tag:theconversation.com,2011:/ca-fr/topics/occident-56218/articlesOccident – La Conversation2024-02-23T15:52:33Ztag:theconversation.com,2011:article/2241372024-02-23T15:52:33Z2024-02-23T15:52:33ZHéritage d’Alexeï Navalny : ce sont aux Russes de poursuivre son combat, loin des «idéaux» occidentaux<p>La <a href="https://www.ledevoir.com/monde/europe/807355/alexei-navalny-principal-opposant-poutine-est-mort-prison">mort récente d’Alexeï Navalny</a> a suscité des condamnations immédiates de la part des dirigeants du monde entier, le <a href="https://www.forbes.fr/societe/joe-biden-poutine-est-responsable-de-la-mort-dalexei-navalny/">président américain pointant aussitôt Vladimir Poutine du doigt</a>.</p>
<p>On ne peut <a href="https://www.bbc.com/news/world-europe-68318742">affirmer avec certitude</a> que le président russe a fait assassiner Navalny. Mais la mort du dissident <a href="https://www.reuters.com/world/europe/russias-putin-run-again-president-2024-2023-12-08/">avant les élections présidentielles russes</a> de mars a des airs de déjà-vu. Dans le passé, de nombreux détracteurs de Vladimir Poutine sont décédés <a href="https://www.lessentiel.lu/fr/story/plusieurs-deces-suspects-dans-l-entourage-de-poutine-405586624221">dans des circonstances suspectes</a>.</p>
<p>Cependant, des déclarations comme celle de Joe Biden, qui a accusé Vladimir Poutine <a href="https://www.leparisien.fr/international/direct-mort-de-navalny-ses-avocats-en-route-vers-la-prison-poutine-informe-de-son-deces-16-02-2024-MQBOAQRMVVCUXMBVO4KDCFOIRA.php">d’être personnellement responsable</a> de la mort d’Alexeï Navalny, alimentent la propagande du Kremlin.</p>
<h2>« Agent de l’Occident »</h2>
<p>Le président Poutine est parvenu à diviser ceux qui soutiennent Navalny en conjuguant complaisance à leur égard et condamnation du dissident en tant <a href="https://www.reuters.com/world/europe/obituary-alexei-navalny-russian-opposition-politician-putin-nemesis-reported-2024-02-16/">qu’agent de l’Occident</a>.</p>
<p>La passion et l’ampleur de l’indignation occidentale apportent de l’eau à son moulin. La possibilité que <a href="https://www.youtube.com/watch?v=wx3vHdFRvMo">Yulia Navalnaya</a>, veuve du dissident et d’autres réformateurs puissent provoquer des changements en Russie pourrait être compromise si leur cause est associée à l’Occident.</p>
<p>La popularité de Navalny en Russie va au-delà des positions démocratiques et <a href="https://acf.international/ru">anticorruption</a> qui lui ont valu d’êtr e <a href="https://www.nytimes.com/2022/04/24/movies/navalny-review.html">admiré en Occident</a>. Pour les Russes, il était avant tout un <a href="https://news.yahoo.com/alexei-navalny-russian-opposition-leader-122409296.html">nationaliste</a>.</p>
<p>Il représentait une menace pour Poutine parce qu’il <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/1060586X.2013.872453">inspirait les nationalistes</a>, un mouvement politique russe qui a déjà été critique à l’égard du président.</p>
<p>Vladimir Poutine est assurément un dirigeant autoritaire qui dispose de <a href="https://www.pbs.org/wgbh/frontline/article/russia-putin-press-freedom-independent-news/">pouvoirs extrajudiciaires</a> considérables. Mais il a toujours eu besoin du soutien des citoyens russes. Depuis plus d’une décennie les <a href="https://imrussia.org/en/analysis/3265-putin%E2%80%99s-dangerous-flirting-with-nationalism">nationalistes russes</a> lui permettent un règne d’une durée exceptionnelle.</p>
<p>Les troubles politiques des années 1990 et du début des années 2000 ont conduit de nombreux Russes à s’interroger sur leur place dans le monde. La Russie est passée d’une des superpuissances mondiales à une position que certains Russes percevaient comme leur valant d’être <a href="https://foreignpolicy.com/2022/03/03/putin-ukraine-russia-nato-kosovo/">ignorés ou dénigrés</a> pas les États-Unis.</p>
<h2>Successeur de Boris Eltsine</h2>
<p>En tant que successeur du premier président de la Russie, Boris Eltsine, Poutine a <a href="https://www.irishtimes.com/news/yeltsin-immunity-suggests-a-deal-done-with-putin-1.230365">hérité d’une position politique</a> quelque part entre les communistes, qui prônaient un retour à une nation du même type que l’Union soviétique, et les nationalistes, qui cherchaient à redonner à la Russie son statut de grande puissance.</p>
<p>Cet exercice d’équilibrisme a été évident dès le début du premier mandat de Poutine. Les nationalistes russes ont crié au scandale parce que les puissances occidentales ont mené des guerres pour préserver les droits de la personne dans divers pays, alors que les Russes des États postsoviétiques ont été négligés.</p>
<p>Vladimir Poutine, qui ne devait rien aux nationalistes à ce stade, a même <a href="https://www.lepoint.fr/monde/le-jour-ou-poutine-voulait-integrer-l-otan-24-11-2021-2453563_24.php#11">envisagé d’adhérer à l’OTAN</a>, bastion de l’Occident.</p>
<p>Les États-Unis <a href="https://www.pbs.org/newshour/politics/stone-interviews-putin-says-asked-russia-joining-nato">n’ont pas considéré sérieusement</a> la suggestion de Poutine. Par conséquent, et comme <a href="https://www.dw.com/en/russia-us-clash-over-russian-election-protests/a-15589210">ce dernier avait l’impression</a> que les Américains soutenaient ses adversaires politiques, il a cherché à cultiver une autre source de stabilité en se tournant vers les nationalistes russes.</p>
<p>Le <a href="https://carnegieendowment.org/politika/88451">sentiment anti-occidental</a> est une composante essentielle de l’idéologie de certains nationalistes russes. Aujourd’hui, Poutine adhère pleinement à cette vision. Sa crainte de voir les nationalistes remettre en cause sa position intérieure a d’ailleurs <a href="https://doi.org/10.5612/slavicreview.75.3.0702">alimenté ses manœuvres</a> en Ukraine au cours de la dernière décennie.</p>
<p>Vladimir Poutine ne pouvait se désengager de la région ukrainienne du Donbas — à majorité russophone — sans risquer de perdre le soutien des nationalistes russes. C’est un des facteurs qui l’a poussé à <a href="https://www.cnn.com/2022/09/13/europe/ukraine-advance-russia-war-analysis-intl-hnk-ml/index.html">envahir l’Ukraine</a> en février 2022.</p>
<h2>L’attrait de Navalny</h2>
<p>D’abord <a href="https://www.newyorker.com/news/our-columnists/the-evolution-of-alexey-navalnys-nationalism">très à droite</a> sur l’échiquier politique, <a href="https://www.aljazeera.com/news/2024/2/16/obit-navalny-putins-archenemy-and-anti-corruption-champion">Navalny est devenu plus modéré</a> au fil du temps. Néanmoins, sa vision de la Russie ne correspondait pas toujours aux idéaux occidentaux.</p>
<p>Ainsi, Navalny considérait que la Crimée <a href="https://www.themoscowtimes.com/2014/10/16/navalny-wouldnt-return-crimea-considers-immigration-bigger-issue-than-ukraine-a40477">ne devait pas être automatiquement restituée</a> à l’Ukraine après son annexion à la Russie en 2014. Cette position est cohérente avec les arguments nationalistes selon lesquels la <a href="https://www.usatoday.com/story/news/world/2014/03/18/crimea-ukraine-putin-russia/6564263/">Crimée fait partie de la Russie</a>. En outre, si les opinions de Navalny sur l’immigration ont évolué, elles sont restées <a href="https://www.aljazeera.com/news/2021/2/25/navalny-has-the-kremlin-foe-moved-on-from-his-nationalist-past">teintées de populisme</a>.</p>
<p>Navalny était tout à fait conscient qu’il pouvait séduire le peuple russe et représenter un danger pour Vladimir Poutine. En 2020, il a été transporté à Berlin pour y recevoir un traitement médical après avoir été empoisonné au <a href="https://www.themoscowtimes.com/2020/10/06/watchdog-says-novichok-type-nerve-agent-found-in-navalny-samples-a71674">Novitchok</a>. Il convient de noter que cet agent neurotoxique a été <a href="https://www.forbes.fr/politique/l-empoisonnement-la-strategie-russe-pour-faire-taire-les-opposants-de-vladimir-poutine/">fréquemment utilisé contre des dissidents russes</a>.</p>
<p>Avant de retourner en Russie pour continuer à défier Vladimir Poutine, Navalny a publié une vidéo au cas où il mourrait en détention.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1758477103962468366"}"></div></p>
<p>Voici ce qu’il y disait au peuple russe :</p>
<blockquote>
<p>S’ils décident de me tuer, cela signifie que nous sommes extrêmement puissants. Nous devons faire usage de ce pouvoir et nous souvenir que nous sommes une immense force qui est oppressée par de mauvaises personnes. Nous n’avons pas conscience de la force que nous possédons. </p>
</blockquote>
<h2>Nuire à l’héritage d’Alexeï Navalny</h2>
<p>En défendant Navalny, l’Occident risque d’amoindrir son héritage en tant que héros du peuple russe en raison du <a href="https://www.globalpolicyjournal.com/blog/22/09/2022/russian-anti-western-intellectualism">sentiment anti-occidental qui prévaut en Russie</a>.</p>
<p>Pendant des années, Vladimir Poutine a <a href="https://www.cnn.com/2024/02/17/europe/putin-navalny-existential-threat-analysis-intl/index.html">refusé de prononcer</a> le nom de Navalny. Ses partisans et son gouvernement n’ont toutefois pas été aussi circonspects. Le Kremlin est même allé jusqu’à accuser celui-ci d’être un <a href="https://www.reuters.com/article/idUSKBN26M4JA/">agent de la CIA</a>.</p>
<p>Les leaders mondiaux qui ont exprimé le plus d’indignation après le décès de Navalny sont occidentaux. Parmi eux figurent Joe Biden, le <a href="https://www.leparisien.fr/international/mort-de-navalny-macron-accuse-la-russie-de-condamner-a-mort-les-esprits-libres-16-02-2024-TGGHVJHPYFHS3OQXHBYUKFJTDQ.php">président français Emmanuel Macron</a> et le <a href="https://www.lesechos.fr/monde/europe/mort-de-navalny-loccident-accuse-poutine-2077009">premier ministre britannique Rishi Sunak</a>.</p>
<p>Le contraste entre leurs déclarations et celles du président brésilien <a href="https://www.msn.com/en-us/news/world/brazil-s-lula-says-navalny-s-death-should-be-probed-before-accusations/ar-BB1isWRR">Luiz Inácio Lula da Silva</a> et des <a href="https://www.msn.com/en-us/news/world/china-s-state-media-repeat-russian-talking-points-after-navalny-s-death/ar-BB1iwbko">médias d’État chinois</a> est saisissant. Ni l’un ni les autres n’ont condamné Poutine pour la mort de Navalny.</p>
<p>Que leur non-positionnement soit bien fondé ou non, ces dirigeants ont aidé le Kremlin à associer davantage <a href="https://www.tasnimnews.com/en/news/2024/02/19/3041870/kremlin-calls-western-politicians-statements-on-navalny-s-death-boorish">Navalny à l’Occident</a>.</p>
<p>Alexeï Navalny a fait preuve d’un grand courage dans ses convictions en revenant en Russie, tout en sachant qu’il allait très certainement être victime de <a href="https://www.lapresse.ca/international/europe/2024-02-18/mort-d-alexei-navalny/pourquoi-est-il-revenu.php">répression et d’emprisonnement</a>.</p>
<p>Ce sont des personnes comme son épouse, Yulia Navalnaya, et non les dirigeants occidentaux, qui sont les mieux placées pour poursuivre le combat pour l’avenir de la Russie. Mais pour que cela soit possible, il faut que la cause de Navalny ne soit pas perçue par les nationalistes russes comme étant ancrée dans les idéaux occidentaux.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/224137/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Les successeurs de Navalny sont les mieux placés pour poursuivre le combat pour la Russie. Mais ils ne réussiront que si la cause de Navalny n’est pas perçue comme ancrée dans les idéaux occidentaux.James Horncastle, Assistant Professor and Edward and Emily McWhinney Professor in International Relations, Simon Fraser UniversityJack Adam MacLennan, Associate Professor of International Relations and National Security Studies and Graduate Program Director for National Security Studies, Park UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2102232023-09-05T17:03:58Z2023-09-05T17:03:58ZDeux siècles de Grand Jeu géopolitique pour les grandes puissances<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/541949/original/file-20230809-23-a4bief.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=3%2C7%2C1189%2C790&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">«&nbsp;The Last Stand&nbsp;», de William Barnes Wollen (1898), dépeint Le 44<sup>e</sup> régiment d’infanterie britannique attaqué par les Afghans lors de la bataille de Gandamak, en Afghanistan, en 1842.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/f/f2/The_Last_Stand%2C_by_William_Barnes_Wollen_%281898%29.jpg/1200px-The_Last_Stand%2C_by_William_Barnes_Wollen_%281898%29.jpg">Getty - DeAgostini</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p><em>L’expression « Grand Jeu », popularisée par Rudyard Kipling, désignait au XIX<sup>e</sup> siècle la rivalité coloniale et diplomatique qui mettait aux prises, au Caucase et en Asie centrale, l’Angleterre victorienne et la Russie tsariste – avec, au centre de l’échiquier, l’Afghanistan, « cimetière des empires ». Cette notion est encore souvent employée de nos jours pour décrire les complexes manœuvres auxquelles se livrent, dans cette même région, les puissances actuelles – qu’il s’agisse de la Russie désormais poutinienne, de la Chine ou encore des États-Unis.</em></p>
<p><em>Dans son nouvel ouvrage, <a href="https://www.nouveau-monde.net/catalogue/sur-lechiquier-du-grand-jeu/">« Sur l’Échiquier du Grand Jeu »</a>, qui paraît aux Éditions Nouveau Monde ce 6 septembre, et dont nous vous présentons ici un extrait, Taline Ter Minassian, professeure d’histoire de la Russie et du Caucase à l’Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO), retrace deux cents ans de cette partie géopolitique aux règles et aux limites sans cesse fluctuantes.</em></p>
<hr>
<p>« Quand tout le monde est mort, le Grand Jeu est terminé. Pas avant. Écoute-moi jusqu’à la fin… » Le lecteur de <em>Kim</em>, le roman de Kipling, aura compris que l’histoire du Grand Jeu, commandée par une fatalité géopolitique implacable, n’a pas de fin. Tout comme la guerre froide, le Grand Jeu se nourrit d’espaces de confrontations réels, mais aussi de référents symboliques porteurs de mythes et</p>
<p>de mythologies.</p>
<p>Le Grand Jeu, qui fut initié au début du XIX<sup>e</sup> siècle par l’immense problème de la défense de l’Inde britannique « le plus loin possible et avec le moins de moyens possible », s’est perpétuellement modifié depuis lors, déplaçant le champ des tensions sur un échiquier toujours plus vaste entre des joueurs plus nombreux. Deux siècles de voyages intrépides, de sombres intrigues nouées dans le bazar de Tabriz ou de Boukhara, d’embuscades et de hauts faits dans les rocailles du Waziristan ont abouti à des centaines de milliers de morts au cours de cinq guerres successives en Afghanistan, perdues par la Grande Bretagne, l’URSS et les États-Unis.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1632984553257160714"}"></div></p>
<p>Pour échapper au vertige du décompte des morts, on est tenté de se réfugier dans le temps de l’innocence qui fut aussi celui de l’ignorance. On songe à William Moorcroft et à ses dix mille pages d’archives dormant dans les fonds de l’India Office, couvertes d’une écriture fiévreuse chamboulée par le balancement cadencé de sa monture, yak ou chameau. Ce détail émouvant contient toute la puissance d’évocation du Grand Jeu. En 1974, dans un village des fins fonds de l’Hindou Kouch, Garry Alder a rencontré un beau vieillard aux traits classiques dont le père se souvenait avoir entendu dire qu’un certain petit docteur anglais passant par là avait rendu la vue à des aveugles. Dans ces vallées reculées où il pratiquait, on s’en souvient, l’opération de la cataracte, Moorcroft était tout simplement devenu un dieu.</p>
<p>L’histoire du nouveau Grand Jeu depuis les années 1990 pourrait être le sujet d’un livre entier. Depuis la chute de l’Union soviétique, le terme s’est répandu au point de devenir banal, dans un océan de références, d’articles et d’expertises diverses à propos des tensions et des enjeux politiques et économiques de l’Asie centrale et du Caucase du Sud. Une fois encore, la notion a suscité une certaine réserve dans le milieu académique anglo-saxon, les tensions géopolitiques actuelles ayant été jugées au cours des années 2000 d’une nature très différente, notamment au plan économique, de celles du Grand Jeu classique.</p>
<p>Un autre argument avancé serait l’absence manifeste d’un dessein occidental affiché face à l’atavisme impérialiste de la Russie ou de la Chine. D’où le doute.</p>
<p>Le nouveau Grand Jeu existe-t-il seulement ? Formule simplement séduisante, label destiné aux gros titres, le nouveau Grand Jeu ne serait pas un concept « dur » rigoureusement élaboré. Selon ses détracteurs, il ne serait que l’analogie fautive du Grand Jeu classique (dont l’existence au passage est ainsi admise) et le produit d’une sur-interprétation romantique d’une époque révolue. Or le Grand Jeu, ancien comme nouveau, est essentiellement une métaphore performative des tensions géopolitiques et non une grille de lecture des relations internationales au sens strict.</p>
<p>Elle implique souvent, comme on l’a vu, la capacité d’initiative d’agents isolés qui s’aventurent vers le cœur de l’échiquier. « La Grande Bretagne recommence le Grand Jeu », titrait en 2020 une revue russe de stratégie à propos de la nomination du nouveau patron du MI6, Richard Moore. Suggérant le rôle que la Grande-Bretagne aurait pu jouer auprès de la Turquie lors du déclenchement de la seconde guerre du Karabagh (27 septembre-10 novembre 2020), l’article s’attarde sur le profil de ce diplomate diplômé de l’Université d’Oxford, parlant couramment le turc et réputé proche de Recep Tayyip Erdoğan.</p>
<blockquote>
<p>« L’impression grandit que “l’Anglaise” a lancé un nouveau Grand Jeu qui ne se limitera pas au Caucase […]. La géographie des questions qui ont été discutées lors de la visite de Moore à Ankara reflète de manière assez significative les plans grandioses de l’alliance anglo-turque. Et nous n’avons pas encore mentionné l’Ukraine dont le président, après avoir rencontré le même Moore, s’est rendu auprès d’Erdoğan et en Asie centrale. »</p>
</blockquote>
<p>D’empoisonnements en disparitions mystérieuses d’oligarques ou d’anciennes taupes, en opérations de cyberguerre et en piratage divers, sans parler des expertises publiques des services secrets britanniques à propos des fiascos militaires russes en Ukraine, les exemples de la guerre anglo-russe des services secrets ont abondé au cours des deux dernières décennies en Europe comme sur le territoire du Grand Jeu.</p>
<p>Sur le terrain, les tensions géopolitiques ont été récurrentes jusqu’à atteindre le point d’incandescence du 24 février 2022, jour du lancement de « l’opération militaire spéciale » en Ukraine. Si les frictions se manifestent sur l’échiquier classique, elles débordent de beaucoup de celui-ci, sur un arc de confrontation courant de l’Ukraine au Caucase, opposant désormais la Russie à l’« Occident collectif ».</p>
<p>Depuis 2008, la Russie a mené ou est intervenue dans plusieurs guerres : Géorgie (7-16 août 2008), Syrie (30 septembre 2015), conclusion d’un cessez-le-feu au Haut-Karabagh (10 novembre 2020) se soldant par l’envoi d’une force de maintien de la paix et, depuis le 24 février 2022, l’intervention militaire massive, menée simultanément sur six fronts, en Ukraine.</p>
<p>Le constat s’impose : depuis 2008, « l’arc des crises », notion héritée du fameux Rimland des théoriciens de la géopolitique, s’est transformé, à l’issue d’une implacable montée en tensions, en un « arc de confrontation » directe avec l’OTAN et le camp occidental. Si l’on admet l’existence d’un nouveau Grand Jeu, son champ géographique s’est considérablement élargi, de l’Asie centrale, soit des « Balkans de l’Eurasie » selon la célèbre formule de Zbigniew Brzezinski, jusqu’aux rives ukrainiennes de la mer Noire. Mais une constante s’impose : l’effondrement de l’URSS a laissé dans le voisinage de la Fédération de Russie une vacuité où se sont engouffrés les jeux d’influences politiques, économiques, de hard et soft power.</p>
<p>Comme au début du XIX<sup>e</sup> siècle, l’Asie centrale est devenue, au début du XXI<sup>e</sup> siècle, le « ventre mou » de la Russie. Réalité ou métaphore, le nouveau Grand Jeu se déploie sur une multitude de théâtres. Citons pêle-mêle la guerre des tubes d’un « Pipelinistan » étendu de l’Asie centrale au Caucase jusqu’à la Baltique. L’enquête sur le sabotage le 26 septembre 2022 des gazoducs Nord-Stream 1 et 2 n’a abouti à aucune conclusion probante sur la responsabilité de la Russie, selon le Washington Post. De son côté, le porte-parole du Kremlin Dmitri Peskov ne s’est pas privé de mettre en cause les services secrets britanniques en déclarant que « nos services de renseignement disposent de preuves suggérant que l’attaque a été dirigée et coordonnée par des spécialistes militaires britanniques ».</p>
<p>De « nouvelles routes de la soie » dans le cadre de la Belt and Road Initiative (BRI) jusqu’au projet de corridor économique entre la Chine et le Pakistan (CPEC), de Gwadar à Kachgar à travers le massif himalayen, la Chine est devenue la puissance montante sur l’échiquier du nouveau Grand Jeu, suscitant, côté russe, le fameux « pivot vers l’Est ». Le tournant russe vers l’Asie est en effet une politique de diversification économique et diplomatique en direction de la Chine. Préconisée de longue date par Moscou, cette bascule devrait permettre à la Russie de profiter du dynamisme de l’économie chinoise tout en coupant les ponts avec l’Europe, dans le contexte des sanctions consécutives à la guerre menée par la Russie en Ukraine.</p>
<p>Conservées au Texas, les archives de George Crile montrent qu’à la veille de sa mort, il travaillait à un nouveau projet de livre, la suite de <em>My Enemy’s Enemy</em> (ou Charlie Wilson’s War). Bombardements américains en Afghanistan et au Soudan, talibans au Pakistan et en Afghanistan, Ben Laden, Charlie Wilson, Gust Avrakotos, Milt Bearden… les titres des dossiers de travail sont très évocateurs du projet que George Crile était sur le point d’entreprendre.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/538753/original/file-20230721-19-urxwwk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/538753/original/file-20230721-19-urxwwk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/538753/original/file-20230721-19-urxwwk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=964&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/538753/original/file-20230721-19-urxwwk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=964&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/538753/original/file-20230721-19-urxwwk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=964&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/538753/original/file-20230721-19-urxwwk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1212&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/538753/original/file-20230721-19-urxwwk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1212&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/538753/original/file-20230721-19-urxwwk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1212&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Ce texte est issu du livre « Sur l’Échiquier du Grand Jeu », de Taline Ter Minassian.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>« Comme dans Charlie Wilson’s War, on y trouvera le récit de faits jusqu’ici non documentés, révélant des lieux exotiques et improbables et une histoire secrète qui a conduit aux défis auxquels nous sommes confrontés aujourd’hui. […] Il permettra au lecteur de saisir les mystères profondément troublants qui entourent la confrontation toujours plus dangereuse de l’Amérique avec l’Islam », écrit-il dans ses notes préparatoires. Les années qui suivirent les attentats du 11 Septembre livrèrent en effet le spectacle dégrisant des séquelles de l’alliance désastreuse de la CIA et du djihad en Afghanistan.</p>
<p>La traque puis l’assaut héliporté du complexe fortifié d’Oussama Ben Laden à Abbottabad au Pakistan le 2 mai 2011, suivi en direct par Barack Obama et ses conseillers depuis la Maison Blanche, fut une réussite spectaculaire sans lendemains. La ville d’Abbottabad où Ben Laden avait trouvé refuge est située sur l’une des « nouvelles routes de la soie ».</p>
<p>Elle est désormais desservie par l’autoroute Hazara construite par les Chinois, dont les six voies serpentent entre les montagnes au nord d’Islamabad. Le projet de corridor économique entre la Chine et le Pakistan (CPEC) est présenté au Pakistan comme « l’événement qui change la donne » (game changer) dans le nouveau Grand Jeu. Les images de la chute annoncée de Kaboul et du retrait chaotique des Américains le 30 août 2021, au terme de la plus longue guerre jamais engagée par les États-Unis, ont fait le tour du monde. Et le monde déplora l’abandon de l’Afghanistan, retombé aux mains des talibans. Kaboul désertée par les ambassades occidentales est depuis lors investie par la « diplomatie silencieuse » et singulièrement pragmatique du Kremlin. Une nouvelle partie du nouveau Grand Jeu a d’ores et déjà commencé.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/210223/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Taline Ter Minassian ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Du Caucase aux confins de la Chine, en passant par l’Asie centrale, les grandes puissances internationales se livrent depuis près de deux siècles un « Grand Jeu » sans cesse renouvelé.Taline Ter Minassian, Historienne, professeure des universités. Directrice de l'Observatoire des États post-soviétiques (équipe CREE), Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1832422022-05-30T18:40:43Z2022-05-30T18:40:43ZComment les Européens se sont… européanisés<p>La vie politique française récente a été marquée par des tensions renouvelées autour du thème européen. Le président-candidat Emmanuel Macron s’est posé en hérault et en leader de l’Union européenne (UE), en jouant à la fois de la continuité de son engagement sur le sujet et de la fenêtre d’opportunité communicationnelle offerte par la présidence française du Conseil de l’UE. Ses opposants ont exprimé à grand bruit des visions contrastées des fins et modalités de l’intégration, sans aller pour autant jusqu’à agiter la menace d’une rupture conduisant à un « Frexit ». La dramatisation rhétorique de l’enjeu n’a pas suffi à en faire un paramètre décisif du choix des électeurs et des coalitions partisanes.</p>
<p>Ces ambivalences françaises sur l’Europe ne sont ni nouvelles ni si singulières. Les Français sont <a href="https://institutdelors.eu/publications/les-francais-et-leurope-entre-defiance-et-ambivalence/">parmi les plus critiques</a> des peuples européens envers une UE jugée inefficace et distante sans que cela remette en cause leur <a href="https://legrandcontinent.eu/fr/2022/01/18/10-points-sur-lopinion-geopolitique-en-france-avant-la-presidentielle/">soutien</a> à son existence et à son renforcement. Cette adhésion diffuse et sélective à l’intégration se retrouve dans les autres États membres.</p>
<p>Une <a href="https://www.researchgate.net/publication/360564978_Standing_for_Europe_Citizens%E2%80%99_perceptions_of_European_symbols_as_evidence_of_a_banal_Europeanism">étude</a> publiée dans la revue <em>Nations and Nationalisms</em> offre un éclairage inédit en la matière à partir d’un sondage réalisé sur un échantillon représentatif de la population dans huit pays. L’enquête analyse la perception de l’UE à travers ses symboles. L’intérêt d’une telle approche par les symboles est d’observer plus concrètement comment les individus se réfèrent à l’Europe dans leurs expériences du quotidien. À titre d’exemple, le drapeau européen est largement connu et visible dans l’espace public ; il s’inscrit dans différents contextes qui motivent une grande variété d’interprétations ; enfin, il constitue un objet tangible qu’on peut brandir, brûler, dessiner ou reproduire digitalement sur Internet ou les réseaux sociaux.</p>
<p>Les résultats de la recherche suggèrent l’existence d’un « européanisme banal », qui fait écho au <a href="https://pul.uclouvain.be/book/?GCOI=29303100812440">« nationalisme banal »</a> défini par les sociologues comme une identification non passionnée, ordinaire et profane à la nation et renforcée par l’immersion quotidienne et inconsciente dans une culture, une langue et un univers symbolique communs.</p>
<p>L’« européanisme banal » demeure certes de basse intensité pour l’écrasante majorité de la population. Il ne s’appuie pas sur les mêmes processus de socialisation à la nation actifs dès l’enfance – de la famille à l’école en passant par les médias – pour forger les loyautés politiques des individus. Il reste dépendent du contexte et des variables socio-économiques (les niveaux d’éducation, de revenu et d’internationalisation demeurant discriminants). Pour autant, les réponses des citoyens interrogés donnent à voir une accoutumance aux symboles de l’UE dont la présence est routinisée dans leur sphère d’expérience. L’exemple de l’euro est à cet égard le plus flagrant.</p>
<p>Il en résulte une normalisation de ces symboles européens au sens où ils ne suscitent ni ardeur ni remise en cause particulières. L’UE en tant que niveau de pouvoir est prise comme un donné, davantage encore lorsqu’elle emprunte les emblèmes familiers qui sont ceux d’un État (drapeau, monnaie, à un degré moindre hymne et devise) que lorsqu’elle se donne à voir à travers des rôles politiques atypiques (le « président du Conseil européen ») ou des lieux de pouvoir perçus comme étrangers (les « capitales européennes » Bruxelles et Strasbourg constituant les symboles les moins positifs).</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/Vf2rkMJpXzw?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">La série <em>Parlement</em> (France TV) illustre particulièrement bien les situations parfois kafkaïennes du parlement européen.</span></figcaption>
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<p>Ce constat contredit les mises en garde contre l’affichage d’un « super-État » européen qui concurrencerait les États nationaux en leur ressemblant trop et susciterait la défiance des citoyens.</p>
<h2>Une conflictualisation de l’enjeu européen réduite aux élites ?</h2>
<p>La relative indifférenciation par en bas des symboles européens contraste avec leur politisation périodique par en haut, lorsqu’ils deviennent objets de polémique électorale. Cela questionne la représentativité sociale des luttes discursives entre élites à propos par exemple de la <a href="https://www.euractiv.fr/section/politique/opinion/le-drapeau-europeen-sous-larc-de-triomphe-ou-lactualisation-du-lien-entre-nation-et-europe/">présence du drapeau européen sous l’Arc de Triomphe</a> le 31 décembre 2021. Parler d’« européanisme banal » ne revient pas à nier la conflictualisation de l’enjeu européen, qui s’inscrit dans celle des identités en général.</p>
<p>L’acceptation, souvent passive et par défaut, de l’arrière-plan européen ne postule pas qu’il fait consensus, mais qu’il est entériné comme l’une des arènes – et parfois l’un des enjeux – du dissensus. Ce détour par les symboles rejoint le constat des autolimitations que s’imposent les forces politiques les plus critiques de l’intégration européenne, de l’extrême droite à l’extrême-gauche et la thèse de son <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-europeenne-2019-2-page-56.htm?ref=doi">incorporation et de son instrumentalisation</a> dans les programmes et stratégies de chaque parti.</p>
<p>Ainsi lors de l’élection présidentielle française en 2022, la revendication d’une sortie explicite de l’UE ou de l’euro a été remplacée par l’annonce d’une désobéissance ou d’une modification interne aux règles européennes. Tout se passe comme si les contempteurs les plus acharnés de l’Europe n’étaient eux-mêmes pas exempts d’une forme d’« européanisme banal », même s’ils continuent à frapper d’anathème ses emblèmes… ou à se les <a href="https://www.rtl.fr/actu/politique/gilets-jaunes-marine-le-pen-inverse-les-couleurs-du-drapeau-europeen-7796125951">réapproprier</a>, ce qui marque une forme de reconnaissance.</p>
<h2>Prudence et instrumentalisation</h2>
<p>Au final, l’étude des perceptions de l’UE au prisme de ses symboles interroge la pertinence tant d’une prudence (ils ne sont pas si fragiles) que d’une instrumentalisation (ils ne sont pas si puissants) excessives dans les usages de ces derniers.</p>
<p>En termes politiques, l’existence d’un « européanisme banal » n’est pas synonyme d’un consensus permissif donnant latitude aux élites de poursuivre une intégration supranationale en marge des circuits de la démocratie représentative. Les citoyens ayant adopté l’usage de l’euro n’acceptent pas nécessairement la politique d’austérité qui l’accompagne. L’adhésion aux symboles d’une Europe sans frontière n’exclut pas la dénonciation des effets prêtés à cette dernière en termes de migrations ou de concurrence déloyale des travailleurs détachés sur le marché du travail.</p>
<p>La politique nationale est l’objet d’une féroce compétition pour en définir les finalités et les modalités sans pour autant que son contenant (la nation) soit – sauf exceptions – mis en cause.</p>
<p>De même, la politique européenne semble aujourd’hui suffisamment enracinée pour être redevable du débat démocratique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/183242/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>François Foret a reçu des financements du FNRS</span></em></p>Une enquête récente analyse la perception de l’UE à travers ses symboles et les résultats suggèrent l’existence d’un « européanisme banal ».François Foret, Professeur de science politique, Université Libre de Bruxelles (ULB)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1821992022-05-02T14:58:21Z2022-05-02T14:58:21ZLa théorie critique de la race (critical race theory) et le féminisme ne prennent pas le contrôle de nos universités<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/460809/original/file-20220502-14-in1z5w.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=26%2C8%2C5964%2C3979&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le représentant américain Robert Johnson, D-Natchez, au centre, et d'autres membres de la Chambre expriment leurs objections à l'interdiction de l'enseignement de la théorie critique de la race (Critical Race Theory) au Mississippi en mars.</span> <span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Rogelio V. Solis)</span></span></figcaption></figure><p>Les commentateurs de la droite se plaignent d’un <a href="https://www.foxnews.com/us/critical-race-theory-database-colleges-universities">prétendu essor</a> des théories critiques de la race (<em>critical race theory</em>) et féministes dans les collèges et les universités.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/460624/original/file-20220430-18-yjpjbu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/460624/original/file-20220430-18-yjpjbu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/460624/original/file-20220430-18-yjpjbu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/460624/original/file-20220430-18-yjpjbu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/460624/original/file-20220430-18-yjpjbu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/460624/original/file-20220430-18-yjpjbu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/460624/original/file-20220430-18-yjpjbu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/460624/original/file-20220430-18-yjpjbu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Le 3 mai, l’auteure Maïka Sondarjee discutera, dans le cadre d’un événement en direct organisé conjointement par The Conversation/La Conversation et le Conseil de recherches en sciences humaines, de ses recherches sur comment intégrer les études sur le genre et la race en classe.</span>
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<p>En Hongrie, le gouvernement est allé jusqu’à <a href="https://www.lemonde.fr/europe/article/2018/09/19/en-hongrie-les-etudes-de-genre-dans-le-collimateur-de-viktor-orban_5357227_3214.html">interdire les maîtrises en études de genre</a>. Leur raisonnement : il faut éviter la propagation d’idées sur la construction sociale du genre.</p>
<p>Aux États-Unis, des législateurs républicains se sont lancés <a href="https://www.ledevoir.com/monde/etats-unis/638307/etats-unis-ressac-autour-de-la-theorie-critique-de-la-race-aux-etats-unis">dans une guerre</a> contre l’enseignement de la théorie critique de la race dans les écoles primaires et secondaires, craignant un endoctrinement des enfants avant même qu’ils n’entrent dans les établissements d’enseignement supérieur.</p>
<p>Nombreux sont ceux qui pensent que les universités dépensent trop d’argent pour <a href="https://www.foxnews.com/us/critical-race-theory-database-colleges-universities">« insuffler »</a> des approches critiques de la race ou féministes dans les programmes, ce qui risque de perturber ces derniers et d’engendrer des divisions. Est-ce vraiment le cas ? Les études critiques de la race et féministes sont-elles en train de prendre d’assaut nos salles de classe et nos universités ?</p>
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<img alt="Des manifestants tiennent des pancartes" src="https://images.theconversation.com/files/447059/original/file-20220217-27-88r8o8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C4006%2C2446&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/447059/original/file-20220217-27-88r8o8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=425&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/447059/original/file-20220217-27-88r8o8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=425&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/447059/original/file-20220217-27-88r8o8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=425&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/447059/original/file-20220217-27-88r8o8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=534&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/447059/original/file-20220217-27-88r8o8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=534&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/447059/original/file-20220217-27-88r8o8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=534&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Des personnes protestent contre l’enseignement de la théorie critique de la race devant le département de l’éducation publique du Nouveau-Mexique, à Albuquerque.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Cedar Attanasio)</span></span>
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</figure>
