tag:theconversation.com,2011:/ca-fr/topics/organisation-21871/articlesorganisation – La Conversation2024-03-25T16:34:35Ztag:theconversation.com,2011:article/2258252024-03-25T16:34:35Z2024-03-25T16:34:35ZGérer autrement notre système de santé : les acteurs du secteur incités, mais insuffisamment formés<p>Raisons budgétaires, manque de personnel, évolution des pratiques médicales… Les 2976 hôpitaux publics et privés français ont fait l’objet de la <a href="https://www.vie-publique.fr/en-bref/292502-hopitaux-et-cliniques-les-chiffres-cles-de-lannee-2022">fermeture de près de 40 000 lits d’hospitalisation complète en 10 ans</a>. Des dizaines de petits hôpitaux ont fermé, tout comme des maternités et des services hospitaliers mal équipés ou déficitaires. En parallèle, le nombre de places d’hospitalisation a progressé de près de 2 % grâce notamment à l’hospitalisation partielle et à l’hospitalisation à domicile, en hausse de 16 % entre fin 2019 et fin 2020 pour atteindre <a href="https://sante.gouv.fr/IMG/pdf/feuille-de-route-had-2022-05-01-2.pdf#page=5">240 000 séjours</a>. La moitié seulement de cette hausse s’explique par le coronavirus. Si la courbe s’est <a href="https://www.fnehad.fr/wp-content/uploads/2023/04/MOP-3015.pdf">infléchie en 2021</a>, les pouvoirs publics se sont donné pour feuille de route de <a href="https://sante.gouv.fr/IMG/pdf/feuille-de-route-had-2022-05-01-2.pdf#page=7">développer</a> plus encore cette approche des soins.</p>
<p>Avec pareilles évolutions, l’organisation des soins mobilise de multiples intervenants professionnels rendant leur coordination essentielle. L’<a href="https://sante.gouv.fr/IMG/pdf/feuille-de-route-had-2022-05-01-2.pdf#page=23">injonction</a> à cela de la part des pouvoirs publics semble de plus en plus forte au moment où le système de <a href="https://theconversation.com/topics/sante-20135">santé</a> doit faire face à d’importantes contraintes comme le <a href="https://theconversation.com/la-population-de-la-france-va-t-elle-diminuer-suite-a-la-baisse-de-la-natalite-222790">vieillissement de la population</a>, l’<a href="https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/communique-de-presse/mieux-connaitre-et-evaluer-la-prise-en-charge-des-maladies-chroniques">augmentation des maladies chroniques</a> et l’importance de contenir le déficit de l’assurance maladie qui pourrait <a href="https://www.latribune.fr/economie/france/a-8-8-milliards-d-euros-le-deficit-de-la-securite-sociale-va-doubler-d-ici-trois-ans-977591.html">doubler d’ici trois ans</a>.</p>
<p>Plusieurs acteurs du système de santé ont déjà intégré dans leurs pratiques une fonction de <a href="https://theconversation.com/topics/organisation-21871">coordination</a>. En complément des professionnels de santé intervenant à domicile se développent également des dispositifs d’appui à la coordination (<a href="https://sante.gouv.fr/systeme-de-sante/structures-de-soins/les-dispositifs-d-appui-a-la-coordination-dac/">DAC</a>) ou des communautés professionnelles territoriales de santé (<a href="https://sante.gouv.fr/systeme-de-sante/structures-de-soins/les-communautes-professionnelles-territoriales-de-sante-cpts/">CPTS</a>). L’organisation de ce système dense semble néanmoins <a href="https://serval.unil.ch/resource/serval:BIB_276592407385.P001/REF.pdf">difficile car il paraît peu lisible</a>. Il reste par ailleurs <a href="https://sante.gouv.fr/systeme-de-sante/systeme-de-sante/strategie-de-transformation-du-systeme-de-sante/">cloisonné</a> avec notamment la persistance de frontières entre les soins de ville et hospitaliers, entre les professionnels médicaux, paramédicaux et sociaux.</p>
<h2>Cinq ans d’expérimentation</h2>
<p>Pour en sortir, les pouvoirs publics tentent de mettre en place une législation favorable, à l’innovation. Celle-ci peut certes être technologique ou thérapeutique, mais aussi organisationnelle. L’<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/article_jo/JORFARTI000036339172">article 51</a> de la loi de Finances de la Sécurité sociale 2018 (LFSS 2018) visait notamment à permettre aux acteurs de la santé, peu formés au management, à s’approprier la notion de « projet ».</p>
<p>Ce dispositif réglementaire autorisait pour les cinq années suivantes à expérimenter de nouvelles organisations grâce à des modes de financement qui n’étaient, jusqu’à présent, pas utilisés. Il s’agit par exemple des <a href="https://sante.gouv.fr/systeme-de-sante/parcours-des-patients-et-des-usagers/article-51-lfss-2018-innovations-organisationnelles-pour-la-transformation-du/les-experimentations/article/experimentation-d-une-incitation-a-une-prise-en-charge-partagee-ipep">incitations à une prise en charge partagée</a> (IPEP) : un intéressement versé à des professionnels qui se constituent une patientèle commune pour une meilleure coordination et prise en charge.</p>
<p>On retrouve également le <a href="https://sante.gouv.fr/systeme-de-sante/parcours-des-patients-et-des-usagers/article-51-lfss-2018-innovations-organisationnelles-pour-la-transformation-du/les-experimentations/article/experimentation-d-un-paiement-en-equipe-de-professionnels-de-sante-en-ville">paiement en équipe de professionnels de santé en ville</a> (Peps), qui, dans une même logique de coordination, vise à remplacer le paiement à l’acte par une rémunération collective.</p>
<p>L’objectif était notamment, d’après la loi, de « permettre l’émergence d’organisations innovantes dans les secteurs sanitaire et médico-social concourant à l’amélioration de la prise en charge et du parcours des patients, de l’efficience du système de santé et de l’accès aux soins ».</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1764055240679080270"}"></div></p>
<p>Près de mille projets ont été déposés sur les plates-formes régionales et nationale et plus de cent ont été autorisés à être expérimentés, regroupant au total un <a href="https://sante.gouv.fr/systeme-de-sante/parcours-des-patients-et-des-usagers/article-51-lfss-2018-innovations-organisationnelles-pour-la-transformation-du/les-rendez-vous-de-l-article-51/article/journee-nationale-des-porteurs-de-projet-23-novembre-2023">million de patients</a>. L’article 51 de la LFSS 2018 marque ainsi une <a href="https://www.cairn.info/revue-les-tribunes-de-la-sante-2020-1-page-35.htm?ref=doi">rupture nette</a> avec les tentatives précédentes d’amélioration des prises en charge du fait d’une plus grande souplesse, d’une rapidité des procédures accrue et d’un dispositif législatif davantage ouvert aux acteurs de santé.</p>
<h2>Aligner les motivations</h2>
<p>Nos <a href="https://www.theses.fr/2023PAUU2132">travaux de recherche</a> ont suivi certaines de ces expériences et mettent en avant leur potentiel transformatif. Observant succès et échecs, ils donnent également quelques clefs pour permettre de les mettre au mieux en œuvre.</p>
<p>Deux projets en Nouvelle-Aquitaine ont particulièrement été suivis, avec des fortunes diverses : un projet A, porté par un hôpital public et qui a échoué dans sa mise en œuvre, et un projet B, lancé par un Groupement de coopération sanitaire, qui, lui, a connu une réussite. Chacun reposait sur une innovation organisationnelle, de financement et technologique avec le développement d’interfaces numériques.</p>
<p>Le premier consiste à prendre en charge de manière coordonnée des patients qui souffrent de maladies inflammatoires chroniques. Il est porté par quatre médecins hospitaliers. Le second consiste à prendre en charge de manière coordonnée des patients pour des chirurgies orthopédiques. Ce projet est porté par un médecin militaire.</p>
<p>Le premier élément clé qui peut rendre compte de l’échec du projet A a trait aux motivations. Qu’elles soient collectives ou individuelles, elles restent le socle d’un projet innovant. L’enjeu est de les aligner et de faire adhérer les acteurs aux valeurs et à la culture de l’organisation. Que tout le monde, en somme, soit sur la même longueur d’onde. Or, les porteurs du projet A semblaient aussi animés par des motivations individuelles qui ont freiné l’élan collectif. Un personnel de l’Agence régionale de santé (ARS) Nouvelle-Aquitaine nous a ainsi confié :</p>
<blockquote>
<p>« Ce sont des porteurs qui aiment être devant. Il y a, quoi qu’on en dise, une volonté d’attirer la lumière. C’est positif pour faire naître des projets ; la preuve ils ont répondu à l’appel à manifestation d’intérêt. Mais lorsqu’il s’agit de les décliner, les choses deviennent plus compliquées. »</p>
</blockquote>
<h2>Apprendre à gérer</h2>
<p>Porter un projet et faire naître des coordinations nouvelles appelle en outre des compétences managériales particulières. Le financement et la gestion de budget, tout d’abord, représentent la condition <em>sine qua non</em> de l’amorçage des projets. Sans financement, pas de projet et sans maîtrise des outils de gestion, pas de mise en œuvre. Au-delà, la maîtrise des interactions humaines (gestion des conflits, résistance au changement…) doit être développée. Un pilotage de projet et des évaluations régulières sont également nécessaires pour garantir des avancées. Cela limite par ailleurs les risques d’exposition médiatique.</p>
<p>L’ARS relevait sans nuance pour le projet B, celui qui a réussi, le point suivant :</p>
<blockquote>
<p>« Clairement, depuis le début, il y a une maîtrise de tous les éléments qui sont nécessaires au bon déroulement du projet. Le porteur est en réalité un manager qui a un sens humain très fort et une connaissance globale du système ».</p>
</blockquote>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1766823677914472915"}"></div></p>
<p>La nouveauté se heurte par ailleurs bien souvent à une résistance au changement que nous avons pu observer notamment de la part de certains médecins hospitaliers. L’« hospitalocentrisme » reste assez marqué dans les mentalités. Dans la même veine, les conflits persistants entre les parties prenantes du projet A ont sans doute figé le projet avec un non-déploiement malgré le fort potentiel. Un des porteurs déplore :</p>
<blockquote>
<p>« Les conflits l’emportent sur le sens et la dynamique commune. Pourtant je peux vous dire que ce projet avait tout pour réussir et on a mis le paquet… »</p>
</blockquote>
<p>Face à cet enjeu, les tutelles comme l’ARS peuvent apporter une aide précieuse. Le dispositif article 51, dans son essence même, incite les acteurs de santé à travailler de manière coordonnée et facilite la conduite et le déploiement des projets grâce à l’accompagnement prévu et aux financements alloués.</p>
<p>Reste que, comme nous le montrons, ces éléments s’avèrent nécessaires mais non suffisants. Les professionnels de santé qui portent les projets doivent être formés aux outils et méthodes du projet sans oublier la dimension de management des ressources humaines. Leurs tutelles semblent, en la matière, avoir un rôle à asseoir pour notamment rappeler aux porteurs de projet le cadre des dispositifs afin d’éviter les risques de non-déploiement.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/225825/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Cécile Dezest a reçu des financements de ARS NA-CDAPPB. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Emmanuelle Cargnello et Isabelle Franchisteguy-Couloume ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>La Loi de Finances de la Sécurité sociale 2018 ouvrait la voie à de nouvelles expérimentations pour organiser notre système de soins. Une recherche en dresse un premier bilan.Cécile Dezest, Docteure en sciences de Gestion, Université de Pau et des pays de l'Adour (UPPA)Emmanuelle Cargnello, Professeur des universités en sciences de gestion, IAE Pau-BayonneIsabelle Franchisteguy-Couloume, Maître de conférences - Habilitée à Diriger les Recherches en sciences de gestion, Université de Pau et des pays de l'Adour (UPPA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2238922024-03-11T10:59:46Z2024-03-11T10:59:46ZDoit-on être gentil au travail ?<p>Au fil des dernières années, l’importance de la gentillesse au sein du milieu professionnel s’est accrue, devenant un élément central de la gestion des organisations. Cet « <a href="https://www.oxfordlearnersdictionaries.com/definition/american_english/kindness">acte de bonté</a> », comme défini par l’Oxford Learner’s Dictionaries, met en outre en relief le choix actif et délibéré de manifester compassion et empathie envers les autres.</p>
<p>Cela sous-entend que la gentillesse n’est pas simplement une caractéristique passive, mais une manière proactive d’interagir avec les autres. L’<em>American Psychology Association (APA)</em> décrit la gentillesse comme :</p>
<blockquote>
<p>« une <a href="https://dictionary.apa.org/kindness">action bienveillante et utile</a> dirigée intentionnellement vers une autre personne. On considère souvent que la gentillesse est motivée par le désir d’aider autrui et non par le désir d’obtenir une récompense explicite ou d’éviter une punition explicite. »</p>
</blockquote>
<p>L’accent est mis ici sur les motivations sous-jacentes des actes de gentillesse, en soulignant qu’ils sont ancrés dans une véritable intention altruiste plutôt que dans la recherche d’un gain personnel ou d’évitement de conséquences négatives.</p>
<p>Les recherches existantes sur la gentillesse au travail mettent en avant ses <a href="https://psycnet.apa.org/record/2018-12418-001">effets positifs</a>, notamment l’amélioration de la satisfaction au travail, la réduction du stress et le renforcement du bien-être mental et de la productivité. Les actes de gentillesse génèrent un effet d’entraînement, favorisant un environnement propice à la coopération. Ils renforcent aussi la confiance mutuelle.</p>
<p>Malgré ces résultats encourageants, il faut noter que certains aspects de la gentillesse au travail demeurent peu explorés, notamment en ce qui a trait au lien avec le leadership ou encore à ses limites pour le bon fonctionnement des organisations.</p>
<h2>« Chercher la connexion avec l’autre »</h2>
<p>Pour approfondir notre compréhension de ce phénomène, nous avons réalisé des recherches afin d’élaborer et de valider une <a href="https://www.cairn.info/revue-de-gestion-des-ressources-humaines-2023-4-page-51.html">échelle mesurant la gentillesse au travail</a>, allant au-delà de la simple quantification d’actions aléatoires, c’est-à-dire de gestes que nous faisons tous quotidiennement et à notre gré.</p>
<p>Nous avons initialement sollicité les retours d’un large éventail diversifié de professionnels afin de créer cet instrument multidimensionnel de mesure (un questionnaire). Certains commentaires ont apporté un éclairage concret sur cette réalité organisationnelle. Pour l’un des gestionnaires rencontrés, la gentillesse, c’est :</p>
<blockquote>
<p>« chercher à comprendre l’autre et à lui faire une place chez nous le [lieu de travail], ça nous rapproche et nous permet d’aller finalement ensuite plus loin sur notre propre liberté de parole envers l’équipe. »</p>
</blockquote>
<p>Un autre souligne :</p>
<blockquote>
<p>« Il est très important pour nous d’avoir un manager capable d’écouter et d’aider en cas de besoin. Notre performance passe par la disponibilité du manager à son équipe… surtout à distance. »</p>
</blockquote>
<p>Enfin, un troisième gestionnaire s’exprime ainsi :</p>
<blockquote>
<p>« Pour ma part, dans notre petite entreprise, je mets un point d’honneur à aider personnellement mes collaborateurs dans leur vie privée quand je le peux. Généralement, cela crée une espèce de reconnaissance et je pense que cela explique pourquoi je ne galère pas à recruter et que les gens restent assez longtemps chez nous. »</p>
</blockquote>
<p>Les autres participants ont mentionné les aspects positifs de la gentillesse tels qu’une ambiance de travail mettant en valeur le respect, l’effort et la réussite. Une culture organisationnelle favorable et des initiatives visant à renforcer la diversité et l’inclusion ont également été fortement appréciées.</p>
<hr>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<p><em>Chaque lundi, que vous soyez dirigeants en quête de stratégies ou salariés qui s'interrogent sur les choix de leur hiérarchie, recevez dans votre boîte mail les clés de la recherche pour la vie professionnelle et les conseils de nos experts dans notre newsletter thématique « Entreprise(s) ».</em></p>
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<p>Certains répondants ont émis des inquiétudes quant à une approche potentiellement superficielle de la diversité, suggérant un manque de reconnaissance envers les idées et opinions divergentes. D’autres ont critiqué ce qu’ils considéraient comme des stratégies d’évitement adoptées par certaines entreprises confrontées à des conflits ou des défis.</p>
<h2>Et vous, comment ça se passe au travail ?</h2>
<p>À la suite de ces témoignages et de nos recherches, notamment dans les écrits scientifiques, nous avons identifié plusieurs composantes de la gentillesse au travail. Nous nous sommes concentrés sur trois d’entre elles dans un récent <a href="https://www.cairn.info/revue-de-gestion-des-ressources-humaines-2023-4-page-51.htm">article</a> : (1) l’empathie ; (2) l’inclusion ; et (3) la reconnaissance des efforts.</p>
<p>Une fois notre échelle de mesure temporaire établie (le questionnaire), nous l’avons testé sur un groupe de 160 individus puis sur un groupe de 241 participants. L’analyse des résultats montre que l’intention de quitter son emploi diminue de manière significative dans un environnement où la gentillesse est de mise. Nous avons également constaté un consensus sur le fait que la gentillesse a un impact positif sur la stabilité des organisations.</p>
<p>Le lien suivant vous dirige vers notre <a href="https://sphinx.icn-artem.com/SurveyServer/s/pedagogie/Kindness_5/questionnaire.htm">questionnaire</a> mis à jour. Après l’avoir rempli, vous obtiendrez un compte-rendu de la gentillesse dans votre milieu de travail de votre point de vue, y compris selon les trois dimensions susmentionnées.</p>
<p><strong>Votre cadre de travail se caractérise-t-il par la gentillesse ?</strong></p>
<p><em><strong>Faîtes le test en cliquant <a href="https://sphinx.icn-artem.com/SurveyServer/s/pedagogie/Kindness_5/questionnaire.htm">ici</a>.</strong></em></p>
<p>Il faut préciser ici que la gentillesse peut être une arme à double tranchant. En dose excessive, elle pourrait générer des comportements de travail aliénants (« <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/0149206313503019"><em>counterproductive work behaviors</em> ou CWB</a> » dans la littérature scientifique) de la part d’employés qui en profiteraient pour <a href="https://www.jstor.org/stable/256693">soutirer indûment des avantages</a>.</p>
<p>Ces derniers incluent prendre des pauses excessives, arriver en retard au travail, se déclarer malade sans raison, faire preuve d’un laisser-aller vestimentaire, faire moins attention aux normes de qualité, passer son temps sur des réseaux sociaux, utiliser les ressources de l’entreprise à des fins personnelles, etc.</p>
<p>Nous supputons, pour l’instant, que la gentillesse au travail favorise la confiance et la collaboration, mais qu’elle doit aussi s’inscrire dans un cadre de productivité afin de limiter les abus possibles. Un très haut niveau gentillesse au travail qui serait accompagné par un manque de productivité dans une organisation pourrait, en effet, aller à l’encontre des intérêts de tout un chacun.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/223892/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Selon un travail de recherche, la gentillesse favorise l’ambiance et la stabilité d’une organisation. À condition de ne pas en abuser.Olivier Mesly, Enseignant-chercheur au laboratoire CEREFIGE, université de Lorraine, professeur de marketing, ICN Business SchoolSilvester Ivanaj, Full Professeur, Département Management de la Supply Chain et des Systèmes d'Information, ICN Business SchoolSteve Ordener, Research Project Leader in Organizational Behavior, ICN Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2198902024-02-20T15:24:39Z2024-02-20T15:24:39ZL'IA ne révolutionnera pas la gestion des entreprises… au contraire<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/566976/original/file-20231220-27-wmz3g0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=22%2C15%2C5051%2C2320&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les entreprises ne seront pas mieux gérées avec l'arrivée de l'IA... bien au contraire. </span> <span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span></figcaption></figure><p>Il n’est pas exagéré de considérer la démocratisation des nouvelles formes d’intelligence artificielle (IA), telles que ChatGPT (OpenAI), Bard (Google) ou Co-Pilot (Microsoft), comme une révolution sociétale de l’ère numérique. </p>
<p>En effet, l’utilisation grand public des systèmes d’IA bouleverse plusieurs domaines, notamment <a href="https://doi.org/10.3390/educsci13070692">l’éducation universitaire</a>, le <a href="https://ceur-ws.org/Vol-3435/short2.pdf">système légal</a> et, bien entendu, le <a href="https://doi.org/10.1177/02663821231187">monde du travail</a>. </p>
<p>Ces changements se font à une vitesse si ahurissante que la recherche peine à suivre. Par exemple, en quelques mois seulement, la plate-forme ChatGPT s’est améliorée à un tel point qu’elle a maintenant la capacité de se classer parmi le <a href="https://doi.org/10.48550/arXiv.2303.08774">top 10 % des meilleures notes de l’examen uniforme du barreau aux États-Unis</a>. Ces résultats encouragent même certaines firmes d’avocats aux États-Unis à utiliser des logiciels d’IA pour remplacer le travail de certains techniciens juridiques afin détecter les préférences d’un juge dans le but de personnaliser et d’automatiser leur <a href="https://www.wired.co.uk/article/generative-ai-is-coming-for-the-lawyers">plaidoyer</a>. </p>
<p>Néanmoins, bien que les avancées technologiques sont remarquables, les résultats de plus de 40 ans de recherche en psychologie organisationnelle sont tout simplement incompatibles avec les promesses de l’IA. Ayant travaillé pendant de nombreuses années en tant qu’expert en gestion stratégique, je propose d’apporter un éclairage distinct — mais complémentaire — sur le côté parfois sombre des organisations, c’est-à-dire les comportements et les procédures qui sont irrationnels (voire stupides) et leurs impacts lors de l’intégration de l’IA.</p>
<h2>Des organisations stupides</h2>
<p>Vous êtes-vous déjà retrouvé dans une situation professionnelle au cours de laquelle on a invalidé votre idée en répondant « la règle, c’est la règle » et ce, même si votre solution était plus créative et/ou coûtait moins cher ? Félicitations ! Vous travailliez (ou travaillez encore) dans une organisation stupide, selon la science. </p>
<p>La <a href="https://doi.org/10.1111/j.1467-6486.2012.01072.x">stupidité organisationnelle</a> est inhérente, à différent degré, à toutes organisations. Elle met de l’avant le principe que les interactions humaines sont, <em>de facto</em>, inefficientes et que les processus pour contrôler le travail (p. ex. les politiques d’entreprises) qui ne sont pas mis à jour régulièrement ont le risque de rendre l’organisation stupide. </p>
<p>Alors que certaines organisations travaillent d’arrache-pied pour se renouveler, d’autres, souvent par manque de temps ou par recherche du confort au quotidien, entretiennent des processus qui ne tiennent plus avec la réalité auquel fait face l’organisation — elles deviennent alors stupides. Deux éléments de la stupidité organisationnelle peuvent être mis de l’avant : la <a href="https://www.amazon.ca/Stupidity-Paradox-Power-Pitfalls-Functional/dp/1781255415">stupidité fonctionnelle</a> et <a href="https://www.jstor.org/stable/977385">l’incompétence organisationnelle</a>.</p>
<h2>La stupidité fonctionnelle</h2>
<p>Elle est présente quand les comportements des gestionnaires d’une organisation imposent une discipline qui contraint la relation entre les employés, la créativité et la réflexion. Dans ces organisations, les gestionnaires refusent le raisonnement rationnel, les nouvelles idées et résistent au changement, ce qui a pour effet d’augmenter la stupidité organisationnelle. </p>
<p>Cela résulte en une situation ou les employés évitent de travailler en équipe, et conservent leurs ressources au travail (p. ex. leurs connaissances, leurs expertises) pour leurs bénéfices personnels plutôt que les bénéfices organisationnels. Par exemple, un employé pourrait remarquer les signes avant-coureurs d’une défaillance d’une machine dans son milieu de travail, mais décider plutôt de ne rien dire, car « ce n’est pas mon job », ou bien, car son gestionnaire lui est plus reconnaissant lorsqu’il répare la machine plutôt que lorsqu’il prévient une défaillance.</p>
<p>Dans un contexte de stupidité fonctionnelle, l’intégration de l’IA au travail ne ferait qu’empirer la situation. Les employés, étant restreints dans leurs relations avec leurs collègues et tentant d’accumuler le plus de ressources possible au travail (p. ex. connaissances, expertises, etc.), auront tendance à décupler les demandes d’information répétées provenant de l’IA. Ces demandes seront souvent faites sans contextualisation des résultats ou sans l’expertise nécessaire pour l’analyse. </p>
<p>Prenons par exemple une organisation qui souffre de stupidité fonctionnelle et qui, traditionnellement, attitrait un employé à l’analyse des tendances du marché pour ensuite transmettre ces informations à une autre équipe pour la mise en place des campagnes publicitaires. L’intégration de l’IA risquerait alors d’inciter tous les membres de l’organisation (ayant l’expertise nécessaire pour contextualiser la réponse de l’IA, ou non) à chercher de nouvelles tendances du marché afin d’avoir <em>la</em> meilleure idée en réunion devant le patron.</p>
<p>Nous avons déjà certains exemples de stupidité fonctionnelle qui surgissent dans les nouvelles ; c’est le cas notamment d’un cabinet d’avocats aux États-Unis qui a cité (grâce à ChatGPT) six cas de jurisprudence qui sont <a href="https://arstechnica.com/tech-policy/2023/06/lawyers-have-real-bad-day-in-court-after-citing-fake-cases-made-up-by-chatgpt/">tout simplement inexistants</a> lors d’un procès. Ultimement, ces comportements réduisent l’efficacité de l’organisation.</p>
<h2>Des organisations incompétentes</h2>
<p>L’incompétence organisationnelle se situe quant à elle au niveau de la structure de l’entreprise. Ce sont les règles (souvent inadaptées ou trop strictes) qui empêchent l’organisation d’apprendre de leur environnement, de ses échecs ou de ses succès. </p>
<p>Imaginons que l’on vous donne une tâche à réaliser au travail. Vous pouvez la terminer en une heure, mais votre date butoir est fixée pour la fin de la journée. Il est possible que vous soyez tenté d’étirer le temps requis pour réaliser la tâche jusqu’à sa limite, car vous n’avez aucun avantage à la terminer plus tôt, ou aucune tâche supplémentaire ou aucune valorisation du travail rapide. De ce fait, vous pratiquez le <a href="https://www.economist.com/news/1955/11/19/parkinsons-law">principe de Parkinson</a>. </p>
<p>En d’autres termes, votre travail (et la charge cognitive nécessaire à celle-ci) sera modulé pour remplir la totalité du délai prescrit. Il est difficile de voir dans quelle mesure l’utilisation de l’IA permettra une augmentation de l’efficacité au travail dans une organisation qui à une forte tendance au principe de Parkinson.</p>
<p>Le second élément de l’incompétence organisationnelle pertinent à l’intégration de l’IA au travail est le principe de <a href="https://doi.org/10.1177/1350507618781113">kakistocracy</a>, ou comment l’individu qui semble avoir le moins de compétence pour occuper un poste de gestion, se retrouve néanmoins dans cette position. </p>
<p>Cette situation se produit lorsqu’une organisation favorise l’octroi de promotions à partir des performances actuelles de l’employé plutôt que de sa capacité de répondre aux exigences du nouveau rôle. Ainsi, la promotion s’arrête le jour où l’employé n’est plus compétent dans le rôle qu’il exerce actuellement. Si toutes les promotions dans l’organisation se font de cette façon, nous aurons une hiérarchie bondée de gens incompétents ; c’est le <a href="https://psycnet.apa.org/record/1969-35005-000">principe de Peter</a>. </p>
<p>Le principe de Peter aura encore plus d’effets négatifs dans les organisations qui intégreront l’IA. Ainsi, un employé qui sera en mesure de maîtriser l’IA plus rapidement que ces collègues, par exemple en écrivant un code de programmation en un temps record pour régler plusieurs problèmes chronophages au travail, aura un avantage sur ceux-ci. Cette compétence lui sera favorable lors de son évaluation de rendement et engendrera une promotion.</p>
<h2>Incompétence et inefficacité</h2>
<p>Néanmoins, son expertise en IA ne lui permettra pas de relever les défis de résolution de conflit et de leadership que les postes de gestion engendrent. Si le nouveau gestionnaire n’a pas les compétences interpersonnelles nécessaires (<a href="https://doi.org/10.2345/i0899-8205-40-6-465.1">ce qui est souvent le cas</a>), celui-ci risque alors de souffrir d’<a href="https://adamsmitheconomics.wordpress.com/2010/05/02/how-do-you-cure-injelitance/"><em>injelitance</em></a> (une combinaison d’incompétence et de jalousie) face à ses nouveaux défis. </p>
<p>Car c’est lorsque les capacités humaines devront être mises de l’avant (pensée créative, aspect émotif de toutes relations humaines), et que nous atteignons les limites de l’IA, que le nouveau gestionnaire sera inefficace. Dans son sentiment d’incompétence, le gestionnaire nécessitera plus de temps pour <a href="https://openrepository.aut.ac.nz/items/a092e5b6-2203-4ce1-80bc-283d2b09e8d9">prendre une décision</a>, et aura tendance à trouver des solutions à des <a href="https://www.jstor.org/stable/2392088">problèmes inexistants</a> afin de pouvoir mettre de l’avant ses compétences techniques et justifier son expertise auprès de l’organisation. Par exemple, le nouveau gestionnaire pourrait décider qu’il est essentiel de surveiller (via l’IA bien sûr !) dans son équipe le nombre de touches du clavier pesées par minutes par les employés. Naturellement, cet élément n’est en rien un indicateur <a href="https://journals.sagepub.com/doi/full/10.1177/0275074021992058">d’une bonne performance</a> au travail.</p>
<p>Bref, il serait faux de penser qu’un outil aussi rationnel que l’IA, dans un milieu aussi irrationnel qu’une organisation, entraînera automatiquement les bénéfices d’efficience escomptés par les dirigeants. Ces derniers doivent s’assurer avant tout que leur organisation n’est pas stupide (autant dans les processus que dans les comportements) avant de penser à l’intégration de l’IA.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/219890/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Guillaume Desjardins ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’intégration d’un outil rationnel dans un environnement irrationnel ne donne pas toujours les résultats anticipés !Guillaume Desjardins, Associate professor, Industrial Relations, Université du Québec en Outaouais (UQO)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2204412024-01-08T10:58:58Z2024-01-08T10:58:58ZFini le flex office pur et dur, place à l’« activity-based working » ?<p>Il ne semble à la mode que depuis quelques années : le <a href="https://theconversation.com/lenvers-des-mots-flex-office-210657"><em>flex office</em></a> va-t-il déjà être supplanté ? Critiqué pour de multiples raisons alors qu’il promettait plus de productivité et l’instauration de dynamiques soutenues de travail collectif, il est aussi associé, parfois, à une perte d’identité et de repères pour le salarié.</p>
<p>Comme nous l’observons au cœur d’un ouvrage récemment publié aux éditions Deboeck Supérieur, <em>Le Travail et ses espaces, le pari du bien-être et de la performance</em>, les réponses se trouvent peut-être dans une <a href="https://core.ac.uk/download/pdf/4379526.pdf">expérimentation</a> restée relativement confidentielle réalisée au sein des locaux l’entreprise <a href="https://theconversation.com/topics/ibm-52569">IBM</a> en 1970, la même qui inventera cette nouvelle organisation des bureaux. C’est elle qui pensera la déterritorialisation des espaces de travail, des postes non attribués dans le cadre d’un espace ouvert et diversifié, elle qui génèrera à partir du milieu des années 1990 le concept de <em>flex office</em>. C’est elle aussi, en en identifiant les limites, qui porte en germes une forme d’espaces enrichis et diversifiés fondés sur les activités. Encore peu connue en France, elle dessine une nouvelle organisation du travail que l’on nomme « activity-based working ».</p>
<h2>Aux origines, une expérimentation discrète en 1970</h2>
<p>Financée par la firme de Armonk et menée par deux chercheurs du MIT, Thomas Allen et Peter Gersterberger (1971), l’expérience se donnait pour objectif d’évaluer l’impact d’un réaménagement radical des bureaux sur le comportement au travail, la communication et les performances d’une équipe d’une quinzaine d’ingénieurs produits « cobayes » appelés à se déplacer assez fréquemment. En lieu et place des anciens bureaux très cloisonnés a été imaginée une nouvelle configuration dite « non territoriale », sans poste attribué. Chacun des équipiers était amené à s’installer librement selon ses souhaits autour de grandes tables spatialement réparties ou de petites tables rondes éparpillées. Les signes extérieurs de pouvoir étaient appelés à disparaître.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/567568/original/file-20240102-29-e1au68.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/567568/original/file-20240102-29-e1au68.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/567568/original/file-20240102-29-e1au68.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/567568/original/file-20240102-29-e1au68.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/567568/original/file-20240102-29-e1au68.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/567568/original/file-20240102-29-e1au68.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/567568/original/file-20240102-29-e1au68.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p>Le bilan de cette expérience particulièrement novatrice se révéla, du point de vue des usagers, assez largement positif. En termes de confort environnemental, le nouvel aménagement spatial ayant leur préférence, tout retour en arrière leur paraissant inenvisageable. La plus grande fluidité des communications et donc de coordination entre équipiers répartie de manière plus homogène a par ailleurs constitué un facteur de satisfaction. Les chercheurs ont également relevé une baisse des coûts d’exploitation liée à la limitation des travaux de modification de l’espace visant à l’adapter aux évolutions de l’organisation.</p>
