiatique », comme l’écrivaient Julia Cagé et Benoît Huet dans <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/l-information-est-un-bien-public-julia-cage/9782021483154"><em>L’information est un bien public</em></a>. Des médias d’information que le public se serait « réappropriés » seraient peut-être encore plus indispensables.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/171636/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Hugues Roy est membre de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ). </span></em></p>Partout, les médias d’information cherchent des façons d’assurer leur survie. Le plus grand groupe coopératif médiatique au monde, qui célèbre son 2ᵉ anniversaire, est peut-être une solution inspirante.Jean-Hugues Roy, Professeur, École des médias, Université du Québec à Montréal (UQAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1724552021-12-03T14:55:46Z2021-12-03T14:55:46ZFacebook et son « métavers » : le cauchemar devient-il réalité ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/435614/original/file-20211203-15-ywh2z0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C6%2C4608%2C2579&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Une personne avec un casque de réalité virtuelle.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/photos/xL3xDwWx7_s">Lux Interaction/Unsplash</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Lorsqu’il y a plus de 10 ans, en 2010, avec Michael Haenlein, professeur de marketing également à ESCP Business School, nous avons identifié les mondes virtuels comme des <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0007681309001232">médias sociaux</a>, notre raisonnement a souvent été remis en question. Pour nous, cependant, le lien était plus qu’évident puisque, à l’époque, nous avons fait beaucoup de recherches sur ces mondes virtuels, notamment <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0007681309000895">« Second Life »</a>. Récemment, notre logique a été confirmée lorsque Facebook, colosse des réseaux sociaux, a annoncé son entrée dans le monde des métavers, c’est-à-dire des mondes virtuels.</p>
<p>Nos <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/14241270903047008">recherches</a> sur Second Life, un monde social virtuel tridimensionnel lancé en 2003, ont montré que nombre de ses utilisateurs, sous la forme d’avatars personnalisés ou, en d’autres termes, de représentations graphiques du caractère ou de la personnalité d’un utilisateur, considéraient ce monde virtuel non pas comme un simple jeu, mais comme une extension de leur vie réelle.</p>
<p>Dans Second Life, les utilisateurs interagissent avec d’autres personnes en temps réel, se rencontrent et se parlent, deviennent amis et cultivent leur réseau, voire <a href="https://www.jstor.org/stable/26893831">vendent et achètent des produits virtuels</a> en utilisant la monnaie virtuelle de Second Life, le linden dollar, qui peut être obtenu soit en échangeant des dollars US, soit en travaillant et en gagnant un salaire (virtuel). Une possibilité de gagner sa seconde vie est de créer des produits virtuels en les vendant dans sa propre boutique (virtuelle également). Mais aussi la spéculation immobilière semble opportune. Ainsi, Anshe Chung, alias Ailin Graef, aurait gagné un <a href="https://www.lefigaro.fr/conso/2007/04/16/05007-20070416ARTWWW90457-la_premiere_millionnaire_est_allemande.php">million de (vrais) dollars US</a> en acquérant de grands terrains virtuels qu’elle a revendus en petites parcelles pour plus cher.</p>
<p>Gagner du vrai argent est possible, car les Linden Dollars peuvent également être ré-échangés en dollars US, ce qui permet de gagner de l’argent réel, ce qui, déjà à l’époque, avait créé de sérieux maux de tête aux avocats fiscalistes et aux autorités fiscales.</p>
<h2>Un monde virtuel plus attrayant que la réalité</h2>
<p>Les utilisateurs décrivaient Second Life comme étant plus attrayante que la réalité, que leur vie réelle, leur première vie. L’utilisateur moyen de notre échantillon avait déclaré qu’il utilisait Second Life environ 4 heures par jour, avec une médiane de 2,8 heures. Pourtant, certains d’entre eux passaient plus de 16 heures par jour dans cet environnement virtuel, n’utilisant leur vie réelle que pour dormir. Pour cette <a href="https://www.proquest.com/openview/aabb755d48ae8c9cfcd797da14cfaa7f/1?pq-origsite=gscholar&cbl=36039">recherche</a>, nous nous sommes basés sur une série de 29 entretiens qualitatifs en profondeur que nous avons conduits auprès de résidents de Second Life venant de partout au monde et avec une moyenne d’âge de 35 ans.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/sazE7OdgPCM?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Qu'est-ce que Second Life ?</span></figcaption>