<p>Mon expérience personnelle, ainsi que mes recherches, suggèrent le contraire. Lorsque j’étais étudiante aux cycles supérieurs en relations internationales (RI) de 2011 à 2020, les approches de genre étaient à peine abordées, ou étaient réservées à une seule semaine de l’année. Depuis, j’ai suivi ou donné 10 cours de relations internationales dans trois universités canadiennes, en français et en anglais. Dans tous ces cours, j’ai observé une tendance à la marginalisation des visions non occidentales et non masculines de la politique mondiale.</p>
<p>Pour évaluer et explorer le décalage entre l’appréhension du public de voir ces théories envahir nos salles de classe et mon expérience personnelle, j’ai analysé le contenu de 50 plans de cours de relations internationales en Amérique du Nord et en Europe.</p>
<p>Ce que <a href="https://doi.org/10.1093/isp/ekab009">j’y ai trouvé a confirmé mon expérience :</a> les études sur la race et le genre sont réduites au silence ou marginalisées dans les cours d’introduction aux relations internationales offerts en Occident.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1491728695677145092"}"></div></p>
<h2>Une semaine rose</h2>
<p>Plus de la moitié des professeurs de relations internationales des pays occidentaux n’abordent tout simplement pas la question du genre, du féminisme ou des femmes. Seuls trois pour cent des lectures obligatoires et facultatives traitent d’enjeux de genre ou féministes dans le monde.</p>
<p>À titre d’exemple, un cours consacrait quatre semaines à la mondialisation, sans aborder le <a href="https://www.ilo.org/global/topics/care-economy/lang--en/index.htm">travail dans le domaine des soins</a> ou la <a href="https://pmpress.org/index.php?l=product_detail&p=1086">division du travail selon les sexes à l’échelle mondiale</a>. Un autre consacrait sept semaines à diverses guerres régionales et mondiales, sans mentionner les <a href="https://doi.org/10.1177/03058298880170030801">définitions féministes de la sécurité</a>, les <a href="https://books.google.com.co/books/about/Gender_War_and_Militarism.html?id=om3yy1JoS34C&redir_esc=y">impacts sexospécifiques de la militarisation</a>, l’influence de la <a href="https://www.routledge.com/Masculinity-and-New-War-The-gendered-dynamics-of-contemporary-armed-conflict/Duriesmith/p/book/9780367221492">masculinité sur la guerre</a>, la <a href="https://wappp.hks.harvard.edu/publications/mothers-monsters-whores-womens-violence-global-politics">violence genrée</a> ou l’incidence du <a href="https://doi.org/10.1080/21647259.2016.1192242">genre sur la consolidation de la paix</a>.</p>
<p>Sur les 23 programmes d’études qui mentionnent le genre, 78 % (18 sur 23) adoptent le principe de la semaine unique. Ce cloisonnement condense la recherche sur le genre à une maigre semaine, la sacro-sainte « semaine de la femme ». Dans l’esprit des étudiants, cela réduit le genre à un cadre sectoriel facile à écarter. En bref, soit vous vous intéressez à la guerre, soit vous vous intéressez au genre – les deux ne peuvent pas cohabiter.</p>
<h2>Il n’est question ni de race ni de colonialisme</h2>
<p>Les relations internationales ont également été critiquées pour leur <a href="https://foreignpolicy.com/2020/07/03/why-is-mainstream-international-relations-ir-blind-to-racism-colonialism/">« aveuglement face au racisme »</a>. L’ethnocentrisme du domaine des relations internationales <a href="https://doi.org/10.1111/isqu.12171">a été dénoncé</a>, <a href="https://www.routledge.com/International-Relations-from-the-Global-South-Worlds-of-Difference/Tickner-Smith/p/book/9781138799103">encore</a>, <a href="https://doi.org/10.1080/01436597.2016.1153416">encore</a> et <a href="https://edisciplinas.usp.br/pluginfile.php/364801/mod_resource/content/1/waever_1998.pdf">encore</a>.</p>
<p>Mes recherches confirment qu’on mentionne rarement les études sur la race – seulement dans sept plans de cours (14 %). Quant au postcolonialisme, il n’en est question que dans 17 plans de cours (34 %). À titre de comparaison, le libéralisme apparaît dans 38 plans de cours (76 %).</p>
<p>Les listes des événements historiques qu’on présente sont également dominées par le monde occidental. Ainsi, la guerre froide est citée comme événement important dans 25 plans de cours, mais les processus de colonisation ne le sont que dans trois et l’esclavage dans un seul.</p>
<p>Siphamandla Zondi, professeur de relations internationales à l’université de Johannesburg, note que le fait de décrire un domaine comme « international » est une <a href="https://doi.org/10.1080/02589346.2018.1418202">« mascarade »</a>. On prétend que les cours de relations internationales traitent de tout le monde, mais en fait, on y parle principalement des pays occidentaux et de leurs citoyens blancs (ignorant les populations racisées ou autochtones).</p>
<p>En effet, les universitaires des pays du Sud sont marginalisés dans les <a href="https://doi.org/10.1093/isp/ekz006">listes de lecture</a>, les <a href="https://doi.org/10.1093/isr/viz062">manuels</a> et la <a href="https://doi.org/10.1177/0305829819872817">recherche</a>, et même dans les <a href="https://doi.org/10.1332/251510818X15272520831157">revues féministes</a>.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="22 drapeaux représentant principalement des pays occidentaux flottent devant un ciel bleu" src="https://images.theconversation.com/files/447072/original/file-20220217-27-1pgq1ke.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/447072/original/file-20220217-27-1pgq1ke.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/447072/original/file-20220217-27-1pgq1ke.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/447072/original/file-20220217-27-1pgq1ke.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/447072/original/file-20220217-27-1pgq1ke.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/447072/original/file-20220217-27-1pgq1ke.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/447072/original/file-20220217-27-1pgq1ke.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">En général, les cours de relations internationales se concentrent uniquement sur les pays occidentaux et leurs citoyens blancs.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span>
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<h2>Une histoire plus complexe, moins masculine et moins occidentale</h2>
<p>Le <a href="https://twitter.com/asherblackdeer/status/1438549432044302336">manque d’inclusion</a> des femmes et des auteurs du Sud dans les listes de référence n’est pas seulement un problème de représentation, mais cela fait en sorte que ce sont toujours les points de vue masculins et occidentaux qui sont perpétués dans notre enseignement.</p>
<p>Ainsi, l’<a href="https://www.britannica.com/event/World-War-II/Forces-and-resources-of-the-European-combatants-1939">histoire de la Seconde Guerre mondiale</a> aborde généralement l’Axe et les Alliés, l’évolution des armements, l’impérialisme allemand en Europe et le soutien militaire des États-Unis et du Canada.</p>
<p>Pour une histoire plus complexe – moins masculine et occidentale –, on devrait ajouter que cette <a href="https://www.nationalww2museum.org/war/articles/gender-home-front">guerre a changé le visage des sociétés occidentales</a>, car les femmes ont remplacé sur le marché du travail les hommes partis à la guerre et n’ont pas voulu le quitter à leur retour. On mentionnerait également les guerres par procuration ainsi que les hommes et les femmes du Sud qui ont combattu aux côtés des Européens dans des batailles à l’étranger.</p>
<p>Un récit occidental du développement international commence typiquement en 1947, avec le président américain <a href="https://www.trumanlibrary.gov/education/lesson-plans/conflicting-views-point-iv">Harry Truman, qui mentionne pour la première fois</a> les pays « sous-développés ». On y parle de la création d’organisations d’aide occidentales comme la Banque mondiale.</p>
<p>Une approche plus <a href="https://ecosociete.org/livres/perdre-le-sud">internationale</a> élargirait le champ d’investigation et pourrait commencer par l’appropriation des richesses et des connaissances du Sud par les colonisateurs européens, la destruction des modes de vie des peuples autochtones et le traitement violent des populations africaines qui a contribué à l’enrichissement continu des capitalistes de Grande-Bretagne et des États-Unis. Cela permettrait de lier le concept de développement aux inégalités Nord/Sud, et pas seulement à l’aide occidentale aux pays du Sud.</p>
<h2>Un changement qui s’opère lentement</h2>
<p>On peut observer un signe encourageant de changement dans les conférences et les publications universitaires. De 2000 à 2010, les présentations sur le genre dans le cadre de la conférence annuelle de l’International Studies Association (ISA) ont connu une hausse de <a href="https://www.routledge.com/Feminism-and-International-Relations-Conversations-about-the-Past-Present/Tickner-Sjoberg/p/book/9780415584609">400 %</a>.</p>
<p>Il semble toutefois que les organisateurs de conférences tombent dans le même piège que les professeurs de relations internationales en enfermant les présentateurs dans la catégorie du féminisme. Sur plus de 320 communications qui traitent d’enjeux féministes, queer et de genre présentées à la conférence de l’ISA en 2021, seules 71 ont fait partie de panels qui n’étaient pas dédiés au genre.</p>
<p>On peut inviter des chercheurs qui s’intéressent au genre à participer à un groupe de discussion sur la sécurité en lien avec le genre, mais pas à un groupe plus général sur la sécurité.</p>
<p>Enseigner (ou ne pas enseigner) les questions liées à la race ou au genre influence la manière dont on décrit le monde aux universitaires et aux dirigeants de demain. En retour, cela aura une incidence sur les politiques et les recherches auxquelles on donnera la priorité.</p>
<p>Malheureusement, une chose est sûre : ces concepts ne sont pas encore intégrés dans les salles de classe des pays occidentaux. Et ils ne sont assurément pas en train de prendre d’assaut les universités.</p>
<hr>
<p><em>Note de la rédaction : Ce reportage fait partie d’une série qui comprend également des entretiens en direct avec certains des meilleurs universitaires canadiens en sciences sociales et humaines. <a href="https://www.meetview.ca/sshrc20220503/?language_set_set_id=15">Cliquez ici pour vous inscrire à cet événement gratuit</a> coparrainé par The Conversation/La Conversation et le Conseil de recherches en sciences humaines.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/182199/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Maïka Sondarjee a reçu des financements du Conseil de recherches en sciences humaines.</span></em></p>Une analyse des programmes d’études en relations internationales montre que les études sur la race et le genre sont à peine mentionnées.Maïka Sondarjee, Professeure adjointe, International Development and Global Studies, L’Université d’Ottawa/University of OttawaLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1797762022-03-24T18:41:33Z2022-03-24T18:41:33ZLe conflit russo-ukrainien est aussi une question de regard sur les sexualités<p>La « Lettre du dimanche » du 12 mars dernier publiée par <em>Le Grand Continent</em>, revue éditée par le Groupe d’études géopolitiques, association indépendante domiciliée à l’École normale supérieure et reconnue d’intérêt général, commençait entre autres par ceci :</p>
<blockquote>
<p>« À l’issue de la messe du dimanche de la Saint-Jean, le 6 mars dernier, le patriarche Kirill a prononcé un sermon justifiant l’invasion militaire de l’Ukraine – toujours euphémisée et réduite à des opérations d’aide aux pro-Russes du Donbass – et endossant l’argumentaire négationniste de Poutine sur l’Ukraine. Mais le chef de l’Église orthodoxe de Russie va plus loin. Dans une rhétorique aussi fleurie en anathèmes qu’un retable de l’Apocalypse, il dénonce une guerre des civilisations, et fait notamment de l’homosexualité l’emblème du vice démocratique qui voudrait corrompre la nation russe. La “parade de la gay pride” serait à ses yeux le test suprême que l’Occident ferait passer aux sociétés pour les soumettre à son esprit de décadence. Face à ce péril, la Russie resterait la garante des valeurs traditionnelles, qu’elle contribue implicitement à maintenir en venant en aide à la population ukrainienne, pour laquelle, Carême oblige, il faudrait demander “pardon” au Seigneur ».</p>
</blockquote>
<p>L’attention portée au discours du patriarche Kirill est essentielle. Il y a bien quelque chose de « vertigineux » dans la prise de position du chef de l’Église orthodoxe. Pour en mesurer les enjeux et faire de cette prise de position une force pour notre compréhension des choses et pour aider à sortir de la crise, il est indispensable de ne pas s’en tenir à notre indignation. Il faut déplacer le problème.</p>
<h2>« Valeurs traditionnelles »</h2>
<p>L’intégration officielle des homosexualités, et plus largement la reconnaissance des mouvements LGBTQIA+ dans les débats publics prennent leurs racines dans les féminismes et les études de genre, dont l’origine est indéniablement occidentale, et en particulier américaine. Il est donc aisé, si l’on veut observer à grands traits, d’imputer l’ensemble de ces mouvements à l’« Occident ».</p>
<p>On peut dire que ce qui y est en jeu est la notion essentielle de liberté. Qu’il faille y voir une corruption provocatrice et destructrice de l’« Occident » à l’égard de ce que l’« Occident » n’est pas est autre chose. La difficulté est que des propos comme ceux du patriarche Kirill trouvent un écho positif chez des populations qui ne sont pas convaincues de la revendication de liberté que nous connaissons de ce côté-ci du conflit russo-ukrainien.</p>
<p>La difficulté s’accroît lorsque l’on constate que tout le monde n’est pas totalement convaincu, en « Occident » même, de la pertinence de toutes les revendications LGBTQIA+. Le problème, tel qu’il est posé par le patriarche Kirill si l’on en croit la <em>Lettre du dimanche</em>, est celui de la conservation des « valeurs traditionnelles ». Sous ces termes, qui sont en passe de ne plus rien vouloir dire de quelque côté que ce soit du conflit russo-ukrainien, se signale un enjeu humain fondamental. On peut le présenter sommairement de la manière suivante.</p>
<p>Aussi lents soient ses progrès, l’évolution de la culture « occidentale » a quelque chose de majoritairement « féminin », en ce sens qu’elle est de toute évidence une culture de la libération. Libération des femmes, libération des genres, libération des humains eu égard à tout donné naturel – « essentiel » au sens de la philosophie classique – qui serait censé borner le vouloir. On veut pouvoir tout vouloir, par définition sans limite.</p>
<p>La notion de libération appartient prioritairement au champ du « féminin ». Si l’on part du principe simple que le féminin est à l’origine la certitude de pouvoir faire ce que le féminin fait – porter un enfant –, alors le féminin est d’abord continuité du vivant donné. À partir de là, puisque l’on désire ce que l’on n’est pas et n’a pas, le féminin est ouverture à l’inconnu, au non-donné. Il est dynamique de libération par rapport au donné initial. Et la réciproque est vraie. Le masculin est de facto discontinuité d’avec la matrice maternelle – féminine –, et donc désir de recouvrer continuité, identité ou un « sol » ferme et stable.</p>
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<em>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/sexualites-un-regard-philosophique-le-feminin-et-le-masculin-cles-de-comprehension-du-monde-161126">« Sexualités, un regard philosophique » : le féminin et le masculin, clés de compréhension du monde</a>
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<hr>
<p>« Féminin » et « masculin » ne sont pas superposables à « femmes » et « hommes ». Ils constituent deux manières d’être au monde irréductibles, qui contribuent à circonscrire le domaine de la « fin de l’Histoire » dont il a été question dans un précédent article. La « fin de l’Histoire » concerne bien l’avènement de l’idée et, partout où cela se présente, de la réalité de l’État de droit. Mais l’aventure humaine continue, en particulier du fait que nous sommes toutes et tous faits de deux manières d’être au monde irréductibles, qui dépendent totalement l’une de l’autre et s’entrelacent sans cesse, de façon plus ou moins heureuse selon les cas et circonstances.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1504969987903172611"}"></div></p>
<p>De l’« autre » côté, qu’artificiellement le patriarche Kirill institue comme étant le « bon », le côté russe, l’on défend des « valeurs traditionnelles », par exemple l’importance accordée au fait « naturel » de l’existence de deux sexes initiaux constitutifs des êtres humains.</p>
<p>Si l’« Occident » tel qu’entendu ici est bien « féminin » dans son évolution, il s’opposerait alors à une posture « masculine » devenant archaïque, s’adossant à – si ce n’est s’arc-boutant sur – l’existence de deux sexes, à l’origine de la possibilité des humains. Dans un tel horizon, les homosexualités représentent les comportements déviants reprochés par le patriarche Kirill.</p>
<h2>Du plus petit au plus grand</h2>
<p>Il est évident que, dans le contexte de la guerre offensive faite à l’Ukraine par la Russie, aussi justifiée sur le plan géopolitique soit cette guerre aux yeux des Russes, le « masculin » dont il s’agit est dévoyé, car instrumentalisé dans le cadre d’un conflit frontal avec son autre – avec un « féminin » jugé corrompu et corrupteur.</p>
<p>Dans ce qui est ici en jeu, nous ne sommes cependant pas confrontés à un simple conflit entre « Orient » et « Occident », dont la question des sexualités ne serait qu’un instrument. Se joue dans ce conflit, d’une façon aussi dévoyée soit-elle, une tension entre deux manières d’être au monde constitutives de tous les humains, à quoi s’adossent les conflits, les extrémismes, les radicalisations de tous ordres, et ceci depuis bien longtemps, comme nous le montrions dans <em>Terrorisme et féminisme, Le masculin en question</em> (Éditions de l’Aube, 2016).</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/5gcXSsV5vN8?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Terrorisme et féminisme, le masculin en question (TV5 Monde, 2016).</span></figcaption>
</figure>
<p>Et ceci se joue indépendamment des sexes biologiques de chacune et chacun, et donc par-delà femmes et hommes. Il s’agit d’une « tension » au sens de la « tension artérielle » entre féminin et masculin considérés comme deux manières d’être au monde dont le monde entier est habité.</p>
<p>Deux observations pour finir.</p>
<p>Même si nous nous reproduisons grâce aux sciences et aux techniques, en pouvant désormais si nous le voulons nous passer de relations hétérosexuelles, nous sommes toutes et tous issus de deux types de gamètes, des gamètes mâles et des gamètes femelles. Ce qui veut dire que nous portons toutes et tous en nous et féminin (gamètes femelles) et masculin (gamètes mâles).</p>
<p>S’il y a donc quelque chose comme du « féminin » et du « masculin » qui nous constitue toutes et tous, cela se joue au niveau le plus petit – chaque individu quel que soit son sexe –, et au niveau le plus grand, à l’échelle de conflits comme celui auquel nous sommes malheureusement confrontés.</p>
<p>Que soient invoqués des enjeux comme ceux des mouvements LGBTQIA+ dans le cadre de conflits susceptibles de mettre en danger l’existence de l’humanité entière signale que l’enjeu des sexualités que nous effleurons ici est tout sauf secondaire. Et loin de seulement s’indigner, l’on doit toutes et tous, si l’on veut y comprendre quelque chose et si l’on veut contribuer à l’apaisement, se demander ce qui, de part et d’autre de la situation, à la fois s’y joue et y est dévoyé. Pour creuser la question, on pourra se rapporter à la <em>Phénoménologie des sexualités, la modernité et la question du sens</em>, publiée en janvier 2021 chez L’Harmattan.</p>
<p>Si nous voulons contribuer un tant soit peu à l’apaisement au cœur de la crise, nous devons impérativement continuer d’identifier ce qui de la mondialisation fait sens et inversement. Et les relations entre les sexualités jouent sur la question un rôle déterminant.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/179776/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Laurent Bibard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le chef de l’Église orthodoxe a soutenu le conflit en Ukraine, invoquant une guerre des civilisations et faisant de l’homosexualité l’emblème du vice démocratique qui veut corrompre la nation russe.Laurent Bibard, Professeur en management, titulaire de la chaire Edgar Morin de la complexité, ESSEC Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1782352022-03-11T14:15:40Z2022-03-11T14:15:40ZLes sanctions économiques contre la Russie, c’est bien, mais cesser d’acheter son pétrole, ça serait mieux<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/451448/original/file-20220310-21-1d2hmc5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=67%2C14%2C4880%2C3308&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Une femme passe devant une boutique Dior fermée, à l'intérieur du grand magasin GUM, à Moscou, le 9 mars 2022. Les sanctions touchent tous les secteurs de la vie économique.</span> <span class="attribution"><span class="source">(AP Photo)</span></span></figcaption></figure><p>À la suite de l’invasion de l’Ukraine par la Russie le 24 février, les pays occidentaux, <a href="https://www.international.gc.ca/world-monde/international_relations-relations_internationales/sanctions/russia-russie.aspx?lang=fra">dont le Canada</a>, ont mis en place une série de sanctions économiques sans précédent contre la Russie. Gel des avoirs à l’étranger de <a href="https://www.journaldemontreal.com/2022/03/06/ukraine-les-nouvelles-sanctions-du-g7-doivent-surtout-toucher-les-oligarques-russes">certains oligarques</a> et de banques, y compris la Banque centrale, entraves aux transactions financières, embargos sur certains produits ciblés, le but des sanctions est clair : asphyxier l’économie russe afin de mettre la pression sur Vladimir Poutine et de l’empêcher de financer son effort de guerre.</p>
<p>Un renversement du régime est même vu par certains comme une <a href="https://www.lapresse.ca/international/europe/2022-03-02/guerre-en-ukraine/un-ministre-luxembourgeois-evoque-un-renversement-de-poutine.php">conséquence possible et souhaitable</a> de ces sanctions.</p>
<p>Spécialiste des questions de commerce international à l’ESG-Uqam, je crois que les sanctions actuelles ont des impacts évidents sur l’économie russe. Mais des mesures plus draconiennes concernant les ventes russes d’hydrocarbures sont nécessaires pour espérer porter un coup d’arrêt aux velléités expansionnistes de Vladimir Poutine. Bien que faisable, leur mise en œuvre soulève des difficultés.</p>
<h2>Des mesures qui fonctionnent</h2>
<p><a href="https://voxeu.org/article/do-economic-sanctions-make-sense">Pour que des sanctions économiques fonctionnent</a>, elles doivent être mises en œuvre rapidement et prendre le pays par surprise, afin qu’elles ne puissent pas être contournées trop facilement.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/451452/original/file-20220310-13-v4ycas.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="personnes font la file devant une banque" src="https://images.theconversation.com/files/451452/original/file-20220310-13-v4ycas.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/451452/original/file-20220310-13-v4ycas.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/451452/original/file-20220310-13-v4ycas.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/451452/original/file-20220310-13-v4ycas.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/451452/original/file-20220310-13-v4ycas.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/451452/original/file-20220310-13-v4ycas.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/451452/original/file-20220310-13-v4ycas.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Des personnes font la queue pour retirer de l’argent à un distributeur automatique d’Alfa Bank à Moscou, en Russie, le 27 février 2022.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Victor Berzkin)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>La réponse des pays occidentaux a été, dans ce cas-ci, rapide, coordonnée et massive. Ce n’était pas acquis, en <a href="https://www.telos-eu.com/fr/europe-naissance-dune-puissance.html">raison notamment des divergences d’intérêts économiques entre les pays européens</a>. L’économie russe s’en trouve fortement déstabilisée à travers des effets directs et indirects.</p>
<p>Les sanctions doivent faire peser un coût important sur le pays visé. La Russie fait face à des difficultés importantes d’approvisionnement pour de nombreux produits. En effet, les entraves aux transactions financières affectent le commerce avec la Russie en rendant impossibles le paiement des transactions ainsi que les mécanismes d’assurance souvent utilisés pour les sécuriser (<a href="https://www.bdc.ca/fr/articles-outils/marketing-ventes-exportation/exportation/qu-est-ce-qu-une-lettre-de-credit">lettres de crédit par exemple</a>). Les produits qui ne sont pas directement visés par des restrictions commerciales se retrouvent ainsi également largement affectés, comme le démontre une <a href="https://voxeu.org/article/impact-sanctions-russia-sanctioning-countries-exports">analyse de l’impact des sanctions prises en 2014 lors de la guerre en Crimée</a>.</p>
<p>Le transport de marchandises est également rendu plus compliqué, soit parce qu’il est <a href="https://www.france24.com/fr/europe/20220226-sanctions-de-l-ue-contre-la-russie-un-bateau-de-commerce-russe-intercept%C3%A9-dans-la-manche">assuré par des entreprises appartenant à des oligarques visés par les sanctions</a>, soit <a href="https://www.reuters.com/article/ukraine-crise-europe-ports-idFRKBN2KY5ER">parce que les ports se retrouvent fermés aux navires liés d’une manière ou d’une autre à la Russie</a>, sans parler des biens transportés par voie aérienne. Ces difficultés d’approvisionnement touchent les consommateurs russes, mais aussi les multinationales qui opèrent en Russie.</p>
<p>Pour préserver leur réputation (et en raison de pressions, notamment dans les réseaux sociaux), plusieurs entreprises annoncent des <a href="https://www.lesaffaires.com/monde/europe/russie-ce-qui-pousse-les-multinationales-a-se-desengager/631315">limitations ou un arrêt de leurs activités en Russie</a>, comme les <a href="https://www.lapresse.ca/affaires/entreprises/2022-03-08/guerre-en-ukraine/coca-cola-mcdonald-s-et-starbucks-se-retirent-de-la-russie.php">géant Starbucks, Coca-Cola ou McDonald’s</a>. L’industrie du luxe <a href="https://www.elle.fr/Mode/Les-news-mode/LVMH-Kering-Chanel-Hermes-le-luxe-ferme-ses-boutiques-en-Russie-4005541">a aussi plié bagage</a>.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/451449/original/file-20220310-15-nj08so.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="passants devant un mc donald’s" src="https://images.theconversation.com/files/451449/original/file-20220310-15-nj08so.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/451449/original/file-20220310-15-nj08so.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/451449/original/file-20220310-15-nj08so.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/451449/original/file-20220310-15-nj08so.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/451449/original/file-20220310-15-nj08so.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/451449/original/file-20220310-15-nj08so.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/451449/original/file-20220310-15-nj08so.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Des personnes passent devant un restaurant McDonald’s dans la rue principale de Moscou, en Russie, le 9 mars 2022. Le géant du fast-food a annoncé avoir fermé ses restaurants en Russie.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo)</span></span>
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</figure>
<p>La réduction des échanges économiques avec la Russie et les incertitudes générées par la guerre conduisent de nombreux acteurs à se débarrasser de leurs roubles. La monnaie nationale voit ainsi sa valeur baisser rapidement. Or, le gel des avoirs de la Banque centrale de Russie placés à l’étranger <a href="https://fr.statista.com/infographie/26945/depreciation-du-rouble-russe-face-au-dollar-americain-taux-de-change/">handicape cette dernière pour soutenir le cours de la monnaie nationale</a>. Ceci accentue les risques d’(hyper)inflation en Russie.</p>
<p>Les coûts imposés par ces sanctions s’ajoutent aux considérations politiques et morales pour expliquer la <a href="https://theconversation.com/ukraine-russian-opposition-to-the-invasion-is-giving-putin-cause-for-alarm-178449">multiplication des oppositions internes</a> malgré les risques encourus par les critiques du régime.</p>
<h2>Cibler les hydrocarbures</h2>
<p>Toutefois, en l’absence de mesures fortes contre les exportations russes d’hydrocarbures, Vladimir Poutine continuera de disposer des moyens de conduire sa guerre.</p>
<p>En 2018, les exportations de pétrole et de gaz représentaient 55 % des exportations totales de la Russie, soit près de 15 % de son PIB. La même année, les pays qui imposent actuellement des sanctions à la Russie comptaient pour plus de 70 % de la demande adressée à la Russie (dont 55 % pour les seuls pays de l’Union européenne, contre 2 % pour les États-Unis et 0,1 % pour le Canada), soit plus de 10 % de son PIB. Chaque jour, ce sont <a href="https://www.transportenvironment.org/discover/la-dependance-de-leurope-au-petrole-russe-met-285-millions-de-dollars-dans-les-poches-de-poutine-chaque-jour/">285 millions de dollars US que les importations européennes de pétrole rapportent à la Russie</a>. En continuant d’importer le gaz et le pétrole russes, les pays occidentaux continuent donc d’envoyer des liquidités précieuses pour la Russie.</p>
<p>Le pays dispose, grâce aux revenus tirés des hydrocarbures, de ressources qui lui permettent de continuer de verser ses pensions, de payer ses fonctionnaires et ses militaires, et de financer l’effort de guerre. Par exemple, les <a href="https://fred.stlouisfed.org/series/DDDI13RUA156NWDB">avoirs du fonds qui gère les pensions représentaient un peu plus de 4 % du PIB en 2017</a>, soit moins de la moitié des recettes tirées de l’exportation des hydrocarbures.</p>
<p>Comme les entreprises russes doivent maintenant obligatoirement convertir en roubles 80 % au moins de leurs ressources en devises étrangères, les revenus d’exportations tirés des hydrocarbures remplacent les réserves de la Banque centrale gelées à l’étranger pour soutenir le rouble.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/451450/original/file-20220310-13-g8aseq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Des femmes regardent un écran affichant le taux de change dans un bureau de change" src="https://images.theconversation.com/files/451450/original/file-20220310-13-g8aseq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/451450/original/file-20220310-13-g8aseq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/451450/original/file-20220310-13-g8aseq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/451450/original/file-20220310-13-g8aseq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/451450/original/file-20220310-13-g8aseq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/451450/original/file-20220310-13-g8aseq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/451450/original/file-20220310-13-g8aseq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Des femmes regardent un écran affichant le taux de change dans un bureau de change à Saint-Pétersbourg, le 1ᵉʳ mars 2022. La monnaie russe a plongé d’environ 30 % par rapport au dollar américain après que les nations occidentales ont annoncé des mesures visant à bloquer certaines banques russes du système de paiement international SWIFT et à restreindre l’utilisation par la Russie de ses énormes réserves de devises étrangères.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Dmitri Lovetsky)</span></span>
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<p>Or, pour certains, <a href="https://voxeu.org/vox-talks/raising-pressure-putin">ce n’est que si l’économie russe est asphyxiée</a> au point de ne plus pouvoir soutenir les dépenses de guerre et assurer certains transferts publics que le conflit pourra s’arrêter, faute de moyens et de soutien de la population.</p>
<h2>Un consensus difficile pour les Occidentaux</h2>
<p><a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1867321/guerre-ukraine-petrole-gaz-russie-etats-unis-importations">Les États-Unis et le Royaume-Uni ont annoncé arrêter leurs importations d’hydrocarbures russes</a> dont ils peuvent assez facilement se passer : la Russie représente seulement 2 à 3 % des importations américaines de pétrole (brut et raffiné) et de gaz, et 6 à 7 % pour le Royaume-Uni.</p>
<p>Les pays européens sont plus réticents, car leur dépendance énergétique vis-à-vis de la Russie est bien plus forte. En effet, environ 25 % des importations européennes d’hydrocarbures proviennent de Russie, <a href="https://www.ofce.sciences-po.fr/blog/dependance-commerciale-ue-russie-les-liaisons-dangereuses/">avec une forte hétérogénéité au sein de l’UE</a>. Les pays d’Europe de l’Est, l’Allemagne et l’Italie sont particulièrement dépendants de la Russie.</p>
<p>Cela peut-il changer ? Renoncer aux hydrocarbures russes aura toujours un coût, mais son ampleur peut être réduite. Certains économistes estiment <a href="https://www.project-syndicate.org/bigpicture/turning-off-russias-tap">qu’une taxe punitive sur le pétrole russe permettrait de transférer le coût de la mesure sur la Russie</a>. En effet, si le prix de vente aux consommateurs augmentait fortement en raison de la taxe, la demande des pays occidentaux se tournerait vers d’autres fournisseurs dont le pétrole n’est pas soumis à cette taxe punitive. La Russie ne pouvant réduire sa production à court terme, elle serait forcée de baisser le prix auquel elle vend son pétrole pour compenser la taxe. Ses recettes baisseraient, mais l’approvisionnement des pays qui imposent la taxe ne serait pas affecté.</p>
<p>En ce qui concerne le gaz, le gaz liquéfié (GNL), la relance de centrales nucléaires ou au charbon, et l’accélération de la transition vers des énergies propres pourraient être des mesures d’adaptation qui atténuent le coût du renoncement au gaz russe. La transition vers des énergies propres <a href="https://voxeu.org/article/cutting-russia-s-fossil-fuel-exports-short-term-pain-long-term-gain">aurait un bénéfice environnemental</a>.</p>
<p>Ces mesures nécessitent toutefois des investissements qui prennent du temps et qui ont un coût. La réduction des déficits budgétaires fortement creusés par la pandémie de Covid-19 devrait donc être retardée, les règles budgétaires qui prévalent au sein de la zone euro à nouveau adaptées, et le coût global de ces dépenses devrait être mutualisé afin qu’il ne soit pas un frein insurmontable pour les pays les plus dépendants énergétiquement de la Russie. <a href="https://www.bruegel.org/2022/03/the-economic-policy-consequences-of-the-war/">Il faudra donc convaincre</a>. Par ailleurs, un effort des pays producteurs d’hydrocarbures soutenant les sanctions serait nécessaire pour accroître leur production et limiter la hausse des prix.</p>
<h2>La Chine, un recours pour la Russie ?</h2>
<p>Enfin, pour que les sanctions sur les exportations d’hydrocarbures soient efficaces, il faut s’assurer que la Russie ne puisse écouler sa production auprès d’autres pays, dont la Chine. Elle représente pour le moment moins de 20 % des exportations russes d’hydrocarbures. La hausse des achats par la Chine devrait donc être spectaculaire pour compenser les ventes aux pays occidentaux.</p>
<p>Par ailleurs, ce pays est généralement pragmatique sur le plan économique. S’il soutient politiquement la Russie, il serait probablement réticent à heurter les pays occidentaux, qui représentent plus de la moitié de ses exportations. Enfin, la dépendance de la Russie à la Chine deviendrait totale. Cela satisferait Pékin, <a href="https://www.bruegel.org/2022/03/can-china-bail-out-putin/">probablement beaucoup moins Moscou</a>.</p>
<p>Des mesures concernant les exportations russes d’hydrocarbures sont donc nécessaires et envisageables malgré les coûts économiques qui y sont associés. Toutefois, au-delà de ces coûts, les possibles réactions d’un Vladimir Poutine qui agit suivant une rationalité différente de celle des élus occidentaux doivent aussi être évaluées.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/178235/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Florian Mayneris est membre du Center for Economic Policy Research (CEPR, Londres) et du Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations (CIRANO, Montréal). Il a reçu des financements de Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH, Ottawa). </span></em></p>Les sanctions économiques imposées à la Russie ont des impacts évidents. Mais des mesures plus draconiennes sur les ventes d’hydrocarbures sont nécessaires pour espérer porter un coup fatal au régime.Florian Mayneris, Associate Professor, Urban Economics, Université du Québec à Montréal (UQAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1785672022-03-07T16:17:27Z2022-03-07T16:17:27ZInvasion russe en Ukraine : voici pourquoi la Chine pourrait devenir médiatrice<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/450209/original/file-20220306-84100-1ce2cxu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=5%2C45%2C3823%2C2485&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le président chinois Xi Jinping et le président russe Vladimir Poutine posent pour une photo avant leurs entretiens à Pékin, en Chine, le 4 février 2022, durant les Jeux olympiques d'hiver.</span> <span class="attribution"><span class="source">(Alexei Druzhinin, Sputnik, Kremlin Pool Photo via AP)</span></span></figcaption></figure><p>Plusieurs analystes de la géopolitique internationale et experts de la Russie évoquent le spectre d’une <a href="https://www.politico.com/news/magazine/2022/02/28/world-war-iii-already-there-00012340">déflagration nucléaire</a> dans le sillage de la guerre en Ukraine. L’urgence de la situation nécessite que toutes les avenues puissent être poursuivies pour trouver une solution négociée au conflit.</p>