<p>Aucun accroissement mesurable de l’efficacité durant la période de la recherche n’a pour autant pu être observé. Pour les auteurs néanmoins, la satisfaction liée au confort environnemental et aux conditions de travail dans ce nouvel espace apparaissait malgré tout plus importante que les économies de coûts, tout en soulignant qu’il pouvait contribuer à améliorer leurs performances à long terme. Ils précisaient logiquement que cet aménagement « non territorial » est particulièrement adapté aux travailleurs mobiles.</p>
<p>Cette expérience, relativement confidentielle, ne sera <a href="https://journals.openedition.org/nrt/2847">pas généralisée</a>, ni au sein d’IBM ni au-delà. Cela s’explique par la lourdeur des équipements informatiques fixes de l’époque mais aussi parce qu’elle concernait une population spécifique. Elle demeure en tout état de cause particulièrement innovante, et sera largement remise au goût du jour. D’abord à grande échelle avec une concentration prioritaire sur les objectifs économiques, le <em>flex office</em>, dans les années 1990, puis, à partir des années 2010, dans le cadre d’espaces diversifiés, enrichis et augmentés.</p>
<h2>Un modèle devenu populaire au milieu des années 1990</h2>
<p>C’est probablement avec l’agence de publicité TBWA Chiat/Day que le mouvement d’adoption du modèle a pris <a href="https://boutique.lemoniteur.fr/de-l-immeuble-de-bureau-aux-lieux-du-travail.html">naissance en 1994</a>. Son dirigeant Jay Chiat avait alors demandé à l’architecte Gaetano Pesce de repenser profondément son organisation afin d’y transformer les habitudes de travail. Celui-ci imagine alors de vastes espaces de travail dépourvus de place individuelle attitrée pour l’ensemble des collaborateurs. L’idée : faire tomber les murs, faciliter la communication, les échanges et la collaboration entre les employés. Elle remet en cause la tradition du bureau fixe, d’un espace approprié, d’une intimité territoriale personnalisée.</p>
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<p>Cette innovation se combine avec une forme de rationalisation spatiale en optimisant les surfaces. Elle séduit rapidement nombre d’entreprises aux États-Unis et en Europe du Nord, en particulier celles qui emploient des travailleurs mobiles par essence, tels les consultants et les commerciaux. Il se déploiera ensuite en France au sein des secteurs de la banque et de la santé, ainsi que progressivement dans d’autres grandes firmes et dans certaines administrations.</p>
<p>Le cabinet Andersen Consulting s’est <a href="https://www.agrh.fr/assets/actes/2003leon074.pdf">totalement inscrit dans cette logique</a>, avec une assez forte <a href="https://www.adi-france.fr/produit/guide-de-la-flexibilite-de-lorganisation-et-de-lenvironnement-de-travail/">médiatisation en France</a>. Localisé initialement au sein de la tour Gan dans le quartier d’affaires de La Défense, le siège social français de la firme de conseil reposait sur un mode d’organisation managérial et spatial traditionnel. L’attribution et la surface d’un bureau personnel y constituaient un marqueur de reconnaissance statutaire, acquis à partir du grade de manager. Les consultants étaient basés dans un espace de travail collectif nommé « staff room ».</p>
<p>C’est en 1995 que les dirigeants de la firme mondiale décident de repenser radicalement les bureaux sur le modèle de TBWA, en déménageant vers l’immeuble dénommé en interne le « George V », au sein du quartier huppé, attractif et symbolique des Champs-Élysées. En janvier 1996 un millier de consultants quittent ainsi La Défense pour environ trois cents postes de travail déterritorialisés. La logique y est celle d’une réservation « hôtelière » : « premier arrivé, premier servi » avec des limites dans le temps (de quelques heures à quelques jours). Et ce quel que soit son niveau hiérarchique.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<p>Sachant que les espaces occupés doivent être obligatoirement libérés chaque soir, leur appropriation devient alors quasiment impossible. Dans cette même logique, l’occupation d’un poste de travail est imputée en charge sur le budget d’affaires du consultant, qui bénéficie par ailleurs des services d’une conciergerie (concept hôtelier incluant la réservation de billets, ou l’apport d’un costume au pressing…). D’autres types d’espaces sont par ailleurs réservés aux réunions.</p>
<p>Les associés « perdent » ainsi symboliquement le bénéfice statutaire de l’attribution d’un bureau individuel, ce que le changement de lieu a pu faciliter. Ces derniers, toutefois, offrent une résistance en se réappropriant collectivement un étage pour retrouver certains repères, en proximité avec certains collègues, comme s’il leur était intuitivement ou inconsciemment réservé.</p>
<p>La firme de conseil technologique poursuivait à travers cette transformation radicale deux objectifs de nature différente. En premier lieu, favoriser une productivité croissante liée à une présence accrue chez le client combiné avec l’optimisation de l’usage des surfaces de l’espace de l’immeuble. En second lieu, susciter des interactions plus fortes entre consultants de manière à favoriser le travail collaboratif et le décloisonnement, réalité assurément plus difficile à démontrer. En juillet 2001, la firme décide de se relocaliser vers l’Est parisien au sein de l’immeuble « Axe France » bibliothèque nationale, vraisemblablement pour des raisons économiques et symboliques (quartier « branché »), tout en conservant l’essentiel de cette organisation.</p>
<h2>Promesses d’un modèle enrichi</h2>
<p>Les résistances diverses ont fait qu’une vingtaine d’années ont été nécessaires pour que le modèle du <em>flex office</em> soit adopté dans l’Hexagone au-delà du seul monde des consultants. Pour autant, l’usage de ce modèle soulève toujours questionnements et inquiétudes annonçant les questions qui se poseront avec plus d’acuité au moment de la pandémie : difficulté de forger et surtout d’entretenir une culture d’entreprise dès lors que les collaborateurs ne travaillent pas au même endroit ni au même moment, pertes de repères professionnels et relationnels rendant délicate l’acceptabilité sociale de cette non-territorialisation, perte identitaire liée à l’impossibilité de s’approprier un espace réservé et non territorialisé « à soi »…</p>
<p>Inspiré également par l’expérimentation chez IBM, le concept d’<em>activity-based working</em> (ABW) tend à se frayer une place et pourrait bien gagner nos entreprises. Il repose sur des principes analogues à ceux du <em>flex office</em> (notamment la non-territorialisation des bureaux), mais s’en distingue singulièrement par son enrichissement qualitatif.</p>
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<p>Le maitre mot est celui d’activité, d’où sa dénomination : les usagers choisissent d’utiliser au cours de la journée les espaces dédiés précisément à leurs activités en fonction de leurs besoins et donc de leur travail réel. Cela aurait pour effet de contribuer à accroître la collaboration et les interactions entre les « habitants ». Concrètement cela se traduit par une diversification plus marquée des différents espaces ainsi qu’un rattachement des groupes ou équipes à des « territoires », inspirés d’une « ville en miniature » avec ses différents quartiers. C’est l’architecte des environnements de travail néerlandais Erik Veldhoen qui est considéré comme l’inventeur et le <a href="https://search.worldcat.org/fr/title/art-of-working/oclc/636352368">pionnier de l’ABW</a>, et qui le déploya en 1995 au sein de la firme Interpolis, une compagnie d’assurance aux Pays-Bas.</p>
<p>Curieusement cette notion apparait très peu dans la littérature académique et professionnelle en langue française, bien qu’elle se généralise dans les grandes organisations. De manière symbolique comme l’illustre le <a href="https://www.gartner.com/en/documents/3604517">cabinet Gartner</a>, ces espaces sont souvent désignés par des termes représentatifs à connotation symbolique. La « place publique » est l’espace commun destiné aux réunions générales ou aux fêtes d’entreprises ; le « quartier » est conçu pour de petits groupes de travailleurs qui doivent se côtoyer pendant de longues périodes pour réaliser des activités similaires et répétées (un service comptabilité, par exemple, peut s’installer dans un quartier) ; l’« établi » est destiné aux projets collaboratifs ponctuels et limités dans le temps ; la « bibliothèque » offre un petit espace communautaire dans lequel tout collaborateur peut accomplir des tâches ponctuelles ou peu structurées (lecture, recherche, écriture de code…).</p>
<p>On retrouve aussi des « alcôves », zones tranquilles et privées dans lesquelles les employés peuvent récupérer, réfléchir et se détendre. Elles ne sont pas des espaces de travail. Viennent enfin les « espaces bien-être », destinés à des activités communes favorisant le bien-être physique et mental des employés. Ils peuvent être intérieurs ou extérieurs, des postes de travail permettant de travailler debout, des zones de méditation, des chemins sur lesquels peuvent se tenir des réunions ambulantes…</p>
<p>Il s’agit de modeler l’environnement de travail dans ses différentes composantes, espaces, mobilier, décors, technologies, services, en les adaptant aux activités de leurs usagers, en réallouant et diversifiant en quelque sorte les différences ressources spatiales. La logique de réduction des coûts n’est pas nécessairement évoquée. Ce type d’environnement s’imposera et se développera singulièrement à partir des années 2010, principalement au sein de grandes firmes. Ses maîtres-mots associés sont flexibilité, modularité, bien-être, diversité, convivialité, hybridité et végétalisation.</p>
<p>De plus en plus populaire, ce modèle cependant des limites selon plusieurs chercheurs. L’<a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/%20articles/PMC5982044/">écart</a> entre la promesse et le vécu réel des utilisateurs est fréquent. De même des <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/%2010.1080/00140139.2017.1398844">comportements de nidification</a> ont été observés. Ce modèle enrichi ne résout pas globalement la question de l’appropriation et de la personnalisation par les salariés du bénéfice de l’usage d’un espace « à soi » attitré. Il n’empêche l’<em>activity-based working</em>, apparait à plusieurs égards prometteur.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220441/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Pierre Bouchez ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Une expérience menée en 1970 dans les locaux IBM a été prémonitoire tant quant à l’instauration des flex office, ces espaces sans postes attribués, que du modèle qui pourrait venir le supplanter.Jean-Pierre Bouchez, Directeur de recherches en sciences de gestion, Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2146532023-10-13T07:51:24Z2023-10-13T07:51:24ZAu rugby, comment arbitres et joueurs s’adaptent-ils à la complexité des règles ?<p>Beaucoup parmi vous découvrent peut-être le <a href="https://theconversation.com/topics/rugby-20625">rugby</a> ces jours-ci avec la <a href="https://theconversation.com/topics/coupe-du-monde-de-rugby-a-xv-140889">Coupe du monde</a> qui se tient en France. Sans doute comptez-vous d’ailleurs, pendant les matchs, sur un voisin de canapé ou de bar plus expert que vous et capable de vous expliquer les raisons de chaque coup de sifflet de l’arbitre. N’avez-vous pas alors l’impression que chaque spectateur ou téléspectateur, chaque commentateur de télévision semble avoir sa propre compréhension et interprétation des règles arbitrales ?</p>
<p>Le rugby se caractérise par une grande complexité de ses règles que renforce l’intervention régulière des instances de régulation pour le rendre plus attractif et plus sûr. On ne recense pas moins de <a href="https://resources.world.rugby/worldrugby/document/2023/01/20/85be5aed-29f9-4ea7-8c6d-230e3b60ed07/WorldRugby_Laws_2023_fr.pdf">21 principes fondamentaux</a>, qui se déclinent en près de 350 règles applicables. Le règlement du football, à titre de comparaison, s’articule lui en <a href="https://media.fff.fr/uploads/document/4d251ea990957c51fc12a0dd35175ec2.pdf">17 lois</a> et une cinquantaine de règles.</p>
<p>Le nombre conséquent de règles au rugby rend leur compréhension et leur interprétation particulièrement complexes pour les acteurs du jeu, arbitres, joueurs et entraîneurs. Et pourtant, à la différence de nombreux sports professionnels médiatisés nous constatons très peu de contestations des décisions arbitrales. Les conversations sont presque toujours apaisées entre arbitres, joueurs voire entraîneurs. La Ligue nationale de rugby n’hésite d’ailleurs pas à les mettre en avant dans des compilations.</p>
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<p>Au-delà de l’« esprit rugby » que beaucoup mettent en avant, les arbitres et les équipes (joueurs et staff) ont su également adopter des stratégies d’adaptation aux règles, en essayant d’être proactifs afin d’améliorer leurs performances sur le terrain. La complexité du règlement et le développement des enjeux sportifs, financiers et sociétaux associés à ce sport ont amené les acteurs à développer leurs échanges et leurs interactions afin d’améliorer leurs performances arbitrales ou sportives. <a href="https://www.marabout.com/livre/comment-decrypter-un-match-de-rugby-9782501137676/">Joël Jutge</a>, ancien arbitre international et responsable de l’arbitrage à World Rugby aime ainsi dire : « Je joue arbitre. »</p>
<p>Pour mieux le comprendre, il est possible de mobiliser un cadre d’analyse issu des sciences économiques et des sciences régionales. Celui-ci, que nous avons repris dans nos <a href="https://shs.hal.science/halshs-02327140">recherches</a>, a été développé par ce que l’on appelle l’<a href="https://www.cairn.info/revue-d-economie-regionale-et-urbaine-2008-3-page-311.htm">École de la Proximité</a>. Elle propose une lecture des relations interpersonnelles comme des proximités plus ou moins fortes entre individus, et identifie les effets potentiels de ces proximités sur les actions humaines.</p>
<h2>Un même monde</h2>
<p>Pour se positionner les uns par rapport aux autres, les acteurs développement différents types de proximités, dont on peut identifier au moins cinq types. Au rugby, elles permettent aux acteurs de se coordonner et de renforcer la compréhension des règles.</p>
<p>La première est de nature <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/j.1468-2370.2006.00121.x"><strong>institutionnelle</strong></a>. Elle existe lorsque les acteurs partagent un cadre qui peut être juridique et formel, c’est-à-dire officiellement exprimé dans des lois ou réglementations. Il peut aussi être informel. Au rugby, elle se manifeste dans le règlement qui, pour s’appliquer, a besoin de valeurs (respect, tradition), de normes culturelles communes (écoute, dialogue) et des habitudes d’interprétation que partagent souvent les acteurs de l’« ovalie ». La règle de l’avantage l’illustre assez bien : si une équipe commet une faute mais que c’est l’adversaire qui a le ballon dans une situation favorable, on laissera jouer selon des temporalités plus ou moins courtes qui sont admises par tous. L’esprit complète la règle.</p>
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<p>Cette proximité institutionnelle se nourrit également de proximités <strong><a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/0034340052000320887">cognitives</a></strong> entre les acteurs à travers des connaissances partagées et un langage commun. Il se développe notamment dans les briefings d’avant match et grâce aux relations privilégiées entre arbitres et joueurs sur le terrain empreintes de pédagogie dans l’explication de la décision.</p>
<p>Arbitres et joueurs peuvent aussi s’appuyer sur des proximités <strong>géographiques et sociales</strong> issues des expériences vécues en commun. La proximité géographique, est quantifiable avec une mesure spatiale, un temps de transport ou un coût, mais présente aussi une <a href="https://www.persee.fr/doc/ecoru_0013-0559_2004_num_280_1_5470">dimension subjective</a>. Chacun se juge alors « proche de » ou « loin de ». La proximité sociale capte, elle, l’appartenance des individus à un <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s11187-017-9969-0">même réseau social</a> composé de relations interpersonnelles fondées sur l’amitié, la confiance, la réputation et les expériences passées.</p>
<p>Les arbitres et les joueurs se connaissent et se rencontrent régulièrement car les arbitres des matchs nationaux et internationaux sont souvent les mêmes. De plus, depuis plusieurs années, les équipes professionnelles et les équipes nationales font intervenir ces mêmes arbitres auprès de leurs joueurs et entraîneurs lors des phases de préparation et d’entraînement. Jérôme Garcès, arbitre central de la dernière finale de la Coupe du monde a, par exemple, <a href="https://www.ouest-france.fr/sport/rugby/equipe-de-france/xv-de-france-l-ex-arbitre-jerome-garces-integre-l-encadrement-des-bleus-7133559">intégré le staff des Bleus</a> pour les aider à être pénalisés le moins possible. Ces proximités géographiques et sociales contribuent à renforcer la réputation des arbitres mais aussi la confiance qui peut se nouer progressivement entre ceux-ci et les joueurs.</p>
<p>Enfin, arbitres et joueurs appartiennent aux mêmes instances décisionnaires. La Ligue nationale de rugby regroupe l’ensemble des arbitres et joueurs professionnels français. Le World Rugby est composé d’anciens joueurs de renom ou d’anciens arbitres chargés de la formation de ceux en activité (Joël Jutge, par exemple, pour la France). Cela crée une <a href="https://www.semanticscholar.org/paper/Innovation-and-Proximity-Kirat-Lung/fd4889f58fbf892fea41603fead48f018e0690cf">proximité organisationnelle</a> entre arbitres et joueurs qui ont le sentiment d’appartenir à une même organisation, un même « monde » dans lesquels leurs intérêts sont proches et partagés.</p>
<h2>Dans le rugby, mais pas que…</h2>
<p>Pourquoi, les discussions, sur le terrain, entre arbitres et jours sont régulières sans qu’il y ait de manifestations de mauvaise humeur ou de désaccords ? Pourquoi, aussi, lors des commentaires d’après match, les joueurs et les entraineurs ne s’en prennent rarement aux décisions des arbitres ? Une partie significative des réponses à ces interrogations provient de ces coordinations que les arbitres et les équipes professionnelles de rugby ont pu créer entre eux, d’une part, pour répondre à la complexité des règles de ce jeu, et d’autre part, pour améliorer, chacun de leur coté, leurs performances, arbitrales ou sportives.</p>
<p>Le rugby montre peut-être ainsi une voie à suivre pour d’autres sports médiatisés : en accordant une attention particulière à la coordination arbitres/joueurs, ils rendraient leur sport à la fois plus attractif et son arbitrage mieux compris ou mieux acceptés dans et en dehors des stades.</p>
<p>L’arbitrage au rugby peut aussi être source d’inspiration pour tout manager. À l’image des décisions arbitrales, les décisions managériales, pour qu’elles soient comprises et admises par tous, nécessitent des coordinations entre les différents acteurs intéressés (managers, salariés, clients, fournisseurs, actionnaires…). Les proximités qui peuvent se développer entre ces acteurs, dans leurs relations quotidiennes et de travail, renforcent ces coordinations et se nourrissent également de leur développement.</p>
<p>Elles sont alors un moyen approprié pour faciliter la compréhension des décisions managériales au même titre qu’elles facilitent celle des décisions arbitrales en rugby. Il y a là une invitation pour les managers à évaluer et gérer leurs différentes proximités avec et dans leurs équipes ou avec leurs partenaires afin de faciliter la compréhension de leurs décisions ou encore permettre leur co-construction.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/214653/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Au rugby, les règles sont particulièrement complexes et pourtant les décisions des arbitres ne sont jamais contestées sur le terrain. Comment l’expliquer ?Laurent Mériade, Professeur des Universités en sciences de gestion - Titulaire de la chaire de recherche "santé et territoires" - IAE, Université Clermont Auvergne (UCA)Jean-Marc Sales, Doctorant en sciences de gestion. Agrégé du secondaire en économie - gestion (PRAG), Université Clermont Auvergne (UCA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2150952023-10-12T17:27:51Z2023-10-12T17:27:51Z« Le Direktør » de Lars von Trier : une comédie d’entreprise sur le pouvoir et ses fantasmes<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/553501/original/file-20231012-27-frgjm8.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=7%2C5%2C1711%2C1138&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Un employé qui s'emporte contre le chef fantoche est maîtrisé par ses collègues.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=61126.html ">Alloicné</a></span></figcaption></figure><p>Lorsque l’on songe au monde du travail aujourd’hui, il paraît bien compliqué, pour ne pas dire cynique, d’y voir un sujet de comédie – du moins dans le sens traditionnel du terme. Qu’est-ce qui peut tant prêter à rire dans ce lot d’<a href="https://theconversation.com/ubu-manager-quand-la-litterature-eclaire-les-derives-ubuesques-du-management-150234">absurdité</a>, voire même de mal-être, sur fond de perte de sens au travail constatée par diverses enquêtes, dont celle, récente, des chercheurs en économie et socioéconomie <a href="https://www.nonfiction.fr/article-11588-le-sens-au-travail-entretien-avec-t-coutrot-et-c-perez.htm">Thomas Coutrot et Coralie Perez</a> ?</p>
<p>Dans un versant « comique » (et les guillemets s’imposent pour les raisons qui vont suivre) de la vie en entreprise, <em>Le Direktør</em>, film sorti en 2006 du réalisateur danois Lars von Trier (actuellement diffusé sur le <a href="https://www.arte.tv/fr/videos/cinema/">site Internet d’Arte</a>, qui lui consacre une rétrospective), dénote en ce qu’il traite directement l’organisation du travail en insistant sur ses aspects certes absurdes, mais aussi sur la violence latente des <a href="https://www.lemonde.fr/cinema/article/2007/02/27/le-Direkt%C3%B8r-dans-la-peau-d-un-directeur-de-pme-machiavelique_876816_3476.html">rapports de pouvoir dans l’entreprise</a>.</p>
<h2>Un réalisateur controversé</h2>
<p>Lars von Trier, coutumier des propos outranciers et <a href="https://www.lemonde.fr/festival-de-cannes/article/2011/05/18/stupeur-a-cannes-apres-les-propos-de-lars-von-trier-sur-hitler_1523968_766360.html">polémiques</a>, est un réalisateur plus que controversé. Mais bien plus que ses déclarations ou son attitude ouvertement provocatrice, cette réputation tient autant à l’imagerie violente déployée dans ses films, entre onirisme, crudité, sexualité et troubles mentaux, qu’à leur forme chaque fois expérimentale et travaillant aux confins de genres codifiés (policier, mélodrame, comédie, horreur…), qu’il se plaît à réinventer avec une déroutante originalité.</p>
<p>À ce titre, <em>Le Direktør</em> tranche par son côté faussement léger et badin, documentant avec une ironie cruelle la vie d’une petite entreprise danoise qui va connaître une soudaine crise. Je tiens à montrer, en m’appuyant sur un cadre théorique qui emprunte à la <a href="https://www.cairn.info/revue-connexions-2009-2-page-29.htm">psychosociologie</a>, qu’il s’agit là d’un tableau véritablement clinique de la façon dont le pouvoir opère dans l’organisation du travail contemporain, à la fois insaisissable et diffus, en même temps qu’il se greffe sur les fantasmes et l’imaginaire de chacun pour mieux les enrôler.</p>
<h2>Le lieu vide du pouvoir</h2>
<p>Commençons par rappeler brièvement l’intrigue, aussi simple que déconcertante. Ravn, dirigeant d’une PME danoise dans l’informatique en passe d’être rachetée par une société islandaise, recrute Kristoffer, un acteur au chômage, pour incarner un directeur fictif (nommé Sven), inventé de toutes pièces par ce même Ravn pour se couvrir des décisions impopulaires et désastreuses qu’il a été amené à prendre dans la gestion (cupide et malhonnête) de sa propre entreprise – flouant au passage ses propres salariés.</p>
<p>À l’évidence, rien n’est amené à se passer comme prévu. Et Kristoffer découvre, dans un mélange de sidération et d’incrédulité, que son avatar virtuel (en réalité utilisé par Ravn) a tantôt demandé en mariage une employée (pour éviter son départ dans l’entreprise concurrente), suggéré à une autre son homosexualité, conduit un employé au suicide par sa brutalité, et n’a eu de cesse, de manière générale, d’opter pour des décisions toutes plus iniques les unes que les autres.</p>
<p>Il me semble que la question au cœur du film consiste précisément à figurer ce lieu vide du pouvoir, tournant autour de son absence présumée (où est le Directeur de Tout ? Qui est-il ? Existe-t-il vraiment ? Que veut-il ?) ; absence qui se trouve être en réalité le gage de l’efficacité du pouvoir du fait même qu’il devient le réceptacle dans lequel chacun projette ses propres désirs, craintes et espérances.</p>
<h2>La nature fictionnelle du pouvoir</h2>
<p>Au moins deux articles de recherche en théorie des organisations ont été consacrés à ce film de von Trier, se centrant, dans les deux cas sur la question du leadership et de la nature « fictionnelle » du pouvoir.</p>
<p>Le premier article, par <a href="https://ephemerajournal.org/sites/default/files/2022-01/9-1costas.pdf">Jana Costas</a>, chercheure en comportement organisationnel, insiste sur le rôle du secret et de l’ambiguïté dans les organisations du travail, et notamment le maintien des relations de hiérarchie du fait même du secret détenu par le dirigeant qui exerce ainsi son pouvoir. Si cet aspect du film est bien sûr présent, je ne suis pas certain qu’il soit si prépondérant.</p>
<p>Tout d’abord, il est légitime de considérer que les employés, et c’est d’ailleurs ce que suggère l’une des scènes finales, ne sont pas réellement dupes de la comédie mise en place par Ravn et Kristoffer. Cette hypothèse soulève par ailleurs la question du déni des salariés face à ce stratagème des plus grossiers, interrogeant les raisons motivant chacun à croire à cette affabulation. C’est d’ailleurs la question explicitement soulevée par le <a href="https://www.researchgate.net/publication/264770409_Leadership_fable_and_power_according_to_The_Boss_of_It_All">second article</a> consacré au film de von Trier, rédigé par Philippe Mairesse et Stéphane Debenedetti : « Les raisons pour lesquelles la fable est acceptée restent incertaines. Si elle répond aux désirs du public, quels sont ces désirs ? »</p>
<p>De ce fait, bien que datant de 2006, le film illustre de manière exemplaire le basculement de formes de travail qui cherchent de plus en plus, comme ont pu le détailler Boltanski et Chiapello dans leur ouvrage, paru en 1999 mais tout à fait actuel, sur le <a href="https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Tel/Le-nouvel-esprit-du-capitalisme"><em>Nouvel esprit du capitalisme</em></a>, à engager des dispositions plus subjectives, telles que la motivation, les émotions, l’attitude personnelle, l’empathie, voire même le désir – ce que la sociologue Eva Illouz qualifie de <a href="https://www.youtube.com/watch?v=b3JvyhEImIE">« capitalisme émotionnel »</a>. Cette dimension émotionnelle en appelle explicitement aux désirs inconscients, aux fantasmes et fragilités narcissiques de chacun.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/b3JvyhEImIE?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Reste que cette dynamique passionnelle impulse des forces contradictoires et explosives dans l’organisation du travail. Ce « Directeur de Tout », à la fois omniprésent et invisible, concentre toute l’hostilité et la haine, à tel point que, acculé face à la véhémence croissante des salariés de l’entreprise à son égard, Kristoffer s’en sort par une pirouette tout à fait absurde, qui consiste rien de moins qu’à inventer un « Directeur du Directeur de Tout » situé aux États-Unis, qui serait donc son supérieur direct et le véritable agent (dans l’ombre) de tous les dysfonctionnements et frustrations ! On ne peut ici manquer de s’interroger sur la part active de déni qui contribue à maintenir cet état de fait : comment se fait-il que la supercherie, si grotesque en soi, ne puisse être reconnue pour ce qu’elle est ?</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/553508/original/file-20231012-22-d9atot.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/553508/original/file-20231012-22-d9atot.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/553508/original/file-20231012-22-d9atot.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/553508/original/file-20231012-22-d9atot.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/553508/original/file-20231012-22-d9atot.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/553508/original/file-20231012-22-d9atot.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/553508/original/file-20231012-22-d9atot.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Une séance de « team-building ».</span>
<span class="attribution"><span class="source">Les Films du Losange</span></span>
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</figure>
<h2>Pouvoir de la séduction, séduction du pouvoir</h2>
<p>Dans cette optique, à travers une recension critique du film <a href="https://journals.sagepub.com/doi/full/10.1177/01708406231196956"><em>Tár</em></a> (2022), publiée pour la revue <em>Organization Studies</em>, j’avais souhaité mettre en avant la dimension « fantasmatique » du pouvoir dans les organisations ; à savoir que, pour se maintenir, perdurer et exercer pleinement ses effets, le pouvoir devait en passer par un effet de séduction, procurant à celui qui s’en sert, autant qu’à ceux et celles qui aspirent à en être les détenteurs, une forme de gratification narcissique qui confine à la jouissance.</p>
<p>Dans le film <em>Tár</em>, Cate Blanchett incarne en effet une cheffe d’orchestre tyrannique éprouvant un malin plaisir à exercer son pouvoir sur ses subordonnées, tirant profit de sa position hiérarchique et des rapports de domination au sein de l’orchestre en vue d’asseoir sa propre identité. <em>The Direktør</em> interroge en revanche plus directement l’effet d’« attraction » du pouvoir sur celles et ceux qui en subissent les effets. Dans le cas décrit par le film, c’est comme si chacun aspirait avant tout à se sentir unique dans la relation qu’il entretien avec ce fameux « Directeur de Tout ».</p>
<p>C’est que selon le chercheur <a href="https://journals.sagepub.com/doi/pdf/10.1177/1350508405055938">John Roberts</a>, s’appuyant sur les travaux du psychanalyste français <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Jacques_Lacan">Jacques Lacan</a>, le pouvoir opère à la fois comme un miroir et comme un leurre. Chacun y retrouve à souhait une image grandiose de lui-même, canalisant les angoisses concernant son identité et offrant simultanément une forme de réassurance. Bien que prenant la forme d’un leurre, le pouvoir n’exerce pas moins de puissants effets de déformation de la réalité, en particulier par la prégnance du déni qui vise justement à préserver cette image à la fois idéalisée et déformée. Ainsi, chacun conserve à part soi ce lien (faussement) privilégié qu’il pense entretenir avec le « Directeur de Tout », à l’exclusion des autres, alors que tout ceci ne se révèle être qu’une coquille vide.</p>
<p>Miroir grossissant du pouvoir, autant que déformant, et qui n’en tend pas moins un autre miroir – et peu gratifiant celui-là – au spectateur qui assiste au dénouement cruel de cette comédie d’entreprise : Kristoffer, se prenant plus que de raison au jeu de son personnage d’hommes d’affaires intransigeant et disposant des pleins pouvoirs, finit par signer l’acte de vente, livrant à leur sort les employés dès lors licenciés.</p>
<p>Une question reste alors en suspens, en forme d’abîme, comme l’un des fils directeurs qui parcourent non seulement la filmographie de Lars von Trier, mais également la vie des organisations : d’où provient cette fascination par et pour le pouvoir ? Quelles gratifications, souvent inconscientes, s’y trouvent par-là même assouvies – et surtout : quelle est notre responsabilité dans cette mise en scène à laquelle nous prenons part, d’une façon ou d’une autre ? « Aucune leçon, aucune manipulation. Juste un bon moment », prononce von Trier d’une malicieuse voix off au début de son film. Qu’il nous soit permis d’en douter…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/215095/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Gabriel Lomellini ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Cette fiction grinçante dresse un tableau clinique des effets du pouvoir dans l’organisation du travail contemporaine.Gabriel Lomellini, Assistant Professor, HR and Organizational Behavior, ICN Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2142912023-09-28T19:13:50Z2023-09-28T19:13:50ZSe réorganiser dans un contexte extrême : les leçons des forces spéciales américaines<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/550002/original/file-20230925-27-g4bkc2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=42%2C27%2C979%2C637&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Intervenant aux côtés de l’armée conventionnelle, environ 3500 hommes des forces spéciales opéraient en Irak en 2004.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://picryl.com/media/us-army-usa-special-forces-armed-with-colt-556-mm-m16a2-assault-rifles-scan-7da4d8">Picryl</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>En 2004, l’Irak est une poudrière. Un an après l’invasion américaine qui renversa le régime de Saddam Hussein, la guerre est gagnée sur le terrain mais la paix se révèle amère. La rébellion des populations, l’influence d’Al-Qaida ou encore les réseaux mafieux entraînent chaque jour un peu plus le pays vers le chaos. Dès le début de cette période d’instabilité croissante, et aux côtés des forces conventionnelles, les forces spéciales américaines – environ 3,500 hommes regroupés au sein de la Task Force 714 (TF714) – vont se trouver à la pointe de la lutte contre ces réseaux.</p>
<p>Face à une issue du conflit plus qu’incertaine, le général Stanley McChrystal, à la tête de la TF714, va dans un premier temps solliciter davantage les hommes et les machines pour passer d’une dizaine à une vingtaine de raids par mois. Toujours à la pointe du dispositif, ces raids atteignent les têtes pensantes et les lieutenants des réseaux terroristes avec l’objectif de dégrader les structures hiérarchiques de l’ennemi et le désorganiser. C’est une véritable performance organisationnelle. Et pourtant, rien n’y fait : la violence augmente, la vitesse de récupération des insurgés surprend, les infiltrations de fedayin s’intensifient et les autorités locales sont débordées.</p>