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<p>Sur la base de nos recherches, nous avons identifié quatre motivations principales pour l’utilisation de Second Life : la recherche de distractions, le désir de nouer des relations personnelles, le besoin d’apprendre, et le souhait et la possibilité mentionnés ci-dessus de gagner de l’argent.</p>
<p>Alors que le battage médiatique autour de Second Life a rapidement diminué, le métavers de Facebook pourrait effectivement être le début d’une autre histoire, plus importante.</p>
<p>Le fait de choisir pour Facebook le nom de métavers, une combinaison de <em>méta</em>, qui signifie au-delà, et de l’<em>univers</em>, n’est en effet pas anodin. L’écrivain américain de science-fiction Neal Stephenson a utilisé ce terme exact pour décrire son monde virtuel imaginaire dans son best-seller de 1992 <a href="https://www.wired.com/2021/10/geeks-guide-snow-crash/"><em>Snow Crash</em></a>. Dans ce roman, qui se déroule au début du XXI<sup>e</sup> siècle, Stephenson raconte l’histoire du livreur de pizza : Hiro, qui vit physiquement à Los Angeles, mais qui passe virtuellement la plupart de ses journées dans le métavers, où des avatars assistent à des concerts, vont au travail ou consomment des drogues virtuelles, comme le pseudo-narcotique Snow Crash. Le métavers devient si populaire que certaines personnes décident même d’y rester connectées en permanence en passant leur vie réelle dans des unités de stockage, entourées seulement de l’équipement technique nécessaire pour entrer dans le monde virtuel.</p>
<p>Neal Stephenson décrit fictivement ce que Second Life a partiellement transformé en réalité il y a près de vingt ans et ce que Mark Zuckerberg, PDG de Facebook, semble avoir en tête pour son <a href="https://www.huffingtonpost.fr/entry/meta-le-metaverse-de-facebook-inquiete-autant-quil-interesse_fr_617b98f5e4b079111a634224">métavers récemment annoncé</a>, qui semble devenir une version plus avancée de Second Life appliquant les dernières technologies en matière de réalité virtuelle et augmentée. Grâce à un casque de réalité virtuelle, les utilisateurs feront et verront tout en trois dimensions. Assister à un concert de son idole ou flâner aux Galeries Lafayette avec ses amis tout en restant chez soi ne sera plus aucun problème. Même les expressions faciales du porteur du casque, équipé d’un lecteur biométrique, pourront être reproduites sur le visage virtuel de l’avatar correspondant. Ainsi, pour Mark Zuckerberg, le métavers simplement révolutionnera l’idée même d’Internet.</p>
<p>Le moment est peut-être bien choisi. Au cours du Covid-19, l’état d’esprit de la société à l’égard des environnements numériques a considérablement changé, ayant connu des heures de réunions virtuelles sur Zoom, Google Meet ou Microsoft Teams. La question qui se pose est de savoir pourquoi un tel métavers pourrait devenir le cauchemar de la société ?</p>
<p>En 2010, nous avions terminé notre analyse en concluant que les utilisateurs n’avaient <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0007681309001232">« rien à perdre que leurs chaînes »</a>. Aujourd’hui, davantage semble être en jeu. En supposant que les progrès de <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0007681319301260">l’intelligence artificielle</a> (IA), de l’automatisation et de la transformation numérique laisseront une part importante de chômeurs vivre avec une forme de revenu de base universel, on peut se demander comment ils rempliront leur journée ?</p>
<h2>Le métavers n'est pas pour tout de suite</h2>
<p>Il y a déjà plus de 10 ans, plusieurs utilisateurs de Second Life ont déclaré qu’ils préféraient leur vie virtuelle à leur vie réelle. Avec un environnement virtuel bien amélioré, offrant plus de fonctionnalités et d’opportunités (virtuelles), n’y a-t-il pas plus de gens qui préfèrent transférer leur vie dans le métavers ? À quelle distance sommes-nous d’un monde comme celui illustré dans le roman de Neal Stephenson ?</p>