<p>Comme spécialiste des négociations internationales, mon attention se porte naturellement vers les options diplomatiques aux situations de crise. L’une de ces solutions implique un rôle important de médiation de la Chine. Le but de cet article est d’expliquer pourquoi il serait dans son intérêt d’agir comme intermédiaire entre la Russie et les pays occidentaux.</p>
<h2>Un équilibre précaire pour la Chine</h2>
<p>Au sein même de la Chine, des appels fusent pour une prise de position ferme de Pékin et d'une condamnation sans équivoque de l’invasion russe de l’Ukraine. Ces cris du cœur sont illustrés par une lettre ouverte rédigée par cinq historiens chinois de renom, dont les propos ont été résumés dans le quotidien britannique <a href="https://www.theguardian.com/world/2022/feb/28/they-were-fooled-by-putin-chinese-historians-speak-out-against-russian-invasion"><em>The Guardian</em></a>.</p>
<p>Une telle disposition n’irait pas à l’encontre du principe du respect de l’intégrité territoriale des États, l’un des trois fondements centraux de la politique étrangère de Xi Jinping. L’ambassadeur chinois en Ukraine n’a pas tardé à réaffirmer ce principe en déclarant que Pékin respectait <a href="https://www.caixinglobal.com/2022-02-27/chinese-envoy-reaffirms-respect-for-ukraine-sovereignty-assures-countrymen-of-safe-evacuation-101847728.html">la souveraineté</a> ukrainienne. Cependant, l’application de ce fondement ne peut pousser Pékin jusqu’à une condamnation stricte de son alliée stratégique au sein d’instances internationales telles que le <a href="https://news.un.org/fr/story/2022/02/1115222">Conseil de sécurité des Nations Unies</a>.</p>
<p>Par ailleurs, une alliance résolue avec les forces occidentales, sous un leadership américain au sein de l’OTAN, irait également à contre-courant d’une deuxième assise de la vision géopolitique de Xi Jinping, consistant en une <a href="https://www.cairn.info/revue-herodote-2013-3-page-172.htm">quête de parité géostratégique avec les États-Unis</a>. Une alliance inconditionnelle du président chinois avec les visées de l’OTAN dans ce conflit représenterait une admission que son pays ne traite pas d’égal à égal avec Washington.</p>
<p>Un alignement avec les forces opposées à Moscou renforcerait cependant le troisième pilier de sa stratégie, soit une <a href="https://www.lapresse.ca/international/asie-et-oceanie/2021-11-18/la-chine-a-considerablement-accru-son-influence-dans-les-instances-mondiales.php">participation accrue dans les institutions économiques internationales</a>, afin de soutenir sa croissance interne.</p>
<p>Bref, un tel rapprochement avec les grandes démocraties de la planète, sous la guise d’une réprobation du régime Poutine, mettrait la Chine en porte-à-faux avec deux de ses grands objectifs globaux.</p>
<p>L’autre option, celle de se rallier à la Russie, conduirait la Chine à la réalisation d’un de ses trois objectifs géostratégiques : en minant l’ascendant américain sur l’ordre politique et sécuritaire mondial, cela facilite la réalisation de Xi Jinping d’une parité géostratégique avec les Américains.</p>
<p>Cette confrontation directe avec Washington et ses alliés s’inscrirait cependant en opposition aux deux autres objectifs à long terme de Pékin.</p>
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<img alt="Des femmes et des enfants marchent dans la rue, transportant des sacs" src="https://images.theconversation.com/files/450210/original/file-20220306-85901-1eo5oie.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/450210/original/file-20220306-85901-1eo5oie.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/450210/original/file-20220306-85901-1eo5oie.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/450210/original/file-20220306-85901-1eo5oie.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/450210/original/file-20220306-85901-1eo5oie.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/450210/original/file-20220306-85901-1eo5oie.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/450210/original/file-20220306-85901-1eo5oie.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Des réfugiés, principalement des femmes avec des enfants, arrivent au poste frontière de Medyka, en Pologne, le dimanche 6 mars 2022. Près de 1,5 million d’Ukrainiens ont fui leur pays.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Visar Kryeziu)</span></span>
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<h2>La politique de l’ambiguïté stratégique</h2>
<p>L’invasion de l’Ukraine par son alliée informelle, la Russie, vient ainsi précipiter les choses pour le Parti communiste chinois, qui poursuit méthodiquement une <a href="https://www.newswire.ca/fr/news-releases/cgtn-la-planification-a-long-terme-est-essentielle-a-la-croissance-continue-de-la-chine-805131973.html">planification à long terme</a> de ses objectifs.</p>
<p>Ces actions intempestives de Poutine en Ukraine placent Xi Jinping face à des choix difficiles. D’un côté, un appui ouvert à Moscou placerait les Chinois dans la mire des sanctions occidentales, ce qui minerait l’adhésion internationale à leur ambition de reformuler les termes de l’ordre politique mondial. D’un autre côté, se ranger fermement derrière les nations occidentales signifierait se subjuguer à une réaffirmation du rôle hégémonique des États-Unis comme garant de la stabilité planétaire.</p>
<p>Il ne reste donc qu’une solution mitoyenne pour la Chine, celle de <a href="https://www.france24.com/fr/asie-pacifique/20220303-entre-russie-et-occident-la-chine-confront%C3%A9e-au-dilemme-ukrainien">l’ambiguïté stratégique</a>. L’abstention est son instrument politique le plus performant à court terme. Ce n’est évidemment pas une position idéale pour achever son objectif de reformulation des termes de l’ordre économique international, mais cette politique pourrait être rentable à plus long terme. En présentant un visage conciliant et non belliqueux, Pékin préserve son principe de non-ingérence formelle, ainsi que le maintien d’un certain respect des institutions internationales contemporaines.</p>
<p>En ne prenant pas une position ferme dans un sens comme dans l’autre, Pékin pourrait ainsi parvenir à soutenir économiquement la Russie en poursuivant l’achat de ses produits pétroliers et gaziers, et en lui fournissant des biens essentiels non militaires, ce qui constituerait un certain pied de nez à l’Occident, tout en évitant toutefois une confrontation directe.</p>
<h2>Le rôle de médiateur de la Chine</h2>
<p>D’une façon plus conséquente, cette ambiguïté stratégique de la Chine pourrait avoir un effet bénéfique et permettre de dénouer le nœud gordien de la crise.</p>
<p>Malgré les bons offices du président français Emmanuel Macron, <a href="https://www.bfmtv.com/international/guerre-en-ukraine-emmanuel-macron-va-de-nouveau-s-entretenir-avec-vladimir-poutine_AD-202203060099.html">qui multiplie les appels téléphoniques avec Vladimir Poutine</a>, il est clair que ce dernier ne veut rien savoir des doléances de l’Occident. Seule la Chine détient le potentiel de lui faire entendre raison. Si cette dernière décidait de jouer le rôle de médiateur, une solution diplomatique au conflit deviendrait envisageable. Ceci permettrait à la Chine de redorer son blason et contribuer à ses objectifs à long terme.</p>
<p>Cependant, si ce rôle d’intermédiaire entre les Russes, les Ukrainiens et les puissances de l’OTAN sert les objectifs géostratégiques de la Chine, pourquoi n’a-t-elle pas déjà offert ses bons services ? La réponse se trouve éventuellement dans la situation sur le terrain. Il pourrait être dans l’intérêt de la Chine que les troupes de Poutine consolident leur position sur le territoire ukrainien. Le passage éventuel d’une invasion armée à un état de siège qui se prolonge viendrait modifier les rapports de force.</p>
<p>D’un côté, les nations occidentales seraient ainsi confrontées à une situation où les Russes imposent leur volonté sur une grande partie du territoire ukrainien. D’un autre côté, Moscou subirait le coût croissant de son occupation et des sanctions économiques. Le moment pourrait être propice à une intervention salvatrice de Pékin, afin de proposer une solution diplomatique au conflit. La nature de la résolution pacifique est inconnue et varie en fonction de la situation sur le terrain. Il serait donc présomptueux d’en définir les termes au moment présent. Il n’en demeure pas moins qu’une intervention concrète de la Chine, qu’elle soit couronnée de succès ou non, viendrait hausser son prestige sur la scène internationale.</p>
<p>Les États-Unis et leurs alliés pourraient néanmoins s’opposer à la conciliation de la Chine. Ce serait une grave erreur. Devant l’urgence de la situation, aucune option pacifique ne devrait être écartée du revers de la main.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/178567/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Érick Duchesne ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La politique d’ambiguïté stratégique de la Chine pourrait lui permettre d’agir comme médiateur du conflit à un moment opportun, tout en favorisant ses objectifs géostratégiques à long terme.Érick Duchesne, Professeur, Université LavalLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1779022022-02-25T17:53:04Z2022-02-25T17:53:04ZVoici pourquoi Vladimir Poutine ne reculera pas en Ukraine<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/448584/original/file-20220225-25-1woav3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C3752%2C2505&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">De la fumée et des flammes s’élèvent près d’un bâtiment militaire après une frappe russe, à Kiev, en Ukraine, le 24 février 2022.</span> <span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Efrem Lukatsky)</span></span></figcaption></figure><p><a href="https://www.bbc.com/news/live/world-europe-60454795">L’invasion de l’Ukraine</a> par la Russie a choqué le monde entier, mais Vladimir Poutine s’y préparait depuis un certain temps déjà.</p>
<p>Pour Poutine et pour une partie des Russes, les méchants de la crise ne sont pas seulement les <a href="https://www.jacobinmag.com/2022/01/putin-nato-us-war-donbass-minsk-2">nationalistes ukrainiens</a>, mais aussi les gouvernements occidentaux. On considère que l’Occident fonctionne selon certaines normes pour lui-même, et selon d’autres normes pour des pays comme la Russie.</p>
<p>Il est essentiel de saisir cet aspect de la vision du monde de Poutine pour comprendre pourquoi il est si peu disposé à reculer face à ce qu’il perçoit comme l’intransigeance et l’hypocrisie occidentales.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="De la fumée d’élève de ruines" src="https://images.theconversation.com/files/448325/original/file-20220224-46083-1ca5ceq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C4165%2C2762&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/448325/original/file-20220224-46083-1ca5ceq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/448325/original/file-20220224-46083-1ca5ceq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/448325/original/file-20220224-46083-1ca5ceq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/448325/original/file-20220224-46083-1ca5ceq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=504&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/448325/original/file-20220224-46083-1ca5ceq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=504&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/448325/original/file-20220224-46083-1ca5ceq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=504&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">De la fumée s’élève d’une base de défense aérienne à la suite d’une frappe russe à Marioupol, en Ukraine, le 24 février 2022.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Evgeniy Maloletka)</span></span>
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</figure>
<h2>Crise des missiles cubains</h2>
<p>Le concept russe de l’hypocrisie occidentale remonte à l’époque de l’Union soviétique et de la guerre froide. Un événement particulièrement important a été la <a href="https://foreignpolicy.com/2012/10/08/the-myth-that-screwed-up-50-years-of-u-s-foreign-policy/">crise des missiles cubains de 1962</a>. Les États-Unis s’opposaient au fait que l’Union soviétique installe des armes nucléaires à Cuba, alors qu’eux-mêmes positionnaient à la même époque <a href="https://www.history.com/topics/cold-war/cuban-missile-crisis">leurs armes près de l’Union soviétique, en Turquie</a>.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/448346/original/file-20220224-50602-1uvxwzd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Une photo en noir et blanc de soldats cubains" src="https://images.theconversation.com/files/448346/original/file-20220224-50602-1uvxwzd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/448346/original/file-20220224-50602-1uvxwzd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=483&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/448346/original/file-20220224-50602-1uvxwzd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=483&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/448346/original/file-20220224-50602-1uvxwzd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=483&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/448346/original/file-20220224-50602-1uvxwzd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=607&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/448346/original/file-20220224-50602-1uvxwzd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=607&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/448346/original/file-20220224-50602-1uvxwzd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=607&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Sur cette photo d’avril 1961, des membres de la milice de Fidel Castro se reposent après une opération dans une zone d’invasion à Cuba. En 1961, le débarquement de la baie des Cochons, soutenu par les États-Unis, n’a pas réussi à renverser le dirigeant cubain Fidel Castro, appuyé par les Soviétiques.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo)</span></span>
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</figure>
<p>À l’époque, les États-Unis invoquent la <a href="https://www.theatlantic.com/magazine/archive/1905/04/the-right-and-wrong-of-the-monroe-doctrine/530856/">doctrine Monroe</a>, énoncée pour la première fois en 1823 et qui proclame la domination américaine dans l’hémisphère occidental. Les politiciens américains affirmaient que cette doctrine leur donnait carte blanche pour stopper toute influence étrangère sur le continent américain.</p>
<p>Bien que le leader cubain Fidel Castro l’ait souhaité, Cuba n’a jamais été autorisé à rejoindre le <a href="https://digitalarchive.wilsoncenter.org/document/123891">Pacte de Varsovie</a> – l’équivalent soviétique de l’OTAN. L’Union soviétique était consciente qu’il aurait été extrêmement provocateur de permettre à Cuba de le faire.</p>
<p>La doctrine Monroe a persisté bien après la crise des missiles cubains et s’est reflétée <a href="https://www.theguardian.com/politics/2013/aug/01/margaret-thatcher-reagan-grenada-invasion-national-archives">dans les invasions américaines de la Grenade</a> <a href="https://stringfixer.com/fr/Invasion_of_Panama">et du Panama</a>, respectivement en 1983 et 1989. Les États-Unis <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/doctrine-de-monroe/2-le-fondement-de-l-imperialisme-des-etats-unis-1895-1970/">n’ont jamais officiellement renoncé à cette doctrine</a>, qui fait toujours partie de leur boîte à outils politique lorsque le besoin s’en fait sentir.</p>
<p>L’Union soviétique a tenté d’introduire quelque chose de similaire avec ce qui est devenu la <a href="https://stringfixer.com/fr/Brezhnev_Doctrine">doctrine Brejnev</a>, du nom de Léonid Brejnev, président qui a longtemps régné sur l’URSS. On y affirmait que l’Union soviétique devait intervenir dans les pays où le régime socialiste était menacé, et ce, même par la force.</p>
<p>En Occident, on considérait que cette doctrine n’avait pas la même légitimité que la doctrine Monroe, <a href="https://crgreview.com/the-cruel-hypocrisy-of-american-imperialism/">car la cause américaine était perçue comme juste et la cause soviétique comme injuste</a>. Poutine est en train de mettre en œuvre sa propre doctrine Monroe – ou Brejnev.</p>
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<img alt="Une foule de protestataires brandissant des pancartes" src="https://images.theconversation.com/files/448347/original/file-20220224-33175-12fm1vf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/448347/original/file-20220224-33175-12fm1vf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/448347/original/file-20220224-33175-12fm1vf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/448347/original/file-20220224-33175-12fm1vf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/448347/original/file-20220224-33175-12fm1vf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/448347/original/file-20220224-33175-12fm1vf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/448347/original/file-20220224-33175-12fm1vf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Des manifestants portent une affiche présentant Poutine sous les traits de Léonid Brejnev lors d’un immense rassemblement de protestation à Saint-Pétersbourg, en Russie, en mai 2018.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Dmitri Lovetsky)</span></span>
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<h2>Agression occidentale</h2>
<p>Pour de nombreux habitants de la Russie postsoviétique, l’Occident a, jusqu’à présent, régulièrement bafoué le droit international en envahissant d’autres États – souvent sur un coup de tête. Le meilleur exemple en est <a href="https://www.theguardian.com/world/2004/sep/16/iraq.iraq">l’invasion de l’Irak en 2003</a>. <a href="https://www.nbcnews.com/id/wbna7634313">Les « armes de destruction massive » de Saddam Hussein</a> ne se sont jamais matérialisées et sont communément considérées comme un <a href="https://www.ledevoir.com/monde/etats-unis/173050/irak-bush-et-son-equipe-ont-menti-935-fois">prétexte fabriqué pour justifier l’intervention occidentale</a>.</p>
<p><a href="https://theconversation.com/kosovo-disputes-continue-20-years-after-nato-bombing-campaign-113669">L’intervention de l’OTAN en Yougoslavie dans les années 1990</a> est un autre exemple favori en Russie pour illustrer la propension de l’Occident à bafouer les frontières internationales lorsque cela s’avère opportun. L’Occident a supervisé le démantèlement de la Yougoslavie, où <a href="https://www.tjsl.edu/slomansonb/2.4_KosSecession.pdf">il a soutenu la séparation du Kosovo de la Serbie</a>, laquelle était appuyée par la Russie.</p>
<p>Pour Poutine, la <a href="https://www.atlanticcouncil.org/blogs/ukrainealert/putin-is-the-only-winner-of-ukraines-language-wars/">protection des russophones en Ukraine</a> est un motif d’intervention aussi justifié que ceux avancés par l’Occident en Irak et en Yougoslavie.</p>
<p>Aux yeux des Russes, l’Occident a été jusqu’à présent l’agresseur, qui a profité de la faiblesse de la Russie depuis l’effondrement de l’Union soviétique pour soutenir des gouvernements nationalistes dans l’ancien espace soviétique. Ces pays comptaient souvent <a href="https://storymaps.arcgis.com/stories/6cb4f0a7dcd64278b52840a7dc364127">d’importantes minorités russes à l’intérieur de leurs frontières</a>.</p>
<p>Du point de vue du gouvernement russe, l’expansion de l’OTAN dans l’ex-Union soviétique a constitué une trahison des engagements occidentaux pris à la fin de la Guerre froide de <a href="https://www.spiegel.de/international/world/nato-s-eastward-expansion-is-vladimir-putin-right-a-bf318d2c-7aeb-4b59-8d5f-1d8c94e1964d">limiter l’expansion de l’OTAN à une Allemagne unie</a>. Elle a également été perçue comme une menace croissante pour la sécurité de la Russie, directement dans son arrière-cour.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="De grandes flammes sont visibles alors qu’une ligne de soldats armés passe" src="https://images.theconversation.com/files/448350/original/file-20220224-13-gaum9r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/448350/original/file-20220224-13-gaum9r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=397&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/448350/original/file-20220224-13-gaum9r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=397&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/448350/original/file-20220224-13-gaum9r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=397&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/448350/original/file-20220224-13-gaum9r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=498&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/448350/original/file-20220224-13-gaum9r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=498&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/448350/original/file-20220224-13-gaum9r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=498&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Sur cette photo de 2004, des marines américains brûlent leurs fortifications sur les positions de première ligne à Fallujah, en Irak, alors qu’ils se retirent de la ville.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/John Moore)</span></span>
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<h2>Armer l’Ukraine</h2>
<p><a href="https://www.reuters.com/world/europe/ukraine-gets-weapons-west-says-it-needs-more-2022-01-25/">L’armement de l’Ukraine par l’Occident</a> a assurément été perçu par le gouvernement russe comme une façon de fournir aux Ukrainiens les moyens d’écraser les forces séparatistes prorusses dans l’est sans avoir à leur accorder le type d’autonomie proposée dans les défunts <a href="https://www.reuters.com/world/europe/what-are-minsk-agreements-ukraine-conflict-2021-12-06/">protocoles de Minsk de 2014-15</a>. Ces accords étaient destinés à mettre fin à une guerre sécessionniste menée par des russophones dans l’est de l’Ukraine.</p>
<p>Selon Poutine, la seule solution devant la stagnation dans le cadre des protocoles de Minsk et le manque de volonté de l’Occident de prendre les demandes russes au sérieux a été de <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1863757/russie-ukraine-republiques-prorusses-donetsk-louhansk">reconnaître les républiques sécessionnistes</a> et de passer d’une action militaire secrète à une action militaire au grand jour.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Un homme et une femme observent des fragments de débris militaires" src="https://images.theconversation.com/files/448342/original/file-20220224-33175-106oq1v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C3607%2C2365&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/448342/original/file-20220224-33175-106oq1v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/448342/original/file-20220224-33175-106oq1v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/448342/original/file-20220224-33175-106oq1v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/448342/original/file-20220224-33175-106oq1v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/448342/original/file-20220224-33175-106oq1v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/448342/original/file-20220224-33175-106oq1v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Un homme et une femme se trouvent à côté de débris d’équipement militaire après une frappe russe à Kharkiv en Ukraine, le 24 février 2022.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Andrew Marienko)</span></span>
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<p>L’approche occidentale de la diplomatie avec la Russie et d’autres puissances qui ne sont pas « des nôtres » a contribué à pousser la crise jusqu’à son point actuel et tragique.</p>
<p>Lorsqu’un parent impose une discipline à son enfant, il est généralement plus efficace d’éviter le « fais ce que je dis, pas ce que je fais ». La réaction impétueuse de Vladimir Poutine coûtera sans aucun doute des milliers de vies.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/177902/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alexander Hill ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’approche occidentale du « faites ce que je dis, pas ce que je fais » a contribué à provoquer l’invasion de l’Ukraine par Vladimir Poutine.Alexander Hill, Professor of Military History, University of CalgaryLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1756132022-02-01T14:43:46Z2022-02-01T14:43:46ZLa pandémie a rappelé aux Occidentaux un fait qu'ils ont tendance à oublier : la mort<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/443551/original/file-20220131-118399-2s0h3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=43%2C0%2C4846%2C3228&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Cette photo, prise dans un hôpital de Moscou le 27 janvier 2022, aurait pu avoir été prise dans n'importe quel pays depuis que la pandémie de Covid-19 a rappelé comment un virus peut être mortel.</span> <span class="attribution"><span class="source"> (AP Photo/Pavel Golovkin)</span></span></figcaption></figure><p>La pandémie de Covid-19 nous ramène à un fondement de la vie, à savoir une prise de conscience collective de notre finitude.</p>
<p>Le virus a provoqué directement ou <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1855929/quebec-canada-deces-statistique-surmortalite-covid-coronavirus-pandemie">indirectement</a> la mort de plus de <a href="https://www.inspq.qc.ca/covid-19/donnees">13 000 Québécois</a>. Le tiers de ces décès, <a href="https://www.journaldemontreal.com/2020/06/02/82-des-deces-lies-a-la-covid-19-dans-les-residences-pour-aines-1">4 713</a> sont survenus uniquement durant la période de mars à mai 2020. Plus de <a href="https://www.journaldemontreal.com/2020/06/02/82-des-deces-lies-a-la-covid-19-dans-les-residences-pour-aines-1">82 % étaient des aînés</a>.</p>
<p>Cet électrochoc a bouleversé notre rapport à la mort et aux conditions de vie des aînés.</p>
<p>Les citoyens ont globalement respecté les contraintes sanitaires (couvre-feu, rassemblements interdits, déplacements limités, télétravail, etc.) ainsi que les mesures sanitaires (masques, lavage des mains, respect de la distanciation physique, etc.). La participation vaccinale est par ailleurs très élevée au Québec (<a href="https://www.inspq.qc.ca/covid-19/donnees/vaccination">90 % adéquatement vaccinée, population âgée de 12 ans et plus</a>).</p>
<p>Lors du point de presse du 25 janvier, un journaliste demande en anglais au premier ministre : qu’est-ce que veut dire « vivre avec la pandémie » au Québec ? François Legault affirme sans ambages que <a href="https://www.facebook.com/FrancoisLegaultPremierMinistre/videos/">« nous devons accepter d’avoir peut-être plus de morts »</a>. Cela semble être un tournant dans la manière de gérer la pandémie et sans le dire directement, François Legault nous invite à accepter la mort. C’est la tendance chez certains dirigeants occidentaux qui appellent à « vivre avec le virus ».</p>
<p>Les discours « alarmistes », « rassuristes » ou « enfermistes » que nous entendons depuis le début de la pandémie sont devenus, avec l’usure du temps, contradictoires et inaudibles. Comme sociologue, cette pandémie m’amène à réfléchir sur le sens que nous accordons à la mort, et ce, dans un contexte où les rapports sociaux entre les générations sont de plus en plus tendus. Nous avons tendance malheureusement à opposer la santé des uns avec celle des autres.</p>
<h2>La mort occultée</h2>
<p>Selon le sociologue allemand <a href="https://www.gallimardmontreal.com/catalogue/livre/la-solitude-des-mourants-elias-norbert-9782266092050">Norbert Elias</a>, les individus vivent une forme de déni de la mort, en raison du progrès des sciences médicales, de l’allongement de l’espérance de vie et de l’accroissement relativement élevé de la sécurité, de la pacification des sociétés occidentales.</p>
<p>Nous sommes ainsi moins confrontés à la mort en comparaison aux générations précédentes. Ajoutons à ces explications le recul du sacré dans la société et la possibilité de choisir le moment de notre mort (grâce à l’aide médicale à mourir ou au suicide assisté). La société permet dorénavant de contrôler la vie, mais nous avons perdu l’horizon que la mort peut-être brusque et involontaire de notre volonté.</p>
<p>Pourtant, selon un autre sociologue allemand, Georg Simmel, <a href="https://www.puf.com/content/Sociologie_%C3%89tudes_sur_les_formes_de_la_socialisation">« il existe dans toute notre réalité vivante quelque chose dont notre mort ne sera que la phase ou la révélation ultime : dès notre naissance, nous sommes des êtres destinés à mourir »</a>.</p>
<h2>Une société vieillissante</h2>
<p>Il est apparu très rapidement, dès les débuts de la pandémie, <a href="https://www.canada.ca/fr/sante-publique/services/maladies/maladie-coronavirus-covid-19/recherches-donnees-epidemiologiques-economiques/surmortalite-effets-age-comorbidite.html">que la Covid-19 s’attaquait mortellement aux personnes âgées</a>. Or, la population vieillit très rapidement au Québec, avec un âge médian désormais de 42,7 ans, contre 34 ans en 1991 et 25,6 ans en 1971, selon <a href="https://www.mfa.gouv.qc.ca/fr/Famille/chiffres-famille-quebec/chiffres-famille/Pages/demographie-population-familles.aspx">l’Institut de la statistique du Québec</a>. Les personnes âgées de 65 ans ou plus représentaient près de 1 personne sur 5 (19,7 %) en 2020.</p>
<p>À ce vieillissement s’ajoute une <a href="https://www.lesaffaires.com/blogues/zoom-sur-le-quebec/cest-la-capacite-hospitaliere-stupide/630046">capacité hospitalière très réduite</a>, parmi les plus faibles des pays de l’OCDE. Le réseau de la santé est au bord de l’implosion. Le vieillissement de la population exerçait déjà une pression sur le réseau de la santé, mais la pandémie est venue l’achever, en quelque sorte.</p>
<p>Nous avons tous des seuils différents d’acceptabilité du risque pour nous-mêmes ainsi que pour nos proches. Nous prenons nos précautions sanitaires selon ce seuil. En d’autres mots, nous avons des réactions émotionnelles différentes (peur, anxiété, inquiétude, indifférence, paix) quant à la probabilité d’attraper le virus (évaluation du risque selon nos caractéristiques individuelles) et nous adoptons nos comportements. Sur ce continuum, peur-évaluation-comportement, certains jugent que les contraintes sanitaires sont exagérées, alors que d’autres en réclament davantage pour accroître leur sentiment de sécurité et ainsi réduire leur peur de mourir.</p>
<p>Depuis l’apparition du variant Omicron au Québec, nous observons cependant un certain <a href="https://www.lapresse.ca/debats/editoriaux/2022-01-12/le-ras-le-bol-et-les-boucs-emissaires.php">ras-le-bol de la population</a> face aux mesures sanitaires. <a href="https://theconversation.com/omicron-ceux-qui-ont-recu-une-3-dose-peuvent-dormir-tranquilles-174430">Omicron est moins mortel que les précédents variants, même s’il s’avère extrêmement contagieux</a>. En fait, la peur de mourir s’étant estompée, la tolérance envers les contraintes sanitaires a aussi diminué.</p>
<h2>Les vaccinés plus craintifs ?</h2>
<p>Selon un récent sondage du <a href="https://assets.morningconsult.com/wp-uploads/2022/01/24150429/2201068_topline_PARTNERSHIP_Covid_SURVEY_Adults_v1_SH-1.pdf">National Tracking Poll</a> du 14 et 15 janvier 2022, plus de 56 % des individus non-vaccinés disent ne pas avoir peur d’attraper la Covid-19, tandis que les vaccinés (3 doses administrées) sont plus de 68 % à craindre d’attraper le virus. Il semble exister une différence notable dans l’évaluation du risque d’attraper le virus.</p>
<p>Même si la vaccination réduit considérablement les risques d’être sévèrement malades ou d’en mourir, elle ne semble pas rassurer les vaccinés ou convaincre les non-vaccinés d’avoir le vaccin (réaction émotionnelle différenciée). En fait, <a href="https://www.nytimes.com/2022/01/25/briefing/covid-behavior-vaccinated-unvaccinated.html">ces données montrent une grande déconnexion</a> entre les peurs, les risques d’en mourir ou non et l’importance de la vaccination dans la lutte contre la Covid-19.</p>
<h2>Des générations sacrifiées</h2>
<p>Cette peur de mourir a conduit notre société à se recroqueviller sur elle-même et elle a demandé la même chose à sa jeunesse. Il serait peut-être temps de revoir notre « vivre-ensemble ». La pandémie a provoqué de la détresse psychologique et de l’anxiété, <a href="https://theconversation.com/crise-sanitaire-les-finissants-du-secondaire-et-les-eleves-en-difficulte-ont-ete-les-plus-affectes-167312">tant chez les jeunes du secondaire</a> que <a href="https://theconversation.com/les-etudiants-disent-ne-pas-avoir-la-tete-aux-etudes-quen-dit-la-science-135802">ceux du collégial</a> ou de <a href="https://theconversation.com/covid-19-la-detresse-des-etudiants-universitaires-est-bien-reelle-148976">l’université</a>. Comme le témoigne <a href="https://plus.lapresse.ca/screens/379634b5-8330-44d8-ab80-c467a0ab38cf__7C___0.html">l’un d’entre eux dans une lettre ouverte</a>, « à force de compromis pour protéger les autres, c’est moi qui suis devenu vulnérable, mentalement parlant. Je sens que je n’ai plus d’efforts à donner. Je suis au bout du rouleau ».</p>
<p>Les aînés ont aussi souffert des confinements, des interdictions de visites dans les CHSLD, de la solitude et de l’anxiété. <a href="https://theconversation.com/mourir-seul-en-chsld-lhorrible-stigmate-de-la-pandemie-154009">Des milliers sont morts sans être entourés de leurs proches</a>. En outre, une grande majorité d’entre eux <a href="https://www.quebec.ca/sante/problemes-de-sante/a-z/coronavirus-2019/prevenir-deconditionnement-chez-aines-en-contexte-de-pandemie">ont vécu un « déconditionnement », c’est-à-dire une détérioration de leur santé physique et mentale</a>, sans oublier tous ceux qui ont vu reporter ou annuler des traitements médicaux.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/mourir-seul-en-chsld-lhorrible-stigmate-de-la-pandemie-154009">Mourir seul en CHSLD : l’horrible stigmate de la pandémie</a>
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<p>La maîtrise des risques et leur gestion en période pandémique font ressortir à la surface de nos vies agitées la peur de la mort pour soi et nos proches. Selon l’écrivain et homme politique français, François-René de Chateaubriand, <a href="http://evene.lefigaro.fr/citation/homme-mal-reel-crainte-mort-delivrez-crainte-rendrez-libre-29323.php">« l’Homme n’a qu’un mal réel : la crainte de la mort. Délivrez-le de cette crainte et vous le rendrez libre »</a>.</p>
<p>Sociologiquement, cette pandémie met à mal nos relations intergénérationnelles. Personne ne devrait choisir entre la préservation de la vie d’un aîné et le sacrifice de la santé mentale d’un jeune. Nous ne devrions pas les opposer. Au contraire, nous devons être capables collectivement de créer des liens sociaux sans sacrifier aucune génération.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/175613/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christian J. Y. Bergeron ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La Covid-19 est venue rappeler aux Occidentaux la réalité de la mort, occultée en raison des progrès scientifiques, de l’allongement de l’espérance de vie et de l’accroissement de la sécurité.Christian J. Y. Bergeron, Professeur en sociologie de l’éducation, L’Université d’Ottawa/University of OttawaLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1317222021-09-14T21:50:05Z2021-09-14T21:50:05ZLe Japon, un nouveau « continent esthétique » pour la France du XIXᵉ siècle<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/420829/original/file-20210913-26-i2xg4z.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=31%2C4%2C934%2C666&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L’« habitation japonaise » du Parc des Nations à l’Exposition universelle de 1867,
gravure extraite du Monde illustré, 31 août 1867, p. 137.</span> <span class="attribution"><span class="source">BnF</span></span></figcaption></figure><p>Alors que Tokyo vient d’accueillir pour la deuxième fois les Jeux olympiques et Sapporo a officialisé sa candidature pour les Jeux olympiques d’hiver de 2030, il est intéressant de se pencher sur les premières participations du Japon à de grandes manifestations internationales, qui remontent à la seconde moitié du XIX<sup>e</sup> siècle et la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Sakoku">fin de la politique isolationniste « sakoku »</a> menée par l’archipel depuis les années 1630. La signature au cours des années 1850 d’une série de traités d’amitié et de commerce avec les pays occidentaux marque l’ouverture du Japon sur le monde, de front avec son engagement actif dans les relations diplomatiques, les échanges culturels et l’exportation de ses arts à l’étranger.</p>
<p>À ce titre, les expositions universelles qui se développent à la même époque représentent un évènement incontournable, alimentant la vogue du <a href="https://gallica.bnf.fr/html/und/asie/le-japonisme?mode=desktop">japonisme</a> entre 1867 et 1900. Plus confidentiels, d’autres évènements attirent les amateurs et collectionneurs d’art, tel le « Musée oriental » en 1869 ou encore l’Exposition rétrospective de l’art japonais en 1883.</p>
<p>Si elles profitent toutes d’un même engouement pour la culture japonaise, ces manifestations présentent d’emblée une dichotomie. Aux sections encadrées par les délégations japonaises s’opposent en effet les expositions conçues et organisées par des commissions françaises, traduisant dans chacun des cas une conception spécifique de l’art nippon, orientale ou occidentale.</p>
<h2>La mise en exposition de l’art japonais par le gouvernement de Meiji</h2>
<p>L’Exposition universelle de 1867 à Paris marque ainsi la première participation du Japon à une grande exposition publique à l’étranger. Elle s’ouvre à la veille de la <a href="https://www.lhistoire.fr/carte/le-japon-de-l%C3%A8re-meiji">Restauration de Meiji</a>, alors que l’archipel traverse une période de bouleversements politiques. Akitake Tokugawa, frère du dernier shogun du clan, est désigné émissaire pour la France et prépare à Edo dès février 1866 une sélection de plusieurs milliers d’objets représentatifs de l’artisanat des différentes provinces du pays. Une première partie de ces collections était exposée au Palais de l’industrie, où les Japonais partageaient l’espace avec la Chine et le Royaume du Siam.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/418697/original/file-20210831-19-tg8205.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/418697/original/file-20210831-19-tg8205.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=415&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/418697/original/file-20210831-19-tg8205.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=415&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/418697/original/file-20210831-19-tg8205.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=415&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/418697/original/file-20210831-19-tg8205.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=522&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/418697/original/file-20210831-19-tg8205.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=522&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/418697/original/file-20210831-19-tg8205.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=522&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Sections du Siam (vitrine de gauche) et du Japon (vitrine de droite) à l’Exposition universelle de 1867.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Lancelot, « L’Exposition universelle de 1867 illustrée », Paris, 1867, BnF</span></span>