<p>Devant ce constat, qui mettra deux ans à se cristalliser dans les esprits des dirigeants, McChrystal va poser une vision qui découle de la conviction longuement murie selon laquelle <a href="https://www.amazon.com/Share-Task-General-Stanley-McChrystal/dp/1591844754/ref=sr_1_4?crid=23PRC3ZI09DFS&keywords=stanley+mcchrystal&qid=1695132444&s=books&sprefix=stanley+mcchrystal%2Cstripbooks-intl-ship%2C251&sr=1-4">il faut soi-même fonctionner en réseau pour battre un réseau</a>. C’est en effet la première fois dans l’histoire qu’une insurrection capitalise sur le numérique. Pour s’organiser, les insurgés et les terroristes internationaux laissent de côté la structure hiérarchique traditionnelle pour lui préférer le réseau. Dans ce réseau, les liens sont souples et changeants, la prise de décision et l’action sont décentralisées, les sources de financement sont multiples et la communication s’effectue à la vitesse de la bande passante.</p>
<h2>De 20 à 300 raids par mois</h2>
<p>Pour espérer prendre de vitesse l’adversaire, les forces spéciales doivent donc radicalement changer leur façon de s’organiser. Or, l’armée américaine doit son existence juridique à une loi du Congrès : ses missions, son organigramme, son recrutement, et son financement dépendent tous du droit américain. Changer la structure de TF714 n’est donc pas une option pour le Général McChrystal. Quand bien même le Congrès accepterait de revisiter l’organisation de l’armée, le temps nécessaire se compterait en années pour qu’une hypothétique loi passe. Impensable.</p>
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<img alt="Les forces d’opérations spéciales irakiennes effectuent un exercice de sauvetage d’otages à Bagdad, en Irak" src="https://images.theconversation.com/files/550004/original/file-20230925-21-gt7fhf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/550004/original/file-20230925-21-gt7fhf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=407&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/550004/original/file-20230925-21-gt7fhf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=407&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/550004/original/file-20230925-21-gt7fhf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=407&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/550004/original/file-20230925-21-gt7fhf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=511&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/550004/original/file-20230925-21-gt7fhf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=511&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/550004/original/file-20230925-21-gt7fhf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=511&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les forces d’opérations spéciales irakiennes effectuent un exercice de sauvetage d’otages à Bagdad, en Irak.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Isof-1.jpg">Halasadi/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>Pour accompagner ses forces dans leur mutation, pour que ses unités soient plus rapides, plus agiles et autonomes, fassent circuler librement l’information, <a href="https://www.amazon.com/Transforming-US-Intelligence-Irregular-War/dp/1626167656/ref=sr_1_4?qid=1695132316&refinements=p_27%3ARichard+Shultz&s=books&sr=1-4&text=Richard+Shultz">récoltent et partagent le renseignement</a>, le général n’a qu’un levier de changement : la culture. Autrement dit, c’est en faisant <a href="https://www.amazon.com/Team-Teams-Rules-Engagement-Complex/dp/1591847486/ref=sr_1_1?crid=1RB0A3HDY7858&keywords=teams+of+teams&qid=1695131985&s=books&sprefix=teams+of+team%2Cstripbooks-intl-ship%2C176&sr=1-1">évoluer les relations au sein de la communauté</a> (culture) plutôt qu’en changeant l’organigramme (structure) qu’il sera possible d’imiter les comportements d’un réseau, et peut-être de battre Al-Qaida et les insurgés à leur propre jeu en Irak.</p>
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<p>Or, la matrice de l’armée américaine, y compris celle des forces spéciales, est celle du modèle bureaucratique fondé schématiquement sur la hiérarchie, la division du travail, le réductionnisme, la spécialisation, le respect formel de règles écrites, la distinction décision-exécution, le caractère unidirectionnel de l’information qui remonte et celui de la décision qui descend, le tout au service de l’efficience par l’optimisation des moyens.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-renaissance-de-larmee-americaine-apres-la-guerre-du-vietnam-un-cas-decole-pour-toutes-les-organisations-212069">La renaissance de l’armée américaine après la guerre du Vietnam, un cas d’école pour toutes les organisations ?</a>
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<p>Pour fonctionner en réseau, McChrystal va alors pratiquer une autonomisation (empowerment) maximale des unités à l’intérieur de fenêtres de tir étroites de 24 heures. Tous les jours à la même heure, des centaines puis des milliers d’acteurs vont se connecter pour partager le renseignement et revisiter les priorités. Fort de cette information, les unités vont agir en autonomie et mener toutes les actions que la situation sur le terrain exige, selon elles, sans autorisation de la chaîne hiérarchique. En se connectant à d’autres unités voire à d’autres entités à l’intérieur du gouvernement américain (DIA, CIA, FBI…), ces unités vont à la fois alimenter le flux d’information en temps réel et en même temps bénéficier de l’information issue d’autres points de contact, le tout pour agir dans l’instant.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/550007/original/file-20230925-17-4me52s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Les forces d’opérations spéciales de l’US Air Force et un pilote secouru après une mission de sauvetage réussie" src="https://images.theconversation.com/files/550007/original/file-20230925-17-4me52s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/550007/original/file-20230925-17-4me52s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=345&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/550007/original/file-20230925-17-4me52s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=345&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/550007/original/file-20230925-17-4me52s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=345&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/550007/original/file-20230925-17-4me52s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=434&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/550007/original/file-20230925-17-4me52s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=434&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/550007/original/file-20230925-17-4me52s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=434&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Les forces d’opérations spéciales et un pilote secouru après une mission de sauvetage réussie.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://picryl.com/media/us-air-force-usaf-special-operation-forces-sof-personnel-and-a-rescued-us-military-5ce9bf">Picryl</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>Pour éviter que les cellules autonomes ne transforment l’organisation en anarchie, le temps de décision autonome est court et l’espace de décision est très clair (zones de « no go » etc.). Ce fonctionnement va libérer les énergies et les actions. De 10-20 raids par mois, TF714 va en exécuter près de 300 par mois à partir de 2006, et ce pendant plusieurs années, sans moyens supplémentaires. Étonnamment, non seulement le nombre d’actions entreprises va croître, mais leur qualité également. En témoignent l’exploitation et la dissémination accélérées du renseignement entre les nodules du réseau américain, en temps réel, ce qui enrichit « l’intelligence » distribuée entre les unités et donc leur vitesse et pertinence dans l’action.</p>
<h2>Capacités apprenantes</h2>
<p>Le pilotage de cette transformation illustre les <a href="https://onesearch.wesleyan.edu/discovery/fulldisplay/alma9932145040903768/01CTW_WU:CTWWU">capacités apprenantes de la TF714</a> pourtant sous contraintes extrêmes : </p>
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<li><p>un leadership qui commence par changer lui-même, en profondeur, puis qui porte avec passion une vision renouvelée en adoptant les comportements qui en découlent (accent sur la qualité de la relation, sur l’importance de la confiance, de l’humilité) ; </p></li>
<li><p>(faire) admettre l’insuffisance d’actions pourtant exécutées à la perfection ; </p></li>
<li><p>tester de nouvelles approches et effectuer une réinitialisation du modèle d’efficacité dans le nouvel environnement en conservant et diffusant les méthodes qui donnent des résultats ; </p></li>
<li><p>ne pas sanctionner les expérimentations qui échouent ou déçoivent, les diffuser pour éviter de les répéter ; </p></li>
<li><p>accepter de constamment faire évoluer ses certitudes et ses schémas mentaux face au réel (« ground truth ») ; </p></li>
<li><p>identifier les forces dans l’organisation et s’en inspirer ; </p></li>
<li><p>repérer les élastiques identitaires qui réactivent les réflexes comportementaux et sont des freins à l’adoption de la nouvelle vision ; </p></li>
<li><p>ou encore, passer du paradigme dans lequel l’information est le pouvoir à celui dans lequel le <a href="https://www.youtube.com/watch?v=9jRkACywckE">partage est le pouvoir</a>.</p></li>
</ul>
<p>Cette transformation organisationnelle, intégralement accomplie sous le feu, <em>in</em> <em>situ</em>, de manière expérimentale et sans toucher à une ligne ou une case de l’organigramme, constitue un cas d’école : il montre en effet que pour se transformer et s’adapter à l’environnement il ne s’agit pas d’écarter les changements structurels de sa boite à outils, mais qu’il s’agit d’y inclure également la culture managériale et le leadership comme puissants adjuvants au service d’une démarche stratégique renouvelée.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/managers-et-si-vous-vous-inspiriez-des-methodes-de-larmee-205888">Managers, et si vous vous inspiriez des méthodes de l’armée ?</a>
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<img src="https://counter.theconversation.com/content/214291/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Thomas Misslin ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Dans l’Irak déstabilisé par la chute de Saddam Hussein en 2003, les unités d’élite américaines ont transformé leur culture – sans toucher à l’organigramme – pour tenter de répondre au chaos.Thomas Misslin, Doctorant, Sciences de Gestion, Dauphine-PSL - Chef de projet, Executive Education, EM Lyon Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2090872023-09-27T20:14:32Z2023-09-27T20:14:32ZPeut-on imposer l’autonomie aux salariés d’une entreprise ?<p>« L’unique responsabilité sociale de l’entreprise est d’accroître ses profits ». C’est uniquement comme cela, si l’on en croit <a href="https://www.nytimes.com/1970/09/13/archives/a-friedman-doctrine-the-social-responsibility-of-business-is-to.html">ce que disait Milton Friedman en 1970</a>, six ans avant qu’il ne reçoive le <a href="https://theconversation.com/topics/prix-nobel-20616">Nobel d’économie</a>, que l’on pourra atteindre l’optimum social que dessine la <a href="https://theconversation.com/topics/neoliberalisme-64628">philosophie politique néo-libérale</a>. Ce n’est pas aux firmes de se soucier de l’intérêt général.</p>
<p>Au tournant des années 1970 se développe aussi une <a href="https://theconversation.com/mener-une-politique-rse-ne-serait-ce-pas-avant-tout-se-comporter-en-bon-voisin-206879">autre pensée</a>, celle du <a href="https://lafabrique.fr/la-societe-ingouvernable/">managérialisme éthique</a>, dans la lignée d’auteurs comme <a href="https://www-cairn-info.ezproxy.universite-paris-saclay.fr/la-responsabilite-sociale-de-l-entreprise--9782130626640-page-7.htm?contenu=resume">Howard Bowen</a>. Puisque les managers ne sont pas actionnaires, pourquoi auraient-ils intérêt à maximiser le profit ? Pour Bowen, c’est bien dans la mesure où ils ne gèrent pas les entreprises pour elles-mêmes qu’ils sont fondés à le faire. Cela leur permet notamment de prendre en charge le bien-être social.</p>
<p>Les décideurs publics, notamment Ronald Reagan insisteront davantage dans la voie néolibérale dessinée par <a href="https://www.jstor.org/stable/1829527">Henry Manne</a>. En favorisant les OPA, ils pensent obliger les dirigeants à maximiser le profit, sans quoi ils seront sanctionnés en bourse par un changement de propriétaire qui leur coûtera leur emploi.</p>
<p>Une autre voie a été suivie par d’autres politiques depuis deux décennies, que nous avons nommée l’<a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2018/03/05/il-est-temps-de-changer-en-profondeur-la-maniere-de-penser-le-perimetre-d-action-des-entreprises_5266016_3232.html">« entreprise-providence »</a> : favoriser les démarches de <a href="https://theconversation.com/topics/responsabilite-societale-des-entreprises-rse-21111">responsabilité sociétale des entreprises (RSE)</a>, renforcer l’autonomie des salariés et leur bien-être dans la conduite des entreprises. L’entreprise serait alors le siège de la quête de l’intérêt général et de l’émancipation individuelle. Cette perspective aboutira en France à des propositions légales avec la <a href="https://www.economie.gouv.fr/loi-pacte-croissance-transformation-entreprises">loi Pacte</a> de 2018, inspirée directement du rapport <a href="https://travail-emploi.gouv.fr/demarches-ressources-documentaires/documentation-et-publications-officielles/rapports/article/rapport-l-entreprise-objet-d-interet-general">Notat-Sénard</a>, qui pousse les entreprises à inscrire dans leur statut une <a href="https://theconversation.com/topics/entreprises-a-mission-50865">« raison d’être »</a> qui soit autre que la maximisation du profit.</p>
<p>L’ambition de cette philosophie n’est pas mince : il s’agit non seulement de dépasser l’idée que l’entreprise ne serait que gouvernée par des impératifs financiers, mais aussi l’idée que celle-ci est un lieu de conflits d’intérêts et de rapports de pouvoirs entre forces antagonistes. Une dimension politique de l’entreprise est ainsi assumée : une organisation a un impact politique. Mais celui-ci se voit aussi extériorisé : l’entreprise est nativement armée pour résoudre des problématiques sociales au-delà de son périmètre économique usuel.</p>
<h2>Injonctions à l’autonomie</h2>
<p>Parmi les intentions politiques de l’entreprise-providence on en trouvera une qui revêt un caractère paradoxal : dépasser des formes classiques de pouvoir, de contrôle ou de hiérarchie. Elle fut pendant un certain temps l’adage de ce que la communauté académique en sciences de gestion a appelé <a href="https://scholar.google.fr/scholar?q=2017+Revue+internationale+de+psychosociologie+et+de+gestion+des+comportements+organisationnels,+23(56),&hl=fr&as_sdt=0&as_vis=1&oi=scholart">l’entreprise libérée</a> qui serait tout à fait capable de décréter, encourager, initier et développer l’autonomie, voire même l’auto-organisation des collectifs subalternes.</p>
<p>Elle ne présente certes rien de nouveau (on l’observe déjà depuis des années dans les entreprises coopératives, par exemple) mais son expression contemporaine pose de nombreuses questions. Une organisation néo-libérale qui hérite de préceptes managériaux tayloristes, industriels et de formes de travail contrôlées peut-elle penser à son propre dépassement ? L’autonomie et l’auto-organisation peuvent-elle se décréter depuis les sphères de pouvoir de l’entreprise ou de l’actionnariat ? Et en retour : les salariés obéissent-ils à ces injonctions à l’autonomie ?</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<p>Peu d’études se sont intéressées aux formes d’auto-organisation qui émergent spontanément dans des organisations qui promeuvent justement l’autonomie et la responsabilisation. C’est dans cette perspective que s’inscrivent nos <a href="https://www-cairn-info.ezproxy.universite-paris-saclay.fr/revue-rimhe-2022-3-page-3.htm">récents travaux</a>. Notre enquête prend racine dans un grand groupe industriel français engagé depuis les années 2000 dans des réflexions managériales autour de la responsabilisation et de l’autonomie. Nous avons pu y observer des formes locales d’auto-organisation n’obéissant ni à une rationalité unique ni à une aspiration de construire un contre-pouvoir.</p>
<h2>« On va réfléchir collectivement »</h2>
<p>Un des premiers éléments qui ressort d’entretiens menés auprès d’un collectif d’assistants est la capacité des acteurs à s’emparer d’espaces d’autonomie non préalablement concédés. C’est dans le cadre du départ à la retraite de l’une des collaboratrices, que le collectif, pourtant relativement en retrait des injonctions de responsabilisation au sein du groupe, a pris l’initiative de s’auto-organiser. Une assistante détaille la genèse de ce mouvement :</p>
<blockquote>
<p>« Dans le cadre de réduction des coûts, on m’a annoncé qu’on n’allait pas remplacer ma collègue et que nous devrions donc faire ce qui était prévu pour trois à deux personnes. On a convoqué les trois dirigeants concernés et on a demandé : lesquelles de nos activités quotidiennes êtes-vous prêts à sacrifier ? ».</p>
</blockquote>
<p>Émerge ainsi d’une forme d’auto-organisation que nous pouvons qualifier de « conquise » et qui semble répondre aux besoins opérationnels de l’organisation de leur travail. Elle se manifeste notamment lorsqu’une décision vient de la hiérarchie. Si celle-ci ne semble pas optimale, les équipes vont l’accepter mais n’hésiteront pas à proposer une alternative qu’elles jugent plus adéquate :</p>
<blockquote>
<p>« Récemment, on était inquiets parce qu’on a senti qu’on allait subir une décision qui allait contre notre projet. Donc j’ai dit “pas de soucis” : l’entreprise a pris cette décision-là, on prend acte. En revanche, on va revenir avec une autre solution, mais on ne va pas tout de suite braquer l’entreprise en disant “on ne le fera pas”. On va réfléchir collectivement […]. Avant, on nous imposait des choses qui ne correspondaient pas avec notre vision du métier ; aujourd’hui, on n’a plus du tout la même vision, on devient acteur ».</p>
</blockquote>
<p>Il paraît en outre bien difficile de décider et contrôler le périmètre de l’autonomie. Nos entretiens auprès d’ouvriers d’un atelier de production témoignent par exemple de la capacité des salariés à réorganiser leur manière de travailler en vue de s’entraider, là où on les invitait à avancer individuellement. Si une personne est en avance dans son travail, elle va épauler son collègue en retard et contrecarrer ainsi les effets délétères d’une mise en concurrence entre opérateurs. Un salarié l’a remarqué :</p>
<blockquote>
<p>« Dans un groupe de 12-13 personnes qui font le même travail, il y en a forcément un qui est plus fort et plus rapide que l’autre. Même en donnant des primes individuelles, l’équipe essaie de faire en sorte que chacun touche sa prime. C’est ça qui m’a impressionné ».</p>
</blockquote>
<h2>« Arts de faire »</h2>
<p>Cela n’empêche pas l’entreprise, dans sa démarche affichée de responsabilisation, de donner des clés pour assurer le déploiement de l’autonomie. C’est dans ce cadre que les collectifs se réapproprient certains espaces d’autonomie, notamment ceux en lien direct avec leur activité opérationnelle.</p>
<blockquote>
<p>« C’est l’équipe qui décide ce qu’elle fait. En tout cas, elle se permet de proposer quelque chose. Le plan est établi par les collaborateurs et non pas par des responsables hiérarchiques. Après, on a le droit aussi de nous challenger, de nous souffler de bonnes idées. Ce n’est pas clandestin, c’est officiel ».</p>
</blockquote>
<p>Cette autonomie cognitive reconquise ouvre à de nouvelles formes de socialisation et d’agir collectif. À travers ces tactiques d’auto-organisation, il s’agit moins de « battre le système » que d’introduire des « arts de faire » en faisant perdurer un quotidien soutenable.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/209087/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Un article de recherche montre que les formes d’auto-organisation tendent à émerger spontanément, quelles que soient les politiques de management retenues.Diego Landivar, Enseignant Chercheur en Economie, Directeur d'Origens Media Lab, ESC Clermont Business SchoolBrigitte Nivet, Enseignante chercheuse en Management des Ressources Humaines (Labo CleRMa et Cereq), ESC Clermont Business SchoolPhilippe Trouvé, Professeur en sociologie des entreprises et en Management des Ressources Humaines, ESC Clermont Business SchoolSophie Marmorat, Enseignante-chercheuse en comptabilité et en finance d’entreprise, ESC Clermont BS, labo CleRMa, ESC Clermont Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2103112023-08-23T20:43:08Z2023-08-23T20:43:08ZComment se mettre d’accord en entreprise ?<p>Dans de nombreuses entreprises occidentales, les <a href="https://theconversation.com/topics/comportement-33972">prises de position</a> personnelles ou individualisées prennent souvent le pas sur l’esprit d’équipe. Au lieu de chercher à atteindre un consensus, l’objectif devient de faire triompher son propre point de vue. Cette approche, qui contraste fortement avec des <a href="https://theconversation.com/topics/culture-dentreprise-46719">cultures</a> comme celle du <a href="https://theconversation.com/topics/japon-26824">Japon</a>, peut avoir des conséquences négatives et contre-productives lorsqu’elle devient toxique.</p>
<p>Un des auteurs de ce court article a travaillé pour et avec Mitsubishi sur les marchés internationaux pendant des années, à la suite d’études asiatiques dans ce domaine à McGill University (Canada). De retour dans des organisations occidentales, il a été frappé par le manque de cohésion intragroupe et la concurrence des idées et comportements délétères y prévalant parfois. Il existe à l’occasion une surenchère qui fait que l’affirmation du « tout moi » doit s’imposer sur l’affirmation du « tout moi » des autres collègues.</p>
<p>Nos recherches récentes montrent pourtant que l’on peut identifier des <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-de-psychosociologie-de-gestion-des-comportements-organisationnels-2021-68-page-73.htm">facteurs clés de consensus</a> (FCC).</p>
<h2>Quatre principaux FCC</h2>
<p>Que sont exactement les FCC ? Ce sont des éléments organisationnels et humains qui font que les équipes de projet arrivent à mettre de côté les intérêts individuels trop invasifs au profit du bien commun. Grâce à nos <a href="https://www-cairn-info.ezproxy.universite-paris-saclay.fr/revue-internationale-de-psychosociologie-de-gestion-des-comportements-organisationnels-2021-68-page-73.htm?ref=doi">recherches</a>, notamment auprès de gestionnaires de projets et de groupes de projets, nous en avons identifié quatre.</p>
<p>En premier lieu intervient <strong>l’établissement de normes comportementales incluant l’écoute mutuelle</strong>, c’est-à-dire une communication ouverte et constructive entre les individus. Lorsque les membres d’un groupe se sentent appréciés, ils sont moins anxieux et plus enclins à s’exprimer librement et à partager leurs idées novatrices, possiblement productives, voire transformationnelles. Les relations interpersonnelles et le sentiment de confiance s’en trouvent inévitablement renforcées, ce qui facilite la résolution des conflits, qui sont inévitables, et encourage la créativité.</p>
<p>Suit <strong>le respect de la triple contrainte de budget, de qualité et de calendrier de livraison</strong>. C’est ce qui permet d’optimiser les décisions eu égard aux ressources disponibles, de se concentrer sur la réussite plutôt que sur l’échec, d’offrir un cadre cohérent pour chaque membre de l’équipe, d’adopter une gestion proactive des risques (externes) et vulnérabilités (internes), et de satisfaire de toutes les parties prenantes, investisseurs et clients y compris.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<hr>
<p>Il s’agit aussi de <strong>mettre en place un système de croyances commun axé sur un but clair</strong>. C’est un puissant levier qui permet à tous les membres de l’équipe de partager une vision cohésive, d’aligner leurs efforts et des actions et ainsi d’augmenter l’efficacité globale du travail en cours. Les membres se sentent connectés, engagés et davantage équipés pour surmonter les obstacles, résoudre les problèmes et gérer les malentendus. Cette résilience contribue à façonner une culture d’entreprise positive et motivante.</p>
<p><strong>Anticiper méticuleusement les imprévus</strong> est le quatrième FCC. Il existe des imprévus que l’on peut anticiper (il est possible que l’on ait plus de clients que prévu lors de l’ouverture d’un commerce), ceux que l’on peut anticiper mais pour lesquels on ne peut offrir de solutions immédiates, car hautement contextuels (il est possible qu’un défaut de fabrication se présente), et des imprévus qui semblent inimaginables pour toute personne sensée (Apollo 13). Ce sont souvent ces derniers qui mettent la cohésion du groupe à rude épreuve. L’anticipation méticuleuse des imprévus permet d’identifier et d’évaluer les risques liés à un projet et les vulnérabilités des processus internes et des parties prenantes. L’adaptation rapide qui en découle limitera la panique, le stress, et les coûts supplémentaires liés à des actions d’urgence, souvent empreintes d’erreurs et de gaspillage, lesquels minent l’esprit d’initiative et la confiance.</p>
<h2>Un « cercle de consensus »</h2>
<p>Comment mettre en place ces FCC pour s’entendre ? Un des auteurs du présent article a développé le concept du <a href="https://www.proquest.com/openview/a5279632b9f7ccacaabdabd55670bbf1/1?pq-origsite=gscholar&cbl=27087">« cercle de consensus »</a>, inspiré des techniques de gestion nippones. Ne la pratique pas qui veut, cependant, car elle requiert une certaine dose d’expérience et de diplomatie.</p>
<p>Voici en quoi elle consiste : les membres du groupe (préférablement pas plus de neuf) se placent en forme de cercle. Le médiateur pose alors une question, qui peut être liée ou non au défi rencontré et qui justifie le besoin d’une décision consensuelle. Les répondants doivent répondre à tour de rôle, un par un, en commençant par la droite ou la gauche du médiateur. Le répondant ne doit répondre qu’avec une phrase, pas plus (pas une phrase interminable à la Marcel Proust cependant !). Il a le droit de passer son tour. Les autres répondants n’ont absolument pas le droit d’intervenir.</p>
<p>On fait ainsi le tour de tous les répondants. Une fois revenu au médiateur, celui-ci peut relancer la question initiale ou alors en proposer une autre. Au bout de compte, pour qui sait bien gérer cette technique, on arrive généralement à un consensus, et on s’aperçoit souvent que ce l’on croyait problématique est en fait la façade d’un problème sous-jacent, fait qui explique la difficulté initiale à trouver un consensus.</p>
<p>Même si la méthode paraît aller de soi, la plupart des participants, nous le disons d’expérience, ne répondent pas à la question et sont incapables de se restreindre à une seule phrase. De plus, il y a toujours au moins un participant qui décide de défier les règles de base, et qui va perturber le groupe pendant la prise de parole d’un autre participant, soit en blaguant, soit en exprimant son désaccord, voire en argumentant avec le médiateur.</p>
<p>Dans ce dernier cas, quand il est clair que le participant cherche à dérouter le processus, on a le droit de lui demander de quitter le groupe, ce qui peut être délicat, on s’en doute. Même des participants professionnels, vice-présidents ou gestionnaires aguerris, ne peuvent s’empêcher de désobéir aux règles de fonctionnement du cercle de consensus, pourtant fort simples. On identifie alors souvent rapidement la vraie source humaine du problème.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/210311/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Un travail de recherche identifie quatre facteurs clés de consensus. Ils ne sont néanmoins pas toujours faciles à mettre en place dans les organisations occidentales où les égos prédominent.Olivier Mesly, Enseignant-chercheur au laboratoire CEREFIGE, université de Lorraine, professeur de marketing, ICN Business SchoolChristophe Rethore, Enseignant-chercheur et Responsable Département Marketing, ICN Business SchoolOlivier Braun, ICN Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2094292023-07-27T19:38:48Z2023-07-27T19:38:48ZLes dealers, des professionnels de la distribution comme les autres ?<p>Le trafic de drogues est-il une voie professionnelle sans issue ? Oui, si on le pense selon un cadre moral, opposant vertu et infâme. Oui, aussi, si les activités criminelles étaient improvisées et s’opposaient aux activités professionnelles, organisées et planifiées. Pourtant, à bien des égards, les <a href="https://www.emerald.com/insight/publication/issn/1746-5680/vol/15/iss/3">organisations criminelles sont comparables à beaucoup d’autres</a>. Leurs besoins opérationnels s’incarnent dans les compétences que leurs membres développent. Or, pour beaucoup d’acteurs, comme les dealers rencontrés dans le cadre d’une recherche menée au cœur de plusieurs quartiers populaires français, le cadre illicite est le seul connu.</p>
<p>Ainsi, cet interlocuteur, reprenant contact avec l’un de nous :</p>
<blockquote>
<p>Contact dealer : Salut Thomas, comment vas-tu ?</p>
<p>Moi : Très bien et toi ? Cela fait un bail… Que faisais-tu ?</p>
<p>Contact dealer : Ah, bah tu sais je suis tombé, j’étais au placard pendant quelque temps…</p>
<p>Moi : Que vas-tu faire maintenant ?</p>
<p>Contact dealer : que veux-tu que je fasse ? La « stup », je ne sais faire que ça !</p>
</blockquote>
<p>Dans ce contexte, comment transférer ces compétences dans un environnement légal ?</p>
<h2>Des compétences comme les autres dans des organisations aux mêmes besoins</h2>
<p>Dans l’imaginaire populaire, <a href="https://theconversation.com/trafic-de-stupefiants-comment-leconomie-legale-se-rend-co-responsable-208311">l’économie criminelle</a> n’est régie que par l’opportunisme : les menaces de répression judiciaire contraindraient les individus à des actions rapides, audacieuses et peu reproductibles.</p>
<p>Effectivement, les activités illégales sont majoritairement issues d’alliances de circonstances engendrées par la <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/0002716208330490">proximité géographique ou familiale</a>. Certains groupes, pourtant, survivent et prospèrent malgré la répression judiciaire. Ceux-là se sont transformés en organisations durables. Cette pérennité est rendue possible par des mécanismes qui accordent les <a href="https://www.researchgate.net/publication/311519626_Network_closure_and_integration_in_the_mid-20th_century_American_mafia">enjeux opposés d’efficacité et de sécurité</a>. L’efficacité suppose des communications nombreuses pour faciliter l’action. La sécurité requiert l’inverse : confidentialité, cloisonnement et faible interconnaissance sont nécessaires. Les réseaux pérennes sont donc devenus des organisations évoluées, structurées par une ligne hiérarchique et des liens d’interdépendance qui permettent la circulation d’informations, le commandement et la sécurité.</p>
<p>Les menaces de répression pèsent sur le fonctionnement de ces organisations, mais leur activité est un autre facteur organisant tout aussi important. Le trafic de drogues est un commerce. Il implique des stocks, des points de vente et des clients. Outre le caractère illicite des produits en cause, la revente de drogues est un commerce comme un autre.</p>
<p>En conséquence, les membres de ces réseaux développent des ressources communes avec celles des employés de la distribution. Gérer un stock et anticiper les besoins des clients, valoriser des produits, négocier, mettre en œuvre des actions de marketing ou mener des ventes sont parmi ces ressources. Si la revente de drogues est un commerce comme un autre, les revendeurs sont des commerçants comme les autres. Mais il est évident que les trajectoires vers l’emploi légal sont difficiles à mener.</p>
<h2>Quelle reconversion ?</h2>
<p>La participation à des activités délictueuses est rarement investie sur un mode pérenne. Elle est intrinsèquement une source de risques et de menaces pour les individus. Et, malgré les propos régulièrement avancés sur le sort enviable que pourraient connaître les délinquants dans certains territoires, les criminels demeurent stigmatisés par leurs activités.</p>
<p>La délinquance est parfois <a href="https://www.cairn.info/revue-securite-globale-2012-2-page-11.htm">excusée</a> : l’exclusion de jeunes issus de certains territoires rendrait tolérable ce qui peut s’assimiler à <a href="https://theconversation.com/se-debrouiller-face-a-une-precarite-qui-nen-finit-plus-183991">l’économie de la débrouille</a>. Mais les revendeurs de drogues ne sont pas des parrains : très en bas dans l’échelle hiérarchique, très exposés à la répression policière mais très peu protégés par leurs chefs, ils ne tirent aucun statut de leurs activités délictueuses. La question de l’évolution vers un emploi légal est un sujet de préoccupation quotidien. Et, avec elle, se pose la question du transfert des compétences.</p>
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<p>Cette question est, au fond, banale. Tout candidat est confronté au <a href="https://psycnet.apa.org/doi/10.5465/AMJ.2006.22798174">paradoxe de carrière</a>. En un mot : nul n’est candidat à son propre remplacement. Chaque poste à pourvoir est éloigné un peu ou beaucoup des ressources de ceux qui y postulent. Le rôle du candidat est donc de développer des tactiques pour convaincre le recruteur de la faiblesse de ces écarts. Celui du recruteur, réciproquement, est de s’assurer que cet écart est modeste ou, au moins, résorbable.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/539062/original/file-20230724-23-mx45a4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/539062/original/file-20230724-23-mx45a4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/539062/original/file-20230724-23-mx45a4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/539062/original/file-20230724-23-mx45a4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/539062/original/file-20230724-23-mx45a4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/539062/original/file-20230724-23-mx45a4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/539062/original/file-20230724-23-mx45a4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/539062/original/file-20230724-23-mx45a4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Chiffre d’affaires d’une journée de deal pour un détaillant.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Thomas Sorreda</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Le cas des revendeurs est évidemment atypique. Comment faire part de ressources acquises dans des contextes illégaux ? Le paradoxe de carrière prend ici une autre forme. Le candidat peut exhiber ses expériences dans l’activité illégale ; il pourra alors se montrer compétent mais malhonnête. Il peut, à l’inverse, taire son expérience dans l’économie informelle. Il évitera d’exposer ses activités illégales et de recevoir les stigmates associés, mais il omettra des pans significatifs de ses compétences et aura peu de chances d’être recruté. Pour faire face à ce paradoxe, les individus peuvent mobiliser trois tactiques : le différemment, le contournement ou la médiation.</p>