<p>Pour l’instant, Facebook a annoncé que la réalisation complète du métavers prendra 10 ans ou plus, même s’ils dépenseront des milliards de dollars américains pour lui donner vie. On peut également se demander si Facebook réussira dans cette entreprise compte tenu de son historique de lancements de nouveaux produits – et de leurs échecs (juste pensez à Parse, Beacon, ou encore Facebook Credits). Pourtant, ce n’est peut-être pas la bonne question à se poser. Facebook a remis sur la table l’idée d’un monde virtuel. Si ce n’est pas eux, une autre entreprise prendra le relais. Les véritables questions doivent être les suivantes : que signifierait un tel développement pour notre société, et si cela est souhaitable pour l’humanité ? Comment se préparer au mieux à une telle évolution éventuelle ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/172455/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Andreas Kaplan ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le monde virtuel « Second Life » était-il un avant-goût du Métavers de Facebook ? Faut-il craindre une aggravation de dérives déjà observées ?Andreas Kaplan, Rector, ESCP Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1716222021-11-21T16:51:36Z2021-11-21T16:51:36ZVidéo-surveillance : où vont nos données ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/432350/original/file-20211117-23-1e9snl9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=17%2C560%2C1899%2C1350&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Ne souriez plus, vos données s'envolent et... vous ne pourrez pas les récupérez. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://pixabay.com/fr/photos/imeuble-mur-structure-2598899/">Stocksnap/pixabay</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p>Remise au-devant de l’actualité récente sous la forme d’une <a href="https://www.lci.fr/justice-faits-divers/tirs-contre-la-police-a-lyon-darmanin-reclame-plus-de-cameras-de-surveillance-2200105.html">injonction au maire de Lyon</a>, la vidéosurveillance sur la voie publique ne s’est jamais aussi bien portée. Pour autant, quel est son encadrement juridique en France et quels en sont ses usages réels ?</p>
<p>Juridiquement, la possibilité d’installer des caméras de surveillance sur la voie publique (qu’il s’agisse de rues ou de routes voire autoroutes) ou dans les lieux publics (transports en commun, bâtiments administratifs, etc.) <a href="https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F2517">relève de la compétence des autorités publiques</a>. La décision peut donc être prise par un maire, le président d’une communauté de communes, le directeur d’une prison ou le responsable d’un service de transports par exemple.</p>
<h2>Un cadre juridique restreint</h2>
<p>Si la caméra filme la rue, l’installation du système est subordonnée à une autorisation du préfet (valable cinq ans), et nécessite un avis de la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000037825998">« commission départementale de vidéoprotection »</a>, présidée par un magistrat. En cas d’urgence liée par exemple à un projet terroriste, cet avis peut être repoussé temporairement.</p>
<p>La mise en place de la vidéo-surveillance doit répondre de <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000041599395/">finalités prévues par la loi</a>. Celles-ci sont néanmoins, comme souvent en la matière, rédigées de manière particulièrement large : « protection des bâtiments et installations publics », « prévention des atteintes à la sécurité », etc.</p>
<p>Depuis 2011, les acteurs privés comme les commerçants peuvent également mettre en place de tels caméras aux abords immédiats de leur établissement, <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000041599395/">après autorisation du maire</a>.</p>
<p>Dans tous les cas, une limite importante se trouve dans l’interdiction formelle de filmer, même accidentellement, des <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000025505412">lieux d’habitation</a>. Les caméras doivent être orientées de telle manière à ne pas viser de maisons ou d’immeubles, ou, à défaut, équipées de système de floutage des façades.</p>
<p>La <a href="https://www.cnil.fr/fr/la-loi-informatique-et-libertes">Loi Informatique et Libertés</a>, également d’application pour ces dispositifs lorsqu’ils permettent la collecte et l’enregistrement de <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000037825998">données identifiantes</a>, c’est-à-dire permettant de reconnaître des individus dans la rue ou dans les commerces, <a href="https://www.cnil.fr/fr/la-videosurveillance-videoprotection-sur-la-voie-publique">impose également un processus particulier</a>, nécessitant parfois l’autorisation de la CNIL.</p>
<p>Les établissements privés ouverts aux publics (bars, restaurants, etc.) peuvent également mettre en place ces dispositifs à l’intérieur de leurs locaux mais selon des <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/LEGIARTI000020150477/2009-01-25/">modalités plus rigoureuses</a>.</p>