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<p>L’exposition se poursuivait au parc des Nations avec « l’habitation japonaise » qui frappa les visiteurs par sa sobriété et la simplicité du mobilier : « Dans ce pays féodal, l’intérieur des logis n’est composé que de larges salles divisées, selon les besoins par des paravents ou par des cloisons légères glissant sur des rainures. » commente Philippe Burty (<em>Gazette des Beaux-Arts</em>, janvier 1868).</p>
<p>Cette première participation du Japon est donc marquée par une certaine volonté d’authenticité, aussi bien au niveau de l’architecture des pavillons que du mobilier, ou du choix des objets exposés. Ce parti pris de sobriété plutôt que de surcharge ornementale, a priori plus propre à impressionner les visiteurs, fut récompensé par un vif succès, notamment auprès de la presse critique de l’époque.</p>
<h2>Transporter le visiteur au Japon</h2>
<p>L’habitation japonaise du parc des Nations inaugure par ailleurs un mode de présentation qui deviendra l’un des dénominateurs communs à toutes les participations de l’archipel, marqué par une volonté de recontextualisation des objets exposés. C’est ainsi qu’au cours de l’Exposition universelle de 1878 le Japon fut représenté par une ferme et son enclos, planté d’arbustes rapportés de l’archipel. L’intérieur de la ferme était meublé et garni de céramiques, bronzes, étoffes, tandis que des Japonais en costumes traditionnels servaient le thé. Cet ensemble séduisit là encore le public, le plongeant dans un environnement dépaysant : « le visiteur peut un instant se faire assez facilement l’illusion qu’il s’est transporté au Japon même » (<em>La Chine et le Japon à l’Exposition de 1878</em>).</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/418701/original/file-20210831-19-irgc7i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/418701/original/file-20210831-19-irgc7i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=441&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/418701/original/file-20210831-19-irgc7i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=441&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/418701/original/file-20210831-19-irgc7i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=441&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/418701/original/file-20210831-19-irgc7i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=554&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/418701/original/file-20210831-19-irgc7i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=554&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/418701/original/file-20210831-19-irgc7i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=554&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">« La ferme japonaise dans le parc du Trocadéro », gravure de Trichon.</span>
<span class="attribution"><span class="source">« L’Exposition universelle de 1878 illustrée », Brown University Library</span></span>
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</figure>
<p>Ce processus de recontextualisation trouve aussi son essence dans le format des expositions universelles, où chaque nation se voyait attribuer un terrain où installer son pavillon respectif. Sans autres contraintes que de respecter la surface qui leur était allouée, les commissaires étaient malgré tout tenus, par les choix d’architecture, d’ameublement intérieur et parfois de paysagisme de représenter au mieux les spécificités culturelles de leur pays – qu’elles soient réelles ou fantasmées par le public occidental.</p>
<p>Pour les délégations japonaises, le désir d’exposer les objets dans un contexte qui leur soit familier s’accompagne d’une autre ambition : celle d’initier des visiteurs encore novices à ses arts. C’est pourquoi un certain souci didactique se fait jour dès les premières expositions universelles, et se renforce encore au fil des participations, notamment à partir de 1889 avec l’implication de <a href="http://ccfjt.com/meiji150eme/japonisme-hayashi-tadamasa/">Hayashi Tadamasa</a>, collectionneur et marchand d’art. Ce dernier emprunte cette année-là un ensemble d’objets au Musée impérial de Tokyo, dans une volonté d’introduire les visiteurs à des époques jusqu’ici peu représentées en France, à savoir les créations antérieures aux XVIII<sup>e</sup> et XIX<sup>e</sup> siècles. </p>
<p>Il fait également publier un catalogue en français, où il aborde les arts japonais sous un angle scientifique. La réception critique fut pourtant mitigée, de la part des journalistes comme du grand public, l’art japonais ne provoquant plus de réelle surprise. D’autre part, certains critiques relevèrent dans la création contemporaine ce qu’ils jugèrent comme une forme de décadence, entraînée par le contact prolongé de l’archipel avec la civilisation occidentale.</p>
<h2>L’art japonais vu par l’Occident</h2>
<p>Lieu de rencontre et de confrontation pacifique entre les nations participantes, les expositions universelles endossent donc un rôle géopolitique très important. Pour les pays nouvellement arrivés sur la scène internationale – tel le Japon de l’ère meiji – ces événements sont l’occasion d’affirmer leur ancrage dans la modernité tout en revendiquant leur indépendance.</p>
<p>Du point de vue des nations organisatrices en revanche, les expositions constituent surtout une fenêtre sur le monde, contribuant à former le regard occidental sur l’altérité. Christiane Demeulenaere-Douyère, dans son ouvrage <a href="https://francearchives.fr/fr/article/261413102"><em>Exotiques expositions… Les Expositions universelles et les cultures extraeuropéennes</em></a>, souligne le rôle fantasmatique de ces manifestations, désignées comme des « machines à rêver » nées sur le terreau propice de l’orientalisme et du colonialisme.</p>
<p>En dehors des sections gérées par les pays invités, il n’était pas rare de voir en d’autres points de l’exposition diverses attractions pittoresques mises en place par des concessionnaires privés européens, le souci de rentabilité les conduisant à miser sur le sensationnalisme. Le Japon n’a pas échappé au phénomène, notamment en 1889, avec la maison japonaise de <a href="https://bibliotheque-numerique.inha.fr/collection/item/8066-lhabitation-humaine">L’histoire de l’habitation humaine</a> par Charles Garnier – ensemble de quarante-quatre constructions supposées retracer l’histoire de l’architecture depuis l’époque préhistorique à travers les différentes civilisations. </p>
<p>Cette maison japonaise, comme en témoignent les reproductions et photographies, était bien éloignée des traditions nipponnes : sa base repose sur le sol et non sur des pilotis, l’étage supérieur est d’une superficie égale au rez-de-chaussée alors qu’il devrait être en léger retrait, les fenêtres sont vitrées au lieu d’être tendues de papier, enfin les façades habituellement nues sont ici peintes de motifs décoratifs probablement inspirés d’albums d’ornements destinés à un public européen.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/418712/original/file-20210831-17-1cyra97.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/418712/original/file-20210831-17-1cyra97.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/418712/original/file-20210831-17-1cyra97.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=795&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/418712/original/file-20210831-17-1cyra97.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=795&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/418712/original/file-20210831-17-1cyra97.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=795&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/418712/original/file-20210831-17-1cyra97.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=999&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/418712/original/file-20210831-17-1cyra97.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=999&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/418712/original/file-20210831-17-1cyra97.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=999&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Charles Garnier, Exposition universelle de 1889.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Histoire de l’habitation, Japon, Archives nationales</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Articulée autour du concept de races, <em>L’histoire de l’habitation humaine</em> met aussi en évidence une pensée européocentrée à une époque où l’anthropologie et l’ethnographie émergent en tant que disciplines scientifiques. Cette dynamique est évidemment soutenue par les expositions internationales, vitrines des dernières découvertes en matière de cultures extraeuropéennes. Dans la seconde moitié du XIX<sup>e</sup> siècle les voyageurs à effectuer le trajet jusqu’au Japon sont par ailleurs relativement rares. À ce titre, les séjours de plusieurs mois sur l’archipel de <a href="https://www.cernuschi.paris.fr/fr/le-musee/henri-cernuschi">Henri Cernuschi</a> et <a href="https://www.petitpalais.paris.fr/oeuvre/portrait-de-theodore-duret">Théodore Duret</a> en 1871, puis d’<a href="https://www.guimet.fr/musee-guimet/emile-guimet-fondateur-du-musee/">Émile Guimet</a> et de <a href="https://www.guimet.fr/blog/un-destin-felix-regamey/">Félix Régamey</a> en 1876, représentent une véritable expédition.</p>
<p>Lors de l’Exposition universelle de 1878, les toiles de Régamey illustrant les différentes étapes de son périple à travers l’Asie sont exposées. Elles permettent au public de se familiariser avec l’architecture et les paysages japonais, mais aussi avec les mœurs des habitants, telle la coutume de se déchausser avant de pénétrer dans les temples ou monastères, de s’asseoir à même les tatamis ou encore les déplacements en palanquin. Régamey représente ainsi un Japon traditionnel pour ne pas dire archaïque, occultant les traces d’une occidentalisation déjà en marche depuis une dizaine d’années.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/418714/original/file-20210831-21-13z5ca1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/418714/original/file-20210831-21-13z5ca1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=417&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/418714/original/file-20210831-21-13z5ca1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=417&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/418714/original/file-20210831-21-13z5ca1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=417&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/418714/original/file-20210831-21-13z5ca1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=523&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/418714/original/file-20210831-21-13z5ca1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=523&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/418714/original/file-20210831-21-13z5ca1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=523&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Félix Régamey, <em>Discussion entre un prêtre shintoïste et un prêtre de la secte Tendai pour faire valoir les beautés de leurs croyances</em>, 1877-1878, huile sur toile.</span>
<span class="attribution"><span class="source">RMN Grand Palais</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Si la vocation didactique caractérise les choix d’exposition opérés par les commissions japonaises, elle trouve aussi peu à peu sa place chez le versant européen. Mais davantage qu’au cours de ces grandes manifestations qu’étaient les expositions universelles, c’est à l’occasion d’expositions plus confidentielles, organisées par des amateurs indépendants, que l’aspiration à une meilleure compréhension de la culture nippone se fait jour.</p>
<p>C’est ainsi qu’en 1873, au retour d’Henri Cernuschi et de Théodore Duret de leur voyage commun en Asie, l’Exposition des Beaux-Arts de l’Extrême-Orient fut l’occasion d’organiser le <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k65804267/f1.item">premier Congrès international des orientalistes</a>. Dix années plus tard en 1883, l’historien Louis Gonse réunit à la galerie Georges-Petit à Paris plus de trois mille pièces issues de vingt-six collections, donnant lieu avec le concours de Hayashi à la publication d’un <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6373975m.texteImage">catalogue</a> en deux volumes classant méthodiquement les œuvres par techniques, écoles et styles – catalogue qui sera réédité à de multiples reprises, traduit en anglais et même en japonais.</p>
<p>Enfin, en avril-mai 1890, <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5715233k.texteImage">« l’Exposition de la gravure japonaise »</a> organisée dans les locaux de l’École des Beaux-Arts donnera lieu à un catalogue préfacé par <a href="http://ccfjt.com/meiji150eme/siegfried-bing/">Siegfried Bing</a>, le premier à proposer une histoire de l’estampe japonaise en français, fournissant un premier support d’étude pour les historiens de l’art de cette génération.</p>
<h2>Le virage de l’Exposition universelle de 1900</h2>
<p>L’année 1900 représente une forme de virage, avec la nomination de <a href="http://ccfjt.com/meiji150eme/japonisme-hayashi-tadamasa/">Hayashi Tadamasa</a> en tant commissaire général de la section japonaise. Pour inaugurer ce nouveau siècle, il désirait livrer au public occidental une autre image du Japon, plus authentique que celle dispensée jusqu’alors par les objets dits « de pacotille » garnissant les étals des boutiques parisiennes. Lors de la cérémonie d’ouverture du pavillon japonais au Trocadéro, les six mille visiteurs venus du monde entier purent ainsi découvrir une nouvelle facette de la création nipponne, notamment l’artisanat des différentes régions de l’archipel, la peinture contemporaine <em>yô-ga</em> (de style occidental), et surtout l’Exposition rétrospective réunissant 800 œuvres d’art ancien. Cette dernière se tenait dans le « Palais japonais », édifice majestueux construit spécialement à cette intention, inspiré du Kondô du temple Hôryû-ji à Nara.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/418716/original/file-20210831-13-1jat3tn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/418716/original/file-20210831-13-1jat3tn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=458&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/418716/original/file-20210831-13-1jat3tn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=458&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/418716/original/file-20210831-13-1jat3tn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=458&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/418716/original/file-20210831-13-1jat3tn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=575&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/418716/original/file-20210831-13-1jat3tn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=575&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/418716/original/file-20210831-13-1jat3tn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=575&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Exposition universelle de 1900 à Paris, façade latérale du Palais japonais.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Collection particulière, Lemog</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>À l’issue de cette exposition fut fondée <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k9680946k/f3.image">« la Société franco-japonaise de Paris »</a>, témoignage éloquent de la réunion de deux pôles qui jusqu’ici avaient œuvré séparément : les représentants japonais missionnés par le gouvernement de Meiji, et les cercles de japonisants occidentaux qui, chacun de leur côté et par des méthodes différentes, s’étaient efforcés de promouvoir la culture et l’art nippons en France.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/131722/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Angélique Saadoun ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Au XIXᵉ siècle se sont imposées deux conceptions de l’art nippon, l’une orientale et l’autre occidentale.Angélique Saadoun, Doctorante en histoire de l'art, Sorbonne UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1611282021-06-17T17:16:43Z2021-06-17T17:16:43Z« Sexualités, un regard philosophique » : Ce que les taoïstes ont compris et que nous ne comprenons pas<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/402629/original/file-20210525-23-1fjxaz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=4%2C4%2C920%2C514&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Féminin et masculin, yin et yang, du plus petit à l’infiniment grand.
</span> <span class="attribution"><span class="source">Pixabay</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p><em>« In extenso », des podcasts en séries pour faire le tour d’un sujet.</em></p>
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<p>Mouvement NoGender, procréation médicalement assistée, gestation pour autrui, et même bébés génétiquement modifiés en Chine, voire transhumanisme… Les sexualités n’ont jamais semblé autant bouleversées qu’aujourd’hui, ni les débats aussi vifs.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/401668/original/file-20210519-17-1rhnc82.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/401668/original/file-20210519-17-1rhnc82.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/401668/original/file-20210519-17-1rhnc82.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=931&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/401668/original/file-20210519-17-1rhnc82.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=931&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/401668/original/file-20210519-17-1rhnc82.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=931&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/401668/original/file-20210519-17-1rhnc82.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1169&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/401668/original/file-20210519-17-1rhnc82.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1169&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/401668/original/file-20210519-17-1rhnc82.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1169&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Phénoménologie des sexualités : la modernité et la question du sens.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Éditions L’Harmattan</span></span>
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</figure>
<p>Pour le philosophe Laurent Bibard, auteur d’une <em>Phénoménologie des sexualités</em> aux Éditions L’Harmattan, l’évolution de la conception des notions de « féminin » et de « masculin » au travers de l’histoire peut permettre de mieux saisir les enjeux actuels.</p>
<p>Matrice de la vie politique ou encore économique, les sexualités, éclairées tant par les lumières de la pensée occidentale qu’orientale, doivent, selon lui, nous aider à comprendre qui nous sommes et le sens de ce que nous voulons être.</p>
<p>Si la pensée occidentale, décortiquée dans l’épisode précédent, est aujourd’hui, pour le meilleur ou pour le pire, dominante, cela ne saurait, pour Laurent Bibard, occulter les apports des religions orientales. Le taoïsme, notamment, invite à considérer que, nés de la rencontre entre un homme et une femme, nous portons tous en nous le féminin et le masculin, les inséparables yin et yang dont l’entrelacement caractérise autant l’échelle individuelle que l’infiniment grand. Cette dynamique a quelque chose à dire à qui imagine la possibilité d’un contrôle total de notre monde…</p>
<iframe src="https://embed.acast.com/601af61a46afa254edd2b909/60b88a37cc0016001b75e70d?cover=true" frameborder="0" allow="autoplay" width="100%" height="110"></iframe>
<p><iframe id="tc-infographic-569" class="tc-infographic" height="100" src="https://cdn.theconversation.com/infographics/569/0f88b06bf9c1e083bfc1a58400b33805aa379105/site/index.html" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
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<p><em>Conception, Thibault Lieurade. Production, Romain Pollet</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/161128/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Yin et yang ne sont pas superposables à « femme » et « homme », puisque nous portons toutes et tous en nous, quel que soit notre sexe, les deux sexualités.Laurent Bibard, Professeur en management, titulaire de la chaire Edgar Morin de la complexité, ESSEC Thibault Lieurade, Chef de rubrique Économie + Entreprise, The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1399432020-07-08T14:40:36Z2020-07-08T14:40:36ZCovid-19 : apprendre de l’Afrique<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/344338/original/file-20200626-104494-mcd2j7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C6240%2C4156&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Depuis le début de la pandémie de la Covid-19, quand il est question de l’Afrique, on nous annonce des catastrophes qui ne se réalisent pas, alors que c’est l’hécatombe presque partout en Occident.</span> <span class="attribution"><span class="source">shutterstock</span></span></figcaption></figure><blockquote>
<p>Les Occidentaux s’inquiètent pour nous, alors que nous nous inquiétons pour eux.</p>
</blockquote>
<p>Cette phrase est de <a href="https://information.tv5monde.com/afrique/coronavirus-les-europeens-s-inquietent-pour-nous-et-nous-nous-inquietons-pour-eux-estime">Felwine Sarr</a>, un économiste sénégalais à qui on demandait de décrire les impacts du coronavirus sur le continent africain.</p>
<p>Depuis le début de la pandémie de la Covid-19, quand il est question de l’Afrique dans les grands médias ou dans les analyses des organisations internationales, on nous annonce des catastrophes qui ne se réalisent pas, alors que c’est l’hécatombe presque partout en Occident. Sans décolonisation des esprits, nous continuerons d’ignorer l’expertise d’Afrique subsaharienne.</p>
<p>En tant que féministes aux origines africaines, respectivement professeures en développement international et en psychosociologie, nous nous désolons du portrait misérabiliste que les médias et populations occidentaux dépeignent trop souvent du continent africain.</p>
<h2>Une vision misérabiliste</h2>
<p><a href="http://www.rfi.fr/fr/podcasts/20200422-coronavirus-chaque-fois-il-est-question-d-afrique-c-est-la-catastrophe">Achille Mbembé</a>, professeur à l’Université sud-africaine du Witwatersrand, s’insurge contre ces scénarios catastrophiques des experts occidentaux : « Les Africains en ont marre de ces préjugés que l’on ressasse indéfiniment, peu importe les situations et les événements ».</p>
<p>De la même manière, Felwine Sarr critique ce « racisme structurel qui s’ignore ». Une condescendance propre à <a href="https://www.cairn.info/revue-mouvements-2007-3-page-111.htm">« la matrice coloniale du pouvoir »</a> (colonialidad del poder) comme dirait le sociologue péruvien Aníbal Quijano, justifie cette vision misérabiliste qui se complaît dans l’idée que l’Occident est mieux organisé, préparé et avancé que les autres.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/lafrique-face-a-la-covid-19-une-riposte-inegale-136896">L'Afrique face à la Covid-19 : une riposte inégale</a>
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<p>Or malgré ce que nous annoncent depuis des mois ces prophètes de malheur, beaucoup de pays d’Afrique subsaharienne gèrent <a href="https://covid19.who.int/?gclid=CjwKCAjw26H3BRB2EiwAy32zhV-ps29apqgMDxTuyVxyDhkaXc4EEPNDnRSvlVs5EW5xV5o7-G4clBoC754QAvD_BwE">plus efficacement</a> la crise sanitaire que les pays occidentaux. Un logisticien de Médecins Sans Frontières anglais raconte d’ailleurs qu’il a été inondé de messages d’anciens collègues africains qui constatent le manque d’organisation des pays occidentaux pour gérer la pandémie.</p>
<h2>Un regard colonialiste</h2>
<p>Une étude de la <a href="https://cmmid.github.io/topics/covid19/reports/COVID10k_Africa.pdf"><em>London School of Hygiene and Tropical Medicine</em></a> prédisait le 25 mars que la plupart des pays africains auraient chacun dépassé la barre des 10 000 cas dans les premières semaines de mai, et appelait à une « action immédiate » en Afrique. La réalité fut que la barre des 10 000 cas a été <a href="https://www.journaldemontreal.com/2020/04/11/covid-19-en-afrique-questions-sur-une-catastrophe-redoutee">dépassée</a> à la mi-avril… mais pour l’ensemble du continent africain. Les estimations étaient donc largement exagérées.</p>
<p>En date du 29 juin, il y avait <a href="http://www.rfi.fr/fr/afrique/20200629-coronavirus-l-afrique-face-%C3%A0-la-pand%C3%A9mie-le-lundi-29-juin">380 000 cas</a> confirmés et 9664 décès sur tout le continent africain, loin derrière les <a href="https://www.google.com/search?q=coronavirus+europe+cas&oq=coronavirus+europe+cas&aqs=chrome..69i57.2116j0j4&sourceid=chrome&ie=UTF-8">2 626 841</a> cas seulement aux États-Unis.</p>
<p>L’Afrique du sud, avec <a href="https://www.ledevoir.com/documents/special/20-03_covid19-carte-dynamique/index.html">138 134 cas</a> confirmés et 2456 morts arrivait au 17e rang des pays les plus touchés, un peu avant le Canada et loin derrière les États-Unis.</p>
<p>Plusieurs raisons expliquent que le scénario catastrophe anticipé en Afrique n’ait pas eu lieu. D’abord, le continent africain a une <a href="https://www.csmonitor.com/World/Africa/2020/0505/Ebola-experts-tips-to-fight-COVID-19-Listen.-Build-trust.-Show-respect">expertise</a> en gestion des épidémies. Par exemple, le <a href="https://www.un.org/en/coronavirus/learning-past-un-draws-lessons-ebola-other-crises-fight-covid-19">Sierra Leone</a>, durement affecté par l’Ebola de 2014 à 2016, a préparé sa réponse à la Covid-19 plus de trois semaines avant la détection d’un premier cas.</p>
<p>La <a href="http://roape.net/2020/04/20/lets-decolonize-the-coronavirus/">venue tardive</a> du virus sur le continent et la <a href="https://www.jeuneafrique.com/927936/politique/tribune-le-coronavirus-na-plus-de-vieux-a-tuer-sur-ce-continent/?fbclid=IwAR2oKGP4-FlSMCawnyEGLaIS5VMfs-6pIrrjr54pTSCvxeDAZHD5gASKGqA">jeunesse</a> de la population sont certainement aussi des facteurs favorables. Mais dans beaucoup de cas, il s’agit surtout du fait que la planification fut <a href="https://www.npr.org/sections/goatsandsoda/2020/05/17/856016429/senegal-pledges-a-bed-for-every-coronavirus-patient-and-their-contacts-too?t=1589925674869&t=1589971556429">meilleure</a> et <a href="https://www.economist.com/middle-east-and-africa/2020/05/16/why-covid-19-seems-to-spread-more-slowly-in-africa">plus rapide</a> : « Quand le monde nous prédisait le pire, nous étions au travail », expliquait Felwine Sarr, en entrevue à TV5 Monde, le 16 mai dernier.</p>
<h2>Sortir de la condescendance</h2>
<p>Le Nord va-t-il un jour envisager apprendre du Sud ? C’est ce que se demande à son tour <a href="https://www.forbes.com/sites/madhukarpai/2020/04/06/can-we-reimagine-global-health-in-the-post-pandemic-world/#7a9605e94c22">Catherine Kyobutungi</a>, directrice du <em><a href="https://aphrc.org/">African Population and Health Research Centre</a></em>. Elle critique les narratifs stéréotypés et déplore que les pays occidentaux ignorent l’expertise des pays qui n’en sont pas à leur première gestion de crise.</p>
<p>Ce refus d’apprendre de l’expérience issue des pays considérés subalternes s’est révélé dans le refus initial des gouvernements du Québec et du Canada de faire appel au leadership du Dr Joanne Liu, une sommité internationale en matière de lutte contre les épidémies, pour gérer cette crise. La Dr Liu a été jugée <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1695332/coronavirus-reponse-quebec-liu-experts-msf">« incontrôlable »</a> et on lui a dit que son expertise en Afrique serait utile dans le Grand Nord, mais pas dans le reste du pays.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/344339/original/file-20200626-104543-1syru94.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/344339/original/file-20200626-104543-1syru94.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/344339/original/file-20200626-104543-1syru94.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/344339/original/file-20200626-104543-1syru94.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/344339/original/file-20200626-104543-1syru94.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/344339/original/file-20200626-104543-1syru94.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/344339/original/file-20200626-104543-1syru94.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Afrique du Sud – 11 juin 2020 : deux femmes africaines portant des masques passent devant le centre de test de dépistage pour la Covid-19.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span>
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</figure>
<p>Pourtant, l’expertise en gestion d’épidémies par des personnes venant de pays du Sud global pourrait certainement aider les pays occidentaux à mieux gérer les crises actuelles et à venir. Il faudrait pour ce faire qu’on cesse de penser que les pays du Sud peuvent seulement apprendre et recevoir unilatéralement de l’aide de la part des pays du Nord, mentalité promue par le paradigme actuel de développement international.</p>
<h2>Apprendre du Sud global</h2>
<p>Dans une <a href="https://www.jeuneafrique.com/925508/politique/tribune-coronavirus-pour-en-sortir-plus-forts-ensemble/">tribune</a> publiée dans le magazine Jeune Afrique en avril dernier, plusieurs intellectuels, artistes et activistes africains, dont Aminata Dramane Traoré, Souleymane Bachir Diagne, Nadia Yara Kisukidi, Kako Nubukpo, Tiken Jah Fakoli, déclaraient que la crise sanitaire « constitue une opportunité historique pour les Africains de mobiliser leurs intelligences […], rassembler leurs ressources endogènes, traditionnelles, diasporiques, scientifiques, nouvelles, digitales (et) leur créativité » afin de construire le monde post-covid.</p>
<p>Le Sénégal développe notamment des <a href="https://www.newscientist.com/article/mg24632823-700-cheap-and-easy-1-coronavirus-test-to-undergo-trials-in-senegal/">tests à 1$</a> permettant de détecter en moins de 10 minutes les infections présentes et passées par les antigènes dans la salive et le Ghana étudie une <a href="https://www.washingtonpost.com/world/2020/05/16/when-it-comes-coronavirus-response-superpowers-may-need-study-smaller-nations/">technique de test</a> d’échantillons de sang groupés dont veut s’inspirer l’Organisation mondiale de la Santé (OMS).</p>
<p>Le président de Madagascar a été la <a href="https://www.journaldemontreal.com/2020/05/07/nouvelle-mise-en-garde-de-loms-contre-la-tisane-malgache-pretendument-anti-covid-1">risée</a> des médias occidentaux pour avoir promu les bienfaits d’une tisane d’Artemisia, jusqu’à ce que l’Institut allemand Max Planck <a href="https://www.parismatch.com/Actu/Sante/Artemisia-la-plante-miracle-agit-sur-le-Covid19-1690916?fbclid=IwAR32iqnlSgv2UNwoGVqavr73-gHN8OkcmdnZfuBHqDxZDZH7gJm9lMNet18">confirme</a> les bienfaits de cette herbe médicinale traditionnellement utilisée contre le paludisme pour lutter contre le virus.</p>
<p>En Afrique du Sud, un agriculteur <a href="https://information.tv5monde.com/video/afrique-du-sud-potagers-versus-covid-19?fbclid=IwAR31WO-VZPwWlTWok9tRtm9rDMeDzLH0EPZN3Vc5PL-I1NpUBZnIPuSvKNM">enseigne</a> aux villageois à cultiver des légumes pour favoriser la souveraineté alimentaire en temps de crise et l’Union africaine démontre une <a href="https://au.int/en/pressreleases/20200224/african-union-mobilizes-continent-wide-response-covid-19-outbreak">solidarité régionale</a> dont les pays occidentaux devraient s’inspirer, plutôt que de compétitionner dans la création d’un vaccin.</p>
<h2>Développer une solidarité radicale</h2>
<p>Depuis les derniers mois, dans plusieurs régions africaines naissent des mouvements pluriels, riches et complexes qui s’appuient sur les expériences passées pour imaginer des réponses innovantes et situées. Ces mouvements donnent lieu à des réflexions et des pratiques inventives qui méritent notre attention. Des économistes africains sont notamment à la recherche de manières de réinventer l’économie, convaincus que chaque situation exige des réponses situées. Elles et ils croient que de relancer une économie fondée sur le saccage de l’environnement et l’exploitation des plus vulnérables n’est plus une option.</p>
<p>Le chercheur <a href="https://www.aljazeera.com/indepth/opinion/pandemic-catalyst-decolonisation-africa-200415150535786.html">David Mwambari</a> souligne que cette pandémie peut participer à décoloniser les esprits. L’Occident doit commencer à considérer les pays et les populations d’Afrique subsaharienne comme des partenaires dans la recherche de solutions aux problèmes globaux plutôt que des bénéficiaires éternels d’une charité qui mine leur dignité tout en les déshumanisant. Il est temps de développer une solidarité radicale sans condescendance ni paternalisme.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/139943/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Maïka Sondarjee a reçu des financements du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH). </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Jeanne-Marie Rugira ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Malgré ce que nous annoncent depuis des mois les prophètes de malheur, beaucoup de pays d’Afrique subsaharienne gèrent plus efficacement la crise sanitaire que les pays occidentaux.Maïka Sondarjee, Professeure adjointe, L’Université d’Ottawa/University of OttawaJeanne-Marie Rugira, Professeure au département de psychosociologie et travail social, Université du Québec à Rimouski (UQAR)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1248182019-10-20T19:40:28Z2019-10-20T19:40:28ZLe retour d’une géopolitique archaïque serait un désastre stratégique<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/297388/original/file-20191016-98653-8pplod.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=5%2C73%2C1200%2C720&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">_La Ratification du traité de Münster_, Gerard Terboch, 1648.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Ratification_du_trait%C3%A9_de_M%C3%BCnster#/media/Fichier:Westfaelischer_Friede_in_Muenster_(Gerard_Terborch_1648).jpg">Wikipedia</a></span></figcaption></figure><p>La tentation d’une normalisation des relations avec le régime russe ne vient pas de nulle part. Elle n’est que la continuation de la pusillanimité de l’Occident devant l’<a href="https://www.washingtonpost.com/gdpr-consent/?destination=%2fnews%2fmonkey-cage%2fwp%2f2015%2f03%2f18%2fwhy-the-u-s-does-nothing-in-ukraine%2f%3f">invasion de l’Ukraine</a> et de son absence de <a href="https://theconversation.com/la-guerre-dextermination-en-syrie-et-la-fin-du-sens-commun-66342">toute volonté de mettre fin</a> aux <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/revolte-en-syrie/syrie-la-russie-et-le-regime-de-bachar-al-assad-menent-une-guerre-d-extermination_1855349.html">crimes contre l’humanité et aux crimes de guerre</a> commis en Syrie depuis bientôt neuf ans.</p>
<p>Notre incapacité à adopter une position ferme devant les risques dont est porteur l’<a href="https://theconversation.com/proteger-lukraine-cest-dabord-defendre-leurope-124757">accord du 1ᵉʳ octobre sur le Donbass</a> et notre entêtetement à croire à des négociations avec la Russie sur la Syrie ne relèvent pas seulement d’une forme d’abandon de nos principes et ne font pas que <a href="https://theconversation.com/debat-lilliberalisme-de-poutine-a-des-consequences-strategiques-120017">traduire un retrait stratégique</a>. Ces attitudes s’ancrent dans une vision ancienne de la géopolitique. Certes, du côté de l’Allemagne, on pourra, dans le cas de l’Ukraine, évoquer des intérêts économiques à courte vue, notamment sa défense de l’oléoduc Nordstream 2, <a href="https://www.europeanvalues.net/nordstream/">danger majeur pour la sécurité énergétique de l’UE</a> et <a href="https://harvardpolitics.com/world/nord-stream-2/">gain stratégique et financier pour le régime russe</a>. Mais c’est d’abord notre conception des relations internationales qui est en cause.</p>
<h2>La géopolitique, un concept flou</h2>
<p>Parler de géopolitique archaïque mérite quelques explications. L’emploi du terme lui-même, forgé en 1900 par le Suédois <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/14650040591003552">Rudolf Kjellén</a>, est régulièrement discuté en raison de l’<a href="https://www.europenowjournal.org/2017/09/05/the-demon-of-geopolitics-how-karl-haushofer-educated-hitler-and-hess-by-holger-h-herwig/">idéologie de ses premiers penseurs</a> et de son <a href="https://journals.openedition.org/espacepolitique/1714?lang=en">utilisation par le régime nazi</a>. Il renvoie souvent à une vision fondée sur les seuls « intérêts » de l’État et épouse un fort déterminisme géographique, voire historique. Depuis, certains auteurs ont abandonné ce biais en introduisant dans leurs analyses la dynamique des peuples, des éléments de contexte micro-géographiques et une approche plus empirique. On pourra certes conclure que la géopolitique est tout sauf une science exacte et reconnaître que, comme l’écrit <a href="http://www.pressesdesciencespo.fr/fr/livre/?GCOI=27246100282510">Frédéric Lasserre</a>, « il est difficile de théoriser la géopolitique de façon crédible ». Souvent, y compris l’auteur de ces lignes lorsqu’il plaidait pour une <a href="https://www.huffingtonpost.fr/nicolas-tenzer/devant-lurgence-historique-leurope-geopolitique-est-la-seule-reponse_a_23683715/">conception géopolitique de l’Europe</a>, on utilise aussi le mot géopolitique, faute de mieux, pour faire valoir une conception du monde ou d’une région vus sous l’angle des relations internationales et de la sécurité, et pas seulement de l’économie et des institutions.</p>
