tag:theconversation.com,2011:/ca-fr/topics/jacques-chirac-36983/articlesJacques Chirac – La Conversation2023-10-03T16:36:01Ztag:theconversation.com,2011:article/2146552023-10-03T16:36:01Z2023-10-03T16:36:01ZLa Vᵉ République a 65 ans : retour sur quelques réformes constitutionnelles phares<p>L’adresse du Président Emmanuel Macron aux Sages pour célébrer le 65<sup>e</sup> anniversaire de la Constitution de la V<sup>e</sup> République pourrait être, selon plusieurs observateurs, l’occasion de <a href="https://www.bfmtv.com/politique/elysee/macron-va-s-exprimer-au-conseil-constitutionnel-pour-le-65e-anniversaire-de-la-ve-republique_AN-202309260450.html">proposer une nouvelle réforme constitutionnelle</a>. Cette proposition n’aurait rien de surprenant, le chef de l’État ayant déjà annoncé <a href="https://www.publicsenat.fr/actualites/non-classe/revision-constitutionnelle-pourquoi-emmanuel-macron-veut-il-avoir-recours-a-une">son intention de la réformer</a> l’an dernier. </p>
<p>L’histoire de la V<sup>e</sup> République rend également l’exercice tout à fait envisageable. En effet, depuis sa promulgation le 4 octobre 1958, la Constitution actuelle <a href="https://www.lgdj-editions.fr/livres/histoire-constitutionnelle-de-la-france-de-1789-a-nos-jours/9782275102184">a déjà été réformée 24 fois</a>, le plus souvent sous la présidence Chirac (14). Certaines réformes ont néanmoins marqué durablement la société française.</p>
<h2>L’élection du président de la République au suffrage universel direct</h2>
<p><a href="https://www.elysee.fr/la-presidence/proclamation-des-resultats-du-scrutin-du-21-decembre-195">Élu le 21 décembre 1958</a> par un collège de grands électeurs, Charles de Gaulle avait pour objectif d’inscrire l’élection présidentielle au suffrage universel direct dans la constitution française bien avant de revenir au pouvoir. Il avait annoncé ce projet lors de son <a href="https://enseignants.lumni.fr/fiche-media/00000000010/le-discours-de-bayeux.html">discours de Bayeux</a> (16 juin 1946), considérant que cela permettrait à la fois d’établir un lien plus direct entre le chef de l’État et les citoyens et d’accorder une plus grande légitimité au président élu.</p>
<p>Les circonstances tumultueuses de son retour au pouvoir en <a href="https://theconversation.com/mai-1958-une-histoire-encore-inachevee-89684">mai 1958</a> ainsi que la <a href="https://www.cairn.info/revue-parlements1-2009-2-page-24.htm">mémoire vivace du coup d’État de 1851</a> par Louis-Napoléon Bonaparte contraignent le général de Gaulle et son entourage à faire des concessions. Après avoir proposé initialement l’inscription de l’élection du président au suffrage universel direct dans la nouvelle constitution par l’entremise de Michel Debré, le <a href="https://books.openedition.org/pan/312?lang=fr">comité consultatif constitutionnel</a> décide de former un <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/download/securePrint">collège de grands électeurs</a>. L’objectif est d’élargir la base électorale sans prêter le flanc aux accusations de tentation dictatoriale gaulliste que l’élection au suffrage universel direct permettrait.</p>
<p>Souhaitant revenir sur ce point, le général de Gaulle profite de l’émotion suscitée par <a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/afe85009640/l-attentat-du-petit-clamart">l’attentat du Petit-Clamart</a> pour annoncer une réforme constitutionnelle permettant l’élection du président de la République au suffrage universel direct via un <a href="https://fresques.ina.fr/de-gaulle/fiche-media/Gaulle00080/l-election-du-president-de-la-republique-au-suffrage-universel.html">référendum</a>. Malgré une vive campagne des opposants de tous bords politiques qui appellent à voter contre cette réforme qui permettrait à un « dictateur » d’agir librement (le bien nommé <a href="https://www.cairn.info/revue-parlements1-2004-3-page-45.htm">« cartel des non »</a>), le <a href="https://www.persee.fr/doc/rfsp_0035-2950_1963_num_13_2_392714">« oui » l’emporte aisément</a> (62 %) le 28 octobre 1962. Si l’idée initiale était de faire du chef de l’État un « arbitre » entre le gouvernement et le Parlement, l’élection au suffrage universel direct, couplée à la posture gaullienne, acte le déplacement de l’essentiel du pouvoir exécutif de Matignon à l’Élysée.</p>
<h2>Le passage au quinquennat</h2>
<p>Si le septennat était voulu par Charles de Gaulle pour permettre au chef de l’État d’élaborer une politique sur le long terme, Georges Pompidou n’était pas toujours de cet avis. Devenu président, <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/2000/06/06/de-la-tentative-avortee-de-georges-pompidou-a-la-hate-imposee-par-valery-giscard-d-estaing_3716472_1819218.html">il souhaite réduire la durée du mandat présidentiel à cinq années</a>. Il propose de réaliser cette <a href="http://www.georges-pompidou.fr/sites/default/files/1973_04_03_message-Parlement.pdf">réforme en 1973</a>. L’Assemblée nationale et le Sénat adoptent un texte mais le <a href="https://www.persee.fr/docAsPDF/rfsp_0035-2950_1984_num_34_4_394163.pdf">projet avorte</a> subitement faute d’une majorité suffisante – une réforme constitutionnelle par le biais du Congrès ne peut être adoptée qu’avec l’approbation des 3/5<sup>e</sup> des parlementaires. </p>
<p>L’opposition restait vivace, <a href="http://www.pub-editions.fr/index.php/le-programme-commun-de-la-gauche-1972-1977-c-etait-le-temps-des-programmes-5228.html">aussi bien à gauche</a> – où l’on refuse par principe de soutenir une réforme pompidolienne alors même que le quinquennat présidentiel est inscrit dans le programme commun de la gauche – que par une partie des (néo) gaullistes <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1973/10/13/contre-le-quinquennat_2554504_1819218.html">au nom du respect de la constitution voulue par le général de Gaulle</a>. Par la suite, les <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/2000/06/06/de-la-tentative-avortee-de-georges-pompidou-a-la-hate-imposee-par-valery-giscard-d-estaing_3716472_1819218.html">présidents Valéry Giscard d’Estaing (VGE) et François Mitterrand</a> se sont montrés favorables au passage du septennat au quinquennat… à condition que leurs mandats ne soient pas concernés.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/7uSgJaQ5kaU?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Du septennat au quinquennat, débats sous la Ve, INA.</span></figcaption>
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<p>Il faut attendre 2000 pour que le sujet revienne sérieusement dans les discussions. Le 10 mai, dans une <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/2000/05/10/et-maintenant-le-quinquennat-par-valery-giscard-d-estaing_61077_1819218.html">tribune au Monde</a>, VGE appelle à une réduction du mandat présidentiel à cinq ans. Certains chiraquiens (<a href="https://www.lepoint.fr/politique/jacques-chirac-1932-2019-le-president-5-5--28-09-2019-2338244_20.php">tel François Baroin</a>) y voient une tentative de l’ancien président de saper le mandat de son rival, alors qu’il avait précisé dans sa tribune que ladite réforme ne s’appliquerait pas au mandat en cours mais à partir du suivant, en 2002. </p>
<p>Il faut se souvenir du contexte du moment. Depuis 1997, la France connaît sa <a href="https://www.cairn.info/la-politique-en-france--9782707154446-page-363.htm">troisième cohabitation</a>. Lionel Jospin dirige un gouvernement de coalition de partis de gauche avec un président de droite, Jacques Chirac. L’idée derrière la proposition de VGE est de renforcer le caractère présidentiel du régime et de <a href="https://www.persee.fr/doc/juro_0990-1027_2000_num_13_4_2596">réduire les risques de cohabitations</a> en synchronisant les élections présidentielles et législatives. <a href="https://www.lesechos.fr/2000/05/quinquennat-lionel-jospin-se-dit-determine-a-faire-aboutir-la-reforme-744063">Lionel Jospin s’y rallie immédiatement</a> au motif qu’il s’agirait d’une <a href="https://www.vie-publique.fr/discours/142120-lionel-jospin-16052000-reforme-constitutionnelle-quinquennat">réforme plus démocratique</a> – les électeurs s’exprimeraient plus souvent sur le choix du chef de l’État.</p>
<p>Ce plan déplaît à <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/09/23/quinquennat-en-2000-apres-cinquante-jours-de-bras-de-fer-giscard-d-estaing-et-jospin-font-plier-chirac_6053287_823448.html">l’origine au président Chirac</a>, qui finit toutefois par s’y rallier en imposant ses conditions : pas de limite du nombre de mandats réalisable, pas d’autres changements sur le statut présidentiel. Jacques Chirac exige également que le changement s’opère par référendum et non auprès du Parlement. Une décision qui se <a href="https://enseignants.lumni.fr/fiche-media/00000000418/le-referendum-du-24-septembre-2000-sur-le-quinquennat.html">solde le 24 septembre 2000</a> par une adoption du quinquennat présidentiel avec 73 % de « oui », mais moins d’un tiers des électeurs s’est exprimé dans les urnes !</p>
<h2>L’instauration définitive de l’« hyper-présidence » en 2008</h2>
<p>Quelques années plus tard, Nicolas Sarkozy se lance dans la campagne présidentielle de 2007. Il <a href="https://www.challenges.fr/entreprise/2007-sarkozy-promet-de-realiser-toutes-ses-reformes-sous-2-ans_387769">promet en cas de victoire</a> de transformer les institutions pour les moderniser, afin de mieux répondre aux aspirations populaires. Une fois élu, il confie la <a href="https://www.lefigaro.fr/politique/2007/07/12/01002-20070712ARTFIG90207-nicolas_sarkozy_lance_sa_reforme_constitutionnelle.php">direction d’un comité de réflexion</a> à Édouard Balladur où des politiques et des juristes réfléchissent sur les changements à apporter à la constitution. <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-droit-constitutionnel-2008-5-page-19.htm">Ce comité remet son rapport en octobre 2007</a>, rapport qui irrigue la réflexion de la majorité parlementaire (l’Union pour un mouvement populaire, UMP). </p>
<p>Quelques propositions importantes sont rejetées par peur d’affaiblir la majorité parlementaire ou de perdre le soutien de certains élus – non-cumul des mandats, proportionnelle pour l’élection des députés, réforme du Sénat. Néanmoins, la <a href="https://www.lefigaro.fr/politique/2007/12/07/01002-20071207ARTFIG00250-sarkozy-accelere-la-reforme-des-institutions.php">plupart des recommandations</a> restent suivies. Le projet est débattu au Parlement à l’été 2008. <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2008/06/11/reforme-constitutionnelle-badinter-face-a-balladur_1056733_823448.html">Ses partisans</a> défendent le fait que la réforme augmenterait le pouvoir du Parlement ; à l’inverse, les <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2008/06/11/reforme-constitutionnelle-badinter-face-a-balladur_1056733_823448.html">opposants</a> estiment que les concessions faites au pouvoir législatif sont maigres comparativement aux acquisitions du pouvoir exécutif.</p>
<p>Le <a href="https://www.elysee.fr/nicolas-sarkozy/2008/10/01/declaration-de-m-nicolas-sarkozy-president-de-la-republique-sur-la-loi-constitutionnelle-du-23-juillet-2008-de-modernisation-des-institutions-de-la-cinquieme-republique-a-paris-le-1er-octobre-2008">23 juillet 2008</a>, la réforme constitutionnelle est promulguée. <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000019237256">Les changements sont conséquents</a> : </p>
<ul>
<li><p>le président de la République ne peut plus assurer que de deux mandats consécutifs ; </p></li>
<li><p>le Conseil économique, social et environnemental et le Conseil supérieur de la magistrature sont réformés (le CESE s’ouvre à des associations environnementales et de jeunesse et peut être saisi par des pétitions citoyennes ; le CSM n’est plus dirigé par le chef de l’État et le ministre de la Justice, sa composition change pour donner plus de place à la société civile) ; </p></li>
<li><p>la <a href="https://www.defenseurdesdroits.fr/sites/default/files/atoms/files/plaq-inst-num-bd.pdf">fonction de défenseur des droits est créée</a> (pouvoir consultatif non contraignant, émet simplement des recommandations qui peuvent ne pas être suivies) ; </p></li>
<li><p>l’Assemblée nationale et le Sénat peuvent désormais fixer librement leurs agendas ; </p></li>
<li><p>le chef de l’État peut convoquer le Congrès pour s’adresser solennellement à tous les parlementaires ; </p></li>
<li><p>le <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/referendum-d-initiative-partagee/referendum-d-initiative-partagee-rip-mode-d-emploi">référendum d’initiative partagée</a> (RIP) est créé, permettant aux parlementaires de le saisir dans des conditions strictes, etc.</p></li>
</ul>
<p>Malgré quelques ajouts qui semblent accorder plus de latitude d’action aux pouvoirs législatif et juridique, le pouvoir présidentiel reste immense. Les contre-pouvoirs ressortent plus affaiblis que renforcés, incitant des hommes favorables à la réforme comme <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/2009/09/19/01011-20090919FILWWW00582-raffarin-plaide-pour-des-contre-pouvoir.php">Jean-Pierre Raffarin</a> à les renforcer pour que la présidence de la République ne se réduise pas à « l’exercice solitaire du pouvoir ». </p>
<p>Rapidement, le constat émis par la presse et les oppositions se veut même alarmant. Nicolas Sarkozy, déjà qualifié d’« hyper-président » par sa forte présence médiatique en 2007, aurait renforcé les capacités d’action du pouvoir exécutif à travers celui de l’Élysée qu’il aurait gravé dans le marbre par son style (la fameuse <a href="https://www.cairn.info/histoire-des-presidents-de-la-republique--9782262069155-page-585.htm">« hyper-présidence »</a>, qualifiée depuis plusieurs années de <a href="https://www.la-croix.com/Economie/Emmanuel-Macron-president-jupiterien-vis-vis-presse-2021-05-07-1201154589">« pouvoir jupitérien »</a> pour souligner la différence de personnalité avec le président actuel).</p>
<p>De plus en plus de citoyens manifestent également la volonté d’inverser la tendance actuelle à la verticalité en y intégrant un <a href="https://www.sudradio.fr/sud-radio/un-collectif-reclame-des-etats-generaux-de-la-democratie">pouvoir plus horizontal</a>, comme la <a href="https://www.rtl.fr/actu/debats-societe/reforme-des-retraites-60-des-francais-souhaitent-que-les-syndicats-poursuivent-l-appel-a-la-mobilisation-7900255541">réforme des retraites</a> l’a encore si bien rappelé ces derniers mois. Cela n’a rien d’impossible, la constitution de la V<sup>e</sup> République a su démontrer à plusieurs reprises sa capacité d’adaptation et sa grande souplesse. Tout est question de volonté politique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/214655/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Bryan Muller ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le 4 octobre 1958, était promulguée la Vᵉ République. Le président de la République s’apprête à célébrer le 65ᵉ anniversaire du régime. Revenons donc sur quelques réformes phares de la constitution.Bryan Muller, Docteur en Histoire contemporaine, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2101442023-07-25T17:51:41Z2023-07-25T17:51:41ZAffaire Nahel : les Républicains ont-ils été pris au piège de la récupération politique ?<p>L’affaire Nahel et les violences urbaines qui ont suivi son décès dans le cadre d’un contrôle policier ont donné lieu à une multiplication de prises de position et d’initiatives de responsables politiques de tous bords. Beaucoup sont apparues comme des réactions manichéennes et ont semblé destinées à en tirer un avantage politique. </p>
<p>Les stratégies opportunistes et de récupération ne sont <a href="https://hal.univ-reunion.fr/hal-03454044/document">pas des phénomènes nouveaux</a> en politique et concernent toutes les tendances. Leur analyse éclaire néanmoins les défis auxquels font face Les Républicains (LR), suite aux turbulences traversées par le parti lors de la réforme des retraites et à la destitution d’Aurélien Pradié de son poste de vice-président.</p>
<h2>Opportunisme et récupération politiques</h2>
<p>En 2002, <a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/papy-voise-un-fait-divers-qui-a-bouscule-la-presidentielle-de-2002">l’agression d’un retraité</a> au visage tuméfié à Orléans quelques jours avant le 1<sup>re</sup> tour de l’élection présidentielle avait choqué nombre de personnes et avait été largement commentée. Les responsables de droite et d’extrême droite l’avaient présentée comme le symbole du laxisme en matière de sécurité du gouvernement de Lionel Jospin, justement candidat à l’élection présidentielle. <a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/i17109756/presidentielles-2002-en-direct-des-qg-de-j-chirac-l-jospin-et-j-m-le-pen-a">Battu</a> quelques jours plus tard par Jacques Chirac et Jean-Marie Le Pen lors du 1<sup>re</sup> tour, <a href="https://www.marianne.net/politique/jeremy-cohen-papy-voise-ces-affaires-influencent-elles-vraiment-les-presidentielles">certains observateurs</a> avaient estimé que la récupération de ce fait divers avait effectivement contribué à la défaite du candidat socialiste.</p>
<p>Parfois les situations peuvent permettre aux politiciens de se mettre eux-mêmes en scène. Le 13 mai 1993, la <a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/neuilly-prise-otage-ecole-maternelle-human-bomb-nicolas-sarkozy-rancon">prise d’otages de jeunes enfants d’une école maternelle</a> à Neuilly avait donné lieu à l’intervention dans la négociation avec le preneur d’otages de Nicolas Sarkozy, alors maire de la ville et peu connu du grand public. Sa sortie de l’école, tenant dans les bras l’un des écoliers, avait fait la une des journaux. Malgré les polémiques provoquées par le <a href="https://www.francetvinfo.fr/politique/nicolas-sarkozy/recit-prise-d-otages-dans-une-maternelle-de-neuilly-en-1993-le-jour-ou-nicolas-sarkozy-s-est-revele-aux-yeux-du-grand-public_2733699.html">rôle joué par l’élu gaulliste</a>, elle avait contribué à le faire connaître et cet épisode avait façonné l’image d’un homme habile et courageux… qui allait devenir président de la République <a href="https://www.interieur.gouv.fr/Elections/Les-resultats/Presidentielles/elecresult__presidentielle_2007/(path)/presidentielle_2007/FE.html">quelques années plus tard</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">1993 : Nicolas Sarkozy, maire de la ville, s’exprime lors de la prise d’otages à la maternelle du Commandant Charcot à Neuilly (Archive INA).</span></figcaption>
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<p>Mais la récupération et l’opportunisme en politique ont parfois un effet inverse à celui escompté. En 1988, Jacques Chirac était donné largement perdant avant le second tour de l’élection présidentielle face à François Mitterrand. La <a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/cab02013761/liberation-des-otages-au-liban-l-emission-speciale-d-a2-le-5-mai-1988">libération des derniers otages français détenus au Liban</a> orchestrée par Charles Pasqua, son ministre de l’intérieur, juste avant le second tour, semblait venir à point nommé pour inverser la tendance. Jacques Chirac ne manquait d’ailleurs pas de les accueillir à l’aéroport, lors de leur arrivée en France. </p>
<p>Mais pour beaucoup, le moment de cette libération, quelques jours avant le second tour, <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/histoires-d-info/liberation-d-otages-des-flots-de-larmes-et-de-questions_1770623.html">n’était peut-être pas le fruit du hasard</a>. Et le candidat de la droite fut finalement largement battu par François Mitterrand qui obtint <a href="https://www.vie-publique.fr/eclairage/24164-resultats-de-lelection-presidentielle-1988">54 % des voix</a>.</p>
<h2>Le cas des Républicains</h2>
<p>Les violences urbaines liées au décès du jeune Nahel ont donné lieu à de nombreuses <a href="https://www.lexpress.fr/politique/lr/mort-de-nahel-a-nanterre-le-fait-divers-objet-politique-inflammable-4W3NO232HBHKBE7QSQV5VLX6C4/">tentatives de récupération à droite et à gauche</a>. Dans le cas de Républicains, elles ont permis aux défenseurs d’une ligne ferme et autoritaire centrée sur les sujets régaliens de mettre en avant les questions d’immigration et de sécurité. Laxisme du gouvernement, dérives identitaires et communautaristes, absence de volonté d’intégration ont été <a href="https://www.rfi.fr/fr/france/20230705-violences-urbaines-en-france-la-droite-surfe-sur-les-%C3%A9meutes">pointés du doigt</a>. La séquence a aussi permis à Laurent Wauquiez d’accorder un <a href="https://www.lefigaro.fr/politique/laurent-wauquiez-au-figaro-dans-l-interet-de-la-france-il-faut-faire-l-union-sacree-autour-de-mesures-fortes-sur-l-immigration-la-securite-et-le-merite-20230712">entretien au Figaro</a> laissant peu de place aux doutes concernant la future stratégie présidentielle du parti et l’identité de la personnalité vouée à l’incarner.</p>
<p>Les <a href="https://www.francetvinfo.fr/faits-divers/adolescent-tue-par-un-policier-a-nanterre/video-violences-urbaines-bien-sur-que-si-il-y-a-un-lien-avec-l-immigration-assure-le-chef-de-file-des-republicains-au-senat-bruno-retailleau_5931779.html">propos de Bruno Retailleau</a> stigmatisant la « régression vers les origines ethniques » de jeunes simplement « Français par leur identité » ont concentré les critiques de la gauche dénonçant une surenchère destinée aux électeurs du RN.</p>
<p>Mais ils ont aussi ravivé les tensions déjà mises à jour par la réforme des retraites entre les tenants d’une ligne ferme et autoritaire incarnée par Eric Ciotti et les défenseurs d’une droite plus sociale défendue par Xavier Bertrand ou Aurélien Pradié. Ce dernier a notamment estimé que ces propos n’étaient pas acceptables et <a href="https://www.lefigaro.fr/politique/je-n-accepte-pas-les-propos-de-bruno-retailleau-sur-la-regression-ethnique-cingle-aurelien-pradie-20230712">remettaient en cause</a> les valeurs fondamentales de la droite gaulliste en évoquant une guerre des races.</p>
<h2>Un triple défi de positionnement idéologique, de personnes et de management</h2>
<p>Les prises de position de l’aile droitière des Républicains et les tensions qui en découlent soulèvent plusieurs questions. La première est idéologique et concerne le positionnement du parti, notamment vis-à-vis du Rassemblement national (RN).</p>
<p>Crise après crise, le RN semble tirer avantage d’une stratégie visant à assoir sa respectabilité. La ligne portée par Eric Ciotti, qui <a href="https://www.rfi.fr/fr/france/20230705-violences-urbaines-en-france-la-droite-surfe-sur-les-%C3%A9meutes">distingue peu</a> ou plus LR du parti d’extrême droite d’un point de vue idéologique, comme les polémiques à répétition et le manque d’unité semblent favoriser, <a href="https://www.lunion.fr/id497658/article/2023-06-27/sondage-le-rassemblement-national-met-la-nupes-k-o-selon-le-dernier-barometre">au regard des récents sondages</a>, la formation de Marine Le Pen.</p>
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<p>La seconde est un problème de personnes et de courants et concerne notamment l’avenir d’Aurélien Pradié au sein du parti. L’animosité qu’il provoque chez certains responsables des Républicains <a href="https://www.publicsenat.fr/actualites/politique/profil-des-emeutiers-aurelien-pradie-est-un-apotre-du-deni-tacle-bruno-retailleau">comme Bruno Retailleau</a> et ses critiques de la ligne officielle posent à nouveau les questions de son appartenance à la formation de droite et de la coexistence du courant « identitaire » et du courant « social » au sein d’une même entité.</p>
<p>La troisième question concerne le management d’Eric Ciotti. Les recherches ont montré qu’un leadership efficace se nourrissait à la fois de <a href="https://www.researchgate.net/profile/Dr-Nanjundeswaraswamy-2/publication/272509462_Leadership_styles/links/5b5e8707458515c4b25226d6/Leadership-styles.pdf">fermeté et de capacité à trancher, mais aussi de sens du compromis, de la négociation et de l’écoute</a>. Jusqu’à quand pourra-t-il dès lors laisser s’exprimer une voix dissonante remettant en question son leadership sans décider de l’exclure ? Une telle décision renforcerait son autorité… mais pourrait aussi réduire le spectre idéologique d’une formation aujourd’hui minoritaire et considérablement réduire ses espoirs d’un retour au premier plan.</p>
<p>Finalement, au-delà de la situation particulière de LR et de l’impact de ces événements sur son (re) positionnement idéologique, cette séquence montre une nouvelle fois qu’utiliser les faits divers et l’émotion qu’ils provoquent pour essayer de faire passer de nouvelles règles et en tirer un avantage politique est un exercice dangereux.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/210144/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Olivier Guyottot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Si les stratégies opportunistes ne sont pas des phénomènes nouveaux en politique, leur analyse éclaire néanmoins les défis auxquels font face les partis comme Les Républicains aujourd'hui.Olivier Guyottot, Enseignant-chercheur en stratégie et en sciences politiques, INSEEC Grande ÉcoleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1818412022-04-24T20:31:14Z2022-04-24T20:31:14ZLa réélection d’Emmanuel Macron : une victoire en trompe-l’œil<p><a href="https://www.lemonde.fr/politique/live/2022/04/24/election-presidentielle-2022-en-direct-une-journee-de-vote-entre-perte-de-reperes-et-ressentiment-envers-le-gouvernement_6123433_823448.html">Le large succès d’Emmanuel Macron</a> contre Marine Le Pen au second tour de l’élection présidentielle, le 24 avril 2022, ne constitue pas une surprise. Depuis plus d’un an, il était annoncé par tous les sondages d’opinion – avec une avance qui, finalement, n’a pas été modifiée par une campagne pourtant peu avare en rebondissements.</p>
<p><a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2021/05/20/un-an-avant-une-presidentielle-les-sondages-sont-souvent-loin-du-compte_6080892_4355770.html">En avril 2021 déjà</a>, les principaux instituts (Elabe, Harris Interactive, Ifop, Ipsos) situaient le score final du président sortant dans une fourchette allant de 54 à 57 % des voix.</p>
<p>Ce succès s’inscrit en outre dans le prolongement des résultats du premier tour, qui avaient interrompu une dynamique semblant profiter, au début du mois d’avril, aux principaux opposants à Emmanuel Macron (Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon) : avec 4,5 points et 1,6 million d’électeurs d’avance sur sa poursuivante, le président sortant abordait ce second tour en situation de ballotage favorable, d’autant qu’il pouvait compter sur le soutien d’un nombre plus important de candidats du premier tour (Pécresse, Jadot, Roussel, Hidalgo – contre Zemmour et Dupont-Aignan) ainsi que sur <a href="https://www.france24.com/fr/france/20220410-pr%C3%A9sidentielle-jean-luc-m%C3%A9lenchon-appelle-%C3%A0-ne-pas-donner-une-seule-voix-%C3%A0-marine-le-pen">l’appel répété</a> de Jean-Luc Mélenchon à ne pas « donner une seule voix à Mme Le Pen ».</p>
<h2>Réélection hors cohabitation</h2>
<p>Avec cette victoire, Emmanuel Macron est le premier président de la V<sup>e</sup> République à avoir été élu à deux reprises au suffrage universel sans être en situation de cohabitation. <a href="https://www.franceculture.fr/politique/22-mars-1988-le-jour-ou-mitterrand-a-electrise-la-campagne">François Mitterrand en 1988</a> et <a href="https://www.youtube.com/watch?v=4GTZxFMC4fg">Jacques Chirac en 2002</a> avaient abordé l’élection dans un contexte de cohabitation qui renforçait leur position arbitrale, en surplomb de la scène politique, et leur permettait de capter l’insatisfaction des électeurs face à l’action des gouvernements dirigés par des hommes (Chirac en 1988, Jospin en 2002) qu’ils ont pu ainsi facilement éliminer au second ou au premier tour du scrutin.</p>
<p>Quant au général de Gaulle, réélu en 1965 <a href="https://www.cairn.info/histoire-politique-de-la-v-e-republique--9782200346935-page-29.htm">dans une logique de continuité</a>, il avait été choisi sept ans plus tôt par un collège de 82 000 grands électeurs – et non par le suffrage universel. Emmanuel Macron échappe ainsi à cette malédiction du « vote-sanction » <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/le-billet-politique/emmanuel-macron-face-a-la-malediction-du-sortant">contre le président sortant</a> qui a expliqué les défaites de Valéry Giscard d’Estaing en 1981 et de Nicolas Sarkozy en 2012 et a poussé François Hollande à ne pas se représenter à la présidentielle de 2017.</p>
<p>Ce succès valide, semble-t-il, la stratégie qu’il a engagée dès 2017 et qui visait à le faire apparaître comme le champion des « progressistes », c’est-à-dire des libéraux européens de droite et de gauche, contre les « populistes nationalistes », rassemblés autour de Marine Le Pen. L’action et le discours du président sortant, au cours de ces cinq années, consistaient bien à consolider cette bipolarisation qui avait assuré son succès au second tour de la présidentielle de 2017 et apparaissait comme le sésame en vue d’un second mandat.</p>
<h2>Une stratégie imparfaite</h2>
<p>Cette stratégie n’a qu’imparfaitement fonctionné. En effet, le paysage politique français est aujourd’hui <a href="https://theconversation.com/les-resultats-du-premier-tour-une-stabilite-apparente-une-reconfiguration-profonde-181046">structuré autour de trois</a> – et non de deux – pôles. Le score de Jean-Luc Mélenchon, qui a gagné en cinq ans plus de voix que Marine Le Pen, <a href="https://theconversation.com/les-resultats-du-premier-tour-une-stabilite-apparente-une-reconfiguration-profonde-181046">a été la plus grande surprise</a> du premier tour de scrutin – tant la capacité du dirigeant de la France insoumise à rassembler les électeurs de gauche hostiles au libéralisme macronien a été sous-évaluée, notamment par un président sortant tout occupé à capter à son profit l’électorat de la droite traditionnelle.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-droite-se-dechirera-t-elle-pour-ses-idees-166844">La droite se déchirera-t-elle pour ses idées ?</a>
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<p>L’attitude des électeurs de la gauche antilibérale a été l’enjeu principal de l’entre-deux-tours. Chacun des deux candidats en lice a cherché à attirer l’électorat de Jean-Luc Mélenchon, Marine Le Pen en insistant sur le <a href="https://theconversation.com/le-programme-social-de-marine-le-pen-decrypter-le-vrai-du-faux-181307">caractère « social »</a> de son programme, Emmanuel Macron en reprenant la proposition d’une <a href="https://www.europe1.fr/politique/presidentielle-pourquoi-emmanuel-macron-a-t-il-effectue-un-virage-ecologique-4106120">« planification écologique »</a>. Sans convaincre pleinement ni faire bouger réellement les rapports de forces.</p>
<h2>Des comportements électoraux hétérogènes</h2>
<p>Les résultats du second tour semblent indiquer que les électeurs de gauche ne se sont pas comportés de façon mécanique et uniforme. Une proportion non négligeable a voté pour Marine Le Pen, notamment dans les campagnes, où Le Pen est désormais majoritaire, dans cette <a href="https://theconversation.com/france-peripherique-abstention-et-vote-rn-une-analyse-geographique-pour-depasser-les-idees-recues-175768">« France périphérique »</a> décrite par <a href="https://www.cairn.info/la-france-peripherique--9782081347519.htm">Christophe Guilluy</a> ainsi que dans les <a href="https://la1ere.francetvinfo.fr/guadeloupe/marine-le-pen-plebiscitee-par-les-guadeloupeens-les-saint-martinois-et-les-saint-barths-1276256.html">outre-mers</a> où la candidate du Rassemblement national recueille la plus grande partie des électeurs qui s’étaient portés en nombre au premier tour sur Jean-Luc Mélenchon : elle obtient ainsi près de 70 % des suffrages en Guadeloupe, où le dirigeant de la France insoumise avait recueilli 56 % des voix quinze jours plus tôt. Le vote lepéniste, majoritaire dans deux départements seulement (l’Aisne et le Pas-de-Calais) il y a cinq ans, <a href="https://www.lefigaro.fr/politique/le-scan/decryptages/comment-en-trente-ans-le-vote-lepeniste-a-conquis-l-electorat-populaire-20210427">prévaut</a> désormais dans plus de vingt départements (principalement dans le nord, l’est et le sud-est de la France) et dans de nombreux territoires ruraux.</p>
<p>Une fraction un peu plus importante a voté pour Emmanuel Macron, notamment dans les grandes agglomérations où les électeurs de Mélenchon ont un profil sociologique assez proche de celui du président sortant : celui-ci conforte ainsi son ancrage dans la France des grandes villes.</p>
<p>Plus nombreux encore sont ceux qui ont refusé de choisir. Plus de 8.5 % des votants ont déposé un bulletin blanc ou nul, contre 2.2 % quinze jours plus tôt. Quant au <a href="https://theconversation.com/la-cause-cachee-de-la-montee-de-labstention-180152">taux d’abstention</a> (28 %), il est aussi nettement supérieur à celui du premier tour de 2022 (26,3 %) et du second tour de 2017 (25,4 %), lequel était déjà élevé pour un scrutin présidentiel. </p>
<p>Seul le second tour de la <a href="https://www.politiquemania.com/presidentielles-1969-france.html">présidentielle de 1969</a> a enregistré un taux d’abstention supérieur (31,2 %) : comme en 2022, le premier tour de cette élection avait été dominé par trois candidatures, celle du gaulliste Georges Pompidou (44,5 %), du centriste d’opposition Alain Poher (23,3 %) et du communiste Jacques Duclos (21,2 %), lequel avait renvoyé dos à dos les deux candidats finalistes, qualifiés de <a href="https://www.lesechos.fr/idees-debats/editos-analyses/bonnet-blanc-et-blanc-bonnet-vraiment-1401357">« blancs bonnets et bonnets blancs »</a>. Le score réalisé par Emmanuel Macron est d’ailleurs très proche de celui qu’avait obtenu Georges Pompidou lors de cette élection (58,2 %).</p>
<h2>Dispersion de l’électorat, érosion du front républicain</h2>
<p>La tripolarisation s’accommode décidément mal du scrutin majoritaire à deux tours : c’est ce qui explique la faible proportion de suffrages exprimés par rapport au nombre d’électeurs inscrits, en 1969 comme en 2022, où elle descend en-dessous de 66 % – ce qui constitue un record pour une présidentielle. C’est ce qui explique qu’Emmanuel Macron soit à la fois l’un des présidents les mieux élus de la V<sup>e</sup> République (derrière Chirac en 2002 et lui-même en 2017) si l’on rapporte son score aux suffrages exprimés et, avec Georges Pompidou en 1969, le plus mal élu si on le rapporte plutôt aux électeurs inscrits ((38 % contre 43.5 % pour lui-même en 2017).</p>
<p>La dispersion des électeurs de gauche, et dans une moindre mesure, de la droite traditionnelle explique le résultat obtenu par Macron, qui perd plus de 8 points et près de 2 millions d’électeurs par rapport au second tour de 2017. Cette baisse est sans précédent dans l’histoire des élections présidentielles : Giscard, en 1981, et Sarkozy, en 2012, avaient respectivement perdu 3 et 5 points par rapport à l’élection qui avait permis leur victoire. Il faut y voir moins un vote-sanction (la base électorale du président sortant, au premier tour, ayant assez nettement progressé) que la <a href="https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2021/06/25/de-la-sfio-aux-regionales-de-2021-la-lente-erosion-du-front-republicain-dans-le-monde_6085704_4500055.html">forte érosion</a> de la logique du « front républicain », qui avait fonctionné, pleinement en 2002, majoritairement en 2017 et plus partiellement en 2022, illustrant la façon dont le vote en faveur de Marine Le Pen s’est banalisé.</p>
<p>La victoire attendue d’Emmanuel Macron ne doit pas masquer les deux principaux enseignements du scrutin : l’extrême droite obtient un niveau jamais atteint lors d’une élection en France, grâce à sa capacité à rassembler assez largement au second tour un électorat hétérogène à dominante populaire ; le paysage politique français, structuré autour de trois pôles, est en décalage avec un mode de scrutin adapté à la bipolarisation, ce qui met en question la représentativité des élus, choisis au second tour par défaut plus que par adhésion, et, au-delà, le fonctionnement même des institutions démocratiques. Ce double constat rend d’autant plus incertaine l’issue des prochaines élections législatives, qui ne seront pas marquées par la même dynamique de changement qu’en 2017, 2012 ou même 2007.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/181841/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mathias Bernard est président de l'Université Clermont-Auvergne.</span></em></p>Le succès d’Emmanuel Macron valide une stratégie visant à le faire apparaître comme le champion des « progressistes », mais elle n’a que partiellement fonctionné.Mathias Bernard, Historien, Université Clermont Auvergne (UCA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1810832022-04-11T21:07:41Z2022-04-11T21:07:41ZEn 2002, les manifestations contre l’extrême droite avaient fait reculer Jean-Marie Le Pen au second tour<p>Outre <a href="https://www.aeaweb.org/articles?id=10.1257/jel.20201595">leurs positions</a> anti-immigration et un discours anti-élite, les partis d’extrême droite ont en commun d’avoir souvent amené leurs opposants à manifester en réaction à leurs succès électoraux. L’Allemagne, la France, la Grèce, la Hongrie, l’Italie, la Pologne, ou les États-Unis notamment ont connu ce type de mobilisations. Mais atteignent-elles leur objectif de réduire l’influence des partis d’extrême droite ?</p>
<p>Pour donner un élément de réponse à cette question, nous avons étudié les <a href="https://ideas.repec.org/p/sol/wpaper/2013-341162.html">manifestations du 1ᵉʳ mai 2002</a>, qui s’étaient déroulées quatre jours avant le deuxième tour de l’élection présidentielle française pour lequel le candidat du Front national, Jean-Marie Le Pen, s’était qualifié contre Jacques Chirac. Le même jour, environ 300 manifestations contre le candidat d’extrême droite avaient rassemblé plus d’un million et demi de participants à travers le pays, à l’appel des partis politiques, des syndicats et d’un ensemble d’associations.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/457368/original/file-20220411-14-h6k504.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/457368/original/file-20220411-14-h6k504.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/457368/original/file-20220411-14-h6k504.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/457368/original/file-20220411-14-h6k504.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/457368/original/file-20220411-14-h6k504.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/457368/original/file-20220411-14-h6k504.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/457368/original/file-20220411-14-h6k504.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Il y a 20 ans, un million et demi de personnes descendait dans la rue à l’appel des partis politiques, des syndicats et d’un ensemble d’associations.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.m.wikimedia.org/wiki/File:Paris_May1_2002_DCP_8760.JPG">Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>En étudiant la relation entre les résultats du deuxième tour et le nombre de participants, on peut observer finement les déplacements de voix provoqués par les manifestations. Nous avons donc rassemblé les résultats officiels de l’élection de 36 153 communes de France métropolitaine. En utilisant la presse nationale et régionale, nous avons collecté les données sur le nombre de participants aux manifestations.</p>
<h2>La météo ne fait pas de politique</h2>
<p>Mais les corrélations brutes peuvent être trompeuses : la mobilisation n’est probablement pas indépendante de la performance des candidats. Par exemple, si elle était plus forte dans les communes où l’électorat est fortement ancré à gauche et où Jean-Marie Le Pen obtient en général des scores plus faibles, on pourrait avoir l’impression que les manifestations sont efficaces quand bien même elles ne le seraient pas.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/457367/original/file-20220411-26-jbdsay.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/457367/original/file-20220411-26-jbdsay.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/457367/original/file-20220411-26-jbdsay.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=451&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/457367/original/file-20220411-26-jbdsay.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=451&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/457367/original/file-20220411-26-jbdsay.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=451&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/457367/original/file-20220411-26-jbdsay.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=567&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/457367/original/file-20220411-26-jbdsay.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=567&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/457367/original/file-20220411-26-jbdsay.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=567&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">La localisation et la taille des manifestations du 1ᵉʳ mai 2002.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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</figure>