<h2>Trois tactiques de réinsertion</h2>
<p>Le différemment correspond à une stratégie d’attente dans laquelle le revendeur va reporter son insertion professionnelle légale à une date ultérieure. Dans ce cas, l’individu attend un moment ou un moyen propice. Les activités illégales sont prolongées de semaine en semaine. Cette tactique est motivée par les opportunités de revenus et par les demandes de consommateurs qui, s’adressant à leur même contact, le maintiennent dans le trafic. Elle est surtout causée par l’absence d’alternatives : dans ce cas, le paradoxe demeure une énigme impossible à résoudre.</p>
<p>Le contournement est une pratique consistant à choisir un emploi distinct des compétences acquises dans la revente de drogues, mais dont l’accès est plus simple. L’impossibilité de prendre appui sur les ressources acquises dans l’économie illégale renvoie les individus vers d’autres acquis, plus modestes mais plus faciles à utiliser.</p>
<p>Devenir chauffeur de VTC est un parfait exemple de cette tactique : le permis de conduire est une ressource facile à obtenir ; il donne accès facilement à la licence de chauffeur et à l’affiliation aux applications qui proposent des courses. <a href="https://www.leparisien.fr/yvelines-78/yvelines-faux-vtc-mais-vrais-livreurs-d-herbe-ils-ecopent-de-deux-mois-ferme-08-06-2020-8331990.php">Ce parcours est plutôt connu des revendeurs</a> : chacun a un ami ou une connaissance qui l’a emprunté. De tels modèles permettent de résoudre le paradoxe de carrière. Mais cette tactique n’est pas sans défauts, dont la renonciation à des acquis et à un projet professionnel. Être chauffeur de VTC c’est, aussi, pouvoir stocker, transporter et livrer des substances ou des biens illicites. Le revenu modeste apporté par la conduite au regard du temps passé peut inciter à conserver quelques activités illégales.</p>
<p>La médiation correspond à un processus dans lequel une tierce partie vient négocier la relation entre un individu et un employeur. La légalité et la légitimité du tiers, qui se pose d’abord au service de l’entreprise, prend comme en relais les déficits de crédibilité des candidats. Les agences d’emploi jouent ce rôle. La contribution majeure de ces acteurs tiers ne se limite pas à être une caution. Leur expertise du marché du travail et des clés de décision des entreprises leur permet de reformuler les candidatures sous des formes acceptables et pertinentes : elle rend les candidatures conventionnelles. Ce processus est le plus efficace pour permettre l’insertion durable dans l’économie légale.</p>
<h2>Les limites de la métaphore marchande</h2>
<p>Les entreprises illégales restent une voie de recherche peu explorée du fait de la difficulté d’accès au terrain, les personnes s’adonnant à la pratique d’un commerce illégal voyant d’un mauvais œil le regard tourné vers eux par des journalistes ou des chercheurs.</p>
<p>Dans la conduite de leurs travaux, des chercheurs comme <a href="https://www.amazon.fr/Gang-Leader-Day-Sociologist-Crosses/dp/0713999934">Sudhir Venkatesh</a> ou <a href="https://www.managementtoday.co.uk/why-need-think-criminal-risk/food-for-thought/article/1461860">Bertrand Monnet</a> ont même été kidnappés. Pourtant, l’étude d’organisations situées au-delà de frontières sociales permet de caractériser ces frontières. Ici, on redécouvre les limites de la métaphore marchande pour comprendre le recrutement.</p>
<p>Trouver un emploi n’est pas marchander sa force de travail. C’est manipuler des conventions sociales en matière de force de travail. Les rhétoriques des compétences, des qualifications ou des expériences transférables sont de ces conventions qui construisent l’accès à l’emploi. Elles en sont donc, aussi, les frontières.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/209429/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Outre le caractère illicite des produits en cause, la revente de drogues est un commerce comme un autre mais transférer ses compétences dans le secteur légal demeure difficile.Thomas Sorreda, Professeur de Management, EM NormandieJean Pralong, Professeur de Gestion des Ressources Humaines, EM NormandieLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2088712023-07-03T09:58:08Z2023-07-03T09:58:08ZManager par le « care », un puissant levier de transformation des organisations<p>La pandémie de Covid-19 mais aussi les transformations sociétales à l’œuvre autour de la question du changement climatique interrogent notre rapport au monde et les choix de société associés. Notamment, devient fondamentale la question de penser nos activités humaines – <a href="https://www.vuibert.fr/ouvrage/9782311406726-replacer-vraiment-l-humain-au-coeur-de-l-entreprise-le-management-par-le-care">et donc le management</a> – autour d’une <a href="https://www.cairn.info/revue-cahiers-du-genre-2015-2-page-127.htm">éthique du « tenable »</a>, c’est-à-dire une <a href="https://theconversation.com/fr/topics/ethique-20383">éthique</a> considérant tout ce que nous faisons pour <a href="https://www.pourleco.com/la-galerie-des-economistes/joan-tronto">maintenir, perpétuer et réparer notre « monde »</a>, de sorte que nous puissions y vivre aussi bien que possible. </p>
<p>Cet appel à une <a href="https://theconversation.com/fr/topics/care-53449">éthique du « care »</a>, notamment en <a href="https://theconversation.com/fr/topics/management-20496">management</a>, répond à la critique d’un fonctionnement des organisations ne considérant pas suffisamment « l’humain » et le vivant, avec pour conséquences des formes de dominations concomitantes au système capitaliste et à l’idéologie de la croissance infinie. La notion de « <a href="https://www.cairn.info/revue-ecologie-et-politique-2018-2-page-117.htm">limites</a> », comprises dans une approche critique, est alors essentielle pour repenser le travail, notre rapport à la nature et fournir les bases d’une véritable émancipation individuelle et collective. Et ceci dans un contexte où la <a href="https://www.geo.fr/environnement/la-sixieme-limite-planetaire-vient-detre-franchie-209620">sixième limite planétaire</a>, celle du cycle de l’eau douce, vient d’être franchie.</p>
<h2>Un management au service de la transformation</h2>
<p>Dans le champ du management, l’éthique du « care » semble pertinente pour adapter les organisations à un environnement de plus en plus incertain et complexe où la crise devient la norme et où la prise en compte des vulnérabilités individuelles et collectives devient essentielle. Aussi, le management par le « care » semble répondre à la nécessité de reconsidérer dans la société « ce qui compte vraiment ».</p>
<p>Bien au-delà d’une démarche de bienveillance, cette approche constitue un changement radical dans la perception et la valorisation des activités humaines et dans le rapport aux animaux et à l’environnement. C’est ainsi qu’il est susceptible d’incarner un <a href="https://www.researchgate.net/profile/Kevin-Pastier/publication/350284072_Editorial_Manager_le_care_ou_manager_par_le_care_Et_si_on_changeait_de_logiciel_organisationnel/links/605b2324a6fdccbfea00b913/Editorial-Manager-le-care-ou-manager-par-le-care-Et-si-on-changeait-de-logiciel-organisationnel.pdf">puissant levier de transformation de nos organisations au service de la transition</a>.</p>
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<p><iframe id="tc-infographic-580" class="tc-infographic" height="100/" src="https://cdn.theconversation.com/infographics/580/79c5a87fdceb1b0efb535b241695d9bb89f1bb67/site/index.html" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>D’un point de vue pragmatique, le « care » implique en management la considération de 3 piliers :</p>
<ul>
<li><p>Le <strong>soin de soi,</strong> qui correspond à des enjeux d’écologie personnelle mais aussi à la capacité de travailler en accord avec ses aspirations profondes et de préserver son « pouvoir d’agir » ;</p></li>
<li><p>Le <strong>soin d’« autrui »</strong> invitant à considérer la qualité relationnelle ou le souci de l’autre pour favoriser son épanouissement et son bien-être, dans une perspective inclusive, c’est-à-dire en tenant compte de sa singularité (unicité) mais aussi de ce qui fait commun (appartenance).</p></li>
<li><p>Le <strong>soin du « vivant »</strong> qui appelle à repenser le lien entre les activités humaines et la nature dans une perspective de préservation et de conservation.</p></li>
</ul>
<h2>Des pratiques concrètes</h2>
<p>Une conférence organisée par le <a href="https://www.montpellier-bs.com/international/faculty-and-research/faculty-departments/centers-chairs/">Centre Impact de Montpellier Business School</a> a permis de mettre en évidence des pratiques concrètes du management par le « care » en entreprise.</p>
<p>Laëtitia Léonard, directrice du réseau de soutien aux entrepreneurs <a href="https://franceactive-occitanie.org/decouvrir-france-active/mouvement-entrepreneurs-engages/france-active-airdie-occitanie/">France Active Airdie Occitanie</a>, a rappelé que le bien-être et l’épanouissement des collaborateurs nécessitaient un accompagnement personnalisé « non seulement sur le projet professionnel mais aussi sur un plan personnel ».</p>
<hr>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<p><em>Chaque lundi, que vous soyez dirigeants en quête de stratégies ou salariés qui s'interrogent sur les choix de leur hiérarchie, recevez dans votre boîte mail les clés de la recherche pour la vie professionnelle et les conseils de nos experts dans notre newsletter thématique « Entreprise(s) ».</em></p>
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<p>Les pratiques de <a href="https://business.lesechos.fr/entrepreneurs/management/0702499184546-donner-du-feedback-pour-eviter-de-repeter-les-erreurs-349876.php">feed-back régulier</a>, en particulier dans un contexte de travail à distance, organisées comme un véritable échange et couplées au droit à l’erreur jouent notamment un rôle essentiel. La réussite dans la mise en œuvre de ces pratiques suppose que le ou la manager adopte une posture d’humilité et soit prêt ou prête à accepter ses propres vulnérabilités.</p>
<p>Mais la philosophie du « care management » ne repose pas seulement sur la responsabilité des managers hiérarchiques. Elle doit se déployer aux différents niveaux de l’organisation – via une gouvernance partagée – et se placer au cœur même des relations de travail.</p>
<p>Selon Sandrine Minodier, co-fondatrice de l’entreprise sociale de services à la personne <a href="https://www.artyzen.fr/a-propos/">Artyzen</a>, une nouvelle relation à l’autre devient indispensable dans ce secteur. Ce lien doit se fonder sur l’entraide et le partage afin de réhumaniser l’activité. Elle suppose notamment la rupture de l’isolement par la création de collectifs et de temps d’échanges ritualisé, ainsi que le partage de la prise de décision avec les salariés et un accompagnement par la formation sous différentes formes.</p>
<h2>Plus qu’un simple outil de gestion</h2>
<p>Dans une expérimentation conduite auprès du <a href="https://www.cairn.info/la-recherche-en-management-du-tourisme--9782311406825.htm">secteur du tourisme</a>, le management par le « care » a permis de questionner simultanément le bien-être des dirigeants du secteur, des travailleurs, mais aussi les activités à développer et à préserver (voire à accompagner dans leur disparition) dans le cadre d’une raréfaction des ressources et des changements climatiques à venir. Cela permet de penser et d’imaginer – par une coopération démocratique – de nouveaux rôles, de nouveaux comportements au travail, formes d’organisations et modèles d’affaires plus respectueux des limites du vivant et conscients.</p>
<p>Aussi, en management par le « care », il est nécessaire d’adopter une <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/joms.12398">perspective systémique</a>. Cela signifie prendre en compte tous les éléments du système et <a href="https://research.hva.nl/en/publications/systems-mapping-can-facilitate-the-collective-and-shared-understa">comment ils interagissent les uns avec les autres</a>. L’interdépendance est un concept clé qui met en évidence le fait que les acteurs au sein d’un système sont interconnectés. Nos actions ont un impact sur les autres, sur le vivant, peu importe notre position, il est donc essentiel de considérer l’environnement global.</p>
<p>Prendre de la hauteur permet de comprendre les dynamiques de pouvoir qui façonnent les problématiques de manière hiérarchique et spatiale, tandis que descendre en profondeur permet de saisir comment les décisions affectent les travailleurs à la base de la pyramide. Le management par le « care » implique ainsi de prendre en compte à la fois les dynamiques de pouvoir et les expériences de ceux qui ont un pouvoir décisionnel limité.</p>
<p>En conclusion, une telle approche systémique est essentielle afin d’éviter <a href="https://books.openedition.org/editionsehess/11722?lang=fr">que la gestion par le « care » ne soit instrumentalisée</a>, comme cela a pu être observé lors d’une étude sur des infirmières qui ont délégué leurs tâches ingrates aux aides-soignantes dans une organisation présentée comme telle. En considérant l’ensemble des interactions et des dynamiques présentes au sein de l’écosystème organisationnel, cette approche permet de prévenir les dérives qui pourraient réduire le « care » à un simple outil de gestion. </p>
<p>En reconnaissant les interdépendances, les pouvoirs en jeu, les influences externes et les interactions entre les acteurs, il devient possible de <a href="https://www.cairn.info/revue-projectique-2022-HS-page-255.html">maintenir une approche éthique et holistique du management</a>, garantissant ainsi que le « care » reste authentique et centré sur le bien-être de tous les acteurs impliqués.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/208871/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Le « care » désigne une approche systémique de la gestion qui prend en compte l’ensemble de l’écosystème d’une organisation et la façon dont ses différentes composantes interagissent.Magalie Marais, Management Responsable & Organisations Alternatives, Montpellier Business SchoolMarija Roglic, Pensée systémique & Management Multiparti-prenantes axé sur les systèmes agroalimentaires, Chaire COAST, Montpellier Business SchoolMaryline Meyer, Montpellier Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2069042023-06-22T19:00:40Z2023-06-22T19:00:40ZLe docu-fiction « Formula 1 : Drive to Survive » fabrique-t-il des héros sous pression ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/532934/original/file-20230620-21-9zigo6.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=10%2C0%2C2378%2C1343&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Charles Leclerc, 26 ans, pilote monégasque de l'écurie Ferrari. </span> <span class="attribution"><span class="source">Netflix/ Capture d'écran</span></span></figcaption></figure><p>La série de docu-fiction <em>Formula 1 : Drive to Survive</em> (« Formula 1 : Pilotes de leur destin ») diffusée sur Netflix provoque un regain d’intérêt pour le sport automobile. Pourtant, lorsqu’on adopte une perspective critique sur ce qui est montré, basée sur une lecture liée à l’éthique organisationnelle, on peut y déceler une mise sous pression intense des pilotes. C’est une <a href="https://journals.sagepub.com/doi/full/10.1177/00187267211059826">pratique courante mais controversée</a>, pouvant à la fois nourrir la motivation des employés, mais aussi affecter négativement leur bien-être.</p>
<p>D’autres programmes comme <em>Shark Tank</em> (ABC) ou <em>Dragon’s Den</em> (BBC) se concentrent également sur les aspects les plus compétitifs de l’entrepreneuriat, tout en présentant les vainqueurs comme des <a href="https://books.google.fr/books?hl=fr&lr=&id=kPuPCgAAQBAJ">héros</a>. Dans <em>Selling Sunset</em> (une série Netflix sur l’immobilier de luxe à Los Angeles), les agents les plus performants semblent aussi travailler sans interruption et sous une pression constante. <a href="https://books.google.fr/books?hl=fr&lr=&id=WSJHEAAAQBAJ">Si la pression au travail est couramment représentée</a> dans les films et les émissions télévisées, ces représentations ne sont jamais neutres.</p>
<p>Quelles peuvent être les conséquences sociétales d’une scénarisation qui embellit des pratiques organisationnelles pouvant parfois conduire à de la souffrance au travail ?</p>
<p>Cet article apporte un regard critique sur la représentation idéalisée de pratiques pouvant générer de la souffrance au travail et de leurs conséquences, et questionne les rapprochements entre l’industrie cinématographique et les organisations privées dans la production de séries et de docu-fictions.</p>
<h2>Une série à succès… et des pratiques pouvant compromettre le bien-être au travail</h2>
<p>Avec 5 saisons au compteur depuis 2018 sur Netflix, le succès de cette série est <a href="https://monaco-hebdo.com/dossier/netflix-formule-1-drive-to-survive/">incontestable</a>. Ce docu-fiction a su attirer un <a href="https://www.francetvinfo.fr/sports/auto-moto/formule-1/netflix-reseaux-sociaux-comment-la-formule-1-a-reussi-a-seduire-un-nouveau-public_4453529.html">nouveau public</a> pour la Formule 1, que ce soit devant les écrans ou sur les <a href="https://monaco-hebdo.com/dossier/netflix-formule-1-drive-to-survive/">circuits automobiles</a>.</p>
<p>Si cette série montre une facette plus humaine et immersive de l’industrie de la Formule 1, en suivant pas à pas les pilotes et les managers de différentes écuries, elle ouvre aussi une fenêtre sur des pratiques organisationnelles qui soulèvent des questions éthiques.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/V87R-FVuzm4?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Les pilotes, qui sont au centre de l’attention, semblent évoluer sous une pression très forte liée à leur performance. Malgré leur très jeune âge (Lance Stroll rejoint Williams à seulement 19 ans, Lando Norris entre chez McLaren alors qu’il n’a que 20 ans, etc.), ils semblent devoir porter une grande part de responsabilité pour <a href="https://www.youtube.com/watch?v=raTPtB19OOs">« rapporter des points »</a> à leur écurie. Cette idée est martelée continuellement lors des différents épisodes. Lors de leurs témoignages, les pilotes évoquent la possibilité de ne pas être recrutés la saison suivante. Il n’y a en effet qu’une vingtaine de postes à ce niveau de la compétition, ce qui en fait une industrie ultra-compétitive. Ainsi, leurs <a href="https://www.youtube.com/watch?v=OEY3Q43aE_c">performances</a> lors de chaque course peuvent peser dans la balance.</p>
<p>Bien que leurs témoignages ne semblent pas s’attarder sur une potentielle dureté de ces conditions de travail – ils adoptent plutôt une posture positive, de compétiteurs essayant de se dépasser – d’un point de vue éthique, on peut se demander si cette pression constante ne peut pas engendrer des souffrances. Chaque saison, la série construit d’ailleurs une partie de la tension narrative autour de la question du maintien ou du remplacement des pilotes.</p>
<p>Seulement, montrer et dramatiser cette tension, sans en questionner les potentielles conséquences humaines et sociales, participe à normaliser une logique de « dépassement de soi » continuelle, qui ne présente pas que des avantages. En effet, <a href="https://www.cairn.info/revue-connexions-2009-1-page-85.htm?ora.z_ref=li-31356433-pub">Dominique Lhuilier</a>, chercheuse en psychologie du travail, a montré comment « l’idéologie de l’excellence qui sollicite des identifications héroïques au service du dépassement de soi » tend à façonner un imaginaire du travail mobilisateur mais déconnecté des réalités vécues. Cette déconnexion tend à nourrir un malaise diffus lié à l’impossibilité d’accomplir le travail « rêvé ». En même temps, comprendre et exprimer ce malaise devient plus difficile, car en s’éloignant des réalités vécues, l’imaginaire du travail brouille la compréhension de ce qu’il est réaliste ou non d’accomplir.</p>
<p>La série montre par ailleurs que la décision de remplacement est parfois au cœur de tensions allant au-delà de la performance des pilotes. La série suggère que lorsqu’une écurie est en difficulté financière, la résolution via la vente de l’écurie (comme dans le cas de <a href="https://www.reuters.com/article/uk-motor-f1-forceindia-idUKKCN1ME1LV">Force India</a>) peut avoir une influence directe sur le recrutement des pilotes. Ainsi, <a href="https://www.bbc.com/sport/formula1/46342907">Force India recrutera le fils de son nouvel acquéreur</a>.</p>
<p>Lorsque l’écurie Haas est contrainte de rechercher de nouveaux sponsors, la série semble suggérer une fois encore que cela peut avoir une incidence sur le recrutement des pilotes, poussant son manager Guenther Steiner à se <a href="https://www.essentiallysports.com/f1-news-steiner-clarifies-german-sponsors-role-in-mick-schumacher-getting-haas-f1-seat/">justifier</a> dans les médias.</p>
<p>La série, décrite par Netflix comme « docu-fiction », mêle donc potentiellement de l’information avec de la fiction dans un but de divertissement, sans être explicite sur la manière dont le public doit faire la différence. Ce faisant, et en dramatisant potentiellement certaines pratiques organisationnelles pouvant s’assimiler à des conflits d’intérêts, mais sans les questionner, elle peut donner l’impression que ces pratiques sont courantes et normales.</p>
<p>Au fil des saisons, ce sont plusieurs accidents graves – comme celui de <a href="https://www.autonews.fr/racing/formule-1/news/drive-to-survive-saison-3-l-accident-de-grosjean-dans-le-trailer-officiel-94976">Romain Grosjean</a>, voire mortels – celui de <a href="https://www.lemonde.fr/formule-1/article/2015/07/18/formule-1-mort-du-pilote-francais-jules-bianchi_4687979_1616771.html">Jules Bianchi</a> et d’<a href="https://www.lefigaro.fr/sports/auto-moto/actualites/journee-tragique-devaste-le-monde-du-sport-reagit-au-deces-du-jeune-pilote-francais-anthoine-hubert-971905">Anthoine Hubert</a>, qui sont mentionnés lors de témoignages ou directement présentés à l’écran.</p>
<p>Malgré ces images <a href="https://www.theguardian.com/sport/2021/sep/13/you-realise-how-fragile-we-are-lewis-hamilton-still-shocked-by-crash-at-monza">choquantes</a>, et les liens proches qu’entretiennent les pilotes entre eux, la scénarisation de la série laisse à penser que les pilotes doivent rapidement retourner sur le circuit, sans faire état d’un éventuel d’accompagnement psychologique. La nature de ce sport fait que les pilotes risquent leur vie à chaque course. Mais cette scénarisation (voir la bande-annonce officielle de la <a href="https://www.youtube.com/watch?v=wtJPe1ksS6E">saison 1</a> ou de la <a href="https://www.youtube.com/watch?v=aViLtXEtgqs">saison 3</a>) ne risque-t-elle pas de transformer la probabilité de mourir au travail en aventure palpitante, si ses conséquences psychologiques ne sont pas discutées ?</p>
<p>Loin d’amener les téléspectateurs à questionner les risques liés à ce sport et à l’univers compétitif qu’elle dramatise, il semblerait que la série les transforme en nouveaux passionnés. Comment expliquer ce paradoxe ?</p>
<h2>Une représentation idéalisée de l’industrie et des pilotes</h2>
<p>Pour comprendre, il faut d’abord considérer la <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s10551-020-04460-1">construction filmique</a> de la série ; soit l’utilisation de techniques éditoriales (effets visuels, structure de la narration, musique et bruitages, etc.) qui scénarisent et racontent une histoire particulière.</p>
<p>Nous observons que les diverses techniques éditoriales de la série mettent les résultats des pilotes et des écuries au cœur de la structure narrative. Nous sommes tenus en haleine pour découvrir leur performance à chaque course. Grâce aux multiples rebondissements liés aux changements de pilotes, aux tensions relationnelles, etc., chaque compétition est présentée comme une nouvelle aventure palpitante et dangereuse.</p>
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<p>Dans ce cadre, les thèmes comme la mort sont attachés à la bravoure et à l’<a href="https://www.youtube.com/watch?v=wtJPe1ksS6E">héroïsme des pilotes</a> (par exemple, les effets visuels et certains témoignages les présentent comme des personnes hors du commun). La potentielle responsabilité des employeurs n’est que très rarement soulevée dans la série. Les managers d’écuries sont présentés comme pas tout à fait maîtres de leur destin, en proie à des <a href="https://www.youtube.com/watch?v=fO_PX1t3ODc">tensions multiples</a> avec leurs concurrents, leurs financeurs et parfois leurs pilotes. Les tensions liées au recrutements face aux contraintes financières sont ainsi présentées comme inévitables, comme un choix contraint mais rationnel.</p>
<p>Cette série adopte donc tous les ressorts d’un film d’<a href="https://www.youtube.com/watch?v=PSLTXPefVGE">aventure</a> bien ficelé : les personnages héroïques, les nombreux rebondissements, le danger omniprésent, les drames et les tensions relationnelles, tout cela dans un univers glamour. L’héroïsme, le suspense et l’univers glamour déconnectent la série des questionnements éthiques que devraient soulever certains sujets.</p>
<p>Mais pourquoi transformer cette industrie en aventure spectaculaire ?</p>
<h2>Un outil stratégique pour redorer l’image de la F1</h2>
<p>Tout a commencé en 2017, lorsque l’entreprise américaine de communication et de média de masse <a href="https://www.francetvinfo.fr/sports/auto-moto/formule-1/le-rachat-de-la-formule-1-par-liberty-media-autorise_4497691.html">Liberty Media a racheté Formula One Management</a> – un ensemble d’organisations chargées de la promotion, de la diffusion et du management des épreuves de Formule 1 dans le monde – dans un contexte de désintérêt croissant des (télé) spectateurs pour ces courses. Un des objectifs clés de ce rachat était de <a href="https://www.francetvinfo.fr/sports/auto-moto/formule-1/netflix-reseaux-sociaux-comment-la-formule-1-a-reussi-a-seduire-un-nouveau-public_4453529.html">rendre la compétition automobile plus attractive</a>, notamment auprès d’un public rajeuni, par le renouvellement de sa stratégie de communication. Jusqu’à ce rachat, la direction de Formula One Management s’était <a href="https://www.lemonde.fr/culture/article/2021/04/17/avec-formula-1-drive-to-survive-netflix-met-la-f1-en-pole-position_6077136_3246.html">opposé à la diffusion</a> des compétitions sur Internet et sur les réseaux sociaux, privilégiant les retransmissions en direct à la télévision.</p>
<p>Dans le cadre de cette réorientation stratégique, Formula One Management et Liberty Media ont accordé des <a href="https://www.lemonde.fr/culture/article/2021/04/17/avec-formula-1-drive-to-survive-netflix-met-la-f1-en-pole-position_6077136_3246.html">droits d’accès inédits</a> aux coulisses des Grands Prix et aux acteurs de l’industrie.</p>
<p>Ce type de partenariats entre l’industrie cinématographique et des organisations privées pour la création de séries documentaires et d’émissions de télé-réalité deviennent communs. En effet, des séries comme <a href="https://time.com/6123115/selling-sunset-real-estate-explained/"><em>Selling Sunset</em></a>, <a href="https://theconversation.com/comment-sexplique-le-succes-des-emissions-de-tele-realite-immobilieres-185436"><em>l’Agence</em></a>, ou <a href="https://www.yachting-pages.com/articles/12-mind-blowing-below-deck-production-facts.html"><em>Below Deck</em></a> mettent en scène la vie quotidienne au sein d’une organisation – qu’il s’agisse de l’immobilier de luxe ou de la vie sur un superyacht de tourisme.</p>
<p>Cependant, ce sont avant tout des outils de <a href="https://theconversation.com/patron-incognito-ou-quand-la-tele-realite-faconne-une-vision-morale-de-lentreprise-175580">communication stratégique</a>, permettant potentiellement à ces organisations de se présenter de manière avantageuse. Cette stratégie est toutefois risquée pour l’organisation, notamment lorsque la dramatisation devient trop déconnectée du réel et nourrit la critique des différentes parties prenantes. À la sortie de la saison 4, la direction de Formula One Management a ainsi <a href="https://www.motorsinside.com/f1/actualite/26644-la-f1-va-parler-a-netflix-pour-que-drive-to-survive-soit-plus-realiste.html">réagit aux critiques</a> provenant notamment du paddock, en demandant à Netflix de revenir à un format plus réaliste. Le flou autour de ces partenariats entre organisations et industrie cinématographiques soulève donc de nombreuses questions.</p>
<h2>La normalisation de pratiques organisationnelles pouvant engendrer de la souffrance</h2>
<p>La dramatisation et la mise en spectacle de la Formule 1 participent à transformer les pilotes en héros et à rendre romantique l’univers ultra-compétitif dans lequel ils évoluent. Ce faisant, la série peut normaliser des pratiques organisationnelles qui peuvent affecter la santé sociale, psychologique et physique des travailleurs. En effet, les représentations cinématographiques proposent des <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0956522117302531">schémas interprétatifs</a> sur la manière dont les organisations fonctionnent et contribuent donc à normaliser certaines pratiques.</p>
<p>La recherche a montré que l’industrie cinématographique avait une influence <a href="https://link.springer.com/book/9780230520929">pédagogique</a> substantielle sur la <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/14759550802709517">construction sociale et identitaire</a> des individus, notamment au <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/0018726713503023?journalCode=huma">travail</a>. Même si les téléspectateurs ne sont pas dupes, et sont conscients de la dimension fictionnelle des films et séries, la répétition de certains messages peut devenir performative.</p>
<p>Les représentations organisationnelles visibles dans les films, séries et émissions de télévision ne sont pas neutres. Leur construction filmique soutient une certaine <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s10551-020-04460-1">vision morale</a> des pratiques représentées. Bien souvent, le premier contact que nous avons avec les réalités vécues d’une profession se fait à travers le cinéma, et celui-ci peut influencer nos <a href="https://www.thehrdirector.com/business-news/hr_in_business/favourite-tv-shows-influence-career-choices/">choix de carrière</a> ainsi que notre comportement au travail.</p>
<p>Avec un nombre croissant d’organisations privées cherchant à utiliser des œuvres cinématographiques grand public dans un but stratégique, il devient nécessaire de questionner les représentations que ces œuvres produisent et les valeurs et pratiques qu’elles promeuvent.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/206904/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Carine Farias ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Idéaliser, dans un docu-fiction à succès, des pratiques sources de souffrance au travail, ce n’est pas sans conséquences.Carine Farias, Associate Professor in Entrepreneurship and Business Ethics, IÉSEG School of ManagementLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2078452023-06-19T10:04:55Z2023-06-19T10:04:55ZAccros au travail, les « workaholiques » ne seraient-ils que des perfectionnistes passionnés ou névrosés ?<p>Recherche de sens, grande démission, <em>quiet quitting</em>, valeur travail, absentéisme… Depuis l’épidémie de Covid et les conflits sur les retraites, le chômage ou les aides sociales, la question du rapport au <a href="https://theconversation.com/topics/travail-20134">travail</a> s’impose dans le débat public. Le gouvernement, notamment, a invité les partenaires sociaux à dessiner « d’ici la fin de l’année » un <a href="https://www.tf1info.fr/politique/video-reforme-des-retraites-pacte-de-la-vie-au-travail-conditions-de-travail-salaires-les-propositions-de-emmanuel-macron-2254395.html">« pacte de la vie au travail »</a>, qui lui-même pourra se nourrir des <a href="https://travail-emploi.gouv.fr/actualites/presse/dossiers-de-presse/article/conseil-national-de-la-refondation-assises-du-travail">conclusions des Assises du travail</a> rendues le 25 avril dans le cadre de du Conseil national de la refondation.</p>
<p>Pour les uns, les Français et notamment les <a href="https://www.observatoire-ocm.com/management/flemme-rapport-au-travail/">plus jeunes, seraient démotivés</a>, ne voudraient plus travailler, auraient perdu le sens du sacrifice ; pour d’autres, ce sont l’organisation, les <a href="https://dares.travail-emploi.gouv.fr/sites/default/files/fdd4af8f321cb905555cf1e9115a7591/TetE-168-NL-11-Coutrot-Perez-BAT.pdf">modes de management</a> des entreprises et la précarisation de l’emploi qui empêcheraient de trouver du sens aux efforts consentis.</p>
<p>Dans ce contexte, s’intéresser aux phénomènes d’<a href="https://theconversation.com/topics/addiction-26117">addiction</a> au travail, ou <em>workaholisme</em> en anglais (contraction des mots « travail » et « alcoolisme »), comme nous le faisons dans un <a href="https://lemanuscrit.fr/livres/laddiction-au-travail/">ouvrage</a> récent, peut paraître paradoxal mais n’en est pas moins instructif. Cette notion s’est développée en Amérique du Nord et l’intérêt qu’elle a suscité reflète les évolutions du marché de l’emploi et de la société outre-Atlantique. Début 2023, on comptait encore sur le site <em>google scholar</em> 35 fois plus d’articles scientifiques traitant de l’addition au travail en anglais qu’en français.</p>
<h2>L’addiction au travail, une affaire individuelle ?</h2>