<p>Il est révélateur que, consciemment ou non, certains responsables politiques ou analystes de la vie internationale puisent des concepts ou des modes d’argumentation dans le vocabulaire et les axiomes anciens de la géopolitique pour défendre leur point de vue. Car soyons nets : ces concepts permettent de justifier théoriquement, donc idéologiquement, une vision du monde qui leur préexiste. Certes, il n’est guère possible, dans le champ des relations internationales comme dans celui de la politique en général, de prétendre échapper soi-même à ces conceptions portées par des convictions et des valeurs. Mais celles-ci, et c’est inquiétant, peuvent conduire à écarter les faits. Les concepts en question sont notamment ceux de réalisme, de stabilité, d’histoire et d’États. Aucun n’est illégitime, mais leur usage peut être détourné et leur sens corrodé.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/297555/original/file-20191017-98653-12a2z86.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/297555/original/file-20191017-98653-12a2z86.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/297555/original/file-20191017-98653-12a2z86.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/297555/original/file-20191017-98653-12a2z86.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/297555/original/file-20191017-98653-12a2z86.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/297555/original/file-20191017-98653-12a2z86.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/297555/original/file-20191017-98653-12a2z86.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Détail du tableau <em>Les Ambassadeurs</em> de Hans Holbein le jeune, 1533.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/Category:Details_of_The_Ambassadors_(Holbein)#/media/File:Map_ambassadors.jpg">Wikipedia</a></span>
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<h2>La querelle du réalisme</h2>
<p>Le réalisme est un terme souvent utilisé par certains géopolitologues afin de constater un rapport de puissance à un moment donné. Mais ce réalisme-là n’a que peu à voir avec le réalisme critique de Raymond Aron qui se démarquait des « pseudo-réalistes » : ceux-ci, expliquait-il, <a href="https://www.erudit.org/fr/revues/ei/2012-v43-n3-ei0321/1012811ar/">adoptent de ce terme une acception théorique et fondée essentiellement sur les seuls rapports de force</a> et ont une vision quintessenciée de la continuité de la politique étrangère des États et de l’intérêt national.</p>
<p>On voit surgir ce réalisme autoproclamé oublieux des menaces chez d’anciens hauts responsables, tels Hubert Védrine, pour qui <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2017/01/13/hubert-vedrine-la-tragedie-d-alep-symbolise-l-effondrement-des-politiques-occidentales-guidees-par-la-morale-et-l-ethique_5062264_3210.html">« il fau[drai]t prendre notre perte […] sur la Crimée et la Syrie »</a> et qui n’hésite pas à étendre ce cynisme défaitiste à l’ensemble de l’Ukraine. Selon cette acception, le réalisme ne cherche aucunement à analyser les menaces qui pèsent sur notre sécurité et sur nos principes. Le réalisme se réduit dès lors à l’acceptation du présent. Mais que vaut un réalisme qui ne part pas, dès le départ, d’une reconnaissance des risques et qui considère, sans la moindre démonstration élaborée, qu’une agression ne peut être contrée ? Un réalisme conséquent suppose au contraire d’analyser les rapports de force en cherchant ce qui peut permettre de les modifier à notre avantage. Chercher à les déplacer suppose de prendre en considération, comme le soulignait déjà Aron, non seulement les forces militaires et la puissance économique, mais aussi la force que peuvent porter la volonté et la mobilisation psychologique des populations.</p>
<p>Faire fond sur de prétendus « intérêts éternels » est également erroné. Ainsi, l’intérêt bien compris de la Russie, économique et de sécurité, serait d’avoir à l’égard de l’Occident une attitude coopérative et non hostile. Ce que le régime défend n’a rien à voir avec de tels intérêts, mais avec une <a href="https://www.huffingtonpost.fr/nicolas-tenzer/vladimir-poutine-guerre-russe-syrie-change-ordre-du-monde-XXI-e-siecle_a_21630935/">volonté avant tout idéologique de destruction</a> d’un ordre international fondé sur des principes libéraux.</p>
<h2>La stabilité, ou le fixisme géostratégique</h2>
<p>Dans cette conception, peu importe l’aspiration des peuples à la liberté. Le droit international, faute de garant résolu, n’aurait guère d’importance puisqu’il ne serait que le résultat momentané de rapports de force qui évoluent régulièrement. L’idée qu’il faille imposer un effet de cliquet à ses progrès afin d’éviter un retour en arrière ne serait qu’une manifestation d’idéalisme et ne contribuerait pas à la stabilité de l’ordre international : d’un côté, il attiserait les revendications de droits ; de l’autre, il empêcherait la puissance de s’exercer pour corriger les erreurs passées. Il serait contre nature. Cette conception archaïque de la géopolitique considère dès lors souvent les protestations – voire les révolutions – populaires comme le premier danger.</p>
<p>Cette défiance s’est notamment exprimée devant <a href="https://blogs.lse.ac.uk/mec/2015/03/18/the-securitisation-of-stability-and-the-demise-of-the-arab-uprisings/">ce qu’on a appelé les « printemps arabes »</a> et, plus récemment, l’insurrection pour la liberté à Hong Kong. Ces mouvements sont perçus comme un saut dans l’inconnu. Brandissant les menaces dont ils seraient porteurs, notamment l’islamisme ou le chaos, certains, <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2018/03/09/a-abou-dhabi-sarkozy-fait-l-eloge-des-hommes-forts_5268166_3210.html">comme l’ancien président Nicolas Sarkozy</a>, célèbrent la stabilité des régimes et glorifient les hommes forts. C’est aussi au nom de la stabilité que certains estiment qu’Assad, quoique criminel contre l’humanité, représente « la moins pire des solutions », alors que, par le massacre de son peuple, le ciblage délibéré des opposants modérés et la libération des djihadistes de Daech, <a href="https://www.institutmontaigne.org/ressources/pdfs/publications/syrie-en-finir-avec-une-guerre-sans-fin-note.pdf">il constitue en fait le premier facteur d’instabilité de la Syrie</a>. D’autres encore, tels Donald Trump, <a href="https://www.washingtonpost.com/gdpr-consent/?destination=%2fopinions%2fglobal-opinions%2ftrumps-favorite-dictator-panics%2f2019%2f09%2f30%2fa9cd9590-e3a2-11e9-a331-2df12d56a80b_story.html%3f">tiennent le même raisonnement pour l’Égypte</a> et veulent voir dans le président Sissi un rempart contre le terrorisme et contre l’extrémisme islamiste, alors que l’expérience historique montre que les régimes autoritaires alimentent ces phénomènes.</p>
<p>Cet éloge de la stabilité à tout prix va de pair avec une autre constante de cette ancienne géopolitique : le <a href="http://www.defnat.com/e-RDN/vue-article.php?carticle=10563">relativisme culturaliste</a>. Dans cette conception du monde, certains pays, en raison de leurs traditions, de leurs structures sociales ou de leurs religions, ne seraient jamais mûrs pour la démocratie, la liberté et les <a href="https://theconversation.com/les-droits-de-lhomme-au-coeur-de-la-politique-de-securite-une-perspective-realiste-56102">droits de l’homme</a>. Il n’est pas fortuit qu’un think tank proche du régime russe défende ainsi, dans son intitulé même, le <a href="https://doc-research.org/about-us/">« dialogue entre les civilisations »</a>, chacune étant supposée avoir sa propre voie de développement. Cette ancienne géopolitique a un ennemi : l’universalisme.</p>
<h2>L’histoire magnifiée et écartée</h2>
<p>Cette stabilité, selon la <a href="https://www.lopinion.fr/edition/international/thierry-montbrial-en-europe-il-faut-operation-verite-reduire-ecarts-183345">vulgate de ces autoproclamés réalistes</a>, ne proviendrait que d’un accord entre les Grands pour se partager des zones d’influence. Quant à l’histoire longue, elle serait mise au service d’une vision « continentale » dont seraient logiquement exclues les révolutions pour la liberté, notamment celles qui ont conduit à l’autonomie des pays d’Europe centrale et orientale et à l’indépendance des pays de l’ancienne URSS, de même que les mouvements luttant pour la préservation de l’indépendance de Taïwan et de l’autonomie de Hong Kong par rapport à la Chine continentale.</p>
<p>Sans toujours en percevoir la portée, certains dirigeants privilégient ainsi l’histoire longue de la Russie ou de la « Chine éternelle », de même qu’ils expliquent l’Iran par l’héritage perse ou la Turquie par celui de l’Empire ottoman. Que des responsables politiques de ces pays utilisent et détournent ces réminiscences historiques à des fins de propagande, comme l’a bien montré <a href="https://www.odilejacob.fr/catalogue/histoire-et-geopolitique/geopolitique-et-strategie/revanche-de-l-histoire_9782738136992.php">Bruno Tertrais</a>, est une chose ; que d’autres, politiques ou journalistes, chez nous, leur donnent un certain crédit en est une autre.</p>
<p>Dans cette vision éternitariste de la politique, là aussi, curieusement, à force de trop compter, l’histoire ne compte plus du tout. Revenue à un temps antérieur à l’<a href="https://www.scienceshumaines.com/l-ecole-des-annales-histoire-et-sciences-sociales_fr_21364.html">École des Annales</a>, les aspirations populaires, le mouvement des idées et leur impact sur la pensée, les différences au sein des pays, sont écartés au profit d’une vision géographique propre aux débuts de la géopolitique. Cette vision essentialise par exemple les luttes sectaires pour expliquer les rivalités du Moyen-Orient, sans voir qu’elles n’en fournissent pas une explication globale et <a href="https://www.usip.org/sites/default/files/PB162.pdf">sont instrumentalisées</a>.</p>
<h2>Petites nations contre grands États</h2>
<p>Dans cette vision, outre les peuples, les <a href="https://europecosmopolitique.files.wordpress.com/2015/02/deba_027_0003-1-kundera1.pdf">« petites nations » dont parlait Kundera</a> n’auraient qu’un droit résiduel de cité. Elles ne seraient qu’un obstacle pour la paix, des « problèmes » qui ne pourraient que faire obstacle aux « grands accords » si elles manifestaient par trop leur volonté. Comptent d’abord les grands pays. Seules les positions des principales puissances devraient être prises en compte dans cette « géopolitique » cruelle et, pour tenter d’empêcher un affrontement généralisé, le sacrifice des « petits » pourrait être nécessaire, y compris au profit d’États qui ne partageraient pas nos idéaux. D’une certaine manière, <a href="https://www.opendemocracy.net/en/1989-moment-legacy-future/">ce qui s’est passé en Europe entre 1989 et 1992</a> serait oublié, voire effacé – y compris parfois au sein de ces nations elles-mêmes –, au profit de l’histoire exclusive des « grandes nations » et cet héritage de l’émancipation du communisme, qui passait forcément par l’affirmation nationale, ne serait que marginal par rapport à une prétendue « grande histoire ».</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/297557/original/file-20191017-98657-z0bvg2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/297557/original/file-20191017-98657-z0bvg2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/297557/original/file-20191017-98657-z0bvg2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=873&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/297557/original/file-20191017-98657-z0bvg2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=873&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/297557/original/file-20191017-98657-z0bvg2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=873&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/297557/original/file-20191017-98657-z0bvg2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1097&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/297557/original/file-20191017-98657-z0bvg2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1097&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/297557/original/file-20191017-98657-z0bvg2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1097&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Carte postale de propagande nazie de 1939 proclamant.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/c/ce/Nazi_World_War_II_poster_Danzig_is_German.jpg">Wikipedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Cette vision illibérale et arrogante se manifeste régulièrement et l’Ukraine, qui n’est pas exactement une petite nation, <a href="https://www.huffingtonpost.fr/entry/pourquoi-macron-a-pris-ses-reves-pour-la-realite-lors-de-sa-rencontre-avec-poutine-a-bregancon_fr_5d5fc7a2e4b0dfcbd48c0058">paraît parfois considérée comme un obstacle ou un facteur d’irritation</a>. On voit poindre <a href="https://www.parismatch.com/Actu/Politique/Valery-Giscard-d-Estaing-approuve-l-annexion-de-la-Crimee-777310">chez certains politiques</a> la tentation implicite d’une naturalisation des appartenances : la <a href="https://www.independent.co.uk/news/people/henry-kissinger-russia-trump-crimea-advises-latest-ukraine-a7497646.html">Crimée, voire l’Ukraine, seraient « naturellement » russes</a> et certains, <a href="https://www.theguardian.com/commentisfree/2014/mar/01/russia-invasion-ukraine-crimea">y compris des opposants à Poutine</a> et <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/russie/la-crimee-etait-russe-avant-d-etre-ukrainienne_3068575.html">certains journalistes</a>, convoqueront de <a href="https://blogs.lse.ac.uk/lseih/2015/03/04/does-russia-have-a-legitimate-claim-to-parts-of-ukraine/">manière contestable</a> l’<a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2014/03/11/la-crimee-est-russe-depuis-quatre-siecles_4380990_3232.html">histoire pour s’opposer au droit</a>.</p>
<p>Une telle vision « géopolitique » ne peut qu’aller dans le sens du Kremlin qui, comme <a href="https://www.theguardian.com/books/2018/apr/15/the-road-to-unfreedom-russia-europe-america-timothy-snyder-review-tim-adams">Timothy Snyder l’a magistralement montré dans <em>The Road to Unfreedom</em></a>, promeut cette conception ethno-naturaliste de l’histoire russe en bannissant la considération de la volonté personnelle au profit d’ensembles territoriaux déshumanisés. Le pouvoir russe, nationaliste et autoritaire, n’a eu de cesse de contrer les revendications nationales lorsque celles-ci s’appuyaient sur le désir de liberté. En revanche, ce même pouvoir russe n’a jamais hésité à reprendre à son compte un discours fondé sur la « nature » du peuple russe, voire sur son <a href="https://books.google.fr/books?id=gcoPodT6pzkC&pg=PA43&lpg=PA43&dq=ethnicism+in+russia&source=bl&ots=kOnfiicihE&sig=ACfU3U0KLQR_lapQ0dYnqJMhbQSFHL4vJg&hl=fr&sa=X&ved=2ahUKEwjB-PO3n5flAhUNiVwKHeL8Cd04ChDoATADegQICBAB#v=onepage&q=ethnicism%20in%20russia&f=false">caractère ethnique</a>, pour englober les populations qu’il entendait assimiler. Cette conception s’étend logiquement à la religion – l’<a href="https://foreignpolicy.com/2018/09/10/putin-wants-god-or-at-least-the-church-on-his-side/">orthodoxie dont le régime</a> <a href="https://www.ft.com/content/a41ed014-c38b-11e9-a8e9-296ca66511c9">nie au passage la diversité</a> – et à la langue, <a href="https://www.persee.fr/doc/polit_0032-342x_1938_num_3_6_5691">comme l’avait déjà fait Hitler au moment de la crise des Sudètes</a>. Dans le cas de l’Ukraine, les russophones du Donbass et de Crimée seraient réputés favorables au régime alors même qu’une majorité d’entre eux se sentent ukrainiens pour des raisons politiques, bien qu’ils parlent d’abord le russe.</p>
<p>Non seulement la pénétration accrue dans les esprits des dirigeants de l’Ouest de cette vision géopolitique ancienne serait désastreuse pour les <a href="https://theconversation.com/les-vents-sont-contre-nous-la-porte-etroite-de-la-liberte-109270">peuples en lutte pour la liberté</a>, mais elle menacerait aussi les pays européens. En se montrant compréhensif envers le discours des États autoritaires, voire en reprenant leurs thèmes de propagande – ces grands États <a href="https://www.washingtonpost.com/gdpr-consent/?destination=%2fopinions%2fanne-applebaum-nato-pays-a-heavy-price-for-giving-russia-too-much-credita-true-achievement-under-threat%2f2014%2f10%2f17%2f5b3a6f2a-5617-11e4-809b-8cc0a295c773_story.html%3f">auraient été « humiliés »</a> par ceux qui résistent à leurs coups de force et il faudrait « respecter » leurs régimes en raison de l’histoire –, c’est précisément l’histoire des luttes pour la liberté et les conquêtes du droit qu’on efface. Au nom de l’histoire longue, on annihilerait celle du présent. Penser que les démocraties pourraient survivre en étant entourées d’États ayant voué à la mort les principes libéraux est une illusion tragique. Et cette histoire ainsi annoncée, selon les mots de Hegel, ne serait qu’un charnier.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/124818/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Nicolas Tenzer est président du Centre d'étude et de réflexion pour l'action politique (CERAP), un think tank français neutre politiquement et indépendant de tout parti et groupe d'intérêts.</span></em></p>Les tenants du « réalisme » et de la « stabilité » se réclament volontiers de l’histoire et des « intérêts éternels des grands États ». Autant de prétendues évidences qu’il convient de remettre en cause.Nicolas Tenzer, Chargé d'enseignement International Public Affairs, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1200172019-07-09T18:45:13Z2019-07-09T18:45:13ZDébat : L’illibéralisme de Poutine a des conséquences stratégiques<p>Dans un <a href="https://www.ft.com/content/670039ec-98f3-11e9-9573-ee5cbb98ed36">entretien très commenté avec le <em>Financial Times</em></a>, <a href="https://www.ft.com/video/a49cfa25-610e-438c-b11d-5dac19619e08">Vladimir Poutine</a> a exprimé de manière nette son opposition au libéralisme. Reprenant son discours classique contre les valeurs d’une société ouverte, tolérante et diverse, il a également emprunté aux extrêmes droites un propos hostile aux migrants et réfugiés. En soi, cela n’a rien de surprenant, à ceci près qu’il a exprimé de manière officielle ce qui était le moteur principal de son action, <a href="https://theconversation.com/debat-comment-parler-avec-la-russie-de-poutine-97005">à nos yeux évident depuis longtemps</a>.</p>
<p>Il n’est toutefois pas certain que chacun perçoive les implications stratégiques et la grammaire propre que cette position implique et en tire les conséquences dans l’analyse de la stratégie russe et dans l’action. Il serait facile, devant l’ampleur de ses effets, d’y discerner un propos à destination intérieure, visant à légitimer la <a href="https://www.bloomberg.com/opinion/articles/2019-04-30/who-is-putin-afraid-of-russia-s-political-prisoners">persécution des dissidents</a> et des <a href="https://www.hrw.org/news/2019/02/15/russia-new-wave-anti-lgbt-persecution">homosexuels</a>, les <a href="https://www.hrw.org/world-report/2019/country-chapters/russia">atteintes aux droits de l’homme</a> et la <a href="https://www.voanews.com/europe/report-russian-free-speech-crackdown-intensified-2012">mise au pas de la presse</a>.</p>
<p>On y verra aisément aussi une « explication » de son <a href="http://theconversation.com/how-russians-have-helped-fuel-the-rise-of-germanys-far-right-105551">soutien aux mouvements extrémistes</a> en Europe avec lesquels la convergence idéologique est désormais claire – ces mouvements ayant remplacé les « partis frères » – communistes – du temps de l’URSS. Dès avant leur entrée au gouvernement, des accords avaient été <a href="https://www.thedailybeast.com/cheats/2017/03/06/putin-s-party-signs-cooperation-deal-with-italy-s-far-right-lega-nord">conclus entre la Lega italienne</a> et le <a href="https://www.themoscowtimes.com/2016/12/19/putins-united-russia-signs-cooperation-agreement-with-far-right-austrian-party-a56579">FPÖ autrichien</a> et le parti de Poutine, Russie Unie.</p>
<h2>L’horizon de la guerre</h2>
<p>Mais pour le reste, entend-on déjà, la Russie de Poutine serait un pays « normal » avec lequel on pourrait conclure des accords, commercer, attendre une réciprocité, bref un pays qu’il faudrait « comprendre » et dont on devrait prendre en compte, selon les règles de la géopolitique classique, les « intérêts ».</p>
<p>Poursuivre dans cette voie serait s’égarer, parfois pour se rassurer à bon compte, souvent en cédant à une paresse de l’esprit. C’est aussi, consciemment ou non, le résultat d’une <a href="https://disinfoportal.org/the-kremlins-multifaceted-strategy-in-france/">propagande douce souvent plus invasive</a> que la désinformation lourde. Cela conduit à refuser de prendre le président russe à la lettre et de percevoir peut-être, car il fait depuis longtemps ce qu’il a dit récemment, le changement de paradigme qu’il a déjà opéré.</p>
<p>Dans un <a href="https://www.theguardian.com/commentisfree/2019/jun/28/putin-war-machine-russian-atrocities">article important</a>, Natalie Nougayrède rappelait que l’essentiel était peut être moins le discours que la réalité de la Russie, en particulier depuis l’arrivée de Poutine au pouvoir : la guerre. Ces presque 20 ans de guerre (Tchétchénie, Géorgie, Ukraine, Syrie…), quasi incessante, succédaient d’ailleurs aux 10 ans de guerre soviétique en Afghanistan et aux 9 ans de guerre de l’ère Elstine. Guerres marquées par l’impunité et le crime, écrit-elle, dont l’Occident « n’a pas compris qu’elles finiraient par définir la structure du pouvoir de la Russie et comment elle se définit par rapport au reste du monde. » Dès lors, conclut-elle, notre indignation devant l’anti-libéralisme de Poutine ne doit pas masquer la vraie question, celle des « crimes répétés et délibérés sur des civils et de sa responsabilité pour ceux-ci ».</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/afghanistan-comment-expliquer-la-resilience-des-talibans-101954">Afghanistan : comment expliquer la résilience des talibans</a>
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<p>On doit certes, <a href="https://www.theguardian.com/world/2019/jun/27/putin-skripal-attack-should-not-affect-uk-russia-relations">comme l’a fait le président du Conseil européen</a>, Donald Tusk, répondre à Poutine en opposant les valeurs libérales de l’Europe, en particulier le règne de la loi, les droits de l’homme et les libertés, qui ne sont pas obsolètes. Mais le domaine des valeurs ne s’arrête pas aux frontières des États et les <a href="https://abcnews.go.com/International/russia-committed-war-crime-syria-investigators/story?id=53580112">crimes de guerre commis par le Kremlin</a> ne sont que le prolongement international de son antilibéralisme.</p>
<p>Autrement dit, il ne s’agit pas seulement d’opposer le modèle de la démocratie libérale à l’autoritarisme antilibéral poutinien, mais de s’opposer aux actes qui le traduisent. Délier ces deux dimensions conduit non seulement à ne rien comprendre, mais surtout – ce qui est le but recherché par la Russie – <a href="https://www.ecfr.eu/publications/summary/winning_the_normative_war_with_russia_an_eu_russia_power_audit">à ne rien faire</a>.</p>
<h2>Guerre idéologique, idéologie de la guerre</h2>
<p>Sur le plan idéologique, l’antilibéralisme tel que l’exprime Vladimir Poutine est une <a href="https://www.huffingtonpost.fr/nicolas-tenzer/vladimir-poutine-guerre-russe-syrie-change-ordre-du-monde-XXI-e-siecle_a_21630935/">guerre totale aux principes</a> qui sous-tendent l’ordre international. Il implique logiquement que le droit international (respect des frontières et des traités), et en particulier le droit humanitaire international, sont devenus « obsolètes », ainsi que le fonctionnement normal des institutions multilatérales, en particulier le <a href="https://www.rte.ie/news/world/2018/0411/953637-russia-syria-un-veto/">Conseil de sécurité des Nations unies</a>.</p>
<p>Cette idéologie n’est d’ailleurs pas seulement affirmée, mais mise en pratique en Ukraine et en Syrie, comme elle le fut jadis en <a href="https://www.euractiv.com/section/global-europe/opinion/russias-chechnya-model-for-syria-will-only-deepen-the-conflict/">Tchétchénie, qui en constitua d’une certaine manière la première répétition</a>. Innombrables sont les articles qui s’interrogent sur le <a href="https://www.politico.com/magazine/story/2017/01/putins-real-long-game-214589">dessein du maître du Kremlin</a> et sur l’<a href="https://www.nytimes.com/2019/06/25/magazine/russia-united-states-world-politics.html">existence ou non d’une stratégie planifiée d’avance</a>. Il est probable qu’il n’en a pas au sens militaire du terme ni dans les termes classiques des relations internationales. En revanche, sa stratégie idéologique commande tout.</p>
<p>Plusieurs signes en témoignent. D’abord, si l’on raisonne en termes rationnels, auxquels répond la notion classique d’intérêts, rien ne permet de conclure que ces opérations meurtrières correspondent à un <a href="https://theconversation.com/non-monsieur-poutine-nest-pas-un-stratege-genial-48635">intérêt stratégique de la Russie</a>. Au contraire, une entente pacifiée avec ses voisins et l’Europe, un renforcement des accords avec l’OTAN et une participation active à un processus qui aurait visé à la sortie d’Assad auraient permis à la Russie de jouer un rôle important et constructif sur la scène internationale.</p>
<p>Ils auraient surtout renforcé l’économie et, partant, le soutien au président russe. Au demeurant, même si l’on prend les opérations russes en Syrie depuis septembre 2015, rien sur le plan militaire ne justifiait les <a href="https://theconversation.com/debat-en-syrie-le-silence-ne-doit-pas-recouvrir-les-crimes-commis-a-idlib-113701">exactions délibérées et gratuites sur les civils</a> qui ne sont rien d’autre que des opérations de terreur <a href="https://thehill.com/opinion/international/425863-is-chechnya-putins-blueprint-for-syria">comme il a pu en exister en Tchétchénie</a>.</p>
<p>Ensuite, l’<a href="https://www.rferl.org/a/daily-vertical-challenging-russia-humiliation-narrative/28502024.html">habillage rhétorique</a> <a href="https://www.brookings.edu/opinions/humiliation-as-a-tool-of-blackmail/">sur l’humiliation</a> et la <a href="https://www.history.com/news/vladimir-putin-russia-power">grandeur perdue</a> et à retrouver ne tient pas la route, et est au mieux second par rapport à la perspective idéologique. Ces perceptions ne sont pas « naturelles », mais le fruit d’une opération de propagande mise en œuvre par les idéologues russes et les médias sous contrôle.</p>
<p>Galia Ackerman a récemment démontré <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/05/17/le-regiment-immortel-la-guerre-sacree-de-poutine-portraits-de-disparus-et-propagande-russe_5463155_3232.html">dans un livre magistral</a>, <em>Le régiment immortel</em>, comment celle-ci fonctionnait en liant l’épisode de la « Grande Guerre patriotique » à une entreprise contemporaine de mobilisation belliqueuse. La <a href="https://www.lepoint.fr/monde/comment-la-rehabilitation-de-staline-avance-en-russie-05-03-2018-2199642_24.php">réhabilitation de Staline</a>, <a href="https://www.washingtonpost.com/outlook/2019/06/13/putins-dangerous-campaign-rehabilitate-stalin/">largement encouragée par le pouvoir</a>, va aussi dans ce sens, alors que l’<a href="https://www.themoscowtimes.com/2019/05/27/the-russian-economy-is-stagnating-a65760">économie russe s’effondre</a> et que la <a href="https://www.rferl.org/a/study-22-percent-of-russians-live-in-poverty-36-percent-in-risk-zone-/29613059.html">pauvreté explose</a>.</p>
<p>Enfin, l’idéologie a ceci de propre qu’elle est toujours négation du futur. La stratégie idéologique constitue l’effondrement de la stratégie. L’idéologie ne conduit pas à une situation prédéterminée à l’avance, mais n’est que le développement logique d’une idée qui n’a pas de fin. Elle ne vise pas à façonner le monde, mais à le soumettre à sa loi, sans la visée d’un but.</p>
<p>De fait, on voit bien ce que Poutine entend détruire, mais il n’a pas de projet de construction. Il ne prépare pas un <a href="https://www.the-american-interest.com/2019/04/24/russia-is-no-great-power-competitor/">stade où la Russie serait plus puissante</a> et prospère, mais pourrait fixer l’ordre du jour par destruction des autres. La volonté de démanteler et de <a href="https://www.theguardian.com/commentisfree/2018/oct/09/vladimir-putin-divide-europe-skripal-russia">diviser l’Europe</a>, de rendre impossible dans les pays de l’ancienne URSS une expérience démocratique réussie et le <a href="https://time.com/5564173/how-putin-built-russian-empire/">soutien à des dictatures criminelles</a> ne résultent pas d’un projet de domination organisé, mais correspondent à un dessein purement idéologique : favoriser l’<a href="https://theconversation.com/russia-putin-lead-the-way-in-exploiting-democracys-lost-promise-94798">échec de toute forme de société démocratique et libérale</a> pour s’imposer comme modèle unique.</p>
<h2>Une nouvelle Guerre froide ? Comparaison n’est pas raison</h2>
<p>Cela oblige à éclairer les propos parfois entendus sur une <a href="https://www.brookings.edu/opinions/are-u-s-and-russia-in-a-new-cold-war/">nouvelle « Guerre froide »</a> qui nous opposerait à la Russie de Poutine. Comme souvent, la comparaison est d’une portée limitée sur le plan historique. La période actuelle n’est pas marquée par la course à la parité en matière d’armement, nucléaire et conventionnel, entre deux blocs.</p>
<p>Les conflits que conduit la Russie aujourd’hui en Ukraine et en Syrie ne constituent pas un affrontement direct avec les États-Unis ou les Alliés comme pendant les guerres du Corée et du Vietnam, ni même d’Afghanistan. Malgré les <a href="https://www.theguardian.com/world/2019/jun/11/leaked-documents-reveal-russian-effort-to-exert-influence-in-africa">actions d’influence actuelle de la Russie en Afrique</a> ou en <a href="https://carnegieendowment.org/2018/05/03/russia-playing-geopolitical-game-in-latin-america-pub-76228">Amérique latine</a>, comme <a href="https://time.com/5565120/russias-presence-in-venezuela/">au Venezuela</a>, nous sommes plus dans une logique de dominos ni d’ailleurs de <em>containment</em>.</p>
<p>Le soutien apporté par la Russie aux <a href="https://www.4freerussia.org/putin-european-far-right-partners-crime/">mouvements d’extrême droite</a> et ses <a href="https://www.worldcrunch.com/world-affairs/post-soviet-agitprop-how-putin-is-winning-social-media">actions d’agit-prop</a> ne sont pas identiques au soutien organisé aux partis communistes partout dans le monde et il n’y a plus l’équivalent d’une Internationale communiste. Nous n’avons pas assisté aujourd’hui à l’équivalent des interventions soviétiques en <a href="https://www.history.com/this-day-in-history/soviets-put-brutal-end-to-hungarian-revolution">Hongrie</a> (1956) et Tchécoslovaquie (<a href="https://www.rferl.org/a/1088011.html">1948</a> et <a href="https://meduza.io/en/feature/2018/08/24/before-1968-we-had-nothing-against-russia-or-the-soviet-union">1968</a>), et il n’y a rien d’équivalent aux crises de Berlin (1948) et à celle des missiles à Cuba (1962).</p>
<h2>Des interventions extérieures pour consacrer la défaite des principes démocratiques</h2>
<p>Si la guerre actuelle de la Russie n’est donc pas équivalente à la Guerre froide, elle reste toutefois un conflit systématique qui se traduit en guerres chaudes. L’invasion du Donbass s’est soldée par plus de <a href="https://www.rferl.org/a/death-toll-up-to-13-000-in-ukraine-conflict-says-un-rights-office/29791647.html">13 000 morts</a>, des dizaines de milliers de blessés et <a href="https://www.osw.waw.pl/en/publikacje/osw-commentary/2019-01-16/shadow-war-ukraines-policy-towards-internally-displaced">plus d’1,5 million de déplacés</a>.</p>
<p>Pour retrouver l’équivalent de l’annexion illégale de la Crimée, il faut remonter à celle des Sudètes par l’Allemagne nazie. Sans avoir l’ampleur des <a href="https://www.liberation.fr/planete/2014/02/27/les-tatars-peuple-puni-de-crimee_983345">déportations de masse effectuées sous Staline</a>, la <a href="https://www.hrw.org/news/2017/11/14/crimea-persecution-crimean-tatars-intensifies">persécution des Tatars de Crimée</a>, avec son lot de <a href="https://www.theguardian.com/world/2016/dec/12/crimean-tatars-accuse-russia-of-kidnappings-and-political-arrests">disparitions forcées</a>, d’<a href="https://www.ecfr.eu/article/commentary_europes_duty_to_protect_crimean_tatars">emprisonnements arbitraires</a>, de harcèlement et d’<a href="https://www.newsweek.com/russian-occupiers-are-wantonly-destroying-crimean-tatar-palace-783007">éradication culturelle</a>, traduit une volonté d’éradication.</p>
<p>L’<a href="https://www.washingtonpost.com/gdpr-consent/?destination=%2fnews%2fworldviews%2fwp%2f2018%2f03%2f06%2fthe-long-terrifying-history-of-russian-dissidents-being-poisoned-abroad%2f%3f&utm_term=.d9d40bb548f0">assassinat</a> ou la <a href="https://theconversation.com/sergei-skripal-and-the-long-history-of-assassination-attempts-abroad-93021">tentative d’assassinat d’opposants russes</a> à l’étranger rappelle également certaines périodes de la Guerre froide. Les <a href="https://theconversation.com/how-russia-is-growing-its-strategic-influence-in-africa-110930">ingérences en Afrique</a> et le <a href="https://elpais.com/elpais/2019/02/14/inenglish/1550140270_689024.html">soutien aux dictatures en Amérique latine</a> et au <a href="https://www.rand.org/content/dam/rand/pubs/perspectives/PE200/PE236/RAND_PE236.pdf">Moyen-Orient</a> miment aussi des époques plus anciennes avec des méthodes en partie différentes. Enfin, la guerre idéologique contre les valeurs occidentales transpose à l’ère du numérique certaines méthodes du Komintern.</p>
<p>Surtout, la guerre en Syrie, marquée d’abord par le <a href="https://www.theguardian.com/world/2019/mar/09/isis-syria-war-crimes-accountable-assad-putin-icc">soutien actif du régime Assad</a>, puis à partir de septembre 2015 par une <a href="https://www.theguardian.com/commentisfree/2018/feb/25/waiting-for-putin-and-assad-to-run-out-of-people-to-kill-is-that-our-plan">participation directe de Moscou aux opérations et aux crimes de guerre</a>, révèle le passage d’une idéologie de mépris des droits fondamentaux à une <a href="https://theconversation.com/la-guerre-dextermination-en-syrie-et-la-fin-du-sens-commun-66342">action ouverte d’extermination des populations civiles</a> comme pour marquer sa <a href="https://theconversation.com/syrie-penser-apres-homs-alep-idlib-la-ghouta-93995">capacité d’impunité</a> et consacrer au grand jour la défaite des principes de pays démocratiques.</p>
<h2>Casser les règles à tout prix</h2>
<p>Le point commun à la période soviétique et à la nôtre réside dans le combat idéologique. Une opinion commune veut que l’<a href="https://www.the-american-interest.com/2019/01/14/fukuyama-was-right-mostly/">effondrement de l’URSS ait marqué la fin de l’opposition doctrinale</a> entre non seulement le monde dit « libre » et l’espace communiste en raison de sa disparition, mais aussi entre l’univers démocratique et tout autre système.</p>
<p>Certes, en 1991, il existait encore des régimes autoritaires, d’inspiration communiste ou non, mais il n’y aurait plus sur le plan conceptuel d’opposition entre deux systèmes de pensée différents. Le système de démocratie libérale serait désormais le seul à pouvoir être perçu comme légitime. Cette assertion trop rapide est certes oublieuse d’autres proclamations, soit de régimes conservateurs d’inspiration islamiste radicale assez différents (<a href="https://freedomhouse.org/report/freedom-world/2019/iran">Iran</a>, <a href="https://www.nytimes.com/2018/10/22/opinion/khashoggi-mbs-arab-democracy.html">Arabie saoudite</a>, <a href="https://www.france24.com/fr/20190417-sultan-hassanal-bolkiah-brunei-portrait-droits-homme-lgbt-charia">Brunei</a> notamment), soit de dirigeants qui entendent opposer un <a href="http://www.defnat.com/e-RDN/vue-article.php?carticle=10563">particularisme culturel et politique</a> au principe même de valeurs universelles – ce dont la proclamation de <a href="http://www.bbc.co.uk/worldservice/people/features/ihavearightto/four_b/casestudy_art30.shtml">« valeurs asiatiques »</a> par Mahathir est le symbole. <a href="https://theconversation.com/indias-prime-minister-modi-pursues-politics-of-hindu-nationalism-what-does-that-mean-117794">L’hindouisme conservateur de Narendra Modi</a> va dans le même sens, mais aucun des deux n’exprime une volonté prosélyte.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/russie-arabie-saoudite-un-rapprochement-qui-agace-washington-85475">Russie–Arabie saoudite : un rapprochement qui agace Washington ?</a>
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<p>Par son action dont les dernières déclarations au <em>Financial Times</em> expriment la logique, Poutine entreprend de systématiser un ensemble doctrinal en opposition exacte avec les valeurs du monde libre. Il ne conduit pas seulement son discours d’opposition pour proclamer une immunité du territoire russe par rapport à ces principes, mais il entend en faire la règle du nouveau monde. Mais quelle règle ?</p>
<p>Le système communiste, les violât-il et les pervertît-il continuellement, disposait d’un socle de principes formellement stables. Il inversait le sens des mots et des concepts de façon orwellienne pour tenter de détruire la perception du réel, mais il se targuait de respecter les règles et les institutions.</p>
<p>Le système de Poutine, s’il emprunte à cette subversion des notions, <a href="https://www.theguardian.com/books/2015/feb/04/nothing-is-true-and-everything-is-permitted-peter-pomerantsev-review-russia-oil-boom">entend saper tout ce qui peut rester de règles</a> tant sur le plan intérieur qu’au niveau international. Le système soviétique avait un projet clair de domination et d’expansion et entendait que le monde entier devienne soviétique. Il était guidé par un principe messianique. La visée de Poutine est moins la conquête et l’allégeance que la <a href="https://www.the-american-interest.com/2018/03/01/putins-strategy-chaos/">destruction et le chaos</a>. Il ne veut pas remplacer les principes du monde libre par une idéologie, mais casser les règles de l’ordre international et celles de l’ordre interne des pays sans imaginer un autre monde, sinon celui de l’absence de normes.</p>
<h2>La règle contre le chaos</h2>
<p>Le risque ouvert par la Russie de Poutine, <a href="https://www.ukrinform.net/rubric-polytics/2461636-nicolas-tenzer-senior-french-official-director-of-the-center-for-studies-and-reflections-for-political-action-cerap.html">que nous avions qualifié de systémique</a> en ce qu’il concerne autant nos valeurs, notre intégrité politique et notre sécurité, oblige à repenser nos méthodes d’action sur le plan international et notre diplomatie.</p>