<p>C’est pourquoi nous avons exploité le fait que la météo avait été très différente d’une ville à l’autre le jour des manifestations. Comme le mauvais temps incite à rester chez soi mais ne fait pas de politique, il est indépendant de toute caractéristique des communes qui pourrait être corrélée à la fois avec la mobilisation du 1<sup>er</sup> mai et les résultats du deuxième tour. La météo permet donc d’isoler une variation purement exogène de la mobilisation du 1<sup>er</sup> mai. Si cette variation est corrélée avec les résultats, on mesure effectivement l’effet de la mobilisation sur les résultats du second tour.</p>
<p>Nos estimations confirment que les manifestations ont eu moins de succès dans les communes où il a plu le 1<sup>er</sup> mai 2002 que dans celles où il a fait beau. Nous avons donc pu étudier la relation entre le nombre de participants estimé à partir de la météo du 1<sup>er</sup> mai et le score de Jean-Marie Le Pen, celui de Jacques Chirac et aussi l’abstention et les votes blancs et nuls.</p>
<p>Résultat : Plus la mobilisation dans une commune a été grande, moins les électrices et les électeurs y ont voté pour Jean-Marie Le Pen et se sont abstenus ou voté blanc ou nul. Ils y ont en revanche davantage voté pour Jacques Chirac.</p>
<p>Plus précisément, 1 % de manifestants en plus a fait baisser la part des votes pour Jean-Marie Le Pen de 0,399 point de pourcentage et la part des abstentions et des bulletins blancs et nuls de 0,304 point de pourcentage. À l’inverse, la part des votes de Jacques Chirac a augmenté de 0,818 point de pourcentage pour chaque point de pourcentage de participants supplémentaire.</p>
<p>On peut aussi utiliser nos estimations pour simuler les résultats du deuxième tour dans un scénario dans lequel aucune manifestation n’aurait eu lieu. Jean-Marie Le Pen aurait obtenu de 1,1 à 2,4 points en plus. Jacques Chirac aurait perdu de 2 à 4,4 points. Enfin, l’abstention aurait été plus élevée de 0,17 à 5 points.</p>
<h2>Comme les sondages</h2>
<p>Pour mieux comprendre les mécanismes d’action des manifestations, nous avons appliqué la même méthode aux données individuelles tirées du <a href="https://data.sciencespo.fr/dataset.xhtml?persistentId=doi:10.21410/7E4/B2TTFT">Panel électoral français</a>, une enquête menée après le second tour auprès de plus de 3 000 personnes à qui on a demandé pour qui elles avaient voté, ainsi que leur opinion sur des sujets de la campagne électorale.</p>
<p>Nous avons ainsi pu confirmer les résultats obtenus pour les votes mais aussi distinguer les électeurs de gauche, de droite et du centre. Les manifestations augmentent la probabilité de voter Jacques Chirac tant parmi les personnes de gauche que de droite.</p>
<p>En revanche, si, à gauche, les manifestations réduisent la probabilité de voter blanc ou nul, à droite, elles réduisent la probabilité de voter pour Jean-Marie Le Pen. Les électeurs de gauche et de droite semblent donc avoir été confrontés à des dilemmes différents. Ceux de gauche hésitaient entre s’abstenir et voter pour Jacques Chirac, ceux de droite entre voter pour Jean-Marie Le Pen et Jacques Chirac. Les manifestations les ont incités à choisir Chirac. Elles n’ont en revanche pas eu d’effet sur les électeurs du centre.</p>
<p>Par ailleurs, les manifestations ont réduit le soutien aux positions emblématiques de Jean-Marie Le Pen et du Front national. Les personnes interrogées vivant dans une commune où la mobilisation avait été plus forte déclaraient ainsi accorder moins d’importance à l’immigration, la défense des traditions, la critique de la classe politique, ou la sortie de la France de l’Union européenne. Elles étaient moins susceptibles de trouver qu’il y a trop d’immigrés et avaient plus de chances de considérer les immigrés comme une source d’enrichissement culturel.</p>
<p>Ces résultats sont compatibles avec les <a href="https://www.jstor.org/stable/2118065?seq=1">théories</a> qui suggèrent que les manifestations fonctionnent comme des sondages qui signalent l’importance d’un problème au sein de la population.</p>
<h2>Pression sociale</h2>
<p>Le résultat le plus évocateur est apparu lorsque nous avons observé que les manifestations avaient réduit la probabilité de déclarer avoir voté pour Jean-Marie Le Pen au premier tour. Comme le premier tour avait eu lieu dix jours avant les manifestations, c’est donc que dans les communes où la mobilisation avait été plus forte les personnes interrogées étaient plus réticentes à avouer qu’elles avaient voté pour Jean-Marie Le Pen. Ce résultat suggère que les manifestations du 1<sup>er</sup> mai 2002 ont rendu le candidat d’extrême droite moins acceptable et augmenté la crainte d’être stigmatisé en déclarant avoir voté pour lui.</p>
<p>Il est probable que ce même biais ait influencé les votes. Comme il est courant de révéler son vote en famille ou entre amis, il aurait été socialement plus compromettant d’avoir voté pour Jean-Marie Le Pen dans les communes où la mobilisation avait été forte et envoyé le signal qu’une partie importante de leur population jugeait ce vote inacceptable. Dans le sens inverse, on a bien observé que, aux États-Unis, l’élection de Donald Trump, en révélant l’ampleur inattendue du soutien à un candidat tenant des propos racistes et sexistes, avait modifié les normes de comportement à l’égard des <a href="https://www.aeaweb.org/articles?id=10.1257/aer.20171175">femmes</a> et des <a href="https://ideas.repec.org/a/cup/bjposi/v51y2021i3p1332-1339_25.html">immigrés</a>.</p>
<p>Les manifestations du 1<sup>er</sup> mai 2002 ont atteint leur objectif, en partie en accentuant la pression morale sur les abstentionnistes ou les électeurs potentiels de Jean-Marie Le Pen. Une même mobilisation aurait-elle les mêmes effets aujourd’hui ? Certes, le contexte est différent. Une candidate d’extrême droite s’était qualifiée au deuxième tour de la présidentielle de 2017, sans que cela ne conduise à des manifestations, et sa qualification en 2022 n’est pas une surprise. En revanche, les mécanismes que nous avons observés n’ont pas disparu. La question est plutôt de savoir si les adversaires de l’extrême droite sauraient aujourd’hui se mobiliser autant qu’il y a vingt ans.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/181083/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Selon une étude, le candidat du Front national aurait obtenu de 1,1 à 2,4 points en plus sans les mobilisations dans près de 300 communes le 1ᵉʳ mai.Pierre-Guillaume Méon, Professor of economics, Université Libre de Bruxelles (ULB)Ilan Tojerow, Professeur associé à la Solvay Brussels School of Economics and Management , Université Libre de Bruxelles (ULB)Nicolas Lagios, Doctorant en économie, Université Libre de Bruxelles (ULB)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1738832022-01-02T17:26:28Z2022-01-02T17:26:28Z2022 : un contexte politique original ?<p>À quatre mois du premier scrutin de l’élection présidentielle de 2022, les candidats des principaux partis sont déjà en campagne et le président de la République lui-même, non officiellement candidat, multiplie les interventions publiques pour mettre en valeur son bilan et souligner la nécessité de poursuivre son action, comme ce fut notamment le cas dans <a href="https://www.lci.fr/replay-lci/video-l-instant-pol-du-15-decembre-interview-d-emmanuel-macron-ou-en-etaient-les-autres-presidents-le-15-decembre-avant-leur-candidature-2204697.html">l’entretien télévisé du 15 décembre 2020</a>. Pourtant, la situation politique reste beaucoup plus confuse qu’elle ne pouvait l’être au même moment lors des scrutins antérieurs.</p>
<p>L’élection de 2017 avait été atypique, en permettant la victoire d’un candidat qui n’était issu d’aucun des grands partis qui s’étaient partagé le pouvoir depuis les années 1960. Le scrutin qui s’annonce s’inscrit également dans un contexte politique original, marqué par l’éclatement de l’offre politique, la persistance d’une crise politique structurelle et les incertitudes liées à la crise sanitaire.</p>
<h2>Une offre politique éclatée…</h2>
<p>L’élection présidentielle de 2017 a marqué une rupture majeure dans l’histoire électorale de la V<sup>e</sup> République, <a href="https://www.pressesdesciencespo.fr/fr/book/?GCOI=27246100505760">façonnée jusqu’alors par le clivage gauche-droite</a>.</p>
<p>Pour la troisième fois seulement, sur dix scrutins de ce type, le second tour n’a pas mis aux prises un candidat de la droite gouvernementale et un représentant de la gauche socialiste : les deux précédents avaient eu lieu en 1969 (avec un second tour opposant le centriste <a href="https://www.elysee.fr/alain-poher">Alain Poher</a> au gaulliste Georges Pompidou) et en 2002 (où Jacques Chirac s’était fait le défenseur de la République face à Jean‑Marie Le Pen).</p>
<p>Mais surtout les deux grands partis de gouvernement, le Parti socialiste (PS) et l’Union pour un mouvement populaire (UMP), se sont alors retrouvés marginalisés en raison de l’éclatement d’une offre politique où les propositions nouvelles (Emmanuel Macron) ou les discours protestataires (Marine Le Pen et Jean‑Luc Mélenchon) ont été plus attractifs. Cet éclatement explique que, pour la première fois depuis 2002, aucun des deux candidats présents au premier tour n’a dépassé 25 % des voix au premier tour. Or, cet affaiblissement des grands partis qui structuraient la vie politique française depuis les années 1980 a favorisé, lors des élections législatives qui ont suivi, la victoire d’une majorité nouvelle, constituée autour du nouveau président Emmanuel Macron.</p>
<p>Certains observateurs pouvaient alors penser que le paysage politique se réorganiserait autour de cette majorité « <a href="https://www.institutmontaigne.org/blog/macron-et-en-meme-temps-trois-questions-alice-baudry-laurent-bigorgne-et-olivier-duhamel">et de droite et de gauche</a> ».</p>
<h2>… et toujours plus fragmentée</h2>
<p>Cinq ans plus tard, on ne peut que constater qu’il n’en est rien et que l’offre politique proposée aux électeurs s’est encore davantage fragmentée. Au cours de son mandat, le président n’a pas réussi à élargir son socle électoral, qui se situe toujours entre 20 et 25 % des voix : aux élections européennes de juin 2019, la liste qui se réclamait de son action a obtenu 22,5 % ; et en décembre 2021, les instituts de sondage lui attribuent en moyenne 24 % d’<a href="https://www.francetvinfo.fr/elections/sondages/derniers-sondages-sur-election-presidentielle-2022-en-france-infographies-explorez-les-tendances-visualisez-les-marges-d-erreur-agregateur_4879975.html">intentions de vote</a>. Il a donc simplement consolidé son électorat, en le positionnant davantage au centre-droit, ce qui libère potentiellement un espace à gauche que personne n’est aujourd’hui en mesure de prendre.</p>
<p>La gauche n’a en effet pas réussi à dépasser les divisions qui séparent ses organisations partisanes. Même la gauche contestataire, qui s’était réunie autour de Jean‑Luc Mélenchon en 2012 et 2017, présente aujourd’hui deux candidats, l’un issu de la France insoumise, l’autre du Parti communiste. Et si la droite de gouvernement réussit à présenter une candidature unique (avec Valérie Pécresse), comme cela a été le cas au cours des trois précédents scrutins (avec Nicolas Sarkozy et François Fillon), l’extrême droite est, pour la première fois depuis 2002 (avec la candidature de Brunot Mégret), représentée par deux candidats, Marine Le Pen et Eric Zemmour.</p>
<p>Comme en 2017 ou en 2002, cette dispersion des candidatures rend plus incertain le résultat du scrutin, puisque le seuil d’accès au second tour est réduit. Si le président sortant est seul à occuper l’espace politique qu’il revendique, au centre, sa position est plus inconfortable que celle de ses prédécesseurs qui briguaient une réélection (Nicolas Sarkozy en 2012, Jacques Chirac en 2002, François Mitterrand en 1988 ou même Valéry Giscard d’Estaing en 1981) dans la mesure où il doit subir les attaques des forces politiques gouvernementales de gauche comme de droite. Son statut de favori, que lui octroient les sondages de l’automne 2021, reste donc très fragile.</p>
<h2>Une crise persistante</h2>
<p>Cet éclatement de l’offre politique est un des symptômes d’un mal plus profond qui ronge la démocratie française depuis les années 1980 : la crise de la représentation politique. Les Français se sont peu à peu éloignés de la vie politique telle qu’elle était organisée depuis le XIX<sup>e</sup> siècle, autour des partis de masse et des élections au suffrage universel. Les militants se font plus rares, les électeurs aussi. Analysée dans un rapport remis en novembre 2021 au président de l’Assemblée nationale par la <a href="https://www.fondapol.org/etude/rapport-pour-lassemblee-nationale/">Fondation pour l’innovation politique</a>, l’abstention progresse à chaque scrutin, même si elle affecte moins les élections présidentielles (en 1981, elle était de 19 % au premier tour ; en 2017, elle s’élevait à 21 %) que les municipales (21 % en 1983, 36 % en 2014) ou, pire encore, les législatives (29 % en 1981, 51 % en 2017).</p>
<p>Plusieurs facteurs expliquent cette crise : la <a href="https://www.franceculture.fr/oeuvre/plus-rien-faire-plus-rien-foutre-la-vraie-crise-de-la-democratie">déception de l’opinion</a> face à l’échec des alternances qui se sont succédé depuis 1981 ; les « affaires » qui ont affecté l’image des hommes politiques, suspectés au mieux de ne pas tenir leurs promesses, au pire d’être corrompus ; et <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/notre-histoire-intellectuelle-et-politique-pierre-rosanvallon/9782021351255">l’avènement d’une société individualiste</a>, qui préfère aux mobilisations collectives les engagements individuels et ponctuels.</p>
<h2>La fin de la disruption ?</h2>
<p>L’élection d’Emmanuel Macron en 2017 était une conséquence de cette crise de la représentation politique traditionnelle. C’est bien parce qu’il apparaissait comme un candidat nouveau, étranger au « système » – notamment à celui des partis – et chantre de la « disruption » qu’il a supplanté les tenants de ce qu’on a alors significativement appelé « l’ancien monde ». Mais son incapacité à restructurer durablement l’offre politique, le discours et les pratiques politiques ont renforcé encore davantage ce sentiment de crise. Le fossé se creuse sans cesse davantage entre le peuple et des élites jugées arrogantes et coupées des <a href="https://www.ipsos.com/fr-fr/une-crise-de-la-representation-politique-plus-forte-que-jamais">réalités du Français</a>. Et Emmanuel Macron est justement considéré comme l’archétype de cette élite.</p>
<p>Comme leurs prédécesseurs, le Président et les membres du gouvernement ont été confrontés à une impopularité durable ; une fois passés les premières semaines de leur mandat, ils ne recueillent que très rarement plus de <a href="https://www.ifop.com/wp-content/uploads/2021/10/117823-Indices-de-popularite-Octobre-2021.pdf">40 % d’opinions favorables</a>.</p>
<p>Le mécontentement qui parcourt la société française s’est également traduit par une succession de mouvements sociaux, qui expriment à la fois le rejet des médiations politiques traditionnelles, l’exaspération face à des décisions politiques jugées déconnectées des attentes des Français anonymes et parfois même la tentation du recours à la violence.</p>
<p>En 2016, François Hollande avait dû faire face au mouvement « Nuit debout » et, plus largement, à une mobilisation de rue contre la « loi Travail ». En novembre-décembre 2018, son successeur a été confronté à un mouvement d’une toute autre ampleur, celui des « gilets jaunes », qui a révélé la fracture entre le pouvoir politique et la « France des ronds-points », celle des territoires périurbains <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/le-fond-de-l-air-est-jaune-collectif/9782021426205">hantés par le déclassement</a>. Cette contestation l’a poussé à renouer un contact direct avec les Français et à susciter une nouvelle forme de participation citoyenne, par l’organisation d’un « grand débat national » au premier semestre 2019. Mais cette tentative n’a pas eu de réel débouché politique et est restée sans lendemain.</p>
<h2>L’abstention, donnée majeure de l’élection à venir</h2>
<p>L’irruption d’une crise sanitaire sans précédent n’a pas enrayé cette crise du politique, même si, sur le long terme, elle a contribué à renforcer la légitimité de l’exécutif. À l’automne 2021, les mouvements d’opposition au passe-sanitaire ont emprunté aux Gilets Jaunes une <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/societe/de-l-essence-au-passe-sanitaire-la-mutation-des-groupes-de-gilets-jaunes-sur-facebook_2162504.html">partie de leur discours et de leur mode de mobilisation</a>.</p>
<p>Et les scrutins qui se sont déroulés au cours de cette période particulière ont été sanctionnés par une <a href="https://theconversation.com/la-democratie-de-labstention-ou-les-defis-demmanuel-macron-163478">abstention sans précédent</a> : plus de 55 % pour les élections municipales de mars-juin 2020, plus de 66 % pour les élections régionales et départementales de juin 2021.</p>
<p>Le niveau de l’abstention est d’ailleurs l’une des clefs de la prochaine élection présidentielle, qui se déroulera dans ce même contexte de crise sanitaire, au cours duquel il est plus difficile de mobiliser directement les militants et les électeurs. Le renforcement des tensions qui parcourent la société française est ainsi l’un des éléments essentiels du contexte de l’élection présidentielle de 2022. Cette crise se traduit, au cours de ces premiers mois de campagne, aussi bien par la multiplication des candidatures qui entendent refuser le « système » (Eric Zemmour, Arnaud Montebourg) que par l’omniprésence des thématiques identitaires dans le débat public.</p>
<p>Mais le renouvellement des idées et des pratiques, qui conditionne la réconciliation d’une majorité de Français avec la politique, reste à ce jour invisible.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/173883/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mathias Bernard est président de l'Université Clermont Auvergne.</span></em></p>Le renouvellement des idées et des pratiques, qui conditionne la réconciliation d’une majorité de Français avec la politique, reste à ce jour invisible.Mathias Bernard, Historien, Université Clermont Auvergne (UCA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1708462021-11-03T19:22:15Z2021-11-03T19:22:15ZPourquoi Éric Zemmour embarrasse-t-il autant la droite ?<p>Sur le papier, la droite partisane ne devrait pas avoir beaucoup de mal à prendre clairement position contre Éric Zemmour. Déjà condamné pour <a href="https://www.liberation.fr/checknews/combien-de-fois-eric-zemmour-a-t-il-deja-ete-condamne-20210908_2WQAJQ5Y5RGDZBN2LOKNJYJRIM/">provocation à la discrimination raciale</a>, ce dernier est en effet coutumier des déclarations qualifiées de racistes, <a href="https://actualitte.com/article/11282/television/eric-zemmour-definitivement-condamne-pour-propos-islamophobes">islamophobes</a>, <a href="https://www.lesinrocks.com/actu/zemmour-sur-cnews-premiere-emission-premiere-polemique-185058-16-10-2019/">homophobes</a>, <a href="https://www.lci.fr/politique/presidentielle-2022-comment-eric-zemmour-parle-t-il-des-femmes-dans-son-dernier-livre-2198430.html">sexistes</a> et <a href="https://www.franceculture.fr/histoire/trois-contre-verites-deric-zemmour-sur-petain-et-vichy-rassemblement-national">révisionnistes</a>, adepte et propagandiste de thèses réactionnaires sur la dévirilisation de la société ou <a href="https://www.franceculture.fr/histoire/trois-contre-verites-deric-zemmour-sur-petain-et-vichy-rassemblement-national">le « grand-remplacement »</a> d’un peuple français/européen/chrétien par un peuple « islamique » culturellement antagoniste.</p>
<p><a href="https://tempspresents.com/2021/02/17/ou-va-eric-zemmour/">L’historien Nicolas Lebourg</a> a de son côté décrit le zemmourisme comme « un nationalisme obsédé par la décadence et qui, de là, applique un point de vue darwiniste », le plaçant indubitablement au sein de la sphère hétéroclite de l’extrême droite.</p>
<p>Si pendant longtemps, son statut de journaliste et d’essayiste pouvait justifier de ne pas se positionner clairement par rapport à lui, sa précampagne présidentielle inavouée et sa présence systématique dans les sondages électoraux, couplées à une <a href="https://www.acrimed.org/Zemmour-un-artefact-mediatique-a-la-Une">exposition médiatique de grande ampleur</a>, ont changé la donne.</p>
<p>Et si les louvoiements sont compréhensibles du côté du Rassemblement national (RN) dont la présidente avait <a href="https://www.bfmtv.com/politique/europeennes-zemmour-explique-pourquoi-il-a-refuse-de-figurer-sur-la-liste-du-rn_AN-201905130092.html">proposé au polémiste une troisième place</a> sur sa liste des dernières élections européennes, ils le sont moins pour une droite se disant elle-même « républicaine », née du <a href="https://republicains.fr/wp-content/uploads/2019/11/2019-10-02-lR-charte-principes-fondamentaux.pdf">« rassemblement des familles gaulliste, démocrate-chrétienne, libérale, radicale et sociale »</a>, et qui peine pour le moment <a href="https://www.lopinion.fr/edition/politique/zemmour-enflamme-debats-chez-republicains-258107">à s’accorder sur la stratégie</a> à adopter à son égard. Si certains cadres sont en effet favorables à la dénonciation franche des valeurs portées par le polémiste, d’autres préfèreraient se montrer compréhensifs vis-à-vis des évolutions de la société française à même d’expliquer son succès, quand un troisième camp souhaiterait l’ignorer autant que possible pour éviter de se faire voler l’attention médiatique.</p>
<p>Par la voix de son président, Les Républicains (LR) n’ont certes pas manqué d’affirmer un net désaccord théorique avec Éric Zemmour, <a href="https://www.parismatch.com/Actu/Politique/Jacob-estime-que-Zemmour-n-a-pas-les-memes-valeurs-que-LR-mais-est-utile-au-debat-1759424">ne « partageant pas ses valeurs »</a> et refusant sa participation au congrès du parti de décembre prochain. Celui-ci jugeait pourtant dans la foulée le journaliste « utile au débat », expliquant par ailleurs qu’il n’était <a href="https://www.bfmtv.com/politique/les-republicains/christian-jacob-non-eric-zemmour-n-est-pas-raciste-ni-d-extreme-droite_VN-202109260093.html">« pas raciste »</a> (notamment sur le plan personnel) et pas d’extrême droite.</p>
<p>En somme, c’est davantage sa posture « décliniste », clivante et catastrophiste que son idéologie propre qui le maintiendrait en marge de la droite. La question est donc de savoir ce qui peut expliquer de telles ambiguïtés et la difficulté de cette famille politique à expliciter les limites de sa tolérance idéologique.</p>
<h2>Zemmour et la droite, un compagnonnage lourd de conséquences ?</h2>
<p>Il serait assez facile d’expliquer cet embarras par <a href="https://www.lopinion.fr/edition/politique/republicains-face-cas-zemmour-253638">les liens personnels</a> qui unissent Éric Zemmour à un certain nombre de barons de la droite, à l’instar de Laurent Wauquiez, qui <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/politique/presidentielle-eric-zemmour-reve-de-laurent-wauquiez_2160484.html">l’accueillait en janvier 2019</a> au siège des Républicains où il venait présenter son nouveau livre par un « Vous êtes ici chez vous ! ».</p>
<p>Le polémiste affirmait lui-même face à Christian Jacob avoir été <a href="https://www.dailymotion.com/video/x84jez4">adhérent du RPR</a>, tandis que sa proche conseillère Sarah Knafo <a href="https://www.lci.fr/politique/elle-attaque-aussi-paris-match-qui-est-sarah-knafo-conseillere-d-eric-zemmour-2197036.html">a fait partie de l’UMP</a>. De même, il n’est pas difficile de trouver des articles de la presse locale sur des adhérents LR, <a href="https://www.larep.fr/orleans-45000/actualites/un-comite-de-soutien-a-eric-zemmour-est-ne-dans-le-loiret_14033907/">jeunes</a> ou <a href="https://www.aisnenouvelle.fr/id233450/article/2021-09-22/xavier-jesu-adherent-lr-et-colleur-daffiches-pour-zemmour">moins jeunes</a>, soutenant sa candidature.</p>
<p>Plusieurs centaines d’adhérents et de curieux étaient d’ailleurs venus l’écouter au QG du parti, du jamais vu pour un évènement du genre ces dernières années – <a href="https://www.bfmtv.com/politique/le-livre-d-eric-zemmour-vendu-a-164-983-exemplaires-en-trois-semaines_AN-202110080243.html">ses succès d’édition</a> tendant à confirmer l’existant d’une audience importante et donc difficile à ignorer du côté de la droite radicale.</p>
<p>Enfin, Éric Zemmour a aussi tissé de nombreux liens de sympathie avec le milieu intellectuel et militant dans lequel s’inscrivent Les Républicains, le président de l’UNI (syndicat étudiant de droite) Olivier Vial étant par exemple parmi d’autres à l’initiative d’une <a href="https://www.liberation.fr/france/2010/05/17/zemmour-la-position-du-reactionnaire_626496/">pétition victorieuse contre son licenciement</a> du <em>Figaro</em> suite aux propos qui lui ont valu d’être condamné par la justice en 2011. Le lendemain de sa condamnation, l’essayiste s’était d’ailleurs <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2011/03/02/eric-zemmour-ovationne-par-des-elus-ump_1487546_823448.html">exprimé devant un groupe d’élus UMP</a> l’ayant chaudement applaudi.</p>
<p>Pour autant, très peu d’élus, même de second plan, sont a priori susceptibles de s’embarquer dans l’aventure Zemmour, et il demeure douteux qu’un parti aussi avide de reconquête électorale en son nom propre puisse accepter de compromettre ses chances pour conserver la cordialité des petits-déjeuners privés. L’explication est-elle donc à chercher du côté du succès (pré)électoral du journaliste ?</p>
<h2>Une frange un peu plus populaire de la droite</h2>
<p>Les enquêtes sondagières menées à ce sujet montrent en effet qu’environ <a href="https://www.jean-jaures.org/wp-content/uploads/2021/10/Rapport-Zemmour.pdf">25 % de l’électorat potentiel</a> d’Éric Zemmour était composé début octobre de personnes ayant voté pour François Fillon en 2017. Le polémiste semblant attirer à lui des électeurs de droite qui se seraient autrement en partie tournés vers Marine Le Pen. Son orientation économiquement libérale et surtout identitaire sur les questions d’immigration et de multiculturalisme attirerait une <a href="https://www.leddv.fr/actualite/sociologie-du-zemmourisme-radioscopie-dun-nouvel-electorat-national-populiste-20211020">frange un peu plus populaire</a>, un peu moins diplômée et plus familière des <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-science-politique-2007-3-page-429.htm">difficultés économiques</a> de l’électorat de la droite, déjà largement tentée par l’extrême droite et que la droite essaye désespérément de reconquérir depuis cinq ans.</p>
<p>Un défi de taille donc, alors que Xavier Bertrand, candidat pour l’instant le mieux placé chez LR, peine à récupérer plus de la moitié des électeurs Fillon, les déçus de la droite se répartissant à parts égales entre le centre et l’extrême droite.</p>
<p>Est-ce pourtant une raison suffisante pour les cadres LR de retenir leurs coups, en vertu de la théorie selon laquelle il ne faut jamais trop frontalement attaquer les candidats soutenus par les électeurs que l’on convoite ? Les anciens électeurs fillonistes d’Éric Zemmour sont-ils principalement séduits par ses thèses souvent plus à droite encore que celles de Marine Le Pen, et avec lesquels la droite ne peut décemment prétendre rivaliser ? On sait pourtant que les discours radicaux des Républicains sur l’immigration, la sécurité ou la laïcité, n’ont pas sensiblement amélioré leurs chances de victoire durant ces <a href="https://www.liberation.fr/politique/elections/le-constat-de-defiance-20211028_4BM22MLJ2JGK7FBHHGMOUO6VIQ/">cinq dernières années</a>. Et si on considère que ces électeurs pourraient aussi, voire même principalement, exprimer à travers leur intention de vote radicale une forme de sanction par rapport à leur famille politique originelle jusqu’à présent incapable de représenter une alternative politique crédible à Emmanuel Macron, alors la question n’est peut-être pas tant ce que le parti peut gagner, mais ce qu’il peut perdre à s’opposer plus frontalement à l’offre idéologique zemmourienne.</p>
<h2>Les Républicains au défi de la cohérence</h2>
<p>En l’occurrence, il s’agit de se demander si Les Républicains possèdent encore aujourd’hui la capacité rhétorique de dénoncer les discours d’extrême droite pour ce qu’ils sont réellement. Bien évidemment, il ne s’agit pas de dire que les dirigeants du parti en seraient physiquement incapables – sporadiquement et à titre individuel, certains ont même pu réactiver le discours du <a href="https://www.youtube.com/watch?v=5hQNYAOFvL8">« poison de l’extrémisme »</a> cher au Jacques Chirac des dernières années. Mais le problème réside dans le crédit implicite ou explicite donné à la parole d’Éric Zemmour ces dernières années.</p>
<p>Des exemples de gages publics de sympathie, ou a minima d’intérêt pour le personnage ont déjà été évoqués plus haut, en se rappelant qu’il peut être clairement assimilé à l’extrême droite réactionnaire depuis au moins une dizaine d’années. Néanmoins, au contraire d’autres intellectuels ou politiciens, il a réalisé la plupart de sa carrière dans des institutions médiatiques mainstream qui lui ont permis de <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/politique/presidentielle-lr-perdu-face-a-la-tentative-d-opa-de-zemmour-sur-la-droite_2159326.html">conserver l’étiquetage politique honorable de la droite conservatrice</a> quand bien même ses idées ont fini par s’affirmer comme autres.</p>
<p>En tant que parti peu porté sur le travail idéologique et cherchant à capter le maximum de voix possible, l’UMP devenue Les Républicains a entretenu pendant longtemps une proximité ambiguë avec le polémiste, cherchant à bénéficier de son prestige intellectuel patiemment entretenu après d’un public de niche, et de la sympathie qu’il suscitait chez les électeurs nationalistes, tout en le valorisant officiellement en tant que contributeur au débat public qu’on peut écouter sans partager les positions.</p>
<p>En d’autres termes, Les Républicains, parmi bien d’autres acteurs politiques et médiatiques, ont contribué à légitimer et à renforcer Éric Zemmour, de manière vraisemblablement involontaire, en tout cas pas pour ce qui concerne ses ambitions électorales. Même s’il est difficile de le mesurer, il est assez certain que ce dernier jouit d’une grande popularité chez les sympathisants de droite, qui n’ont pendant longtemps pas vu d’incohérence à soutenir à la fois les élus LR et l’écrivain Zemmour, puisque le second était reconnu par les premiers.</p>
<h2>Le piège de la droitisation</h2>
<p>Et si ceux-ci ont rarement assumé de faire leurs les analyses d’Éric Zemmour – plus facilement celles d’<a href="https://www.dailymotion.com/video/x1a72v5">Alain Finkielkraut</a>, philosophe et essayiste critique de la modernité, ou de Mathieu Bock-Côté, sociologue et éditorialiste québecois contempteur du multiculturalisme et du <a href="https://www.youtube.com/watch?v=Dq8I8XVU20c">« politiquement correct »</a> – ils sont lancés plus généralement depuis au moins une quinzaine d’années dans une course à la radicalité politique devenue une <a href="https://www.jstor.org/stable/42843723?seq=1#metadata_info_tab_contents">forme de norme idéologique</a> à droite.</p>
<p>La thématique de la lutte contre le politiquement correct et pour une droite « décomplexée » et « vraiment de droite » est devenue particulièrement <a href="https://www.20minutes.fr/politique/1018409-20121008-jean-francois-cope-droite-decomplexee">populaire</a> avec la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy de 2007, puis sa défaite de 2012, endossée notamment par Jean-François Copé puis Laurent Wauquiez comme présidents du parti. J’évoque ce point dans une communication encore non publiée, « La droite contre-attaque. Le discours contre-hégémonique au sein de l’UMP et des Républicains (2002-2020) », présentée aux Journées internes du CEE à Sciences Po, Paris en juin 2020.</p>
<p>La question de la « droitisation », véritable serpent de mer médiatique, décrit ainsi avant tout un ensemble de choix discursifs rompant avec l’idée de nuance, assimilée à la mollesse, à la naïveté et à la compromission, avec des termes comme « ensauvagement » ou des slogans comme « Pour que la France reste la France » se rapprochant de facto du vocabulaire de l’extrême droite.</p>
<h2>La peur d’adhérer aux thèses de l’autre camp</h2>
<p>Cette stigmatisation d’une posture modérée présentée comme responsable des difficultés électorales de la droite rend malaisée la dénonciation de l’extrémisme précisément parce que la radicalité – notion proche s’il en est – a été érigée comme norme de bon comportement électoral à laquelle ont progressivement adhéré les sympathisants LR. Ceux-là même qu’Éric Zemmour et d’autres estiment avoir été trahis dans leurs convictions traditionnellement radicales par les élites partisanes libérales.</p>
<p>Traiter Éric Zemmour ou même Marine Le Pen comme des ennemis des principes républicains – rhétorique qu’il serait assez commode de mobiliser pour la droite afin de contenir leurs prétentions électorales – c’est donc moins risquer de contrarier les électeurs des autres que les siens, c’est-à-dire des électeurs de droite fidèles ou déçus qui n’ont pendant longtemps pas eu l’impression d’adhérer à des thèses condamnables, puisque rarement condamnés par leur camp.</p>
<p>C’est également devoir employer des anathèmes comme ceux du racisme ou de l’islamophobie qu’on a souvent décrit comme des outils de la gauche ou d’un progressisme destructeur de la civilisation, donc du camp adverse. En somme, la droitisation pourrait bien être un processus irréversible à moyen terme, et donc un piège que la droite s’est tendue à elle-même, condamnée à clarifier sa position quitte à se priver de ses éléments les plus radicaux, ou à rester dans le flou quitte à s’aliéner ses éléments les plus modérés, faute d’avoir su poser des limites plus tôt.</p>
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<p><em>L'auteur effectue sa thèse sous la direction de Florence Haegel.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/170846/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Emilien Houard-Vial a reçu des financements de la Fondation Nationale des sciences politiques dans le cadre d'un contrat doctoral.</span></em></p>La droite française, se disant elle-même « républicaine », a bien du mal à adopter une stratégie satisfaisante vis-à-vis du polémiste et présumé candidat Éric Zemmour.Emilien Houard-Vial, Doctorant en science politique, Centre d'études européennes (Sciences Po), Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1682982021-11-03T16:07:30Z2021-11-03T16:07:30Z« Moi, président·e » : Règle n°4, se plier aux rituels<p><em><strong>« Moi, président·e »</strong>, le podcast qui vous donne les clés de l’Élysée.</em></p>
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<iframe frameborder="0" width="100%" height="110px" style="overflow:hidden;" src="https://podcasts.ouest-france.fr/share/player_of/mode=broadcast&id=13442">Wikiradio Saooti</iframe>
<p><iframe id="tc-infographic-610" class="tc-infographic" height="100" src="https://cdn.theconversation.com/infographics/610/72c170d08decb232b562838500852df6833297ca/site/index.html" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-ecouter-les-podcasts-de-the-conversation-157070">Comment écouter les podcasts de The Conversation ?</a>
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<p><em>Au micro de Clea Chakraverty et de Fabrice Rousselot, les chercheurs de The Conversation France vous font entrer dans les coulisses de la campagne présidentielle et vous dévoilent les secrets qui permettent de décrocher la fonction suprême.</em></p>
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<p>Les campagnes présidentielles se suivent et se ressemblent, en tout cas pour ce que l’on appelle les rituels de campagne. Les déplacements au plus proche du public, les débats, les affiches… On retrouve des pratiques et des actions qui se répètent, une forme d’organisation et de séquence qui semble immuable. Une campagne présidentielle cela se pense et cela se prépare. Il faut mobiliser, créer du lien avoir le bon tempo.</p>
<p>Afin d’analyser tous ces rites, nous recevons Laurent Godmer, maître de conférence en science politique à l’université Gustave Eiffel.</p>
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<p><strong>À écouter aussi</strong></p>
<p><a href="https://theconversation.com/moi-president-e-regle-n-1-la-jouer-people-167197">Règle n°1 - La jouer people</a><br>
<a href="https://theconversation.com/moi-president-e-regle-n-2-hyper-president-e-tout-le-temps-167410">Règle n°2 - Hyper-président·e tout le temps </a><br>
<a href="https://theconversation.com/moi-president-e-regle-n-3-manier-la-rhetorique-168287">Règle n°3 - Manier la rhétorique</a><br></p>
<p><a href="https://theconversation.com/moi-president-e-regle-n-5-surfer-sur-la-crise-170725">Règle n°5 - Surfer sur la crise </a><br>
<a href="https://theconversation.com/moi-president-e-regle-n-6-depasser-les-clivages-170598">Règle n°6 - Dépasser les clivages</a><br> </p>
<p><strong>Références </strong>: </p>
<p><a href="https://www.editions-harmattan.fr/livre-le_travail_electoral_ethnographie_d_une_campagne_a_paris_laurent_godmer-9782343216164-68355.html">« Le travail électoral. Ethnographique d’une campagne à Paris »</a>, L. Godmer, édition l’Harmattan, 2021. </p>
<p><a href="https://theconversation.com/elections-ces-rituels-de-campagne-bouleverses-par-la-crise-160066">« Élections : ces rituels de campagne bouleversés par la crise »</a>, L. Godmer, The Conversation, 2021._</p>
<p><em>Crédits, animation et conception, Fabrice Rousselot. Réalisation, Romain Pollet. Chargé de production, Rayane Meguenni. Musique, « La Marseillaise », Oberkampf (1983). Photo d’illustration. Jean-Claude Coutausse. Archives, INA, BFM.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/168298/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Quels sont les rituels à suivre si on veut accéder à l’Élysée ? Une campagne présidentielle se prépare très méticuleusement.Laurent Godmer, Maître de conférences HDR en science politique, Université Gustave EiffelFabrice Rousselot, Directeur de la rédaction, The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1685962021-09-23T20:18:05Z2021-09-23T20:18:05ZLe couple franco-allemand sous Angela Merkel : quatre mariages sans enterrement<p>Autant commencer par la fin : il y a seize mois, en mai 2020, la chancelière réveillait le couple franco-allemand d’un long sommeil avec la désormais fameuse <a href="https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2020/05/18/initiative-franco-allemande-pour-la-relance-europeenne-face-a-la-crise-du-coronavirus#:%7E:text=Pour%20soutenir%20une%20reprise%20durable,concentr%C3%A9e%20sur%20ses%20premi%C3%A8res%20ann%C3%A9es.">initiative franco-allemande pour une relance européenne</a> de l’économie frappée par la pandémie de Covid-19. Ce faisant, avec son homologue français Emmanuel Macron, elle relançait une construction européenne lestée depuis une décennie d’un empilement de crises…</p>
<p>Deux mois plus tard, elle <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/elections-en-allemagne/apres-un-nouveau-revers-electoral-angela-merkel-annonce-qu-elle-ne-se-representera-pas-a-la-presidence-du-parti-cdu_3008913.html">annonçait</a> qu’elle ne briguerait pas un cinquième mandat et se concentrait sur « sa » <a href="https://www.eu2020.de/eu2020-fr">présidence allemande de l’UE</a> (1er juillet-31 décembre 2020). Lors des Conseils européens de juillet puis de décembre 2020, elle joua, avec le président du Conseil européen Charles Michel et la présidente de la Commission Ursula von der Leyen, un rôle éminent dans l’élaboration des compromis entre les pays « frugaux » et tous les autres, puis entre les gouvernements illibéraux et tous les autres, pour que le plan de relance soit définitivement rédigé, adopté et lancé.</p>