<p>Enfin, en dehors de ces règles et même si ce n’est pas prévu par la loi, la Cour de cassation autorise la mise en place de <a href="https://www.dalloz-actualite.fr/flash/videosurveillance-sur-voie-publique-durant-l-enquete-conditions-d-autorisation">vidéo-surveillance spéciale et ponctuelle</a> pour les besoins d’une enquête judiciaire.</p>
<h2>Le développement d’une vidéo-surveillance parallèle</h2>
<p>Ces systèmes classiques de vidéo-surveillance par caméras installées se doublent aujourd’hui de nouveaux dispositifs qui ne répondent pas de cet encadrement juridique classique. Il s’agit d’une part de l’usage des drones, et d’autre part des caméras individuelles utilisées par les forces de l’ordre.</p>
<p>L’utilisation des drones comme dispositif de vidéo-surveillance par les forces de l’ordre fait l’objet d’une véritable saga juridique débutée notamment <a href="https://www.vie-publique.fr/en-bref/278140-drones-de-surveillance-la-cnil-sanctionne-le-ministere-de-linterieur">lors du confinement</a>, passant par plusieurs interdictions données par le <a href="https://www.conseil-etat.fr/ressources/decisions-contentieuses/dernieres-decisions-importantes/conseil-d-etat-18-mai-2020-surveillance-par-drones">Conseil d’État</a>, une intégration dans la loi <a href="https://www.usine-digitale.fr/article/que-prevoit-la-loi-securite-globale-definitivement-adoptee-sur-les-drones-de-surveillance.N1082964">Sécurité globale</a> et enfin une censure par le <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2021/2021817DC.htm">Conseil constitutionnel</a>.</p>
<p>Si le gouvernement tient autant à autoriser le recours à ces dispositifs, c’est qu’ils permettent, désormais équipés de caméras de très haute résolution, une couverture virtuellement illimitée en vidéo-surveillance de tout le territoire. Leur usage, très périlleux pour les libertés fondamentales, doit néanmoins <a href="https://www.franceinter.fr/avec-une-nouvelle-loi-les-drones-pour-filmer-les-manifestations-reviennent-par-la-petite-porte">encore trouver un équilibre juridique</a>.</p>
<p>En parallèle, se généralise également le déploiement de <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/article_jo/JORFARTI000043530293?r=0W5GS0kMVZ">« caméras-piétons »</a> qui équipent les forces de l’ordre et même les agents assermentés de sociétés de transport, autorisant l’enregistrement des images et du son de certaines interventions ou contrôles.</p>
<h2>Un devenir incertain des données</h2>
<p>Que deviennent toutes les images ainsi collectées, qu’il s’agisse des outils classiques de vidéo-surveillance sur la voie publique ou de celles des nouveaux dispositifs de captation vidéo ?</p>
<p>La première catégorie d’images est traitée par le service qui a demandé l’installation des caméras, qu’il s’agisse d’une <a href="https://www.lemonde.fr/fragments-de-france/article/2021/10/20/libourne-ville-sous-surveillance_6099190_6095744.html">municipalité</a> ou d’une autre structure publique. Cela doit être prévu explicitement, ainsi que la durée de conservation des images <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000025505435">qui ne peut excéder un mois</a>.</p>
<p>Les vidéos collectées par les caméras individuelles des forces de l’ordre sont quant à elles transmises aux services de police ou de gendarmerie et conservées six mois.</p>
<p>Durant leur temps de conservation, l’ensemble de ces données peut faire l’objet de <a href="https://www.lagazettedescommunes.com/642140/requisition-des-images-de-videoprotection-quelles-sont-les-regles/">réquisitions</a>, c’est-à-dire de demandes par les services de police ou de gendarmerie dans le cadre d’une enquête ou d’une instruction. Dans ce cas, <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000025505435">plus de durée maximum</a> car les vidéos intègrent le dossier pénal.</p>
<p>Depuis l’adoption de la loi <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/04/15/les-principaux-articles-de-la-loi-securite-globale-definitivement-adoptee-par-l-assemblee-nationale_6076884_3224.html">Sécurité globale</a>, les images captées par les caméras individuelles des forces de l’ordre peuvent également, en parallèle de leur enregistrement, être transmises en flux direct au centre de commandement.</p>
<h2>Une exploitation limitée</h2>
<p>Comment assurer le traitement efficace de ces milliers d’heures d’enregistrement ? Si certaines villes décident de s’équiper de centres de traitement voyant <a href="https://www.nice.fr/fr/securite/le-centre-de-supervision-urbain">se relayer un personnel 24h/24</a>, la difficulté est bien réelle. Ce n’est pas tout d’avoir des caméras, encore faut-il avoir des humains derrière les écrans.</p>