<p>D’abord, toute concession, <a href="https://information.tv5monde.com/info/emmanuel-macron-l-europe-doit-dialoguer-avec-la-russie-305639">même purement verbale</a>, envers le régime de Poutine traduirait une méconnaissance de la manière dont il fonctionne. Depuis l’<a href="https://nationalinterest.org/blog/buzz/beware-russia%E2%80%99s-%E2%80%9Ccreeping-annexation%E2%80%9D-georgia-30227">annexion <em>de facto</em> de deux provinces de la Géorgie en 2008</a>, soit 20 % de son territoire, il n’a jamais opéré la moindre concession. Toute faiblesse constitue un encouragement à poursuivre son offensive.</p>
<p>Sur le plan intérieur, les <a href="http://www.cicerofoundation.org/lectures/Nicolas_Tenzer_Message_of_Russian_Dissidents.pdf">dissidents l’ont bien compris</a>, qui réclament non pas moins de sanctions, <a href="https://www.washingtonpost.com/gdpr-consent/?destination=%2fnews%2fdemocracy-post%2fwp%2f2018%2f07%2f20%2fwhats-really-behind-putins-obsession-with-the-magnitsky-act%2f%3f&utm_term=.c8d728a63c1e">mais au contraire plus</a> – on pense notamment au <a href="https://www.atlanticcouncil.org/blogs/new-atlanticist/who-s-afraid-of-an-eu-magnitsky-act-bill-browder-says-it-s-not-just-the-targets">Magnitsky Act</a>, lequel ne vise d’ailleurs pas que Moscou mais l’ensemble des régimes qui commettent des violations des droits de l’homme.</p>
<p>La <a href="https://www.themoscowtimes.com/2019/06/26/russias-reinstatement-to-pace-is-a-grave-mistake-a66174">récente réadmission de la Russie</a> au sein de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, à laquelle avait <a href="https://euobserver.com/opinion/142849">œuvré la propagande russe</a>, ne s’est pas accompagnée de la libération – demandée par le <a href="https://www.themoscowtimes.com/2019/05/25/russia-must-release-detained-ukrainian-sailors-maritime-tribunal-a65745">Tribunal international de la Mer à Hambourg</a> – des <a href="http://khpg.org/en/index.php?id=1527519105">70 prisonniers politiques</a> et <a href="https://www.reuters.com/article/us-ukraine-crisis-russia-sailors/russia-detained-24-ukrainian-sailors-in-kerch-strait-incident-ifax-idUSKCN1NV1R8">24 marins ukrainiens</a>, illégalement détenus par Moscou. Ni par une attitude coopérative dans l’enquête sur la <a href="https://www.cbsnews.com/news/mh17-crash-murder-charges-russian-ukrainian-nationals-malaysia-airlines-flight-17/">destruction du vol MH17</a>, la <a href="https://foreignpolicy.com/2019/01/18/its-time-to-stand-up-to-russias-aggression-in-ukraine/">fin des agressions dans le Donbass</a>, l’amorce de son retrait de Crimée et l’<a href="https://www.thetimes.co.uk/article/syrian-civilians-killed-as-assad-and-russia-escalate-bombing-n80tgtcnm">arrêt des bombardements de civils en Syrie</a>. Elle ne garantit aucunement une acceptation par la Russie des jugements de la Cour européenne des droits de l’homme que le <a href="https://www.juridicainternational.eu/index.php?id=15646">Kremlin refuse d’appliquer</a> et dont la « légalité », en vertu d’une loi de novembre 2015, est soumise à la conformité de la Constitution russe.</p>
<p>Ensuite, c’est se tromper soi-même que d’estimer que le régime russe fonctionne selon la logique classique d’une <a href="https://theconversation.com/pourquoi-il-ne-faut-pas-negocier-avec-la-russie-de-poutine-54748">négociation internationale</a> et qu’on pourrait en espérer quelque chose en Ukraine et en Syrie. Il n’y a jamais eu d’avancée concrète sur ce point et il n’y en aura jamais : les <a href="https://www.theguardian.com/world/2019/jun/02/doctors-global-appeal-stop-syria-bombing-hospitals-idlib">crimes de guerre en Syrie continuent aujourd’hui dans la région d’Idlib</a>. Cela pourrait être le cas pour un État qui fonctionne selon des critères rationnels et selon une logique classique d’intérêts. Ce n’est pas le cas avec les dirigeants actuels du Kremlin en raison de leur logique radicale et de la <a href="https://www.ecfr.eu/article/commentary_security_concerns_russian_mafia_back_on_agenda7083">nature même du système de pouvoir russe</a>.</p>
<p>Enfin, il faut prendre au sérieux la guerre idéologique de la Russie car elle correspond à une offensive, globale quoique différenciée dans ses méthodes et ses visées, de l’<a href="https://theconversation.com/les-vents-sont-contre-nous-la-porte-etroite-de-la-liberte-109270">ensemble des régimes autoritaires</a>, de la Chine à l’Arabie saoudite, en passant par l’Iran, l’Égypte, voire les États-Unis de Donald Trump.</p>
<p>Au moment où des peuples, non seulement dans les <a href="https://www.bbc.com/news/world-europe-48607317">rues de Moscou</a>, mais aussi à <a href="https://www.bbc.com/news/av/world-asia-china-48599658/hong-kong-protests-why-people-are-taking-to-the-streets">Hong Kong</a>, en <a href="https://theconversation.com/les-etudiants-algeriens-cles-du-changement-113075">Algérie</a>, au <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2019/07/05/comment-au-soudan-militaires-et-opposants-se-sont-mis-d-accord-sur-la-transition-politique_5485691_3212.html">Soudan</a>, au <a href="https://www.theguardian.com/world/2019/jan/23/venezuela-protests-thousands-march-against-maduro-as-opposition-sees-chance-for-change">Venezuela</a> et dans les <a href="https://edition.cnn.com/2018/12/18/europe/hungary-protests-orban-intl/index.html">régimes illibéraux en Europe</a>, manifestent pour le droit, la liberté et la démocratie, nous devons rappeler la vertu de principes dont la portée est universelle par-delà les cultures, les religions et les traditions. Nous ne pourrons aider ces <a href="https://theconversation.com/why-we-need-an-international-freedom-movement-77339">combattants de la liberté</a> que si nous restons d’une inflexibilité totale quant aux règles du droit international et du droit humanitaire.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/120017/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Nicolas Tenzer est président du Centre d'étude et de réflexion pour l'action politique (CERAP), un think tank français neutre politiquement et indépendant de tout parti et groupe d'intérêts.</span></em></p>Le dessein du président russe est purement idéologique : favoriser l’échec de toute forme de société démocratique et libérale pour s’imposer comme modèle unique.Nicolas Tenzer, Chargé d'enseignement International Public Affairs, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1189832019-06-24T21:02:52Z2019-06-24T21:02:52ZSe vendre comme occidental à Dubaï<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/280956/original/file-20190624-97751-60oiz9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=15%2C7%2C2618%2C1745&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Dubai, une 'ville-entreprise' qui favorise les expatriés occidentaux sur des critères très précis.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/photos/A4o2W-MgQEM">Denis Harsch/Unsplash </a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Amélie Le Renard vient de publier aux Presses de Sciences Po (avril 2019) <a href="http://www.pressesdesciencespo.fr/fr/livre/?GCOI=27246100074350"><em>Le privilège occidental</em></a>, résultat d’une longue enquête sociologique sur la perception des travailleurs occidentaux à Dubaï et les attentes que ces derniers suscitent au sein de la ville émiratie. Extraits remaniés par l’autrice.</p>
<hr>
<p>Ancien protectorat britannique devenue cité état au sein de la Fédération des Émirats arabes unis en 1971, Dubaï peut aujourd’hui être décrite comme une <a href="http://dx.doi.org/10.5749/minnesota/9780816656301.001.0001">« ville-entreprise »</a> que les autorités sont parvenues à imposer comme un carrefour incontournable d’échanges commerciaux, financiers et humains à l’échelle globale.</p>
<p>Sur le marché du travail dont plus de <a href="https://www.courrierinternational.com/article/2009/02/19/les-travailleurs-etrangers-pris-au-piege">90 % des protagonistes sont des résidents étrangers</a>, les titulaires de passeports occidentaux sont structurellement avantagés : ils reçoivent des salaires bien supérieurs, ont des carrières plus rapides et occupent plus souvent des positions de management.</p>
<p>Si ces avantages peuvent être inscrits dans la continuité de hiérarchies coloniales, ils sont aussi liés à la politique migratoire du gouvernement dubaïote ainsi que des entreprises, cherchant à attirer des ressortissant·e·s de pays occidentaux. En effet, l’occidentalité est construite comme un argument de vente au service de la marque Dubaï.</p>
<p>Le statut avantageux dont bénéficient les titulaires de passeports occidentaux s’accompagne d’attentes tacites sur le marché du travail – et qui varient selon le genre et l’assignation raciale. De manière tacite, il est attendu des personnes qu’elles performent une occidentalité essentialisée, construite d’une manière singulière.</p>
<p>S’y conformer permet de vendre non seulement la marque Dubaï, mais aussi les marques des entreprises, et de se vendre soi-même, une expression employée couramment par les personnes que j’ai rencontrées. Se vendre, dans la ville-entreprise, c’est se promouvoir sur le marché du travail et se constituer un réseau de personnes utiles.</p>
<h2>Les soft skills</h2>
<p>La centralité de l’image marque le monde professionnel. Au cours des entretiens, la « bonne présentation », la « bonne attitude » reviennent sans cesse comme des critères centraux de recrutement. Ella, salariée dans une start-up (de nationalité norvégienne), m’explique qu’elle doit recruter quelqu’un pour son équipe et qu’elle recherche avant tout une « personnalité ». Quand je lui demande ce qu’elle entend par là, elle me répond (en anglais) :</p>
<blockquote>
<p>« Je cherche quelqu’un qui a la bonne attitude. Quelqu’un qui veut travailler en équipe, qui a une attitude positive. Qui est sympa, détendu. Et ouvert d’esprit. Qui est dans le même état d’esprit que nous, transparent, positif, détendu, ouvert ».</p>
</blockquote>
<p>La « bonne présentation » et les <a href="https://theconversation.com/fr/topics/soft-skills-62725">soft skills</a> ne sont pas propres à Dubaï. En France également les compétences dites relationnelles sont valorisées par les employeurs. Cependant, sur un marché du travail aussi multinational, les diplômes tendent à être relativisés. Si leur valeur est jugée à l’aune du pays de leur obtention et qu’un diplôme délivré par une université occidentale constitue un atout, les soft skills peuvent en partie compenser l’absence de diplôme, du moins pour les titulaires de passeports occidentaux, qu’ils soient ou non identifiés comme blancs.</p>
<p>Ainsi que je le comprends au fil de l’enquête d’autres critères spécifiques émergent, même s’ils sont le plus souvent implicites : afficher des signes extérieurs de richesse, masquer les signes d’appartenance religieuse, porter des vêtements renvoyant à une certaine construction de l’occidentalité professionnelle, parler anglais avec un accent européen ou états-unien, et cultiver un sens des interactions ordinaires, incluant un sens de l’humour culturellement situé.</p>
<h2>Porter des signes extérieurs de richesse</h2>
<p>Une entrepreneure française, Fatima, la trentaine, insiste sur l’importance d’afficher des objets visiblement chers pour être prise au sérieux. Cela serait, selon elle, un premier critère de la « bonne présentation » :</p>
<blockquote>
<p>« À Dubaï quand tu vas dans un meeting pour une grosse société, si tu es un mec, ils vont regarder ta montre et, si tu es une gonzesse, voir si tu es apprêtée, si tu as un diamant. […] En France, si tu vas avec un sac à main Chanel dans un [rendez-vous professionnel], c’est vulgaire, si tu veux […] »</p>
</blockquote>
<p>Pour Fatima, l’affichage de signes extérieurs de richesse est un critère de jugement pour un entrepreneur, et plus largement pour toute personne travaillant dans la vente. Elle-même a dû apprendre à se présenter selon ces codes, bien différents de ceux qu’elle a appris en France, dans son village, puis dans l’école de commerce d’une petite ville où elle a passé son diplôme (bac+3) : les professeurs y recommandaient de ne pas arborer de signe ostensible de richesse, expliquant que cela attirait la méfiance.</p>
<p>Lors de notre rencontre, elle se conforme désormais à ce modèle. Pour l’entretien, elle me donne rendez-vous dans le lobby d’un hôtel chic situé dans un quartier onéreux, arrive dans une tenue que je juge chère et sophistiquée quoique décontractée (mini jupe en jeans, chemise manches courtes d’une matière vaporeuse, chaussures lacées à talons plats en cuir blanc), commande plusieurs boissons et règle la note.</p>
<p>Le consumérisme, la mise en scène de la dépense d’argent et l’affichage de marques considérées comme prestigieuses sont centraux dans l’interprétation de l’appartenance des personnes en termes de classe. Il existe évidemment d’autres signes, comme les diplômes obtenus dans des universités états-uniennes ou britanniques. Cependant, dans un monde professionnel où beaucoup ne font que passer et où chacun doit être capable de situer rapidement une nouvelle connaissance, avoir l’air riche constitue un critère qui s’articule avec celui de la nationalité.</p>
<p><a href="https://www.editionsladecouverte.fr/catalogue/index-Les_classes_sociales_dans_la_mondialisation-9782707149220.html">Des formes de bluff</a> existent cependant, favorisées par les environnements sociaux internationaux. Avant de monter son entreprise, Fatima a d’ailleurs vécu à Dubaï pendant un an sous un statut de visa touriste qui l’obligeait à sortir du pays tous les quarante jours. Elle travaillait alors illégalement, et était donc dans une situation précaire tout en affichant des signes extérieurs de richesse. Un cas similaire à d’autres que j’ai rencontrés au cours de l’enquête.</p>
<h2>L’absence de signes évoquant la pratique de la religion musulmane</h2>
<p>Pour correspondre à une certaine construction de l’occidentalité professionnelle, un deuxième critère tacite est l’absence de signes évoquant la pratique de la religion musulmane.</p>
<p>Plusieurs personnes m’ont rapporté des cas de discrimination à l’embauche contre des candidates et candidats dont les recruteurs jugeaient la pratique de la religion musulmane trop visible (voile, barbe), ainsi que des licenciements de salariés musulmans souhaitant prier au travail, dans des entreprises émiriennes, françaises et états-uniennes.</p>
<p>Plusieurs éléments expliquent le caractère répandu de ces discriminations, en contradiction apparente avec l’image islamique des Émirats construite par différentes mesures (proclamation de l’islam comme religion d’État, limitation de la vente d’alcool).</p>
<p>En premier lieu, les entreprises jouissent d’une forte autonomie dans l’économie néolibérale de Dubaï. L’absence de droit antidiscriminatoire leur permet d’adopter les mêmes pratiques que dans d’autres contextes (en France par exemple) vis-à-vis des personnes dont la pratique de la religion musulmane est jugée trop visible, comme me l’explique Mélanie, salariée (française) d’un cabinet de recrutement :</p>
<blockquote>
<p>« Les recruteurs me disent clairement par exemple, “Moi, je ne veux pas de femmes voilées.” Ça, ça pose aucun problème de [dire ça ici]. […] Il n’y a aucun tabou là-dessus ».</p>
</blockquote>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/280969/original/file-20190624-97762-obdry1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/280969/original/file-20190624-97762-obdry1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/280969/original/file-20190624-97762-obdry1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/280969/original/file-20190624-97762-obdry1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/280969/original/file-20190624-97762-obdry1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/280969/original/file-20190624-97762-obdry1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/280969/original/file-20190624-97762-obdry1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les employeurs jugeant la pratique de la religion musulmane trop visible (barbe), peuvent licencier des salariés musulmans dans des entreprises émiriennes, françaises et états-uniennes.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/photos/s19SLYuhAiQ">Ahmed Carter/Unsplash</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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</figure>
<p>En second lieu, la construction stéréotypique de l’occidentalité, si elle avantage les personnes concernées, façonne aussi des attentes normatives. Les personnes embauchées dans ce cadre sont censées performer une identité occidentale professionnelle stéréotypée, qui passe par le tailleur ou le costume cravate, afin d’incarner l’image de Dubaï comme ville globale.</p>
<p>Esteban, de nationalité française, me raconte qu’en tant que candidat portant une courte barbe et ayant déclaré sa confession musulmane – l’appartenance religieuse est souvent demandée dans les formulaires de candidature –, il s’est heurté, lors d’un dernier entretien avant embauche, à l’opposition de son interlocuteur :</p>
<blockquote>
<p>« Il m’a dit : “La barbe, qu’est-ce que tu en penses ?” J’ai dit : “Je ne comprends pas.” Il a poursuivi : “Est-ce que tu la portes tout le temps ?” Je lui ai dit : “‘Ben oui !” […] C’est une question que je ne m’étais jamais posée, je lui ai dit : “Pourquoi ?” Il me dit : “Voilà, dans le milieu du luxe, ce n’est pas trop des choses qui se font.” […] Il m’a demandé si j’étais religieux. Je ne savais pas trop quoi répondre. Je lui ai dit : “Un peu des deux. C’est fashion.” Parce que c’est une belle barbe, c’est taillé en général, c’est propre. Il me dit : “Ah, j’ai peur aussi que pendant le ramadan, vous laissiez pousser une grosse grosse barbe.” Je lui dis : “Non non, mais si vous voulez, je vais chez le barbier tous les jours.” Et au final on en a parlé pendant cinq minutes, je lui ai dit : “On en rediscutera.” […] Et finalement ils n’ont jamais donné suite ».</p>
</blockquote>
<h2>Correspondre à une certaine image de la francité</h2>
<p>Lors de la même conversation, l’employeur potentiel expliqua que ne pas boire de vin lors d’un déjeuner d’affaires constituait un désavantage pour l’image de l’entreprise. Cette référence au vin de la part d’un interlocuteur états-unien, dans un contexte professionnel où l’alcool n’est accessible que dans les restaurants d’hôtel, et à prix très élevé, n’est pas anodine.</p>
<p>Ainsi, certains postes nécessiteraient d’adopter un comportement caractéristique de la bourgeoisie d’affaires d’un pays comme la France. Cette injonction s’adresse néanmoins principalement à des personnes dont les employeurs attendent qu’elles correspondent à une certaine image de la francité et/ou de l’occidentalité.</p>
<p>Il se produit ainsi une combinaison entre des pratiques de discrimination contre les musulmans importées de différents pays (notamment européens), liées à des formes de <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/catalogue/index-Islamophobie-9782707176806.html">racialisation des personnes supposées musulmanes</a>, et la construction sur le marché du travail d’une occidentalité stéréotypée excluant les signes jugés trop manifestes de pratique de l’islam.</p>
<p>Au sein des administrations et des entreprises, seules les personnes émiriennes (très minoritaires), à travers leur habit (<em>dishdasha</em> pour les hommes, <em>’abaya</em> pour les femmes), sont incitées à afficher des signes pouvant être associés à l’islam, qui participent alors à la performance d’une forme d’authenticité nationale.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/280983/original/file-20190624-97808-4zlhvw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/280983/original/file-20190624-97808-4zlhvw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=342&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/280983/original/file-20190624-97808-4zlhvw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=342&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/280983/original/file-20190624-97808-4zlhvw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=342&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/280983/original/file-20190624-97808-4zlhvw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=430&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/280983/original/file-20190624-97808-4zlhvw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=430&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/280983/original/file-20190624-97808-4zlhvw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=430&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Seuls les ressortissants émiriens ont le droit de porter un habit « traditionnel » attestant d’une certaine authenticité.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/stephangeyer/3607979058/">Stephan Geyer/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>La « blanchité » sans cesse associée à l’occidentalité</h2>
<p>De manière plus générale, une pression normative pèse sur les comportements des personnes censées incarner l’occidentalité.</p>
<p>C’est particulièrement le cas lorsqu’elles ne sont pas blanches : leurs interlocuteurs et interlocutrices cherchent alors souvent à savoir à quelles catégories racialisées les rattacher, s’il faut les considérer comme françaises, comme occidentales et/ou comme arabes par exemple. Ce questionnement sans cesse réitéré est <a href="https://www.routledge.com/The-Biopolitics-of-Mixing-Thai-Multiracialities-and-Haunted-Ascendancies/Haritaworn/p/book/9780754676805">révélateur de rapports de pouvoir</a>.</p>
<p>Ces hésitations récurrentes dessinent les contours d’une occidentalité normative, qui demeure associée à la blanchité même si elle ne s’y réduit pas. L’occidentalité des personnes non blanches peut à tout moment être remise en question ; elle est renvoyée au liminaire, à l’instable.</p>
<p>Indépendamment des signes présumés religieux, dans le domaine professionnel, les personnes non blanches peuvent être sommées de réaffirmer leur statut occidental (ou national) face à des catégorisations concurrentes. Lors des premières rencontres, un doute premier semble toujours devoir être dissipé, comme l’affirme Tony :</p>
<blockquote>
<p>« Je suis d’origine bangladeshie, et pour le coup je suis jugé comme un Bangladeshi au départ. Mais très rapidement, de par mon style vestimentaire, aussi bien que dès que je commence à parler, on comprend que je ne suis pas… Que je suis d’ailleurs. Donc à ce moment-là, on me prend un peu différemment. Mais dès le départ, on se pose clairement des questions ».</p>
</blockquote>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/280973/original/file-20190624-97745-11zdsu6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/280973/original/file-20190624-97745-11zdsu6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/280973/original/file-20190624-97745-11zdsu6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/280973/original/file-20190624-97745-11zdsu6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/280973/original/file-20190624-97745-11zdsu6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/280973/original/file-20190624-97745-11zdsu6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/280973/original/file-20190624-97745-11zdsu6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Deux ouvriers pakistanais, sur les docks de Deira, Dubai, 2010. Les expatriés d'origine sud-asiatique doivent montrer leur ‘différence’, leur ‘occidentalité’ pour dissiper le doute possible.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/charlesfred/4624090988">Charles Roffey/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
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<p>Cet extrait d’entretien suggère la centralité de la présentation de soi dans la performance, inconsciente ou stratégique, d’un statut qui soit différent d’autres statuts moins valorisés.</p>
<p>Cette présentation de soi implique également des <a href="https://read.dukeupress.edu/books/book/1787/Impossible-CitizensDubai-s-Indian-Diaspora">pratiques langagières et corporelles</a> qui marquent la distinction de celles de résidents non titulaires de passeports occidentaux.</p>
<p>Ainsi, les avantages structurels à être occidental s’accompagnent d’attentes normatives qui contraignent d’une manière spécifique les conduites des personnes non blanches. Le marché du travail produit des normes de présentation de soi et des formes d’exclusion en termes de genre, de classe, de race et de nationalité. La norme consiste à considérer un type d’habit dit occidental – décliné dans différentes versions réaffirmant la binarité de genre – comme neutre et professionnel, tandis que tout autre habit, perçu comme « ethnique » ou comme religieux dans le cas du voile, décrédibilise la personne qui le porte et limite ses chances d’emploi et de promotion.</p>
<p>Cette limite passée, certains corps sont vus comme plus désirables que d’autres sur le marché du travail. Certaines attitudes sont valorisées, notamment le fait d’être sympathique, « fun », ce qui demande un travail corporel et émotionnel particulier.</p>
<hr>
<p><em>Quelques paragraphes reproduits ici ont également été publiés en 2016 dans la revue <a href="https://journals.openedition.org/traces/6414">Tracés</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/118983/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Amélie Le Renard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’« occidentalité » est construite comme un argument de vente au service de la « marque » Dubaï. Que recouvre cette expression et qui concerne-t-elle ? Extraits.Amélie Le Renard, Chargée de recherche en sociologie, Centre Maurice Halbwachs, École normale supérieure (ENS) – PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1155992019-04-22T20:42:55Z2019-04-22T20:42:55ZComment les sociétés tolérantes se laissent porter par la haine<p>L'attentat xénophobe qui s'est déroulé à Hanau, près de Francfort, le 19 février 2020 et a fait neuf morts dans un bar à chicha <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/02/20/allemagne-au-moins-huit-morts-dans-deux-fusillades-a-hanau_6030139_3210.html">lors d'une fusillade</a>, a plongé l'Allemagne dans <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/02/21/a-hanau-l-horreur-l-incomprehension-et-la-colere_6030286_3210.html">la stupeur et la colère</a>.</p>
<p>«<a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/allemagne/le-racisme-est-un-poison-le-spectre-neonazi-inquiete-en-allemagne_3835369.html">Le racisme est un poison</a>» a ainsi martelé la chancelière Angela Merkel le lendemain de l'attaque.</p>
<p>Ces événements sont alarmants car ils s'inscrivent dans une montée en puissance de la haine au niveau sociétal, un phénomène déjà disséqué il y a une décennie par le réalisateur autrichien Michael Haneke dans son film <a href="https://www.theguardian.com/film/2009/nov/12/the-white-ribbon-review"><em>Le Ruban blanc</em></a>.</p>
<p>L’action se déroule à l’été 1914 dans un petit village protestant du nord de l’Allemagne, au moment où une série d’événements violents et mystérieux, dont des actes de vandalisme, des incendies volontaires et des passages à tabac, vient troubler le calme qui y régnait.</p>
<p>Des enfants du village sont suspectés d’être les coupables, mais les crimes restent malgré tout non élucidés par la communauté et, par conséquent, impunis. À la fin du film, la nouvelle de l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand d’Autriche et de l’éclatement du conflit qui lancera la Première Guerre mondiale s’abat sur les villageois.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/2Gy_maNk4DI?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Bande-annonce du <em>Ruban blanc</em> (Michael Haneke, 2009).</span></figcaption>
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<p>Pourquoi <em>Le Ruban blanc</em> est-il aussi pertinent aujourd’hui ? À travers une métaphore bien ficelée, le film décortique la montée de l’intolérance en l’espace d’une génération. Un quart de siècle plus tard, la génération constituée par les résidents du village constituera en effet le noyau dur du Troisième Reich, comme le décrit Daniel Jonah Goldhagen dans <a href="http://www.seuil.com/ouvrage/les-bourreaux-volontaires-de-hitler-les-allemands-ordinaires-et-l-holocauste-daniel-jonah-goldhagen/9782020289825"><em>Les Bourreaux volontaires de Hitler</em></a> (1997).</p>
<p>De la même manière, le précédent polar du réalisateur, <em>Caché</em> (2005), portait en réalité sur la <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/09639489.2011.588792">colonisation française de l’Algérie</a>. À la sortie du film, un critique du <a href="https://www.lemonde.fr/cinema/article/2005/10/04/cache-les-racines-historiques-de-la-barbarie_695624_3476.html"><em>Monde</em></a> notait :</p>
<blockquote>
<p>« Haneke semble dépeindre un monde civilisé qui aurait expulsé toute barbarie, mais ce qui s’affirme vraiment dans son cinéma, c’est que l’éradication de celle-ci, utopie avouée ou non de la société contemporaine occidentale, pourrait n’être qu’une autre manière de la faire revenir. »</p>
</blockquote>
<p>Depuis le 11-Septembre, les sociétés du monde entier sont de plus en plus gagnées par l’intolérance. Pareille introspection est donc nécessaire.</p>
<p>A quoi peut-on attribuer la radicalisation non pas d’un seul groupe mais d’une société tout entière ? De quelle manière et à quel moment une communauté auparavant tolérante et civilisée dérive-t-elle vers des formes d’interaction – entre ses citoyens et avec les personnes extérieures – qu’on pourrait qualifier d’extrémistes ? Que faire quand on assiste à la lente <a href="https://www.letemps.ch/opinions/retour-racisme">prolifération et acceptation de la haine</a> ?</p>
<p>Comme le montre l’allégorie de Michael Haneke, une telle transformation peut survenir en une seule génération. Elle est surtout encouragée par l’effondrement du système éducatif, le détournement du savoir et, ce qui est plus problématique, la passivité politique et éthique.</p>
<h2>Une chasse aux sorcières d’un type nouveau</h2>
<p>Le caractère inédit du 11-Septembre dans les relations internationales a parfois été exagéré, mais l’événement n’en reste pas moins à l’origine de la phase actuelle ou se jouent ces dynamiques.</p>
<p>Comme l’ont démontré de manière saisissante les violations des droits humains commises dans les prisons d’Abou Ghraib et de Guantanamo et la <a href="http://nymag.com/intelligencer/2016/03/poll-majority-of-americans-okay-with-torture.html">justification de la torture</a>, le 11-Septembre a eu pour effet d’introduire les principaux éléments de cette nouvelle socialisation en devenir, a savoir la <a href="https://global.oup.com/academic/product/the-new-american-militarism-9780199931767">militarisation des affaires internationales</a>, la <a href="https://nyupress.org/9781479876594/the-securitization-of-society/">sur-sécurisation de la société</a>, les <a href="https://www.penguin.com.au/books/rogue-justice-9780804138239">violations de l’État de droit</a>, la <a href="https://www.plutobooks.com/9780745337166/the-islamophobia-industry-second-edition/">normalisation des discours et des pratiques discriminatoires</a> et la surveillance généralisée.</p>
<p>Avec le temps a déferlé une vague de <a href="https://jhupbooks.press.jhu.edu/title/authoritarianism-goes-global">néo-autoritarisme</a>, assurée par la monétisation de la démocratie, comme l’explique Jane Mayer dans <a href="https://www.penguinrandomhouse.com/books/215462/dark-money-by-jane-mayer/9780307947901/"><em>Dark Money</em></a>, ouvrage qui expose en détail la manière dont certains milliardaires ont injecté de l’argent dans l’extrême-droite américaine.</p>
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<figcaption><span class="caption"><em>The Secrets of Abu Ghraib</em>, CBS (2009).</span></figcaption>
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<p>Le terrorisme transnational létal d’<a href="https://press.uchicago.edu/ucp/books/book/distributed/T/bo27405381.html">Al-Qaïda et de l’État islamique</a>, mais aussi, paradoxalement, l’horizon mental de recherches en sciences sociales presque exclusivement concentrées sur la violence des groupes armés islamistes ont permis le développement de politiques publiques répressives, ainsi que la poussée d’un populisme d’un genre nouveau, adepte de la chasse aux sorcières, chasse devenue de plus en plus acceptable sur le plan politique. On remarque moins ces aspects car, dans les faits, ils sont largement répandues et problématiques, et donc plus difficiles à repérer.</p>
<h2>La normalisation des propos haineux</h2>
<p>Dans un tel contexte, la quasi-normalisation des discours haineux a <a href="https://www.washingtonpost.com/national/in-the-united-states-right-wing-violence-is-on-the-rise/2018/11/25/61f7f24a-deb4-11e8-85df-7a6b4d25cfbb_story.html">fait augmenter l’extrémisme de certains groupes</a>, tant et si bien que les militants antiracistes se retrouvent sur la défensive, tandis que les propos haineux sont désormais simplement considérés comme « l’expression d’une opinion différente ».</p>
<p>Le 27 janvier 2017, sept jours seulement après le début de sa présidence et, symbole fort, à l’occasion de la Journée internationale dédiée aux victimes de l’Holocauste, Donald Trump a signé le <a href="https://www.whitehouse.gov/presidential-actions/executive-order-protecting-nation-foreign-terrorist-entry-united-states/">décret présidentiel 13769</a>. Couramment appelée le « Muslim Ban », cette loi a officiellement introduit une discrimination à l’encontre de certains individus du fait de leur religion, une interprétation validée par la Cour suprême des États-Unis.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/269601/original/file-20190416-147522-q69wb6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/269601/original/file-20190416-147522-q69wb6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/269601/original/file-20190416-147522-q69wb6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/269601/original/file-20190416-147522-q69wb6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/269601/original/file-20190416-147522-q69wb6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/269601/original/file-20190416-147522-q69wb6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/269601/original/file-20190416-147522-q69wb6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Manifestation contre le « Muslim Ban » à Minneapolis, États-Unis, le 31 janvier 2017.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/fibonacciblue/32600494826">Fibonacci Blue/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>Aussi, les extrémistes se sont alors habilement engouffrés dans la brèche pour diffuser plus largement leurs idées. Les néo-nazis et les militants du Ku Klux Klan se sont rassemblés à Charlottesville, en Virginie, au mois d’août de la même année, pour promouvoir ouvertement la suprématie d’une pseudo-race blanche. Quand un de ces nationalistes a foncé dans un groupe de contre-manifestants avec sa voiture, tuant une femme, le Président américain n’a pas parlé de terrorisme et a estimé qu’il y avait <a href="https://www.nytimes.com/2017/08/15/us/politics/trump-charlottesville-white-nationalists.html">« des gens très bien des deux côtés »</a>.</p>
<p>Plus que jamais, en particulier dans les sociétés occidentales, les idées de l’extrême-droite trouvent un écho très large, notamment sur les questions d’identité, de culture et de religion. Cette tendance toxique se manifeste aussi dans certaines sociétés non-occidentales, comme en <a href="https://theconversation.com/kashmir-india-and-pakistans-escalating-conflict-will-benefit-narendra-modi-ahead-of-elections-112570">Inde</a>, au <a href="https://theconversation.com/rightist-bolsonaro-takes-office-in-brazil-promising-populist-change-to-angry-voters-106303">Brésil</a> et en <a href="https://theconversation.com/israel-how-benny-gantzs-campaign-has-turned-state-violence-and-dead-palestinians-into-political-capital-113145">Israël</a>.</p>
<p>Paradoxalement, dans les années 2010, l’idéologie intolérante et antidémocratique des groupes violents qui ont pris l’Occident pour cible dans les années 2000 est devenue courante dans ce même monde occidental. Le racisme y est désormais reproduit en son sein, à des niveaux élevés. Ces points de vue racistes génèrent à leur tour un terrorisme d’extrême-droite, à l’instar du récent massacre dans deux mosquées de Christchurch, en Nouvelle-Zélande, en mars 2019, qui a fait une cinquantaine de victimes.</p>
<p>Ceci, alors même que ces sociétés tolèrent nonchalamment de telles idées en leur sein tout en dénonçant l’extrémisme violent des autres, <a href="https://edition.cnn.com/2019/03/27/europe/paris-fake-kidnapping-scli-intl/index.html">leur propre radicalisation leur échappe</a>.</p>
<h2>Italie, Allemagne, États-Unis et France</h2>
<p>L’Italie, l’Allemagne, les États-Unis et la France sont parmi les principaux précurseurs de cette nouvelle phase inquiétante. Célébrée par le <a href="https://www.newyorker.com/news/news-desk/what-a-white-supremacist-told-me-after-donald-trump-was-elected">Ku Klux Klan</a>, l’élection de Donald Trump n’a pas tant initié cette tendance que dévoilé au grand jour des dystrophies en cours depuis quinze ans.</p>
<p>Le racisme est le plus visible de toutes celles-ci. Il prend la forme de l’islamophobie, du racisme anti-noir et anti-latino, ou encore de l’antisémitisme, et se développe parmi les citoyens qui disent <a href="http://time.com/5388356/our-racist-soul/">« ne pas être gênés par le racisme »</a>. Pour autant, le terme « extrémisme » est rarement utilisé dans ce contexte, étant avant tout réservé à l’islamisme radical.</p>
<p>En France, le malaise socio-économique de ces dernières années a donné naissance au mouvement des <a href="https://theconversation.com/why-frances-gilets-jaunes-protesters-are-so-angry-108100">« gilets jaunes »</a>. Bien que les tendances d’extrême-droite de ce mouvement soient <a href="https://newrepublic.com/article/152853/ugly-illiberal-anti-semitic-heart-yellow-vest-movement">tangibles</a>, il est généralement décrit comme un mouvement citoyen, composé de personnes ordinaires, non politisées, menacées par la mondialisation, dont la violence devrait donc pour certains observateurs être <a href="https://www.versobooks.com/blogs/4242-understanding-the-gilets-jaunes">« compréhensible »</a>.</p>