<p>Avec un grand sens du timing et de l’opportunisme politique, Angela Merkel (2005-2021) s’est donc inscrite <em>in extremis</em> dans la tradition de la démocratie chrétienne qui fait des grands chanceliers des bâtisseurs franco-allemands de l’Europe.</p>
<h2>Rechercher le compromis avec Paris pour préserver l’UE…</h2>
<p>Jusqu’alors, elle s’était contentée de tenir la boutique de la construction européenne. Elle a maintenu la maison européenne solide sur ses fondations, mais n’a eu l’idée ni l’audace (ni l’envie ?) de la développer ni de la mettre en chantier. Durant seize années, elle s’est ingéniée, avec talent et réussite, à ne jamais froisser son partenaire français, à éviter un déchirement de l’UE, à faire accoucher les Conseils européens des chefs d’État et de gouvernement de compromis opérationnels.</p>
<p>En juillet 2015, en pleine crise grecque, elle a ainsi fait, avec François Hollande (2012-2017), la <a href="https://www.lefigaro.fr/conjoncture/2015/07/13/20002-20150713LIVWWW00007-grece-hollande-tsipras-merkel-et-trusk-proposent-un-projet-de-compromis.php">synthèse</a> entre les dirigeants exaspérés – dont son propre ministre des Finances Wolfgang Schaüble – qui envisageaient un Grexit, et les dirigeants qui privilégiaient la poursuite des plans d’aide à la Grèce alors dirigée par le gouvernement de gauche radicale d’Alexis Tsipras.</p>
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<figcaption><span class="caption">Angela Merkel : 16 ans de pouvoir, quatre présidents français • France 24, 17 septembre 2021.</span></figcaption>
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<p>En octobre 2011, elle s’était finalement entendue avec Nicolas Sarkozy (2007-2012) sur un effacement partiel de la dette grecque détenue par les créanciers privés, principalement des banques, <a href="http://www.slate.fr/story/45589/fesf-europe-dette-accord">convoquées à Bruxelles dans la nuit du 27 octobre</a> par Angela Merkel, Nicolas Sarkozy, Herman Van Rompuy (président du Conseil européen à l’époque) et Christine Lagarde (alors directrice du FMI). Suivraient la création d’un fonds monétaire européen permanent (le <a href="https://www.touteleurope.eu/economie-et-social/qu-est-ce-que-le-mecanisme-europeen-de-stabilite-mes/">MES, mécanisme européen de stabilité</a>) et le <a href="https://www.consilium.europa.eu/media/20386/st00tscg26-fr-12.pdf">TSCG (traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance de la zone euro)</a> appelé « pacte budgétaire ».</p>
<p>Ces dispositifs portent la marque du compromis entre l’approche française, favorable à un endettement public européen plus souple et mutualisé d’une part ; et l’approche de la majorité des pays de l’UE et de la société allemande d’autre part, peu enclines à la générosité avec les États en difficulté en raison de politiques budgétaires qu’elles estimaient trop laxistes. Au final, la solidarité européenne prend alors la forme de prêts à taux bas et de garanties bancaires en contrepartie de réformes nationales structurelles et d’un examen mutualisé à l’échelle européenne de chaque budget national annuel.</p>
<h2>… et les intérêts bien compris des Allemands</h2>
<p>Ce faisant, Angela Merkel a édulcoré l’ordo-libéralisme allemand. Pourtant, on a <a href="https://www.cairn.info/revue-cahiers-philosophiques1-2014-2-page-118.htm">surtout retenu</a> que c’était elle-même qui avait imposé, pour prix du sauvetage de la zone euro, des plans de rigueur <a href="https://www.telos-eu.com/fr/politique-francaise-et-internationale/pourquoi-au-juste-angela-merkel-est-elle-admiree.html">aux conséquences très douloureuses</a> aux pays bénéficiaires de ces « aides », notamment la Grèce.</p>
<p>Dans les faits, elle a, comme son prédécesseur immédiat Gerhard Schröder (1998-2005), le premier avant elle, normalisé la politique européenne de l’Allemagne : à l’image de ses homologues européens, et tout particulièrement Jacques Chirac (1995-2007), Angela Merkel a considéré que la construction européenne et la recherche d’un intérêt général européen ne devaient jamais être une fin en soi et primer sur les intérêts bien compris du pays qu’elle dirigeait et de l’état de son opinion publique. Ses gouvernements successifs ont ainsi été particulièrement attentifs à préserver <a href="https://legrandcontinent.eu/fr/2017/09/24/comprendre-lexcedent-allemand/">l’excédent commercial</a> et les capacités industrielles de l’Allemagne, ainsi que les revenus des <em>insiders</em> allemands (salariés couverts par les accords de branche, retraités, épargnants).</p>
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<figcaption><span class="caption">Allemagne : une puissance nommée Merkel ? – Le dessous des cartes, Arte, 17 février 2021.</span></figcaption>
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<p>Les prédécesseurs de Merkel et Schröder (Konrad Adenauer, Willy Brandt, Helmut Schmidt, Helmut Kohl) ne fonctionnaient pas ainsi. Tout en étant à l’écoute des groupes d’intérêts au sein de leur pays, et tout en prenant parfois des décisions sans trop sacrifier à la concertation (<a href="https://www.cvce.eu/education/unit-content/-/unit/55c09dcc-a9f2-45e9-b240-eaef64452cae/b3f1bdcb-928a-497d-96bc-e85a4c77cab8">Ostpolitik</a> de Brandt, <a href="https://books.openedition.org/septentrion/8960?lang=fr">refus du SME jusqu’en 1978 par Schmidt</a>, réunification allemande et reconnaissance de la Croatie par Kohl), ces chanceliers du second XX<sup>e</sup> siècle considéraient que faire émerger l’intérêt général européen était l’une des raisons d’être de l’Allemagne démocratique, humaniste et fédérale née en 1949.</p>
<p>Conséquents dans leur volonté d’approfondir la construction européenne, ces prédécesseurs d’Angela Merkel étaient très sensibles aux initiatives franco-allemandes propres à dynamiser l’UE : SME et élection du Parlement européen des années 1970 ; déploiement des euromissiles, franc soutenu par la Bundesbank, nouveau budget communautaire et marché unique dans les années 1980 ; monnaie unique et élargissements des années 1990. C’est bien pourquoi la mise en scène du couple franco-allemand a produit des souvenirs iconiques, comme la poignée de mains de Verdun entre Helmut Kohl et François Mitterrand devant l’ossuaire de Douaumont en 1984. La classe politique allemande accordait bien volontiers sa confiance aux instances supranationales européennes (Commission, Parlement).</p>
<h2>Un bilan franco-allemand modeste, relevé in extremis par le plan de relance…</h2>
<p>Angela Merkel a pour sa part constamment privilégié le Conseil européen comme lieu dominant du pouvoir européen. Elle ne soutint pas Jean‑Claude Juncker, dont elle fut pourtant si proche quand il dirigeait le Luxembourg et la zone euro, lorsqu’il proposa, en sa qualité de président de la Commission (2014-2019), un plan de relance de l’économie européenne que piloterait celle-ci.</p>
<p>Comme chancelière, Angela Merkel a même pris de façon unilatérale plusieurs décisions aux conséquences très importantes pour l’UE, comme la <a href="https://allemagne-energies.com/sortie-du-nucleaire/">sortie du nucléaire en 2011</a> (qui a considérablement augmenté la dépendance des Européens au charbon et au gaz russe), ou <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Europe/Le-31-aout-2015-Angela-Merkel-ouvre-frontieres-allemandes-refugies-2019-04-12-1201015262">l’accueil d’un million de personnes migrantes en 2015</a> suivi d’un <a href="https://www.senat.fr/rap/r16-038/r16-038_mono.html">accord</a> par lequel la Turquie retient les migrants sur son territoire moyennant finances.</p>
<p>Pendant ce temps, elle n’a pas proposé à ses quatre homologues français de plans visionnaires ou de dispositifs innovants, et n’a que peu saisi les propositions de ce type qu’ils lui ont adressées, que ce soit les eurobonds sous Sarkozy puis Hollande, ou <a href="https://www.lesechos.fr/monde/europe/le-degre-dambition-de-macron-est-trop-eleve-pour-ses-partenaires-europeens-1163254">l’ambitieux catalogue d’initiatives nouvelles d’Emmanuel Macron</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">Sommet européen : consensus sur la Grèce, mais pas sur les eurobonds, Euronews, 24 mai 2012.</span></figcaption>
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<p>À l’exception du plan de relance pour faire face aux conséquences du Covid, le bilan européen et franco-allemand de Merkel est donc plutôt discret. Mais il est vrai que ce seul plan restera très probablement comme un tournant majeur de la construction européenne, une relance de celle-ci à l’image de celles enclenchées par le projet de Marché commun en 1956 et par le <a href="https://www.consilium.europa.eu/media/20670/1984_juin_-_fontainebleau__fr_.pdf">Conseil européen de Fontainebleau en 1984</a>.</p>
<p>Avec ce plan de relance, Merkel a <a href="https://www.lepoint.fr/europe/plan-de-relance-europeen-la-cour-de-karlsruhe-donne-son-feu-vert-21-04-2021-2423268_2626.php">remis à sa place</a> le tribunal fédéral constitutionnel de Karlsruhe qui menaçait de rendre des arrêts entravant l’action déterminante de la BCE (conduite par Mario Draghi puis Christine Lagarde) et contestait la primauté du droit européen. Plus encore, en bifurquant à 180 degrés vers un endettement de l’UE finançant des dons aux États membres, elle a brisé l’idole des critères de Maastricht et de <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/04/10/coronavirus-l-ordoliberalisme-allemand-semble-se-fissurer_6036242_3232.html">l’ordo-libéralisme</a> qui étaient son repère européen depuis 2005.</p>
<p>Elle l’a fait pour plusieurs raisons : être en phase avec son opinion publique bouleversée par les drames de la pandémie en Italie et dans toute l’Europe ; se débarrasser de son costume de mère fouettarde incarnant la rigueur dont l’affublait une bonne partie de l’opinion publique européenne ; prendre pour une fois et enfin par la main un de ses maris français, le quatrième ; et, bien sûr, comme elle l’indiqua elle-même, parce qu’il était dans l’intérêt de l’Allemagne que l’économie et la société de l’UE ne s’effondrent pas, résistent et se relancent.</p>
<h2>… et la nomination surprise d’Ursula von der Leyen</h2>
<p>À cette aune, le legs le plus déterminant du couple franco-allemand de l’ère Merkel pourrait bien être la nomination d’Ursula von der Leyen à la présidence de la Commission européenne en juillet 2019. Fidèle d’entre les fidèles de la chancelière, sa nomination imposée conjointement par Macron et Merkel (suivie d’une investiture par le Parlement européen avec <a href="https://www.ouest-france.fr/economie/l-allemande-von-der-leyen-premiere-femme-elue-la-tete-de-la-commission-europeenne-6447564">9 voix de majorité seulement</a> !) est un peu le pendant de celle de Jacques Delors imposée 35 ans plus tôt par Kohl et Mitterrand : un « coup » du couple franco-allemand. Or, il y a aujourd’hui un nombre certain de signaux faibles que le ou les Commission(s) von der Leyen auront une portée aussi décisive que les mandats Delors (1985-1995).</p>
<p>Comme Delors, von der Leyen déroule depuis son entrée en fonction un programme politique impressionnant. On l’a déjà oublié : c’est bien la Commission qui, dès le mois de mars 2020, en connivence avec le Parlement européen, a soufflé au Conseil européen l’idée d’un plan de relance XXL, pour que ledit Conseil lui demande du haut de sa majestueuse centralité de bien vouloir lui présenter un plan de relance européen pour la fin mai 2020. Dans le même temps, la Commission a abattu un travail intense et déterminant en <a href="https://www.touteleurope.eu/societe/covid-19-chronologie-de-la-pandemie-en-europe/">mobilisant</a> dès la mi-mars 2020 un maximum de ressources juridiques, politiques et financières pour lancer une politique européenne de santé anti-Covid et soutenir les économies et les sociétés mises à l’arrêt par le confinement généralisé.</p>
<p>C’est la Commission qui lança le processus de suspension des critères de Maastricht et de la législation sur les aides d’État ; qui mobilisa les fonds disponibles dans le budget ordinaire tout en s’alliant avec la BEI pour un premier plan de relance qui n’en portait pas le nom ; qui détourna les dispositifs existants de leur destination première aux fins de la lutte contre le Covid (Sure et Fonds de solidarité, par exemple) ; qui lança des appels d’offres européens inédits pour le matériel médical (masques, respirateurs) puis les vaccins tout en organisant la production et la répartition des doses dans l’UE ; qui stoppa net les premières manifestations de protectionnisme sanitaire au sein de l’UE.</p>
<p>La Commission von der Leyen s’est enfin saisie du plan de relance pour amplifier et accélérer la politique européenne de transition énergétique (<a href="https://ec.europa.eu/info/strategy/priorities-2019-2024/european-green-deal_fr">« pacte vert »</a>). Cette Commission est en train d’en faire l’instrument d’une politique d’orientation des économies européennes par l’investissement. Avec le soutien d’une grande partie de l’opinion publique, la Commission se sert également de la manne du plan de relance pour exercer une pression inédite sur les gouvernements qui s’affranchissent de l’État de droit et favorisent la corruption (principalement ceux d’Orban et de Morawiecki).</p>
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<p>Bien entendu, tout cela n’est possible que parce que les États acceptent d’être mobilisés ; mais encore faut-il oser les mobiliser, et le faire avec doigté, tant les dirigeants étatiques sont soucieux du respect de l’étiquette et des signes de leur prééminence.</p>
<p>La Commission actuelle a senti la demande d’Europe produite dans les sociétés civiles par l’ampleur de la crise sanitaire qui a dévoilé les pesanteurs des appareils d’États et de sociétés politiques dépassés ou démunis. Merkel et Macron ont su recouvrir ces défaillances et ces pesanteurs par la geste renouvelée de ce <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/les-idees-claires-de-sylvain-kahn/le-couple-franco-allemand-un-mythe-operatoire">mythe opératoire</a> que demeure le <em>couple franco-allemand moteur de l’Europe</em>. Le <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/grand-est/haut-rhin/mulhouse/coronavirus-nouveau-transfert-malades-tgv-mulhouse-1808254.html">transfert</a> des malades français sous respirateurs et en réanimation vers des hôpitaux allemands en TGV médicalisés siglés SNCF restera dans les annales.</p>
<p>En nommant pour la première fois une femme à la tête de la Commission, Merkel et Macron ont eu la détermination et l’habileté de faire accepter aux partis politiques la mise à l’écart des <em>spitzenkandidät</em>, dont le chrétien-démocrate allemand arrivé en tête (Manfred Weber) ne présentait qu’un honnête CV d’apparatchik parlementaire. En même temps, ils prenaient en compte les demandes sociales les plus actuelles des vingtenaires et des trentenaires, que le résultat des élections européennes de juin 2019 avaient cristallisées de façon inattendue. Sans doute seule Merkel pouvait-elle imposer à cette classe de dirigeants politiques européens si virils et sûrs d’eux même une femme politique polyglotte et au moins aussi intelligente et brillante qu’eux.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1268112943759138816"}"></div></p>
<p>Elle l’a fait en fin de carrière politique : est-ce une manière de se prolonger et de se dépasser, d’être là sans y être, elle qui a tout fait pour étouffer l’émergence d’un grand successeur chrétien-démocrate en Allemagne ? Elle qui assure ne plus vouloir jouer aucun rôle européen quand tant lui demandent déjà de prendre la présidence du Conseil ou de la Commission en 2024 ? Est-ce une manière, au final et sans en avoir l’air, d’accorder au programme européen très allant de son partenaire français Emmanuel Macron une chance de se réaliser enfin par la grâce et la volonté d’une Commission entreprenante, dynamique et à l’écoute du Parlement européen élu en 2019 ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/168596/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sylvain Kahn ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Au cours de ses seize années au pouvoir, Angela Merkel a toujours cherché à entretenir le couple franco-allemand, tout en promouvant constamment les intérêts de son pays. Un délicat jeu d’équilibre…Sylvain Kahn, Professeur agrégé d'histoire, docteur en géographie, Centre d'histoire de Sciences Po, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1624842021-07-20T23:00:15Z2021-07-20T23:00:15ZEn politique, comment les droites ont redécouvert la nature<p><em>Ce jeudi 10 octobre, Les Républicains organisent une « Nuit de l'écologie » consacrée aux questions environnementales. Objectif : se distinguer tant de l'exécutif que du RN, tout en se positionnant sur les enjeux écologiques. L'écologie, une question de droite ? En 2021, l'exécutif avait dû renoncer à inscrire la préservation de l'environnement dans la Constitution face à une levée de boucliers venue, justement, de la droite… Des positions qui s'inscrivent dans un héritage politique complexe. L'écologie politique que l'on connaît aujourd'hui est née à gauche, mais la droite n'est pour autant pas insensible aux questions environnementales, expliquait alors Sébastien Repaire, chercheur en histoire de l'écologie politique. A cette occasion, nous republions son texte.</em></p>
<p>La France « garantit la préservation de l’environnement et de la diversité biologique et lutte contre le dérèglement climatique ». Tel aurait pu être le nouveau principe inscrit dans l’article premier de la Constitution en 2021, si l’Assemblée nationale et le Sénat s’étaient accordés sur sa formulation, et que le <a href="http://www.senat.fr/dossier-legislatif/pjl20-449.html">texte</a> avait pu être soumis à référendum conformément au projet de l’exécutif.</p>
<p>Au lieu de cela, le Sénat a été, au coeur de l'été 2021, le terrain d’une bataille rangée entre le centre et la droite – ou, diront certains, entre deux droites : au centre, le gouvernement et ses soutiens voulaient inscrire l’environnement dans la Constitution et ainsi concrétiser l’engagement pris par Emmanuel Macron devant la Convention citoyenne pour le climat ; à droite, les sénateurs Les Républicains (LR) s'étaient opposés au terme « garantir », trop contraignant à leurs yeux, et avaient conduit l’exécutif à <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2021/07/06/l-executif-renonce-a-reviser-la-constitution-pour-y-inscrire-la-preservation-de-l-environnement-et-a-son-adoption-par-referendum_6087233_823448.html">renoncer</a> à son projet de réforme constitutionnelle.</p>
<p>Cette bataille rangée a mis en lumière les divergences profondes qui traversent la droite et le centre dans leur rapport à l’écologie.</p>
<p>Historiquement, d’ailleurs, l’écologie politique telle que nous la connaissons aujourd’hui naît à gauche de l’échiquier politique, dans les années 1960, avant de se diffuser notamment au Parti socialiste (PS) et d’engendrer des alliances telles que la <a href="https://www.cairn.info/c-etait-la-gauche-plurielle--9782724608984-page-9.htm">Gauche plurielle</a> (Verts, Parti socialiste, Parti communiste) en 1997. Pour autant, à la même époque, la droite n’est ni insensible ni hermétique aux enjeux environnementaux, parfois au prix de contradictions flagrantes.</p>
<h2>Redécouvrir la nature</h2>
<p>Ainsi, dès 1970, le président Pompidou s’inquiète-t-il de « l’emprise de l’homme sur la nature » dans son <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/12/controle/delat/dates_cles/discours_chicago.asp">discours de Chicago</a>, alors que dans le même temps il promeut l’expansion économique et veut adapter la ville à la voiture.</p>
<p>La préoccupation environnementale à droite se lit également au niveau local : <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/normandie/calvados/deauville/michel-d-ornano-entre-paris-et-la-normandie-retour-sur-un-parcours-hors-norme-1974019.html">Michel d’Ornano</a>, ministre de l’Environnement et candidat giscardien aux élections municipales dans la capitale en 1977, annonce ainsi « un programme vert pour Paris » (dans <em>Protection et renouveau pour Paris</em>, n° 5, 28 février 1977).</p>
<p>En cette fin des « Trente Glorieuses », la société française prend conscience du défi écologique et la droite de gouvernement semble suivre le mouvement. Elle traduit d’ailleurs cette préoccupation nouvelle en politiques publiques, depuis la création du ministère de l’Environnement en <a href="http://www.editions-recherches.com/fiche.php?id=37">1971</a> jusqu’aux différentes lois environnementales adoptées sous le <a href="https://www.lopinion.fr/edition/economie/vge-precurseur-politiques-environnementales-tribune-guillaume-sainteny-231721">septennat de Valéry Giscard d’Estaing</a>.</p>
<p>Sous la présidence de Jacques Chirac, le ralliement de la droite à la cause environnementale se précise.</p>
<h2>« Notre maison brûle et nous regardons ailleurs »</h2>
<p>Celui-ci est symbolisé par la formule choc que Jacques Chirac <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-d-histoire-des-idees-politiques-2016-2-page-157.htm">prononce</a> lors du Sommet de la Terre de Johannesburg, en 2002 : « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs. »</p>
<p>Conseillé par Nicolas Hulot (alors journaliste), Jacques Chirac confirme cette tendance durant son second mandat, lors duquel est adoptée la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/contenu/menu/droit-national-en-vigueur/constitution/charte-de-l-environnement">Charte de l’environnement</a>, de valeur constitutionnelle. L’écologie semble désormais faire consensus à droite comme à gauche et, en 2007, les principaux candidats à la présidentielle signent le Pacte écologique proposé par Nicolas Hulot.</p>
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<figcaption><span class="caption">Jacques Chirac, sommet de Johannesburg, 2002.</span></figcaption>
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<p>Il y a cependant, entre les discours favorables à la préservation de l’environnement et les actes, un pas que les responsables de droite se sont parfois exemptés de franchir.</p>
<p>Le quinquennat de Nicolas Sarkozy est, de ce point de vue, un cas emblématique : alors que les premiers mois de la présidence semblent marquer <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-d-histoire-des-idees-politiques-2016-2-page-157.htm">« un tournant doctrinal »</a>, à travers notamment l’organisation en 2007 du <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Grenelle_de_l%27environnement">Grenelle de l’environnement</a>, le volontarisme des premiers temps laisse rapidement la place à une attitude beaucoup plus timorée, nombre de recommandations du Grenelle ne se traduisant pas en réalisations concrètes.</p>
<p>Il émane de cette période l’impression d’une ambiguïté fondamentale dans le rapport entretenu par la droite à la question écologique.</p>
<h2>Une droite conservatrice rétive à l’écologie</h2>
<p>En réalité, un clivage au sein de la droite de gouvernement se dessine à partir de cette période. Il est nettement visible au moment de transcrire les engagements pris lors du Grenelle de l’environnement dans le projet de loi qui en est issu : alors que Jean-Louis Borloo, ministre de l’Écologie avec le rang de ministre d’État, et Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d’État à l’Écologie, se font les avocats d’un texte ambitieux, ils doivent faire face à une vive opposition sur les bancs de la majorité, tant au Sénat qu’à <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2010/11/27/nathalie-kosciusko-morizet-l-image-du-grenelle-s-est-brouillee_1445736_823448.html">l’Assemblée nationale</a>.</p>
<p>Or, devant la division de son propre camp, Nicolas Sarkozy choisit celui des détracteurs de l’écologie <a href="https://www.nouvelobs.com/rue89/rue89-agriculture/20100306.RUE5401/pour-sarkozy-l-environnement-ca-commence-a-bien-faire.html">lorsqu’il explique</a>, au Salon de l’agriculture de 2010 que « toutes ces questions d’environnement […] ça commence à bien faire ».</p>
<p>La droite conservatrice se détourne alors ostensiblement de l’environnement, notamment en raison d’un électorat peu porté sur ces questions. Ce refus de l’écologie va jusqu’à frôler le climatoscepticisme, ce dont <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2016/09/15/pour-nicolas-sarkozy-l-homme-n-est-pas-le-seul-responsable-du-changement-climatique_4997984_823448.html">témoignent les déclarations</a> de Nicolas Sarkozy visant à minorer la part anthropique du réchauffement climatique, en 2016.</p>
<p>Sans nécessairement atteindre cette extrémité, l’aile « dure » de l’Union pour un mouvement populaire (UMP), puis de LR, rejette avec force « l’écologie idéologique », incarnée à ses yeux par les Verts et par la gauche, et lui préfère une « écologie du bon sens », aux contours et au contenu volontairement indéfinis et peu contraignants.</p>
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<p>Par ailleurs, dans cette fraction de la droite, l’argument écologique est parfois désormais utilisé pour justifier des positions conservatrices en matière de bioéthique plutôt que pour développer un discours sur la préservation de l’environnement. C’est ce que l’on observe chez <a href="https://lvsl.fr/francois-xavier-bellamy-lecologie-est-une-preoccupation-eminemment-conservatrice/">François-Xavier Bellamy</a>, tête de liste LR aux européennes de 2019, hostile à l’extension de la PMA aux couples de femmes.</p>
<h2>Un centre davantage porté sur l’écologie</h2>
<p>À l’inverse de cette droite conservatrice qui décide d’ignorer l’écologie ou d’en redéfinir le sens, la droite modérée semble quant à elle plus soucieuse d’acclimater la notion au sein de son logiciel idéologique. Parmi les anciens ténors de la droite sarkoziste, on peut identifier une poignée de personnalités atypiques, dont celles, déjà citées, de <a href="https://generationecologie.fr/archives/2014/12/jean-louis-borloo-le-politique-qui-a-mis-l-ecologie-au-centre.html">Jean-Louis Borloo</a>, qui avait participé à la fondation de Génération Écologie en 1990, ou de Nathalie Kosciusko-Morizet, seule candidate à mettre en avant l’écologie lors de la primaire de la droite en 2016. On peut leur adjoindre, à certains égards, la figure d’Alain Juppé.</p>
<p>Aujourd’hui, <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/05/16/chez-lr-les-questions-ecologiques-gagnent-du-terrain_6039887_823448.html">l’environnement n’est pas totalement absent</a> de la frange modérée de LR, mais il y fait figure de question marginale. En réalité, c’est surtout dans les formations centristes que l’attrait pour l’écologie s’avère palpable.</p>
<p>Le Mouvement démocrate (MoDem), lancé en 2007 après la rupture de François Bayrou avec Nicolas Sarkozy, <a href="http://ipolitique.free.fr/francepolitique/bayrou2007.pdf">s’ouvre ainsi très tôt à l’écologie</a> en promettant de « déclarer l’urgence » climatique et environnementale. Il accueille d’ailleurs quelques transfuges issus des Verts, comme Jean-Luc Bennahmias ou Yann Wehrling.</p>
<p>Plus encore, La République en Marche (LREM), mouvement composite puisant ses références idéologiques tant à gauche qu’à droite, affiche dès sa création des prétentions élevées en matière environnementale. Pendant la campagne présidentielle de 2017, Emmanuel Macron promet ainsi <a href="https://www.lesechos.fr/2017/02/emmanuel-macron-je-veux-inventer-un-nouveau-modele-de-croissance-152514">« un nouveau modèle de croissance »</a> et rallie des personnalités issues de l’écologie politique, comme François de Rugy, Barbara Pompili, ou Matthieu Orphelin, trois ex-militants d’Europe Écologie Les Verts (EELV).</p>
<p>Une fois élu, il parvient à nommer Nicolas Hulot, un visage bien identifié dans l’opinion, ministre de la Transition écologique et solidaire. Le président de la République se permet même un coup d’éclat quelques semaines après son élection, avec la formule « Make Our Planet Great Again », lancée à la suite du retrait américain de l’accord de Paris sur le climat, en juin 2017.</p>
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<figcaption><span class="caption">Emmanuel Macron, 2 juin 2017.</span></figcaption>
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<p>Ce détournement du slogan trumpiste « Make America Great Again », qui bénéficie d’un retentissement international, évoque alors chez certains une filiation avec le discours de Jacques Chirac à Johannesburg. La même année, devant la communauté internationale réunie pour la COP 23 à Bonn, Emmanuel Macron <a href="https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2017/11/15/discours-du-president-de-la-republique-emmanuel-macron-lors-de-la-cop23-a-bonn">confirme sa vision</a> de l’écologie comme « l’un des combats majeurs de notre temps ».</p>
<p><a href="https://www.actu-environnement.com/ae/news/loi-interdiction-production-hydrocarbures-adoption-finale-30307.php4">L’interdiction de la production d’hydrocarbures</a> sur le territoire national, la <a href="https://www.actu-environnement.com/ae/news/decret-fonctionnement-organisation-missions-agence-francaise-biodiversite-afb-28160.php4">promulgation</a> du décret d’application de la loi sur la biodiversité votée sous le quinquennat précédent, <a href="https://www.ecologie.gouv.fr/fermeture-des-centrales-charbon-aura-lieu-dici-2022">l’annonce de la fermeture des dernières centrales à charbon</a> d’ici à 2022, ou encore la <a href="https://www.vie-publique.fr/eclairage/279701-convention-citoyenne-pour-le-climat-experience-democratique-inedite">constitution d’une « Convention citoyenne pour le climat »</a>, sont autant de décisions prises en ce sens par la majorité actuelle.</p>
<p>Pourtant, l’action d’Emmanuel Macron se heurte aussi à des critiques et à des difficultés. Ainsi, Nicolas Hulot <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2018/08/28/nicolas-hulot-annonce-qu-il-quitte-le-gouvernement_5346903_823448.html">démissionne en septembre 2018</a>, évoquant les « lobbys » qui l’auraient conduit à « abaisser (son) seuil d’exigence ». Quant à l’association Greenpeace, elle évoque un <a href="https://www.greenpeace.fr/ecologie-et-climat-le-bilan-catastrophe-de-macron/">« bilan catastrophe »</a>, reprochant au gouvernement d’avoir, entre autres torts, entériné le CETA, traité de libre-échange avec le Canada.</p>
<p>En réalité, il convient de constater ici le face-à-face entre des conceptions et des définitions de l’écologie profondément divergentes : alors qu’une ONG comme Greenpeace ou un parti comme EELV affirment de plus en plus nettement leur attachement à l’idée de décroissance, <a href="https://legrandcontinent.eu/fr/2021/06/30/il-existe-une-doctrine-ecologiste-commune-en-europe-conversation-avec-david-cormand/">comme en témoignent les déclarations de leurs responsables</a>, la plupart des autres acteurs politiques qui développent un discours environnemental, parmi lesquels le PS, le MoDem, ou LREM, misent quant à eux sur l’idée d’une « croissance verte » qui ne renoncerait pas au principe de la croissance économique. L’écologie modérée et graduelle des formations centristes ne peut pas, dans ces conditions, rencontrer l’approbation des premiers.</p>
<p>Quoi qu’il en soit, l’évaluation rétrospective des mesures prises par la majorité actuelle dira, dans les décennies à venir, quel a été leur impact réel.</p>
<h2>À l’extrême droite, une réinterprétation identitaire de l’écologie</h2>
<p>Pour avoir un panorama complet de l’hémisphère droit de la vie politique française, il conviendrait, pour finir, de dire un mot de la place de l’écologie à l’extrême droite. Or, en la matière, le Front national (FN) puis le Rassemblement national (RN) oscillent entre un souverain mépris pour les considérations environnementales, longtemps assimilées par Jean-Marie Le Pen puis Marine Le Pen à une <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2019/04/15/derriere-le-virage-ecologique-de-marine-le-pen-l-obsession-de-l-immigration_5450173_823448.html">lubie de « bobos »</a>, et une libre réinterprétation des enjeux écologiques selon des critères propres à l’extrême droite.</p>
<p>Cette réinterprétation insiste sur le rejet des grands accords de libre-échange et promeut un « localisme » qui, dans le contexte actuel de développement des circuits courts, pourrait passer pour une idée d’avant-garde alors qu’il plonge ses racines dans la pensée de la <a href="https://laviedesidees.fr/Le-ble-noir.html">Nouvelle Droite</a> des années 1970.</p>
<p>Dès 2017, Marine Le Pen <a href="https://www.europe1.fr/politique/a-lyon-marine-le-pen-promet-de-remettre-la-france-en-ordre-2970029">explique ainsi dans son programme</a> que « pour préserver l’environnement, [il faut] rompre avec le modèle économique fondé sur la mondialisation sauvage », ajoutant que « la véritable écologie consiste à produire et consommer au plus près ». Au sein de l’actuel RN, l’essayiste et eurodéputé Hervé Juvin, défenseur d’une « écologie identitaire », est un <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/comme-personne/herve-juvin-lhomme-qui-murmure-a-loreille-de-marine-le-pen">ardent promoteur de cette vision</a>.</p>
<p>En fin de compte, ce rapide panorama des droites et du centre dans leur rapport à l’écologie dessine une forme de tripartition qui n’est pas sans rappeler la théorie des trois droites, autrefois développée par <a href="https://www.franceculture.fr/%C5%93uvre/les-droites-en-france">l’historien René Rémond</a> : une droite légitimiste, réactionnaire par définition ; une droite orléaniste, d’orientation libérale ; et enfin une droite bonapartiste, attachée à l’autorité du chef de l’État. Le rapport des droites et du centre à l’écologie confirmerait-il ce schéma, né au XIX<sup>e</sup> siècle ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/162484/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sebastien Repaire est membre de la Société française d'histoire politique (SFHPo) et du Réseau universitaire des chercheurs en histoire environnementale (RUCHE). </span></em></p>Ce jeudi 10 octobre, Les Républicains organisent une « Nuit de l'écologie ». L'occasion de revenir sur les divergences profondes qui traversent la droite et le centre dans leur rapport à l’écologie.Sébastien Repaire, Chercheur, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1595502021-05-14T15:01:42Z2021-05-14T15:01:42ZHomard bleu et macaron à la rose… Ces aliments rois de la politique<p>Du homard bleu, de la volaille de Bresse et du macaron à la rose… Le tout servi dans une porcelaine de Sèvres dans la galerie des Glaces du château de Versailles. </p>
<p>C'est un menu royal qui a été servi à Charles III et à Camilla pour leur visite officielle en France de trois jours. </p>
<p>Mais au delà du faste et du prestige, l’alimentation a toujours entretenu un <a href="https://www.librairie-gallimard.com/livre/9782200354701-aux-tables-du-pouvoir-des-banquets-grecs-a-l-elysee-albert-j-m/">lien étroit</a> avec la politique. Aussi bien pour les simples <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/diners-clandestins-marlene-schiappa-pour-sanctionner-des-ministres-s-ils-y-participaient-20210404">dîners en ville</a> que pour les banquets républicains.</p>
<p>La table est un espace de pouvoir qui sert à mobiliser des réseaux, afficher sa puissance et porter un <a href="http://www.persee.fr/issue/rfsp_0035-2950_1998_num_48_3">discours politique</a> à travers ce que l’on mange et ce que l’on boit.</p>
<p>Pour le <a href="https://data.bnf.fr/fr/16605002/jean_anthelme_brillat-savarin_la_physiologie_du_gout/">célèbre gastronome Anthelme Brillat-Savarin</a></p>
<blockquote>
<p>« Les repas sont devenus un moyen de gouvernement, et le sort des peuples s’est décidé dans un banquet. Ceci n’est ni un paradoxe, ni même une nouveauté, mais une simple observation des faits. Qu’on ouvre tous les historiens, depuis Hérodote jusqu’à nos jours, et on verra que, sans même en excepter les conspirations, il ne s’est jamais passé un grand événement qui n’ai été conçu, préparé et ordonné dans les festins. »</p>
</blockquote>
<p>Dès lors, au fil des siècles et des régimes politiques, des aliments et des plats ont été revêtus d’un sens politique fort dont les évolutions s’inscrivent tout à la fois dans les transformations de la gastronomie française et de l’histoire politique de la France.</p>
<h2>Afficher son pouvoir</h2>
<p>La profusion des mets est considérée pendant des siècles comme un signe évident de puissance. Sur les tables royales au Moyen-Âge, l’abondance et la prodigalité permettent au roi de montrer qu’il est le premier des seigneurs. La profusion de nourriture impose une hiérarchie. Mais, la rareté des aliments servis participe aussi du prestige de la table pour les différents pouvoirs, notamment à travers <a href="https://www.persee.fr/doc/medi_0751-2708_1983_num_2_5_933">l’emploi d’épices en nombre</a> (girofle, cannelle, muscade).</p>
<p>Il s’agit d’avoir ce que les autres n’ont pas. Lorsque <a href="http://www.potager-du-roi.fr/site/pot_histoire/table_royale.htm">Louis XIV réclame des petits pois</a> en primeurs cultivés dans le potager du roi à Versailles, il montre ainsi qu’il peut tout contrôler, même la nature. Pendant longtemps, le luxe fut une caractéristique majeure des tables des politiques.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/397350/original/file-20210427-21-w9sa0w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/397350/original/file-20210427-21-w9sa0w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/397350/original/file-20210427-21-w9sa0w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=957&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/397350/original/file-20210427-21-w9sa0w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=957&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/397350/original/file-20210427-21-w9sa0w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=957&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/397350/original/file-20210427-21-w9sa0w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1203&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/397350/original/file-20210427-21-w9sa0w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1203&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/397350/original/file-20210427-21-w9sa0w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1203&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Les Grandes Chroniques de France de Charles V.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Banquet_Charles_IV.jpg">Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les mets les plus recherchés, les plus rares, les plus prisés se devaient d’y figurer. Au Moyen-Âge, paons, hérons, cygnes ou marsouins sont présentés comme des mets d’exception, véritables spectacles, lors des banquets princiers comme ceux donnés au milieu du XV<sup>e</sup> siècle à la <a href="https://sup.sorbonne-universite.fr/sites/default/files/public/files/Ducs-Bourgogne_2009-05-23_HISTOIRE_ET_IMAGES_MEDIEVALES_.pdf">cour de Bourgogne</a> par Philippe le Bon puis Charles le Téméraire pour <a href="https://www.persee.fr/doc/ahess_0395-2649_2002_num_57_5_280111_t1_1367_0000_3">éblouir leurs invités</a>.</p>
<p>Toutes les institutions politiques assoient leur prestige sur des repas d’apparat. Dans la France du XVIII<sup>e</sup> siècle, les <a href="https://feret.com/livre/banquets-gastronomie-et-politique-dans-les-villes-de-province-xive-XXe-siecles/">corps de ville donnent des banquets</a> où sont présentés les plats à la mode du temps comme des poulardes aux huîtres, des tourtes de pigeons garnies de truffes et de champignons ou des pâtés chauds de bécasses.</p>
<p>Ils affichent ainsi leur pouvoir et le prestige de la cité. Au moment de la Révolution, ces fastes culinaires suscitent néanmoins des critiques. Les caricatures de Louis XVI le présentent ainsi comme un affameur du peuple contraint de lui fournir les nourritures les plus précieuses (vins de Bordeaux, Champagne, pâtés de canards d’Amiens, etc.).</p>
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<figcaption>