<p>Selon l’historien étasunien Peter Stearn, l’addiction au travail en tant que concept, mais aussi en tant que pratique, trouverait sa <a href="https://books.google.fr/books?hl=fr&lr=&id=5CoeCwAAQBAJ">source dans l’idéologie du travail comme valeur en soi</a>. Celle-ci s’est développée au sein des classes moyennes traditionnelles, artisans, commerçants et autre profession libérale au XIX<sup>e</sup> siècle, c’est-à-dire dans des groupes qui devaient effectivement leur position sociale à leur travail.</p>
<p>Progressivement, au XX<sup>e</sup> siècle, sous l’effet de la standardisation du travail, puis, à partir de la fin des années 1970, de la remontée des inégalités, elle aurait perdu de sa vigueur en Europe, tandis qu’elle serait restée forte en Amérique du Nord. L’idée, pourtant de <a href="http://www.ncsociology.org/sociationtoday/v21/merit.htm">plus en plus en plus fausse</a>, que chacun peut réussir s’il s’en donne les moyens y est restée prégnante.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/532164/original/file-20230615-17-4cido6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/532164/original/file-20230615-17-4cido6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/532164/original/file-20230615-17-4cido6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=929&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/532164/original/file-20230615-17-4cido6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=929&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/532164/original/file-20230615-17-4cido6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=929&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/532164/original/file-20230615-17-4cido6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1167&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/532164/original/file-20230615-17-4cido6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1167&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/532164/original/file-20230615-17-4cido6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1167&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Le pasteur Wayne Oates a défini le workaholisme à partir de lui-même.</span>
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<p>C’est Wayne Oates, un pasteur, théologien et psychologue américain né en 1917 dans une famille modeste, qui a <a href="https://drive.google.com/file/d/1_HzC8MestDR3IyesBVLYsKGkOrULbjQU/view?usp=sharing">popularisé l’idée</a> de <em>workaholisme</em>. Pour lui, rapprocher sa propre addiction au travail à l’alcoolisme de certaines de ses ouailles était un moyen de développer plus d’empathie, de compréhension, et donc de mieux aider à la fois ceux qui détruisent leur vie dans l’alcool, et ceux qui se réfugient dans le travail. D’après son expérience pastorale, les professions libérales et les femmes au foyer seraient particulièrement à risque de <em>workaholisme</em>.</p>
<p>La plupart des articles scientifiques sur l’addiction au travail ont, par la suite, cité son <a href="https://drive.google.com/file/d/1_HzC8MestDR3IyesBVLYsKGkOrULbjQU/view?usp=sharing">texte fondateur</a>, sans en retenir toutes les leçons. Le <em>workaholisme</em> est souvent défini comme le <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC3835604/">fait de travailler de façon excessive et compulsive</a> par les chercheurs et sa cause serait à chercher dans les <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC4117275/">traits de personnalité</a> des individus (narcissisme, perfectionnisme) ou dans un entourage familial qui ne saurait donner de marques d’affection qu’en fonction des résultats obtenus. Le <em>workaholique</em> aurait besoin de travailler de plus en plus dur, quelle que soit l’activité, pour se réassurer, de la même façon que le toxicomane serait à la recherche d’effets plus puissants.</p>
<p>La plupart des études empiriques adoptent ainsi une focale individuelle et portent sur les managers et professions libérales. Très peu ont été réalisées en population générale. Même si ces métiers suscitent par eux-mêmes un fort engagement, pour les addictologues, ils attireraient des <a href="https://www.researchgate.net/publication/258139612_Workaholism_Its_Definition_and_Nature">personnalités prédisposées</a>.</p>
<h2>Travailler beaucoup, le plus souvent par contrainte</h2>
<p>Une hypothèse alternative serait que de plus en plus de personnes deviennent addictes au travail du fait des évolutions de l’emploi et des modes de management. Ce ne serait pas tant une dérive individuelle qu’un fait social. Le site <em>Ngram Viewer</em> qui permet de suivre la fréquence d’usage du mot « workaholism » en anglais de 1950 à 2020 le suggère bien.</p>
<iframe name="ngram_chart" src="https://books.google.com/ngrams/interactive_chart?content=workaholism&year_start=1950&year_end=2019&corpus=en-2019&smoothing=3" width="100%" height="500" marginwidth="0" marginheight="0" hspace="0" vspace="0" frameborder="0" scrolling="no"></iframe>
<p>L’usage du terme explose dans une période de remontée des inégalités et de <a href="https://books.google.fr/books/about/The_Overworked_American.html?id=3iTgihqUSCwC&redir_esc=y">valorisation des entrepreneurs et du mérite individuel</a>, notamment aux États-Unis. Une part importante des « classes moyennes » américaines voit sa position relative se dégrader. Beaucoup sont obligés d’augmenter leur temps de travail, voire d’avoir plusieurs emplois, pour préserver leur niveau de vie, financer leur protection sociale et les études de leurs enfants. Il faut travailler plus, juste pour espérer se maintenir. Tout cela suggère que ce ne serait pas tant le fruit d’une pathologie individuelle que la conséquence d’un nouveau mode de gouvernance économique.</p>
<p>Lors de mes recherches, j’ai interrogé ou observé des centaines de travailleurs dont certains très engagés dans leur activité, sans rencontrer de personnes addictes au travail du fait d’une personnalité narcissique ou perfectionniste. Contrairement à ce que pensaient les addictologues, ceux qui travaillent beaucoup, par contrainte ou du fait d’une motivation socialement entretenue, en paient tout autant le prix sur leur santé et leur vie familiale que ceux qui le font en raison d’une personnalité compulsive.</p>
<p>Un jeune programmateur d’une salle dédiée aux « musiques actuelles » s’investissait par exemple à fond car passionné, mais aussi parce qu’il avait à cœur de présenter les meilleurs groupes, même dans les styles musicaux qu’il connaît moins, et de remplir sa salle. Au bout de quelques mois, sa copine le quitte, une partie de ses amis s’est éloignée. À la suite d’un différend avec la direction sur un choix musical, il fait une dépression.</p>
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<p>Autre exemple, un artisan ébéniste en fin de carrière trouvait de plus en plus difficilement de nouveaux clients. Pour maintenir son entreprise à flot et garder ses deux salariés, deux choses qui importent beaucoup à ses yeux, il a augmenté sa charge de travail ce qui l’a rendu plus irritable avec ses proches et moins vigilant avec la sécurité. Lors d’un accident, il a perdu deux doigts. Finalement obligé de licencier, il a réduit son activité et en ressent de l’amertume.</p>
<p>L’approche exclusivement psychologique de l’addiction au travail réduit abusivement la question de l’engagement dans le travail comme celle de sa régulation sociale. Elle renvoie la responsabilité d’un rapport troublé et excessif au travail aux seuls individus. Or, l’addiction au travail semble également suscitée par un <a href="https://journals.openedition.org/lectures/1064">contexte d’étouffement des motivations intrinsèques</a> : gagner son indépendance financière mais aussi se sentir utile ; apporter, dans un <a href="https://www.puf.com/content/Essai_sur_le_don">don-contre don qui fonde le lien social</a>, aide et support aux collègues, usagers ou clients ; construire une identité individuelle et collective ; être fier de réalisations dans lesquelles on peut se reconnaître, qui font sens et sont appréciées de ceux qui connaissent le métier.</p>
<h2>Des <em>workaholiques</em> français sous contrainte</h2>
<p>Qui seraient les plus <em>workaholiques</em> en France ? D’après les <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/4797600?sommaire=4928952">données du ministère du Travail</a>, les catégories socioprofessionnelles qui ont le plus long temps de travail hebdomadaire moyen en 2019 sont respectivement les agriculteurs exploitants (58,4 heures), les artisans, commerçants et chefs d’entreprise (50 heures) et les cadres et professions intellectuelles supérieures (43,5 heures).</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/532162/original/file-20230615-19-4cido6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/532162/original/file-20230615-19-4cido6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/532162/original/file-20230615-19-4cido6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=934&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/532162/original/file-20230615-19-4cido6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=934&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/532162/original/file-20230615-19-4cido6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=934&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/532162/original/file-20230615-19-4cido6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1174&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/532162/original/file-20230615-19-4cido6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1174&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/532162/original/file-20230615-19-4cido6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1174&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption"></span>
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</figure>
<p>Les deux premières catégories travaillent beaucoup du fait de contraintes économiques fortes et de l’attachement à leur entreprise. Pour faire des économies d’échelle et rendre leur exploitation rentable, les agriculteurs doivent investir dans des produits phytosanitaires, des machines, s’agrandir. Cela les conduit à s’endetter et à devoir travailler plus pour rembourser. En droit romain, l’<em>addictus</em> était celui qui, parce qu’il ne peut payer ses dettes, est <a href="https://www.grea.ch/sites/default/files/art7_dep51.pdf">obligé de travailler gratuitement pour son créancier</a>. Les artisans sont également souvent poussés à travailler dur, notamment au début de leur installation, pour se constituer une clientèle stable leur permettant de vivre et de choisir les commandes les plus intéressantes.</p>
<p>Les raisons pour lesquels les cadres et professions intellectuelles supérieures travaillent plus que la moyenne sont variées et mêlent, elles, de façon complexe choix et contraintes. Les objectifs à atteindre, les <a href="https://www.lemonde.fr/emploi/article/2021/01/20/le-nouvel-horizon-de-la-productivite-chasser-le-surtravail_6066878_1698637.html">dysfonctionnements organisationnels</a> (injonctions contradictoires, réunions interminables), mais aussi l’intérêt de l’activité, l’importance des responsabilités, la reconnaissance et les gratifications, incitent ces salariés à beaucoup s’investir. Tout cela s’entremêle ; les entreprises peuvent alors être tentées de <a href="https://www.editions-eres.com/ouvrage/3674/le-travail-passionne">mobiliser les passions pour obtenir davantage de travail</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/207845/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marc Loriol ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>On considère souvent que devenir addict au travail est le fait d’une dérive individuelle ; ce pourrait bien plutôt être la conséquence des évolutions de l’emploi et des modes de gestion.Marc Loriol, Directeur de recherche CNRS, sociologue, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2039792023-04-18T15:37:00Z2023-04-18T15:37:00ZIncendie de Notre-Dame : un cas de « surprise prévisible » qui aurait pu être évité<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/521333/original/file-20230417-22-u6hui8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=134%2C32%2C1063%2C765&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Il y a quatre ans, la cathédrale emblématique de Paris était ravagée par les flammes.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/145497889@N06/47563907512">Vfutscher/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Le 15 avril 2019, la cathédrale <a href="https://theconversation.com/fr/topics/notre-dame-de-paris-69564">Notre-Dame de Paris</a> a été dévastée par un incendie. En quelques heures, la flèche et les deux tiers de la toiture se sont effondrés. L’intérieur de la cathédrale a également subi des dégâts importants. Deux mois après l’incendie, le parquet de Paris a rendu publics les résultats de <a href="https://www.lepoint.fr/societe/notre-dame-aucun-element-accreditant-une-origine-criminelle-d-apres-l-enquete-preliminaire-parquet-de-paris-26-06-2019-2321221_23.php">l’enquête préliminaire</a>. Comme il n’y a pas eu d’intrusion dans la cathédrale et que l’analyse des débris de la toiture n’a pas permis de retrouver de traces d’hydrocarbures, les enquêteurs ont écarté la piste criminelle. Ils ont avancé deux autres hypothèses pour expliquer le désastre.</p>
<p>La première hypothèse est une cigarette mal éteinte. Au moment de l’incendie, des travaux de restauration de la charpente et de la toiture étaient en cours à Notre-Dame. Interrogés par les enquêteurs, plusieurs ouvriers ont reconnu avoir fumé sur les échafaudages. L’analyse ADN des mégots récupérés à la base des échafaudages a confirmé leurs déclarations. Toutefois, l’incendie a démarré à l’intérieur de la cathédrale et les enquêteurs n’ont pas réussi à déterminer si les ouvriers avaient fumé à l’intérieur de la cathédrale. La seconde hypothèse est un court-circuit. Les ouvriers avaient entreposé une partie des échafaudages dans les combles. Il est possible que ce stockage ait abimé les branchements électriques des cloches et déclenché un court-circuit.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1119164304064827392"}"></div></p>
<p>Mais l’incendie de Notre-Dame ne peut pas s’expliquer entièrement par des erreurs commises par les employés « de première ligne ». Comme la plupart des autres désastres, ses causes sont plus profondes.</p>
<h2>La sécurité n’était pas une priorité</h2>
<p>D’une part, le système de sécurité incendie (SSI) de la cathédrale présentait des failles importantes. Alors que ces équipements auraient sans doute permis de sauver les combles et la flèche de Notre-Dame, il ne prévoyait ni cloisons coupe-feu ni système de brumisation automatique. Il reposait entièrement sur la détection et l’intervention humaine rapide pour étouffer le plus rapidement possible un éventuel début d’incendie.</p>
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<p>D’autre part, la sécurité ne semble pas avoir été une priorité à Notre-Dame. Alors que des travaux importants étaient en cours, le chantier ne faisait pas l’objet d’une surveillance particulière. Comme l’a raconté un employé de la cathédrale :</p>
<blockquote>
<p>« Contrairement à ce qui a pu être dit, personne n’allait vérifier le chantier après le départ des ouvriers. »</p>
</blockquote>
<p>Dans un <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0090261623000104">article</a> récent, nous avançons également l’hypothèse selon laquelle l’incendie de Notre-Dame est une « surprise prévisible » qui aurait pu être évitée. Les chercheurs américains et Michael D. Watkins et Max H. Bazerman définissent une <a href="https://hbr.org/2003/04/predictable-surprises-the-disasters-you-should-have-seen-coming">surprise prévisible</a> comme « un événement ou un ensemble d’événements qui prennent un individu ou un groupe par surprise, alors qu’ils disposaient de toutes les informations nécessaires pour anticiper ces événements et leurs conséquences ».</p>
<h2>Recommandations non suivies</h2>
<p>Quatre caractéristiques distinguent les surprises prévisibles des événements impossibles à prédire.</p>
<p><strong>Premièrement, les dirigeants savent que des problèmes existent… mais ils ne font rien pour les résoudre.</strong> Les incendies sont <a href="https://www.la-croix.com/France/En-France-triste-inventaire-monuments-historiques-incendies-2020-07-18-1201105487">fréquents dans les monuments historiques</a>. Le rôle joué par les travaux est également bien connu. D’après un architecte des monuments historiques :</p>
<blockquote>
<p>« On sait bien que ces incendies surviennent souvent dans ces moments-là, quand ces vieux édifices sont un peu remués ».</p>
</blockquote>
<p>Pourtant, la sécurité n’a pas été renforcée pendant les travaux. Trois ans avant le désastre, des chercheurs du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) avaient également <a href="https://www.letemps.ch/monde/europe/notredame-etait-danger-un-rapport-oublie-laffirmait-2016">tenté d’alerter</a> les pouvoirs publics sur la vulnérabilité de la cathédrale face à un éventuel incendie. Comme l’a dit l’un d’entre eux :</p>
<blockquote>
<p>« Nous avions dit en effet (que) le risque d’un embrasement de la toiture existait et qu’il fallait absolument la protéger et installer un système d’extinction ».</p>
</blockquote>
<p>Malheureusement, les recommandations de ce rapport n’ont jamais été suivies.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1119149271150804994"}"></div></p>
<p><strong>Deuxièmement, les employés se rendent compte que ces problèmes s’aggravent… mais personne ne les écoute.</strong> À Notre-Dame, la Direction régionale des affaires culturelles (Drac) était chargée de la sécurité incendie. Comme elle a mal entretenu le SSI, il a <a href="https://www.lemonde.fr/culture/article/2019/05/31/a-notre-dame-les-failles-de-la-protection-incendie_5470055_3246.html">rapidement connu des dysfonctionnements</a>. D’après un agent de sécurité :</p>
<blockquote>
<p>« Il y avait des déclenchements intempestifs dans les tours et les combles. À un moment, plus d’une dizaine dans la journée… Alors comme cela devenait insupportable, la Drac nous a carrément demandé de mettre le système en veille restreinte. »</p>
</blockquote>
<p>Au fil du temps, la Drac a également <a href="https://www.paj-mag.fr/2019/10/23/notre-dame-de-paris-six-mois-apres/">allégé le dispositif de sécurité</a>. Elle a notamment réduit le nombre d’agents de sécurité et décidé de fermer le PC sécurité la nuit. Cette situation préoccupait beaucoup les agents de sécurité. Pour l’un d’entre eux :</p>
<blockquote>
<p>« Je trouvais que c’était devenu trop dangereux. J’en parlais à ma femme, je lui disais qu’on était tellement peu nombreux là-bas que, s’il se passait quelque chose, la responsabilité était trop grande. »</p>
</blockquote>
<p><strong>Troisièmement, résoudre ces problèmes impliquerait des dépenses non négligeables.</strong> Comme on l’a vu, les enquêteurs ont avancé deux hypothèses pour expliquer l’incendie de Notre-Dame : une cigarette mal éteinte et un court-circuit. Ils ont également conclu à « une dégradation involontaire par incendie par violation manifestement délibérée d’une obligation de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement ». En d’autres termes, le désastre provient essentiellement de négligences en matière de sécurité. La sécurité a un coût. Comme beaucoup d’autres organisations, la Drac n’a pas assez investi dans ce domaine… et les conséquences ont été dramatiques.</p>
<h2>Une préférence pour le statu quo</h2>
<p><strong>Quatrièmement, résoudre ces problèmes nécessiterait la remise en cause le <em>statu quo</em>.</strong> Bien que les failles du SSI de la cathédrale soient rapidement apparues, son concepteur et son successeur ont toujours refusé de revenir sur la décision d’équiper la charpente de cloisons coupe-feu et <a href="https://www.liberation.fr/france/2019/04/19/pourquoi-n-y-avait-il-pas-d-extincteurs-automatiques-dans-la-cathedrale_1722451/">d’extincteurs automatiques</a>. Leur réticence à « mutiler » la charpente a finalement conduit à sa destruction complète. Alors que le clergé aurait pu demander à la Drac d’améliorer les normes de sécurité à Notre-Dame, il a – lui aussi – préféré le <em>statu quo</em>. Cela lui a notamment permis de <a href="https://www.europe1.fr/societe/incendie-a-notre-dame-de-paris-des-cloches-electrifiees-a-lorigine-du-sinistre-3894921">faire électrifier plusieurs cloches</a> dans les combles et la flèche… ce qui est contraire à toutes les règles de sécurité.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/dossier-les-sciences-au-service-de-notre-dame-de-paris-188755">Dossier : Les sciences au service de Notre-Dame de Paris</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Quatre ans après l’incendie de Notre-Dame, le dossier est <a href="https://www.lefigaro.fr/culture/patrimoine/notre-dame-de-paris-l-enquete-sur-l-origine-de-l-incendie-bientot-classee-20220819">sur le point d’être classé</a>. Le ministère de la Culture semble cependant avoir tiré des enseignements de cette surprise prévisible. En 2020, il a demandé un <a href="https://www.sudouest.fr/france/notre-dame-de-paris/notre-dame-de-paris-quot-plan-de-securite-quot-des-cathedrales-sept-monuments-ne-sont-toujours-pas-aux-normes-2007524.php">audit des 86 autres cathédrales françaises</a> en recommandant de porter « une attention toute particulière aux installations électriques et aux procédures mises en place à l’occasion de travaux ».</p>
<p>En février 2022, le Général Georgelin, président de l’Établissement public chargé de la conservation et de la restauration de la cathédrale, a également annoncé <a href="https://www.lemonde.fr/culture/article/2023/04/14/jean-louis-georgelin-avec-notre-dame-de-paris-on-reconstruit-une-cathedrale-du-xxi-si%C3%A8cle_6169448_3246.html">l’installation de parois coupe-feu</a> et d’un système de brumisation des poutres. C’est une bonne nouvelle… mais la charpente du XIII<sup>e</sup> siècle et la flèche sont perdues à jamais.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/203979/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jérôme Barthélemy ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Alertes sur les risques, inertie face aux problèmes de sécurité identifiés… Le drame du 15 avril 2019 présente des caractéristiques qui le distinguent des événements impossibles à prédire.Jérôme Barthélemy, Professeur et Directeur Général Adjoint, ESSEC Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1992072023-03-07T18:22:35Z2023-03-07T18:22:35ZCollages féministes : lutter contre la violence, ça s’organise !<p><a href="https://theconversation.com/violences-sexuelles-limportance-du-soutien-dit-informel-161255">« Je te crois »</a>, « Tu n’es pas seul·e »… Écrits en lettres noires sur feuilles blanches, des slogans de soutien aux victimes de violence recouvrent les murs de nos villes depuis trois ans. Ils sont l’œuvre du mouvement des collages féministes.</p>
<p>Né en 2019 à Paris, à la suite du 100<sup>e</sup> <a href="https://theconversation.com/feminicide-a-lorigine-dun-mot-pour-mieux-prevenir-les-drames-162024">féminicide</a> de l’année, ce mouvement s’étend rapidement à d’autres villes où se montent des groupes de collages. Il s’inscrit dans la continuité du soulèvement des <a href="https://theconversation.com/raptivisme-en-amerique-latine-le-rap-vecteur-des-combats-feministes-137668">Sud-Américaines</a> contre les féminicides <a href="https://youtu.be/VLLyzqkH6cs">« Ni una menos »</a> (« Pas une de plus ») et a mené une des campagnes les plus médiatiques contre les féminicides que la France ait connues, à la fois dans la rue et sur les réseaux sociaux.</p>
<p>Depuis <a href="https://theconversation.com/mobiliser-dans-un-contexte-post-metoo-la-strategie-du-collectif-noustoutes-193771">#MeToo</a> en 2017, la lutte contre les violences est au cœur du mouvement féministe au sein duquel émergent de nouvelles organisations. Ce renouveau du féminisme interroge : comment s’organiser pour tendre vers une société sans violence ? Ces organisations sont des laboratoires d’expérimentation de cet idéal de société.</p>
<p>Au travers d’une ethnographie de 5 mois menée en 2020 au sein du collectif parisien, Collages Féminicides Paris (CFP) nous avons interrogé leurs pratiques organisationnelles : comment s’organise un collectif d’activistes dont le projet est la lutte contre les violences ? Comment se coordonner, prendre des décisions, se répartir la charge de travail, intégrer de nouveaux membres sans reproduire la violence que l’on combat ? Les activistes parviennent-ils véritablement à s’organiser sans violence ?</p>
<h2>S’inspirer des organisations « alternatives »</h2>
<p>Perçus comme « inorganisés » ou « anarchiques » par le grand public, les collectifs militants sont rarement conçus comme des organisations à la pointe. En sciences de gestion et du management, traditionnellement centrées sur les grandes entreprises, il reste inhabituel de les considérer comme objet sérieux de recherche. Pourtant, ils sont le lieu privilégié de la production de pratiques gestionnaires, interrogeant les manières traditionnelles de s’organiser (la hiérarchie par exemple).</p>
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<figcaption><span class="caption">Riposte féministe, documentaire de Marie Perennès et Simon Depardon dédié au mouvement des collages féministes.</span></figcaption>
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<p>Comme l’expliquent les chercheurs Martin Parker et Valérie Fournier, explorer ces organisations qualifiées d’<a href="https://books.google.fr/books?id=UwFjDgAAQBAJ">« alternatives »</a> ouvre nos imaginaires à différentes manières de s’organiser et de travailler ensemble, pour des futurs désirables.</p>
<p>Dans le cas de CFP, les activistes s’engagent dans un projet collectif de lutte contre des violences qu’elles et ils refusent de vivre, et donc de reproduire au sein de l’organisation qui a compté jusqu’à 1 500 membres. Son combat s’étend progressivement à la lutte contre toutes les violences, en particulier racistes et transphobes. Il s’agit d’organiser l’alternative d’une société identifiée comme violente en tentant de faire de leur collectif un <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/anti.12089">« safe space »</a> (lieu exempt de violence et de harcèlement, qui encourage la parole et la création de stratégies de résistance).</p>
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<p>L’anthropologue Marianne Maeckelbergh explique que les activistes <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/14742837.2011.545223">« préfigurent »</a> leur projet politique : au lieu de remettre à un futur lointain l’avènement d’une société sans violence, elles et ils travaillent déjà à le faire advenir chaque jour dans l’espace du collectif.</p>
<h2>Les espaces de collage : des « espaces safe »</h2>
<p>À quoi une organisation sans violence peut-elle alors ressembler en pratique ? Il nous faut d’abord comprendre ce que les activistes entendent par violence. Le collectif considère la violence comme un instrument de maintien des oppressions de sexe, de race et de classe, c’est-à-dire un <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/01419870.2017.1317827?journalCode=rers20">« ciment »</a> (<em>glue</em>), pour reprendre le terme de la penseuse afroféministe Patricia Hill Collins. Du dénigrement à l’agression physique en passant par la dépendance économique, la violence est un <a href="https://link.springer.com/chapter/10.1007/978-1-349-18592-4_4">« continuum »</a>. Elle est protéiforme et permet aux groupes dominants de se maintenir en opprimant et exploitant les groupes dominés.</p>
<p>Depuis cette compréhension de la violence, les activistes de Collages Féminicides Paris déclinent leur projet politique en <a href="http://www.denoel.fr/Catalogue/DENOEL/Document/Notre-colere-sur-vos-murs">trois principes clés</a> : horizontalité, inclusion et attention mutuelle.</p>
<h2>S’organiser contre la violence : la pratique</h2>
<p>S’organiser de manière horizontale, soit non hiérarchique, se traduit au sein du collectif par une organisation sans <em>leader</em>, favorisant la prise d’initiative et s’assurant du consentement de chaque membre. Les activistes prennent les décisions par vote au consensus et veillent à la bonne transmission de l’information, notamment sur la dimension illégale du collage comme action de désobéissance civile. Chaque individu garde ainsi la liberté de décider pour lui-même.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/L66DiuTN-5g?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Comment les organisations de collage fonctionnent-elles ?</span></figcaption>
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<p>CFP pratique l’inclusivité, soit la prise en compte de toutes les oppressions – de genre, de race, fondées sur le handicap – et lutte contre leur reproduction au sein de l’organisation. Cela passe par la création de sous-espaces d’auto-organisation par et pour les personnes minorisées au sein du collectif, sous la forme de pôles dits en « mixité choisie » pour les personnes LGBTQIA+, <a href="https://theconversation.com/quest-ce-quune-personne-racisee-trois-definitions-pour-eclairer-le-debat-189996">racisées</a>, transgenres, handicapées et <a href="https://theconversation.com/what-exactly-is-neurodiversity-using-accurate-language-about-disability-matters-in-schools-193195">neuro-atypiques</a>. Ces sous-groupes sont par exemple sollicités dans la validation des slogans les concernant. L’inclusivité s’incarne également dans le respect strict de la présence de personnes transgenres au sein du collectif. Par exemple, l’usage du langage inclusif et l’invention de formulations épicènes telles que « colleureuses » – contraction de colleurs et colleuses, se veut systématique.</p>
<p>Enfin, le collectif pratique l’attention mutuelle en organisant une solidarité économique entre les membres. Dès la création du collectif, des cagnottes sont mises en place pour rembourser le matériel et rendre accessible le mode d’action au plus grand monde. Une autre cagnotte est ouverte durant la crise sanitaire pour les personnes précaires du collectif. Le coût économique de fonctionnement du collectif est mutualisé. Toute personne ayant des problèmes financiers pourra ainsi être aidée.</p>
<p>En bref, le collectif « préfigure » son projet politique : il substitue aux modes de coordination qu’il identifie comme violent (modes de coordination hiérarchique, discriminatoire et favorisant l’exploitation économique) par l’horizontalité, l’inclusion et l’attention mutuelle.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/mobiliser-dans-un-contexte-post-metoo-la-strategie-du-collectif-noustoutes-193771">Mobiliser dans un contexte post #MeToo : la stratégie du collectif #NousToutes</a>
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<h2>Une pratique clé, la gestion de conflit</h2>
<p>Malgré cet important travail de mise en pratique d’une organisation sans violence, des conflits éclatent régulièrement. Ils portent notamment sur la faible prise en compte des vécus des <a href="https://theconversation.com/il-faut-faciliter-et-non-compliquer-le-changement-de-la-mention-de-sexe-pour-les-personnes-trans-170607">personnes transgenres</a> et racisées dans les slogans, sur l’épuisement de militants faisant du « 40h semaine » et se disant proches du « burn-out militant », ou encore sur les prises de décisions en petits groupes en rupture avec l’horizontalité. Les activistes qualifient ces épisodes de violents. Au lieu de les nier comme tendent à le faire une majorité d’organisations, le collectif s’attèle à la prise en charge collective de la violence.</p>
<p>Par exemple, à l’été 2020, l’inclusivité se voit questionnée au sein du collectif. La majorité des collages relayés sur les réseaux sociaux sont des collages qualifiés de « classiques » portant sur les violences sexuelles et conjugales qui ne prennent pas explicitement en compte les violences raciales et transphobes. Des conflits éclatent, les activistes concernés par le racisme et la transphobie pointent la violence de voir leur vécu invisibilisé de nouveau au sein d’un collectif qui se veut <a href="https://theconversation.com/les-mots-de-la-science-i-comme-intersectionnalite-146721">intersectionnel</a> (supposé lutter contre toutes les oppressions).</p>
<p><a href="https://theconversation.com/lenvers-des-mots-silencier-197959">Cette violence</a> fait alors l’objet d’une reconnaissance par le reste des membres qui proposent de nouvelles pratiques. Désormais, les activistes font en sorte que les slogans créés suivent l’actualité des violences transphobes et raciales, qu’ils soient validés par les personnes concernées par ces violences ainsi que collés systématiquement lors des sessions de formation des nouveaux membres (sessions qui représentent la majorité des collages effectués) et fassent l’objet de publications prioritaires sur les réseaux sociaux.</p>
<p>Un tel réajustement dans les pratiques montre que « préfigurer » son projet politique – comme défini plus haut par Marianne Maeckelbergh – ne se fait pas sans difficulté et reste un travail « en cours ». Même une organisation luttant contre la violence n’en est jamais protégée. Elle doit travailler chaque jour à la gérer. Cela demande une capacité du collectif à placer le conflit au cœur de son organisation, à savoir <a href="https://editions-b42.com/produit/le-conflit-nest-pas-une-agression/">différencier le conflit de la violence</a>, et à le gérer. Ce savoir-faire développé par les activistes constitue, selon notre analyse, la clef du maintien de Collage Féminicide Paris depuis 3 ans.</p>
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<p><em>Cet article est basé sur un projet de recherche de Juliette Cermeno et Justine Loizeau ayant obtenu le prix de la meilleure contribution et le prix de la meilleure contribution théorique à la conférence de l’AIMS (Association Internationale de Management Stratégique) en 2021.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/199207/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Comment s’organiser pour tendre vers une société sans violence ? Les collectifs féministes sont de véritables laboratoires d’expérimentations. Une analyse du mouvement des colleuses et des colleurs.Juliette Cermeno, Doctorante en sciences de gestion - théorie des organisations, Université Paris Dauphine – PSLJustine Loizeau, Doctorante en sciences de gestion - théorie des organisations, Université Paris Dauphine – PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1987102023-02-05T16:56:08Z2023-02-05T16:56:08ZL’ennui au travail est-il tabou ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/507019/original/file-20230130-12-wr3tip.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C19%2C1198%2C765&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">_L’ennui_, de Gaston de La Touche (1893).