<p>De façon plus globale, l’offensive haineuse lancée par des dirigeants ouvertement racistes – Viktor Orbán en Hongrie, Rodrigo Duterte aux Philippines ou Jair Bolsonaro au Brésil – n’a eu d’égal que la tiédeur des réactions face aux idées apparues dans ce courant dominant d’intolérance à l’échelle du globe.</p>
<h2>Signes inquiétants</h2>
<p>Cette tendance des années 2010 laisse présager que la radicalisation des sociétés risque de se consolider dans les années 2020.</p>
<p>La montée du <a href="https://www.washingtonpost.com/national/in-the-united-states-right-wing-violence-is-on-the-rise/2018/11/25/61f7f24a-deb4-11e8-85df-7a6b4d25cfbb_story.html?utm_term=.64aeb5f95e7a">terrorisme d’extrême-droite</a>, la prolifération des <a href="https://www.theguardian.com/world/2019/feb/28/italys-intelligence-agency-warns-of-rise-in-racist-attacks">attaques contre les migrants</a>, la nouvelle définition du populisme comme l’expression anodine d’un anti-élitisme, la <a href="https://www.aljazeera.com/news/2019/03/italy-bannon-backed-populists-academy-draws-criticism-190303111226073.html">réécriture des manuels et des programmes scolaires</a> et, bien sûr, la réutilisation de vieilles techniques telles que la <a href="https://foreignpolicy.com/2019/02/27/according-to-italys-leaders-rap-music-is-un-italian-sanremo-mahmood-m5s-salvini-di-maio-league/">criminalisation de formes artistiques comme le rap</a> témoignent de la progression sans entraves du climat actuel d’animosité dans le monde entier.</p>
<p>Exactement comme un siècle auparavant.</p>
<hr>
<p><em>Traduit de l’anglais par Laure Motet pour <a href="http://www.fastforword.fr/">Fast for Word</a>.</em></p>
<hr>
<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie les 23 et 24 septembre 2022 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/115599/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mohammad-Mahmoud Ould Mohamedou ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Assisterions-nous à la lente prolifération et acceptation de la haine ? Celle-ci est encouragée par l'effondrement du système éducatif, le détournement du savoir et la passivité politique et éthique.Mohammad-Mahmoud Ould Mohamedou, Professor of International History, Graduate Institute – Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1101242019-01-21T19:55:42Z2019-01-21T19:55:42ZL’écologie « relationnelle » pour repenser les rapports entre l’homme et son environnement<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/254555/original/file-20190118-100288-fdy3rx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=7%2C7%2C5288%2C3715&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">
</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Éco-logie, science de la « maison », de « l’habitat » ou encore « du milieu ». Inventé à la fin du XIX<sup>e</sup> siècle par le biologiste Ernst Haeckel, le terme a depuis généré une diversité terminologique impressionnante – écologie de la conservation, végétale, urbaine, agroécologie – au fur et à mesure de la compréhension de plus en plus précise de la diversité terrestre.</p>
<p>Il est toutefois intéressant de constater que le terme, peu importe son contexte d’utilisation, s’est longtemps ancré dans un même et unique rapport au monde : l’appréhension de ce qui est autre par le seul prisme de la division entre deux mondes, celui de l’humain et celui de la nature. Plusieurs auteurs ont depuis contesté cette posture.</p>
<p>Nous proposons de remettre en perspective ces critiques pour cheminer vers un nouveau champ d’études à explorer dans le domaine de l’écologie. Soit la découverte et les potentialités offertes par l’étude des liens entre l’humain et le non-humain, que nous nommons « l’écologie relationnelle ».</p>
<h2>Trouver un nouveau cadre</h2>
<p>Richard Rorty, dans <a href="http://www.seuil.com/ouvrage/la-philosophie-et-le-miroir-de-la-nature-richard-rorty/9782021317428"><em>La philosophie et le miroir de la nature</em></a>, s’est intéressé dès les années 1970 à l’utilisation du terme « nature » dans la philosophie des Lumières.</p>
<p>Il démontre que le terme de « nature » a rapidement remplacé celui de « Dieu », devenant un nouvel « absolu » à partir duquel les philosophes pensent le monde sans jamais pourtant questionner les limites euristiques de ces notions. Cette orientation philosophique a eu tendance à s’imposer mondialement, avec des conséquences majeures dans les façons de penser et d’habiter le monde.</p>
<p>Pourtant, un regard sur la diversité des cultures et des territoires nous apprend que cette approche est loin d’être universelle. Pour l’anthropologue Philippe Descola, la séparation radicale entre la <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Bibliotheque-des-Sciences-humaines/Par-dela-nature-et-culture">culture et la nature</a> qui en découle est même l’une des caractéristiques intrinsèques des sociétés dites « modernes » ; un positionnement que l’auteur nomme « le naturalisme ». Celui-ci considère l’intériorité des êtres humains comme spécifique et ainsi relativement autonome des contraintes environnementales. Si cette vision du monde est largement répandue dans les territoires occidentaux, elle ne constitue qu’une posture parmi d’autres dans la diversité des relations qui caractérisent chaque société.</p>
<p>À titre d’exemple, la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Dualisme_cart%C3%A9sien">catégorisation cartésienne</a> entre ceux qui « pensent », les humains, et ceux qui ne pensent pas, les non-humains, a fait émerger en philosophie politique une division du monde entre sujets et objets, qui ne permet pas d’apporter une réponse politique et juridique suffisante <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/catalogue/index-Face____Ga__a-9782359251272.html">face à la crise climatique</a> actuelle. Cette démarche, qui cantonne le non-humain au statut de ressource à exploiter, réduit les possibilités de sa protection, tout en inhibant nombre de ressorts juridiques permettant de reconnaître la responsabilité de l’humain dans les crises environnementales.</p>
<p>Il y a donc urgence à trouver une issue pour appréhender autrement les défis de notre monde. L’écologie relationnelle peut constituer cette nouvelle méthode pour penser nos relations aux autres et aux territoires. Nous la décrirons en ses trois moments fondateurs : reconsidérer la diversité, assumer la vulnérabilité et penser des espaces de lien renouvelés.</p>
<h2>Reconsidérer la diversité</h2>
<p>Dans <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Tel/Les-mots-et-les-choses"><em>Les mots et les choses</em></a>, Michel Foucault nous explique à quel point le fait de rendre similaire dans les sociétés modernes les choses se trouvent aux fondements de la construction des connaissances.</p>
<p>Si cette logique a eu le mérite de produire des résultats scientifiques exceptionnels, elle n’est pas pertinente pour considérer la diversité. Selon elle, la nouvelle connaissance ne peut être appréhendée qu’à partir d’un <em>a priori</em> issu d’une connaissance précédente. Ainsi cet <em>a priori</em> véhicule un risque d’oublier la particularité de l’objet qui est appréhendé. Les sciences de l’écologie n’ont pas échappé à cette logique.</p>
<p>Les espèces animales et végétales ont ainsi pendant longtemps été appréhendées au seul prisme de leur distinction fondamentale avec l’être humain. Pourtant, de nouveaux travaux montrent que toute espèce est capable de faire société à sa manière. Les études conduites par les équipes de <a href="http://www.museedelhomme.fr/fr/sabrina-krief">Sabrina Krief</a> au Muséum national d’histoire naturelle sur les chimpanzés sont à ce propos majeures. Et si les grands singes ont leurs codes culturels propres, les corbeaux font de leur côté le deuil de leurs proches, les castors sont capables de modifier les cours d’eaux et les plantes de collaborer entres elles. Les humains ne sont pas les seuls à pouvoir créer des mondes complexes.</p>
<p>Un des outils pour prendre en compte cette diversité réside dans ce que Raimon Pannikar appelle le <a href="http://www.raimon-panikkar.org/english/gloss-dialogical.html">« dialogue dialogal »</a> : faire entrer dans le dialogue, en plus de la raison, le domaine du sensible, des sensations et des émotions, afin de comprendre l’autre dans sa spécificité et sa pluralité.</p>
<h2>Assumer la vulnérabilité</h2>
<p>Dans son livre <a href="https://www.editionsducerf.fr/librairie/livre/8552/elements-pour-une-ethique-de-la-vulnerabilite"><em>Éléments pour une éthique de la vulnérabilité</em></a>, la philosophe Corine Pelluchon défend l’idée que chaque être vivant (humain compris) reste en permanence vulnérable aux autres. Cette vulnérabilité se matérialise d’abord par les cycles de la vie et, par extension, par la finitude des corps ; mais également par tous les actes quotidiens qui nous relient aux autres pour nous alimenter, nous vêtir, nous soigner, travailler ou encore nous déplacer. Assumer la vulnérabilité, c’est accepter une relation fondée sur l’interdépendance entre les humains et leur environnement.</p>
<p>Les travaux en géographie et en anthropologie montrent aujourd’hui que les sociétés ont toujours été soumises aux contraintes environnementales des milieux, les obligeant à s’adapter, à modifier leurs pratiques et leurs cultures. Inversement, les actions humaines ont façonné en profondeur paysages et territoires. Les trajectoires des mondes sont donc les conséquences de rapports complexes et historiquement ancrés <a href="https://www.belin-editeur.com/ecoumene">entre un milieu et une société</a>.</p>
<h2>Penser les espaces du lien</h2>
<p>Finalement, rendre justice à la diversité et réinvestir la question de la relation dans une perspective plus complète, revient à se donner l’opportunité de penser les espaces du lien entre humain et non-humain.</p>
<p>Trois espaces semblent à ce titre particulièrement intéressants.</p>
<p>Le premier concerne la rencontre. Dans son dernier livre, <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/catalogue/index-Le_champignon_de_la_fin_du_monde-9782359251364.html"><em>Le champignon de la fin du monde</em></a>, l’anthropologue Anna Tsing prend l’exemple des champignons matsutakes poussant dans les forêts de l’Oregon, pour souligner que la rencontre entre humain et un non-humain donne un résultat bien supérieur à la somme des parties. La relation qui s’instaure fait émerger de l’intelligence, de l’amitié, des souvenirs, un dialogue. Bref, un monde d’interactions propre aux deux individus qui la composent.</p>
<p>Le second espace de lien s’enracine dans des démarches d’aménagement du territoire. En considérant chaque région, chaque ville, chaque campagne <a href="http://shes.pole.univ-poitiers.fr/territoires/actualites/dynamiques-territoriales-eloges-de-la-diversite-conference-dolivier-bouba-olga/">dans sa singularité</a>, mais également en intégrant ce que l’anthropologue Tim Ingold nomme <a href="http://www.seuil.com/ouvrage/marcher-avec-les-dragons-tim-ingold/9782757872529">« l’écologie du sensible »</a> – c’est-à-dire replacer la subjectivité et les émotions en phase avec l’action territoriale –, nous nous donnons la possibilité de faire émerger de nouvelles modalités collectives dans la façon d’habiter le territoire. Et donc de valoriser une pluralité de coexistences entre l’humain et le non-humain.</p>
<p>La fabrication du droit s’impose comme le troisième espace de lien. Certains auteurs voient dans ces espaces, qu’ils nomment <a href="http://wp.unil.ch/tim/files/2015/07/O.BarriereDEVDURABLEOCEANIE-2015-04-10.pdf">espaces de « coviabilité »</a>, la possibilité de faire émerger de nouvelles normes qui dépasseraient les catégorisations strictement humaines. Il en découlerait un droit enrichi par les diversités humaines et non-humaines, moins anthropocentré et mieux adapté aux réalités écologiques du monde.</p>
<p>En se concentrant sur les relations qui nous unissent les uns aux autres, l’écologie relationnelle constitue une proposition pour réintroduire, dans la pensée et dans l’action, des espaces de compréhension et de partage entre humains et non-humains. Ce faisant, elle permet de renouveler les connaissances sur les liens qu’entretiennent les sociétés à leurs milieux, tout en proposant de miser sur la diversité territoriale pour apporter des réponses pertinentes aux crises sociales et écologiques.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/110124/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Coprésident de l'association Ayya</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Pierre Spielewoy est cofondateur d'AYYA, une association qui oeuvre pour la diffusion d'un autre rapport à la nature, basé sur l'écologie relationnelle. </span></em></p>La meilleure prise en compte des liens entre l’humain et le non-humain permet d’aborder les défis environnementaux de notre temps.Damien Deville, Géographe et anthropologue de la nature, coprésident de l’association AYYA, InraePierre Spielewoy, Doctorant, juriste en droit international, anthropologue du droit, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1044242018-10-07T18:54:31Z2018-10-07T18:54:31ZDe l’universalisme au différentialisme<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/239365/original/file-20181004-52691-znnqze.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=2%2C5%2C1904%2C1437&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Christine de Suède en conversation avec René Descartes, peinture de Pierre-Louis Dumesnil.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/5/59/Dispute_of_Queen_Cristina_Vasa_and_Rene_Descartes.png">Wikipédia</a></span></figcaption></figure><p>La méthode cartésienne s’inscrivait dans la tâche plus globale de redéfinir l’idée de l’homme, à travers une définition ouverte, puisqu’il ne s’agissait plus d’accoler à un sujet un prédicat (l’homme comme animal rationnel selon la définition aristotélicienne), mais de faire du sujet un acteur. L’acteur d’une pensée (je pense). Certes le terme d’acteur n’est pas cartésien, et sans doute fausse-t-il l’idée cartésienne de pensée qui oscille entre la simple conscience et une version plus intellectualiste qui l’identifierait à la raison. Toujours est-il que l’Homme pense, et que tous les hommes pensent.</p>
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<p>« Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée » cette célèbre formule ouvre le <em>Discours de la méthode</em>, et se précise ainsi : « cela témoigne que la puissance de bien juger, et distinguer le vrai d’avec le faux, qui est proprement ce qu’on nomme le bon sens ou la raison, est naturellement égale en tous les hommes ».</p>
</blockquote>
<p>La seule différence qui existe entre eux est accidentelle ou contingente, ils ont plus ou moins de mémoire, plus ou moins d’imagination, plus au moins de célérité dans leur façon de raisonner. Mais cela est de peu d’importance, car</p>
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<p>« pour la raison, ou le sens, d’autant qu’elle est la seule chose qui nous rend hommes, et nous distingue des bêtes, je veux croire qu’elle est tout entière en un chacun, et suivre en ceci l’opinion commune des philosophes, qui disent qu’il n’y a du plus et du moins qu’entre les accidents et non point entre les formes, ou nature des individus d’une même espèce. »</p>
</blockquote>
<p>L’homme est tout à fait homme ou il ne l’est pas. La définition de l’humanité ne souffre pas de degrés. Les différences n’opposent pas plusieurs humanités, mais certains hommes à l’intérieur d’une définition commune. Certes, on ne peut nier ces différences. Mais Descartes propose une façon de les surmonter, et c’est précisément la méthode, le chemin : un chemin intégralement indexé sur les lois de la raison, et non sur des connaissances externes qui nécessiteraient d’appartenir à l’élite des doctes.</p>
<p>Le philosophe inaugure la modernité par ce geste de rupture qui arrache l’homme à la nature et à la hiérarchie des espèces, au profit d’une définition universelle qui accueille en son sein la singularité de chacun : penser est avant tout une expérience qui atteste de mon existence en tant qu’homme.</p>
<h2>Mais alors, que s’est-il passé ?</h2>
<p>Pourquoi l’universalisme est-il ainsi battu en brèche ? Pourquoi est-il interprété comme le symbole de l’oppression, le Cheval de Troie du colonialisme et de l’impérialisme, l’abri du racisme, de l’islamophobie ? Dans son essai <em>L’universalisme européen. De la colonisation au droit d’ingérence</em>, Immanuel Wallerstein entend montrer comment l’universalisation des valeurs a contribué à la domination du monde occidental à travers différentes figures historiques et théoriques ; on peut faire remonter à la controverse de Valladolid, en 1500, le premier grand débat qui oppose un Occident conquérant, défendu par Sepulveda, au respect des différences culturelles, dont le héraut est Bartolomé de Las Casas. Mais ce n’était pas l’universalisme moderne que l’on convoquait alors : il s’agissait de convertir les populations amérindiennes, selon l’un par la contrainte, selon l’autre par l’exemple de la vertu et de façon pacifique…</p>
<p>L’histoire occidentale des empires coloniaux et de leur discours justifie cette méfiance. Néanmoins, ce n’est pas parce qu’on en fit usage à des fins meurtrières, inhumaines de domination que ces fins sont inhérentes au concept même d’universalisme. C’est là confondre l’usage et le sens. Certes, on a beau jeu de démontrer l’interdépendance entre ces deux aspects de la chose, et qu’un usage n’est jamais externe à l’objet, ou que l’objet porte en lui les potentialités de l’usage. Pour autant, on peut aussi considérer que l’universalisme a permis au contraire l’émancipation des hommes et plus tardivement des femmes dans l’Europe des Lumières.</p>
<p>À chaque grande bataille de ces dernières années, et dont le cœur est souvent la laïcité, des discours en tous genres brandissent la différence comme ce qu’il y a à respecter. La différence au nom de la culture, au nom de l’histoire, au nom de la communauté, au nom de la singularité, au nom de la liberté même. Le respect de la différence en devient presque un fétichisme. La mixité, le métissage, s’en trouvent suspectés. Comme un déni de la différence qui doit être cultivée comme telle.</p>
<p>Certes, la bataille contre l’universalisme a des pères d’envergure dont la vulgate a imprégné les esprits. Marx au XIX<sup>e</sup> siècle découvre et démontre que ce sont les conditions matérielles de l’existence qui déterminent la conscience et non l’inverse : qu’il n’y a pas de pensée hors sol, de conscience détachée de l’existence concrète dont elle ne serait en réalité qu’un épiphénomène. Marx critique les droits de l’homme, comme mystification bourgeoise consistant à faire passer l’homme bourgeois et propriétaire pour l’homme universel, autrement dit transformant une particularité en un universel normatif, et ce faisant, excluant non pas en droit mais en fait toute une partie de l’humanité : « Constatant avant tout le fait que les “droits de l’homme”, distincts des “droits du citoyen”, ne sont rien d’autre que les droits du membre de la société bourgeoise, c’est-à-dire de l’homme égoïste, de l’homme séparé de l’homme et de la communauté » écrit-il dans la Question juive. Le fait a repris ses droits, au détriment du droit.</p>
<p>Nous voilà coincés entre deux héritages : celui de Descartes et plus tard des Lumières, et celui de Marx, dont la pensée s’est largement répandue dans les années 60, mais déjà bien avant dans le discours des anciens colonisés en guerre pour recouvrer leur indépendance.</p>
<h2>Du différentialisme aux revendications identitaires</h2>
<p>C’est la question de l’Islam qui a remis au cœur le débat en France. L’Islam lorsque homme ou femme s’en revendique dans l’espace public. L’Islam quand la femme porte un signe que certains estiment de soumission. La femme musulmane concentre alors la tension entre ces deux discours : l’universaliste dénonce le signe de son propre asservissement volontaire ou non, au nom de l’émancipation des individus par la raison et par la relégation de la croyance dans l’espace privé. Le différentialiste soutiendra le droit de la femme à choisir sa croyance, en usant d’une part et apparemment du même argument que l’universaliste : la liberté de l’individu, mais une liberté qui n’est plus identifiée au choix rationnel, une simple liberté d’opinion. D’autre part le respect culturaliste pour toute forme de différence, et la réduction d’une croyance religieuse à une tradition qui doit pouvoir se revendiquer dans l’espace public, car l’espace public doit précisément accueillir et protéger la manifestation des différences. Le différentialiste part d’une « bonne intention », tout en promouvant un relativisme des valeurs indépassable.</p>
<p>Or de plus en plus ce respect des différences et cette pensée relativiste s’inversent en revendication identitaire. Ainsi se multiplient les groupements minoritaires qui, au départ militants pour l’égalité des droits, font de leur différence une identité agressive qui se doit d’être reconnue dans sa clôture. Ainsi est née par exemple la vague de dénonciation d’appropriation culturelle : si au départ, il s’agissait légitimement de critiquer l’appropriation d’éléments d’une culture par une culture dominante, « emprunt déplacé » quand par exemple la culture américaine née de la colonisation européenne s’approprie des bouts de culture amérindienne transformée en exotisme, alors qu’elle repose sur l’extermination de ce peuple ; si la lutte contre le « pillage culturel » est donc indispensable, elle s’est pourtant déplacée vers une interdiction pour l’« autre » en général d’emprunter un signe, une mode, une tradition qui appartiendrait exclusivement à un groupement culturel humain. Les barrières s’érigent, les groupes se parcellisent.</p>
<p>Les différences contingentes dont parlait Descartes pour les exclure de la définition de l’humanité reviennent sous un jour essentialiste. La différence devient l’identité. Et sans doute le problème vient-il du terme d’identité lui-même dont le sens est ambivalent. S’il tend d’un côté vers la mêmeté, le fait que chacun est identique à l’autre sous l’angle de l’humanité ou de son appartenance à l’humanité, il est plus souvent pris comme ce qui me distingue des autres, et génère de lui-même l’autre notion avec laquelle il fait couple, à savoir la différence. La revendication identitaire est certes née de la domination, de l’exclusion, du rejet lui-même adossé à des raisons « identitaires ». Mais la seule réponse possible à la domination est-elle une réponse en miroir de ce sur quoi elle se fonde ?</p>
<p>Étrangement, ce sont souvent les discours dits de gauche qui promeuvent la différence, quitte à ériger des frontières symboliques entre les groupes humains, au nom de la tolérance parfois proche de la « charité » et de la mauvaise conscience, et d’une lecture marxiste de la domination. Si l’égalité doit se conquérir pas à pas par le combat politique, et c’est peut-être l’aspiration principale des partis de gauche, il ne faudrait pas oublier qu’elle est difficile à penser si l’on fait l’économie de l’universalisme. Et qu’à déconstruire celui-ci, on risque de ne plus pouvoir légitimer un combat non seulement pour l’égalité réelle, mais aussi pour l’égalité des droits fondée en dernière instance sur l’égalité des hommes. Or si l’égalité des droits de groupes identitaires vient en contradiction avec l’égalité des hommes en tant qu’ils sont hommes, n’y a-t-il pas un problème ?</p>
<p>Ne peut-on revenir à un discours universaliste qui prenne en compte les critiques que Marx a justement adressées à l’idée d’universalité lorsque celle-ci masque une domination, mais qui ne perde pas de vue l’Homme dans sa généricité, au détriment des différences qui sont autant de revendications identitaires, de fragmentation de l’humanité, et qui comme telles renoncent à la pensée comme mode d’émancipation ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/104424/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mazarine Pingeot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Face aux replis identitaires qui fragmentent l’humanité, il est temps de plaider pour la réhabilitation de l’universalisme tel que Descartes le définissait.Mazarine Pingeot, Professeur agrégée de philosophie, Université Paris 8 – Vincennes Saint-DenisLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/991092018-07-18T20:23:17Z2018-07-18T20:23:17ZDébat : L’islam, « décolonisateur » du monde ? Un éclairage sur le soutien à Tariq Ramadan<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/226259/original/file-20180705-122250-714m7n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C3456%2C2126&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Tariq Ramadan en Inde au Kerala, 2017, université Al Jama Al Islamiya.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://en.wikipedia.org/wiki/Tariq_Ramadan#/media/File:Tariq_Ramadan_In_India5.jpg">Zuhairal/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0/">CC BY-NC</a></span></figcaption></figure><p>La <a href="http://www.liberation.fr/france/2018/06/15/affaire-ramadan-une-petition-internationale-d-intellectuels-reclame-une-justice-equitable-pour-le-th_1659135">récente pétition</a> de cent intellectuels « réclamant une justice équitable » pour Tariq Ramadan, prédicateur musulman et islamologue incarcéré en France dans une affaire de viols, offre au grand public français un certain nombre de faits qu’il connaît peu.</p>
<p>D’abord que l’affaire Ramadan n’est pas, ou pas seulement, une <a href="http://www.slate.fr/story/111203/tariq-ramadan-enquete">« affaire très française »</a> mais que la notoriété du petit-fils de <a href="https://www.decitre.fr/livres/les-freres-musulmans-1928-1982-9782747523981.html">Hassan El Banna</a>, le fondateur des Frères musulmans, ne se cantonne pas à la Suisse et à la France, voire au Royaume-Uni, mais s’étend au monde entier : Inde, Japon, Malaisie, Italie comme en attestent les signatures sur la <a href="https://frdptr-cjpme.nationbuilder.com/">pétition</a>.</p>
<p>Or, ces intellectuels, qui ne sont pas tous musulmans, se rassemblent autour de lui non pas pour clamer son innocence, mais pour s’insurger contre les conditions de sa rétention qui, étant donné son état de santé, bafoueraient les droits de l’Homme.</p>
<p>Ce faisant, ils font également une démonstration de leur adhésion à une certaine pensée intellectuelle, la pensée décoloniale. La genèse de ce courant remonte aux années 1990. Il fut conçu par <a href="http://journals.openedition.org/cal/1506">des universitaires latino-américains</a> définissant les contours de la « colonialité » comme le maintien d’une inégalité sociale et culturelle sur une population au-delà de la décolonisation et l’intériorisation de cette prétendue infériorité.</p>
<h2>Une théologie musulmane de la libération</h2>
<p>La liste des signataires est ainsi difficile à interpréter sans une connaissance de certaines dynamiques actuelles de l’islam. Parmi les signataires, principalement des universitaires, beaucoup ont fréquenté Tariq Ramadan et lu ses ouvrages, et ce avant que ne tombent les accusations d’agression sexuelle portées à son encontre. Ramadan est d’abord perçu comme un islamologue, et non pas comme un prédicateur qui a <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-etrangere-2009-2-page-377.htm">encadré la jeunesse musulmane lyonnaise</a>.</p>
<p>De fait les chercheurs ont bien identifié un tournant, depuis les années 2000, dans la trajectoire de Tariq Ramadan : se détournant d’un objectif d’islamisation par le bas, il a rejoint les savants de l’islam qui élaboraient les contours d’une théologie musulmane ou islamique de la libération, comme il le fait dans son ouvrage <a href="https://tariqramadan.com/aux-sources-du-renouveau-musulman/"><em>Aux sources du renouveau musulman. D’al-Afghani à Hassan al-Banna, un siècle de réformisme islamique</em></a> (Bayard, 1998) ou encore <a href="https://www.youtube.com/watch?time_continue=901&v=NXnbkQ5tIjo">via son site</a>.</p>
<p>L’universitaire d’origine iranienne Hamid Dabashi le prend en compte dans son <a href="https://www.routledge.com/Islamic-Liberation-Theology-Resisting-the-Empire/Dabashi/p/book/9780415771542">riche examen</a> de cette « théologie » qu’il fait commencer il y a deux siècles. Selon lui, depuis 200 ans l’islam est islamisme, c’est-à-dire une force indissociablement religieuse et politique, car il est modelé par la réalité géopolitique mondiale, à savoir la domination de l’occident qui ne laisse à tout ce qui n’est pas lui que la possibilité d’être « le reste ». Ainsi l’islam politique, sous ses diverses formes et expériences, définit-il l’islam moderne qui a lutté contre la colonisation, mais aussi contre le néocolonialisme.</p>
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<figcaption><span class="caption">Conversation avec Hamid Dabashi, Graduate Institute, Geneva"</span></figcaption>
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<h2>Dépasser « The West and the Rest »</h2>
<p>Le désir révolutionnaire se lit comme le dépassement de l’opposition « The West and the rest ». Cette expression forgée par <a href="https://analepsis.files.wordpress.com/2013/08/hall-west-the-rest.pdf">Stuart Hall</a> dans un article de 1996, a été reprise avec succès par <a href="https://www.foreignaffairs.com/articles/1996-11-01/west-unique-not-universal">Samuel Huntington</a> puis récemment traduite de façon spirituelle et pertinente par « occident et accidents » par le psychanalyste français <a href="http://www.lesinfluences.fr/Le-psy-Thamy-Ayouch-s-hybride.html">Thamy Amouch</a>. Elle correspond à une analyse de la situation géopolitique mondiale dont la date varie d’un auteur à l’autre.</p>
<p>Pour certains, comme le <a href="https://orientxxi.info/magazine/l-islamisme-est-il-la-forme-musulmane-de-la-theologie-de-la-liberation,2525">professeur de sociologie Asef Bayat</a>, cette théologie de la libération émerge dans les années 1970.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/225915/original/file-20180703-116123-1i4cs29.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/225915/original/file-20180703-116123-1i4cs29.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=950&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/225915/original/file-20180703-116123-1i4cs29.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=950&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/225915/original/file-20180703-116123-1i4cs29.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=950&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/225915/original/file-20180703-116123-1i4cs29.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1194&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/225915/original/file-20180703-116123-1i4cs29.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1194&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/225915/original/file-20180703-116123-1i4cs29.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1194&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Cheikh Ahmadou Bamba Mbacké né vers 1853 à Mbacké (anciennement Mbacké-Baol), disparu le 19 juillet 1927 à Diourbel au Sénégal, est le fondateur de la confrérie des Mourides.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Ahmadou_Bamba">Wikimedia</a></span>
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<p>D’autres la renvoient au mouvement des Frères musulmans. Certains <a href="https://www.questia.com/library/journal/1P3-49065787/an-islamic-utopian-a-political-biography-of-ali">au travail d’Ali Shariati</a>, penseur iranien, qui a traduit Frantz Fanon et qui est considéré comme l’inspirateur de la révolution islamique en Iran. D’autres au <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-africaine-2009-4-page-121.htm">soufisme africain</a>, par exemple le <a href="https://www.cairn.info/publications-de-Sophie-Bava--35818.htm">mouridisme</a> fondé par Cheikh Ahmadou Bamba au Sénégal pour résister au pouvoir colonial français.</p>
<p>La liste n’est pas exhaustive. Ce qui en tout cas se retrouve dans toutes les analyses de ce type, c’est le caractère oppositionnel de l’islam, contre la domination de l’occident qui est présentée comme une domination à la fois politique, culturelle et épistémologique.</p>
<p>Le plus intéressant de ces différentes généalogies, c’est qu’elles sont théorisées <em>a posteriori</em>, et c’est là que nous retrouvons nos penseurs, qui sont extrêmement contemporains.</p>
<h2>Une école de pensée diverse</h2>
<p>Ce courant, ou cette école, pour diverse qu’elle soit, dessine ses contours après le 11 septembre ; elle opère une sorte de synthèse, avec des pondérations variées, de la pensée d’<a href="https://www.cairn.info/revue-anthropologie-des-connaissances-2008-3-page-505.htm">Edward Saïd et de la critique de l’orientalisme</a>, de l’anticolonialisme tiers-mondiste de <a href="https://www.franceculture.fr/histoire/frantz-fanon-la-pensee-et-laction">Frantz Fanon</a>, du <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Post-structuralisme">poststructuralisme</a>, du post-sécularisme de <a href="https://www.youtube.com/watch?v=TiTaE863jBI">Talal Asad</a>, du féminisme islamique et de la pensée décoloniale.</p>
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<figcaption><span class="caption">Entretien avec Asma Lamrabet, féminisme islamique, Sociologie de l’intégration.</span></figcaption>
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<p>Je me concentrerai ici sur la dernière pensée, qui tend à prendre une place de plus en plus importante, et décrirai son effort d’élaboration historique.</p>
<h2>La « colonialité » est née en 1492</h2>
<p>Pour les tenants de cette pensée, originaire d’Amérique dite latine, l’histoire du couple « the West and the rest » ne commence pas avec l’expansion coloniale des puissances européennes, au XIX<sup>e</sup> siècle, mais en 1492, avec la prétendue « découverte » du « Nouveau Monde ».</p>
<p>C’est à cette date que remonte la place centrale que s’arroge l’Occident sur le monde, auquel il impose son pouvoir politique, l’exploitation des peuples (avec l’esclavage et la traite), mais également la disqualification des savoirs indigènes jugés primitifs et locaux, sans accès à l’universalité.</p>
<p>Il faut noter que les théoriciens qui comptent également des sociologues, des sémiologues et des anthropologues dans leurs rangs ne sont pas des historiens, mais développent une approche plutôt philosophique. Pour eux, la colonisation instaure une « colonialité » qui se prolonge au-delà des indépendances et décolonisations, jusqu’à aujourd’hui, c’est-à-dire l’instauration d’une relation asymétrique, qui concerne à la fois le pouvoir, le savoir et l’être.</p>
<p>La <a href="http://www.lcdpu.fr/livre/?GCOI=27000100216410">pensée décoloniale</a>, formulée progressivement dans les années 1990 par différents penseurs, se place elle-même dans une continuité théorique. Elle s’appuie sur le marxisme réinterprété d’une part selon le modèle du <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Immanuel_Wallerstein">système-monde d’Immanuel Wallerstein</a> elle-même nourrie de la théorie de la dépendance, et d’autre part <a href="http://www.revue-emulations.net/lectures-critiques/lecture/Luis-Martnez-Andrade--Religion-sans-redemption">selon la philosophie de la libération</a>.</p>
<h2>La libération comme système de pensée</h2>
<p>Cette dernière, quand elle n’est pas ignorée, est souvent confondue avec la théologie de la libération, alors que la différence est bien inscrite dans leur nom respectif.</p>
<p>Un groupe d’intellectuels latino-américains fonde ainsi à partir de 1998 le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Groupe_modernit%C3%A9/colonialit%C3%A9">Projet Modernité/Colonialité</a> (Proyecto M/C), s’enrichissant d’année en année de nouveaux chercheurs et travaux. Il réinterprète la totalité des phénomènes sociaux et politiques depuis 1492 à la lumière de la constitution du système-monde-capitaliste-patriarcal.</p>
<p>Ce faisant il invite à décoloniser l’<em>Abya Yala</em> nom donné à l’Amérique (« terre dans sa pleine maturité » selon une langue indigène du Panama), <a href="http://abyayala.nativeweb.org/about.html">terre revendiquée</a> depuis 1977 par <a href="https://sogip.wordpress.com/2013/10/04/amerique-latine-5eme-sommet-des-peuples-et-nationalites-autochtones-dabya-yala">The World Council of Indigenous Peoples</a> (WCIP) puis en 1992, lors du 500<sup>e</sup> anniversaire de la « découverte de l’Amérique », par Amerigo Vespucci.</p>
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<figcaption><span class="caption"><em>Abya Yala : This Land Is Ours</em>, documentaire de Patrick Vanier, Sycomore Films (2006), avec Evo Morales.</span></figcaption>
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<p>Ce mouvement a très naturellement rencontré l’<a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Decolonization_of_higher_education_in_South_Africa">actualité universitaire et politique de l’Afrique du Sud</a> qui s’interroge ainsi sur la façon d’introduire la subjectivité et l’ontologie « indigènes » dans les cursus universitaires.</p>
<h2>Un tournant islamique</h2>
<p>Le tournant islamique d’une certaine école de la pensée décoloniale paraît aujourd’hui consacré, moyennant une emphase redoublée sur la concomitance entre la « découverte » de l’Amérique par Christophe Colomb et l’achèvement de la reconquête <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_d%27al-Andalus">d’al Andalous</a>, territoire ibérique sous domination musulmane, par Isabelle la Catholique, valant expulsion des juifs et des musulmans, et le déplacement du centre du monde, l’islam qui était jusque-là le centre passant à la périphérie.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/225920/original/file-20180703-116129-1epidr0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/225920/original/file-20180703-116129-1epidr0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=742&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/225920/original/file-20180703-116129-1epidr0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=742&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/225920/original/file-20180703-116129-1epidr0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=742&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/225920/original/file-20180703-116129-1epidr0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=933&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/225920/original/file-20180703-116129-1epidr0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=933&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/225920/original/file-20180703-116129-1epidr0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=933&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Isabella I de Castille (1451-1504), reine de Castille-et-León, aussi appelée Isabelle la Catholique. Museo del Prado.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Isabelle_la_Catholique#/media/File:IsabellaofCastile03.jpg">Anonyme/Wikimedia</a></span>