<span class="caption">Le Ci devant Grand Couvert de Gargantua Moderne en Famille vers 1791.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.parismuseescollections.paris.fr/fr/musee-carnavalet/oeuvres/le-ci-devant-grand-couvert-de-gargantua-moderne-en-famille#infos-principales">parismuseescollections.paris.fr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Se distinguer</h2>
<p>Les aliments ont une dimension symbolique forte dans une société d’ordres marquée par les hiérarchies. La consommation de gibiers à plumes représente ainsi un trait distinctif des tables des élites politiques de l’Ancien Régime. Les perdrix, les grives ou les cailles sont placées au sommet d’une hiérarchie des aliments fondée, dans une perspective religieuse, sur la proximité avec le ciel. Dictée par un <a href="https://www.armand-colin.com/lalimentation-en-europe-lepoque-moderne-9782200244071">principe d’incorporation et d’élévation spirituelle</a>, leur consommation, comme celle des fruits, est jugée plus raffinée que celle des nourritures qui poussent dans la terre (légumes, tubercules).</p>
<p>Mais ces oiseaux renvoient aussi aux privilèges nobiliaires et à l’exercice de droits seigneuriaux à travers la chasse, synonyme de pouvoir, qui différencie la noblesse du peuple.</p>
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<figcaption><span class="caption">Maité explique comment manger l’ortolan à la serviette (INA, 1987).</span></figcaption>
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<p>Cette valorisation gastronomique lorsqu’elle est associée au goût de l’interdit, comme, à la fin du XX<sup>e</sup> siècle, dans le cas de François Mitterrand et des <a href="https://www.commentaire.fr/boutique/achat-d-articles/le-petit-oiseau-du-paradis-6290">ortolans</a> (petits oiseaux interdits de chasse, engraissés, puis rôtis qu’il fallait manger en entier), devient l’illustration d’un pouvoir politique hors du droit commun.</p>
<h2>Entretenir ses réseaux d’influence</h2>
<p>Le choix des aliments par et pour les hommes de pouvoir intervient aussi dans l’entretien des réseaux d’influence. Durant l’Ancien Régime, il est ainsi d’usage pour les villes de province d’honorer la famille royale, le contrôleur général des finances, les ministres ou les intendants par des présents en début d’année ou lors de visites officielles.</p>
<p>Pour les villes, <a href="https://www.persee.fr/doc/hes_0752-5702_2006_num_25_1_2579">ces dons</a> auxquels sont consacrées parfois des sommes importantes, sont un moyen de s’assurer la protection et la bienveillance des puissants. Chacune offre alors des aliments jugés emblématiques de la gastronomie locale et dignes d’être envoyés à de grands personnages : Périgueux offre ainsi des pâtés de perdrix aux truffes, Bayonne des jambons, Amiens des pâtés de canards, Montélimar des nougats blancs, Reims des vins de Champagne, etc.</p>
<p>La table peut également servir à montrer la cohésion politique de la nation comme lors du <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/la-fabrique-de-lhistoire/histoire-de-la-cuisine-34-les-banquets-republicains">célèbre banquet des maires</a> de France dans les jardins des Tuileries à l’occasion de l’Exposition universelle de 1900 en pleine période troublée de <a href="https://www.lemonde.fr/un-jour-un-festin/article/2020/08/18/un-jour-un-festin-en-1900-le-banquet-des-maires_6049195_6046388.html">l’affaire de Dreyfus</a> et de contestations de la République. Les plats servis aux 22 000 convives symbolisent une <a href="https://www.persee.fr/doc/rfsp_0035-2950_1998_num_48_3_395283">démarche fédératrice</a> en rassemblant les plats emblématiques de la grande cuisine française de l’époque (darnes de saumon glacées parisiennes, filet de bœuf en Bellevue) et les aliments qui font la réputation des régions françaises (canetons de Rouen, poulardes de Bresse).</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/397157/original/file-20210426-17-151yieu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/397157/original/file-20210426-17-151yieu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=426&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/397157/original/file-20210426-17-151yieu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=426&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/397157/original/file-20210426-17-151yieu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=426&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/397157/original/file-20210426-17-151yieu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=535&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/397157/original/file-20210426-17-151yieu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=535&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/397157/original/file-20210426-17-151yieu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=535&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">22 000 convives ont pris part au grand banquet des maires de France, le 22 septembre 1900.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.parismuseescollections.paris.fr/fr/musee-carnavalet/oeuvres/grand-banquet-1900-maires-de-france#infos-principales">www.parismuseescollections.paris.fr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<h2>Cuisine et communication politique</h2>
<p>L’alimentation sert de point d’appui à un discours politique ; elle peut être porteuse d’un message ou bien support de critiques comme contre Louis XVI.</p>
<p>Les nombreux banquets organisés sous la III<sup>e</sup> République au lendemain de la défaite de 1870 et de la perte de l’Alsace-Lorraine témoignent souvent d’un choix politique des mets.</p>
<p>Saumons du Rhin ou écrevisses de la Meuse figurent, par exemple, au menu du banquet offert par la ville de Cahors à Léon Gambetta, président de la Chambre des députés le 28 mai 1881. La dénomination des plats sert à ancrer malgré tout les provinces perdues dans la gastronomie nationale.</p>
<p>Avec la V<sup>e</sup> République et la médiatisation des chefs étoilés, les liens entre la cuisine et la politique demeurent toujours très étroits. Suivant les évolutions de l’art culinaire, le luxe et l’abondance ne sont plus seulement les fondements de la distinction. La dimension politique s’exprime surtout dans les valeurs associées aux nourritures choisies. En 1975, à l’occasion de la remise de sa Légion d’honneur par Valérie Giscard d’Estaing, le chef Paul Bocuse crée une soupe aux <a href="https://www.huffingtonpost.fr/entry/lhistoire-derriere-la-celebre-soupe-aux-truffes-vge-concue-pour-valery-giscard-destaing_fr_5fc8e158c5b66bc57467e50b">truffes noires</a> qu’il baptise « Soupe aux truffes VGE » en l’honneur du président.</p>
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<figcaption><span class="caption">La recette de la soupe « VGE ».</span></figcaption>
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<p>Cet épisode montre que l’alimentation des présidents de la République devient un <a href="https://gallica.bnf.fr/blog/28042017/les-menus-presidentiels?mode=desktop">objet politique</a>. Ceux-ci savent alors s’en emparer pour façonner leur image, soit du côté du raffinement et de l’excellence française, soit, à l’inverse, en affichant l’image plus populaire d’un amateur de <a href="https://www.lhistoire.fr/au-club-de-la-t%C3%AAte-de-veau-0">tête de veau</a> comme Jacques Chirac, <a href="https://www.huffingtonpost.fr/entry/les-tripiers-de-france-rendent-hommage-a-leur-meilleur-ambassadeur-de-la-tete-de-veau_fr_5d8cb4c8e4b0e9e760486862">promoteur de la cuisine de terroir</a>, expression politique de l’ancrage et de la proximité.</p>
<p>Aliments et spécialités culinaires deviennent alors support d’une communication politique, plus ou moins maîtrisée, que l’on retrouve des campagnes électorales aux visites médiatiques au salon de l’agriculture.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/159550/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Philippe Meyzie a reçu des financements du Conseil Régional Nouvelle-Aquitaine</span></em></p>Au fil des siècles et des régimes politiques, les aliments ont été revêtus d’un sens politique fort, lié aux évolutions tant gastronomiques que politiques.Philippe Meyzie, Maître de conférences HDR en histoire moderne, Université Bordeaux MontaigneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1395292020-06-02T17:35:47Z2020-06-02T17:35:47ZListes citoyennes : un cas concret et quelques désillusions<p>Le premier tour des élections municipales a été marqué par un investissement sans précédent de candidats issus de la société civile – c’est-à-dire n’ayant pas d’affiliation partisane et n’ayant jamais été élus. Il résulte de la conjonction d’un déclin des partis traditionnels, de l’absence d’enracinement <a href="https://theconversation.com/le-difficile-atterrissage-municipal-de-lrem-132043">local de LREM</a> et d’un rejet des professionnels de la politique. C’est aussi un écho au mouvement des <a href="https://theconversation.com/fr/topics/gilets-jaunes-62467">« gilets jaunes »</a> et de ce qu’il porte de défiance vis-à-vis de l’ordre établi.</p>
<p>Cette tendance a été <a href="https://www.la-croix.com/France/Politique/Sengager-liste-citoyenne-tendance-2020-2020-02-05-1201076378">accentuée</a> par l’intérêt porté par les électeurs à de <a href="https://www.liberation.fr/politiques/2020/03/02/les-listes-citoyennes-mirage-ou-ancrage_1780190">telles listes</a>. Pour la première fois, plus de la <a href="https://www.lagazettedescommunes.com/627272/municipales-2020-les-francais-aspirent-au-renouvellement">moitié des citoyens sondés</a> (71 %) ont affirmé préférer des candidats sans étiquette partisane. Les listes ne bénéficiant d’aucun appui partisan se sont multipliées, et certaines ont bousculé des élus sortants bien établis.</p>
<p>Ces candidats sans étiquette séduisent. Ils semblent motivés par l’intérêt général et ne pas se soucier de faire une carrière politique. Ils ne sont pas dépendants de réseaux clientélistes et de jeux d’alliances. Ils ne paraissent pas prêts à tout pour gagner et n’ont pas besoin de la politique pour vivre. En somme, ils semblent là pour servir, et non pour se servir.</p>
<p>À la faveur des négociations d’entre-deux-tours, on constate que c’est un peu plus compliqué que cela.</p>
<h2>Chez moi</h2>
<p>Prenons le cas de ma commune, une ville de 30 000 habitants, appartenant à la métropole de Bordeaux.</p>
<p>Le maire sortant porte l’étiquette MoDem, mais a un positionnement relativement droitier. En 2014, il avait battu le maire sortant Parti socialiste (PS), qui entendait effectuer un sixième mandat. L’aspiration au changement avait permis à son opposant historique de l’emporter aisément.</p>
<p>Cette année, le nouveau maire pensait être réélu dans un fauteuil. C’est souvent le cas au terme d’un premier mandat, surtout quand l’opposition est exsangue. Mais le maire a, semble-t-il, déçu. Il a présenté une liste d’union de la droite et du centre, qui était toutefois dépourvue d’étiquette afin de jouer la carte du rassemblement.</p>
<p>Trois listes d’opposition ont émergé pour exprimer le mécontentement des habitants. La première était une liste d’union de la gauche, englobant toutes les forces politiques de La France insoumise (LFI) aux radicaux. La ville, comme le département et la région, est historiquement une <a href="https://www.cairn.info/revue-parlements1-2005-3-page-40.htm">terre socialiste</a> et radicale ; malgré les déconvenues des derniers scrutins, les réseaux de ces partis restent solides.</p>
<p>Les écologistes avaient quant à eux le vent en poupe dans cette ville relativement jeune et aisée. La deuxième liste était une liste citoyenne, comprenant quelques élus sortants PS, adossée à un collectif mobilisé par les enjeux de démocratie participative et délibérative. La troisième était une autre liste citoyenne, située plus au centre, conduite par l’ex-responsable du comité La République En Marche (LREM) de la ville, mais dépourvue elle aussi d’investiture partisane.</p>
<p>Un peu par hasard, j’ai été en contact avec le leader de la liste citoyenne centriste. J’ai trouvé l’homme sympathique et sa démarche intéressante. Hormis son engagement comme responsable du fantomatique comité LREM local, il n’avait jamais fait de politique. Il se présentait comme un citoyen déçu par l’action du maire, et notamment par son manque d’écoute sur des projets de mobilité qui lui tenaient à cœur. Il avait donc décidé, avec quelques proches, de monter une liste. N’ayant pas obtenu l’investiture LREM, ils ont persisté dans l’aventure, en mobilisant des gens de gauche comme de droite, dont aucun n’avait jamais été candidat ou élu.</p>
<p>Directeur régional d’un grand groupe de services, il n’avait pas besoin de faire de la politique pour gagner sa vie ou s’élever socialement. Sa démarche semblait sincère et désintéressée. Le positionnement droitier du maire et la faiblesse du PS local créaient un espace politique à conquérir.</p>
<h2>De l’opposition à la majorité</h2>
<p>Ce novice en politique a choisi de mener campagne autour de propositions mesurées et concrètes, et d’une critique, polie, mais inexorable, du bilan de l’équipe sortante. La matière ne manquait pas, qu’il s’agisse du cumul des mandats par le maire, de sa politique sociale conservatrice, de ses relations tendues avec la société civile et l’opposition, de travaux de prestige menés en dépit du bon sens, ou encore de ses promesses de 2014 – intenables et non tenues – en matière d’urbanisme (la fin de la densification, la création d’un grand parc) et de transports publics (l’arrivée du tram en centre-ville).</p>
<p>Je me suis engagé auprès de cette liste – sans être candidat – parce que je désirais contribuer à l’alternance. J’ai organisé une réunion chez moi pour présenter la tête de liste à des amis, susceptibles de le conseiller sur tel ou tel aspect de la gestion municipale. Je suis allé à cinq meetings et j’ai publiquement appelé à voter pour lui. J’ai pris du temps pour conseiller les membres de la liste au mieux de mes connaissances.</p>
<p>Le candidat de tête m’a toujours affirmé que son objectif était de défaire le maire sortant et que si celui-ci lui proposait une alliance en vue du second tour il la refuserait.</p>
<p>Je ne doutais pas de sa sincérité, mais je souhaitais mettre un terme aux rumeurs qui présentaient sa candidature comme une manœuvre du maire sortant pour capter l’électorat LREM et centriste. Je l’ai donc interrogé sur ses intentions devant témoins. À ma question – et à des questions similaires posées par des électeurs lors de réunions publiques – il a répondu avec aplomb qu’il n’y aurait pas d’alliance avec la majorité municipale.</p>
<p>À l’issue du premier tour, le maire a fait 38 %, ce qui constituait un désaveu cuisant. La liste d’union de la gauche a fait 28 %, et les deux listes citoyennes 17 % chacune.</p>
<p>Des discussions se sont engagées entre les trois listes d’opposition en vue d’une fusion, qui leur aurait assuré une victoire facile. À lire les programmes, il existait des convergences manifestes, tant sur l’appréciation du bilan de l’équipe sortante, que sur les projets à conduire et la méthode pour le faire. La liste d’union de la gauche a trouvé un accord avec la liste citoyenne située le plus à gauche. Mais, à la surprise générale, la seconde liste citoyenne, celle pour laquelle j’avais fait campagne, a décidé de fusionner avec celle du maire. Je l’ai appris par la rumeur, sans vouloir y croire, puis par un communiqué officiel du candidat, annonçant ce choix comme s’il en avait toujours été question. Les conditions dans lesquelles la décision a été prise sont peu claires, mais elle n’a pas été mise au vote de l’ensemble des membres de la liste et les conditions de la fusion ont été négociées à huis clos par les deux têtes de liste.</p>
<h2>La piètre image des élus</h2>
<p>Depuis 20 ans, j’étudie les responsables politiques. Je connais leurs qualités et leurs mérites, mais aussi leurs défauts et leurs faiblesses. À l’échelle municipale, la vie politique n’est pas toujours reluisante. <a href="https://www.persee.fr/doc/polix_0295-2319_1989_num_2_5_2019">On citera pêle-mêle</a> les problèmes de compétence et d’ego de certains élus, leurs conflits d’intérêts, leurs relations clientélistes avec les acteurs de l’économie et de la société civile, ou encore la transformation des appareils partisans en outils au service du maire, de son entourage et d’une poignée de militants dévoués.</p>
<p>Mais il faut aussi reconnaître que les élus municipaux en charge de fonctions exécutives travaillent beaucoup pour des <a href="https://jean-jaures.org/nos-productions/le-blues-des-maires">indemnités modestes</a>, accomplissent des tâches d’une grande complexité, sont sollicités sans cesse et doivent s’accommoder de l’ingratitude d’une bonne partie de leurs administrés.</p>
<p><a href="https://www.cairn.info/revue-mouvements-2001-5-page-21.htm">Assumer une fonction élective</a> n’est pas la <a href="https://jean-jaures.org/nos-productions/a-quoi-servent-encore-les-elus-locaux-apres-les-gilets-jaunes">sinécure</a> que nombre de citoyens s’imaginent. Les élus bénéficient d’un certain prestige social et s’enivrent parfois du pouvoir, mais la carrière politique est un chemin de croix qui implique d’importants sacrifices personnels. Nombre d’élus d’une certaine importance n’ont rien d’autre que la politique dans leur vie et s’y dévouent avec passion. Cela explique la rage qu’ils mettent à conserver leurs mandats, au risque de se compromettre ou de faire la campagne de trop.</p>
<p>Il faut aussi rendre justice aux responsables politiques à l’ancienne, ceux qui sont issus des partis et sont tant vilipendés par les candidats dits de la société civile. Ils ont en effet des qualités que les seconds possèdent trop rarement. Quatre méritent d’être ici mentionnées.</p>
<h2>Patience et constance</h2>
<p>La première est la patience. Quand on milite dans un parti, on apprend qu’il faut attendre son heure et siéger longuement dans une instance avant d’y prendre des responsabilités. Les gens qui ont attendu leur tour pour être candidat, puis pour se faire élire, ont une connaissance appréciable de la marche des institutions publiques – de leurs rouages, acteurs et activités. Ils ont aussi la sérénité de ceux qui ont avalé des couleuvres et digéré des échecs. Du côté de la société civile, on a rarement cette patience : on se présente pour renverser la table, on veut tout, tout de suite et, à défaut, on retourne à sa vie d’avant.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/338212/original/file-20200528-51445-xsio80.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/338212/original/file-20200528-51445-xsio80.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=418&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/338212/original/file-20200528-51445-xsio80.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=418&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/338212/original/file-20200528-51445-xsio80.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=418&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/338212/original/file-20200528-51445-xsio80.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=525&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/338212/original/file-20200528-51445-xsio80.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=525&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/338212/original/file-20200528-51445-xsio80.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=525&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Malgré les apparences, faire de la politique n’est pas une sinécure : ici Bernard Quesson, Claude-Gérard Marcus, Alain Juppé et Jacques Chirac en 1988.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Alain_Jupp%C3%A9#/media/Fichier:Bernard_Quesson_-_Claude-G%C3%A9rard_Marcus_-_Alain_Jupp%C3%A9_-_Jacques_Chirac_en_1988.jpg">Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>La deuxième qualité des élus issus des partis est leur constance dans l’engagement politique. Certes, les convictions de chacun évoluent au fil du temps et du contexte, pour des raisons idéologiques ou stratégiques. En outre, tout responsable politique peut être contraint, sous la pression des événements, à renier certains engagements. Il arrive aussi qu’un parti doive oublier l’inimitié que lui inspirait une formation concurrente pour forger une alliance électorale.</p>
<p>Mais, au sein d’un parti, les retournements de veste se paient cher, car son fonctionnement repose sur la confiance et le respect de la parole donnée. On a ainsi rarement vu une formation d’opposition rejoindre la majorité entre les deux tours d’une élection. Dans le monde des partis, les positionnements et les clivages sont stables.</p>
<h2>Loyauté et clarté</h2>
<p>La troisième qualité des candidats qui ont fait leurs classes au sein d’un parti est la loyauté au collectif. Le candidat d’une formation très structurée ne peut pas décider unilatéralement de changer d’avis et de position pour se saisir d’une opportunité. Lors des municipales, la tête de la liste d’un parti n’agit pas à sa guise, et doit veiller à conserver le soutien de ses colistiers et de sa formation. Le parti est certes au service du candidat, mais celui-ci n’est que l’agent de celui-là. Cette relation à double sens permet de maintenir le cap et évite les revirements inattendus.</p>
<p>La dernière qualité des candidats issus d’un parti est la clarté. Un parti s’adresse à une clientèle électorale donnée et lui dit des choses qu’elle veut entendre. Les candidats ne peuvent pas toujours tenir les promesses ainsi faites, mais la cohérence et la franchise de leur discours sont indispensables à leur crédibilité. Sur tous les grands sujets, les citoyens et les militants attendent d’un parti qu’il ait une position et qu’il s’y tienne. Ainsi, au risque de se répéter, il est rare qu’un parti fasse ouvertement campagne contre un élu sortant au premier tour pour s’y rallier au second.</p>
<h2>Les listes citoyennes sont-elles toujours vertueuses ?</h2>
<p>Bien entendu, il ne s’agit pas de dénigrer tous les candidats sans étiquette. Il est même louable – quand tant de citoyens se contentent de tout critiquer du fond de leur canapé – que d’autres s’engagent, proposent et aspirent à exercer des responsabilités en marge des partis. Ce faisant ils sont susceptibles de réconcilier avec la <a href="https://www.revuepolitique.fr/la-democratie-representative-est-elle-en-crise">démocratie représentative</a> les citoyens qui ne se reconnaissent plus dans le jeu politique traditionnel. Et nombreux sont les candidats dits de la société civile qui ont des convictions politiques claires et constantes.</p>
<p>Il reste qu’être un candidat de la société civile n’est pas, par essence, un gage de vertu, d’abnégation et de probité. L’absence de corpus idéologique, de connaissance des règles écrites et non écrites de la vie politique et de contrainte organisationnelle rend possible des dérives opportunistes et des reniements qui seraient impensables de la part d’un candidat issu d’un parti. Sauf lorsqu’une liste citoyenne s’adosse à un collectif bien structuré, son leader est relativement libre de son discours et de ses engagements.</p>
<p>La montée en puissance des listes citoyennes permet aussi de manipuler le jeu électoral à peu de frais. Il est facile pour un maire sortant de susciter la création d’une liste dite « citoyenne », dans le but d’occuper l’espace politique, de désorganiser l’opposition et de rallier une partie de l’électorat. Une poignée de personnes de bonne volonté suffit, et il n’est pas nécessaire de mettre leurs colistiers dans la confidence. Cette liste citoyenne s’adressera à des électeurs qui ne sont pas naturellement portés à voter pour l’équipe sortante. Dans l’entre-deux-tours, elle s’y ralliera, en faisant valoir que c’est la solution la plus propice à la défense de ses propositions et valeurs. Les leaders de la liste y gagneront des postes d’adjoint et le maire des électeurs et l’image d’un rassembleur. Dans une configuration politique classique, de telles manœuvres sont plus improbables : on n’achète pas l’appareil d’un parti aussi facilement que l’allégeance d’une poignée de candidats, et certaines alliances sont exclues par nature.</p>
<p>Il faut donc être prudent avant de se réjouir du déclin inexorable des partis traditionnels au profit de listes dites citoyennes. Celles-ci peuvent contribuer au renouveau du débat démocratique, mais à la condition de s’adosser à des structures citoyennes cohérentes, dont le fonctionnement est lui-même démocratique et transparent. À défaut de cela, ces listes sont susceptibles d’être les instruments de manipulations électorales d’une ampleur inédite, qui ont peu à voir avec l’idéal d’une démocratie renouvelée.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/139529/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Olivier Costa est membre de l'Observatoire de l'éthique publique, think tank engagé dans la promotion de la transparence et de la déontologie</span></em></p>Un candidat de la société civile n’est pas, par essence, un gage de vertu, d’abnégation et de probité : le chercheur en fait lui-même l’expérience.Olivier Costa, Directeur de recherche au CNRS / Directeur des Etudes politiques au Collège d'Europe, Sciences Po Bordeaux, centre Emile Durkheim, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1326802020-03-12T18:11:15Z2020-03-12T18:11:15ZLe discours « sécuritaire » : un retour en arrière<p>Les dernières élections nationales laissaient à penser que la sécurité était devenue un sujet traité plus raisonnablement dans le débat politique français, ou en tous cas, que l’on était sorti d’une certaine forme d’hystérisation à ce sujet.</p>
<p>Certes, les attentats terroristes et la menace permanente qu’ils font peser ont depuis ravivé ou entretenu la peur. Certes, les débordements entourant les manifestations, notamment celles des « gilets jaunes », et les <a href="https://www.francetvinfo.fr/economie/transports/gilets-jaunes/greve-du-5-decembre-la-prefecture-de-paris-fait-fermer-les-commerces-sur-le-parcours-des-manifestants_3728695.html">obligations de « murer »</a> les commerces de centres-villes diligentés par les autorités policières, ou préfectorales, ont participé à créer autour de ces protestations une atmosphère angoissante.</p>
<p>Mais les craintes traditionnelles liées à la délinquance semblaient être revenues à des proportions plus limitées, plus raisonnables, dans les discours politiques. Tout a changé aujourd’hui.</p>
<h2>Des réminiscences avec la campagne de 2001</h2>
<p>L’observateur attentif des politiques locales de sécurité et des discours électoraux sur ce thème ne peut s’empêcher de relever des réminiscences avec les campagnes municipales de 2001 (qui virent la majorité socialiste d’alors se faire ravir de nombreuses communes alors même qu’elle avait engagé depuis 1997) et le <a href="https://www.vie-publique.fr/rapport/25592-des-villes-sures-pour-des-citoyens-libres-actes-du-colloque-de-villepi">colloque de Villepinte</a> (de multiples actions en faveur de « Villes sûres pour des citoyens libres »).</p>
<p>Ces élections apparaissaient, avec le recul, comme le prélude à la présidentielle de 2002 au cours de laquelle le Président Chirac, irrité par les résultats économiques relativement positifs de la majorité parlementaire de gauche, déclara vouloir faire campagne sur le thème de la sécurité. On connaît le résultat de cette stratégie, qui se traduisit par l’arrivée d’un candidat d’extrême droit au second tour, lui-même agacé d’avoir été « copié » par le président sur ce thème.</p>
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<figcaption><span class="caption">Au cours d’un déplacement en banlieue parisienne, à Garges-lès-Gonesse, Jacques Chirac a tenu un discours sur la sécurité où il était question « d’impunité zéro ».</span></figcaption>
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<h2>Sécurité : la principale préoccupation des citoyens ?</h2>
<p>Nous avions pu montrer comment cette période avait ouvert (ou rouvert) la porte à un <a href="https://www.puf.com/content/Peurs_sur_les_villes">« populisme punitif »</a> qui préfigurait les politiques sécuritaires des années 2000, faites de course aux chiffres et de lois pénales dont la multiplication n’a pas toujours été synonyme de plus de sécurité.</p>
<p>On voit donc ressurgir ce discours « sécuritaire » qui s’inscrit dans le droit fil des constatations faites en 2001. Cependant, ce n’est pas le Rassemblement national qui a en cette matière dégainé le premier, puisque le <a href="http://www.leparisien.fr/politique/livre-blanc-du-rn-ce-que-propose-marine-le-pen-sur-la-securite-25-02-2020-8266458.php">« plan » annoncé par Marine Le Pen</a> date seulement du 26 février 2020.</p>
<p>C’est bien plus du côté des Républicains ou de la République en Marche que le mouvement s’est enclenché, mais les socialistes ou ceux qui se reconnaissent encore dans ce parti ne sont pas en reste. Pourquoi cet emballement sur la sécurité ?</p>
<p>Ce thème arrive en tête des préoccupations des Français dans les <a href="https://www.francebleu.fr/infos/politique/sondage-municipales-la-securite-premiere-des-priorites-pour-les-francais-1576247194">sondages concernant les municipales</a>. Dont acte. Mais on observe d’après ces mêmes sondages que d’une part : 61 % des Français sont « satisfaits » de l’action de leur municipalité en matière de sécurité, et que d’autre part « l’insécurité » évoquée dans ces sondages renvoie à des problèmes très variés (nuisances sonores, agressions verbales ou insultes, vols et agressions physiques, voire personnes « victimes d’un attroupement »). Sans nier l’importance de ce ressenti, ni la nécessité d’y apporter une réponse, on observe là un grand classique : le mélange des genres.</p>
<h2>Peut-on tout comparer ?</h2>
<p>Nuisances sonores et agression physique sont elles de même nature ? Terrorisme et attroupement sont-ils assimilables ? À la décharge des Français interrogés, il est facile de montrer combien les gouvernements nationaux qui se sont succédé depuis 2001 ont tous pratiqué ce type de <a href="http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/14/dossiers/lutte_atteintes_securite_publique">confusion malheureuse</a>.</p>
<p>Ainsi, la plupart des lois combattant le terrorisme, depuis la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000222052">loi sur la sécurité quotidienne du 15 novembre 2001</a> jusqu’aux plus récentes, ont allègrement sanctionné les <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichCode.do?idSectionTA=LEGISCTA000006149845&cidTexte=LEGITEXT000006070719">pratiques</a> entourant le terrorisme (association de malfaiteurs terroriste, trafic d’armes, recel, financement ou consultation de sites) mais aussi le non-paiement des tickets de transports collectifs ou d’autres formes de délinquance moins grave.</p>
<p>Et ce alors qu’on pensait que le « nouveau » monde politique avait rompu avec ses vieilles habitudes. Bien entendu, les peines encourues ne sont pas les mêmes dans les deux cas, mais l’amalgame entre toutes les formes de délinquance pose question.</p>
<p>En fait, l’agrégation de multiples problèmes de nature différente sous l’étiquette « sécurité » se retrouve dans la bouche des élus de tous bords qui mélangent festivités bruyantes, ordures sur la voie publique, mendicité, squats de réfugiés, cambriolages et homicides intrafamiliaux. Penser clarifier les situations en pratiquant ces amalgames relève au mieux du vœu pieux, au pire de la volonté d’aveugler l’électeur.</p>
<p>Or traiter l’insécurité, c’est sortir de l’étiquette. C’est clairement nommer et identifier les problèmes. Au lieu de cela, on voit ressurgir des termes tels qu’« incivilités », qui viennent opacifier le débat. Un comportement peut être légal ou non, autorisé ou non, c’est précisé dans les textes. Juger qu’un comportement est incivil revient à faire d’un avis, d’une opinion, une valeur qu’on impose aux autres. C’est imposer la vision de chacun, avec ses préjugés, comme une règle. Ce n’est donc plus l’ordre, mais le désordre.</p>
<h2>Une incompréhension générale</h2>
<p>À cette confusion des problèmes sont liées des réponses généralistes qui, du fait même de leur volonté de répondre à tout, s’avèrent souvent inefficaces. Ainsi s’est engagée, ou réengagée puisqu’elle est encouragée par les gouvernements depuis le début des années 2000, la <a href="https://www.armand-colin.com/vous-etes-filmes-enquete-sur-le-bluff-de-la-videosurveillance-9782200621230">course aux caméras de vidéosurveillance</a>. On <a href="http://www.citoyennumerique.fr/la-carte-de-france-des-villes-sous-videosurveillance/">apprend</a> ainsi que « le nombre de communes équipées d’un dispositif de vidéosurveillance en 2012 a plus que quadruplé depuis 2006 ».</p>
<p>Des évaluations faites par les <a href="https://www.vie-publique.fr/sites/default/files/rapport/pdf/114000441.pdf">chercheurs</a> ou par <a href="https://www.lemonde.fr/blog/bugbrother/2011/07/14/la-cour-des-comptes-enterre-la-videosurveillance/">l’administration</a> montrent les limites de l’outil (coût exorbitant pour les finances publiques). Sans parler du financement de ces caméras <a href="https://www.interieur.gouv.fr/Videoprotection/Foire-aux-questions/Questions-relatives-au-financement">par l’argent de la prévention</a> ou des primes versées un temps <a href="https://www.lepoint.fr/politique/primes-les-bons-prefets-recompenses-28-06-2010-470987_20.php">aux préfets les plus motivés</a> pour en faire la promotion.</p>
<p>L’autre « mode » en matière de sécurité, c’est la multiplication du nombre de <a href="https://www.policemunicipale.fr/tout-savoir/armement">policiers municipaux</a> et surtout leur <a href="https://www.lagazettedescommunes.com/633393/53-des-policiers-municipaux-sont-equipes-dune-arme-a-feu/">équipement en armes</a> de plus en plus conséquent.</p>
<p>Le rapport de la Cour des Comptes de 2011 <a href="https://blogs.mediapart.fr/ivan-villa/blog/010811/la-cour-des-comptes-enterre-la-videosurveillance">soulignait</a> pourtant que le coût des caméras obérait les capacités des finances locales à construire une vraie police municipale. Le véritable objectif des caméras dites de vidéoprotection, c’est bien de se substituer aux patrouilles de rue.</p>
<h2>La fausse solution des polices municipales</h2>
<p>Quant aux polices municipales, elles sont censées remplacer une police nationale qui a aujourd’hui abandonné l’idée de reconstruire une proximité forte avec les citoyens. Mais dans ce cas, pourquoi les armer (seconde étape presque inévitable une fois celles-ci créées) ? Pour verbaliser les jets de papiers sur la voie publique ? De plus, on constate sur <a href="https://www.institutparisregion.fr/fileadmin/NewEtudes/000pack2/Etude_2133/20.19.01_Etude_PM_gdes_villes_V_def.pdf">plusieurs villes</a> que pour chaque policier municipal engagé sur la voie publique, un policier municipal disparaît du terrain…</p>
<p>Les incantations simplistes, et notamment celles faisant de la vidéo et des polices municipales la solution miracle à tous les problèmes, ne tiennent pas la route. Plus que d’une maîtrise du sujet, elles témoignent d’une panique face à la montée de toute une série de problèmes étiquetés, à tort ou à raison, comme relevant du champ de la sécurité.</p>
<p>Et, comme très souvent, le discours sur l’insécurité et les moyens d’y remédier ne relèvent pas d’une compétence forte sur le sujet, mais d’un manque de réflexions sur d’autres sujets : logement, environnement, pauvreté…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/132680/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christian Mouhanna ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Thème dominant des différentes élections (municipales et présidentielles) du début des années 2000, la « sécurité » fait un véritable retour en force à l’heure des municipales de 2020.Christian Mouhanna, Chercheur au CNRS, directeur du Cesdip, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1251482019-10-17T19:03:45Z2019-10-17T19:03:45ZDiscordance des temps : le résistible déclin du régime de la Vᵉ République<p>Il y a comme du tango dans l’air politique du moment. La mort de Jacques Chirac, drapée dans l’éloge national, éclaire d’une lumière étrange une scène politique qui paraît avoir perdu son âme. Le temps de l’émotion passée, on devra se rappeler que c’est sous les deux mandatures chiraquiennes que se sont noués les ingrédients de la crise et que le scandale est arrivé. Notre époque subit directement les répliques de ce qui apparaît avec le recul comme les prémices d’un déclin crépusculaire du régime de la V<sup>e</sup> République.</p>
<h2>D’un ordre institutionnel incertain à un désordre politique</h2>
<p>Deux ans après l’élection présidentielle de 1995, Jacques Chirac provoque une dissolution de l’Assemblée. La fracture sociale, non traitée, a dégénéré en facture politique. D’autant plus lourde que le Front national s’en empare avidement et s’incruste dans les profondeurs du pays. La gauche, devenue plurielle pour l’occasion, l’emporte en profitant de triangulaires droite/gauche/FN dans 70 circonscriptions. Pour la troisième fois en 11 ans, les institutions se mettent à bégayer lorsque s’ouvre une nouvelle cohabitation. Radicalement différente des deux précédentes qui, par leur durée et leur positionnement, n’avaient qu’un caractère de transition.</p>
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<figcaption><span class="caption">Jacques Chirac dissout l’Assemblée nationale en 1997.</span></figcaption>
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<p>Cette rupture précoce entre majorité parlementaire et majorité présidentielle aurait dû obliger à s’interroger sur la nature profonde des institutions de la V<sup>e</sup> République : confirmerait-on ce retour au fonctionnement parlementaire conforme au projet initial de la Constitution ? Ou se contenterait-on de construire un trompe-l’œil en attendant le retour à la prééminence présidentielle ?</p>
<p>La seconde solution l’a emporté à l’unanimité d’un commun refus : Chirac endossera le costume espéré provisoire d’un président arbitre. Roi Lear malgré lui, il participa à la manœuvre de conservation en cédant sur la réduction à cinq ans du mandat présidentiel. Le « quinquennat sec », correspondant à l’alignement des mandats voulu également par Jospin, confirmait le primat présidentiel sans répondre à la question de l’équilibre des pouvoirs. Au contraire, ce seul raccourcissement de la mandature effaçait l’idée d’un Président en situation d’arbitre au-dessus de la mêlée. L’heure avait sonné d’une métamorphose, Chirac et Jospin se contentèrent d’une anamorphose.</p>
<h2>Tragique inversion</h2>
<p>À l’initiative de Jospin, on allait se donner les moyens de rendre très difficile tout retour à cette cohabitation vouée aux gémonies.</p>
<p>En 2002 venaient à échéance les deux mandats, législatif et présidentiel, en mars pour le Parlement, en avril pour le Président. Jospin obtient de faire adopter une loi inversant le calendrier électoral. Avec trois objectifs : d’abord lier mécaniquement le résultat des législatives à celui de la présidentielle, les Français ne pouvant à un mois de distance se déjuger de leur verdict présidentiel, comme Mitterrand en avait fait la démonstration. Ensuite, moins avouable, tenter d’échapper au verdict des citoyens sur le bilan gouvernemental. Enfin, subséquemment, profiter de l’affaiblissement d’un Président sortant dévalué politiquement et considéré comme usé.</p>
<p>Cette fuite devant le rythme électoral préétabli était aussi douteuse que dangereuse. Elle formait ce que nous avons qualifié à l’époque de <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/2002/02/04/gymnopolis-par-claude-patriat_261247_1819218.html">« gymnopolitique »</a> : par un double salto arrière, on inversait les positions des deux acteurs en présence, en demandant au peuple de sanctionner un Président pour la politique qu’il n’avait pas faite tout en le remplaçant par le premier ministre qui l’avait conduite. On pouvait se douter de la perplexité des citoyens devant cet attelage baroque et ces jeux politiciens. Le risque était lourd de désaffection des électeurs, frustrés de leur jugement politique, et des graves conséquences susceptibles d’en résulter.</p>
<p>Le résultat dépassa les désespérances : 28,40 % d’abstentionnistes le 21 avril 2002. Ce <a href="https://www.cairn.info/revue-pouvoirs-2007-1-page-43.htm">triste record</a> s’accompagnait d’une déconfiture du candidat socialiste éliminé du second tour au profit de Jean‑Marie Le Pen drainant plus de 4,8 millions de voix ! La diabolique machinerie se retournait contre son auteur qui avait trop ignoré la logique majoritaire écrasante du scrutin présidentiel : la gauche plurielle ne pouvait qu’exploser, ses composantes n’ayant pas d’autre choix que de se compter pour tenter de peser sur le vainqueur lors des législatives.</p>