<p>Cette problématique est-elle en passe de se voir résolue par les nouveaux usages de la vidéosurveillance, fondés sur les outils algorithmiques, la reconnaissance faciale voire l’intelligence artificielle ?</p>
<p>Le recours à de tels outils a en tout cas de quoi séduire les décideurs publics, et ce à l’ère des <a href="https://www.nicecotedazur.org/europe/ville-intelli/smart-city-innovation-center">« smart cities »</a> ou « villes intelligentes ». Pourtant, ils constituent bien davantage une forme nouvelle de <a href="https://technopolice.fr/">« techno-police »</a> et posent de vrais problèmes sur nos libertés fondamentales.</p>
<h2>De nouveaux usages problématiques</h2>
<p>Que penser en effet de la <a href="https://droit.developpez.com/actu/313581/France-les-senateurs-disent-non-a-un-amendement-visant-a-interdire-la-reconnaissance-faciale-via-des-cameras-embarquees-dans-le-cadre-de-la-proposition-de-loi-sur-la-securite-globale/">possibilité laissée</a> aux policiers et aux gendarmes d’utiliser leurs outils de reconnaissance faciale (<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/id/LEGISCTA000025818428">prévus notamment dans le cadre du principal fichier de police</a>) sur les images obtenues par les caméras embarquées ?</p>
<p>Rien n’interdira ainsi que demain, lors d’une manifestation, les nombreux policiers présents, tous équipés de telles caméras (<a href="https://www.interieur.gouv.fr/fr/Actualites/Communiques/Gerald-Darmanin-confirme-le-deploiement-d-une-nouvelle-generation-de-cameras-pietons-a-compter-du-1er-juillet">qui ont vocation à être généralisées</a>) reçoivent dans leurs oreillettes, en direct, l’identité et les informations relatives aux personnes qui se trouvent en face d’eux, leur signalant tel ou tel individu déjà connu. Cette pratique se réaliserait en dehors du cadre juridique relativement contraint des <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000006071154/LEGISCTA000006151880/#LEGISCTA000006151880">contrôles d’identité</a>.</p>
<p>De même, les expérimentations de recours à la <a href="https://www.franceinter.fr/reconnaissance-faciale-officiellement-interdite-elle-se-met-peu-a-peu-en-place">reconnaissance faciale</a> par les caméras de vidéosurveillance classiques se multiplient, même si la CNIL reste encore, heureusement, <a href="https://www.usine-digitale.fr/article/reconnaissance-faciale-la-cnil-adresse-un-avertissement-a-la-ville-de-valenciennes.N1130989">très vigilante et si l’interdiction reste le principe</a>. La question de son utilisation lors des prochains Jeux olympiques de Paris <a href="https://www.ouest-france.fr/leditiondusoir/2021-03-18/drones-reconnaissance-faciale-la-technologie-sera-au-c%C5%93ur-de-la-securite-des-jo-de-paris-en-2024-e0227705-48df-4593-806a-08acf3f66a1b">a d’ailleurs été évoquée</a>, même si elle semble <a href="https://www.20minutes.fr/sport/3146951-20211013-jeux-olympiques-paris-2024-securite-passera-reconnaissance-faciale">aujourd’hui écartée</a>.</p>
<p>La reconnaissance faciale n’est pas la seule technologique pouvant se nourrir des images de vidéosurveillance. L’utilisation de <a href="https://www.cnil.fr/fr/verbalisation-par-lecture-automatisee-des-plaques-dimmatriculation-lapi-la-cnil-met-en-garde">techniques de reconnaissance automatique de plaque</a> (LAPI) permettant la vidéo-verbalisation de nombreuses infractions et l’identification immédiate de véhicules est <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000020665029/">désormais possible dans notre droit</a> et tend, là aussi, à se généraliser.</p>
<p>Enfin, le recours à des formes d’intelligence artificielle, de « police prédictive », peut également contribuer à l’exploitation de ces données, au moins, pour le moment, en <a href="https://www.lemonde.fr/fragments-de-france/article/2021/10/20/libourne-ville-sous-surveillance_6099190_6095744.html">suggérant aux forces de l’ordre où regarder parmi le flux d’images</a>.</p>
<h2>Nombreux risques et faible efficacité</h2>
<p>Pourtant, ces outils constituent des risques très importants pour nos libertés individuelles, au premier rang desquels figure la <a href="https://www.vie-publique.fr/fiches/23877-quest-ce-que-la-liberte-de-circulation-ou-liberte-daller-venir">liberté d’aller et venir</a>. Demain, en effet, la généralisation des caméras couplées à la reconnaissance faciale et à la lecture automatique des plaques pourra permettre, au moins virtuellement, la géolocalisation de tout individu sur le territoire. Or, l’exercice plein de cette liberté nécessite une forme d’anonymat : je n’irais en effet sans doute pas aussi librement rencontrer une personne ou me rendre à une réunion politique si je sais que mon déplacement peut être enregistré.</p>