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<p>Ce courant du mouvement décolonial (lui-même très divers) se déploie aujourd’hui dans différentes institutions et organisations, liées les unes aux autres, et <a href="http://iqbalcentre.leeds.ac.uk/research/">engagées dans le réformisme</a>. On pense ainsi aux <a href="https://www.criticalmuslimstudies.co.uk">Critical Muslim Studies</a>, aux <a href="https://www.facebook.com/groups/1066532123386149/">Decolonial Islamic Studies</a> ou encore les groupes <a href="http://www.dialogoglobal.com">Dialog Global</a> et <a href="https://irdproject.com/">The Islamophobia Research and Documentation Project</a> (IRDP), qui organisent des <a href="http://blogs.law.columbia.edu/uprising1313/melvyn-ingleby-the-two-sides-in-muslim-decolonial-thought/">universités d’été</a> et des séminaires à travers le monde (notamment Grenade, Cap Town, Leeds, Mexico) où convergent des penseurs qui n’ont pas nécessairement de liens avec l’Amérique latine. Ce qui est un paradoxe puisque ce courant revendique une contextualisation définie par un espace physique et géographique propre.</p>
<p>Le paradoxe n’en est cependant plus un dès lors que, pour les penseurs de ce courant, le racisme culturel a précédé le racisme racial. Rappelons-nous la célèbre <a href="http://www.alalettre.com/carriere-oeuvres-valladolid.php">controverse de Valladolid</a>, organisée en 1550 par Charles-Quint, qui oppose le dominicain Bartolomé de Las Casas et le théologien Juan Ginès de Sepúlveda, autour de la question de savoir si l’esclavage des peuples amérindiens est légitime ou illégitime. La victoire de Las Casas sur Sepulveda est présentée, dans l’histoire « occidentale », comme une victoire de l’humanisme.</p>
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<figcaption><span class="caption"><em>La controverse de Valladolid</em>, téléfilm de Jean‑Daniel Verhaeghe, 1992.</span></figcaption>
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<p>Pour les décoloniaux en revanche, elle a pour principal résultat l’identification des indigènes et des musulmans comme appartenant à des cultures inférieures, qu’il fallait moderniser, éloignées autant dans le temps que dans l’espace. Cette disqualification prévaudrait encore aujourd’hui, avec le concept d’une sécularisation des sociétés perçue comme un progrès par rapport à la religiosité, renvoyant au passé de l’Europe la mobilisation politique au nom de la religion.</p>
<h2>L’islam, un agent révolutionnaire</h2>
<p>C’est ainsi que je me suis interrogée sur ce qui avait intellectuellement incité les décoloniaux à trouver dans l’islam sinon la solution, du moins le meilleur agent révolutionnaire pour dépasser l’opposition entre « the West and the rest » qu’ils décrivent comme une prison.</p>
<p>Assurément il y a la diffusion mondiale de l’islam qui donne plus de consistance à un <a href="https://www.hurstpublishers.com/book/recalling-the-caliphate/">muslimistan diasporique</a> décrit par Salman Sayyid. Les « musulmans » sont susceptibles de donner une base sociale à ce qui est pour l’instant, pour l’essentiel, un corpus universitaire.</p>
<p>Il y a aussi une interprétation théologique, qui se retrouve dans l’univers de pensée chiite (Hamid Dabashi) et sunnite (Farid Esack), selon laquelle l’islam, loin d’être « religion de paix », est au contraire <a href="http://ihsan-net.blogspot.com/2004/02/in-search-of-progressive-islam-beyond.html">ferment révolutionnaire</a>.</p>
<p>Car, si certains décoloniaux imaginent l’après du renversement de l’Occident sous la forme d’« un cosmopolitisme critique qui aille au-delà des discours nationalistes et colonialistes » comme l’écrit le chercheur Ramón Grosfoguel sous le terme de <a href="https://www.cairn.info/revue-multitudes-2006-3-page-51.htm">transmodernité</a>, ce qui les unit d’abord, au cœur de leur qualité revendiquée de victimes « mises au silence » ou « invisibilisées », est leur commune opposition à l’« Occident » qu’ils appellent à renverser au nom du respect de ce qu’ils n’appellent pas des « cultures », mais des <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Ontologie_(philosophie)">« ontologies »</a> comme le suggère le <a href="http://aescobar.web.unc.edu/">dernier ouvrage</a> de l’anthropologue Arturo Escobar.</p>
<p>J’ajouterais une interprétation, toujours renforcée par la lecture de ces auteurs qui sont fortement enracinés dans un corpus « occidental », notamment la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/French_Theory"><em>French theory</em></a> et très engagés dans la théorie, c’est que consciemment ou non, ils désirent sortir de la très grande contradiction où les met l’affirmation postmoderne que le savoir n’est que pouvoir, ce qui fait courir un risque de relativisme et de dissolution de tout savoir.</p>
<p>Les références à Heidegger, notamment à ses développements sur la vérité, <em>aletheia</em>, me font penser qu’ils trouvent dans l’islam le point d’arrêt, soit la Vérité, qui permet d’arrêter le mouvement de la déconstruction.</p>
<p>On les trouve fréquemment dans les écrits de membres du Mouvement mondial « mourabitoun » (la <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Darqawa">Darqawiya</a> sous Abdalqadir al sufi, une <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Tariqa">tariqa</a> soufie) qui est à l’origine des <a href="http://www.lefigaro.fr/international/2010/07/09/01003-20100709ARTFIG00549-mexique-allah-au-pays-des-mayas.php">conversions à l’islam d’Indiens des Chiapas</a> (Mexique). C’est ainsi le cas d’Umar Vadillo, auteur d’un <em>Heidegger for Muslims</em>, Basque converti et <a href="https://umarvadillo.wordpress.com/">co-fondateur d’un mouvement anti-usure</a>. Il fait une lecture radicale et identitaire des écrits du philosophe allemand qui inspire également l’islamo-nationalisme d’un autre converti au sein de ce même ordre et responsable <a href="http://www.weimarinstitut.net">du Weimar Institut</a>, l’Allemand <a href="https://www.zeit.de/2004/53/Konvertiten_Islam/seite-3">Andreas Abu Bakr Rieger</a>.</p>
<p><a href="http://journals.openedition.org/labyrinthe/4031">La présence de Heidegger</a> entre autres réfute l’idée que l’islam serait l’Autre de l’« occident ». Elle invite à reprendre, de façon plus conceptuelle, le travail que Victor Farias a commencé sur l’héritage du philosophe allemand dans le <a href="http://journals.openedition.org/leportique/817">fondamentalisme islamique</a>, et en particulier dans l’<a href="https://www.lacentral.com/farias-victor/editorial-tecnos/heidegger-y-su-herencia-los-neonazis-el-neofascismo-y-el-fundamentalismo-islamico/9788430950188">œuvre de Tariq Ramadan</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/99109/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sylvie Taussig ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La pensée décoloniale islamiste nourrit aujourd’hui une vision du monde profondément anti-Occidentale.Sylvie Taussig, Research scientist, Centre national de la recherche scientifique (CNRS)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/994252018-07-12T22:10:26Z2018-07-12T22:10:26ZCouples mixtes : l’amour loin des clichés à Zanzibar<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/226234/original/file-20180705-122274-pl68z1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C5168%2C3290&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les amours sur la côte zanzibarie sont bien souvent plus tenaces qu'elles n'y paraissent. </span> <span class="attribution"><span class="source">Altaïr Desprès</span>, <span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p>Qui a dit que les amours de vacances devaient rimer avec histoires sans lendemain ? Dans l’archipel tanzanien de Zanzibar, de nombreuses romances nées sur les rivages de l’océan Indien survivent à la parenthèse touristique.</p>
<p>Loin des clichés médiatiques sur le « tourisme sexuel », qui mettent en scène de « vieilles » Occidentales libidineuses aux bras de jeunes hommes sans scrupule et sans avenir, les plages de Zanzibar constituent des lieux de rencontres amoureuses et conjugales ordinaires.</p>
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<figcaption><span class="caption">Émission <em>Envoyé spécial</em>, « Gambie : charters pour l’amour », 2006.</span></figcaption>
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<h2>Un tourisme jeune et féminin</h2>
<p>Unguja, principale île de l’archipel de Zanzibar, est une destination prisée des touristes européens. Mais contrairement à d’autres pays du continent africain comme la <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/16864222">Gambie</a>, le <a href="https://www.cairn.info/revue-cahiers-d-etudes-africaines-2009-1-p-147.htm">Sénégal</a> ou le <a href="http://press.uchicago.edu/ucp/books/book/chicago/E/bo26850213.html">Kenya</a>, Zanzibar attire surtout les jeunes femmes, principalement originaires d’Italie, de Grande-Bretagne, de France ou de Scandinavie, qui représentaient en 2014 jusqu’à 62 % des <a href="http://www.ocgs.go.tz/php/ReportOCGS/Zanzibar%20Socio-Economic%20Survey%202014.pdf">visiteurs</a> de 20-24 ans. Au-delà des chiffres, toute personne arpentant les plages d’Unguja peut faire le constat de la présence massive de ces jeunes femmes.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/226235/original/file-20180705-122256-z2p4xp.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/226235/original/file-20180705-122256-z2p4xp.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/226235/original/file-20180705-122256-z2p4xp.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/226235/original/file-20180705-122256-z2p4xp.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/226235/original/file-20180705-122256-z2p4xp.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/226235/original/file-20180705-122256-z2p4xp.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/226235/original/file-20180705-122256-z2p4xp.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Groupe d’une quinzaine de jeunes Norvégiennes sur la plage de Kendwa (2016).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Altaïr Despres</span></span>
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<p>Bien que Zanzibar soit souvent présenté comme une destination phare pour les « lunes de miel », il est en réalité moins fréquent de croiser des touristes venus en couple que des vacancières voyageant seules ou entre amies.</p>
<p>Dans leur environnement touristique direct, ces vacancières sont susceptibles de rencontrer de nombreux hommes, au premier rang desquels les employés des hôtels où elles résident, et ceux que l’on appelle les « beach boys », qui sillonnent les longues plages de sable à la rencontre des touristes à qui ils proposent un ensemble de biens et de services à des prix très en deçà de ceux pratiqués par les tour-opérateurs.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/226236/original/file-20180705-122271-1j5ygqd.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/226236/original/file-20180705-122271-1j5ygqd.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/226236/original/file-20180705-122271-1j5ygqd.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/226236/original/file-20180705-122271-1j5ygqd.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/226236/original/file-20180705-122271-1j5ygqd.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/226236/original/file-20180705-122271-1j5ygqd.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/226236/original/file-20180705-122271-1j5ygqd.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Plage de Michamvi à l’Est de Zanzibar (2016).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Altaïr Despres</span></span>
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<p>Les discussions entamées à l’occasion de ces interactions commerciales peuvent se prolonger lors d’excursions en mer ou de simples promenades le long du rivage.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/226239/original/file-20180705-122250-1ee2q69.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/226239/original/file-20180705-122250-1ee2q69.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/226239/original/file-20180705-122250-1ee2q69.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/226239/original/file-20180705-122250-1ee2q69.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/226239/original/file-20180705-122250-1ee2q69.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/226239/original/file-20180705-122250-1ee2q69.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/226239/original/file-20180705-122250-1ee2q69.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Sortie en mer vers l’île de Mnemba. Les touristes sont accompagnés de plusieurs « beach boys » ayant organisé l’excursion (2015).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Altaïr Despres</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Un décor de rêve : <em>sea, sex and sun</em></h2>
<p>Les beach parties, soirées dansantes organisées sur la plage, sont également des lieux stratégiques où les relations d’amitié et de séduction initiées pendant la journée peuvent se transformer en aventures sexuelles et amoureuses.</p>
<p>Dans la société zanzibarie, où les marques d’affection entre les sexes dans l’espace public contreviennent à la <a href="http://www.ohioswallow.com/book/Gendered+Lives+in+the+Western+Indian+Ocean">pudeur et la décence commandées par la religion musulmane</a>, ces lieux festifs constituent, pour les beach boys comme pour les vacancières, des enclaves autorisant un certain <a href="https://www.cairn.info/revue-l-information-geographique-2016-2-p-32.htm">relâchement des comportements sexuels</a>.</p>
<p>Les premiers n’y sont pas soumis aux regards réprobateurs de leurs proches et peuvent donc s’adonner à des pratiques qu’ils ne se permettraient pas en public, dans la journée.</p>
<p>Quant aux secondes, l’éloignement que représente l’expérience touristique par rapport à leur réseau de sociabilité ordinaire dans leur pays d’origine, garantit des rencontres sexuelles à l’abri des regards inquisiteurs. La consommation peu onéreuse de drogue ou d’alcool dans ces soirées agit par ailleurs comme un facteur désinhibant, auquel s’ajoute un <a href="https://books.google.fr/books?id=o1gfDAAAQBAJ&pg=PT345&lpg=PT345&dq=Dancing+Tourists:+Tourism,+Party+and+Seduction+in+Cuba&source=bl&ots=pk7oq0L7Uw&sig=RVxyQ55uTyQGvYKNQeTGIdrUTQk&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwjKqOPk14XcAhXsJsAKHaDTCwgQ6AEIJzAA#v=onepage&q=Dancing%20Tourists%3A%20Tourism%2C%20Party%20and%20Seduction%20in%20Cuba&f=false">rapprochement physique rapide à travers la danse</a>.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/226238/original/file-20180705-122247-2dt78.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/226238/original/file-20180705-122247-2dt78.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/226238/original/file-20180705-122247-2dt78.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/226238/original/file-20180705-122247-2dt78.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/226238/original/file-20180705-122247-2dt78.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/226238/original/file-20180705-122247-2dt78.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/226238/original/file-20180705-122247-2dt78.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">« Full Moon Party » à Kendwa, haut-lieu de rencontres intimes (2016).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Fanny Tilmant</span></span>
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<p>La configuration spatiale de ces beach parties est aussi propice au développement de relations intimes. Outre le cadre naturel édénique de Zanzibar (eau transparente, sable blanc, cocotiers, climat agréable, ciel dégagé offrant une vue imprenable sur la Voie lactée), les bars et hôtels de plage entretiennent l’ambiance romantique à travers l’installation de feux de camp, de grands hamacs pouvant accueillir facilement deux personnes, de banquettes confortables où il est possible de s’allonger pour contempler le ciel et la mer.</p>
<p>Lorsqu’on s’éloigne des abords immédiats de la piste de danse, on est alors plongé dans une pénombre qui protège les amants des regards indiscrets. Parmi les vacancières auprès desquels j’ai recueilli des récits de rencontres intimes en soirée, les plus téméraires disent avoir eu des relations sexuelles sur la plage ou dans l’océan, les autres auront préféré rejoindre leur hôtel, ou louer une chambre dans un établissement proche de la fête.</p>
<h2>Pour un soir… ou pour la vie</h2>
<p>Nombreuses sont ainsi les vacancières à avoir succombé au charme d’un beach boy lors de leur séjour dans l’archipel. Plus surprenant sans doute, nombre d’entre elles ont fait le choix de <a href="https://www.cairn.info/revue-recherches-familiales-2017-1-page-67.html">s’expatrier à Zanzibar pour y retrouver leur petit ami</a>. C’est le cas de Clare, une Américaine venue passer une semaine de vacances à Zanzibar en 2012 :</p>
<blockquote>
<p>« Le troisième jour de mon arrivée ici, j’ai rencontré l’homme qui est aujourd’hui mon mari. Je ne suis probablement pas la première à te dire que l’amour fait partie du voyage. Beaucoup d’entre nous sont venues pour les plages et sont restées pour les garçons… »</p>
</blockquote>
<p>Les nombreux <a href="https://theartsjournal.org/index.php/site/article/view/1099">travaux</a> qui se sont intéressés aux relations intimes en contexte touristique ont surtout mis l’accent sur les gains économiques ou matériels auxquels elles peuvent donner lieu pour les beach boys. Mais lorsqu’on s’intéresse aux couples qui ont survécu à la parenthèse des vacances, on prend toute la mesure de l’<a href="https://www.cairn.info/revue-actes-de-la-recherche-en-sciences-sociales-2017-3-p-82.htm">intensité et de la complexité des échanges intimes</a>.</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/226578/original/file-20180708-122274-3zfpfe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/226578/original/file-20180708-122274-3zfpfe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=1013&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/226578/original/file-20180708-122274-3zfpfe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=1013&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/226578/original/file-20180708-122274-3zfpfe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=1013&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/226578/original/file-20180708-122274-3zfpfe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1272&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/226578/original/file-20180708-122274-3zfpfe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1272&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/226578/original/file-20180708-122274-3zfpfe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1272&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"><em>En quelques mois, Corinne Hofmann lâche les amarres de l’Europe et s’installe au cœur de la brousse aux côtés de son amour africain</em>. Un best-seller paru en 2000.</span>
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<h2>Un projet de vie</h2>
<p>Typiquement, lorsque les femmes décident de s’installer à Zanzibar, elles investissent dans une entreprise en joint venture avec leur partenaire : un hôtel, un restaurant, une agence de voyage, etc.</p>
<p>Pour des jeunes hommes d’extraction sociale souvent modeste, et qui ne possèdent pas en propre les ressources nécessaires à ce type d’investissement, la conjugalité avec une Occidentale représente une opportunité inespérée de construire un parcours de réussite économique et professionnelle au pays. Nombre de success-stories d’anciens beach boys aujourd’hui propriétaires d’hôtels ou de commerces florissants, sont ainsi à mettre au crédit de leur histoire conjugale.</p>
<p>C’est ce que confirme Imane, une Française d’une trentaine d’années, venue en vacances à Zanzibar, où elle a rencontré son mari et évoque la trajectoire de ce dernier, aujourd’hui propriétaire d’un des hôtels les plus branchés de Zanzibar :</p>
<blockquote>
<p>« Ils commencent tous comme beach boys. Rabah, mon mari, il a commencé comme beach boy. Regarde où il est maintenant ! »</p>
</blockquote>
<h2>De la « Mzungu » à la « capuccino »</h2>
<p>Symétriquement, ces histoires d’amour peuvent aussi ouvrir pour les femmes des possibilités d’ascension sociale. En rejoignant leur conjoint, elles peuvent trouver à Zanzibar à se reclasser sur le marché de l’emploi touristique. Certaines accèdent à des postes mieux rémunérés ou plus ajustés à leur niveau de diplôme que ce ceux qu’elles occupaient dans leur pays d’origine, d’autres apprécient tout simplement leur nouveau cadre de vie.</p>
<p>Pour Gretchen, qui a quitté la Suisse pour Zanzibar en 2007 ;</p>
<blockquote>
<p>« La vie est fantastique ici. Je me sens très bien, il y la mer, il fait chaud… »</p>
</blockquote>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/J3gVvSLXnZk?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Émission « Ça commence aujourd’hui : La rencontre qui a changé leur vie ! ». Voir le témoignage de Marjorie, à 9’40.</span></figcaption>
</figure>
<p>Contrairement à la figure typique des <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/13691831003687667">« expats »</a> dans les pays du Sud (missionnés par leur entreprise, vivant dans des quartiers occidentaux ségrégés, et dont la sociabilité se résume au cercle fermé des autres expatriés), ces femmes ont fait le choix d’inscrire leur vie sentimentale et professionnelle dans la société zanzibarie.</p>
<p>Certaines d’entre elles se sont mariées, ont eu des enfants avec leur conjoint zanzibari, ont appris le swahili pour mieux communiquer avec leur nouvel entourage.</p>
<p>À travers leur conjoint et les familles qu’elles fondent avec eux, elles se familiarisent avec les coutumes, les valeurs et l’histoire de Zanzibar. Par ces liens d’intimité conjugale, elles accèdent ainsi à une connaissance de la culture locale que l’on ne trouve pas dans les guides touristiques ou auprès des ambassades.</p>
<p>En arrivant à Zanzibar, elles étaient, comme tous les autres touristes, des « Mzungu », terme swahili qui désigne les Occidentaux. Aujourd’hui, on dit qu’elles sont devenues « capuccino ».</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/99425/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Altaïr Despres est Research Fellow au CNRS et à l'Université de Chicago. Elle reçoit un financement de l'Union Européenne, programme de recherche et innovation Horizon 2020, Marie Sklodowska-Curie grant agreement No 795681. Ses recherches ont aussi été financées par l'Université Paris 1, le GIS-Institut du genre, l'IFRA-Nairobi et la FMSH.</span></em></p>Loin des clichés, les plages de Zanzibar constituent des lieux de rencontres amoureuses et conjugales ordinaires.Altaïr Despres, Postdoctoral fellow, Centre national de la recherche scientifique (CNRS)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/992532018-07-09T20:47:06Z2018-07-09T20:47:06Z« À bas la boutique de Confucius ! » Entrée dans la modernité chinoise<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/226598/original/file-20180708-122256-yt1b8r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C86%2C1187%2C644&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Pudong, Shanghai, 2010.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/leniners/4637895863/">leniners/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nd/4.0/">CC BY-ND</a></span></figcaption></figure><p>Quand et comment la Chine est-elle entrée dans la modernité ? Cet objectif majeur du régime communiste chinois, ajourné par l’utopie maoïste, a été de facto réalisé par le programme d’ouverture et de réforme des quatre dernières décennies.</p>
<p>Nous avons récemment publié un <a href="https://www.lesbelleslettres.com/contributeur/gilles-guiheux">ouvrage sur le sujet</a> tentant de comprendre comment la Chine propose une « autre » modernité, non-occidentale.</p>
<h2>Quelle modernisation ?</h2>
<p>À la fin du XIX<sup>e</sup> siècle, et à l’instar de leurs voisins japonais durant l’ère Meiji en 1868, les élites chinoises s’accordent progressivement pour considérer que la modernisation doit être à la fois technologique – se doter des mêmes armes et moyens de transport que les puissances impérialistes –, politique – faire évoluer les institutions – et social. En effet, le retard de la Chine vis-à-vis des puissances qui l’agressent, sa faiblesse face à leurs revendications territoriales, sont mis au compte de structures sociales jugées arriérées. Le respect trop grand aux aînés, l’inégalité entre les hommes et les femmes, la faible autonomie des individus au sein des familles sont autant de maux dénoncés.</p>
<p><a href="https://www.ucpress.edu/book/9780520068377/the-chinese-enlightenment">Le mouvement du 4 mai 1919</a> est un moment de cristallisation de l’aspiration à la modernité incarnée par la science et la démocratie occidentales, et de la dénonciation de la tradition. « À bas la boutique de Confucius ! » est le slogan de ceux qui tiennent le confucianisme pour responsable de l’arriération du pays.</p>
<p>Mais il faudra attendre longtemps pour voir ce programme enfin réalisé. La dynastie mandchoue échoue car elle est trop soucieuse de conserver le pouvoir entre ses mains. La République de 1911 est trop faible pour prendre aucune initiative. Le régime autoritaire de <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2017/03/LOUZON/57252">Chiang Kai-shek</a> de 1927 est principalement préoccupé par la lutte contre ses ennemis communistes puis japonais.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/226595/original/file-20180708-122274-19877l8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/226595/original/file-20180708-122274-19877l8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/226595/original/file-20180708-122274-19877l8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=802&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/226595/original/file-20180708-122274-19877l8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=802&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/226595/original/file-20180708-122274-19877l8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=802&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/226595/original/file-20180708-122274-19877l8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1008&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/226595/original/file-20180708-122274-19877l8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1008&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/226595/original/file-20180708-122274-19877l8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1008&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Mao Zedong dans un champ de riz, image issue du « Petit Livre Rouge », datée vers 1950.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/2/2d/Mao_Zedong_rice_field.jpg?uselang=fr">Hou Bo/Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Mao Zedong, lui, conquiert le pouvoir en mobilisant et encadrant les paysans, puis rallie autour de son parti un grand nombre de ceux, y compris des non-communistes, qui aspirent à la reconstruction du pays enfin réunifié. Promettant la construction d’une Chine nouvelle, le régime socialiste inscrit son programme dans la continuité des espoirs portés les intellectuels et les activistes depuis plus d’un demi-siècle.</p>
<h2>Le cas de l’institution familiale</h2>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/226664/original/file-20180709-122250-jp6lwq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/226664/original/file-20180709-122250-jp6lwq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/226664/original/file-20180709-122250-jp6lwq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/226664/original/file-20180709-122250-jp6lwq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/226664/original/file-20180709-122250-jp6lwq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/226664/original/file-20180709-122250-jp6lwq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/226664/original/file-20180709-122250-jp6lwq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Certificat de mariage, 1959.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Gilles Guiheux</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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</figure>
<p>Dès son installation, le nouveau régime manifeste par exemple son intention de moderniser l’institution familiale. Il le fait en adoptant le 1<sup>er</sup> mai 1950 une nouvelle loi sur le mariage qui abolit les formes féodales d’union, consacre le libre choix des contractants, établit le principe de l’égalité entre l’homme et la femme, interdit la polygamie, l’entretien de concubines, l’empêchement du remariage des veuves et la revendication de cadeaux pour contracter l’union.</p>
<p>Ce faisant, plus qu’il ne fait œuvre révolutionnaire, le Parti communiste s’inscrit en continuité des réformateurs qui, depuis le début du siècle, s’accordent pour lier le salut de la nation chinoise au développement d’une <a href="https://journals.openedition.org/perspectiveschinoises/871">famille</a> de petite taille, composée d’un couple et de ses enfants, fondée sur la liberté de mariage et une plus grande indépendance économique de ses membres.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/226601/original/file-20180708-122250-t5jms.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/226601/original/file-20180708-122250-t5jms.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/226601/original/file-20180708-122250-t5jms.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/226601/original/file-20180708-122250-t5jms.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/226601/original/file-20180708-122250-t5jms.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/226601/original/file-20180708-122250-t5jms.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/226601/original/file-20180708-122250-t5jms.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Riding in the Milky Way, 6 novembre 2016.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/gauthierdelecroix/30643736953/in/album-72157672255769936/">Gauthier Delecroix, 郭天/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le résultat de la mise en œuvre de cette loi est que si les femmes chinoises sont juridiquement libérées du joug de leur époux, c’est pour être mises au service du projet socialiste. Le texte ne renforce pas tant l’institution familiale que le contrôle exercé par l’État sur les individus qui doivent désormais soumettre le choix de leur conjoint à l’approbation du Parti. Intégré à la grande cause révolutionnaire, le mariage devient un outil de politisation des corps, devant être utile aux intérêts de la société dans son ensemble.</p>
<p>De fait, dans bien des domaines, Mao privilégie durablement l’objectif de la révolution sur celui de la modernisation. Il faut attendre les réformes et l’ouverture initiées en 1980 pour que les promesses faites en 1949 soient enfin tenues.</p>
<h2>Le retour de la puissance</h2>
<p>Quatre décennies plus tard, la Chine est prospère ; elle est devenue la seconde économie mondiale derrière celles des États-Unis. Sa puissance est restaurée sur la scène régionale et internationale ; elle est respectée et crainte.</p>
<p>L’industrialisation, l’urbanisation, les migrations entre les campagnes et les villes, l’élévation du niveau d’éducation, l’achèvement de la transition démographique ont transformé le pays à un rythme sans équivalent dans l’histoire. Ces mutations ont permis à la population d’accéder aux attributs de la modernité : le confort et le bien-être matériel, la culture de masse et les loisirs, les technologies les plus avancées. Aujourd’hui, la société chinoise, en particulier urbaine, connaît des formes d’organisation et se caractérise par des pratiques qui s’apparentent à celles que l’on retrouve dans les sociétés capitalistes avancées.</p>
<p>Sous l’effet de décisions prises par le pouvoir politique, mais aussi de dynamiques induites par l’urbanisation ou la marchandisation, les individus sont désormais autonomes et responsables. Le processus de construction de l’individu en Chine a pourtant suivi un chemin original relativement à ce qui s’est passé, par exemple, dans le cas européen.</p>
<h2>Une modernité non-européenne</h2>
<p>En effet la trajectoire européenne est fondée sur la conquête de droits civils, politiques et sociaux. <a href="http://sk.sagepub.com/books/individualization">Le lien social est assuré par des systèmes politiques de nature démocratique</a>. La fin du paternalisme, du familialisme et des ordres professionnels a été rendue possible parce que l’État protège l’individu des excès du patron et du père de famille, et qu’un système public de protection sociale s’est substitué aux solidarités anciennes face aux principaux risques de la vie. Des institutions ont donc permis à l’individu de s’autonomiser. En outre, ces droits ont été le fruit de luttes conduites par les fractions les plus fragiles. La société, en se mobilisant, a conquis ces droits.</p>
<p>Or, dans le cas de la Chine, c’est l’État lui-même qui a libéré les individus pour stimuler la croissance économique ; l’individualisation a été encouragée par le pouvoir politique.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/226665/original/file-20180709-122268-1f2i9gj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/226665/original/file-20180709-122268-1f2i9gj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=598&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/226665/original/file-20180709-122268-1f2i9gj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=598&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/226665/original/file-20180709-122268-1f2i9gj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=598&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/226665/original/file-20180709-122268-1f2i9gj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=751&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/226665/original/file-20180709-122268-1f2i9gj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=751&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/226665/original/file-20180709-122268-1f2i9gj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=751&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Façade d’un centre commercial Jiaxing Zhejiang, septembre 2017.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Gilles Guiheux</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>L’État maître du jeu</h2>
<p>L’État et les politiques publiques ont été à l’initiative des transformations de la société. L’individu occupe donc en Chine une place grandissante sans qu’existe le cadre institutionnel caractéristique de la trajectoire européenne. La dérégulation néolibérale de l’économie, du marché du travail ou de la consommation, est initiée avant l’avènement des droits politiques et sociaux.</p>
<p>Ce faisant le régime communiste chinois bien qu’héritant de certains processus de modernisation suivis par le monde européen ou américain offre une <a href="https://journals.openedition.org/lectures/21341">modernité bien différente de la modernité occidentale</a>.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-credit-social-ou-le-big-brother-a-la-sauce-chinoise-98200">Le « crédit social » ou le Big Brother à la sauce chinoise</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>La modernité chinoise est ainsi fondée sur une individualisation limitée, qui, si elle est souhaitée doit rester cantonnée à la sphère des activités économiques et de la vie privée. Simultanément, les progrès de l’intelligence artificielle vont permettre à l’État et à ses relais de suivre quasiment instantanément l’activité de tous les citoyens.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/226666/original/file-20180709-122268-hc4jzp.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/226666/original/file-20180709-122268-hc4jzp.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/226666/original/file-20180709-122268-hc4jzp.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/226666/original/file-20180709-122268-hc4jzp.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/226666/original/file-20180709-122268-hc4jzp.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/226666/original/file-20180709-122268-hc4jzp.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/226666/original/file-20180709-122268-hc4jzp.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/226666/original/file-20180709-122268-hc4jzp.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Une statue de Confucius devant le temple qui lui est consacré. Pékin, 2008.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Temple_de_Confucius_de_P%C3%A9kin#/media/File:Beijing-Kongmiao.JPG">Walter Grassroot/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nd/4.0/">CC BY-ND</a></span>
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<p>L’individu est ainsi sommé d’être autonome et responsable, et de contribuer à la croissance économique. Mais l’individualisme en tant que tel est lui condamné, car tout à chacun doit d’abord se mettre au service des intérêts de sa famille et de la nation chinoise.</p>
<p>Ironie de l’histoire, des initiatives tant officielles que populaires contribuent à réhabiliter la figure de Confucius, autrefois associée <a href="https://www.canal-u.tv/video/ehess/le_sage_et_le_peuple_de_sebastien_billioud_et_joel_thoraval.18041">à une tradition honnie au nom de la modernisation</a>. Partout dans le pays, dans des écoles privées, de jeunes enfants apprennent par cœur les textes classiques et font l’apprentissage de règles de vie : saluer les adultes ou prendre soin de sa tenue. À Qufu, dans la province du Shandong, ville natale du penseur, un culte officiel lui est désormais rendu chaque année en présence des autorités locales.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/99253/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Gilles GUIHEUX a reçu des financements de l'Agence Nationale de la Recherche (ANR).</span></em></p>L’histoire de la Chine montre que le pays a réussi à proposer une « autre » modernité, non-occidentale, fondée sur l’individualisme au service de l’état.Gilles Guiheux, Professeur, socio-histoire de la Chine, Université Paris CitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.