<h2>Trompe-l’œil majoritaire</h2>
<p>Et voici Jacques Chirac <a href="https://www.lejdd.fr/Politique/les-relations-complexes-entre-jacques-chirac-et-lextreme-droite-3922411">transformé</a> en rempart contre l’extrême droite, adoubé par les républicains de tous bords. Lui qui avait fait un petit moins de 20 % des suffrages au premier tour, l’emporte avec plus de 82 % ! Le péril extrémiste a fait voler en éclat la ligne de démarcation entre la droite et la gauche, la discipline républicaine a été plus forte et le front du refus a durablement brouillé les cartes.</p>
<p>Cette sortie des clous partisans n’est que la première d’une longue série : d’élections nationales en scrutin local, voici les électeurs contraints désormais de voter non pour le candidat de leur choix mais contre un autre.</p>
<p>La mécanique du rejet l’emporte toujours plus sur celle de l’adhésion, dévitalisant de la sorte le sens du vote tout en stimulant l’abstention et usant les fidélités partisanes. D’autant que le loup d’extrême droite n’a pas quitté la bergerie.</p>
<p>L’inertie du second mandat chiraquien, l’agitation du mandat sarkozien, les langueurs hollandaises n’y pourront rien : la dédiabolisation consécutive au remplacement de Le Pen père par sa fille aidant, le FN s’enracine et prospère, substituant au face à face droite/gauche une triangulation meurtrière.</p>
<p>6,4 millions de voix pour Marine Le Pen en 2012 (le double de son père en 2007), et le bouquet final : 7,6 millions en 2017 avec en prime une nouvelle qualification pour le second tour.</p>
<p>Le choc du 21 avril s’accompagne aussi d’un choc en retour, plus sournois peut-être, mais plus destructeur par la suite. Après avoir manqué le rendez-vous avec la réforme, Chirac va manquer celui avec les Français. Le piège à majorité présidentielle voulu par Jospin fonctionna à merveille en faveur de son adversaire victorieux, qui remporta très largement les élections législatives : 69 % des sièges face à une gauche démobilisée et décapitée.</p>
<p>Dès le 6 mai, avec le gouvernement Raffarin qu’il confirme le 17 juin, le Président marque sa volonté de s’en tenir à la logique majoritaire traditionnelle de la V<sup>e</sup> République, alors même que la nouvelle majorité parlementaire ne coïncide pas du tout avec la majorité présidentielle.</p>
<p>En confiant tous les postes de pouvoir à la droite, il marque son refus d’intégrer au moins partiellement le spectre politique qui l’a maintenu en fonction. Cette incapacité à proportionnaliser les responsabilités au vote réel, pour s’en tenir à la majorité apparente, a ouvert une brèche durable entre les électeurs et ceux qui les représentent de moins en moins. Dix ans plus tard, François Hollande rééditera d’une certaine façon l’erreur chiraquienne, en refusant la main tendue de François Bayrou.</p>
<h2>Un procès en illégitimité</h2>
<p>La V<sup>e</sup> République vit depuis trop longtemps sur un mythe : la croyance en l’omnipuissance de la majorité incarnée par la présidence, dont la majorité parlementaire n’est que déduite. Or ce schéma a fait long feu, faute d’un affrontement clair entre des projets affirmés. Confrontées aux crises et aux soubresauts de la mondialisation, les lignes de fractures se multiplient et se croisent, dessinant une scène politique en miettes qui mêle au cas par cas les anciens camps.</p>
<p>À l’heure des réseaux sociaux et de la démultiplication accélérée des expressions, l’absolutisme majoritaire dévoie son efficacité en rigidité paralysante.</p>
<p>Pour deux raisons : d’abord pour une question de temps. Le principe même de la démocratie représentative, c’est d’établir la durée des mandats. Il y a donc un espace-temps fixe entre le moment de l’élection et celui où les vaincus pourront prendre leur revanche. Toujours problématique, posant la question du statut et des moyens des oppositions, ce décalage creuse un écart qui envenime gravement aujourd’hui les rapports représentants/citoyens. La coagulation internetisée des contestations accentue et accélère les impatiences, diminuant d’autant la marge de mouvement des gouvernants.</p>
<p>La seconde raison tient à l’absence d’espace laissé aux minorités, écrasées par le mode de scrutin. Le mythe du fait majoritaire taille dans le vif de la légitimité des élus. De ce point de vue, les élections de 2017 forment une emblématique apogée. Pour la première fois dans l’histoire de la V<sup>e</sup> République, quatre candidats arrivent en tête dans un carré de moins de 5 % des suffrages exprimés, et se partagent 85 % des voix ! Acquise dans la logique du refus de Marine Le Pen, l’élection d’Emmanuel Macron nivelle totalement le vote. Et la diabolique mécanique du calendrier lui donnera une écrasante majorité en trompe-l’œil à l’Assemblée, mais au prix d’une participation vertigineusement faible.</p>
<h2>Sortir de la cour du roi Pétaud</h2>
<p>Inutile de chercher plus loin la cause du trouble dans les andins politiques. Le second tour de la présidentielle n’apparaît plus désormais comme un choix politique libre, mais comme une voie imposée. Et le discours des anti-Macron, résonnant avec l’usure de la confiance dans les élus, se construit sur l’évocation incantatoire du seul premier tour.</p>
<p>Ainsi s’explique l’étrange, large et durable soutien à un mouvement des « gilets jaunes » pourtant ultra minoritaire. Car les « gilets jaunes » n’interpellent ni par leur nombre, ni par leurs revendications : celui-là, passé la première journée, reste plus bruyant qu’épais, celles-ci forment un condensé à géométrie variable en fonction des peurs du moment. Il s’agit avant tout de tenter de transformer la scène politique en cour permanente du Roi Pétaud !</p>
<p>En revanche, la prégnance du mouvement signale un mal-être profond de notre fonctionnement démocratique, une blessure sociale non cicatrisée. Il était de toute première urgence de combler le fossé entre le pays citoyen et le pays électif. S’imposait de remettre la pendule électorale à l’heure du temps citoyen.</p>
<p>Cela passait, notamment, par une réforme en profondeur de la Constitution, avec un Parlement rendu plus représentatif par l’introduction d’une vraie proportionnelle, et un Sénat transformé. Et pourquoi pas une élection présidentielle à un seul tour, afin de faire coïncider le vrai politique et le vraisemblable électif ?</p>
<p>Faute d’avoir pris la mesure de cette urgence, et pour avoir renvoyé aux calendes presque grecques un projet trop modeste de révision, Emmanuel Macron risque de traîner longtemps le boulet des fantômes d’un système politique décalé. Et nous avec lui.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/125148/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Claude Patriat ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Notre époque subit directement les répliques de ce qui apparaît avec le recul comme les prémices d’un déclin crépusculaire du régime de la Vᵉ République.Claude Patriat, Professeur émérite de Science politique Université de Bourgogne, Université de Bourgogne – UBFCLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1250072019-10-14T19:43:07Z2019-10-14T19:43:07ZQuand les larmes des puissants incarnent leur force politique<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/296497/original/file-20191010-188819-1n58o1m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=19%2C2%2C1578%2C1053&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Roshdy Zem est Idder Chaouch, un président d'origine maghrébine au coeur d'une puissante intrigue familiale dans la série Les Sauvages, Canal +. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="http://www.allocine.fr/article/fichearticle_gen_carticle=18684334.html">Allociné</a></span></figcaption></figure><p>Dans <a href="http://www.allocine.fr/video/player_gen_cmedia=19585654&cserie=24290.html"><em>Les Sauvages</em></a>, série française de politique-fiction créée par Rebecca Zlotowski et Sabri Louatah, un président de la République d’origine kabyle est victime d’une tentative de meurtre.</p>
<p>Roschdy Zem est Idder Chaouch, élu de la République, homme saisissant d’élégance et de charisme. Imperturbable, il est aussi celui qui absorbe les secrets de familles, les déchirements identitaires et les conflits de pouvoir.</p>
<p>Salué par la critique, la série, à l’instar de <em>Baron Noir</em> (dont la troisième saison est en <a href="http://www.allocine.fr/article/fichearticle_gen_carticle=18684137.html">cours de tournage</a>) plonge le téléspectateur dans les coulisses d’un univers saturé d’émotions violentes et de trahisons.</p>
<p>Ces séries fonctionnent car elles suggèrent une tendance qui marque notre époque : les élites sont soumises à des fureurs et à des passions qui séduisent précisément parce qu’elles échappent à notre entendement.</p>
<h2>Des larmes inattendues</h2>
<p>Pensons bien sûr aux vibrants hommages rendus à Jacques Chirac mais aussi aux séquences mondialement médiatisées des larmes désarmantes de <a href="https://www.youtube.com/watch?v=xgz7SWuRJVk">Barack Obama</a>, d’<a href="http://www.leparisien.fr/politique/les-larmes-de-la-mal-aimee-10-11-2016-6310500.php">Hilary Clinton</a> ou de <a href="https://www.dailymotion.com/video/x6artdp">Justin Trudeau</a> nous dévoilant des leaders débordés par leur désarroi. Tout récemment à l’ONU, les larmes de la jeune Greta Thunberg ont également ému la planète pour leur densité politique inédite.</p>
<p>En France, les auditeurs ont été saisis récemment par plusieurs sanglots inattendus : ceux du ministre de l’Environnement <a href="https://www.youtube.com/watch?v=YC5Ss9_ORlY">Nicolas Hulot</a> annonçant en direct sa démission, ceux de l’ancien premier ministre <a href="http://www.lefigaro.fr/politique/le-scan/2019/02/14/25001-20190214ARTFIG00096-emu-aux-larmes-alain-juppe-fait-ses-adieux-a-bordeaux.php">Alain Juppé</a> argumentant publiquement son retrait de Bordeaux, ceux de l’ancienne ministre de la Justice <a href="https://www.dailymotion.com/video/x7lrd81">Christiane Taubira</a> lors de son évocation sur France Inter des attentats du 13 novembre. Ces effusions constituent des phénomènes nouveaux sur la scène politique parce qu’elles s’apparentent à des preuves de sincérité et des gages d’authenticité.</p>
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<figcaption><span class="caption">Great Thunberg, une émotion brute, sa force politique.</span></figcaption>
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<p>Dans le même temps, les médias ne manquent pas de braquer les projecteurs sur les dérapages émotionnels de la politique au quotidien.</p>
<p>Les réactions à fleur de peau du président américain Donald Trump sont du pain bénit pour les journalistes, à l’instar de ses tweets outrés qui érigent les insultes et les coups de sang au rang de positions politiques. Sur le même registre, les chaînes de télévision ont passé en boucle les réactions pleines de colère du leader de la France Insoumise <a href="https://rmc.bfmtv.com/mediaplayer/video/la-republique-c-est-moi-les-images-de-la-colere-noire-de-melenchon-lors-des-perquisitions-1109530.html">Jean‑Luc Mélenchon</a> lors d’une perquisition.</p>
<p>Dans la presse écrite, les émois de la politique font aussi recette. Le journal Le Monde a été jusqu’à faire du teasing cet été à partir d’un florilège de confidences désabusées sur les haines entre amis de la présidence Hollande. La focale médiatique sur la série <a href="https://www.lemonde.fr/podcasts/article/2019/09/03/sept-ans-de-trahisons-le-podcast_5505939_5463015.html">PS, sept ans de trahisons</a> n’est pas anodine : elle suggère en creux que les rancœurs intestines et les ambitions égocentrées des élus relèvent d’un aveuglement émotionnel qu’il est urgent de dénoncer.</p>
<p>Toutes ces images-chocs et le récit de ces confidences dépitées ont pour point commun de donner le sentiment d’une forme de défaite de la raison : à l’épreuve du pouvoir, les élites céderaient à l’impulsivité et à l’incompétence, ou pire encore, au dépit et à l’impuissance. L’exercice des responsabilités collectives serait mis en danger par tous ces égarements émotionnels.</p>
<h2>Le continent noir de l’intime</h2>
<p>Est-il possible de rendre compte de cette évolution et d’en mesurer la portée sans céder aux sirènes populistes de l’antipolitique et aux postures moralistes ou dogmatiques ? Une piste existe sans doute qui consiste à prendre au sérieux les affects politiques sur le plan scientifique, c’est-à-dire en acceptant d’analyser la complexité du pouvoir au filtre de ce continent noir de l’intime. C’est ce que commencent à envisager les politologues, qui discutent l’<a href="http://www.pur-editions.fr/detail.php?idOuv=4319">hypothèse d’un <em>emotional turn</em></a>.</p>
<p>Au terme d’une enquête auprès de 200 élus centrée sur le goût du pouvoir, que j’ai relaté dans l’ouvrage <a href="https://www.pug.fr/produit/1310/9782706126147/des-elus-sur-le-divan"><em>Des élus sur le divan</em></a> (PUG, 2017), j’ai par exemple pu mesurer à quel point les leaders des grandes collectivités territoriales tiraient leur énergie d’épreuves émotionnelles permanentes. Les témoignages-confessions montrent notamment que les responsables politiques insistent sur la foi qui les habite (ils ont des missions à remplir qui les dépassent) et sur l’intensité des émotions fortes qui marquent les moments importants de leur parcours</p>
<p>En cherchant à démêler l’écheveau de ces influences, il semble possible de spécifier trois registres distincts d’émotions sur leurs blessures, leurs frissons et leurs ivresses.</p>
<p>Les blessures sont fondatrices dans les récits que font les responsables politiques de leur engagement. Elles se situent dès l’enfance et l’adolescence, dans des traumatismes familiaux mais aussi dans des évènements et des rencontres inoubliables. Avant d’entrer en politique, la plupart des élus ont vécu des décès, des ruptures et des passions qui surprennent par leur dureté.</p>
<p>Mezzo voce, ces empreintes racontent une hypersensibilité précoce aux injustices du monde et aux tensions entre les adultes. Les blessures des élus préfigurent les ressources décisives de fidélité, d’empathie et d’écoute des autres qu’ils sauront mettre en œuvre plus tard.</p>
<h2>La jubilation de la première campagne</h2>
<p>Les frissons sont dans le combat. Ils font partie de l’exercice du pouvoir, dans l’entremêlement permanent des « larmes » et du « sang » des rapports de force. Ils sont ressentis dans la jubilation de la première campagne électorale, ce temps singulier où l’identité des lieux, la magie de l’instant et l’euphorie collective transforment un destin individuel. Les élus rechercheront sans cesse ces frissons, par la suite, dans le tournis des tournois et dans l’adrénaline des grandes décisions à prendre.</p>
<p>Les ivresses enfin sont existentielles. Elles se construisent au fil du travail de médiation avec la population. À force d’être sommés d’incarner leur territoire, les élus endossent le rôle par les discours et ils habitent cette fonction de médiation jusque dans leur comportement corporel.</p>
<p>En anthropologie, on dirait que ce travail d’incarnation déborde les passions raisonnées de la démocratie représentative pour alimenter un imaginaire du pouvoir fait de rituels et de croyances. La politique est ici affaire de transcendance, de promesses et parfois même de prophéties. Les ivresses des élus sont spirituelles, à mille lieues des logiciels de la régulation publique.</p>
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<figcaption><span class="caption">Obama chante « Amazing Grace », un moment troublant d’émotions et de politique, 2015.</span></figcaption>
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<h2>La grandeur de l’engagement politique</h2>
<p>Blessures, frissons, ivresses : les mystères de ce cocktail émotionnel sont loin d’être dévoilés mais en reconnaissant qu’ils sont à l’épicentre du métier politique, on échappe à une grille de lecture qui concentrerait uniquement les explications sur des enjeux de domination. Quelles que soient leur compétence, leur probité et leur position de classe, les élus ont un cœur qui bat beaucoup plus intensément qu’on ne le croit. Ce sont des fauves blessés au cœur tendre qui sans cesse affrontent les contradictions de la décision et les vertiges de l’impuissance publique.</p>
<p>Il faut lire à cet égard les chroniques de Michel Issindou, ancien député socialiste sur ses <a href="https://www.pug.fr/produit/1665/9782706142840/tourments-au-palais-bourbon"><em>Tourments au palais Bourbon</em></a> (PUG, 2019). Son carnet de route consacré à l’année 2015 décrit par le menu la descente en enfer des socialistes aux prises avec leurs frondeurs. Au fil des pages, l’immersion réhabilite la grandeur de l’engagement politique en permettant au lecteur de ressentir les troubles sincères, les dépits de cœur et les élans de fierté qui alimentent et enferment le quotidien du travail parlementaire.</p>
<p>Retour au souvenir des présidents Idder Chaouch et Jacques Chirac : le métier politique s’apprend dans un enchaînement ininterrompu de petits succès, de grandes défaites, d’euphories, de fragilités et de doutes…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/125007/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alain Faure consigne ses travaux dans le carnet de recherche Les énigmes de l'action publique locale, (<a href="https://enigmes.hypotheses.org/">https://enigmes.hypotheses.org/</a>).</span></em></p>Les fureurs et passions de nos élites séduisent précisément parce qu’elles échappent à notre entendement.Alain Faure, Directeur de recherche CNRS en science politique, Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1246212019-10-06T19:40:25Z2019-10-06T19:40:25ZComment expliquer la soudaine popularité de Jacques Chirac ?<p>L’engouement pour la personnalité de Jacques Chirac à l’annonce de son décès a surpris bon nombre d’analystes de la vie politique qui sont assez vieux pour se souvenir que ce dernier était vilipendé par une grande partie de la presse alors qu’il était à l’Élysée et que de nombreuses voix s’élevaient pour réclamer des sanctions pénales dans le cadre de l’affaire de la mairie de Paris.</p>
<p>Post mortem, Jacques Chirac est devenu un exemple à suivre, le bon vivant blagueur, le président qui n’hésitait pas à passer une journée au téléphone pour rendre service à un simple citoyen, l’homme qui aimait la tête de veau et le salon de l’agriculture, le terroir et le contact avec l’homme de la rue, qui parlait de fracture sociale et de crise environnementale.</p>
<h2>Un monarque et un monde politique évanoui</h2>
<p>Comment expliquer ce soudain engouement plus ou moins amnésique des flots de critiques qui s’étaient déversés contre l’État-RPR, les ombres de la <a href="https://www.huffingtonpost.fr/entry/ce-que-chirac-l-africain-cachait_fr_5d8ce5ade4b0ac3cdda520dc">Françafrique</a>, la dissolution de 1997 qui fait revenir les socialistes au pouvoir jusqu’en 2002, l’abandon du gaullisme au profit soit d’une néolibéralisme thatchérien agressif en 1986 soit d’une politique de « rad-soc » après 2002 qui semble plonger la France dans l’immobilisme ?</p>
<p>On peut évidemment invoquer l’image du monarque. Jacques Chirac aurait été le dernier grand homme d’État ayant payé de sa personne lors d’un conflit militaire (la guerre d’Algérie) et social (mai 68), ayant incarné, ne serait-ce que du fait de sa posture physique, un leader charismatique sachant enthousiasmer les participants à ses meetings électoraux.</p>
<p>C’était effectivement le dernier représentant de la période gaullienne dans son culte de l’État et de sa vision internationaliste qui le conduisent à ne pas rejoindre l’aventure guerrière des États-Unis en Irak.</p>
<p>On peut aussi penser que c’est le représentant d’un monde politique évanoui, celui d’une certaine stabilité dans l’opposition entre la gauche et la droite, qui débouchait sur des alternances et des cohabitations mais qui s’appuyait sur le socle solide d’institutions acceptées par presque tous les partis politiques.</p>
<p>C’était le bon vieux temps d’une démocratie apaisée où la droite et la gauche déclinaient leurs programmes avec cohérence et pouvaient s’entendre pour exclure le Front national du débat démocratique.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/295602/original/file-20191004-118217-1puickc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/295602/original/file-20191004-118217-1puickc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/295602/original/file-20191004-118217-1puickc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/295602/original/file-20191004-118217-1puickc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/295602/original/file-20191004-118217-1puickc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/295602/original/file-20191004-118217-1puickc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/295602/original/file-20191004-118217-1puickc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Rassemblement de « gilets jaunes » à Paris.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Zakaria Abdelkafi/AFP</span></span>
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<p>Jacques Chirac serait alors le représentant d’une certaine mélancolie à l’heure des <a href="https://www.pacte-grenoble.fr/programmes/grande-enquete-sur-le-mouvement-des-gilets-jaunes">« gilets jaunes »</a>, du retour en force de la violence politique et de la contestation des institutions de la démocratie représentative.</p>
<p>On tentera cependant ici une autre explication.</p>
<h2>La proximité au cœur de la confiance politique des catégories populaires</h2>
<p>En effet, on peut déceler dans la célébration inattendue de Jacques Chirac une attente plus profonde. Chirac, c’est le président de la proximité, l’anti-Macron, celui qui, bien que sorti lui-même de l’ENA, fait figure d’anti-technocrate.</p>
<p>On est ici au cœur du débat sur la confiance politique. Les <a href="https://www.sciencespo.fr/cevipof/fr/content/le-barometre-de-la-confiance-politique">enquêtes</a> menées par le Cevipof dans le cadre du Baromètre de la confiance politique ne montrent pas seulement le déclin sensible du niveau de confiance dans le personnel ou les institutions politiques depuis dix ans, à l’exception des maires qui s’en sortent le moins mal.</p>
<p>L’analyse met au jour le fait que la confiance ne se décline pas de la même manière pour les catégories supérieures et diplômées et pour les catégories populaires ou moyennes peu diplômées.</p>
<p>Si l’honnêteté du personnel politique constitue toujours pour les deux groupes la clé de la confiance, celle-ci joue dans des serrures différentes. Pour les classes supérieures, la compétence professionnelle (connaître ses dossiers) ou sociale (être à la hauteur de ses fonctions) reste essentielle alors que les classes populaires adossent la confiance politique à la proximité des élus (être proche des gens comme eux), non seulement de manière physique mais encore de manière sociale, c’est-à-dire dans leur façon de pratiquer l’échange politique sur le terrain du service et de la personnalisation, ce qui explique que les maires gardent encore la confiance d’une large majorité de Français.</p>
<p>C’est ainsi que l’on peut lire la crise des « gilets jaunes » comme les contributions au Grand débat national.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/295454/original/file-20191003-52816-99tbx0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/295454/original/file-20191003-52816-99tbx0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/295454/original/file-20191003-52816-99tbx0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=272&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/295454/original/file-20191003-52816-99tbx0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=272&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/295454/original/file-20191003-52816-99tbx0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=272&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/295454/original/file-20191003-52816-99tbx0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=342&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/295454/original/file-20191003-52816-99tbx0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=342&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/295454/original/file-20191003-52816-99tbx0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=342&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Les axes de la confiance dans le personnel politique selon le niveau de soutien aux « gilets jaunes ».</span>
<span class="attribution"><span class="source">Luc Rouban, Baromètre de la confiance politique, Cevipof, vague 10, 2019.</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Les Français ne parlent plus la même langue politique et derrière l’anticapitalisme des « gilets jaunes » s’affirme une demande de proximité.</p>
<p>Celle-ci s’est déclinée sur le mode de la démocratie directe, du référendum d’initiative citoyenne, voire du tirage au sort dans le cadre d’instances participatives devant remplacer ou compléter les assemblées électives.</p>
<p>À ce titre, Jacques Chirac est devenu le symbole d’une proximité perdue.</p>
<h2>Le populisme à toutes les sauces</h2>
<p>Mais faut-il pour autant enfermer toute la vie politique française dans le face à face entre le macronisme et ce que l’on présente comme du populisme ?</p>
<p>Le recours au « populisme » permet de court-circuiter la réflexion. Toutes les critiques contre le libéralisme mondialisé sont qualifiées de populistes, d’où qu’elles viennent.</p>
<p>Sont alors convoqués pêle-mêle les États-Unis de Trump, le Brésil de Bolsonaro, l’Italie de Salvini, la Hongrie d’Orbán et la France de Le Pen et de Mélenchon, comme si toutes les trajectoires politiques nationales finissaient par converger quels que soient les institutions ou le parcours historique des uns et des autres.</p>
<p>Tout cela s’expliquerait par la fin du clivage gauche – droite, la disparition des classes sociales et l’apparition d’une fracture entre le peuple et les élites, deux groupes dont on se garde bien de donner la définition, une fracture au demeurant fort ancienne tout comme l’internationalisation des catégories dirigeantes.</p>
<p>En revanche, de Jacques Chirac à Emmanuel Macron, se pose la même et simple question : comment faire en sorte que le peuple dit souverain puisse se réapproprier la décision politique ?</p>
<p>Celle-ci est devenue insaisissable, perdue dans les méandres de l’Union européenne et les entrelacs de la « gouvernance » locale. On s’aperçoit un peu tardivement que les belles théories de Terra Nova prônant en 2011 l’<a href="http://tnova.fr/rapports/gauche-quelle-majorite-electorale-pour-2012">abandon par la gauche socialiste des classes populaires</a> commencent à porter leurs fruits.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/295604/original/file-20191004-118209-9rar7x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/295604/original/file-20191004-118209-9rar7x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/295604/original/file-20191004-118209-9rar7x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/295604/original/file-20191004-118209-9rar7x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/295604/original/file-20191004-118209-9rar7x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/295604/original/file-20191004-118209-9rar7x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/295604/original/file-20191004-118209-9rar7x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Emmanuel Macron n’a pas su établir ce lien de proximité avec les Français comme l’avait fait Jacques Chirac.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Eric Cabanis/AFP</span></span>
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<p>Du reste, l’individualisme a des limites et la modernité mondialisée ne produit pas que des gens heureux et des gens malheureux, au-delà des appartenances sociales.</p>
<p>Le Baromètre de la confiance politique du Cevipof montre que les cadres insatisfaits de la vie qu’ils mènent étaient 26 % à voter pour Marine Le Pen au premier tour de la présidentielle de 2017 contre 40 % des ouvriers qualifiés et 56 % des ouvriers spécialisés qui éprouvaient la même insatisfaction. Il ne faut donc pas prendre l’évidement de la démocratie, laquelle repose sur la confrontation pacifique de valeurs et d’intérêts divergents, pour une nouvelle théorie politique.</p>
<p>Le retour de la violence politique depuis 2018 offre la preuve la plus claire de cet affaiblissement intrinsèque du débat démocratique réduit au répertoire managérial ou de l’action directe. Le macronisme et les « gilets jaunes » sont les deux visages antagonistes d’un même rapport au politique qui <a href="http://www.pressesdesciencespo.fr/fr/livre/?gcoi=27246100080350">instrumentalise la démocratie</a>.</p>
<p>Pour le premier, dans le sens de l’adaptation à l’ordre du capitalisme financier. Pour les seconds, dans le sens d’une démocratie directe et du mandat impératif, outils mis au service de la gauche comme de la droite. Dans les deux cas, le travail politique perd de sa substance et de son autonomie.</p>
<p>La question est donc de savoir comment dépasser cette instrumentalisation (macroéconomie d’un côté, univers de proximité de l’autre) du régime démocratique afin de le faire vivre dans une perspective philosophique réelle, lui offrant un horizon de sens au-delà de la satisfaction différée ou immédiate des besoins et des désirs.</p>
<p>Cet horizon ne viendra pas de l’enjeu environnemental qui ne produira pas à lui seul le « commun » qui a disparu. L’environnement, comme tous les autres débats de société, reste médiatisé par des institutions politiques et des expertises officielles qui n’inspirent plus confiance.</p>
<p>On le voit bien dans l’affaire de l’usine Lubrizol à Rouen. La réhabilitation du travail politique doit devenir la priorité et il ne faut pas croire que les urgences qui nous entourent vont produire spontanément par elles-mêmes un renouveau du lien démocratique.</p>
<p>C’est sans doute sur ce point que les deux mandats de Jacques Chirac ont raté le coche.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/124621/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Luc Rouban ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’ancien président décédé est perçu comme un président de proximité, un élément clef de la confiance des Français envers le politique.Luc Rouban, Directeur de recherche CNRS, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1242052019-10-01T18:19:46Z2019-10-01T18:19:46ZSe moquer des puissants renforcerait-il leur pouvoir ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/294762/original/file-20190930-194829-8rmzgt.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=8%2C2%2C1429%2C804&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">_Les Guignols de l'info_ ont particulièrement enrichi le ‘capital sympathie’ de Jacques Chirac.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.youtube.com/watch?v=OY_JklxKXMo">Youtube/CNews</a></span></figcaption></figure><p>Le décès de Jacques Chirac le 27 septembre 2019 a rappelé à quel point l’ancien président français avait été populaire dans les médias, notamment dans certaines émissions satiriques comme <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Les_Guignols_de_l%27info"><em>Les Guignols de l’info</em></a> (diffusée en France sur Canal+ du 31 août 1988 au 22 juin 2018). À tel point que le chroniqueur Yann Barthès (TF1) s’est récemment demandé si l’émission n’avait pas permis d’augmenter considérablement le <a href="https://www.tf1.fr/tmc/quotidien-avec-yann-barthes/videos/jacques-chirac-et-si-les-guignols-lui-avaient-permis-de-devenir-president-39443258.html">capital sympathie</a> de l’homme politique auprès de l’électorat français.</p>
<p>Ce mythe du président propulsé par des humoristes est tenace. Il a été répété à de multiples reprises dans les discours d’hommage comme dans l’interview du candidat à la maire de Paris, Cédric Villani, qui fait de Jacques Chirac dans les Guignols son principal souvenir de l’<a href="https://www.youtube.com/watch?v=KKC4_aOzZLg">homme qu’il était</a>. Il faut pourtant rappeler qu’il n’y a pas l’ombre d’une relation causale pour expliquer le lien entre la popularité de l’ancien président et l’émission des Guignols. Cela en dit long sur le pouvoir que les médias attribuent aux humoristes.</p>
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<figcaption><span class="caption">Chirac, une star des Guignols ?</span></figcaption>
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<h2>Les cibles des humoristes</h2>
<p>Les humoristes complices des politiques ? Cette question m’a interpellé dans le cadre de mes <a href="http://philoscsoc.ulb.be/fr/users/ggrignard">recherches doctorales</a> dont je livre ici mes premiers résultats. Le contexte que j’ai étudié est celui des élections présidentielles françaises de 2017. J’ai plus précisément observé <em>de qui</em> les humoristes de radio et de télévision se moquent.</p>
<p>En observant leurs cibles, j’ai émis un certain nombre d’hypothèses qui remettent en question le caractère subversif du travail des humoristes.</p>
<p>Mon corpus comprend les sketchs radio de Charline Vanhoenacker, Alex Vizorek, <a href="https://www.franceinter.fr/emissions/si-tu-ecoutes-j-annule-tout"><em>Si tu écoutes, j’annule tout</em></a> mais aussi les chroniques de Guillaume Meurice, Daniel Morin, Frédéric Sigrist, Frédéric Fromet, Pierre-Emmanuel Barré, Nicole Ferroni, Laurent Gerra et Nicolas Canteloup, de septembre 2016 à juin 2017, soit un total de 1 323 billets d’humour.</p>
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<figcaption><span class="caption">« Tous ces soutiens à Emmanuel Macron : on se croirait à la SPA ! » Le Billet de Charline, Mar 9, 2017 (21 455 vues).</span></figcaption>
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<p>Quand on observe les cibles des humoristes (le nombre de cibles différentes) et leurs occurrences (leur nombre d’apparitions) sur la période étudiée, on constate que les humoristes se moquent en grande partie des hommes et des représentants des deux grands partis des dernières décennies : le Parti socialiste (PS) et Les Républicains (LR).</p>
<p>En moyenne, les femmes prises pour cibles représentent 19,81 % de mon échantillon. Au niveau de la représentation politique, en moyenne 63,27 % des cibles politiques étaient issues du PS ou LR. Toutes les autres formations politiques doivent se contenter de proportion bien moindre. Ainsi, les deux tiers de l’espace politique comique sont consacrés à des moqueries envers deux partis historiquement aux commandes de la France ces dernières années.</p>
<p>Pour s’en rendre compte, je propose un classement lissé des candidats à la présidentielle ciblés par les humoristes. J’ai compté les occurrences des candidats à l’élection présidentielle chez chaque humoriste et les ai agencé pour que chaque humoriste ait la même représentativité. Autrement un humoriste qui est à l’antenne au quotidien compterait bien plus qu’un autre qui n’a qu’une chronique par semaine.</p>
<p>Dans ce tableau, tous les humoristes de mon échantillon ont été recensés comme s’ils avaient tous faits 100 billets d’humour. On obtient alors la distribution suivante :</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/294776/original/file-20190930-194852-34x5ph.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/294776/original/file-20190930-194852-34x5ph.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/294776/original/file-20190930-194852-34x5ph.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=413&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/294776/original/file-20190930-194852-34x5ph.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=413&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/294776/original/file-20190930-194852-34x5ph.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=413&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/294776/original/file-20190930-194852-34x5ph.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=519&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/294776/original/file-20190930-194852-34x5ph.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=519&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/294776/original/file-20190930-194852-34x5ph.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=519&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Tableau 1. Cibles politiques des humoristes.</span>
<span class="attribution"><span class="source">G. Grignard</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Ce tableau montre une nette différence entre les grands et les petits candidats. Il témoigne aussi d’un problème à la gauche de l’échiquier politique : les occurrences cumulées de Benoît Hamon et Jean‑Luc Mélenchon n’atteignent même pas celles de Manuel Valls, pourtant éliminé de la course aux présidentielles.</p>
<p>De plus, Jean‑Luc Mélenchon et François Fillon ont obtenu un score comparable au premier tour de l’élection présidentielle alors qu’ils sont à des distances astronomiques dans ce classement. Le nombre d’occurrences très faible de Jean‑Luc Mélenchon soulève plusieurs questions. Pourquoi les humoristes se moquent-ils si peu de personnalités de gauche radicale ? Est-ce parce qu’ils en sont proches ? Ou bien plutôt parce qu’il n’y a pas d’éléments aussi drôles à en retirer ? En tout cas Jean‑Luc Mélenchon, tout comme Benoît Hamon ont été beaucoup moins pris pour cibles par rapport à leurs concurrents « de droite ».</p>
<h2>Le calendrier importe</h2>
<p>Au-delà de la distribution, la période à laquelle les humoristes se moquent de certaines personnalités politiques surprend aussi. Mes analyses montrent que les humoristes ne parviennent pas à se distancier de l’agenda médiatique. Ils l’accompagnent.</p>
<p>Cela signifie que le calendrier électoral de l’élection et des différentes primaires a eu un impact important sur le choix des cibles des humoristes. Les Républicains ont été omniprésents de septembre à mi-novembre, moment où avait lieu leur primaire.</p>
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<figcaption><span class="caption">Sketch de Nicolas Canteloup face à Alain Juppé proche des primaires républicaines.</span></figcaption>
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<p>Les socialistes ont eu plus de visibilité en décembre et en janvier. Ensuite, toute l’actualité politique a concerné <a href="https://theconversation.com/la-mythologie-et-fillon-victimiser-pour-deifier-75334">François Fillon et les affaires</a> auxquelles il a été mêlé, ce qui explique son très grand nombre d’occurrences dans le classement présenté ci-dessus.</p>
<p>Le graphique suivant analyse l’évolution des occurrences dans le temps des principaux candidats à l’élection présidentielle</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/294778/original/file-20190930-194852-1152t1r.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/294778/original/file-20190930-194852-1152t1r.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=392&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/294778/original/file-20190930-194852-1152t1r.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=392&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/294778/original/file-20190930-194852-1152t1r.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=392&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/294778/original/file-20190930-194852-1152t1r.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=492&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/294778/original/file-20190930-194852-1152t1r.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=492&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/294778/original/file-20190930-194852-1152t1r.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=492&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Graphique 2.</span>
<span class="attribution"><span class="source">G. Grignard</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>La plus impressionnante de ces trajectoires est sans aucun doute la courbe de François Fillon. Elle démontre à la fois l’« effet primaire » (octobre et novembre) et les conséquences de ses « affaires » en février et mars, période à laquelle il n’y a pas un humoriste en France qui ne parle pas de lui.</p>