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:La_Touche_Lennui_1893.jpg?uselang=fr">Wikimedia Commons</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Dans l’expérience de l’ennui, rien ne se passe sauf le temps qui passe. Comme le rappelle le philosophe roumain <a href="https://lcp.gallimard.fr/en/products/precis-de-decomposition">Emil Cioran</a>, l’ennui transforme tout l’« univers […] en après-midi de dimanche ». L’ennui, c’est donc l’épreuve d’un temps pur, évidé et mis à nu.</p>
<p>Bien avant de devenir une préoccupation en entreprise, philosophes, poètes et romanciers se sont depuis longtemps penchés sur l’ennui comme phénomène affectant directement et profondément l’être humain.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1371687901411557377"}"></div></p>
<p>Ainsi, l’écrivain <a href="https://www.larousse.fr/encyclopedie/personnage/Gustave_Flaubert/119630">Gustave Flaubert</a> met en scène l’ennui à travers le personnage d’<a href="https://www.gallimard.fr/Catalogue/Belin-Gallimard/Classico-Lycee/Madame-Bovary">Emma Bovary</a>, une femme qui rêve sa vie au lieu de vivre ses rêves. Il insiste notamment sur la vacuité de ses journées et sur cet ennui qui étend sa toile comme une araignée.</p>
<blockquote>
<p>« Sa vie était froide comme un grenier dont la lucarne est au nord, et l’ennui, araignée silencieuse, filait sa toile dans l’ombre, à tous les coins de son cœur. »</p>
</blockquote>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/506878/original/file-20230127-11907-vjwvhj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/506878/original/file-20230127-11907-vjwvhj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=987&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/506878/original/file-20230127-11907-vjwvhj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=987&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/506878/original/file-20230127-11907-vjwvhj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=987&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/506878/original/file-20230127-11907-vjwvhj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1240&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/506878/original/file-20230127-11907-vjwvhj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1240&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/506878/original/file-20230127-11907-vjwvhj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1240&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"><em>Le Solitaire</em>, Eugène Ionesco (1973).</span>
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<p>Avec Madame Bovary, Flaubert ausculte le silence de la campagne provinciale et les états d’âme d’une enfant du siècle. Ici, l’ennui est cette compagne d’infortune qui surgit quand les rêves meurent.</p>
<p>On retrouve la puissance dévastatrice de l’ennui dans <a href="https://www.mercuredefrance.fr/le-solitaire/3260050079075"><em>Le Solitaire</em></a>, le premier et unique roman publié par l’écrivain franco-roumain <a href="https://www.larousse.fr/encyclopedie/personnage/Eug%C3%A8ne_Ionesco/125093">Eugène Ionesco</a>. On y découvre le quotidien d’un homme qui reçoit un héritage inattendu et se retire des turpitudes de la vie salariale : il décide de devenir le spectateur de la vie des autres.</p>
<p>À l’écart du monde, il fait l’expérience d’une solitude vertigineuse et d’un ennui profond. Dès lors, sa vie est rythmée par les épanchements de son âme isolée :</p>
<blockquote>
<p>« J’ai le vertige et j’ai peur de l’ennui […] L’ennui paralyse ou ne vous fait faire que des actions destructrices ou vous met dans un état voisin de la mort. »</p>
</blockquote>
<p>Dans le roman, l’ennui est également comparé à un animal tapi dans l’ombre et prêt à bondir à la moindre occasion :</p>
<blockquote>
<p>« Je sens à l’arrière-fond que l’ennui est là, qu’il me guette, me menace, qu’il peut grandir, m’envelopper, m’étouffer. »</p>
</blockquote>
<p>Dans ces conditions, l’ennui apparaît comme une sensation de vide très singulière qui va devenir un leitmotiv voire une obsession pour les philosophes pessimistes, les poètes symbolistes et les romantiques (Lamartine, Cioran, Pessoa…).</p>
<h2>« L’art de bâiller sa vie »</h2>
<p>Appliqué à l’<a href="https://theconversation.com/fr/topics/entreprises-20563">entreprise</a>, l’ennui offre de nombreuses pistes d’investigation. Dans le cadre d’un <a href="https://www.cairn.info/revue-agrh1-2022-2-page-35.htm">article de recherche récent</a> centré sur les réunions de travail, l’ambivalence de l’ennui est apparue comme un des résultats majeurs des entretiens menés auprès des participants.</p>
<p>Loin d’être uniquement un état affectif désagréable et pernicieux, l’ennui peut être le signe de notre humanité. Ainsi, lorsque l’ennui est ressenti pendant de longs moments, il est néfaste et destructeur alors qu’en advenant sur de courtes périodes, l’ennui se fait moment de respiration et trésor de créativité.</p>
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<p>Au-delà de cette ambivalence, c’est bien le caractère tabou de l’ennui qui s’est manifesté dans les échanges avec les participants aux réunions. Il est en effet malséant de parler d’ennui publiquement en vertu des conventions sociales. Notre inconscient collectif est très largement imprégné par cette maxime commune : « l’oisiveté est la mère de tous les vices ». Comme le rappelait Palmyre* :</p>
<blockquote>
<p>« [L’ennui], on n’en parle pas forcément, c’est un peu tabou. »</p>
</blockquote>
<p>Parler d’ennui dans un contexte organisationnel va à l’encontre des normes et des conventions qui régissent les relations interpersonnelles au travail. Les salariés concernés par l’ennui préfèrent finalement réfréner et intérioriser leurs émotions plutôt que de les exprimer car ce temps de rêverie semble ne pas avoir sa place dans des environnements compétitifs.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-blase-en-entreprise-une-victime-de-la-routine-172344">Le « blasé » en entreprise, une victime de la routine ?</a>
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<p>L’ennui reste très largement affublé d’une connotation négative, il est souvent associé à l’oisiveté, à la paresse ; bref, c’est « l’art de bâiller sa vie » des romantiques. D’ailleurs, « s’ennuyer » et « nuire » ont la même racine latine : <em>inodiare</em>.</p>
<h2>Un mot qui embarrasse</h2>
<p>Lors de nos entretiens, une certaine gêne est apparue chez les personnes interrogées lorsque le terme d’ennui était directement évoqué. Certains cherchaient des synonymes ou faisaient des périphrases pour ne pas mentionner directement l’ennui.</p>
<p>Par exemple, Raphaël préférait parler de lassitude et insistait sur l’importance et la pertinence de la réunion qui venait de se terminer :</p>
<blockquote>
<p>« Ce n’est pas de l’ennui en mode “c’est chiant” [sic] parce qu’en soi, si on est présent à cette réunion, c’est qu’on le veut. »</p>
</blockquote>
<p>Par ailleurs, une contradiction intéressante a émergé entre les comportements observés pendant les réunions chez les participants et les propos qu’ils tenaient ensuite en entretien. Certains participants ont notamment multiplié les signes d’ennui en réunion : corps immobile, regard fixe, bâillement soutenu…</p>
<p>En revanche, lors de l’entretien, ils ne parvenaient jamais à dire qu’ils s’étaient ennuyés. Une véritable dissonance entre le langage du corps et l’expression verbale est alors apparue. Là où les discours pouvaient faire l’objet de manipulations ou d’escamotages, il y avait en quelque sorte une vérité corporelle de l’ennui.</p>
<h2>Un processus de généralisation à autrui</h2>
<p>Tout au long des entretiens menés, les personnes qui utilisaient le terme d’ennui pour décrire leur état émotionnel en réunion procédaient ensuite à une généralisation aux autres collègues. Certes, ces personnes concédaient s’être ennuyées mais elles n’étaient jamais seules dans cette situation. Au sein d’une institution éducative, Baptiste confiait :</p>
<blockquote>
<p>« Oui, [je me suis déjà ennuyé en réunion]. Celui qui dit le contraire est un hypocrite […] c’est sûr et certain ».</p>
</blockquote>
<p>En agence bancaire, Palmyre convenait également :</p>
<blockquote>
<p>« Effectivement, ça peut m’arriver d’avoir un état [d’ennui]… comme tout le monde je pense, ça serait mentir de ne pas le dire. »</p>
</blockquote>
<p>Dire qu’on s’est déjà ennuyé en réunion est une chose mais se retrouver tout seul dans ce cas en est une autre. Il est alors nécessaire de rappeler que les autres collègues se sont eux aussi ennuyés et s’ils venaient à omettre de le dire ou à le contester, ce seraient des menteurs ou des hypocrites. En généralisant, on se sent moins isolé et un peu moins responsable d’éprouver un état émotionnel tabou.</p>
<h2>La voie de la littérature</h2>
<p>En premier lieu, l’anonymisation des entretiens a été un moyen efficace pour libérer la parole des personnes interviewées sur ce sujet occulté qu’est l’ennui. En effet, quand on est identifiable, il n’est pas forcément facile de parler des sources d’ennui comme le manque de charisme de son manager ou sa fatigue en réunion. C’est grâce à l’anonymat qu’une parole décomplexée a pu éclore.</p>
<p>En outre, les managers ont aussi un rôle essentiel à jouer pour dédramatiser l’ennui en entreprise et pour être à l’écoute de leurs collaborateurs. C’est ce que le sociologue <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/michel-crozier/">Michel Crozier</a> appelait de ses vœux dans son ouvrage <a href="https://documentation.insp.gouv.fr/insp/doc/SYRACUSE/129208/l-entreprise-a-l-ecoute-apprendre-le-management-post-industriel-michel-crozier"><em>L’entreprise à l’écoute</em></a>. Percevoir les signaux faibles, entendre les murmures et recueillir les doléances des salariés sont autant de conditions essentielles pour un <a href="https://theconversation.com/fr/topics/management-20496">management</a> sain et efficace.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/quiet-quitting-au-dela-du-buzz-ce-que-revelent-les-demissions-silencieuses-192267">« Quiet quitting » : au-delà du buzz, ce que révèlent les « démissions silencieuses »</a>
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<p>Une autre façon de s’extraire de l’ennui, c’est d’emprunter la voie de la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/litterature-20412">littérature</a> que ce soit par les œuvres littéraires qu’on a pu lire auparavant et qui résonnent encore en nous ou par l’acte d’écrire en lui-même. Mettre en mots ce que l’on vit en entreprise grâce à un carnet de bord est un des moyens les plus sûrs pour s’extraire de la glaise du quotidien.</p>
<p>C’est d’ailleurs ce qu’a fait l’écrivain <a href="https://www.editionslatableronde.fr/Auteurs/ponthus-joseph">Joseph Ponthus</a> dans son roman intitulé <a href="https://www.editionslatableronde.fr/a-la-ligne/9782710389668"><em>À la ligne</em></a> et paru en 2019.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/-XIpHUOurIA?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Joseph Ponthus – « À la ligne » (La Grande Librairie, 2019).</span></figcaption>
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<p>En tant qu’ouvrier dans l’industrie agroalimentaire, il passe ses journées à la chaîne à couper des queues de vache. Dans de telles conditions, l’ennui arrive très vite. Ce sont alors des vers de <a href="https://www.larousse.fr/encyclopedie/personnage/Wilhelm_Apollinaris_de_Kostrowitzky_dit_Guillaume_Apollinaire/105814">Guillaume Apollinaire</a> et des textes d’<a href="https://www.larousse.fr/encyclopedie/personnage/Alexandre_Dumas/117320">Alexandre Dumas</a> qui résonnent en lui. Il réinvente ses journées à l’usine et se prend alors pour un mousquetaire qui ferraille contre les gardes du cardinal.</p>
<p>Son roman est également un journal de bord, un cahier d’usine qui lui permet de mettre à distance tout ce qu’il vit au quotidien une fois la journée terminée. Bref, Joseph Ponthus l’a dit lui-même, c’est bien la littérature qui lui a servi d'arme contre l'ennui. </p>
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<p><em>*Les prénoms ont été modifiés</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/198710/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Thomas Simon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Au-delà de son omniprésence et de son ambivalence en entreprise, l’ennui revêt un caractère embarrassant. Dès lors, comment parvenir à mettre des mots sur cet état affectif ?Thomas Simon, Assistant Professor, Montpellier Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1974692023-01-26T18:12:41Z2023-01-26T18:12:41ZPas touche à la Coupe du monde : quand le sacré s’invite sur le terrain de foot<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/506157/original/file-20230124-27-30bymz.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=12%2C5%2C770%2C575&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">En touchant le trophée, le chef lui fait-il perdre son caractère sacré? </span> <span class="attribution"><span class="source">Youtube, capture d'écran. </span></span></figcaption></figure><p>La Coupe du monde de football masculin 2022 s’étant conclue avec la victoire de l’Argentine, de nombreuses images de célébration ont été diffusées tant sur les médias traditionnels que sur les réseaux sociaux. Parmi ces images, une séquence a défrayé la chronique. Nusret Gökçe (alias SaltBae pour les intimes des réseaux sociaux), célèbre chef cuisinier du restaurant SaltBae à Dubaï <a href="https://www.huffingtonpost.fr/sport/article/coupe-du-monde-apres-la-victoire-de-l-argentine-salt-bae-s-est-incruste-pres-de-messi-et-ca-s-est-vu_211841.html">s’est introduit sur le terrain</a> lors de la finale afin de se faire prendre en photo en tenant le trophée de la Coupe du monde, auprès de l’équipe nationale d’Argentine.</p>
<p>Pourquoi ces images ont-elles suscité tant de réactions ? Ce chef, habitué des controverses mais jusque-là très apprécié des footballers les plus célèbres, aurait-il commis une transgression de trop ?</p>
<p>Le processus de <a href="https://www.jstor.org/stable/40370102">« désenchantement du monde »</a> selon la fameuse expression de Max Weber, a conduit nos sociétés à une mise à l’écart de la religion et du sacré dans les affaires sociales. Cet exemple met néanmoins en évidence la présence et l’importance du « sacré », qui prend désormais d’autres formes, au sein de nos organisations contemporaines.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-les-saints-des-derniers-jours-influencent-le-management-mondial-193561">Comment les saints des derniers jours influencent le management mondial</a>
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<h2>Le trophée comme objet sacré</h2>
<p>Lionel Messi, Cristiano Ronaldo, David Beckham, Ronaldinho <a href="https://ng.opera.news/ng/en/food/6ee26b7e74ab29a521827157d201a76a">et de nombreuses autres stars du football</a> se sont un jour rendus dans le très prisé restaurant de SaltBae à Dubaï. La popularité de ce chef cuisinier au sein de la communauté des footballeurs est indéniable. Pourtant, son entrée sur le terrain lors de la finale de la Coupe du monde a créé le malaise tant <a href="https://www.huffpost.com/entry/salt-bae-world-cup-argentina-lionel-messi_n_63a21c58e4b0aeb2ace82d47">auprès des supporters</a> qu’<a href="https://nybreaking.com/argentina-players-react-awkwardly-as-salt-bae-invades-world-cup-celebrations-after-win-over-france/">au sein même de l’équipe d’Argentine</a>. La FIFA a également réagi en <a href="https://www.francetvinfo.fr/coupe-du-monde/finale/coupe-du-monde-2022-la-fifa-ouvre-une-enquete-sur-la-presence-de-salt-bae-le-cuisinier-star-lors-des-celebrations-apres-la-finale_5560029.html">ouvrant une enquête</a> sur la présence de SaltBae sur le terrain.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1606239950713880577"}"></div></p>
<p>Au-delà des questions de sécurité liées au <a href="https://rmcsport.bfmtv.com/football/coupe-du-monde/coupe-du-monde-2022-l-intrusion-de-salt-bae-sur-le-terrain-apres-la-finale-n-a-pas-plu-a-la-fifa_AV-202212220510.html">contrôle d’accès</a> sur le terrain, ce qui a fait le plus réagir les internautes sur les réseaux, c’est le fait que le chef ait <a href="https://www.forbes.com/sites/zakgarnerpurkis/2022/12/23/salt-bae-world-cup-trophy-outrage-is-a-matter-of-taste/?sh=3a16fc46795c">touché au trophée</a> de la Coupe du monde. Ce trophée en or massif, propriété de la FIFA, est simplement prêté pendant quelques heures aux joueurs vainqueurs de la Coupe du monde, avant d’être retourné à l’association sportive.</p>
<p>Bien qu’<a href="https://digitalhub.fifa.com/m/469bb4d043dc77c5/original/FIFA-LEGAL-HANDBOOK-EDITION-SEPTEMBRE-2022.pdf">aucune règle écrite</a> ne stipule clairement qui a le droit de toucher ce trophée pendant la célébration, il semblerait que l’ensemble des parties prenantes à l’organisation footballistique – joueurs, membres de la FIFA, supporters, etc. – s’accordent à dire que seule une infime catégorie de personnes peuvent le faire. Ainsi, seuls les vainqueurs et anciens vainqueurs, les chefs d’État et les membres du staff de la FIFA auraient le droit de toucher au trophée.</p>
<p>Par cette nécessité de maintenir cet objet à distance du plus grand nombre, le trophée de la Coupe du monde semble s’apparenter à un objet sacré, ne pouvant être manipulé sans danger que par une catégorie restreinte d’experts.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-les-saints-des-derniers-jours-influencent-le-management-mondial-193561">Comment les saints des derniers jours influencent le management mondial</a>
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<p>Cette séparation du monde profane permet non seulement à l’objet de prendre un sens symbolique fort mais sacralise également les vainqueurs de la Coupe du monde, en leur reconnaissant un prestige et une position particulière au sein de l’organisation sociale du football. Un tel objet participe donc, par son sens symbolique partagé par les membres d’une organisation donnée, à maintenir l’ordre social de ladite organisation.</p>
<p>En touchant au trophée, SaltBae aurait alors perturbé cet ordre social et nui au prestige des vainqueurs. En entrant dans la sphère du profane, le trophée devient un simple objet, risquant de perdre sa force symbolique classificatrice. L’objet est ainsi « souillé », pour reprendre l’expression de l’anthropologue <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/de_la_souillure-9782707148117">Mary Douglas</a>, ce qui provoque l’outrage et le dégoût, comme on peut le lire dans les <a href="https://www.newsweek.com/salt-bae-slammed-holding-kissing-world-cup-trophy-1768420">commentaires</a> ayant suivi l’évènement.</p>
<h2>La transgression : une stratégie de communication délicate</h2>
<p>Si de nombreuses personnalités et organisations jouent avec la transgression pour augmenter leur <a href="https://www.degruyter.com/document/doi/10.1515/9781503613904/html">notoriété</a>, il s’agit d’une stratégie très ambiguë et incertaine, pouvant aussi se traduire par un ternissement de leur réputation. Elon Musk, le célèbre entrepreneur, par exemple, défraye souvent la chronique et fascine tant par sa manière de se lancer dans des <a href="https://www.ouest-france.fr/monde/etats-unis/elon-musk-l-homme-qui-reve-de-coloniser-mars-6853654">projets pharaoniques</a> que par son « mépris » des conventions et par ses <a href="https://www.lesechos.fr/weekend/business-story/8-tweets-delon-musk-qui-ont-fait-polemique-1400758">prises de position controversées</a>.</p>
<p>Si ses actes et discours transgressifs participent à la construction d’une image héroïque de <a href="https://www.entrepreneur.com/business-news/genius-freak-opinions-on-elon-musk-vary-widely/367132">« génie incompris »</a> de l’entrepreneur, cela reste une stratégie de communication <a href="https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/elon-musk-ou-les-limites-de-la-transgression-1005812">risquée</a>. Par exemple, le rachat de Twitter par Elon Musk en avril 2022 dans le but d’octroyer une liberté d’expression absolue aux utilisateurs de ce réseau a été largement commenté et s’est notamment traduit par une frilosité des annonceurs à se positionner sur ce réseau, <a href="https://www.theguardian.com/technology/2023/jan/22/elon-musk-twitter-debt">dégradant davantage la situation financière de l’entreprise</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1519480761749016577"}"></div></p>
<p>Au-delà de ses effets potentiellement néfastes pour leurs auteurs, la transgression est néanmoins utile aux organisations et aux groupes sociaux, car elle leur permet de réaffirmer leurs valeurs communes à travers des expressions émotionnelles similaires (dans la joie, la répulsion, l’outrage, etc.).</p>
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<p>Dans le cas étudié, des amateurs de football à travers le monde partagent l’outrage de voir une personne lambda toucher le Trophée de la Coupe du monde, objet sacré que seuls les vainqueurs peuvent approcher. En s’offusquant de cette transgression et en dénigrant SaltBae, le public se solidarise dans la reconnaissance du prestige et de la singularité des vainqueurs, confirmant ainsi leur position.</p>
<p>Cela donne aussi l’occasion de réaffirmer les règles sociales de l’organisation et de fédérer autour de valeurs communes, solidifiant ainsi les liens au sein de la communauté des amateurs de football. Ainsi, la tristesse d’une défaite n’est plus le cœur du sujet : elle fait place à l’unification autour de la reconnaissance du prestige des vainqueurs et de ce qui les symbolise. Tout rentre dans l’ordre.</p>
<h2>Les nouveaux lieux du sacré dans les organisations</h2>
<p>À partir de cet exemple, il peut être utile d’analyser comment certains symboles, objets et discours peuvent s’apparenter aux dynamiques du sacré et y remplir les mêmes fonctions, dans n’importe quelle organisation. Toutes les organisations sont imprégnées de valeurs morales (implicites ou non) et de règles plus ou moins sacralisées qui permettent le maintien de leur ordre social.</p>
<p>Certains auteurs, comme <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/0170840609347054">Keith Grint</a>, avancent que la notion de leadership est sacralisée dans nos organisations contemporaines. Les discours et les pratiques du leadership créent et maintiennent une séparation nécessaire à l’ordre social de l’organisation, entre les leaders et les suiveurs ; les leaders ayant notamment tendance à passer sous silence l’anxiété et la résistance des collaborateurs en valorisant la course vers le changement.</p>
<p>Avec l’arrivée du big data, l’accès facile et excessif à l’information détaillée peut également donner lieu à une certaine <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/0170840609347054">fétichisation des données</a>. Dans des industries où le big data est au cœur de l’activité, la collecte de données peut devenir l’objectif même de la pratique organisationnelle, apportant à l’organisation concernée un certain prestige. Lorsqu’elle est excessive et sacralisée, la collecte de données ne permet pourtant pas l’apprentissage – qui nécessite le temps de l’analyse – et tend au contraire à maintenir une certaine <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/0170840609347054">ignorance organisationnelle</a>, où l’accumulation de chiffres – plutôt que leur interprétation – devient une fin en soi.</p>
<p>De manière plus générale, les organisations tendent toutes à produire, à des degrés différents, des <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s10551-019-04266-w">histoires et des valeurs qui se sacralisent</a>. En formulant des « valeurs » distinctives au cœur de leur mission organisationnelle, les organisations formulent des principes et édictent des codes de conduite à tenir au sein et au nom de l’organisation, par tous les employés. Certaines valeurs se voient investies d’un caractère sacré lorsqu’elles deviennent des principes normatifs symboliques et inviolables, transcendant ainsi le domaine des pratiques. Cette sacralisation est utile à l’organisation car elle permet à ses membres de travailler ensemble et de maintenir une <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/0170840616685356">culture organisationnelle distincte</a>. Elle nourrit un sentiment d’appartenance qui tend à se réaffirmer face à des actes transgressifs.</p>
<p>Ainsi, loin d’avoir perdu de l’importance dans nos sociétés, le « sacré » semble prendre de nouvelles formes plus subtiles et s’inviter au sein de nos organisations, remplissant les mêmes fonctions de rassemblement et de maintien des structures et ordres sociaux à différentes échelles.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/197469/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Carine Farias ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Quand un célèbre chef cuisinier s’empare quelques instants de la Coupe du monde sur le terrain de foot, c’est la notion de sacré qui fait irruption dans le réel.Carine Farias, Associate Professor in Entrepreneurship and Business Ethics, IÉSEG School of ManagementLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1960572023-01-08T16:41:05Z2023-01-08T16:41:05ZComment les innovations organisationnelles et managériales se déploient-elles ?<p>Depuis les années 2010, les entreprises s’intéressent activement à de nouveaux modes de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/management-20496">management</a> et d’<a href="https://theconversation.com/fr/topics/organisation-21871">organisation</a> (NMMO) : méthodes agiles, « <a href="https://theconversation.com/fr/topics/entreprises-liberees-38337">entreprise libérée</a> », « holacratie », organisation « opale »… autant de concepts en vogue à l’heure où les entreprises sont sommées de devenir <a href="https://www.la-fabrique.fr/fr/publication/les-nouveaux-modes-de-management-et-dorganisation/">réactives, adaptables et innovantes</a>, comme nous le soulignons dans notre récent ouvrage, récent <a href="https://www.la-fabrique.fr/fr/publication/les-nouveaux-modes-de-management-et-dorganisation-innovation-ou-effet-de-mode-2/">ouvrage</a>, <em>Les nouveaux modes de management et d’organisation, innovation ou effet de mode ?</em> (La Fabrique de l’Industrie).</p>
<p>Faire référence à ces modèles (et de préférence à plusieurs) est utile, car ils proposent un cadre de pensée et d’action. Toutefois, ils sont rarement livrés avec le mode d’emploi, et leurs effets dépendront considérablement de la manière dont ils sont déployés dans les organisations.</p>
<p>Schématiquement, il est possible de distinguer <a href="https://youtu.be/RQ06WIuJuJk">deux grandes modalités de déploiement</a>. Dans le premier cas, le nouveau modèle organisationnel est construit par les acteurs internes qui peuvent certes s’inspirer de modèles existants mais font l’effort de les adapter pour répondre à leurs besoins et spécificités propres (environnement, secteur d’activité, culture organisationnelle et managériale, jeux d’acteurs, etc.) : ces méthodes s’hybrident alors avec d’autres pratiques internes et donnent lieu à des <a href="https://theconversation.com/les-modes-manageriales-existent-elles-vraiment-104749">usages originaux</a>, fruits d’un véritable processus d’innovation organisationnelle. </p>
<p>Dans le second cas, l’entreprise se contente de suivre un modèle à la manière d’une recette à appliquer, sans tenir compte des spécificités propres à l’organisation, et tombe alors dans le <a href="https://www.cairn.info/revue-gestion-2007-4-page-10.htm">piège de l’effet de mode</a>.</p>
<p><iframe id="IZS8s" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/IZS8s/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Dans nos récents travaux, nous révélons quatre processus de déploiement possibles. Nous nous sommes appuyés sur un corpus de 17 organisations expérimentant les nouveaux modes de manières plus ou moins radicales, allant d’associations autogérées à des divisions de grands groupes, dans des secteurs d’activité diversifiés.</p>
<p>La première configuration consiste à <strong>inventer son modèle de toutes pièces</strong>. Elle se retrouve souvent dans les organisations autogérées qui tiennent à inventer leur propre modèle alternatif. Celles-ci souffrent souvent d’un manque de références pour les guider dans les méandres de leurs expérimentations. Malgré l’ancienneté de ce courant, il reste peu étudié par les sciences de gestion. L’autogestion, application pratique de la philosophie politique anarchiste de Pierre-Joseph Proudhon datant du XIX<sup>e</sup> siècle, a pourtant connu depuis plusieurs expérimentations tout au long du XX<sup>e</sup> siècle (commune de Paris, soviets russes, conseils ouvriers allemands, révolution hongroise, etc.)</p>
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<p>Cette démarche a l’avantage d’assurer le déploiement de pratiques qui se veulent complètement originales et adaptées aux aspirations de leurs membres, souvent assez marquées idéologiquement. Une étude portant sur quatre organisations autogérées, coopératives et associations, révèle toutefois qu’elles rencontrent souvent les mêmes difficultés, ce qui les conduit in fine à <a href="https://www.cairn.info/revue-agrh1-2020-3-page-145.htm">adopter des pratiques organisationnelles assez similaires</a>. Cette manière de procéder fait ainsi courir le risque de « réinventer la roue » à chaque fois, au travers d’un processus chronophage et énergivore qui oblige à tâtonner de longues années et qui peut finir par épuiser les membres.</p>
<h2>Le risque du copier-coller</h2>
<p>À l’autre bout du spectre, le dirigeant peut se contenter de copier-coller sur l’organisation existante un <strong>modèle « clés en main »</strong>, qui plus est de façon brutale. Il peut être séduit par la <a href="https://www.fayard.fr/documents-temoignages/liberte-cie-9782213662817">lecture d’un ouvrage</a>, une conférence de son auteur ou encore l’exemple d’une entreprise qui fait le buzz médiatique (comme les français Favi, Poult ou Chronoflex, emblématiques du mouvement des entreprises « libérées », qui cherchent à autonomiser leurs collaborateurs dans des organigrammes moins hiérarchisés).</p>
<p>L’une des organisations de notre panel a suivi ce chemin : inspirés par leurs lectures, les jeunes repreneurs ont été séduits par la solution proposée par un cabinet de conseil spécialisé dans « <a href="https://www.holacracy.org/constitution">l’holacratie</a> » qui leur promettait une transformation des modes de décisions et de la répartition des responsabilités dans l’entreprise en six mois. La durée très courte de cette transformation, doublée du manque de préparation des salariés peinant à s’approprier le vocabulaire parfois abscons de l’holacratie, a entraîné une confusion organisationnelle qui s’est traduite par des <a href="https://www.cairn.info/revue-rimhe-2019-2-page-3.htm">problèmes de productivité, de qualité et de climat social</a>.</p>
<p>Cette transformation brutale menée sans réelle co-construction a même abouti au retour paradoxal du manager comme figure de commandement et de responsabilité, incitant les dirigeants à aménager les principes holacratiques pour s’aventurer véritablement dans une démarche innovante.</p>
<p>Nombreuses sont aussi les entreprises qui mélangent des méthodes et outils empruntés à des modèles en vogue, produisant non une hybridation cohérente et adaptée à l’entreprise, mais une monstrueuse chimère. C’est notamment le cas quand les organisations cherchent à <strong>s’inspirer de différents modèles sans travailler leur articulation</strong>, troisième configuration que nous avons observée. Or, les « incohérences du système et une accumulation d’outils sans réelle philosophie partagée » peuvent entraîner une « <a href="https://www.cairn.info/feuilleter.php?ID_ARTICLE=DUNOD_COUTA_2016_03_0181">perte de sens</a> », pour reprendre les mots de la consultante Élodie Montreuil dans un article publié en 2016.</p>
<p>Ce phénomène a été particulièrement visible dans les adoptions qui ont été faites du <a href="https://www.cairn.info/journal-innovations-2010-1-page-11.htm">modèle japonais par les Occidentaux</a> (Toyota Production System devenu Lean management), lesquels n’en ont souvent retenu que quelques outils (5 zéros, 5S, Muda, etc.) en oubliant la philosophie globale qui les guidait.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/499223/original/file-20221206-26-40sgig.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/499223/original/file-20221206-26-40sgig.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/499223/original/file-20221206-26-40sgig.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=809&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/499223/original/file-20221206-26-40sgig.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=809&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/499223/original/file-20221206-26-40sgig.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=809&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/499223/original/file-20221206-26-40sgig.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1017&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/499223/original/file-20221206-26-40sgig.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1017&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/499223/original/file-20221206-26-40sgig.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1017&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption"><em>Les nouveaux modes de management et d’organisation – Innovation ou effet de mode ?</em>, Suzy Canivenc (novembre 2022).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.la-fabrique.fr/fr/publication/les-nouveaux-modes-de-management-et-dorganisation/">La Fabrique de l’Industrie</a></span>
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</figure>
<p>C’est également le cas de certains « bricolages » conceptuels de grands groupes qui amalgament la quasi-totalité des NMMO, tout en les encastrant dans un système pyramidal hiérarchique. Certains salariés que nous avons pu interroger les évoquent sous les termes de « la hiérarchie + les cercles », d’« holacratie à la sauce maison » ou encore de « gouvernance agile », mais peu ont l’air de savoir de quoi il retourne précisément.</p>
<h2>Expérimentation adaptative</h2>
<p>Enfin, <strong>s’approprier collectivement différents modèles</strong> constitue la dernière configuration que nous avons observée. Ce fut notamment le cas dans une association « à impact » qui avait constaté qu’elle était en train de dériver vers un modèle d’organisation hiérarchique, alors qu’elle aspirait à développer une « gouvernance partagée » plus en phase avec sa mission sociétale.</p>
<p>Pour ce faire, elle s’est inspirée de différents modèles (holacratie, méthodes agiles, principes « opale ») sans chercher à en calquer la totalité à la lettre : elle a puisé les éléments lui permettant de structurer sa transformation, tout en expérimentant ceux qui lui paraissaient les plus pertinents par rapport à sa philosophie organisationnelle et à ses impératifs opérationnels, donnant ainsi naissance à des pratiques inédites.</p>
<p>Ce travail d’appropriation a été effectué collégialement par le biais de réunions en petits groupes (sur une base tournante et volontaire) pour définir les grands principes organisationnels, puis les opérationnaliser. Ce processus de longue haleine a permis d’assurer l’adaptation de la nouvelle organisation aux aspirations et réalités de chacun. Un processus d’expérimentation adaptative qui se poursuit encore aujourd’hui, au fur et à mesure que certains travers ou limites apparaissent.</p>
<p>Au-delà des modèles organisationnels retenus, la façon de les déployer compte ainsi tout autant car elle reflète profondément la manière dont l’innovation organisationnelle est appréhendée. In fine, l’appropriation-adaptation continue des modèles et la place accordée aux acteurs de terrain dans ce processus forment la pierre angulaire de toute innovation managériale. À défaut, le risque est grand de tomber dans le piège de l’effet de mode qui finalement vide le processus d’innovation de toute sa substance.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/196057/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Suzy Canivenc ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Un ouvrage recense les principaux processus de transformations qui produisent des résultats hétérogènes, d’une réponse satisfaisante aux aspirations des équipes à la confusion dans l’organisation.Suzy Canivenc, Chercheure associée à la Chaire Futurs de l'Industrie et du Travai, Mines ParisLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1971312023-01-04T19:58:00Z2023-01-04T19:58:00ZLes « entreprises libérées » n'échappent pas aux principes de contrôle des salariés<p>Depuis une quinzaine d’années émerge en France un mouvement en faveur d’entreprises qualifiées de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/entreprises-liberees-38337">« libérées »</a>. C’est par exemple, du côté de Montpellier, <a href="https://www.la-croix.com/Economie/entreprises-quete-sens-2022-12-25-1201247987">Enerfip</a> et ses 14 salariés, première plate-forme européenne de financement de la transition énergétique. C’est aussi <a href="https://www.usinenouvelle.com/editorial/le-retour-d-experience-de-chrono-flex-entreprise-liberee-depuis-dix-ans.N1096084">Chrono Flex</a> (plus de 400 salariés), localisée en périphérie de Nantes, spécialiste du dépannage en flexibles hydrauliques. C’est également la biscuiterie montalbanaise <a href="https://actu.fr/occitanie/montauban_82121/tarn-et-garonne-l-epopee-de-la-biscuiterie-poult-que-tout-le-monde-enviait-vire-t-elle-au-cauchemar_46033882.html">Poult</a>.</p>
<p>Ses principes d’autonomisation poussée des salariés et de partage de la gouvernance ont été popularisés en particulier par l’ouvrage <a href="https://liberteetcie.com/"><em>Liberté et Cie</em></a> publié par Isaac Getz, professeur à l’ESCP, et Brian Carney, membre du comité de rédaction du <em>Wall Street Journal</em>. Tout y laisse à penser que le contrôle pourrait laisser la place à la liberté au travail.</p>
<p>Or, <a href="https://www-cairn-info.fr/revue-rimhe-2020-3-page-3.htm">l’observation fine</a> de cas emblématiques de ce type d’organisation montre qu’elles demeurent régies par des principes de contrôle. Le livre-témoignage de Thibault Brière intitulé <a href="https://www.lemonde.fr/emploi/article/2021/10/28/toxic-management-un-temoignage-glacant-sur-la-manipulation-des-salaries_6100163_1698637.html"><em>Toxic Management</em></a>, « glaçant » d’après la rédaction du <em>Monde</em>, souligne au demeurant que leur invisibilisation pourrait même faciliter des dérives manipulatoires. Il y aurait donc toujours du contrôle dans la vie des organisations et cela serait mieux de l’assumer.</p>
<h2>« Lost in Translation »</h2>
<p>Comme le soulignent nos <a href="https://www-cairn-info.fr/comment-mieux-faire-societe--9791034607228-page-108.htm">travaux</a>, à l’instar de nombreux autres, il est, en effet, difficile pour ne pas dire impossible de fabriquer de l’organisé (<em>organisation</em>) sans organisant (<em>organising</em>). Comprendre cela implique de clarifier la notion de « contrôle organisationnel », issue du concept anglo-saxon de « controlling », mal traduit dans la langue de Molière. En effet, ce n’est ni tout à fait le « checking », la vérification, ni tout à fait le « monitoring », la surveillance. Il existe en fait différents modes de contrôle, certains formels, d’autres informels, et à chaque type d’organisation, son <em>control mix</em>, sa manière de les associer. À commencer par les soi-disant « organisations libérées ».</p>
<p>Le contrôle organisationnel renvoie avant tout à la notion d’influence. Il s’agit d’orienter les comportements dans le sens de l’accomplissement des buts de l’organisation. Comment en distinguer les différents types ? Par les moyens du contrôle : le respect de standards et procédures, la mesure des performances, l’adhésion aux valeurs ? Par ce sur quoi s’exerce le contrôle : les actions, les résultats, les caractéristiques et qualifications du personnel, la culture et les normes ?</p>