<p>Tous les outils techniques sont déjà en place pour cela, même si l’encadrement juridique y fait encore, heureusement, en partie barrage. Le <a href="https://www.cnil.fr/fr/le-fichier-des-titres-electroniques-securises-tes">fichier des cartes d’identité et des passeports</a> contient ainsi une photographie de chacun d’entre nous, mais n’est pas accessible aux forces de l’ordre et n’autorise pas la reconnaissance faciale. Un simple texte réglementaire pourrait néanmoins modifier ce point, même si ce n’est, pour le moment, pas à l’ordre du jour.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/432355/original/file-20211117-21-1xsvjfo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/432355/original/file-20211117-21-1xsvjfo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=389&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/432355/original/file-20211117-21-1xsvjfo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=389&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/432355/original/file-20211117-21-1xsvjfo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=389&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/432355/original/file-20211117-21-1xsvjfo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=489&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/432355/original/file-20211117-21-1xsvjfo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=489&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/432355/original/file-20211117-21-1xsvjfo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=489&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">D’une solution miracle, la vidéo-surveillance, semble constituer l’illustration d’une technologisation des formes de contrôle et de surveillance, à l’efficacité douteuse, mais aux dangers réels.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://pixabay.com/fr/photos/mer-oc%c3%a9an-l-eau-vagues-nature-2560912/">Stocksnap/pixabay</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ces transformations sont d’autant plus préoccupantes que l’efficacité réelle de la vidéo-surveillance sur la délinquance et la criminalité n’a jamais été démontrée. Une longue étude récente menée notamment par <a href="https://www.cairn.info/l-enseignement-universitaire-en-milieu-carceral%20--%209791034606399-page-254.htm">Laurent Muchielli</a> en atteste :</p>
<blockquote>
<p>« Les résultats soulignent la grande faiblesse de la contribution de la vidéosurveillance à la lutte contre la criminalité. »</p>
</blockquote>
<p>Au mieux, elle ne fait que <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2018/05/17/la-videosurveillance-est-elle-efficace_5300635_4355770.html">déplacer la délinquance</a> d’un quartier à un autre.</p>
<p>L’efficacité sur la résolution des enquêtes est également difficile à évaluer, mais semble marginale, comme le pointait l’année dernière la <a href="https://www.lagazettedescommunes.com/703132/la-videosurveillance-dans-le-viseur-de-la-cour-des-comptes/">Cour des comptes</a> qui en dénonçait le prix exorbitant pour un résultat très limité. Cela est notamment dû à la quantité d’images et aux faiblesses structurelles des outils (<a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2018/02/12/une-etude-demontre-les-biais-de-la-reconnaissance-faciale-plus-efficace-sur-les-hommes-blancs_5255663_4408996.html">dont certains subissent même des biais racistes</a>).</p>
<p>D’une solution miracle, la vidéo-surveillance, <a href="https://www.interieur.gouv.fr/Videoprotection">renommée habilement depuis quelques années déjà vidéo-protection</a>, semble ainsi constituer l’illustration d’une technologisation des formes de contrôle et de surveillance, à l’efficacité douteuse, mais aux dangers réels.</p>
<p>Elle incarne ce <a href="https://www.lemonde.fr/blog/internetactu/2018/06/02/videosurveillance-paradigme-du-technosolutionnisme/">« paradigme du techno-solutionnisme »</a>, plus empreint de considérations politiques et industrielles que de souci véritable du bien commun.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/171622/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Yoann Nabat ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le déploiement exponentiel des caméras conduit corrélativement à une production et à un enregistrement toujours plus important de données vidéo dont l’exploitation interroge.Yoann Nabat, Doctorant en droit privé et sciences criminelles, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.