<p>On remarquera la courbe très constante d’Emmanuel Macron qui croît régulièrement jusqu’à devenir la plus forte à partir du moment où il est élu et que la menace de Marine Le Pen est écartée.</p>
<p>On voit également le très faible score des candidats de gauche avec Benoît Hamon dont personne ne parle avec le mois de mars et Jean‑Luc Mélenchon qui est constamment resté invisible.</p>
<p>Enfin, dernière observation plutôt cocasse : Jean Lassalle est le seul « petit » candidat à avoir vraiment transpercé le plafond de verre. En avril, les humoristes ont tellement parlé de lui qu’il a même égalé le score d’occurrences de Marine Le Pen. Il se situe alors nettement au-dessus de Benoît Hamon ou Jean‑Luc Mélenchon.</p>
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<figcaption><span class="caption">Laurent Gerra le 23 avril 2017.</span></figcaption>
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<h2>Le mythe de l’humour subversif</h2>
<p>La description des cibles des humoristes et leur répartition dans le calendrier laissent entrevoir des constats qui mettent à mal la thèse d’un humour subversif qui a vocation à casser les codes sociaux et politiques.</p>
<p>Sous cet angle, les humoristes apparaissent plutôt comme prévisibles, reproduisant le rapport de force en place au lieu de le contester.</p>
<p>Les humoristes, hommes ou femmes, chroniqueurs sur radios publiques ou privées, ont tous comme point commun de concentrer leur satire sur des cibles politiques qui appartiennent au Parti socialiste ou aux Républicains dans la période étudiée. Soit les deux plus grands partis au pouvoir lors des dernières décennies.</p>
<p>Cette promesse d’un versant subversif de l’humour n’est cependant en rien une trahison de leur part. Ils n’ont jamais prétendu vouloir changer le monde et tous les entretiens que j’ai effectués auprès d’eux soulignent que l’importance première pour un comique c’est d’être drôle bien avant être rebelle, désobéissant ou révolutionnaire.</p>
<p>C’est plutôt un certain univers intellectuel qui nous fait rêver de cette figure du comique qui dérange le pouvoir.</p>
<p>Elle s’est fortement cristallisée en France suite aux attentats contre Charlie Hebdo et a <a href="http://www.champ-vallon.com/pierre-serna-dir-la-politique-du-rire/">inspiré beaucoup d’auteurs</a> pour écrire une grande histoire politique du comique français.</p>
<p>Il faut pourtant aller au-delà du mythe. Si l’humoriste peut produire un discours caustique et piquant face au pouvoir, quand il s’exprime dans un média il n’en reste pas moins un acteur du système qui commente l’actualité que d’autres font pour lui.</p>
<p>Sa subversion ne peut outrepasser sa situation d’employé par un média, et de figure sanctionnée par le public actif sur les réseaux sociaux. L’humoriste doit plaire à son employeur et à son public qui remplit ses salles de spectacle. C’est probablement ce qui lui retire toute réelle force d’opposition face à un système qui, sous couvert d’amusement, se joue de lui.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/124205/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Guillaume Grignard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les humoristes sont-ils les complices involontaires des politiques ? Premiers résultats d’une étude inédite.Guillaume Grignard, Chercheur FNRS en sciences politiques, Université Libre de Bruxelles (ULB)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1243172019-09-27T12:12:41Z2019-09-27T12:12:41ZPourra-t-on, en politique étrangère, faire du chiraquisme sans Chirac ?<p>Il y a quarante ans au Palais des expositions de la porte de Versailles (le 5 décembre 1976) Jacques Chirac défiait Valéry Giscard d’Estaing en créant le RPR, quelques mois après avoir démissionné de ses fonctions de premier ministre.</p>
<p>Face à la droite libérale – ou « orléaniste » dans la typologie de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Les_Droites_en_France">René Rémond</a> – Jacques Chirac allait dès lors incarner la droite gaulliste, voire « bonapartiste ».</p>
<p>En matière de politique étrangère sous la V<sup>e</sup> République, cela avait plusieurs implications. Le culte du volontarisme politique d’abord, de l’indépendance nationale voire du souverainisme ensuite (souverainisme parfois anti-européen, comme lors de son <a href="https://clio-texte.clionautes.org/1978-jacques-chirac-appel-de-cochin-6-decembre-1978.html">« appel de Cochin »</a> de décembre 1978), et celui des amitiés et réseaux traditionnels hérités de l’histoire, coloniale ou pas.</p>
<p>Cela signifiait aussi le choix d’un grand pragmatisme : « l’homme de Cochin » ferait voter oui au référendum sur le traité de Maastricht en 1992.</p>
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<figcaption><span class="caption">Jacques Chirac, 1976.</span></figcaption>
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<p>Mais c’est essentiellement à la lumière de ses deux mandats présidentiels (1995-2002 et 2002-2007) que s’observe la relation au monde d’un homme dont la complexité a été maintes fois soulignée. Le chiraquisme de politique étrangère est resté apprécié dans le pays et au-delà. Il a séduit jusqu’aux <a href="http://www.fayard.fr/linconnu-de-lelysee-9782213631493">observateurs peu suspects de complaisance</a> à son égard. En matière d’action extérieure, Jacques Chirac président fut à la fois anachronique et précurseur dans son volontarisme politique. Sa posture générera-t-elle des vocations, ou seulement une nostalgie ?</p>
<h2>La France éternelle dans monde en changement ?</h2>
<p>Anachronique, Jacques Chirac l’a sans doute été en voulant faire revivre une geste héritée de la période gaullo-pompidolienne mais difficile à appliquer dans un monde post-bipolaire.</p>
<p>L’invocation d’une « politique arabe » à l’<a href="http://discours.vie-publique.fr/notices/967005600.html">Université du Caire</a> en avril 1996, fut bien accueillie au sud de la Méditerranée, mais dans un monde arabe à l’unité désormais introuvable.</p>
<p>Le retour de <a href="https://www.franceculture.fr/oeuvre/jacques-foccart-dans-lombre-du-pouvoir">Jacques Foccart</a>, le « Monsieur Afrique » du général de Gaulle, comme conseiller aux affaires africaines en 1995, à 81 ans, intervenait dans un monde bien éloigné de celui qui avait vu naître les indépendances du continent noir.</p>
<p>Sa diplomatie affective, sa fidélité aux personnes, de Hassan II jusqu’à Yasser Arafat en passant bien sûr par le Libanais Rafic Hariri, pouvaient-elles encore constituer une ressource politique en ce brutal changement de siècle ? Oui, si l’on considère la popularité que la France chiraquienne en a retirée au Sud.</p>
<p>Et qui peut dire qu’il ne regrette pas le temps où son pays était aimé ? Les images du bain de foule algérien, en 2003, restent émouvantes.</p>
<p>Mais toute popularité en matière de politique étrangère est volatile : quelques mois après avoir célébré la France qui avait refusé la guerre américaine en Irak, la rue du Caire la conspuait en 2004 pour sa loi sur le voile à l’école.</p>
<p>Anachronique enfin, la volonté chiraquienne de passer en force au nom d’un grand pays, dans une Union européenne élargie : l’imposition du français Jean‑Claude Trichet pour succéder plus vite que prévu à Wim Duisenberg à la tête de la banque Centrale européenne en 2003, la leçon donnée aux pays d’Europe centrale et orientale qui avaient soutenu la position américaine en Irak, n’ont pas été appréciée dans cette Union faite désormais de réseaux et de coalitions.</p>
<p>Anachronismes donc… à moins qu’il ne s’agisse là de lois éternelles de la politique mondiale : se faire aimer et se faire craindre à la fois.</p>
<h2>De nouveaux horizons</h2>
<p>Jacques Chirac fut aussi, incontestablement, précurseur. Après des prédécesseurs dont la culture politique restait très européenne, il ouvrit la politique étrangère aux priorités des mondes extra-occidentaux et à leurs cultures, juste avant que le rapport de force politique ne l’impose. Son amour de l’Orient lui fut reproché, sa fascination pour l’Asie fut moquée, mais les partenariats stratégiques entamés avec l’<a href="http://www.jacqueschirac-asso.fr/archives-elysee.fr/elysee/elysee.fr/francais/interventions/discours_et_declarations/1998/janvier/fi003296.html">Inde</a> (1998) ou la <a href="http://www.amb-chine.fr/fra/xnyfgk/t278183.htm">Chine</a>, sa relation au Japon, ont laissé des traces dans les capitales concernées.</p>
<p>Sa mise sur agenda d’enjeux globaux autrefois exclus de la « grande politique », préparait également – hélas – les urgences à venir. Le célèbre « notre maison brûle et nous regardons ailleurs » à propos de l’environnement (à <a href="http://www.ina.fr/video/2090725001027">Johannesburg</a> en 2002), le projet <a href="http://unitaid.org/fr/">Unitaid</a> de médicaments à bas prix pour les pays du Sud, financés par une taxe de solidarité sur les billets d’avion et lancé avec le brésilien Lula en 2006, la lutte contre le <a href="http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2006/03/05/chirac-appelle-la-france-et-l-arabie-saoudite-a-unir-leurs-efforts-contre-les-fanatismes_747768_3218.html">« choc des ignorances »</a> (formule d’Edward Said) en réponse au « clash des civilisations » huntingtonien, la reconnaissance des arts premiers, témoignaient d’un sens de la formule, mais surtout prenaient acte d’un monde dont les besoins en termes de biens communs, et les revendications post-matérialistes nouvelles, devaient être entendus.</p>
<h2>Des gesticulations qui suscitent admiration et irritation</h2>
<p>La vraie question du bilan de politique étrangère de Jacques Chirac est peut-être, finalement, celle-ci : son volontarisme politique aura-t-il été, lui, anachronique ou précurseur ? Refusant le fait accompli dans les Balkans en 1995 (en autorisant la reprise du <a href="http://www.lepoint.fr/actualites-monde/2007-01-17/le-jour-ou-les-casques-bleus-francais-se-sont-rebiffes/924/0/8571">pont de Vrbanja</a> aux Serbes qui humiliaient les Casques Bleus), annonçant la reprise (mondialement impopulaire) des essais nucléaires français dès son élection, bousculant la sécurité israélienne dans la Vieille Ville de Jérusalem (donnant lieu à une <a href="http://www.ina.fr/video/CAB96053421">vidéo qui fit le tour du monde</a>), amendant la liste des objectifs militaires américains pour l’OTAN dans la campagne du Kosovo en 1999, Jacques Chirac a suscité l’admiration des uns pour son courage politique, et l’irritation des autres vis-à-vis de ces « gesticulations ».</p>
<p>Le point d’orgue de ses deux mandats, on l’admettra, fut probablement son refus de la guerre américaine en Irak, qui l’amena jusqu’à envisager en 2003 d’utiliser le droit de veto français contre ses alliés américains et britanniques aux Nations unies. Vilipendée par la presse anglo-saxonne, la France chiraquienne fut célébrée ensuite pour sa sagesse et sa capacité à résister au rouleau compresseur néoconservateur, une fois reconnu le désastreux résultat de cette nouvelle guerre du Golfe.</p>
<h2>« L’exception française » sur la sellette ?</h2>
<p>Que restera-t-il de ces postures ? Seront-elles jugées d’un autre âge, dans une France qui voudra normaliser sa diplomatie et renoncer à la rhétorique de « l’exception française », ou bien étudiées comme modèles, pour maintenir un rang et une influence ? cherchera-t-on à tirer les leçons de la geste chiraquienne, en s’efforçant de dégager les moyens qui permettraient à la diplomatie française d’aller au-delà du discours ? Ou voudra-t-on rompre avec un « gaullo-mitterrandisme » honni de beaucoup aujourd’hui ?</p>
<p>La <a href="https://www.lepoint.fr/politique/emmanuel-macron-s-est-il-chiraquise-28-08-2019-2332085_20.php">posture d’Emmanuel Macron à l’international</a> suscite depuis quelques semaines plusieurs <a href="http://theconversation.com/les-accents-chiraquiens-de-la-diplomatie-demmanuel-macron-122803">comparaisons avec celle de son prédécesseur</a> des années 1995-2007, notamment sur les enjeux environnementaux ou de <a href="https://www.lopinion.fr/edition/international/apres-l-ecologie-accents-chiraquiens-macron-sante-planete-198099">santé</a>. Comme si la recherche d’une politique à nouveau lisible passait par la redécouverte du pragmatisme volontariste chiraquien, et son empathie avec le monde.</p>
<p>On s’est longtemps demandé si l’on pouvait faire du gaullisme sans De Gaulle, ou du mitterrandisme sans Mitterrand. Pourra-t-on, demain, faire du chiraquisme sans Chirac ? Aura-t-on les moyens d’invoquer et de mettre en œuvre, dans le monde qui vient, la nécessaire continuité dans la poursuite de nos intérêts, ou devra-t-on se contenter de dire : « c’était Jacques Chirac… » ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/124317/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Frédéric Charillon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le chiraquisme de politique étrangère est resté apprécié dans le pays et au-delà. Sa posture générera-t-elle des vocations, ou seulement une nostalgie ?Frédéric Charillon, professeur de science politique, Université Clermont Auvergne (UCA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/632832019-09-26T10:26:03Z2019-09-26T10:26:03ZJacques Chirac, un « bulldozer » en politique<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/138235/original/image-20160919-11131-1j9jko7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Jacques Chirac (ici en 2005) aura marqué la vie politique française d’après–Mai 68.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/worldeconomicforum/346655272/in/photolist-wCGx3-7bn24n-8qdc9-6jMHTN-wCGwX-JZzNH-dTsfd-dSUTJ-DWPjE-dBmhDC-8u3rbV-3ft5Gq-91QsRH-2vEEkx-b9bd1-b99rs-b99rt-b99ry-b99rw-b9bcX-4NkHt-7SQEQF-rqMfA2-57FtgM-aRpMXM-PQ83A-d8cAiW-2ZKvB2-9Hu228-9TAAEK-7tD1NL-6JASZR-8NrQTg-buH5at-DdDjw-7SQELc-GikFo-hVJtr-ikVb5-52Z3K-dftq4-7vZGW6-DLtXb-34xeYu-9p3uyw-kGzEy8-6NCBr-5mHwuc-gt7HiJ-mSssZ">World Economic Forum/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/">CC BY-NC-SA</a></span></figcaption></figure><p>Jacques Chirac est mort. Sa famille l’a annoncé, jeudi 26 septembre, auprès de l’Agence France Presse. « Le président Jacques Chirac s’est éteint ce matin au milieu des siens. Paisiblement », a déclaré son gendre Frédéric Salat-Baroux, époux de Claude Chirac.</p>
<p>La santé de Jacques Chirac s’était dégradée depuis son départ de l’Élysée en 2007, conséquence notamment d’un accident vasculaire cérébral survenu en 2005, durant son second mandat de président de la République. Il avait été hospitalisé pour une infection pulmonaire en 2016.</p>
<h2>Une carrière de haut fonctionnaire engagé</h2>
<p>Né en 1932, petit-fils d’instituteurs de la Corrèze, Jacques Chirac est socialisé très jeune aux valeurs de la République et aura <a href="https://www.nouvelobs.com/politique/20091103.OBS6652/quand-jacques-chirac-se-raconte.html">quelques velléités d’engagement communiste</a>. Il fait de brillantes études : Institut d’études politiques de Paris, puis École Nationale d’Administration.</p>
<p>Une année sabbatique aux États-Unis pendant ses études à Sciences Po Paris, un mariage dans une famille de l’aristocratie parisienne, un service militaire volontaire en Algérie, un nationalisme républicain contribuent probablement à son évolution vers le gaullisme en 1958.</p>
<p>Sa carrière de haut fonctionnaire engagé va lui permettre une ascension politique très rapide, selon un modèle qu’on peut retrouver dans d’autres familles politiques. Il est, dès 1962, chargé de mission au cabinet du premier ministre, Georges Pompidou, dont il devient un ardent partisan, étant probablement plus pompidolien que gaulliste. Il est un collaborateur apprécié, baptisé par son patron <a href="https://www.franceculture.fr/politique/le-bulldozer-jacques-chirac-sest-eteint">« mon bulldozer »</a>.</p>
<p>Jacques Chirac est parachuté dans sa Corrèze natale pour les élections législatives de 1967, après avoir été élu conseiller municipal de Sainte Féréole en 1965. Il fait partie d’une génération de « jeunes loups » que les gaullistes lancent en politique pour assurer la relève des générations. Contre toute attente, il remporte ce fief du communisme rural, après une campagne très active, alors que le contexte national n’est pas favorable à son camp.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/138253/original/image-20160919-11108-w8lkkb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/138253/original/image-20160919-11108-w8lkkb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=263&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/138253/original/image-20160919-11108-w8lkkb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=263&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/138253/original/image-20160919-11108-w8lkkb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=263&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/138253/original/image-20160919-11108-w8lkkb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=330&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/138253/original/image-20160919-11108-w8lkkb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=330&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/138253/original/image-20160919-11108-w8lkkb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=330&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Jacques Chirac en famille, dans les années 70.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/retrorama/16689344213/in/photolist-rqMfA2-57FtgM-aRpMXM-PQ83A-d8cAiW-2ZKvB2-9Hu228-9TAAEK-7tD1NL-6JASZR-8NrQTg-buH5at-DdDjw-7SQELc-GikFo-hVJtr-ikVb5-52Z3K-dftq4-7vZGW6-DLtXb-34xeYu-9p3uyw-kGzEy8-6NCBr-5mHwuc-gt7HiJ-mSssZ-aU7i6-ebQHjA-33i2ka-4gV3pD-exfcJ-4Cr5iy-4Cr5kj-9rUL8c-4Vw7rV-eZhEN4-ebK7r8-nxszNC-GTHyo-bfQT2-4BKgUd-81N9Mk-3rAert-uspaG-38kmr-8JtECX-mmASup-nrULXF">Flashback/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/">CC BY-NC-SA</a></span>
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<p>À 35 ans, le jeune député devient immédiatement secrétaire d’État à l’emploi, ce qui lui vaut de jouer un rôle actif auprès du premier ministre, Georges Pompidou, pendant la négociation des accords de Grenelle, en mai 1968. Il exerce ensuite plusieurs fonctions ministérielles, d’importance croissante, devenant ministre de l’Intérieur au début de 1974. Pendant la campagne présidentielle qui suit la mort de Georges Pompidou, il préfère appuyer la candidature du libéral Valéry Giscard d’Estaing plutôt que celle du gaulliste Jacques Chaban-Delmas.</p>
<h2>Premier ministre</h2>
<p>L’apport décisif de Jacques Chirac à la victoire giscardienne lui vaut d’être nommé premier ministre. Il défend – sans être toujours convaincu – les grandes réformes du début du septennat : majorité à 18 ans, <a href="https://fresques.ina.fr/jalons/fiche-media/InaEdu01807/la-reforme-du-divorce-de-1975-l-introduction-du-divorce-par-consentement-mutuel.html">instauration du divorce par consentement mutuel</a>, <a href="https://www.lci.fr/sante/simone-veil-pantheon-il-a-ete-legalise-il-y-a-43-ans-apres-quels-sont-les-chiffres-de-l-avortement-en-france-ivg-2057209.html">légalisation de l’avortement</a>, <a href="http://www.slate.fr/story/158533/reforme-audiovisuel-public-ortf-francoise-nyssen-france-televisions-radio-france">réforme de l’audiovisuel</a>…</p>
<p>Mais ses rapports avec le président deviennent très vite conflictuels. Estimant ne pas avoir les moyens de mener la politique qu’il souhaiterait faire, il démissionne en 1976 et refond le parti gaulliste dans une stratégie de critique de la droite libérale au pouvoir, défendant alors un « véritable travaillisme à la française ». Il devient maire de Paris en 1977 après une bataille acharnée avec le candidat du pouvoir giscardien, ce qui lui donne des moyens très renforcés d’action politique. Il conservera ce mandat durant 22 ans jusqu’en 1995.</p>
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<p>Il mène sa première campagne présidentielle en 1981. Chirac s’oppose toujours au président sortant, mais avec une orientation idéologique très différente puisqu’il se convertit au néo-libéralisme.</p>
<p>Largement distancé par Valéry Giscard d’Estaing au premier tour, il ne l’appuie que très modérément au second. Environ 15 % de l’électorat gaulliste vote en fait pour François Mitterrand, qui l’emporte.</p>
<h2>Opposant en chef</h2>
<p>Jacques Chirac devient alors le leader de l’opposition au « pouvoir socialo-communiste », ce qui aboutit à une victoire de celle-ci aux législatives de 1986. Le RPR ayant davantage de députés que l’UDF, <a href="https://www.europe1.fr/emissions/Le-journal-d-il-y-a-trente-ans/le-journal-dil-y-a-30-ans-la-cohabitation-mitterrand-chirac-2703511">François Mitterrand choisit Jacques Chirac comme premier ministre</a>. « Cohabitant » avec un président socialiste, il exerce en fait la plus grande part du pouvoir, contrairement à son premier mandat de chef de gouvernement (1974-1976), où il était très contrôlé par Valéry Giscard d’Estaing. Il mène une politique économique libérale, avec notamment de nombreuses privatisations et la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/138511/original/image-20160920-12481-1yzoly0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/138511/original/image-20160920-12481-1yzoly0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=448&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/138511/original/image-20160920-12481-1yzoly0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=448&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/138511/original/image-20160920-12481-1yzoly0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=448&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/138511/original/image-20160920-12481-1yzoly0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=564&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/138511/original/image-20160920-12481-1yzoly0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=564&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/138511/original/image-20160920-12481-1yzoly0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=564&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le Chirac conquérant version 1986.</span>
<span class="attribution"><span class="source">DR</span></span>
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<p>Mais après deux années de cohabitation, la popularité de Jacques Chirac s’est nettement dégradée alors que François Mitterrand s’est refait une santé en incarnant le rôle du président–chef de l’opposition. Ce dernier est donc facilement réélu, en mai 1988, pour un second mandat présidentiel, alors que Jacques Chirac fait des scores plutôt modestes (20 % des suffrages au premier tour, 46 % au second).</p>
<p>À nouveau dans l’opposition, Jacques Chirac doit faire face à des divisions internes à son parti, mais il en conserve le contrôle et prépare les législatives de 1993, très largement gagnées dans un contexte de désaveu de la gauche, après deux mandats présidentiels socialistes.</p>
<p>Jacques Chirac, tirant les leçons de ses deux expériences de premier ministre, qui n’avaient pas constitué les tremplins espérés vers la présidence de la République, laisse Édouard Balladur, un de ses très proches collaborateurs, qui avait été son ministre de l’Économie, des Finances et de la Privatisation lors de la première cohabitation, exercer cette fonction, se réservant pour l’élection présidentielle de 1995.</p>
<h2>À la troisième tentative</h2>
<p>Mais la forte popularité d’Édouard Balladur dans l’opinion le conduit à se présenter lui-même, ce qui génère une guerre fratricide étonnante.</p>
<p>Beaucoup au RPR considèrent le combat de Jacques Chirac perdu d’avance et lui conseillent de renoncer pour ne pas faire perdre son camp. Contre toute attente, là encore, après une campagne conduite autour d’un diagnostic – plutôt de gauche – sur la « fracture sociale » qu’il convient de combler, il parvient à renverser les pronostics sondagiers et à prendre l’avantage au premier tour – de peu – sur le premier ministre sortant (20,8 % contre 18,6 %). Il est assez facilement élu au second tour contre Lionel Jospin.</p>
<p>C’est donc <a href="http://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMEve?codeEve=239">à sa troisième tentative</a>, après une campagne à rebondissements, qu’il atteint le sommet, manifestant ainsi une grande obstination dans ses combats pour l’exercice du pouvoir politique.</p>
<p>Mais l’exercice de la fonction suprême ne va pas être une promenade de santé. Son premier ministre, Alain Juppé, mène une politique de rigueur budgétaire et doit affronter dès l’automne 1995 un mouvement social très important contre sa réforme des retraites et de la Sécurité sociale.</p>
<p>En 1996, le président Chirac annonce la suspension du service militaire obligatoire et le lancement d’une politique de professionnalisation des armées.</p>
<p>La popularité de l’exécutif étant fortement effritée, Jacques Chirac crée la surprise en décidant de dissoudre l’Assemblée nationale en avril 1997, un an avant le terme du mandat, estimant être alors en meilleure position pour conserver la majorité qu’en laissant s’écouler une année supplémentaire.</p>
<p>Ayant dissous en semblant vouloir poursuivre la même politique, Jacques Chirac perd son pari et doit, à son tour, accepter une cohabitation avec la gauche. Il est en fait privé d’une large partie de son pouvoir, exercé par le nouveau Premier ministre, Lionel Jospin, leader des socialistes, pendant les cinq dernières années de son premier mandat.</p>
<h2>Réélu avec 82 % des suffrages</h2>
<p>Il maintient – contre le souhait de certains de ses partisans – une stratégie de cordon sanitaire à l’égard du Front national, quel qu’en soit le prix électoral. Il doit faire face à des conflits de tendance internes au RPR et perd le contrôle de son parti. Chirac doit aussi accepter – sous la contrainte de Valéry Giscard d’Estaing et des socialistes – la réduction du mandat présidentiel à cinq ans avec une inversion du calendrier électoral, donc avec d’abord une élection présidentielle et en principe juste après, des législatives.</p>
<p>Il n’en reste pas moins très obstiné dans son combat en vue d’un second mandat. Il adopte une stratégie semblable à celle de François Mitterrand lors de la première cohabitation, attaquant son premier ministre sur sa politique, notamment sur son laxisme à l’égard des délinquants et proposant au contraire une approche sécuritaire.</p>
<p>Bénéficiant aussi de l’éclatement de l’UDF et de l’absence d’une autre candidature de poids à droite, ainsi que de la division que la gauche plurielle entre de nombreux prétendants, il devance – avec un score modeste pour un président sortant – Lionel Jospin lors du premier tour.</p>
<p>Opposé au second tour à Jean‑Marie Le Pen, il peut se dispenser de faire campagne et l’emporte avec <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/politique/elections/presidentielle-2002/resultats-elections/france.html">82 % des suffrages</a>, score totalement inédit dans une élection présidentielle française.</p>
<h2>Engagement pour l’environnement et politique anti-américaine</h2>
<p>Ce franc succès lui permet de refaire en large partie l’unité de la droite, avec le lancement de l’UMP, Union pour la majorité présidentielle, rebaptisée ensuite Union pour un mouvement populaire. Mais il perd rapidement le contrôle de la nouvelle formation, dont Nicolas Sarkozy prend la tête fin 2004. Devenu assez pro-européen au fil de l’exercice de ses mandats, il souhaite faire ratifier le projet de Constitution européenne par référendum, opération à haut risque, qu’il va perdre nettement en 2005.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/138268/original/image-20160919-11090-1kwhkip.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/138268/original/image-20160919-11090-1kwhkip.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/138268/original/image-20160919-11090-1kwhkip.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/138268/original/image-20160919-11090-1kwhkip.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/138268/original/image-20160919-11090-1kwhkip.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/138268/original/image-20160919-11090-1kwhkip.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/138268/original/image-20160919-11090-1kwhkip.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Chirac s’adresse à la nation suites aux émeutes dans les banlieues (2005).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/humain/83939174/in/photolist-8qdc9-6jMHTN-wCGwX-JZzNH-dTsfd-dSUTJ-DWPjE-dBmhDC-8u3rbV-3ft5Gq-91QsRH-2vEEkx-b9bd1-b99rs-b99rt-b99ry-b99rw-b9bcX-4NkHt-7SQEQF-rqMfA2-57FtgM-aRpMXM-PQ83A-d8cAiW-2ZKvB2-9Hu228-9TAAEK-7tD1NL-6JASZR-8NrQTg-buH5at-DdDjw-7SQELc-GikFo-hVJtr-ikVb5-52Z3K-dftq4-7vZGW6-DLtXb-34xeYu-9p3uyw-kGzEy8-6NCBr-5mHwuc-gt7HiJ-mSssZ-aU7i6-ebQHjA">jalbertgagnier/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nd/4.0/">CC BY-ND</a></span>
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<p>Outre une politique de baisse de l’impôt sur le revenu, des mesures fortes pour renforcer la sécurité routière, lutter contre le cancer et mieux indemniser les handicapés, son quinquennat est marqué par un engagement important en faveur de l’environnement dont une charte est mise au point et constitutionnalisée.</p>
<p>Surtout, il se distingue par une politique nettement anti-américaine, <a href="https://www.liberation.fr/planete/2002/09/28/irak-chirac-dit-non-a-bush_416923">refusant d’associer la France à l’intervention militaire en Irak</a>. Il doit faire face, fin 2005, à un mouvement d’émeutes dans les banlieues sensibles et au printemps 2006 à un mouvement social contre le contrat de travail première embauche, qui génère une opposition des syndicats de salariés et des mouvements étudiants, aboutissant au retrait du projet.</p>
<p>Les rapports du président de la République et du premier ministre, Dominique de Villepin, avec Nicolas Sarkozy vont se tendre, les deux derniers aspirant à être le candidat de l’UMP à la présidentielle de 2007.</p>
<p>Ayant mis le parti à son service, Nicolas Sarkozy est très largement intronisé candidat en janvier 2007 mais Jacques Chirac laisse planer le doute quant à une possible troisième candidature jusque début mars. Il annonce ensuite son soutien au candidat que son parti s’est choisi, abandonnant la polémique et le combat politique actif.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/138255/original/image-20160919-11100-1pbmfqi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/138255/original/image-20160919-11100-1pbmfqi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/138255/original/image-20160919-11100-1pbmfqi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/138255/original/image-20160919-11100-1pbmfqi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/138255/original/image-20160919-11100-1pbmfqi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/138255/original/image-20160919-11100-1pbmfqi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/138255/original/image-20160919-11100-1pbmfqi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Jacques Chirac (ici en 2011), un retraité de la politique très populaire.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/bryanpelz/6466361407/in/photolist-aRpMXM-PQ83A-d8cAiW-2ZKvB2-9Hu228-9TAAEK-7tD1NL-6JASZR-8NrQTg-buH5at-DdDjw-7SQELc-GikFo-hVJtr-ikVb5-52Z3K-dftq4-7vZGW6-DLtXb-34xeYu-9p3uyw-kGzEy8-6NCBr-5mHwuc-gt7HiJ-mSssZ-aU7i6-ebQHjA-33i2ka-4gV3pD-exfcJ-4Cr5iy-4Cr5kj-9rUL8c-4Vw7rV-eZhEN4-ebK7r8-nxszNC-GTHyo-bfQT2-4BKgUd-81N9Mk-3rAert-uspaG-38kmr-8JtECX-mmASup-nrULXF-nPdsWy-nJmWpq">Bryan Pelz/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<p>Dans sa retraite, Jacques Chirac va se consacrer à des actions en faveur de la prévention des conflits internationaux, du dialogue des cultures, des arts premiers et du développement durable. Il siège aussi au Conseil constitutionnel jusqu’en 2010.</p>
<p>Comme beaucoup d’hommes politiques de premier plan ayant quitté la difficile gestion des affaires publiques, il va retrouver une forte popularité dans l’opinion.</p>
<p>Il laisse le souvenir d’un homme au contact facile, aimant les bains de foule et le « cul des vaches », gardien des valeurs républicaines, défenseur de la tolérance face à l’altérité, très actif sur la scène internationale pour faire entendre la voix de la France et défendre un monde multipolaire.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/63283/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pierre Bréchon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Une ascension politique très rapide, un grand volontarisme pour arriver à la fonction suprême, une grande longévité dans la gestion des affaires publiques : retour sur le parcours de Jacques Chirac.Pierre Bréchon, Professeur émérite de science politique, Sciences Po Grenoble, Auteurs historiques The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1228032019-09-02T18:04:03Z2019-09-02T18:04:03ZLes accents chiraquiens de la diplomatie d’Emmanuel Macron<p>Les hommages rendus à Jacques Chirac après <a href="https://theconversation.com/jacques-chirac-un-bulldozer-en-politique-63283">sa disparition</a> ont mis en avant plusieurs moments forts de sa <a href="https://theconversation.com/pourra-t-on-en-politique-etrangere-faire-du-chiraquisme-sans-chirac-124317">politique étrangère</a>. </p>
<p>Quelques jours plus tôt, la séquence de politique étrangère française de cette rentrée 2019 avait été dense, et se prêtait en effet à la comparaison. A commencer par l’accueil de Vladimir Poutine au fort de Brégançon, un Poutine qui s’était opposé à la guerre irakienne aux côtés de l’ancien président français. Il en salue d’ailleurs la mémoire aujourd’hui, <a href="http://www.lefigaro.fr/flash-actu/mort-de-jacques-chirac-poutine-salue-un-dirigeant-sage-et-visionnaire-20190926">en soulignant</a> un homme «sage et visionnaire» qu’il a admiré.</p>
<p>Le sommet du G7 à Biarritz avec également été marqué par la visite surprise du ministre iranien des Affaires Etrangères Mohammad Javad Zarif, un Iran avec lequel Jacques Chirac appela au « dialogue critique » plutôt qu’à la confrontation. </p>
<p>Des noms d’oiseau furent échangés entre les présidents français et brésilien sur fond d’Amazonie en feu, qui ne pouvaient pas ne pas être mis en parallèle avec la <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/2004/09/20/jacques-chirac-et-lula-veulent-un-impot-mondial-contre-la-faim_379757_1819218.html">complicité passée</a> entre Jacques Chirac et un autre président brésilien, Lula, aujourd’hui en prison.</p>
<p>Et pour finir, un discours présidentiel fleuve et choc d’Emmanuel Macron lors de la désormais traditionnelle conférence des Ambassadeurs, avec, entre bien d’autres choses, un appel à revoir la relation avec la Russie, malgré les oppositions pressenties d’un « Etat profond » au sein de l’appareil diplomatique : ce souvent les mêmes observateurs qui, après s’être insurgés contre l’emploi de cette expression, marquent aujourd’hui leurs distances dans les hommages adressés à l’action chiraquienne de politique étrangère. Deux ans plus tôt, en 2017, Emmanuel Macron avait annoncé « Avec moi, ce sera la fin d’une forme de néoconservatisme importée en France depuis dix ans ». Dix ans, c'est-à-dire… depuis que Jacques Chirac a quitté l’Elysée.</p>
<p>Le « parler-vrai » et l’appel à la réforme du <a href="https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2019/08/27/discours-du-president-de-la-republique-a-la-conference-des-ambassadeurs-1">discours d’Emmanuel Macron devant les ambassadeurs</a> pourrait évoquer une fibre rocardienne, y compris dans une certaine noirceur autocritique : « Sinon, nous tombons », « alors, ce sera l’effacement », la Russie a « retrouvé des marges de manœuvre par nos faiblesses », « l’Allemagne a une pensée […] plus efficace et stratégique que nous », etc.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/p6SzTQZwVLM?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Mais pour plusieurs raisons, c’est d’abord <a href="https://www.lepoint.fr/politique/emmanuel-macron-s-est-il-chiraquise-28-08-2019-2332085_20.php">un parallèle avec la période chiraquienne qui vient à l’esprit</a>, y compris dans sa longue plage de cinq ans (1997-2002) marquée par le tandem Chirac-Védrine (sous le gouvernement Jospin de cohabitation). On entendrait presque, dans certaines phrases, la tonalité brève et tranchante des formules védriniennes (« On ne va pas reprocher aux Chinois d’avoir été intelligents, on peut se reprocher d’avoir été stupides »).</p>
<p>Une partie de l’entourage élyséen ne cache d’ailleurs pas son admiration pour la diplomatie chiraquienne, dont l’épisode irakien (2002-2003) reste considéré par certains comme l’un des derniers grands moments de la politique étrangère française de l’« ancien monde ». Le discours du 27 août fait plusieurs mentions à cette période, comme étant la dernière en date à avoir été éclairée :</p>
<blockquote>
<p>« Je suis parfois revenu dans des pays qui n’avaient plus été visités par des présidents depuis 15, 20 ans. C’est fou ! »</p>
</blockquote>
<p>Ou, à propos des Balkans :</p>
<blockquote>
<p>« J’ai fait au mois de juillet un déplacement en Serbie […]. Je crois que la dernière visite présidentielle datait de 2001. C’est fou ! »</p>
</blockquote>
<p>Les comparaisons pertinentes avec la politique étrangère chiraquienne sont en effet nombreuses, sur cette séquence de la fin du mois d’août. Pour autant, le contexte est bien entendu différent, pour avoir évolué considérablement depuis « 15, 20 ans », justement. Retrouver les audaces du chiraco-védrinisme est donc pertinent à condition d’en tirer les leçons pour la période actuelle.</p>
<h2>Tradition universaliste et dialogue critique</h2>
<p>De Jacques Chirac, on retrouve d’abord la reconquête de la popularité par la politique étrangère. Le bilan chiraquien en la matière avait séduit jusqu’aux auteurs les plus critiques de gauche, comme Pierre Péan dans son <a href="https://www.fayard.fr/documents-temoignages/linconnu-de-lelysee-9782213631493">« L’inconnu de l’Élysée »</a> (2007).</p>
<p>On insistait alors sur plusieurs qualités : l’ouverture sur le monde extra-occidental (partenariats stratégiques avec l’Inde et la Chine en 1998, passion pour les Orients, l’Afrique, etc.), la prise en compte d’un nouvel agenda global humaniste (environnement, diversité culturelle…), le volontarisme (depuis la guerre yougoslave en 1995 jusqu’à la guerre irakienne de 2003), même au prix d’une brouille assumée avec certains acteurs (Milosevic, Bachar Al-Assad après l’assassinat de Rafic Hariri). Et en même temps – si l’on ose dire – le choix de parler à tout le monde, et non uniquement avec les partenaires avec lesquels on est en accord, dans un cadre multilatéral si possible (on se souvient de l’insistance chiraquienne sur le rôle des Nations unies dans la crise irakienne).</p>
<p>Sur beaucoup de ces points, la geste et le discours macroniens, depuis 2017 et tels que réitéré cet été, s’y retrouveraient parfaitement :</p>
<ul>
<li><p>La critique d’une certaine mondialisation destructrice d’humanisme refait surface ;</p></li>
<li><p>la relativisation de l’Occident, pressentie par Jacques Chirac, est maintenant explicite (« Nous sommes sans doute en train de vivre la fin de l’hégémonie occidentale sur le monde ») ;</p></li>
<li><p>la nécessité de prendre acte des bouleversements mondiaux, dans un <a href="https://www.odilejacob.fr/catalogue/documents/livres-politiques/mon-combat-pour-la-paix_9782738119858.php">« combat pour la paix »</a>, nécessitant l’impératif de mouvement (pour reprendre une formule chère à Dominique de Villepin lorsqu’il était au quai d’Orsay), se retrouve aussi. Ainsi que le choix du multilatéralisme, répété à l’envi comme l’un des leitmotivs principaux de cette politique étrangère.</p></li>
</ul>
<p>La nécessité de parler à tout le monde, à commencer par la Russie, mais aussi l’Iran – Jacques Chirac opposait la méthode du « dialogue critique » à celle, néoconservatrice, de l’exclusion – s’illustre particulièrement, avec les visites estivales de Poutine et de Zarif. La surprise étant, dans le deuxième cas, l’assentiment obtenu d’un président américain pourtant peu maniable en la matière. Cette ouverture au dialogue, comme sous Chirac, n’exclut pas la désignation frontale de l’adversaire : Bolsonaro a « menti », Orban ne peut incarner un projet pour l’Europe.</p>