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<p>Classiquement, on distingue trois grands modes. Le contrôle par les résultats renvoie, en interne, aux méthodes et outils du contrôle de gestion. Il peut également prendre la forme, avec des parties prenantes externes, d’un contrôle par le marché dans le cas de la production de biens privés. Le contrôle par les règles et les procédures renvoie, lui, à tous les dispositifs formels mis en place par l’organisation pour détecter et corriger les comportements non conformes. Le contrôle social, enfin, est plus informel : il peut reposer sur le pouvoir d’une personne, la pression exercée par le groupe ou, voire par soi-même.</p>
<h2>Et fais ce qu’il te plaît ?</h2>
<p>Il est relativement aisé d’établir une correspondance entre les modes de contrôle et les genres d’organisation, à commencer par ceux distingués par le chercheur canadien en management Henry Mintzberg au sein d’<a href="https://lipsor.cnam.fr/servlet/com.univ.collaboratif.utils.LectureFichiergw?ID_FICHIER=1295877018138#_Toc477492266">ouvrages</a> qui font référence. On peut ainsi les schématiser :</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/502954/original/file-20230103-90208-iyq53w.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/502954/original/file-20230103-90208-iyq53w.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/502954/original/file-20230103-90208-iyq53w.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/502954/original/file-20230103-90208-iyq53w.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/502954/original/file-20230103-90208-iyq53w.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/502954/original/file-20230103-90208-iyq53w.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/502954/original/file-20230103-90208-iyq53w.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/502954/original/file-20230103-90208-iyq53w.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">A chaque type d’organisation sa façon d’exercer un contrôle.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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</figure>
<p>Où dans tout cela situer les entreprises dites « libérées » et autres « holocratie », « organisation opale » ou « organisation spaghetti » ? Leur <em>control mix</em> est en fait dominé par des formes de contrôle social et informel. Le fonctionnement de ces organisations fait le pari de prendre appui sur un contrôle social par le groupe restreint.</p>
<p>Ces entreprises reposent sur des équipes autonomes ou semi-autonomes et la régulation de l’activité y est d’abord l’affaire des membres desdites équipes. L’efficacité d’un tel contrôle implique que les équipes ne dépassent pas une certaine taille. Au-delà, l’équipe est scindée en deux.</p>
<p>Le contrôle par le groupe de pairs y est prolongé et renforcé par un autre type de contrôle social et informel que Michel Crozier, grand nom de la sociologie des organisations, aurait volontiers qualifié de <a href="https://documentation.insp.gouv.fr/insp/doc/SYRACUSE/129208/l-entreprise-a-l-ecoute-apprendre-le-management-post-industriel-michel-crozier">« gouvernement par la culture »</a>. Un management par les valeurs vient en effet donner une tonalité missionnaire à ces organisations. D’une nature certainement très subtile, ce type de contrôle invite les membres de l’organisation à partager des valeurs et à agir en conformité.</p>
<p>C’est ce modèle qui est à la base de l’<a href="https://www.alternatives-economiques.fr/buurtzorg-transforme-soins-a-domicile/00082834">entreprise Buurtzorg</a> laquelle a révolutionné l’organisation des soins infirmiers à domicile aux Pays-Bas. Comme nous l’avons montré, il inspire, à présent, des acteurs sociaux et médico-sociaux en France, à commencer par des <a href="https://www.cairn.info/diriger-au-sein-des-nouvelles-organisations--9782100819416-page-103.htm">services d’aide à domicile (SAAD) et des services de soins infirmiers à domicile (SSIAD)</a>.</p>
<p>Henry Mintzberg le soulignait déjà en 1989, ce type d’organisation peut atteindre la forme la plus pure de la décentralisation : tous ceux qui sont admis à entrer dans le système partagent son pouvoir. Mais tout cela ne signifie pas pour autant une absence de contrôle, c’est même tout à fait le contraire. Il tend à être particulièrement puissant dans ce type de configuration car il ne porte pas simplement sur le comportement de ses membres mais pratiquement sur leur âme même.</p>
<p>L’écrivain anglais Sir Anthony Jay notait d’ailleurs dans son livre intitulé <a href="https://www.erudit.org/fr/revues/ri/1968-v23-n2-ri2803/027914ar.pdf"><em>Machiavel et le management</em></a> que le principe fondamental d’enseignement des nouveaux jésuites lorsqu’ils sont recrutés est la parole suivante « Adore Dieu et fais ce qu’il te plaît ». Cela ne signifie pas bien entendu qu’ils soient libres de faire ce qui leur plaît mais, au contraire, d’agir strictement en conformité avec l’ensemble de croyances dont participe l’ordre. Il n’y a pas là chose bien différente des entreprises dites libérées.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/197131/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Claude Dupuis ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les organisations qui cherchent à autonomiser leurs équipes restent contraintes d’orienter les comportements dans le sens de l’accomplissement des objectifs fixés.Jean-Claude Dupuis, Professeur à l'Institut de Gestion Sociale, PropediaLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1955862022-12-05T19:00:42Z2022-12-05T19:00:42ZL’intelligence relationnelle, nouvel enjeu du management<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/497948/original/file-20221129-26-ob4y0i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=26%2C8%2C1077%2C765&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Dans les groupes de co-développement professionnel, les participants prennent le temps de comprendre un problème rencontré avant de proposer des solutions.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://stocksnap.io/photo/team-meeting-2R1OMUFVO5">Startup Stock Photos/StockSnap</a></span></figcaption></figure><p>À la fin des années 1990, Zygmunt Bauman, sociologue possédant la double nationalité britannique et polonaise, théorisait l’avènement d’une « <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/grand-bien-vous-fasse/qu-est-ce-qu-une-societe-liquide-6200354">société liquide</a> » qu’il définissait ainsi :</p>
<blockquote>
<p>« Une société “moderne liquide” est celle où les conditions dans lesquelles ses membres agissent changent en moins de temps qu’il n’en faut aux modes d’action pour se figer en habitudes et en routine… Cela devient ainsi une société où, par exemple, ni le travail, ni l’amour, ni l’amitié ne sont plus des structures solides… »</p>
</blockquote>
<p>Autrement dit, nous assistons à la remise en question d’une « stabilité relationnelle » qui a perduré jusqu’au XX<sup>e</sup> siècle. Chaque personne avait alors durant toute sa vie une même famille, un même travail, un même logement et un même lieu d’habitation. Cette stabilité relationnelle est aujourd’hui bousculée dans la société française :</p>
<ul>
<li><p>Le couple correspond à des relations, pour les quarantenaires, qui durent en <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/2121566">moyenne une dizaine d’années</a>. Jusque dans les années 1970, le mariage était l’expression d’un engagement pour la vie et était le passage obligé pour avoir des enfants : 7 % des enfants étaient nés hors mariage en 1971, alors qu’<a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/2381394">ils sont plus de 60 % aujourd’hui</a>.</p></li>
<li><p>Une personne <a href="https://www.ladepeche.fr/article/2010/06/23/860775-francais-demenagent-moyenne-4-6-fois-vie.html">déménage 4,6 fois dans sa vie</a> (hors sa vie d’étudiant).</p></li>
<li><p>Une personne aujourd’hui change <a href="https://www.groupe-adecco.fr/articles/observatoires-trajectoires-professionnelles/">4,5 fois de travail</a> dans sa vie. Mais Pôle emploi estime que les jeunes entrant aujourd’hui dans la vie active changeront entre <a href="http://www.senat.fr/rap/r20-759/r20-7593.html">13 à 15 fois d’emploi au cours de leur vie</a>. Soit un changement professionnel tous les 3 ans et demi en moyenne.</p></li>
</ul>
<p>Notre <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/grand-bien-vous-fasse/qu-est-ce-qu-une-societe-liquide-6200354">société</a> est ainsi marquée par une recomposition constante des relations humaines. L’organisation du <a href="https://theconversation.com/fr/topics/travail-20134">travail</a> est donc elle aussi impactée par cette fragmentation relationnelle, qui plus est, après la crise sanitaire.</p>
<p>Le fondement du lien de subordination en entreprise se fonde en effet sur la situation suivante : le managé accepte le pouvoir du manager de le récompenser ou de le punir. Il s’agit là d’une conception verticale des relations sociales, bien loin d’une conception collégiale qui correspond <a href="https://www.cairn.info/le-droit-du-travail%20--%209782130626282-page-65.htm">davantage aux attentes des salariés</a> autant qu’à l’efficacité et à la créativité du travail.</p>
<p>De plus, contrairement à ce que l’on pense, l’essor du numérique produit des informations de plus en plus denses mais qui génèrent un relationnel de plus en plus pauvre, du fait de « la <a href="https://www.cairn.info/le-culte-de-l-internet--9782707133021.htm">fin des échanges et des rencontres directes</a> », selon l’expression du sociologue Philippe Breton.</p>
<p>Il devient donc essentiel d’aider chacun à se « relationner » avec les autres pour générer des échanges réguliers fondés sur la confiance et la responsabilité.</p>
<h2>Des démarches spécifiques</h2>
<p>Dans la société liquide, il est essentiel que chacun s’appuie sur des démarches et outils qui permettent de comprendre autrui, de se réguler et de s’y adapter. C’est l’« intelligence relationnelle » qui constitue un levier pour soutenir cette évolution managériale. Cependant, cette notion ne fait pas l’objet d’une définition stabilisée, comme l’illustre notre <a href="https://doi.org/10.3917/comma.191.0055">article de recherche</a>. Nos travaux précisent que cette intelligence relationnelle doit avant tout se concrétiser à travers des démarches spécifiques pour apprendre à faire relation.</p>
<p>Ainsi, en près de 50 ans, nos amis québécois ont développé différentes démarches relationnelles (groupes de paroles, communautés virtuelles, ateliers d’échanges de pratiques, codéveloppement professionnel, médiation, etc.). Largement diffusées ces dernières décennies, toutes ces démarches visent à améliorer le relationnel entre les personnes.</p>
<p>Parmi ces démarches, on retrouve la médiation qui s’est déployée dans la province canadienne à partir des années 1980 pour gérer des conflits professionnels ou familiaux. La médiation cherche à recréer du lien entre deux parties prenantes, qui ne parviennent plus à dialoguer dans le cadre d’un conflit qui les divise. Elles sont volontaires pour suivre des séances animées par un tiers, le médiateur, qui est formé, en particulier, pour réguler leur « trop-plein émotionnel » et les guider à travers différentes étapes.</p>
<p>Le médiateur commence par inviter les médiés à expliciter l’objet de leur conflit. Puis, la reformulation qu’il en fait leur permet d’entrer dans le processus essentiel de triangulation qui les autorise à s’exprimer sans avoir à échanger frontalement avec l’autre.</p>
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<p>La psychologue Stella Delorme, spécialiste de la médiation, indique que la seule présence d’un médiateur entraîne la formalisation d’un espace transitionnel dans lequel les <a href="https://www.cairn.info/revue-tiers-2021-2-page-61.htm">médiés se décentrent</a>, c’est-à-dire qu’ils se refocalisent sur le conflit plutôt que sur l’autre, objet du rejet.</p>
<p>Le médiateur est le garant du cadre de la médiation (confidentialité, non-agressivité des personnes entre elles, respect mutuel, respect des horaires et des objectifs, etc.). Mais surtout, en reformulant les points de désaccord, le médiateur crée les conditions de compréhension mutuelle des émotions de chacun permettant d’aller au base de leur conflit.</p>
<p>Une autre de ces démarches innovantes « québecoises », le co-développement professionnel, vise, elle aussi, à renforcer l’intelligence relationnelle. Il s’agit d’une méthode qui se développe à la fin des années 1990 afin d’améliorer les relations interpersonnelles dans un groupe. L’animateur, à l’instar du médiateur, est formé pour accompagner un groupe de 5 à 8 personnes volontaires qui se réunit à intervalle régulier.</p>
<p>L’animateur est le garant du cadre (confidentialité, objectifs, horaire, structuration des échanges, etc.), comme le médiateur. Chaque séance aborde une difficulté professionnelle réellement rencontrée par un des participants. Tous les participants proposent des solutions, après avoir pris le temps de comprendre le problème exposé. Ils prennent conscience de l’importance de l’apport d’autrui tout autant que de la nécessaire humilité face à la propre vulnérabilité de chacun : encore un processus de décentrement.</p>
<h2>(Ré)apprentissages</h2>
<p>L’étude approfondie de ce dispositif dans le cadre d’une <a href="https://www.theses.fr/2022HESAC005">thèse de doctorat</a>, menée auprès d’une grande mutuelle française, a mis en exergue que les salariés et managers qui pratiquent le codéveloppement dressent trois constats majeurs.</p>
<p>D’abord, l’entreprise doit proposer des espaces-temps pour que les personnes puissent assumer et dévoiler leur vulnérabilité et leurs émotions dans un cadre de sécurité psychologique. Aussi, chacun des participants cherche à faire preuve d’intelligence relationnelle en (ré)apprenant des capacités d’écoute active, de questionnement, de non-jugement et d’humilité permettant d’entrer en relation de manière authentique et fluide avec autrui.</p>
<p>Enfin, la figure et le rôle de l’animateur sont, là aussi, déterminants dans l’orchestration de relations harmonieuses entre les personnes. La posture de l’animateur du co-développement illustre l’importance d’établir un système de régulation des échanges et de respect d’un cadre déontologique collectif en entreprise.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-democratie-liquide-sur-les-traces-dune-metaphore-a-succes-170127">La « démocratie liquide » : sur les traces d’une métaphore à succès</a>
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<p>Ces démarches contribuent ainsi à créer du lien et à améliorer la qualité des échanges entre les personnes, qui (ré)apprennent le sens du relationnel. Les participants acquièrent les capacités de donner, d’échanger, de partager, de montrer leur vulnérabilité sans crainte. Ce sont tous ces (ré)apprentissages qui forment l’intelligence relationnelle, entendue comme la capacité à dépasser les comportements individualistes pour comprendre l’autre dans une dynamique collective.</p>
<p>Le problème est que ces démarches sont toujours déployées séparément, alors qu’elles sont complémentaires. Ainsi, il faut les envisager comme étant un dispositif, notion <a href="https://www.pdcnet.org/symposium/content/symposium_2008_0012_0001_0044_0066">développée par le philosophe Michel Foucault en 1994</a>, qui renvoie à la façon dont une société (re)structure les liens entre ses membres par différentes actions. L’intelligence relationnelle s’inscrit ainsi dans une vision systémique, à travers un dispositif qui articule différentes démarches complémentaires. Ce sont à ces conditions que vont pouvoir exister des modes de travail horizontaux générateurs de coopération, tout autant que de bien être et d’efficacité.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/195586/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>François Silva est membre d'un certain nombre d'associations académiques (AGRH, IAS.....) </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Victor Combes ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Médiation, groupe de parole… Des démarches visant à (ré)apprendre à communiquer avec autrui se déploient pour tenter de mieux répondre aux nouvelles attentes vis-à-vis du travail.Victor Combes, Enseignant-chercheur en sciences de gestion, ICD Business SchoolFrançois Silva, Directeur de la recherche et du corps professoral, ICD Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1953002022-12-04T17:38:28Z2022-12-04T17:38:28ZMacron, incarnation de la « théorie des paradoxes » et de ses limites ?<p>Depuis très longtemps, le concept de paradoxe est mobilisé et utilisé <a href="https://fnege-medias.fr/fnege-video/quest-ce-que-la-theorie-des-paradoxes/">dans de nombreuses disciplines scientifiques (psychologie, histoire, anthropologie…)</a>. Il a notamment pris une place importante en management et en sciences de gestion pour expliquer les organisations et leurs stratégies. Il offre une grille de lecture intéressante au moment d’essayer d’analyser l’approche stratégique d’Emmanuel Macron en matière environnementale.</p>
<p>Wendy Smith et Marianne Lewis, deux chercheuses américaines reconnues pour leurs travaux sur ce sujet, <a href="https://journals.aom.org/doi/abs/10.5465/amr.2009.0223">définissent le paradoxe</a> comme une « contradiction reliant des éléments qui semblent logiques lorsqu’ils sont pris isolément mais qui deviennent irrationnels, inconsistants, voire absurdes, lorsqu’ils sont juxtaposés ».</p>
<p>La « théorie des paradoxes » se fonde sur l’idée que les individus et organisations sont en permanence confrontés à des situations paradoxales et à des injonctions contradictoires indissociables. Elle met en lumière les tensions provoquées par les paradoxes au sein des organisations par exemple faire cohabiter projets à court terme et projets à long terme, rechercher une meilleure qualité tout en augmentant les quantités, offrir plus d’autonomie aux personnes tout en les contrôlant, pratiquer la <a href="https://fnege-medias.fr/fnege-video/quest-ce-que-la-coopetition/">coopétition avec des compétiteurs</a>…</p>
<p>Les chercheurs Marshall Scott Poole and Andrew H. Van de Ven ont montré <a href="https://journals.aom.org/doi/abs/10.5465/AMR.1989.4308389">dans leurs travaux</a> qu’il existait quatre stratégies possibles pour répondre aux tensions qui découlent de ces paradoxes : la séparation spatiale entre les deux phénomènes contradictoires ; la séparation temporelle ; la synthèse ; et enfin l’acceptation de leur existence.</p>
<h2>Le « en même temps » macronien, une approche par les paradoxes</h2>
<p>La « théorie des paradoxes » telle qu’elle existe en sciences de gestion offre une grille de lecture qui s’adapte particulièrement bien à la méthode stratégique d’Emmanuel Macron.</p>
<p>Emmanuel Macron n’est pas le premier président français à devoir affronter des situations paradoxales. Deux éléments marquent cependant une différence avec les situations antérieures. D’abord, les interactions croissantes et chaque jour plus complexes entre les activités humaines ont des effets collatéraux de plus en plus <a href="https://www.theguardian.com/commentisfree/2021/sep/29/green-growth-economic-activity-environment">difficiles à maitriser</a> et multiplient les tensions. Surtout, Emmanuel Macron, en revendiquant une approche mettant en avant la complexité des choses et la nécessité de mener les projets <a href="https://theconversation.com/et-en-meme-temps-une-pensee-macronnienne-de-la-complexite-77917">« en même temps »</a> a adopté une approche qui fait écho aux principales caractéristiques de la théorie des paradoxes.</p>
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<p>Selon cette approche, dans le cadre d’un paradoxe, les deux phénomènes contradictoires qu’il faut gérer ne sont pas dissociables et il n’est donc pas possible de choisir entre l’un ou l’autre. Le paradoxe <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-gestion-2018-5-page-71.htm">se distingue sur ce point du dilemme</a> qui concerne deux injonctions entre lesquelles il est possible de choisir. En réaffirmant l’indépendance de la France tout en faisant la promotion d’une Europe plus souveraine, en s’opposant à l’invasion russe en Ukraine tout en <a href="https://www.france24.com/en/france/20221019-macron-s-en-m%C3%AAme-temps-on-putin-leaves-france-s-reputation-hanging-in-the-mix">continuant de dialoguer</a> avec Vladimir Poutine ou en essayant d’élargir sa majorité tout en poursuivant la mise en place de certaines mesures clivantes de son programme de 2022, Emmanuel Macron met en place des stratégies qui font coexister deux phénomènes contradictoires.</p>
<h2>La méthode « macronienne » face à la question environnementale</h2>
<p>Emmanuel Macron utilise la même méthode au moment d’aborder la question de la préservation de la planète et de la pérennité de notre modèle de croissance économique.</p>
<p>L’écologie et la défense de l’environnement ont été présentées comme des <a href="https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/ecologie">priorités de l’action publique par Emmanuel Macron</a> lors de son élection de 2017 et dans le cadre de sa réélection de 2022.</p>
<p>Malgré la présence de Nicolas Hulot comme ministre de l’Environnement et un programme présenté comme ambitieux et volontariste, le bilan écologique du premier quinquennat a été jugé sévèrement <a href="https://www.greenpeace.fr/ecologie-climat-bilan-emmanuel-macron/">par les principales organisations aux avant-postes du combat environnemental</a>. En 2022, Emmanuel Macron a pourtant réaffirmé son ambition en la matière et le caractère prioritaire de cette question en rattachant le secrétariat de la planification écologique directement à la 1<sup>re</sup> ministre et en mettant en avant les missions des deux ministères de l <a href="https://learnandconnect.pollutec.com/transition-ecologique-et-energetique-au-gouvernement-qui-fait-quoi/">a transition écologique et de la transition énergétique</a>.</p>
<p>En matière de communication, il adopte aussi une posture de premier plan en publiant des vidéos <a href="https://www.bfmtv.com/politique/gouvernement/climat-emmanuel-macron-defend-son-bilan-en-video-sur-les-reseaux-sociaux_VN-202211130253.html">défendant les avancées de son action écologique sur les réseaux sociaux</a>.</p>
<h2>Des difficultés à mobiliser</h2>
<p>Mais la multiplication des <a href="https://www.un.org/fr/climatechange/reports">signaux de dégradation de l’état de la planète</a> interroge le bien-fondé de l’approche paradoxale défendue jusqu’ici par Emmanuel Macron et pose plusieurs questions clefs : sera-t-il obligé d’en changer ? Réussira-t-il à la maintenir malgré l’urgence de la situation ? Décidera-t-il de se tourner vers une approche considérant la situation comme un dilemme qui l’obligerait à choisir entre croissance économique et préservation de la planète ?</p>
<p>En matière environnementale, Emmanuel Macron défend pour le moment une ligne libérale pariant sur le progrès technique et la croissance verte. Sa stratégie est basée sur l’idée que croissance économique soutenue et préservation de la planète peuvent aller de pair et qu’il faut donc accepter l’existence de ce paradoxe et mener leur poursuite en parallèle.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/_FmtLxUk5C4?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Emmanuel Macron a lancé sur sa chaîne YouTube des séquences pour répondre aux questions des Français sur l’écologie et l’environnement.</span></figcaption>
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<p>La réunion qui a eu lieu à l’Élysée pour inciter les <a href="https://www.usinenouvelle.com/editorial/l-elysee-veut-accelerer-la-decarbonation-des-50-sites-industriels-francais-les-plus-emetteurs-de-co2.N2063977">50 sites industriels français les plus émetteurs de CO₂ à décarboner</a> leurs activités illustre cette approche. Le projet de décarbonation est clair : il faut verdir les moyens de production et les activités des sites concernés pour conserver la croissance économique la plus forte possible. Mais l’idée que la décarbonation puisse passer par une baisse de la production et potentiellement de la croissance n’est pas envisagée.</p>
<p>Pourtant, la prise de conscience sur les difficultés à privilégier à tout prix la croissance économique sans mettre en danger la préservation de la planète semble <a href="https://www.xerficanal.com/economie/emission/Olivier-Passet-La-sobriete-est-elle-un-poison-ou-un-bon-filon-pour-le-capitalisme-_3751080.html">gagner du terrain</a>. Le fait qu’Emmanuel Macron éprouve certaines <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/10/27/emmanuel-macron-en-retard-d-une-vision_6147532_3232.html">difficultés à mobiliser l’ensemble des Français autour d’un projet environnemental crédible et fédérateur</a> fait écho à cette évolution. La question de la pertinence de la stratégie du « en même temps » en la matière n’est peut-être pas étrangère à cette absence d’adhésion.</p>
<h2>Le rôle central de la sobriété</h2>
<p>La guerre en Ukraine et la crise énergétique ont mis sur le devant de la scène le concept de sobriété, qu’Emmanuel Macron a <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2022/10/06/emmanuel-macron-une-conversion-contrainte-a-la-sobriete_6144702_823448.html">grandement contribué à populariser</a>. Il s’en est emparé pour donner une direction à sa lutte contre le réchauffement climatique. Mais la <a href="https://www.xerficanal.com/economie/emission/Olivier-Passet-La-sobriete-est-elle-un-poison-ou-un-bon-filon-pour-le-capitalisme-_3751080.html">notion de sobriété se pare de plus en plus des caractéristiques de la décroissance</a> en préconisant une réduction de l’activité économique et en interrogeant les bienfaits de la croissante verte.</p>
<p>Le glissement sémantique qui est en train de s’opérer entre les termes de « décroissance » et de « sobriété » est intéressant car il est très éloigné du sens donné au mot au départ par Emmanuel Macron. La sobriété commence au contraire à lentement servir de cheval de Troie aux idées décroissantes et rend acceptable la remise en cause d’une société entièrement centrée sur la croissance pour progresser et se développer.</p>
<p>Quoi qu’il advienne du concept de sobriété, la problématique environnementale représente un défi de taille pour l’approche stratégique paradoxale utilisée jusqu’ici par Emmanuel Macron tant elle pose une <a href="https://news.un.org/fr/story/2022/02/1115262">question existentielle majeure</a> compte tenu de nos modes de vie et des ressources naturelles disponibles. Alors que certaines critiques de la « théorie des paradoxes » commencent à émerger et à montrer les <a href="https://journals.sagepub.com/doi/pdf/10.1177/1476127017739536">limites de cette grille de lecture</a>, il sera intéressant de voir combien de temps il parviendra à la conserver.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/195300/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Olivier Guyottot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La « théorie des paradoxes » se fonde sur l’idée que les individus et organisations font face à des injonctions contradictoires indissociables. Emmanuel Macron l’incarne tout particulièrement.Olivier Guyottot, Enseignant-chercheur en stratégie et en sciences politiques, INSEEC Grande ÉcoleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1915432022-09-30T11:18:57Z2022-09-30T11:18:57ZVerdict France Télécom : une nouvelle « logique de l’honneur » en entreprise ?<p>Ce vendredi 30 septembre, la cour d’appel de Paris a rendu un verdict particulièrement attendu dans le procès des dirigeants de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/france-telecom-71183">France Télécom</a> pour <a href="https://theconversation.com/fr/topics/harcelement-moral-71371">harcèlement moral</a> après une vague de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/suicide-36096">suicides</a> de salariés chez l’opérateur dans les années 2000.</p>
<p>La cour <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/09/30/harcelement-moral-a-france-telecom-peine-allegee-en-appel-pour-l-ex-pdg-didier-lombard_6143819_3224.html">a réduit les peines prononcées en première instance</a>. L’ex-PDG Didier Lombard, aujourd’hui âgé de 80 ans, et l’ex-numéro deux Louis-Pierre Wenès ont chacun ainsi écopé d’un an de prison avec sursis (contre une peine de prison ferme avec quatre mois de sursis en première instance), assorti de 15 000 euros d’amende. Deux autres prévenus ont également été sanctionnés moins lourdement en appel qu’à l’issue du premier procès.</p>
<p>Non seulement le verdict, mais aussi les comportements, notamment émotionnels, des principaux prévenus, en particulier de l’ex-PDG, se sont distingués de ceux observés dans le précédent procès. Et ces changements individuels pourraient en entrainer d’autres, plus systémiques, dans les entreprises françaises, comme nous allons le voir.</p>
<p>Comme cela fut observé par plusieurs journalistes, ce ne sont pas des larmes furtives, mais des <a href="https://www.lesechos.fr/tech-medias/hightech/proces-france-telecom-decision-le-30-septembre-1771661">« sanglots » qui sonnèrent la fin des audiences de ce procès</a>. Le haut fonctionnaire et président d’entreprise Didier Lombard semblait avoir donc fendu l’armure, en dévoilant, volontairement ou non, sa part de fragilité. La figure hiératique, droite dans son costume-cravate, masquant ses émotions, s’est alors effacée, un moment, derrière le visage d’un être qui montre son désarroi face à un drame humain massif. Les ex-dirigeants, accusés de « harcèlement moral institutionnel », ont paru, enfin, clairement exprimer leur désarroi, et leur préoccupation pour les victimes parmi les employés et cadres du groupe.</p>
<p>Cette attitude observée à la fin des audiences du procès en appel tranche avec la position de la défense lors de la première audience. Celle-ci s’était ouverte avec l’image de <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/05/12/a-l-ouverture-du-proces-en-appel-de-france-telecom-des-prevenus-en-colere_6125708_3224.html">prévenus en colère</a>. Le premier jour, Didier Lombard s’était dit « profondément blessé » par les attendus du jugement » ; son bras droit, Louis-Pierre Wenès, déclara que le jugement l’a tellement rempli de colère et d’émotion » qu’« il lui a fallu des semaines pour pouvoir le lire ». Le jugement de première instance, pourtant, soulignait « les qualités humaines, d’écoute, de respect, d’échanges dont sont indiscutablement pourvus les prévenus et dont ils ont témoigné au cours de leur parcours professionnel ».</p>
<p>C’est l’un des faits marquants de ce procès d’appel : les ex-dirigeants ont exprimé leurs émotions avec beaucoup plus de liberté que pendant la première audience.</p>
<p>Mais il nous faut aussi essayer de comprendre pourquoi et comment les prévenus ont pu passer de l’expression de leur indignation face à leur situation individuelle, à l’expression appuyée de compassion devant une souffrance collective au travail. Et des implications possibles, à terme, de ce changement pour les entreprises.</p>
<h2>Des droits et devoirs liés au statut</h2>
<p>Lors du premier procès, les prévenus ont paru parfois peu ouverts. Selon le réquisitoire, « la seule chose qu’ils veulent entendre, c’est que leur action était <a href="https://www.dalloz-actualite.fr/flash/proces-france-telecom-quoi-ca-sert-d-etre-chef-si-vous-n-assumez-rien#.YzVm9C8RpQI">indispensable au sauvetage de l’entreprise</a> ». L’ancien PDG soutenait ainsi que les dégâts sociaux et humains du plan qu’il avait conçu avec ses collaborateurs étaient dus à une « rupture, à un moment donné, dans la chaîne hiérarchique ». Autrement dit, il n’aurait fait que son devoir, alors que certains de ses collaborateurs y auraient failli.</p>
<p>Plus généralement, la logique de justification des dirigeants français, bien longtemps avant les faits reprochés aux anciens dirigeants de France Télécom, avait été décrite par le sociologue des organisations Philippe d’Iribarne, dans une vaste étude comparative internationale. Il l’a appelée « <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/la-logique-de-l-honneur-gestion-des-entreprises-et-traditions-nationales-philippe-d-iribarne/9782020107099">logique de l’honneur</a> ». Selon cette logique, les dirigeants français justifient leurs comportements par les droits et les devoirs qu’ils attribuent à leur statut.</p>
<p>Ce modèle a été utilisé pour tenter de comprendre et prévoir le comportement des cadres français dans de nombreuses recherches en sciences de gestion, dont une de <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/ncmr.12103">nos études académiques portant sur l’interculturalité</a>, où nous analysons les perceptions mutuelles des comportements des négociateurs latino-américains et français. Nous avons relevé dans nos entretiens et analyses que l’attitude des négociateurs français était parfois perçue par leurs interlocuteurs comme des marques d’intransigeance, voire d’« arrogance » (sic). Ce qui rejoint, à propos des ex-dirigeants de France Télécom, les mots cinglants de la procureure : « <a href="https://www.dalloz-actualite.fr/flash/proces-france-telecom-quoi-ca-sert-d-etre-chef-si-vous-n-assumez-rien#.YzVm9C8RpQI">ils ont l’exaltation de ceux qui détiennent la vérité</a> ».</p>
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<p>Les émotions, dans cette « logique de l’honneur », ne sont pas absentes, mais sont souvent retenues, contenues. Par exemple, Napoléon Bonaparte écrivait à Frédéric VI, à propos de la meurtrière campagne de Russie : <a href="https://www.napoleon.org/histoire-des-2-empires/articles/correspondance-generale-de-napoleon-bonaparte-tome-13-le-commencement-de-la-fin-janvier-juin-1813-introduction-au-volume/">« mes pertes sont réelles, mais l’ennemi ne peut s’en attribuer l’honneur »</a>. De même, pendant le premier procès de l’opérateur, l’attitude et le comportement des prévenus, dans l’ensemble, firent transparaître peu d’empathie. Dans cette vision de la « logique de l’honneur », le dirigeant, comme l’ex-PDG de France Télécom, se doit avant tout d’être, selon l’expression utilisée jadis par un premier ministre français face à de longues grèves, « droit dans ses bottes ».</p>
<p>Suivant cette « logique de l’honneur », être accusé d’avoir négligé un devoir sonne comme un lourd reproche, qui peut libérer des émotions fortes, et des sentiments d’indignation. Ainsi s’expliquerait, comme relevé par les juges, que, même en première instance, « les prévenus […] ont même manifesté un <a href="https://www.challenges.fr/entreprise/harcelement-moral-a-france-telecom-debut-du-proces-en-appel-des-anciens-dirigeants_812767.">profond sentiment d’incompréhension, voire d’injustice</a> ».</p>
<p>Cette colère n’a probablement pas été apaisée par le jugement qui suivit, qui condamna l’ancien PDG et son bras droit à des peines de prison ferme ainsi qu’à des amendes. Ce sentiment d’incompréhension explique peut-être, pourquoi, à la différence de l’entreprise jugée et – condamnée – comme personne morale (Orange – ex. France Télécom), les ex-dirigeants ont souhaité tous faire appel (seul l’un d’eux s’est par la suite désisté). Selon le mot d’un conseil d’un prévenu, son client entendait « contester le jugement rendu (en première instance) <a href="https://www.challenges.fr/entreprise/harcelement-moral-a-france-telecom-debut-du-proces-en-appel-des-anciens-dirigeants_812767.">dans toutes ses composantes</a> ».</p>
<h2>Un renouvellement de la « logique de l’honneur » ?</h2>
<p>Sur le fond, pendant ce second procès, les arguments des parties en présence n’ont pas beaucoup changé par rapport au premier procès. La défense a fait valoir une approche étroite de la « logique de l’honneur » que les dirigeants voulaient sauver l’entreprise, qu’ils n’avaient pas eu l’intention de nuire aux salariés, et n’avaient pas été impliqués personnellement dans les pratiques de harcèlement. Ce qui a été d’ailleurs reconnu par le jugement de première instance.</p>
<p>De leur côté, les procureurs ont argumenté que lorsqu’il est établi que des pratiques de harcèlement découlent directement de la stratégie de l’entreprise, les auteurs de cette stratégie – à savoir les dirigeants – en demeurent responsables. Quand bien même les personnes harcelées sont séparées des dirigeants par plusieurs niveaux hiérarchiques. En effet, selon l’avocat général, la politique de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/ressources-humaines-rh-120213">ressources humaines</a> fut fixée « en <a href="https://www.lefigaro.fr/societes/harcelement-moral-a-france-telecom-des-peines-alourdies-requises-au-proces-en-appel-20220624">haut de façon quasi militaire</a> et déclinée à tous les niveaux de la hiérarchie ».</p>
<p>Ce matin, la cour d’appel a eu, sur les faits, la même lecture que les juges en première instance, qui avaient estimé que la fin (sauver l’entreprise) ne peut justifier le moyen invoqué (la création d’un climat anxiogène). Ce jugement d’appel confirme donc la nouvelle notion de « harcèlement moral institutionnel » et la possibilité de condamner une stratégie d’entreprise, et ceux qui l’ont conçue et appliquée. Comme le précédent jugement, il sonne donc comme une charge contre une vision étriquée de la « logique de l’honneur », et sous-entend qu'elle doit inclure aussi une préoccupation pour le bien-être des personnes qui travaillent dans l’entreprise.</p>
<p>Dans ce procès en appel, les marques d’empathie observées finalement chez les prévenus, qui avaient paru longtemps engoncés dans une étroite « logique de l’honneur », les ont rendus, enfin, plus proches de la base de leur ancienne organisation, et de celles et ceux qui y travaillaient. Bien sûr, nous ne savons pas dans quelle mesure l’allègement des peines en appel est lié à la perception de changements d’attitudes et de comportements émanant des prévenus pendant le second procès, en particulier de l’ancien PDG de l’entreprise.</p>
<p>Mais surtout, au terme de ce second procès, semble émerger une vision plus empathique et inclusive de la « logique de l’honneur » que celle qui anime traditionnellement les dirigeants français. Cette approche de l’honneur, certainement, est plus satisfaisante, tant pour les entreprises et les personnes dont ils ont la responsabilité, que pour la société.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/191543/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sébastien Fosse ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Contrairement au premier procès, les ex-dirigeants en poste au moment de la vague de suicides dans les années 2000 ont montré leurs émotions devant la cour d’appel.Sébastien Fosse, Professeur de comportement organisationnel et de responsabilité sociétale, ESC Clermont Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1897312022-09-06T21:40:30Z2022-09-06T21:40:30ZLa France insoumise peut-elle se donner les moyens de ses ambitions ?<p>« Je souhaite être remplacé » : les <a href="https://reporterre.net/Jean-Luc-Melenchon-Je-souhaite-etre-remplace">mots sont ceux de Jean-Luc Mélenchon</a>, lors d’un entretien avec Reporterre, au cours duquel le fondateur de La France insoumise aborde la question sensible de sa succession. Le sujet s’est parfois immiscé dans les conversations pendant l’<a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-temps-du-debat-d-ete/le-temps-du-debat-du-mercredi-24-ao%C3%BBt-2022-8751073">université d’été</a> – les <a href="https://amfis2022.fr/">Amfis</a> – de la France insoumise édition 2022, qui a donné lieu aux traditionnelles discussions sur les « refondations » à engager.</p>
<p>Dans le sillage du <a href="https://www.francetvinfo.fr/elections/presidentielle/resultats-presidentielle-2022-jean-luc-melenchon-termine-troisieme-du-premier-tour-avec-20-1-des-voix-selon-notre-estimation-ipsos-sopra-steria_5063749.html">résultat</a> de Jean-Luc Mélenchon à l’élection présidentielle (21,95 % des voix au premier tour) et des <a href="https://www.francetvinfo.fr/elections/legislatives/resultats-des-legislatives-2022-la-nupes-obtient-149-sieges-et-devient-la-premiere-force-d-opposition-selon-notre-estimation-ipsos-sopra-steria_5201320.html">scores de la Nupes</a> aux élections législatives, les débats ont beaucoup tourné autour de l’électorat cible de la France insoumise et des moyens à mettre en œuvre pour conquérir <a href="https://blogs.mediapart.fr/antoine-sallespapou/blog/170422/lecons-du-10-avril">« ceux qui manquent »</a>, convaincre les « fâchés mais pas fachos » et partir à l’assaut des campagnes populaires, comme le martèle le député de la Somme <a href="https://www.liberation.fr/politique/francois-ruffin-jusquici-nous-ne-parvenons-pas-a-muer-en-espoir-la-colere-des-faches-pas-fachos-20220413_5SLOQ2OMTVDYPG3IPAM5OTXGTA/">François Ruffin</a>.</p>
<p>D’autres enjeux, moins médiatisés, se jouent en interne concernant la structuration organisationnelle du parti, comme en témoignent l’intervention très remarquée de Clémentine Autain sur son <a href="https://clementine-autain.fr/lfi-franchir-un-cap-pour-gagner/">blog personnel</a> ou la récente contribution du sociologue <a href="https://www.contretemps.eu/france-insoumise-construction-mouvement-politique-populaire/">Étienne Pénissat</a>. Tous deux soulignent la nécessité de dépasser la forme originelle <a href="https://le1hebdo.fr/journal/melenchon-dit-tout/174/article/l-insoumission-est-un-nouvel-humanisme-2481.html">« gazeuse »</a> du mouvement pour adapter son organisation à la séquence politique à venir.</p>
<h2>Un cœur battant au Palais Bourbon</h2>
<p>La France insoumise a tiré profit de la nouvelle donne parlementaire. Avec ses 75 élus, le parti a plus que quadruplé son nombre de députés. Surtout, les élections législatives ont propulsé à l’Assemblée nationale des chevilles ouvrières de LFI, à l’image de Clémence Guetté, jusqu’alors secrétaire générale du groupe parlementaire et coordinatrice du programme, ou de Paul Vannier, co-responsable de l’espace élections. Manuel Bompard, l’un des principaux stratèges du parti, a lui aussi migré du Parlement européen vers le Palais Bourbon.</p>
<p>Même en l’absence de Jean-Luc Mélenchon, dont le rôle à venir est encore incertain, le cœur du réacteur insoumis est plus que jamais implanté à l’Assemblée nationale. Cette phase de croissance institutionnelle ouvre de nouvelles perspectives au mouvement créé en 2016 : accès à certains postes clés de l’Assemblée, visibilité médiatique accrue, <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2022/06/21/comment-les-resultats-des-legislatives-vont-affecter-les-finances-des-partis-politiques_6131386_823448.html">doublement du financement public perçu chaque année</a>, opportunités de professionnalisation pour des militants recrutés en tant qu’assistants parlementaires, etc.</p>
<p>Mais la centralité du groupe parlementaire dans l’ossature du mouvement soulève également nombre de questions quant à l’avenir d’une organisation jusqu’ici très centralisée et conçue sur mesure pour les campagnes électorales nationales.</p>
<h2>Le mouvement « gazeux » à l’épreuve de l’implantation locale</h2>
<p>La France insoumise figure parmi ces nouvelles entreprises politiques, à l’instar de Podemos en Espagne ou du Mouvement cinq étoiles italien, qui ont récusé dans les années 2010 les formes traditionnelles de structuration partisane pour revendiquer l’appellation de « mouvement ». Cela se traduit notamment par l’assouplissement de l’adhésion et l’absence de strates intermédiaires entre le groupe dirigeant et la base militante.</p>
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<p>La France insoumise n’a donc pas mis en place d’instances territoriales ni désigné ou élu des référents locaux. Ce choix tranche avec le fonctionnement d’autres grands partis, organisés en fédérations à l’échelle des départements, ou des régions pour Europe Écologie–Les Verts. À LFI, le maillage territorial repose tout entier sur les groupes d’action (GA) qui réunissent les militants à l’échelle d’une ville ou d’un quartier sans – sur le papier – la possibilité de mettre en place des coordinations à un échelon supérieur.</p>
<p>Élaboré pour concentrer les efforts sur le scrutin présidentiel, limiter la bureaucratisation du parti et prévenir l’apparition de baronnies locales, comme l’a bien expliqué le politiste <a href="https://journals.openedition.org/crdf/301">Rémi Lefebvre</a>, ce modèle peut-il perdurer dans les prochaines années ?</p>
<p>Jusqu’ici, la France insoumise s’est accommodée de cette structure souple et d’une base militante en grande partie évanescente, caractérisée par des engagements intermittents, affluant et refluant au gré des séquences de mobilisation électorale. La pérennité de ce modèle au cours des cinq dernières années tient en partie à son intériorisation par des militants pétris par la culture de l’action dispensée par le groupe dirigeant, constitué autour du groupe parlementaire et des quelques permanents au siège parisien du parti.</p>
<h2>La primauté à l’action de terrain</h2>
<p>Qu’ils soient novices ou qu’ils conçoivent leur militantisme insoumis comme le complément d’un engagement associatif ou syndical, ceux-ci, lors de mes entretiens, décrivent volontiers leur investissement comme exclusivement tourné vers l’action de terrain – à savoir le travail de mobilisation électorale – et désencombré des querelles intestines et des rigidités bureaucratiques qui caractérisent selon eux les partis traditionnels.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/lfi-du-pari-a-la-mutation-185571">LFI : du pari à la mutation ?</a>
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<p>Cette culture partisane a toutefois été mise à l’épreuve par les dernières élections territoriales. En « enjambant » les <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2019/10/21/la-france-insoumise-veut-enjamber-les-elections-municipales_6016317_823448.html">élections municipales de 2020</a> et en plaçant au second plan les élections départementales et régionales en 2021, la direction de la France insoumise a pu susciter un sentiment d’abandon chez une partie des militants impliqués localement dans ces séquences électorales, qui s’est traduit par une certaine lassitude et par le désir d’une structure plus formalisée.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/482311/original/file-20220901-21-kp0mbh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/482311/original/file-20220901-21-kp0mbh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/482311/original/file-20220901-21-kp0mbh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/482311/original/file-20220901-21-kp0mbh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/482311/original/file-20220901-21-kp0mbh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/482311/original/file-20220901-21-kp0mbh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/482311/original/file-20220901-21-kp0mbh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Affiches réalisées par le Discord insoumis, à l’université d’été de la France insoumise, 27 août 2022.</span>
<span class="attribution"><span class="source">V. Dain</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>La croyance dans l’efficacité du « gazeux » s’est parfois effritée devant l’improvisation, la difficulté à coordonner les équipes militantes et à faire émerger des cadres clairement identifiés localement. Ces doutes ont pu être accentués par le contraste avec les partis rivaux à gauche qui, du fait d’une implantation ancienne et d’une organisation locale plus rodée, apparaissaient mieux armés pour affronter ce type de scrutins.</p>
<p>Cet enjeu de la structuration territoriale pourrait s’accentuer en préparation des futurs scrutins locaux. La conquête du pouvoir local est un défi que la France insoumise partage d’ailleurs avec la République en marche : les deux partis sont devenus incontournables au niveau national sans parvenir – sans chercher ? – à détrôner de leurs bastions institutionnels locaux des partis plus solidement ancrés.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/jean-luc-melenchon-larme-du-charisme-en-politique-159379">Jean-Luc Mélenchon : l’arme du charisme en politique</a>
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<h2>Concrétiser le « parti-mouvement » ?</h2>
<p>La culture de l’action professée par LFI est aussi éprouvée par le décalage entre l’autonomie théoriquement accordée aux groupes d’action et la faiblesse des moyens qui leur sont effectivement octroyés. Les militants sont nombreux à demander la mise en place d’un véritable mécanisme de financement des « GA » afin que ces derniers puissent louer des salles, organiser des formations, mener des actions sur leurs territoires, sans avoir à recourir, comme la plupart du temps aujourd’hui, à l’autofinancement.</p>
<p>Si ces demandes ne sont pas nouvelles, elles rencontrent davantage d’écho depuis le relatif succès du parti aux élections législatives, qui pose avec une acuité nouvelle la question du ruissellement des fonds partisans, et compte tenu de la volonté affichée par la France insoumise de <a href="http://www.regards.fr/actu/article/manuel-bompard-une-force-d-alternative-prete-a-gouverner-demain">« favoriser les dynamiques d’auto-organisation populaire »</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/482313/original/file-20220901-23-slnfjf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/482313/original/file-20220901-23-slnfjf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/482313/original/file-20220901-23-slnfjf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/482313/original/file-20220901-23-slnfjf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/482313/original/file-20220901-23-slnfjf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/482313/original/file-20220901-23-slnfjf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/482313/original/file-20220901-23-slnfjf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les cadres LFI : Adrien Quattenens,Manuel Bompard et Jean-Luc Mélenchon, université d’été de la France insoumise, 28 août 2022.</span>
<span class="attribution"><span class="source">V. Dain</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>La France insoumise a-t-elle l’ambition et les moyens de se constituer en un véritable « parti-mouvement » ? Pour le politiste <a href="https://sk.sagepub.com/reference/hdbk_partypol/n24.xml">Herbert Kitschelt</a>, le parti-mouvement désigne une organisation souple et peu formalisée qui importe dans la compétition partisane le répertoire d’action des mouvements sociaux, conjuguant activité parlementaire et mobilisations extra-institutionnelles.</p>
<p>LFI correspond déjà partiellement à cette formule. <a href="https://populisme.be/articles_sc/le-local-desinvesti-une-analyse-de-lancrage-territorial-de-podemos-et-de-la-france-insoumise/">Ses militants</a> participent de multiples mobilisations collectives et ont souvent pied dans le milieu associatif.</p>
<h2>Des engagements ambitieux mais à faible portée</h2>
<p>À ces multi-engagements (associatifs, syndicaux, au sein d’organisations contestataires) à la base s’ajoutent quelques initiatives portées par le groupe dirigeant, à l’image de la « marche contre le coup d’État social » au tout début du précédent quinquennat, et des votations citoyennes organisées sur le nucléaire ou sur <a href="https://eau.vote/">l’inscription du droit à l’eau dans la Constitution</a>.</p>
<p>Toutefois, les projets les plus ambitieux sur le papier n’ont pas eu la portée escomptée. Les pratiques de « community organizing », à l’image de la <a href="https://alliancecitoyenne.org/wp-content/uploads/2016/08/la_traverse_Alinsky_article.pdf">méthode Alinsky</a>, portées par le « pôle auto-organisation » de LFI, n’ont pas essaimé sur l’ensemble du territoire. À l’heure actuelle, la France insoumise est loin d’être parvenue à « se glisser dans tous les interstices de la société », comme le préconisait <a href="https://lvsl.fr/entretien-avec-manuel-bompard/">Manuel Bompard en 2017</a>.</p>
<p>LFI renouera-t-elle avec cette ambition mouvementiste dans les mois et les années à venir ou le parti empruntera-t-il une trajectoire similaire à celle de <a href="http://arbre-bleu-editions.com/podemos-par-le-bas.html">Podemos</a> ? Chez l’allié espagnol, les projets relatifs à l’auto-organisation populaire ont disparu de l’agenda partisan à mesure que le parti engrangeait des positions institutionnelles de premier plan.</p>
<p>En conséquence, les cercles de base se sont peu à peu vidés – ils comptaient, en 2020, 18 791 militants à jour de cotisation – et la capacité de mobilisation qui faisait à l’origine la force du parti s’est considérablement affaiblie.</p>
<p>Dans son discours de clôture des « Amfis », Jean-Luc Mélenchon exhortait les insoumis à lancer des collectes de fournitures scolaires pour la rentrée et à constituer des « escouades citoyennes » pour organiser la solidarité face aux conséquences du dérèglement climatique, en référence aux pluies diluviennes et aux inondations qui pourraient survenir à l’automne. Les propos du candidat insoumis à l’élection présidentielle sonnent comme une nouvelle réaffirmation de cette prétention mouvementiste, reste à voir dans quelle mesure ils seront traduits par l’organisation en des moyens et des dispositifs concrets.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/189731/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Vincent Dain ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Au sein du mouvement La France Insoumise, plusieurs débats concernant la structuration organisationnelle du parti et sa capacité à dépasser sa forme actuelle. Vers quoi ?Vincent Dain, Doctorant en science politique au Laboratoire Arènes, Université Rennes 1, Université de Rennes 1 - Université de RennesLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1872022022-09-06T21:40:19Z2022-09-06T21:40:19ZBonnes feuilles : « Religion, fait religieux et management »<p><em>« Religion, fait religieux et management », coordonné par Hugo Gaillard, Géraldine Galindo et Lionel Honoré aux éditions EMS, réunit à la fois des grands entretiens et des contributions académiques, autour de la place et des manières de considérer la religion dans la sphère professionnelle. Il s’adresse au lecteur curieux qui souhaite aiguiser sa réflexion sur un sujet en plein cœur de la société, <a href="https://theconversation.com/fait-religieux-en-entreprise-un-phenomene-devenu-objet-de-management-105896">devenu objet de management</a>.</em></p>
<p><em>L’ouvrage fait une bonne place à la contextualisation, notamment au lien historique entre entreprise et religion ou encore entre travail et religion. Il aborde également des questions opérationnelles telles que les stratégies de présentation de soi des femmes musulmanes voilées, les tensions de rôle qui vivent les managers de proximité, et comment les organisations peuvent y répondre par la formation. La comparaison internationale est également au menu, dans les hôpitaux publics du Royaume-Uni, du Québec, et de France.</em></p>
<p><em>Les bonnes feuilles que nous vous en proposons en témoignent.</em></p>
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<h2>Extrait #1. Une inculture religieuse française ? Grand entretien avec Pierre-Yves Gomez, par Lionel Honoré</h2>
<p><em>Dans ce grand entretien, Lionel Honoré interroge <a href="https://theconversation.com/profiles/pierre-yves-gomez-203521">Pierre-Yves Gomez</a>, professeur à l’EM Lyon, sur ce que dit le fait religieux de l’évolution du management, de l’entreprise et du travail. Extrait.</em></p>
<p><strong>Lionel Honoré :</strong> Selon vous, les <a href="https://www.institutmontaigne.org/publications/religion-au-travail-croire-au-dialogue-barometre-du-fait-religieux-en-entreprise-2020-2021">études sur les faits religieux en entreprise</a> font écho à notre façon particulière de concevoir la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/religion-20867">religion</a> dans la société et notamment de faire place à la religion musulmane ?</p>
<p><strong>Pierre-Yves Gomez :</strong> Je veux dire plus largement que ce que l’on dit sur le <a href="https://theconversation.com/fr/topics/fait-religieux-31975">fait religieux</a> nous éclaire autant sur lui que sur la manière dont la société considère le fait religieux. Quand elle n’en parle pas ou elle ne l’observe pas, c’est que l’appartenance religieuse des individus n’est pas une question, soit parce qu’elle imprègne toute la société, soit parce qu’elle est admise sans problème comme une référence parmi d’autres pour motiver les comportements. </p>
<p>L’intérêt nouveau pour le fait religieux révèle par contraste les embarras ou les inquiétudes de notre société pour se définir en tant que telle, selon sa capacité à reconnaître et à intégrer l’appartenance religieuse comme un registre possible et légitime pour justifier l’agir de citoyens réunis en communautés de croyances. En France en particulier, à partir des années 2000, la crispation croissante sur le phénomène religieux, et notamment sur l’<a href="https://theconversation.com/fr/topics/islam-21325">islam</a>, met au jour une difficulté parallèle à définir le périmètre et le contenu de la société civile dite « républicaine » et de donner du sens à ces mots.</p>
<p><strong>Lionel Honoré :</strong> Les relations entre les religions et les organisations sont anciennes. Certains outils et doctrines actuels de gestion sont d’inspirations religieuses ou ont des origines religieuses. En quoi est-ce un phénomène nouveau au regard de l’Histoire, y compris de l’histoire des <a href="https://theconversation.com/fr/topics/entreprises-20563">entreprises</a> ?</p>
<p><strong>Pierre-Yves Gomez :</strong> Nées en Occident, les entreprises ne sont pas issues de rien, elles ont hérité d’une culture, de représentations et d’une anthropologie enracinée en Europe et en Amérique dans le milieu chrétien. De même, les entreprises japonaises bénéficient de traditions et de valeurs du contexte shintoïste et les entreprises indiennes de l’hindouisme, etc. Donc la relation entre les entreprises et les religions n’est pas problématique par nature, car il serait absurde d’imaginer une étanchéité entre les sphères de la vie sociale que ce soient celles du travail, des rituels communs et des croyances religieuses. Plus encore, les religions ont explicitement influencé de nombreuses pratiques entrepreneuriales.</p>
<p>C’est le cas en Occident, des Églises ou des cercles de <a href="https://theconversation.com/le-role-meconnu-des-patrons-chretiens-en-france-94708">dirigeants chrétiens</a> qui sont à l’origine des allocations familiales au début du XX<sup>e</sup> siècle, de la responsabilité sociale des entreprises dans les années 1950 et, si on remonte plus loin dans le temps, du principe de subsidiarité, de la comptabilité en partie double ou de la notion de personne morale. On trouvera sans doute de même en Inde, au Moyen-Orient ou ailleurs, des œuvres directement inspirées par des acteurs et des corpus religieux. C’est pourquoi la crispation contemporaine sur le religieux de la part de certains observateurs nous parle moins du phénomène religieux en soi que des difficultés de le saisir aujourd’hui, dans notre société sans culture religieuse ».</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/WzylEjO8jl8?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">« Religion, fait religieux et management », interview d’Hugo Gaillard pour IQSOG/Xerfi canal (juillet 2022).</span></figcaption>
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<p><em>Dans la suite de l’entretien, sont abordés la hausse des références à des principes religieux dans le contexte du travail, le besoin de spiritualité et les différentes formes de spiritualité qui irriguent le travail ou encore le caractère conventionnel de la laïcité…</em></p>
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<h2>Extrait #2. La (non-)divulgation du voile en entretien d’embauche, par Sarra Chenigle</h2>
<p><em>Dans ce texte, <a href="https://theconversation.com/profiles/sarra-chenigle-1163671">Sarra Chenigle</a>, doctorante en science de gestion, Université Paris-Est Créteil Val-de-Marne (UPEC), met en avant les facteurs organisationnels et intrapersonnels qui poussent à divulguer ou non, de façon subie ou choisie, le port du foulard lors d’un entretien d’embauche. Extrait.</em></p>
<p>Le contact client est le premier facteur organisationnel poussant à une non-divulgation imposée durant l’entretien d’embauche. Bien que dans le secteur privé, la neutralité religieuse des salariés ne soit pas exigée et que tout salarié dispose du droit d’exprimer sa religion au travail, dans certains cas précis, cette liberté est limitée notamment lorsque le règlement intérieur de l’entreprise dispose d’une clause de neutralité, ici, en raison du contact client. La hijabi, consciente de cette exigence de neutralité va appliquer la réglementation.</p>
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<p>« Lorsque j’ai été recrutée, je savais que c’était un emploi en contact avec les clients. J’avais un poste de responsable d’équipe. Je travaillais en face de la clientèle donc c’était impossible pour moi de mettre le hijab. C’était écrit dans le règlement intérieur de l’entreprise. Je n’ai pas voulu parler du hijab à l’entretien d’embauche pour avoir le poste. » (responsable d’équipe, 22 ans)</p>
</blockquote>
<p>Le <em>dress code</em> est le deuxième facteur. Il correspond à l’ensemble des codes vestimentaires imposés par l’entreprise à certains ou tous les salariés et est inscrit dans le règlement intérieur. Les <em>hijabis</em> qui connaissent cette règle ne se présenteront pas avec le <em>hijab</em> le jour de l’entretien :</p>
<blockquote>
<p>« Je ne me suis pas présentée avec mon voile en entretien et je n’en ai pas parlé car c’est dans le dress code de l’entreprise. C’était impossible de travailler avec, je le savais. L’entreprise fournissait des vêtements spécifiques, c’était aussi dans le règlement intérieur. » (vendeuse dans le secteur du luxe, 25 ans)</p>
</blockquote>
<p>Le troisième facteur organisationnel dépend du secteur d’activité. Plus précisément, il concerne le secteur public où la neutralité est obligatoire et la dissimulation (du voile) exigée. Postuler dans la fonction publique exige d’emblée une suppression de tout signe religieux visible.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/stigmatisation-les-femmes-voilees-en-entreprise-contraintes-de-reorienter-leurs-carrieres-147504">Stigmatisation : les femmes voilées en entreprise contraintes de réorienter leurs carrières</a>
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<p>Tous comme les deux précédents facteurs, la posture organisationnelle dans ce type de situation fait référence à une posture de séparation où une frontière est créée entre la vie privée et la vie professionnelle. Conscientes de cette règle, les <em>hijabis</em> l’appliquent :</p>
<blockquote>
<p>« J’ai retiré mon voile lors de l’entretien d’embauche car c’était dans la fonction publique. Je me suis dit ‘si je viens avec le voile, ils ne vont pas accepter ma candidature, je sais qu’on à pas le droit de travailler avec. » (agent de cantine scolaire, 44 ans)</p>
</blockquote>
<h2>Extrait #3. La formation des managers pour réduire les tensions de rôle, par Jean-Christophe Volia</h2>
<p><em>Dans son texte, <a href="https://recherche.uco.fr/chercheur/jean-christophe-volia">Jean-Christophe Volia</a>, chercheur à l’Université catholique de l’Ouest, étudie le cas d’une grande organisation française de télécommunication dans laquelle il a conduit une recherche-intervention, et s’attarde sur le design d’une formation pour réduire les conflits de rôle des managers face au fait religieux. Extrait.</em></p>
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<p>S’agissant des conflits inter-émetteurs, c’est-à-dire lorsqu’une personne perçoit des incohérences, de l’incompatibilité entre les attentes formulées par deux ou plusieurs personnes, plusieurs points sont envisagés.</p>
<p>Le partage d’expérience : l’immersion doit faire émerger des anecdotes d’une grande complexité pour les managers. Il s’agit de susciter un partage d’expérience entre managers sur le dialogue avec l’équipe dans les situations évoquées (les arguments possibles, le dépaysement). En ce sens, insister sur la nécessité de prendre une décision collective avec le responsable des ressources humaines (RRH) de proximité paraît opportun pour constituer un émetteur de rôle perçu comme fort à l’égard des salariés.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/fait-religieux-en-entreprise-la-main-invisible-du-manager-intermediaire-148749">Fait religieux en entreprise : « la main invisible » du manager intermédiaire</a>
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<p>L’information disruptive : qu’il s’agisse d’une clarification autour du concept de laïcité et de ses implications sur le port de signes en entreprise, d’un rappel des critères potentiels de restriction du défenseur des droits et risques judiciaires encourus en cas de discrimination, ou encore d’une réaffirmation de la posture d’entreprise en matière de recrutement […], ces éléments sont envisagés afin de fournir au manager un panorama complet des repères légaux existants, susceptibles d’aiguiller ses prises de décision. Les informations fournies vont fréquemment à l’encontre des croyances et désidératas des managers.</p>
<h2>Extrait #4. Une comparaison des personnels d’hôpitaux publics entre Québec, Royaume-Uni et France, par Caroline Cintas, Sophie Brière, YingFei Gao Héliot et Florence Pasche Guignard</h2>
<p><em>Dans ce chapitre, la comparaison internationale réalisée par une équipe de chercheurs met au jour des pratiques originales et locales, qui donnent du relief à la question de l’expression religieuse au travail. Ici, nous proposons un extrait qui évoque les pratiques d’autorégulation des collectifs dans un hôpital du Royaume-Uni.</em></p>
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<p>Les employés de l’hôpital, pour atteindre des états compatibles d’identités religieuses et professionnelles, s’arrangent entre eux. Ils préfèrent ne pas faire appel à la hiérarchie locale ni au département des ressources humaines. Au lieu de cela, ils s’autorégulent. Par exemple, en fonction des confessions, ils s’échangent les congés annuels :</p>
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<p>« Je pense avoir vu quelques exemples d’échange de congés annuels, pendant la période de Noël. Des personnes d’origine particulière qui disent qu’elles ne peuvent pas travailler la veille ou le jour de Noël, mais qu’en échange, elles peuvent me remplacer un autre jour… J’ai pas mal d’exemples en tête où des personnes se sont rapprochées pour cette raison… » (manager, musulman)</p>
</blockquote>
<p>Afin de résoudre les problèmes de planning qui pourraient être liés aux fêtes religieuses, les soignants s’ajustent de manière informelle en s’échangeant les jours travaillés selon leur confession. Certains médecins musulmans n’hésitent pas à faire part de leurs besoins de prières en étant ouverts et proactifs :</p>
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<p>« Je suis devenu plus ouvert avec les gens. Par exemple, si je vais à une conférence, je suis beaucoup plus explicite maintenant sur le fait que je veux un espace tranquille. Parce que j’ai l’impression que je dois donner aux gens l’opportunité de planifier cela, de voir le meilleur de ces gens[…], je pense que nous devons rompre le silence et l’isolement. » (médecin, musulman)</p>
</blockquote>
<p>Les pratiques d’autorégulation des collectifs s’accompagnent aussi pour certains employés d’une anticipation des risques à révéler son identité religieuse. Cela peut se traduire par une baisse d’engagement, de motivation, mais aussi une peur d’être stigmatisé et de ne pas être perçu comme un “bon professionnel” ».</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/474601/original/file-20220718-76959-vda9cd.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/474601/original/file-20220718-76959-vda9cd.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/474601/original/file-20220718-76959-vda9cd.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=930&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/474601/original/file-20220718-76959-vda9cd.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=930&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/474601/original/file-20220718-76959-vda9cd.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=930&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/474601/original/file-20220718-76959-vda9cd.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1169&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/474601/original/file-20220718-76959-vda9cd.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1169&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/474601/original/file-20220718-76959-vda9cd.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1169&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.editions-ems.fr/livres-2/collections/questions-de-societe/ouvrage/695-religion,-fait-religieux-et-management.html">Éditions EMS (septembre 2022)</a></span>
</figcaption>
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<p><em>En réunissant une large communauté d’experts, cet ouvrage est une étape de plus vers une régulation apaisée et contextualisée de ce phénomène contemporain. Il permet à toute personne curieuse d’entrer progressivement dans le sujet, et permet aux praticiens d’acquérir les repères pratiques et théoriques fondamentaux pour gérer ce phénomène. Bonne lecture !</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/187202/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Hugo Gaillard est membre du Bureau et du CA de l'AGRH, du Pôle recherche de l'Observatoire ASAP, et de la Faculty du Business Science Institute. L'ouvrage évoqué dans cet article accueille des contributions de plusieurs enseignants-chercheurs de l'Association francophone de Gestion des Ressources Humaines (AGRH), soutien de sa publication.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Géraldine Galindo est membre de l'AGRH. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Lionel Honoré est rédacteur du rapport de l'Institut Montaigne sur la religion au travail et est membre de l'AGRH.</span></em></p>Un livre collectif publié le 8 septembre aux éditions EMS dresse un état des lieux de la recherche sur la place et les manières de considérer la religion dans la sphère professionnelle.Hugo Gaillard, Maître de conférences en Sciences de gestion, Le Mans UniversitéGéraldine Galindo, Professeur, ESCP Business SchoolLionel Honoré, Professeur des Universités, IAE de Brest, Université de Bretagne Occidentale, IAE BrestLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1869812022-08-24T22:58:24Z2022-08-24T22:58:24ZComment les DRH se représentent le travail de demain<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/473955/original/file-20220713-12-x8jru2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=31%2C6%2C1028%2C699&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L’évolution actuelle des pratiques de travail relève d’une transformation sociétale profonde.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://negativespace.co/man-work-comuter/ ">Negativespace</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Une <a href="https://www.groupeonepoint.com/fr/nos-publications/future-of-work-comment-travaillera-t-on-en-2035/">récente étude</a> du cabinet One Point publiée en 2022 souligne qu’un actif sur deux a déjà entrepris, pensé ou pense à une reconversion. Autre chiffre de cette étude, pour 93 % des personnes interrogées, les actifs changeront de nombreuses fois de métier au cours de leur carrière. Dans la presse se multiplient les <a href="https://start.lesechos.fr/travailler-mieux/vie-entreprise/generation-infidele-vraiment-et-si-les-entreprises-nactivaient-pas-les-bons-leviers-pour-retenir-les-talents-1413829">articles</a> et témoignages concernant les changements de carrière, de mode de vie, etc. avec en caisse de résonnance le phénomène de <a href="https://theconversation.com/le-mystere-de-la-grande-demission-comment-expliquer-les-difficultes-actuelles-de-recrutement-en-france-173454">« grande démission »</a> observable aux États-Unis.</p>
<p>Ce phénomène traduit une transformation sociétale profonde avec une évolution des pratiques de travail, notamment le développement du travail à distance avec une crise sanitaire qui a agi comme un catalyseur dans l’ensemble des secteurs d’activité. Cette transformation repose également sur le développement des technologies de l’Information et de la communication (TIC) qui ont engendré de nouvelles formes de travail déspatialisées et de nouveaux modes de gestion qui ont déjà été étudiés auparavant, mais souvent sous <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-gestion-2014-1-page-101.htm">l’angle du travail à distance</a>.</p>
<h2>De la flexibilité et du sens</h2>
<p>C’est dans ce contexte que le cabinet Obea et l’École de Management Léonard de Vinci ont décidé de lancer en 2022 une chaire sur les nouvelles expériences du travail (NeXT) qui a pour objectif d’identifier les impacts des changements de fonds dans au niveau des pratiques de travail des individus et des modes d’organisation au sein des entreprises. L’objectif de cette chaire est d’analyser également les innovations managériales, les agencements des espaces de travail et le rôle des TIC en tant qu’artefact de structuration des pratiques de travail.</p>
<p>Un premier travail a été réalisé avec une étude auprès d’un panel représentatif de 49 responsables des <a href="https://theconversation.com/fr/topics/ressources-humaines-rh-120213">ressources humaines</a> (DRH), issus d’entreprises de toutes tailles et de tous les secteurs, à partir d’un questionnaire en ligne diffusé entre mars et avril 2022, en parallèle d’un hackathon avec des étudiants sur le thème <a href="https://www.emlv.fr/dans-la-peau-dun-drh-un-hackathon-transversal-pour-imaginer-le-futur-du-travail/#:%7E:text=Pour%20r%C3%A9pondre%20%C3%A0%20ces%20questions,exp%C3%A9riences%20du%20travail%20OBEA%2D%20EMLV">« Le travail en 2030 : dans la peau d’un DRH »</a>.</p>
<p>Dans la <a href="https://www.obea.fr/2022/07/25/etude-prospective-futur-du-travail/">synthèse</a>, plusieurs tendances se dégagent. À la question posée, « quand vous pensez au travail de demain, quels mots vous viennent spontanément à l’esprit ? », les résultats montrent un impact important en matière d’organisation du travail avec les notions « d’hybride, de flexibilité et de sens ». Les deux premiers concepts sont très liés au travail à distance (notamment le télétravail) qui est étudié depuis de nombreuses années, mais dont la part était restée dans les faits <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-gestion-2010-3-page-61.htm">marginale jusque-là</a>.</p>
<p><iframe id="CUs2Z" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/CUs2Z/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>La notion « hybride » témoigne que le travail à distance n’est pas opposé au travail en présentiel et que la vraie problématique porte sur la répartition et l’encastrement organisationnel des deux modalités au sein d’une même organisation.</p>
<p>En effet, le travail à distance n’est pas forcément la reproduction des tâches d’un travail en présentiel et pose les questions, au-delà de ses modalités (nombre de jours, lieux, etc.), de l’éligibilité des profils et de la coordination du travail, tout en maintenant du sens et de l’engagement pour les collaborateurs.</p>
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<p>L’un des faits marquants est que l’on est passé d’un modèle où la norme était « travail en présentiel majoritaire/travail à distance minoritaire » à un modèle plus équilibré entre les deux modalités d’organisation (souvent on retrouve une norme de 2 à 3 jours de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/teletravail-34157">télétravail</a> dans les organisations). Or, même si le travail en présentiel reste prédominant comme modalité, le déplacement du curseur entre les deux modalités engendre des impacts très importants au sein des organisations.</p>
<h2>RSE et DD</h2>
<p>Concernant la question « selon vous, quelles sont les évolutions du travail de demain les plus positives ? (hiérarchisez les 3 points les plus importants parmi la liste suivante) », on retrouve trois dimensions assez marquées mais pas si éloignées des préoccupations des étudiants : le développement des compétences en continu, l’équilibre de vie et les aspects de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/responsabilite-societale-des-entreprises-rse-21111">responsabilité sociétale des entreprises</a> (RSE) et de développement durable (DD).</p>
<p><iframe id="8Y79a" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/8Y79a/2/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Dans le cadre de l’étude, la question a également été posée sur les impacts négatifs : « quelles sont vos craintes éventuelles lorsque vous imaginez le travail de demain ? (hiérarchisez les 3 points les plus importants parmi la liste suivante) ». Sans surprise, avec le développement du travail à distance et la <a href="https://www.lesechos.fr/idees-debats/leadership-management/travail-hybride-et-abus-doutils-du-digital-le-grand-ras-le-bol-des-managers-1415537">multiplication des outils</a>, on retrouve des facteurs comme la surconnexion, la surcharge informationnelle et l’isolement des collaborateurs.</p>
<p><iframe id="zFsC4" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/zFsC4/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>L’une des thématiques de la chaire sera d’étudier comment les TIC peuvent, en tant qu’artefact, contribuer à structurer les pratiques de travail et <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/10580530.2020.1818903">encastrer les modalités de travail</a> à distance et de travail en présentiel. La désynchronisation des espaces-temps et des lieux s’est accentuée et engendre de nombreuses problématiques managériales, avec également des pratiques et attentes intergénérationnelles très différentes au sein des organisations.</p>
<h2>Une incertitude croissante</h2>
<p>Enfin, une dernière partie de l’étude concernait les qualités et compétences principales à mettre en œuvre dans le travail de demain ? (hiérarchisez les cinq premières parmi la liste suivante). Les trois premiers facteurs cités (gérer l’incertitude, l’agilité et l’intelligence émotionnelle) peuvent être mis en perspective par rapport aux questions précédentes, à une difficulté croissante de savoir « de quoi demain sera fait » et une <a href="https://www.xerficanal.com/strategie-management/emission/Isabelle-Barth-Manager-de-l-incertitude-a-l-imprevisible-les-4-situations_3750324.html">incertitude croissante</a>, la pandémie du Covid-19 étant un marqueur fort dans les esprits des DRH.</p>
<p><iframe id="ndEe4" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/ndEe4/2/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Cela correspond d’ailleurs à une tendance dans les <a href="https://www.incertain.fr/">formations</a> proposées sur le management en environnement incertain et/ou complexe, notamment en executive education.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/186981/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sébastien Tran est membre de . </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Akim Berkani travaille pour le cabinet Obea en tant que consultant et chercheur, il est notamment co-créateur de la chaire de recherche NEXT créé en partenariat entre le cabinet Obea et l'EMLV.</span></em></p>Selon un panel de responsables des ressources humaines, les compétences en gestion de l’incertitude devraient notamment monter en puissance tandis que les organisations deviendront plus flexibles.Sébastien Tran, Directeur de l'École de Management Léonard de Vinci (EMLV), Pôle Léonard de VinciAkim Berkani, Chercheur, Université Paris Dauphine – PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.