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<p>Le combat chiraquien pour le développement, la diversité culturelle, les biens communs comme l’environnement, l’éducation ou la santé (avec à l’époque des projets comme <a href="https://unitaid.org/">Unitaid</a>), reste ou revient à l’ordre du jour : sommet « One Planet », dont la France a pris l’initiative avec l’ONU et la Banque mondiale ; Alliance solaire internationale organisée avec l’Inde ; agenda de Ouagadougou prévoyant notamment la restitution des œuvres d’art…).</p>
<p>La célèbre formule <a href="https://www.ina.fr/video/2090725001027">« notre maison brûle et nous regardons ailleurs »</a> (Johannesburg, 2002), sur l’environnement, a même été reprise par l’actuel président. Même la tension sous contrôle avec Washington, dans une étrange dialectique du « je t’aime, moi non plus », rappelle l’ambiguïté des années 2000, lorsque les deux pays s’affrontaient durement sur certains dossiers tout en maintenant une coopération étroite sur d’autres (comme le renseignement et la lutte antiterroriste). C’est encore l’« amis, alliés, mais pas alignés » de Hubert Védrine.</p>
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<h2>Un contexte différent</h2>
<p>Il n’aura échappé à personne néanmoins – et certainement pas à Emmanuel Macron, à Hubert Védrine, ni à nos diplomates – que les temps ont changé – ce qui limite nécessairement la comparaison, au moins en partie. D’abord parce qu’un certain nombre de chantiers qui apparaissaient comme des opportunités pour un « brave nouveau monde » sont vus aujourd’hui comme des menaces.</p>
<p>Jacques Chirac tendait la main à la Chine, mais celle-ci n’avait pas la puissance qu’elle a aujourd’hui, qui peut se faire menaçante, comme à Hong Kong. Le partenariat stratégique avec l’Inde, trop longtemps sous-estimé, était à imaginer, et reste à cultiver, mais désormais avec un parti nationaliste au pouvoir qui rallume le <a href="https://theconversation.com/crise-au-cachemire-quelles-consequences-pour-lasie-du-sud-122442">baril de poudre cachemiri</a> et semble exclure les musulmans de l’identité nationale.</p>
<p>La Russie, alors convalescente, demeurait, comme aujourd’hui, un élément clef du paysage stratégique européen avec lequel il est dangereux de rompre le dialogue, mais c’était avant la Géorgie (2008), l’Ukraine et la Crimée (2014), la Syrie (2015), Russia Today, Sputnik ou les trolls.</p>
<p>Le Brésil était celui de Lula. Les États-Unis néoconservateurs étaient déjà porteurs d’instabilité (comme Jacques Chirac le dit sans ambages à plusieurs reprises), remettaient déjà en cause le multilatéralisme en voulant transformer l’ONU en chambre d’enregistrement de la politique étrangère américaine, mais la question posée était celle de leur « hyperpuissance », non pas de la relativisation de celle-ci face à de nouveaux hubris concurrents.</p>
<p>Surtout, l’Europe, certes déjà pleine de lacunes, n’avait pas encore connu la remise en cause des années 2010, qui la verrait exploser sur la crise des réfugiés ou se diviser sous les coups des progrès populistes. Tony Blair, Silvio Berlusconi et José Maria Aznar, opposés à Jacques Chirac sur l’affaire irakienne, n’étaient pas Matteo Salvini ni Viktor Orban.</p>
<p>Sur le Royaume-Uni, comme Jacques Chirac qui n’imaginait aucune situation où « les intérêts vitaux de l’un [des deux pays] pourraient être menacés sans que ceux de l’autre soient aussi menacés », Emmanuel Macron estime « indispensable que nous continuions à penser notre souveraineté avec la Grande-Bretagne ». Mais entre-temps il y eut le Brexit. Angela Merkel est encore là, mais en fin de règne.</p>
<p>La liste est longue, des paramètres qui ont changé. Le retour aux fondamentaux de ce que pourrait être l’ADN d’une identité de politique étrangère française dans le monde est sans doute pertinent. À cet égard, le carré Europe-multilatéralisme-humanisme-indépendance paraît raisonnable. La synthèse macronienne du 27 août – « L’esprit français, c’est un esprit de résistance et une vocation à l’universel » – aussi. Le problème est de décliner ces principes en autant de politiques sectorielles efficientes sur des dossiers précis et complexes.</p>
<p>Sur ce point comme sur d’autres, des leçons, dans le sens d’un inventaire, peuvent aussi être tirées de la période chiraquienne.</p>
<h2>Quelles leçons du chiraquisme en matière de politique étrangère ? Trois risques d’impasse</h2>
<p>Si la politique étrangère de Jacques Chirac a été jugée vertueuse par la plupart des analystes, elle n’en était pas pour autant exempte de limites, qui se donnent à voir sous la forme de quelques dilemmes.</p>
<p>Le premier dilemme se situe entre le discours et les actes. Trop d’effets d’annonce nuisent à la crédibilité. Le syndrome a surtout frappé d’autres présidences, comme celle de Barack Obama (réflexion sur les armes nucléaires, « reset » avec la Russie, main tendue au monde musulman, engagement des puissances du Sud…), ou même, en France, celle de Nicolas Sarkozy (réforme du capitalisme mondial, Union pour Méditerranée…) ou de François Hollande (deux conférences sans résultats sur la paix au Proche-Orient).</p>
<p>Mais la période chiraquienne a eu aussi ses projets inachevés, depuis le traité d’amitié franco-algérien jusqu’à une nouvelle politique arabe (annoncée à l’université du Caire en 1996) introuvable dans un monde arabe divisé. L’opposition à la guerre américaine en Irak n’a pu donner lieu à aucune solution alternative, ni l’engagement pour le Liban ou la paix au Proche-Orient, à aucune solution française.</p>
<p>Les discours étaient pourtant réussis. Mais la multiplication des discours ambitieux suscite l’évaluation ultérieure des réalisations. Paradoxalement, le discours réussi de politique étrangère peut donc se transformer en piège : c’est le fameux « expectations-capability gap », c’est-à-dire des attentes trop suscitées, qui seront ensuite déçues. Ce n’est certainement pas une raison pour renoncer aux bons discours, qui restent dans les mémoires et contribuent à la lisibilité d’une politique étrangère. Mais cela incite à y insuffler une dose de réalisme supplémentaire.</p>
<p>Cela nous amène directement à un second fossé, relativement lié au premier : celui qui peut se faire jour entre le volontarisme et les moyens. Comme les <a href="https://www.amazon.fr/politique-%C3%A9trang%C3%A8re-Jacques-Chirac/dp/2360131397">études sur cette période</a> l’ont souligné, Jacques Chirac s’est signalé par son volontarisme de politique étrangère – qu’il s’agisse de changer la donne balkanique dès son accession au pouvoir en 1995 (avec la <a href="https://www.lepoint.fr/monde/le-jour-ou-les-casques-bleus-francais-se-sont-rebiffes-22-07-1995-8571_24.php">reprise du pont de Vrbanja</a> par les soldats français), de reprendre les essais nucléaires français dans le Pacifique malgré le moratoire mitterrandien de 1992, de bousculer le jeu proche-oriental à <a href="https://www.ina.fr/video/CAB96053369">Jérusalem-Est</a> ou après les <a href="https://www.cnrseditions.fr/catalogue/relations-internationales/operation-raisins-de-la-colere/">bombardements israéliens de Cana au Liban</a> en 1996.</p>
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<p>Emmanuel Macron ne manque pas non plus de volontarisme, en essayant de rapprocher les protagonistes libyens, de reprendre le dialogue avec Moscou, de déminer le terrain iranien, d’inciter Donald Trump à la modération dans sa guerre commerciale avec Pékin, de dénoncer le traitement amazonien de Bolsonaro, ou dans bien d’autres dossiers. Mais chaque fois, la question posée est celle des moyens.</p>
<p>Avec une tendance toujours à la baisse en argent et en personnels pour le quai d’Orsay (comme le confirme récemment un <a href="https://www.odilejacob.fr/catalogue/sciences-humaines/sciences-politiques/diplomatie-francaise_9782738144836.php">ouvrage bilan sur la question</a>), la question d’une politique étrangère ambitieuse se pose cruellement. Les discours les plus talentueux, les intentions les plus louables, pour utiles qu’ils soient, se heurtent à l’interrogation : « combien de divisions ? » (ou d’argent mis dans la balance). La France de Chirac ne pouvait financer la reconstruction du Liban, celle de Macron ne saurait faire jeu égal avec les moyens américains et chinois.</p>
<p>Enfin, la popularité garantit-elle l’influence ? L’affectif se transforme-t-il en puissance ? Populaire, Jacques Chirac l’était assurément dans plusieurs régions du monde, à commencer par la Méditerranée. Il était fêté dans les rues du Caire après sa position dans la guerre irakienne, ou dans celles de Bab el Oued lors de sa visite en 2001. Affectif, il l’était également, consulté en priorité par plusieurs leaders arabes, intime de Rafic Hariri, de Hassan II au Maroc, ou de Yasser Arafat. Proche ami de beaucoup d’autres. C’était mieux pour le pays qu’un président qui eut été détesté partout, et écouté de personne.</p>
<p>Pour autant, la France n’a pu prendre de grande initiative diplomatique franco-arabe, ni éviter des guerres qu’elle aurait tant voulu éviter. Les mêmes foules qui célébraient l’opposition française à la guerre américaine de 2003 défilaient quelques mois plus tard devant les ambassades de France, pour protester contre la loi sur le voile musulman. Ainsi va l’opinion publique : elle est volatile, et il est difficile de bâtir une politique sur son soutien.</p>
<p>Dans un style fort différent, et qui n’est pas réputé pour être aussi empathique, Emmanuel Macron est lui aussi populaire dans certains cercles à l’étranger, et a su recréer une demande de France. Chez les pro-européens, les démocrates libéraux, les partisans du multilatéralisme éclairé, il incarne un espoir. Il restera à le transformer en biens livrables.</p>
<p>Au final, sans conclure à une similitude entre les politiques étrangères respectives de Jacques Chirac et d’Emmanuel Macron (similitude rendue bien difficile par les changements qui ont affecté le monde ces dernières années), des parallèles intéressants s’imposent. A la fois pour comprendre les continuités et plaider pour certaines ruptures, la comparaison est utile.</p>
<p>Elle permet de déceler un retour à des fondamentaux, qui ne doivent pas pour autant valoir persistance dans certains travers bien ancrés. La disparition de Jacques Chirac va-t-elle inciter son successeur aujourd’hui hôte de l’Elysée, à se rapprocher plus encore d’une recette dont on voit aujourd’hui qu’elle se révèle gagnante au regard de l’histoire, comme de la popularité politique ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/122803/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Frédéric Charillon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Une partie de l’entourage élyséen ne cache pas son admiration pour la diplomatie chiraquienne, notamment pour sa gestion de l’épisode irakien en 2002-2003. Mais le contexte international a changé.Frédéric Charillon, professeur de science politique, Université Clermont Auvergne (UCA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1144042019-03-31T19:12:14Z2019-03-31T19:12:14ZCoup de pompe démocratique : remettre le pouvoir en proportion<blockquote>
<p>« Le véritable bien, c’est la proportion ! » Benjamin Constant.</p>
</blockquote>
<p>Il est loin le temps où Gambetta, fustigeant le scrutin d’arrondissement, déplorait « le miroir brisé où la France aurait peine à retrouver son image » ! Il est près l’instant où la France se détourne de ses représentants faute d’y retrouver la traduction de ses aspirations.</p>
<p>Le rouleau compresseur du scrutin majoritaire assigne les minorités à camper sous les murs de la cité. Faible de sa force même, la majorité embrasse le vide que l’agitation législative peine à combler. Ce n’est pas seulement de croissance qu’on a besoin, mais de confiance retrouvée à l’avenir. Et donc, pour les Français, d’une ambition partagée.</p>
<p>Le mythe du président démiurge a sombré, brisé par trente ans de navigation à vue sur une mer d’embûches. D’abstention en protestation croissante, la sève démocratique abandonne la vie de nos institutions. Le <a href="https://theconversation.com/le-grand-debat-national-et-la-democratie-un-jeu-dangereux-114241">grand débat</a> s’est avéré un nécessaire sinon utile thermomètre des symptômes et des fièvres d’insatisfaction. Il revient, toutefois, aux élus de proposer les moyens de leur dépassement. L’heure n’est plus à ménager la chèvre populiste et le chou démocratique : elle est à la rupture avec les habituels comportements politiciens. Paraphrasant Anacharsis Cloots, il faut lancer :</p>
<blockquote>
<p>« France, guéris-toi de tes partis ! »</p>
</blockquote>
<p>Emmanuel Macron a ouvert le bal en traversant victorieusement la mêlée archaïque. Il lui faut maintenant aller plus loin et retrouver l’esprit de sa campagne, sans se laisser enliser dans un centrisme mou fleurant bon le passé révolu et abandonnant son flanc gauche à ses vieux démons. Certes, comme dit le proverbe, on ne dépouille jamais tout à fait le vieil homme. Mais cela n’interdit pas de créer les conditions d’un réel dépassement.</p>
<h2>Restaurer la proportionnelle pour l’élection des députés</h2>
<p>Nul besoin du tohu-bohu d’une assemblée constituante ni d’une chimérique VI<sup>e</sup> République pour remettre en route le système. Deux mesures, dont l’une des deux n’est même pas d’ordre constitutionnel, y pourvoiront : l’une doit permettre au peuple de réintégrer l’Assemblée nationale ; l’autre, de faire marcher la représentation parlementaire sur ses deux jambes. Nous reviendrons dans un autre article sur la seconde qui implique une nécessaire réforme du Sénat. Pour l’heure, regardons la première.</p>
<p>Il faut d’urgence <a href="https://theconversation.com/la-proportionnelle-derniere-etape-de-la-strategie-demmanuel-macron-79286">restaurer la proportionnelle pour l’élection des députés</a> : il s’agit là d’un préalable si l’on veut retrouver ces millions d’électeurs non représentés aujourd’hui, qui ne trouvent à s’exprimer que dans le vote protestataire ou dans la désertion des urnes. Parallèlement, en coupant les arrières des vieux partis à la dérive, elle permettra d’irriguer la vie politique par l’émergence de nouvelles forces reposant sur des projets plus que sur des personnes.</p>
<p>Dans une période où l’on pointe vivement le <a href="https://theconversation.com/gilets-jaunes-lurgence-democratique-commence-par-le-bas-109598">décalage entre les citoyens et leurs élus</a>, la représentation proportionnelle devrait retenir naturellement l’attention : elle est pratiquée déjà à plusieurs niveaux (européen ; régional, corrigée modérément par la prime majoritaire ; municipal, excessivement corrigée). Chacun lui reconnaît d’approcher au mieux de l’équité la diversité des courants d’opinion, de permettre leur représentation crédible.</p>
<p>Mais voilà qu’on se pince le nez, qu’on tergiverse, qu’on envisage des doses homéopathiques. De quoi aurait donc peur l’auteur du courageux ouvrage <em>Révolution</em> ? C’est que, comme bien d’autres avant lui, il approche la question de la représentation proportionnelle d’une manière tactique et idéologiquement biaisée par l’histoire. Au lieu de la prendre pour ce qu’elle est, c’est-à-dire un simple outil de traduction des suffrages, on l’habille d’un passé sulfureux, tout en lui prêtant des effets dévastateurs ! Et de braquer le regard sur la IV<sup>e</sup> République, relue au travers de la doxa gaulliste, en l’identifiant au régime des partis et à l’impuissance gouvernementale.</p>
<p>Nous avons, <a href="https://theconversation.com/la-guillotine-majoritaire-111380">dans ces mêmes colonnes</a> déjà rendu compte de l’injustice de cette accusation. La faiblesse du système ne tenait pas au mode de scrutin : la proportionnelle n’a, par exemple, aucunement empêché l’émergence-surprise d’un grand nouveau parti, le MRP, lequel réussit en 1946 à passer devant un PCF au mieux de sa forme.</p>
<p>L’une des causes principales, outre la cassure du monde en deux blocs et la décolonisation, en est l’écrasement de l’exécutif réduit à la portion congrue par un compromis constitutionnel déguisant un régime d’Assemblée en régime parlementaire. Les gaullistes ne s’y sont pas trompés, en 1958, en dessinant une figure exactement inversée.</p>
<p>La vérité est que la querelle autour de la proportionnelle est aussi ancienne que la République, et que les jugements positifs ou négatifs sont fonction des circonstances, des intérêts partisans et des positions idéologiques, pas de l’outil lui-même.</p>
<h2>Méandres opportunistes</h2>
<p>D’où ces incroyables méandres qui, à moins de 20 ans d’intervalle font inverser les positions entre la droite et la gauche. À l’aube de la III<sup>e</sup> République, la gauche républicaine se méfie du scrutin majoritaire d’arrondissement et souhaite une vraie représentation de la France :</p>
<blockquote>
<p>« Si la France pouvait rentrer dans cette enceinte, voici ce qui serait l’idéal, la perfection dans l’expression de la manifestation du suffrage universel… » (Gambetta)</p>
</blockquote>
<p>Au début des années 1900, inversion « radicale » : la droite conservatrice s’enthousiasme pour la proportionnelle. Étienne Flandin, alors député, pourfend le scrutin majoritaire :</p>
<blockquote>
<p>« En réduisant les partis à l’alternative “tout ou rien”, on fausse à la fois le suffrage universel et le régime parlementaire. »</p>
</blockquote>
<p>Seule l’extrême gauche, par la bouche de Jaurès lui vient en renfort :</p>
<blockquote>
<p>« Ceux-ci tueront ceux-là, voilà le scrutin majoritaire. Ceux-ci et ceux-là auront leur juste part, voilà le scrutin de liste avec la représentation proportionnelle. »</p>
</blockquote>
<p>Mais en face le camp républicain fait rempart : en novembre 1909, sous l’impulsion de Briand, la chambre des députés rejette en bloc la proposition de loi instituant la proportionnelle dont elle avait pourtant adopté les articles séparés. C’est que l’heure n’est plus à la conquête, elle est à la défense d’une République qu’on estime menacée par le parti clérical :</p>
<blockquote>
<p>« La représentation proportionnelle est un redoutable instrument de division et de destruction ; nous comprenons que les oppositions s’en emparent. Pourquoi s’étonner que résistent à leur entreprise ceux qui croient à la stabilité des majorités et des gouvernements nécessaire à la grandeur de la France ? » (Léon Bourgeois)</p>
</blockquote>
<p>L’argument récurrent est lancé : seul le scrutin majoritaire garantirait la majorité nécessaire à la stabilité.</p>
<p>La suite et la fin de la III<sup>e</sup> République suffiraient à montrer l’inanité de cette affirmation incantatoire : si l’on excepte la Guerre, c’est l’instabilité gouvernementale accélérée qui caractérisera ce régime. D’où le virage en sens inverse de la gauche qui instaure la plénitude de la proportionnelle dès la Libération, marquant ainsi sa volonté de rompre avec les errements antérieurs et les mares stagnantes des arrondissements.</p>
<p>Brutal revirement en 1958 avec la droite, où l’on revient au tout majoritaire, qui devient le sésame électoral unique. Le dispositif est ensuite coulé dans le marbre par le mode de désignation du Président, qui impose le rythme et le sens aux autres scrutins, réduisant les législatives à des postfaces de présidentielle.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/266669/original/file-20190331-70996-pydy5w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/266669/original/file-20190331-70996-pydy5w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/266669/original/file-20190331-70996-pydy5w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/266669/original/file-20190331-70996-pydy5w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/266669/original/file-20190331-70996-pydy5w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/266669/original/file-20190331-70996-pydy5w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/266669/original/file-20190331-70996-pydy5w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">François Mittterrand et son premier ministre, Jacques Chirac, en juin 1986, à La Haye (Pays-Bas).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:EEG-top_in_Den_Haag_vergadering_ministers_van_Buitenlandse_Zaken_vergadering,_Bestanddeelnr_933-6981.jpg">Bart Molendijk/Anefo/Wikimedia</a></span>
</figcaption>
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<p>La gauche, sous la férule d’un enfant de la proportionnelle, se convertit totalement au système. Mitterrand, en habile politicien, y aura toutefois recours en 1986, quand il s’agira d’ouvrir un parachute pour amortir le choc de la défaite attendue et de jeter le Front national dans les roues de la droite. Bref interlude, vite refermé avec le retour au scrutin majoritaire dès 1988, le Président réélu signant la fin de la récréation.</p>
<h2>Confusion entre représentation et décision</h2>
<p>Voilà qui suffit à faire percevoir que, loin d’être une question de fond, la dispute entre le sel de la proportionnelle et le fer majoritaire, est avant tout affaire de convenance empirique. D’autant que si l’on regarde le fond des argumentaires, qui lui ne change pas, on pense à une manière d’interminable querelle des Anciens et des Modernes, tant les inconvénients ou avantages de l’une et l’autre apparaissent parfaitement réversibles.</p>
<p>Car le débat est biaisé. Plus qu’une différence de point de vue, c’est une divergence d’objet qui sépare les deux camps. La critique essentielle contre la proportionnelle viendrait de ce qu’elle ne permettrait pas d’obtenir de majorité de gouvernement. Combes y voit un dispositif « conçu pour ébrécher, émietter, émasculer les majorités », et qui imposerait des coalitions contre-nature. Flandin trouve dans le scrutin majoritaire, un système où la lutte des personnes étouffe celle des idées, exigeant des compromissions et des ententes pour atteindre la majorité, faisant triompher le clientélisme et les « coalitions d’intérêts », au détriment des programmes.</p>
<p>Les partisans du scrutin majoritaire, enjambant la question de la représentativité des élus, ne pensent qu’à la majorité gouvernementale et à la décision politique. Les proportionnalistes s’intéressent d’abord à la désignation des représentants. Ils soupçonnent leurs adversaires de mettre la charrue gouvernementale avant le bœuf électoral.</p>
<p>Flandin note avec pertinence :</p>
<blockquote>
<p>« Sans doute, la logique exige que, dans une assemblée délibérante la majorité décide, mais en matière d’élection, il ne s’agit pas de décision, il s’agit de représentation. Une nation élisant ses députés se donne simplement des représentants. »</p>
</blockquote>
<p>Phrase de bon sens, qui résonne puissamment dans le contexte actuel. A l’heure où les vieux partis s’effondrent, où les <a href="https://theconversation.com/des-elections-sans-electeurs-le-fleau-de-labstention-massive-79708">abstentions augmentent</a> à la mesure des frustrations dans le choix des élus, où les représentants sont l’objet d’une perte de confiance, où la protestation prend la clef des rues, il est urgent d’ouvrir la possibilité d’un choix dégagé des entraves majoritaires du tout ou rien.</p>
<p>L’affaire est d’autant moins risquée que les institutions de la V<sup>e</sup> République garantissent contre les dangers d’instabilité : l’exécutif dispose d’armes nombreuses pour canaliser l’activité parlementaire ; l’élection d’un chef de l’État doté de puissantes prérogatives au suffrage direct donne à l’édifice une cohérence et forme un contrepoids aux éventuels débordements. La voix du Président n’est ni celle de Paul Deschanel, ni celle de René Coty.</p>
<p>En revanche, la renaissance de nouvelles forces et de nouvelles idées viendra heureusement combler le vide séparant les gouvernants et les gouvernés. Il y a 230 ans Mirabeau résumait ainsi le débat :</p>
<blockquote>
<p>« Les assemblées sont pour la nation ce qu’est une carte réduite pour son étendue physique ; soit en partie, soit en grand la copie doit toujours avoir les mêmes proportions que l’original. »</p>
</blockquote><img src="https://counter.theconversation.com/content/114404/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
La querelle autour de la proportionnelle est aussi ancienne que la République : les jugements positifs ou négatifs sont fonction des circonstances, des intérêts partisans et des positions idéologiques.Claude Patriat, Professeur émérite de Science politique Université de Bourgogne, Université de Bourgogne – UBFCLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1114082019-02-10T23:20:49Z2019-02-10T23:20:49ZEmmanuel Macron, retour d’Égypte<p>Emmanuel Macron a, avec son voyage égyptien fin janvier 2019, effectué son plus long déplacement dans un pays de la région depuis son accession à l’Élysée. Il inscrit celui-ci dans un ensemble de stratégies à la fois symbolique, politique et économique cruciales pour les relations diplomatiques françaises au Proche-Orient. Très attendu sur la question des droits de l’homme, la <a href="https://www.nytimes.com/aponline/2019/01/28/world/middleeast/ap-ml-egypt-france.html">presse internationale</a> et nationale a souligné l’attitude volontariste du Président français, malgré une situation toujours aussi préoccupante.</p>
<h2>De Napoléon à Macron, une fascination française</h2>
<p>En se rendant aux temples d’Abou Simbel, Emmanuel Macron a cherché à inscrire sa visite dans l’<a href="https://www.franceculture.fr/emissions/les-nuits-de-france-culture/legypte-une-passion-francaise-racontee-par-robert-sole-0">héritage des relations franco-égyptiennes</a> : celui des expéditions scientifiques et archéologiques de Napoléon Bonaparte à la fin du XVIII<sup>e</sup> siècle, des découvertes de Champollion au début du XIX<sup>e</sup> siècle, mais aussi de l’œuvre des grands égyptologues français du XX<sup>e</sup> siècle, comme <a href="https://www.lemonde.fr/disparitions/article/2011/06/24/christiane-desroches-noblecourt-premiere-femme-egyptologue-est-morte_1540771_3382.html">Christiane Desroches Noblecourt</a> qui participa au sauvetage des monuments de Nubie.</p>
<p>Cette mise en scène convoque des symboles et un imaginaire qui diffèrent avec ceux de ses deux derniers prédécesseurs pour s’inscrire dans la continuité de Jacques Chirac.</p>
<p>Pour sa première visite en Égypte, en avril 1996, Jacques Chirac avait fait le choix de visiter les Pyramides avant de prononcer un célèbre <a href="https://www.liberation.fr/planete/1996/04/09/un-discours-plein-d-ambiguites-en-se-demarquant-des-etats-unis-et-en-evitant-soigneusement-d-encombr_169247">discours à l’Université du Caire</a>, se tournant vers l’avenir en s’adressant à la jeunesse égyptienne.</p>
<p>En décembre 2017, Nicolas Sarkozy avait débuté son <a href="http://www1.rfi.fr/actufr/articles/096/article_60746.asp">séjour égyptien par une visite privée</a>, d’abord à Louxor, puis dans une luxueuse villa de Charm El Cheikh. Quant à François Hollande, il s’était rendu une première fois à l’<a href="http://www.rfi.fr/moyen-orient/20150805-canal-suez-francois-hollande-invite-honneur-inauguration">inauguration du nouveau canal de Suez</a> en août 2015, puis une seconde fois, en avril 2016, il avait visité le <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2016/04/18/francois-hollande-veut-renforcer-les-liens-economiques-entre-paris-et-le-caire_4904334_3210.html">chantier du métro du Caire</a>.</p>
<p>Symboliquement, Emmanuel Macron a choisi de valoriser l’Égypte « éternelle », pour se détourner de l’Égypte « actuelle » controversée. Cette communication avait déjà été utilisée lors de son déplacement en Inde en mars 2018 : il s’était rendu au Taj Mahal pour vanter <a href="https://www.lemonde.fr/emmanuel-macron/article/2018/03/11/emmanuel-macron-au-taj-mahal-une-tres-mediatique-visite-privee_5269295_5008430.html">« la force de l’Inde […] à marier les religions »</a>.</p>
<p>Au Caire, il a aussi cherché à mettre en évidence « l’Égypte de demain », en se rendant avec le Président al-Sissi sur le chantier de la future capitale administrative qui mobilisera de <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/afrique/egypte/les-entreprises-francaises-participeront-a-l-extension-du-metro-du-caire_3168053.html">nombreuses entreprises françaises</a> dans le domaine des transports, de l’énergie et de l’eau.</p>
<h2>La sécurité et « en même temps » les droits de l’homme</h2>
<p>Attendu sur le dossier des droits de l’homme, Emmanuel Macron a composé avec l’exercice imposé de la diplomatie française : allier réalisme et idéalisme.</p>
<p>En <a href="https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2019/01/28/conference-de-presse-conjointe-demmanuel-macron-et-dabdel-fattah-al-sissi-president-de-la-republique-arabe-degypte">conférence de presse</a>, il a réaffirmé la priorité française pour la stabilité du régime égyptien :</p>
<blockquote>
<p>« La sécurité et la prospérité de l’Égypte sont de la plus haute importance stratégique pour la France ».</p>
</blockquote>
<p>L’utilisation du terme « stabilité » à plusieurs reprises, renoue avec le leitmotiv qui a longtemps guidé la politique française dans l’ensemble de la région, avant les Printemps arabes. Le maintien des régimes autoritaires était une condition à la sécurité nationale de la France et de ses intérêts. Cette politique trouvait ses meilleurs alliés auprès des <a href="https://www.middleeasteye.net/fr/opinions/sissi-un-pinochet-arabe-que-la-france-devrait-avoir-honte-daccueillir-61729836">« Pinochet arabes »</a> pour qu’ils contrôlent les débordements de la <a href="http://www.slate.fr/story/33535/-rue-arabe-egypte-tunisie">« rue arabe »</a> et luttent activement contre le terrorisme islamiste.</p>
<p>Cependant, Emmanuel Macron n’a pas été le digne héritier de « l’ancien monde », monde qui prévalait avant les soulèvements des Printemps arabes de 2011. Il a affirmé que sa conception de la stabilité impliquait le développement d’une société libre :</p>
<blockquote>
<p>« La stabilité et la paix durable vont de pair avec l’État de droit et les droits de l’homme. […] Une société civile dynamique et active reste le meilleur rempart contre l’extrémisme. […] Les meilleurs esprits ont besoin de liberté. Ils ont besoin de pouvoir dire pour faire ».</p>
</blockquote>
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<h2>Une situation préoccupante</h2>
<p>Néanmoins, la situation des droits de l’homme en Égypte reste très alarmante. Les disparitions forcées, les exécutions extrajudiciaires et les arrestations d’opposants se sont accentuées <a href="https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2016/07/egypt-hundreds-disappeared-and-tortured-amid-wave-of-brutal-repression/">ces dernières années</a>.</p>
<p>C’est le cas, entre autres, d’Ismaïl Alexandrani, chercheur égyptien en science politique, <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2018/05/24/dix-ans-de-prison-pour-un-chercheur-egyptien-specialiste-du-sinai_5303831_3212.html">condamné à dix années de prison</a> alors qu’il travaillait sur le terrorisme dans le Sinaï. La lumière n’a toujours pas été faite sur l’assassinat du <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/afrique/egypte/egypte-les-autorites-bloquent-lenquete-de-la-justice-italienne-sur-lassassinat-de-letudiant-giulio-regeni-au-caire_3082869.html">jeune chercheur italien Giulio Regeni</a>, il y a trois ans, dont le corps mutilé avait été retrouvé dans un fossé de la périphérie du Caire.</p>
<h2>Des missiles de croisière sur le Nil</h2>
<p>L’archéologie n’est plus la seule spécialité franco-égyptienne. Depuis cinq ans, elle a fait de la vente d’armes <a href="https://www.franceinter.fr/emissions/les-histoires-du-monde/les-histoires-du-monde-04-decembre-2018">sa marque de fabrique</a>. L’homme clé de la continuité des relations avec l’Égypte est Jean‑Yves Le Drian. Sous le précédent quinquennat, il s’est rendu à quatre reprises au Caire pour négocier les différents contrats d’armement. Depuis sa nomination comme ministre des Affaires étrangères, il a voyagé au Caire à trois reprises : en juin 2017, avril 2018 et juin 2018.</p>
<p>Le montant des contrats d’armement passés avec la République égyptienne s’élève à 2 445 millions d’euros en cinq ans : 41 millions en 2013 ; 17 millions en 2014 ; 711 millions en 2015 ; 922 millions en 2016 ; et 754 millions en 2017, selon le centre de recherche suédois <a href="http://armstrade.sipri.org/armstrade/html/export_values.php">SIPRI</a>.</p>
<p>La France est ainsi rapidement devenue le principal fournisseur du régime, devant la Russie et les États-Unis. Paris a équipé Le Caire de 24 Rafale, 2 Mistral et 173 Sherpa (véhicules blindés légers). Ces achats massifs ont permis à l’Égypte de devenir le <a href="https://www.sipri.org/research/armament-and-disarmament/arms-transfers-and-military-spending/international-arms-transfers">troisième plus gros importateur mondial</a> d’armes sur la période, derrière l’Inde et l’Arabie saoudite.</p>
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<p>De nombreuses ONG ont alerté sur l’utilisation d’armes françaises contre les manifestants égyptiens. Amnesty International a <a href="https://www.amnesty.fr/controle-des-armes/actualites/la-france-aborde-enfin-les-droits-humains-en-egypte?utm_medium=reseaux-sociaux&utm_source=twitter">récemment salué</a> la prise de position franche d’Emmanuel Macron, condamnant l’utilisation de véhicules blindés français pour des missions de police.</p>
<p>A cet armement militaire s’ajoute la vente de technologies de sécurité et de surveillance par des entreprises françaises. Ces contrats n’entrent pas dans la réglementation sur les ventes d’armes. <a href="https://www.telerama.fr/monde/amesys-les-tribulations-egyptiennes-d-un-marchand-d-armes-numeriques-francais,160002.php"><em>Télérama</em> révélait ainsi, en 2017</a>, qu’une société française, Amesys, avait vendu ces « armes numériques » au régime – des technologies qui lui auraient permis de contrôler et réprimer les opposants.</p>
<p>Le développement de ces nouvelles technologies et de leurs usages répressifs devrait être un enjeu pour le législateur français dans les prochaines années, afin d’adapter sa réglementation sur le commerce d’armes, comme le réclament plusieurs ONG dans un <a href="https://madeinfrance.fidh.org/data/rapport.pdf">rapport récent</a>.</p>
<h2>À la recherche d’une « politique arabe » introuvable</h2>
<p>Au cours de ses deux jours de visite en Égypte, Emmanuel Macron a essayé de renouer avec l’esprit de la diplomatie chiraquienne. L’Égypte est le symbole d’une « politique arabe » fantasmée autant que révolue. Elle reste perçue comme le <a href="https://groupeavicenne.wordpress.com/2017/04/02/rapport-avicenne-2017-maghreb-moyen-orient-une-priorite-de-politique-etrangere-pour-la-france/">« centre de gravité »</a> de la région.</p>
<p>En étant actif sur la résolution du conflit libyen, dont l’Égypte est un acteur majeur, il cherche à redonner à la France un rôle de médiateur, contrastant avec l’interventionnisme de ses prédécesseurs.</p>
<p>Néanmoins, la diplomatie d’Emmanuel Macron dans le monde arabe manque encore d’une vision globale et cohérente, contrairement à l’image qu’il avait construite lors de sa <a href="https://www.ifri.org/fr/espace-media/lifri-medias/politiques-arabes-de-france">campagne et des premiers mois de sa mandature</a> : celle d’un candidat voulant rompre avec le passé sur la colonisation algérienne et d’un Président s’impliquant personnellement dans la résolution des crises, comme lors de l’éviction du premier ministre libanais Saad Hariri.</p>
<p>À quelques mois des élections européennes, il semble plus que jamais nécessaire, pour la diplomatie française, de replacer la question du partenariat euro-méditerranéen au cœur, pour construire une <a href="https://www.ecfr.eu/publications/summary/alone_in_the_desert_how_france_can_lead_europe_in_the_middle_east">politique européenne ambitieuse</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/111408/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Louis-Simon Boileau is affiliated with la Fondation Jean Jaurès.</span></em></p>À quelques mois des élections européennes, il est nécessaire pour Paris de replacer la question du partenariat euro-méditerranéen pour construire une politique européenne ambitieuse dans la région.Louis-Simon Boileau, Doctorant en relations internationales, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/870492017-11-13T20:14:47Z2017-11-13T20:14:47ZGrand Paris : la confirmation Macron<p>Loin de révolutionner le débat, les <a href="http://www.lagazettedescommunes.com/516383/conference-des-territoires-les-annonces-surprises-demmanuel-macron/">annonces du président de la République concernant la transformation institutionnelle des métropoles et de l’île-de-France</a>, lors de la <a href="http://www.gouvernement.fr/conference-nationale-territoires">Conférences des territoires</a>, en juillet 2017, montrent une dépendance au sentier surprenante pour un Président affichant sa volonté d’échapper au poids des orientations passées.</p>
<p>Recherche de l’attractivité, diminution du mille-feuille administratif et du nombre d’élus, maintien des échelons de solidarité, réduction du nombre de fonctionnaires dans les collectivités territoriales : il s’agit, en effet, d’un ensemble de solutions déjà entendues et en partie engagées par ses prédécesseurs. Dès lors, on peut mettre en lumière la continuité des réformes institutionnelles en île-de-France, et celle des réactions des différents acteurs locaux.</p>
<h2>Levée de boucliers locaux</h2>
<p>Comme sous François Hollande et Nicolas Sarkozy, le nouveau locataire de l’Élysée veut réorganiser le maillage territorial en concentrant les compétences et les financements sur les régions et les métropoles. Macron a annoncé, dès le début de son mandat, la suppression d’un quart des départements d’ici 2022 en souhaitant la fusion d’une vingtaine d’entre eux avec leurs métropoles. Il s’appuie pour cela sur l’<a href="https://www.grandlyon.com/metropole/la-loi-mapam.html">expérience lyonnaise</a>.</p>
<p>L’île-de-France est toujours au centre des attentions puisque le Président préconise la fusion des départements de Paris, de Seine-Saint-Denis, du Val-de-Marne et des Hauts-de-Seine au sein de la métropole du Grand Paris, qu’il juge actuellement trop petite et n’ayant pas assez de compétences.</p>
<p>Or s’il y a bien un pouvoir fort en France, c’est certainement celui des élus locaux par le biais des cumulants. Quasiment toujours opposés aux réformes de leurs institutions, ils se lèvent encore aujourd’hui pour tenter de freiner le mouvement lancé par Emmanuel Macron (LRM), son premier ministre Édouard Philippe – ancien maire du Havre (UMP) –, et son ministre de l’Intérieur – ancien sénateur-maire de Lyon (PS), Gérard Collomb.</p>
<p>Mais contrairement à la <a href="http://www.vie-publique.fr/actualite/panorama/texte-discussion/projet-loi-modernisation-action-publique-territoriale-affirmation-metropoles.html">MAPAM</a> (loi de modernisation de l’action publique et d’affirmation des territoires), ce ne sont pas les départements de gauche qui se montrent les plus réticents. Emmenés par Patrick Devedjian, président (LR) du Conseil général des Hauts-de-Seine, et Pierre Bédier, son homologue (LR) des Yvelines, les cinq CG dominés par la droite (en plus des deux précédents : le Val-d’Oise, Seine-et-Marne et Essonne) prétendent défendre face au Président une métropole régionale. En clair, ils proposent que le Conseil régional, dirigé par Valérie Pécresse (LR), prenne la stature de Mmétropole.</p>
<p>Rappelons que ces mêmes personnalités de la politique francilienne s’étaient auparavant opposés à toute idée de métropole (lorsqu’ils étaient minoritaires en région parisienne) et qu’ils avaient été tentés par une fusion des Yvelines avec les Hauts-de-Seine.</p>
<h2>La peur d’être engloutis</h2>
<p>Pour autant, l’idée d’un Conseil régional de niveau métropolitain ne ravit pas l’ensemble des acteurs locaux et particulièrement les maires qui y voient le risque de se faire engloutir dans une institution de coopération intercommunale de plusieurs centaines de collectivités territoriales, dont la première et la plus imposante serait Paris. La capitale est vingt fois plus peuplée que les grandes communes franciliennes (Versailles, Saint-Denis, Montreuil, Boulogne-Billancourt, Nanterre) et son budget de 8 milliard d’euros est deux fois supérieur à celui du Conseil régional.</p>
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<span class="caption">Projet de réseau du grand Paris Express.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Société du Grand Paris</span></span>
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<p>Atouts de poids dans cette bataille pour Emmanuel Macron, ni Anne Hidalgo (maire de Paris, PS), ni Patrick Ollier (Président de la métropole du Grand Paris, UMP) ne se sont opposés à son plan. Les deux figures fortes de la MGP voient, en effet, dans la suppression des départements un renforcement de leurs prérogatives et une amélioration de la visibilité institutionnelle. Cette volonté n’est pas très éloignée de l’esprit de la MAPAM pensée par Claude Bartolone, l’ancien président (PS) du Conseil général de Seine-Saint-Denis et ancien président de l’Assemblée nationale, et Alexis Bachelay (député PS des Hauts-de-Seine). Tous deux avaient conjointement présenté un projet de métropole du Grand Paris intégrant les CG. De fait, la vision actuelle du Président est pleinement dans la continuité de celle proposée par les tenants de la réforme territoriale sous François Hollande.</p>
<p>D’ailleurs, la MAPAM avait pour objectif profond de renforcer les échelons régionaux et métropolitains dans le but d’améliorer la compétitivité de ces territoires, et donc de l’économie française. En cela, il n’y a aucun changement, ni sous Macron, ni avant, sous Nicolas Sarkozy (UMP).</p>
<h2>Sous Sarkozy, l’idée de région métropolitaine</h2>
<p>L’ancien président de la République, initiateur du Grand Paris dans sa version contemporaine, voulait une métropole parisienne plus à même de se positionner comme une des capitales mondiales. En 2007, il ne propose pas de remodeler la carte administrative, mais par son plan de développement des infrastructures au niveau régional et l’instauration d’un Secrétaire d’État en charge du Développement de la région capitale, il exprime le souhait d’une région métropolitaine.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/194193/original/file-20171110-29320-1lsgcwv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/194193/original/file-20171110-29320-1lsgcwv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=420&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/194193/original/file-20171110-29320-1lsgcwv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=420&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/194193/original/file-20171110-29320-1lsgcwv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=420&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/194193/original/file-20171110-29320-1lsgcwv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=527&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/194193/original/file-20171110-29320-1lsgcwv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=527&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/194193/original/file-20171110-29320-1lsgcwv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=527&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Métropole du Grand Paris.</span>
<span class="attribution"><span class="source">gpmetropole.fr</span></span>
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<p>Sa vision très centralisatrice est à mettre en relation directe avec son parcours : maire de Neuilly-sur-Seine, successeur de Charles Pasqua (RPR) à la présidence du CG des Hauts-de-Seine. Son Secrétaire d’État, Christian Blanc (UDI), est élu dans les Yvelines et il est l’ancien directeur de la RATP.</p>
<p>Mais là encore, le Grand Paris n’est pas une nouveauté, ni dans ses ambitions économiques, ni dans sa conception du territoire. Charles Pasqua, sous la présidence de l’ancien maire de Paris (RPR) Jacques Chirac, avait déjà lancé, en 1995, la région métropolitaine en transférant via la LOADT (Loi d’orientation pour l’aménagement et le développement du territoire) l’élaboration du Schéma directeur de la Région Île-de-France, jusqu’ici apanage de l’État.</p>
<p>La justification est simple : il faut rendre plus lisible l’aménagement en Île-de-France pour relancer la croissance économique du pays. Le gouvernement Jospin (PS) (1997-2002) ne fera rien pour modifier ce transfert. La gauche vient de remporter la région (1998) au nez et à la barbe du duo Balladur-Pasqua, avant de battre Tibéri à Paris en 2001. Dominique Voynet (Les Verts) tansforme la LOADT en LOADDT (Loi d’orientation pour l’aménagement et le développement durable du territoire) sans changer aucun élément de l’organisation francilienne. Elle-même deviendra maire de Montreuil-sous-Bois en 2008.</p>
<h2>Macron dans les pas de… de Gaulle</h2>
<p>La continuité du sentier sur lequel les réformes de la région parisienne se trouvent est encore plus évident en se reportant au récit du Grand Paris que produit Nicolas Sarkozy. Celui-ci, dans la continuité de Charles Pasqua, pense la région parisienne comme un bloc. Il s’agit d’une métropole mondiale dont l’ensemble des parties participent à l’attractivité et à la compétitivité de la région. Les relier entre elles par un réseau de transports lui paraît essentiel.</p>
<p>Il faut renforcer les synergies et les économies d’échelles que crée la proximité des diverses activités franciliennes, tout en organisant le développement de sa périphérie. Le Grand Paris Express, pensé pour relier les nouveaux clusters aux aéroports, à La Défense et au centre de la capitale, doit ordonner la banlieue en fonction des besoins du centre.</p>
<p>Ce système renvoie directement à la vision des années 60 de la région parisienne. Charles de Gaulle en 1958, après avoir pris le pouvoir, entame une réforme de l’organisation territoriale parisienne. Il en émane deux plans contradictoires mais révélateurs du sentier toujours suivi par Emmanuel Macron. Le premier plan est le PADOG (Plan d’aménagement et d’organisation générale) de la région parisienne, validé en 1960. Il prévoit une limitation de l’expansion de Paris en contrôlant le développement et en densifiant les quartiers centraux. L’idée est simple : il faut préserver le caractère dense de la capitale car il est un atout pour son développement économique, tout en décongestionnant le centre. Cela se traduit par une densification des arrondissements extérieurs et des banlieues proches et l’aménagement de grands axes dans ces zones.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/193940/original/file-20171109-27120-h71qs5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/193940/original/file-20171109-27120-h71qs5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=414&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/193940/original/file-20171109-27120-h71qs5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=414&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/193940/original/file-20171109-27120-h71qs5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=414&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/193940/original/file-20171109-27120-h71qs5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=520&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/193940/original/file-20171109-27120-h71qs5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=520&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/193940/original/file-20171109-27120-h71qs5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=520&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">PADOG.</span>
<span class="attribution"><span class="source">PADOG</span></span>
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<p>Peu après, un second plan, le Schéma directeur de l’aménagement et de l’urbanisme (SDAU) vient compléter cette phase en proposant la construction d’infrastructures ferroviaires (le RER) et la création de villes nouvelles. Le RER sera l’infrastructure liant l’ensemble des villes nouvelles entre elles et à Paris. Les clusters du Grand Paris, en définitive, ne feront que reprendre ce schéma.</p>
<h2>Quête de l’attractivité et de la compétitivité</h2>
<p>Pour faire face à la montée en puissance des villes de banlieue dans le département de la Seine, le pari politique était alors de le diviser pour créer les départements que l’on connaît aujourd’hui et ainsi mieux gérer la ceinture rouge. Officiellement, ces trois départements de première couronne devraient être plus en phase avec les dynamiques économiques et urbaines à l’œuvre. Chacun de ces départements pourrait ainsi s’adapter à la conjoncture et favoriser le déploiement de l’activité sur le territoire. La quête de l’attractivité et de la compétitivité est au cœur de cette réforme, comme ce fut le cas après la Première Guerre mondiale avec le déclassement de la fortification. Désengorger le centre, densifier la région, rester une capitale mondiale.</p>
<p>Le terrain a donc été préparé depuis des décennies pour faire émerger une grande métropole parisienne, capable de se battre dans la compétition internationale pour renforcer la position de la France. Emmanuel Macron peut compter sur un effondrement des partis politiques traditionnels dominés par les élus locaux pour parachever une volonté ancienne de voir Paris s’étendre un peu plus. Loin d’être une révolution, il s’agit ici d’une confirmation.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/87049/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alexandre Faure ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Emmanuel Macron veut parachever une volonté ancienne de voir Paris s’étendre un peu plus. Loin d’être une révolution, il s’agit ici d’une confirmation.Alexandre Faure, Doctorant en sciences sociales, École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/810502017-07-15T10:53:21Z2017-07-15T10:53:21ZLa relation franco-américaine : constantes et anicroches<p>La présence de Donald Trump au défilé militaire du 14 juillet 2017 a illustré à merveille un aspect important de la relation entre les deux pays : en dépit des brouilles (fréquentes), le poids de l’Histoire demeure. Le lien franco-américain est d’abord structuré par des tendances lourdes, pas toutes positives. Il est ensuite souvent fragilisé par des querelles plus anecdotiques, mais qu’il faut veiller à ne pas laisser devenir destructrices.</p>
<h2>Les piliers de la relation</h2>
<p>Paris et Washington sont d’abord des alliés historiques dont la coopération militaro-politique est irremplaçable, dont les philosophies politiques sont proches mais avec des nuances importantes, et placés dans une relation économique et commerciale qui peut être féroce.</p>
<p>L’alliance franco-américaine est suffisamment connue pour qu’on ne s’y attarde pas. Les deux pays n’ont jamais été en guerre l’un contre l’autre – tel n’est pas le cas de l’Angleterre, de l’Espagne, de l’Italie ni naturellement de l’Allemagne. La France a joué un rôle majeur dans la naissance des États-Unis face à l’Angleterre, et les États-Unis dans la survie de la France face à l’Allemagne.</p>
<p>C’est d’abord cela qui était célébré ce 14 juillet, centième anniversaire de l’arrivée en renfort des troupes américaines dans la Première Guerre mondiale, tout comme on fête régulièrement le <a href="http://www.ina.fr/video/RCC09004856">débarquement du 6 juin 1944</a> en Normandie, sans lequel…</p>
<p>Aujourd’hui, du Sahel au Proche-Orient, la coopération militaire, politique et de renseignement entre la France et l’Amérique reste primordiale, et le savoir-faire français en Afrique est admiré outre-Atlantique (Mali 2013, Centrafrique la même année, pour ne prendre que deux exemples récents).</p>
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<p>Par ailleurs, autre trait connu : les deux pays sont des puissances démocratiques et libérales, dont Tocqueville a abondamment commenté les différences, mais qui se sont toujours retrouvées face aux autoritarismes, même lorsque les chefs d’État semblaient distants.</p>
<p>Comme le rappelait le général de Gaulle en 1965 dans un <a href="http://fresques.ina.fr/de-gaulle/fiche-media/Gaulle00111/entretien-avec-michel-droit-deuxieme-partie.html">entretien avec Michel Droit</a> :</p>
<blockquote>
<p>« En réalité, qui a été l’allié des Américains, de bout en bout, sinon la France de De Gaulle ? […] Si le malheur devait arriver, et si la liberté du monde était en cause, qui seraient automatiquement les meilleurs alliés, de nature, sinon la France et les États-Unis ? »</p>
</blockquote>
<p>Ce qui n’empêche pas la tradition rousseauiste de l’intérêt général – souvent vue aux États-Unis comme une insupportable contrainte à la liberté individuelle – de faire mauvaise ménage avec la tradition madisonienne de la coexistence d’intérêts particuliers – souvent vue en France comme un insupportable obstacle à l’égalité.</p>
<p>Ces intérêts particuliers, industriels ou autres, ont fait de l’Europe et des États-Unis des concurrents, des rivaux féroces sur le plan commercial ou financier. Au point que c’est sans déplaisir que nombre de décideurs américains verraient bien disparaître des secteurs stratégiques européens pourtant alliés (comme l’aéronautique de défense). Au point que les <a href="https://www.lesechos.fr/29/06/2014/lesechos.fr/0203604047291_les-juges-americains-infligent-une-sanction-historique-a-bnp-paribas.htm">coups bas</a> pour obtenir des parts de marché ou affaiblir des concurrents font fi de l’alliance politique, sous-tendue par une vision de monde commune, démocratique et libérale.</p>
<h2>Pas de meilleur allié de rechange</h2>
<p>L’histoire récente (sous la V<sup>e</sup> République) des bisbilles au sommet entre les deux régimes présidentiels est pour le moins fournie. On peut certes y voir un facteur protocolaire propice au choc des egos : la France et les États-Unis sont représentés par le chef de l’État dans les grands sommets, tandis que les principaux autres alliés sont représentés par un chef de l’exécutif qui n’est « que » premier ministre ou chancelier. Querelle d’étiquette qui peut se trouver accentuée par les caractères ou les sensibilités politiques individuelles : De Gaulle et Johnson, Chirac et Bush Junior, Sarkozy et Obama… On peut y voir, plus profondément, l’obsession française de montrer à son grand Allié qu’elle est « amie, alliée mais pas alignée », selon les mots de Hubert Védrine, ou l’agacement américain face à ce petit partenaire aux moyens réduits mais qui revendique l’égalité souveraine.</p>
<p>Mais les périodes de tension forte ont été, en réalité, pour la plupart générées par des divergences de fond sur les grands dossiers internationaux. A Phnom Penh en 1966, en pleine guerre du Vietnam, le général de Gaulle avertissait les Américains que l’Asie ne se soumettrait pas à leur volonté.</p>
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<p>En 2003, menaçant d’user de son droit de veto aux Nations Unies, Jacques Chirac s’opposait à la guerre américaine en Irak, prévoyant une déstabilisation forte du Proche-Orient, et dénonçant l’ultimatum américain contre Saddam Hussein comme une <a href="http://www.ina.fr/video/2257663001">pratique dangereuse pour les relations internationales</a>. Le même Jacques Chirac s’était opposé, au sein de l’OTAN, aux plans de bombardements américains sur Belgrade lors de la guerre du Kosovo (1999). Entre Emmanuel Macron et Donald Trump, la divergence sur l’importance de la question climatique est aujourd’hui totale, et profonde.</p>
<p>Ces oppositions, que l’on aurait donc tort de réduire à de simples affrontements symboliques entre « people » (la poignée de main Trump-Macron), peuvent nourrir un sentiment profond d’incompatibilité de part et d’autre. Le « French bashing » n’est jamais à exclure aux États-Unis, pas plus que la tentation française pour une tendance révolutionnaro-tiers-mondiste parfois réémergente (l’alliance bolivarienne de Jean‑Luc Mélenchon…), mais surtout pour un rapprochement fort avec Moscou, encore prôné par de nombreux candidats aux élections présidentielles de 2017, notamment par trois des quatre arrivés en tête (Le Pen, Fillon, Mélenchon encore).</p>
<p>Le rappel du passé n’est donc jamais inutile, pas plus que le rappel du constat selon lequel, dans de nombreux domaines, ni les États-Unis ni la France n’ont de meilleur allié de rechange. Ces perspectives l’emportent encore sur les frictions individuelles, ou sur les sujets de divergence pourtant réels. Tel est sans doute le sens de l’invitation de Donald Trump à Paris, qui dépasse de loin sa personne.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/81050/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
La présence de Donald Trump au défilé militaire du 14 juillet a illustré un aspect important de la relation entre les deux pays : en dépit des brouilles (fréquentes), le poids de l’Histoire demeure.Frédéric Charillon, professeur de science politique, Université Clermont Auvergne (UCA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/792332017-06-09T16:07:14Z2017-06-09T16:07:14ZÉlections au Royaume-Uni : le syndrome Chirac, version Theresa May<p>Loin de renforcer l’exception britannique, le scrutin pourrait un peu plus accélérer sa marginalisation amorcée par le Brexit de 2016. À trop vouloir imiter son modèle, Margaret Thatcher, Teresa May – comme David Cameron avant elle – a fini par ressembler à celle du président français Jacques Chirac lors de sa dissolution en 1997, deux ans à peine après son élection.</p>
<h2>Une victoire en trompe l’œil</h2>
<p>Le premier ministre avait convoqué de nouvelles élections générales pour le 8 juin 2017, à peine deux ans après la <a href="http://lemonde.fr/europe/article/2015/05/11/david-cameron-les-ambiguites-d-une-victoire-surprise_4631123_3214.html">précédente victoire conservatrice de David Cameron</a>, pour mieux amplifier la faible majorité du Brexit et accroître son avantage en profitant de la prime au premier qu’offre le scrutin majoritaire à un seul tour. Or, l’<a href="https://www.lesechos.fr/monde/europe/030375204269-legislatives-au-royaume-uni-theresa-may-perdrait-sa-majorite-absolue-2093071.php">écart s’est encore resserré</a> avec le principal parti d’opposition, le Parti travailliste, désormais réduit à 700 000 voix (0,7 %).</p>
<p>À cela s’ajoute aujourd’hui une absence de majorité claire. Même surreprésentés avec 318 sièges, les conservateurs (<em>Tories</em>) perdent la majorité absolue dont ils disposaient auparavant. Le modèle de Westminster montre ici ses limites tant structurelles, par son manque structurel de représentativité démocratique, qu’en terme d’efficacité : cette situation rare d’un <a href="https://www.theguardian.com/politics/audio/2017/jun/09/the-result-hung-parliament-election-daily-podcast?CMP=twt_gu"><em>hung Parliament</em></a> tend en effet à se répéter (2010, 2017), marquant un retour aux majorités incertaines des années 1970 et obligeant les partis britanniques à des compromis de coalition plus propres aux continentaux.</p>
<p>Certes, il s’agit d’une majorité relative et les <em>Tories</em> restent bien le premier parti du Royaume-Uni. On pourrait y voir l’ancrage durable d’idées conservatrices. Cette singularité britannique apparente s’inscrit dans un contexte plus général. L’attitude des électeurs suit en fait une opinion européenne et américaine conservatrice depuis plusieurs années dans un contexte de concurrence globale, de pressions migratoires, de regain nationaliste et de tensions internationales.</p>
<p>L’élection du président américain Donald Trump aura sans doute trouvé plus d’écho au Royaume-Uni. Au passage, d’ailleurs, le parti conservateur récupère une rhétorique hostile aux migrants davantage réservée aux autres populismes et dont la tradition britannique était plus éloignée jusqu’ici. En un sens, ce n’est qu’un vote conservateur de plus dans un monde plus conservateur et on observe une perte de spécificité du modèle britannique au profit d’un alignement sur des standards continentaux. Paradoxal !</p>
<h2>L’écrasement des petits partis</h2>
<p>La tâche de Theresa May a été facilitée par l’absence marquante de partis et de leaders prenant ouvertement la défense des 48 % de <em>Remainers</em>. Le Brexit a été présenté comme une fatalité dont il fallait s’accommoder. La gauche britannique progresse, mais, comme la plupart des gauches européennes, elle a encore du mal à convaincre, plusieurs électeurs ne supportant pas la personnalité plutôt ringarde et eurosceptique de Jeremy Corbyn.</p>
<p>Theresa May peut se consoler, cependant, en constatant l’écrasement des petits partis. Le parti indépendantiste écossais (SNP) perd un tiers de ses voix par rapport à sa performance historique de 2015, avec moins d’un million de voix et une trentaine de députés, faisant les frais d’un réflexe de solidarité nationale. Surtout, l’<a href="http://www.latribune.fr/economie/union-europeenne/royaume-uni-la-revanche-de-corbyn-l-incapable-734906.html">UKIP (<em>UK Independence Party</em>) est humilié</a> avec moins de 600 000 voix, privé de leadership et dépossédé de sa rhétorique anti-migrants, voire de sa raison d’être. Symbole de cette légèreté, son leader véhément donnait une conférence à des investisseurs au moment du scrutin.</p>
<p>Enfin, ces élections confirment que l’écologie n’est définitivement pas une priorité britannique avec un seul député isolé et seulement 1,6 % des suffrages !, qui doit se sentir bien seul dans ce paysage politique dominé par les deux grands partis.</p>
<h2>Un Royaume divisé</h2>
<p>Le mode de scrutin, qui tend à masquer les différences, ne doit pas faire illusion. Dans le détail, cette élection révèle des clivages déjà partiellement apparus lors du Brexit, et en ajoutent d’autres : entre Angleterre et Irlande du Nord d’une part et Écosse et pays de Galles d’autre part ; à l’intérieur de l’Angleterre, entre le sud conservateur et le nord travailliste ; entre métropoles à gauche (Londres, Birmingham, Manchester) et campagne anglaise de droite. En outre, face à l’électorat conservateur vieillissant, les <a href="http://www.latribune.fr/economie/union-europeenne/legislatives-britanniques-jeremy-corbyn-labour-motive-les-jeunes-a-voter-733930.html">jeunes</a> ont été sensibles à l’audacieuse politique universitaire travailliste. Le Royaume-Uni de May est bien divisé, et ces consultations semblent renforcer les clivages.</p>
<p>Alors que May prétend réincarner Thatcher, cette campagne a remis en question les fondements mêmes du thatchérisme. Elle a entretenu plusieurs mythes conservateurs. À l’opposé de l’ouverture des frontières et du libéralisme thatchérien, certains électeurs ont cru encore devoir faire confiance à May pour rétablir des frontières en fait <a href="https://theconversation.com/Brexit-shocking-isnt-it-54877">jamais supprimées</a>, puisque le Royaume-Uni a toujours refusé la communautarisation des frontières depuis Schengen.</p>
<p>Sur le plan économique, les aspects les plus libéraux de Thatcher ont été remis en question. <a href="http://www.telegraph.co.uk/news/2017/05/13/nhs-cyber-attack-everything-need-know-biggest-ransomware-offensive/">Les piratages</a> ont notamment mis en évidence les difficultés du Service national de Santé britannique (NHS). Les attentats à répétition, ajoutés à une hausse de la criminalité, ont aussi pu être facilités par la <a href="https://theconversation.com/fact-check-have-the-conservatives-protected-police-and-counter-terrorism-budgets-78782">réduction des effectifs de police de 20 000 par May</a> alors qu’elle était ministre de l’Intérieur de Cameron depuis 2010. Le mythe de la bonne santé économique a été écorné.</p>
<h2>Un Thatchérisme désincarné</h2>
<p>Bien qu’elles restent encore difficiles à mesurer, les conséquences du Brexit, souvent présentées par ses partisans comme moins dramatiques que prévu dans un discours qui relève de la méthode Coué, se font désormais sentir. La baisse de la valeur de la livre a pu doper artificiellement le tourisme londonien, l’inflation affecte le pouvoir d’achat. Pour la première fois au premier trimestre 2017, la croissance britannique est la plus faible des pays européens.</p>
<p>En matière diplomatique, la politique assumée des conservateurs n’est plus un projet positif construit comme <a href="http://www.cvce.eu/content/publication/2002/9/18/5ef06e79-081e-4eab-8e80-d449f314cae5/publishable_fr.pdf">dans le discours de Bruges</a>, mais une politique continue visant à créer des obstacles et des « difficultés » selon la ligne du <em>hard Brexit</em>. En réalité, le conservatisme a été vidé de son sens et le thatchérisme n’est plus que l’ombre de lui-même.</p>
<p>Ces élections sont également un plébiscite raté pour May. La Dame de fer a du plomb dans l’aile. Elle a été très vivement critiquée à titre personnel comme une personnalité contradictoire, véhémente. Son leadership a été remis en cause, ce qui ne se voit pas nécessairement en l’absence de personnalités conservatrices alternatives. À force de vouloir incarner un Brexit auquel elle ne croyait pas, et à donner dans l’outrance en prétendant remettre en question les <a href="http://www.bbc.com/news/uk-politics-eu-referendum-36128318">droits de l’homme</a> au niveau européen pour masquer ses propres échecs face au terrorisme, elle a fini par faire éclater ses propres contradictions.</p>
<h2>Vers un smart Brexit ?</h2>
<p>Bien que marquées par des enjeux locaux et des questions de personnes, ces élections s’inscrivent dans le contexte du Brexit, qui en est l’<a href="https://theconversation.com/lunion-europeenne-a-lepreuve-du-Brexit-la-voie-indecise-75280">enjeu implicite</a>. Jusqu’ici, depuis le coup de tonnerre de 2016, loin de susciter chez ses voisins un effet domino, le Royaume-Uni a été internationalement isolé. À l’image des 27 leaders européens, les opinions publiques ont montré leur opposition et fait bloc en Autriche, aux Pays-Bas, en France. Le plus étonnant est le sort de la <em>special relationship</em> : Trump s’est montré indifférent. Reste Moscou…</p>
<p>Cet isolement délibéré tombe au pire moment alors que le Royaume-Uni, un bref temps épargné depuis 2005, a été frappé par une <a href="https://theconversation.com/manchester-londres-nulle-part-ou-se-cacher-79039">nouvelle vague terroriste sur son territoire</a>. Or, la police semble avoir ignoré des avertissements de ses collègues européens. Les attentats montrent la nécessité d’un partage des informations. En lieu et place de l’espionnage pratiqué au service des États-Unis, la coopération dans ce domaine semble un minimum.</p>
<p>Cette élection n’inverse pas nécessairement le cours du Brexit, mais affaiblit le Royaume-Uni <a href="https://theconversation.com/michel-barnier-negociateur-du-Brexit-la-juncker-touch-64325">dans ses négociations avec l’Union européenne</a>. Elle ouvre en même la possibilité d’une autre voie à terme, qu’une victoire nette de May aurait fermée. Surtout, elle invite à un Brexit ni <em>hard</em>, ni <em>soft</em>, mais <a href="http://www.slate.fr/story/88487/soft-power-hard-power-smart-power-pouvoir-joseph-nye">pour parodier Joseph Nye</a> <em>smart</em>. Cela dépendra dans une large mesure de la réaction des autres dirigeants européens.</p>
<p>En particulier, l’attitude de la France sera décisive. En effet, ce scrutin présente un enjeu plus franco-britannique que par le passé : c’est un duel sur la nature de l’Union ; mais aussi un duel entre banquiers pour attirer les investisseurs après le Brexit ; surtout, un duel de pouvoir, au moment où Emmanuel Macron pourrait avoir une <a href="https://theconversation.com/quelles-dynamiques-pour-les-elections-legislatives-78569">majorité absolue en France</a>, et être, lui, en mesure d’imposer au Royaume-Uni un <em>hard</em> Brexit européen, bien éloigné de ce qu’espérait Theresa May.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/79233/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Fabrice Serodes ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>À trop vouloir imiter Margaret Thatcher, Theresa May, comme David Cameron, a fini par ressembler à Jacques Chirac lors de sa dissolution en 1997, deux ans à peine après son élection.Fabrice Serodes, Dr./PhD en histoire contemporaine des relations franco-britanniques, professeur invité à l'IEP de Sciences Po Lille (2017), Institut catholique de Lille (ICL)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/773732017-05-08T20:08:55Z2017-05-08T20:08:55ZLongitude 20’17, le Président du jour d’après<blockquote>
<p>« Tu enfanteras dans la douleur » Genèse, 3.16</p>
</blockquote>
<p>Bergson avait opposé le temps à la durée : le temps qui se mesure mathématiquement, la durée qui se ressent affectivement. Qu’elle aura semblé longue cette campagne présidentielle, partie de biais sur des primaires décalées, baignant dans une atmosphère délétère alourdie de boules puantes ou avariées, pétaradant à droite comme à gauche sous l’effet d’explosions en chaîne. Il y a des années qui durent des siècles.</p>
<p>Jacques Chirac disait, au lendemain du 21 avril 2002, n’avoir pas peur de Le Pen, mais avoir peur pour la France. En 2017, à la peur pour la France s’est ajoutée la peur de Le Pen. Entre les deux situations, toute la différence est là, produite par quinze années d’accumulation de colères, d’inquiétudes, d’incertitudes du lendemain, d’apparente incapacité des gouvernants à maîtriser les mutations. Profitant de la crise, et de l’affaiblissement des réflexes de défense d’un système politique à bout de souffle, le <a href="https://theconversation.com/le-front-national-2002-2017-du-vote-de-classe-au-vote-de-classement-77303">FN s’est étendu</a>, puis enraciné dans les profondeurs et le flanc du pays. Le diable s’est habillé en Français moyen. Il s’est banalisé. Pire, il s’est relativisé aux yeux de certains acteurs. La phrase terrible lancée par un <a href="https://theconversation.com/lin-sou-tenable-legerete-de-linsoumis-77133">Mélenchon déçu par le 23 avril</a> donne la profondeur des dégâts : « Le Pen, c’est encore pire que Macron ! » Question de degré, plus de nature.</p>
<p>Le premier acquis de la très belle victoire d’Emmanuel Macron est d’avoir permis, grâce à un vote des citoyens où la raison démocratique l’a emporté sur les sentiments ou ressentiments politiques, de surmonter le mur de la peur. D’avoir incarné, faute de front républicain, une affirmation sans appel des valeurs fondamentales de la République. Il fallait que ce soit sanctionné par un écart sans appel : avec deux suffrages sur trois, cela l’a été, malgré le poids des doutes, des réticences, des demi-ralliements.</p>
<p>Mais sa performance va au-delà et engage un avenir qui, pour être incertain et largement inconnu, n’en sera pas moins irrémédiable. Tournant délibérément le dos à 30 ans de logique de fonctionnement politique, Emmanuel Macron ne peut échapper à son destin d’être le Président du jour d’après, dans un univers substantiellement transformé.</p>
<h2>Si vite, si jeune</h2>
<p>La partie n’était pas gagnée d’avance. Il y a un an elle était même considérée comme injouable. D’avoir su finement anticiper sur des circonstances qui le favoriseront (retrait du Président sortant, implosion du Parti socialiste, éclatement de la Gauche, déchirement des droites), le nouvel élu a fait mentir tous les pronostics. Avec un sens aigu de la temporalité, il a mené un blitzkrieg exceptionnel et pleinement épousé le profond besoin de changement des Français.</p>
<p>Il a su transformer en autant d’atouts des éléments que ses adversaires entendaient utiliser comme flèches critiques : sa jeunesse excessive devient promesse de renouvellement énergique ; son expérience de banquier, garantie de sa compétence à traiter les dossiers économiques ; son passage au gouvernement, la preuve de sa volonté réformatrice ; <a href="https://theconversation.com/apres-lelection-reconcilier-les-francais-avec-le-monde-77307">son attachement indéfectible à l’Europe</a>, la garantie de sa stature internationale. Fort probablement, cette affirmation européenne a joué un rôle central dans sa victoire paradoxale : le même qu’avait rempli, en 1981, l’annonce par Mitterrand qu’il allait abolir la peine de mort.</p>
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<p>Dans un cas comme dans l’autre, aller à contre-courant de la pensée dominante est apparu comme un acte de courage et d’indépendance. De la sorte, Emmanuel Macron est devenu le plus grand dénominateur commun pour ceux qui voyaient avec inquiétude les vieux partis de gouvernement faire comme si rien n’avait changé et s’apprêter à jouer leur trop habituelle partie de saute-mouton avec un FN en embuscade.</p>
<p>Certes la rapidité du combat a privé le nouveau Président de l’atout habituellement rassurant de la familiarité : elle ne lui aura pas laissé le temps d’incruster dans l’imaginaire profond une image précise de lui-même. Seuls les contours de son portrait sont pour l’heure fermement dessinés. On ne perdra pas de vue qu’il a fait en un an ce que Mitterrand a parcouru en 16 ans ou Jacques Chirac en 18 ans. Voilà qui vient surligner l’étrangeté d’une victoire dont les conditions vont peser lourdement sur la suite des évènements.</p>
<h2>Chaos dieu fondateur</h2>
<p>Un regard sur la foisonnante mythologie grecque peut aider à percevoir la profondeur du débat qu’a ouvert la victoire d’Emmanuel Macron.</p>
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<p>« Au commencement du monde était Chaos : tout était là, mais rien n’était en ordre. Le ciel et la terre étaient mêlés, les eaux circulaient en tous sens. Ces eaux mêmes qui n’étaient pas très distinctes du feu. Le Chaos, c’était une situation sans nom. Alors tout était mélangé. » (« L’Odyssée », d’Homère)</p>
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<p>Il faudra attendre l’irruption de Chronos pour introduire l’ordre dans ce magma.</p>
<p>En fracassant le mur commode isolant la droite de la gauche, le candidat d’En Marche ! a provoqué une manière de <em>big-bang</em> politique, entraînant une série d’explosions en chaîne qui ne s’arrêteront pas à l’orée des législatives. Au nez et à la barbe des autres forces politiques qui semblent ne pas avoir pris conscience du séisme, et qui ne voient pas que Saturne a dévoré ses enfants. Emmanuel Macron a réussi spectaculairement à sortir la vie politique de la triangulation mortifère qu’imposait à la droite et à la gauche la présence toujours plus envahissante du FN.</p>
<p>Témoigne de ce chiasme la stratégie des vaincus du premier tour de l’élection présidentielle. Ils ont choisi d’enjamber le deuxième tour de la présidentielle et de mettre le cap sur les législatives, tentant de contourner le piège dans lequel ils s’étaient eux-mêmes enfermés depuis trois décennies. La plupart le feront avec élégance, en appelant à voter Macron. L’un manquera totalement la marche, Mélenchon, aveuglé par les monstres qu’il avait fabriqués de toutes pièces, et emmenant aigrement ses troupes dans une impasse mortifère.</p>
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<p>On nous a fait assister stupéfaits au jeu consistant à mettre la charrue des élections législatives avant le bœuf de la présidentielle. Comment les vieux constitutionnalistes dont nous sommes pourraient-il contempler indifférents ce gigantesque rétropédalage des partis de gouvernement ? Depuis 50 ans, droite comme gauche ont tiré le cheval de la V<sup>e</sup> République derrière la doxa de la majorité présidentielle. Avec la complicité de la droite, et dans la continuité de l’action de Mitterrand, les socialistes sont même allés plus loin : ils ont figé dans le marbre le système en <a href="https://theconversation.com/presidentielle-pourquoi-les-tirs-au-but-devraient-etre-tires-avant-la-prolongation-76299">inversant le calendrier électoral</a> pour rendre improbable toute contradiction à quarante jours d’intervalle.</p>
<p>Or, les voici tous, à contresens de leur histoire et de leurs victoires, prêts à organiser une cohabitation qu’ils ont pourtant constamment crucifiée jusque-là. Visant à vider le vote du 7 mai de toute substance opérationnelle en s’appuyant sur une exégèse aussi artificielle que partiale du scrutin, voire en faisant dire <a href="https://theconversation.com/les-votes-blancs-et-nuls-feront-cette-election-77183">aux abstentionnistes et aux votes blancs</a> ce qu’ils ont refusé de dire, leur tentative se ramène finalement à vouloir rejouer une partie qu’ils ont incontestablement perdue. Et le leader des Insoumis, ironie supplémentaire pour ce partisan d’une urgente VI<sup>e</sup> République, de leur emboîter le pas, en prétendant revenir à la Constitution de 1958 dont il utiliserait les ambivalences parlementaires à son profit.</p>
<p>On peut légitimement penser que la ficelle est trop grosse pour tromper les électeurs qui ont témoigné massivement leur confiance à Emmanuel Macron en lui remettant la charge de défendre la République et de promouvoir le changement. Ses adversaires auraient tort de réitérer l’énorme erreur de Marine Le Pen consistant à sous-estimer sa maîtrise de soi, sa fermeté et sa vision des choses. Mais le vrai danger pour le nouveau Président est ailleurs s’il veut gagner la partie. Qu’il laisse les morts enterrer les morts et qu’il ouvre vraiment la nouvelle voie qu’il a laissée espérer.</p>
<h2>Introuvable intérêt général ?</h2>
<p>Sur cette pyramide de plus de vingt millions de voix, il est venu, il a vu, il a vaincu, mais il n’a pas encore convaincu pleinement. Car, en reflet de sa stratégie complexe, Emmanuel Macron hérite d’une situation éminemment compliquée. Il lui faudra plus qu’une confiance dans l’automaticité des réflexes électoraux pour gagner la guerre.</p>
<p>La société française est profondément divisée, fracturée socialement et géographiquement. Et l’on sait que les lignes de fracture traversent les quatre blocs qui se sont agrégés dans les derniers votes. <a href="https://theconversation.com/presidentielle-la-haine-76914">La violence des échanges</a> de ces derniers mois aura eu au moins le mérite de faire émerger le substrat de la crise culturelle que traverse la France : elle est rongée par la montée d’un individualisme délétère qui enferme, par catégories, les citoyens dans une attitude frileuse de repli et de refus des réformes.</p>
<p>Toute transformation profonde n’est lue qu’au filtre de l’avantage ou de la menace qu’elle présente directement pour l’intérêt particulier de l’individu ou du groupe. Ainsi, on entendra un électeur déclarer au micro de France-Inter : « Je ne voterai pas pour des gens qui ne s’intéressent pas à moi. » Ou l’humoriste Pierre-Emmanuel Barré : « Vous pensiez vraiment que j’allais voter Macron ? Eh bien, non ! Je n’aime pas son programme, je ne vote pas pour lui. » Cette préférence strictement personnelle peut atteindre parfois jusqu’à la haine, comme <a href="http://lemonde.fr/idees/article/2017/05/04/francois-ruffin-lettre-ouverte-a-un-futur-president-deja-hai_5122151_3232.html?xtmc=ruffin&xtcr=2">François Ruffin</a> la criera dans une tribune du <em>Monde</em>.</p>
<p>Rousseau avait parfaitement décrit cette alchimie nécessaire à l’émergence de l’intérêt général lors du débat démocratique. Il écrivait, dans le <em>Contrat social</em> :</p>
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<p>« Il y a bien souvent de la différence entre la volonté de tous et la volonté générale ; celle-ci ne regarde qu’à l’intérêt commun ; l’autre regarde à l’intérêt privé, et n’est qu’une somme de volontés particulières : mais ôtez de ces mêmes volontés les plus et les moins qui s’entredétruisent, reste pour somme des différences la volonté générale. »</p>
</blockquote>
<p>Parfaitement conscient des difficultés de cette confrontation, Rousseau envisageait la nécessité d’apporter des « lumières publiques » au débat, tâche qu’il confiait à un « Législateur ». La situation d’une France où domine, dans de larges secteurs de la société un sentiment de peur et de déréliction, il y a urgence à relancer le sens de la solidarité autour de l’intérêt commun. De tracer la voie à l’accomplissement du troisième terme de la devise, la fraternité. Combat culturel primordial pour retrouver la confiance dans l’action collective. Et donc réussir le rassemblement.</p>
<p>La condition de la réussite réside dans les premières mesures, dans les premiers choix humains. Pour être convaincant, Emmanuel Macron doit maintenant aller jusqu’au bout du projet de rupture avec les vieux comportements politiques. Cela devra transparaître dès la composition de l’équipe gouvernementale et de son chef. Elle devra surprendre. Elle pourra choquer. Mais, sans ce choc, on continuera à lire l’action politique avec des lunettes d’hier. « Il n’y a de long ouvrage, disait Baudelaire, que celui qu’on n’ose pas commencer. Il devient cauchemar. »</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/77373/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Claude Patriat ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Sur cette pyramide de plus de vingt millions de voix, Emmanuel Macron est venu, il a vu, il a vaincu. Mais il n’a pas encore convaincu pleinement.Claude Patriat, Professeur émérite de Science politique, Université de Bourgogne – UBFCLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.