tag:theconversation.com,2011:/ca-fr/topics/qualification-31481/articlesqualification – La Conversation2024-03-04T17:00:07Ztag:theconversation.com,2011:article/2236702024-03-04T17:00:07Z2024-03-04T17:00:07ZLes métiers très féminisés du soin et du lien : pourquoi il est urgent de les reconnaître à leur juste valeur<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/575958/original/file-20240215-22-zd1sk3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C5800%2C3881&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Pas toujours facile de prendre du temps pour chaque patient quand les tâches sont aussi nombreuses.</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>La crise sanitaire a mis en lumière l’importance sociale et sociétale des métiers du soin et du contact humain. Pourtant ces métiers, majoritairement exercés par des femmes, demeurent sous-valorisés, les tâches, les responsabilités et les difficultés auxquelles elles font face demeurant invisibilisées.</p>
<p>En 1983, la loi Roudy établissait le principe d’une <a href="https://theconversation.com/egalite-salariale-entre-les-femmes-et-les-hommes-que-dit-le-droit-177593">rémunération égale pour un travail de valeur égale</a>. Cependant, après quarante ans, cet objectif n’est toujours pas atteint. En France, les <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/6047789?sommaire=6047805">femmes continuent à percevoir des salaires inférieurs à ceux des hommes</a>. Et cette disparité s’explique en partie par le fait que les métiers les plus féminisés font l’objet de salaires plus faibles.</p>
<p>Afin de mieux comprendre le quotidien de ces métiers, leurs responsabilités, leurs conditions de travail, leurs rémunérations et leurs aspirations, nous avons mené une <a href="https://ires.fr/publications/cgt/investir-dans-le-secteur-du-soin-et-du-lien-aux-autres-un-enjeu-degalite-entre-les-femmes-et-les-hommes/">recherche</a> fondée sur leurs témoignages. Entre décembre 2021 et mars 2022, nous avons lancé pour l’Institut de recherches économiques et sociales (Ires), une consultation en ligne intitulée « Mon travail le vaut bien », en collaboration avec des syndicats et des associations professionnelles. Près de 7 000 salariés y ont participé, issus de quinze professions liées aux soins et au lien aux autres (aides-soignantes, infirmières, AESH, aides à domicile, etc.). Elles représentent près de 4 millions de personnes en France.</p>
<h2>Des métiers couteaux-suisses</h2>
<p>Ils et elles ne forment pas un groupe homogène, et présentent des différences en termes de statuts, de missions et de qualifications, évoluant dans divers environnements professionnels tels que les hôpitaux, les écoles, les Ehpad, au domicile des personnes ou bien chez elles. Pourtant, malgré cette diversité, ils et elles partagent de nombreux points communs.</p>
<p>Ces quinze professions partagent tout d’abord une gestion de charges émotionnelles intenses, des contraintes organisationnelles strictes et des fortes exigences physiques et mentales. Elles exigent une grande polyvalence, obligeant à jongler entre plusieurs tâches simultanément. Une infirmière témoigne :</p>
<blockquote>
<p>« Les interruptions de tâches sont notre quotidien : écouter les patients, répondre au téléphone, distribuer les médicaments… Et il faut tout faire en même temps ! »</p>
</blockquote>
<p>Au-delà des activités centrales de ces métiers, nous avons demandé aux enquêtés de nous donner un exemple de tâches réalisées en dehors de leur fonction. Le nuage de mots suivants en synthétise les réponses. Les activités administratives et de gestion ressortent en premier, viennent ensuite des tâches de soin, effectuées par des professionnelles du lien, par exemple une aide à domicile qui va aider à la prise de médicaments, ou inversement des métiers du soin qui vont devoir prendre en charge des activités d’entretien ou de surveillance.</p>
<h2>Des métiers pressés et pressants</h2>
<p>Répondre à toutes ces tâches exige du temps, une ressource qui manque cruellement pour la très grande majorité de ces métiers. Cela contraint parfois les professionnels à sacrifier la qualité des services ou à effectuer des choix entre les soins et les interactions sociales. Ils doivent également composer avec des interruptions constantes, jonglant d’une urgence à l’autre. Leur travail réel implique une capacité d’adaptation et une réorganisation continue de leurs activités. Une aide-soignante souligne l’intensité de son travail :</p>
<blockquote>
<p>« Je dois donner à manger à plusieurs personnes polyhandicapées tout en animant le repas et en prenant moi-même mon repas ».</p>
</blockquote>
<p>Certaines activités notamment administratives et de gestion entrent également en conflit avec l’essence même de ces métiers, générant une pression particulière. De plus, s’engager dans le quotidien des personnes en situation de handicap, des personnes âgées ou très jeunes, implique souvent des horaires de travail atypiques : débuter tôt le matin, finir tard le soir, travailler la nuit ou les week-ends.</p>
<p>Les professions des soins et des relations humaines sont par ailleurs soumises à de nombreuses contraintes physiques similaires à de nombreux travailleurs manuels et qui ont aussi un impact sur leur santé. Elles sont amenées à porter des charges lourdes, maintenir des positions inconfortables, effectuer des gestes répétitifs et font face au bruit. Elles sont aussi exposées à des produits potentiellement dangereux, à la saleté et à une proximité physique constante avec d’autres individus. La plupart des salariés de ces professions sont amenés à devoir gérer des situations agressives, apaiser des personnes en détresse, être confrontés à l’isolement, être contraints de cacher leurs émotions ou encore avoir peur, des activités qui font partie des <a href="https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/publications/etudes-et-resultats/lexposition-de-nombreuses-contraintes-liees-aux-conditions-de">principaux risques psychosociaux</a> identifiés dans la recherche scientifique.</p>
<h2>Des compétences minimisées</h2>
<p>Le travail émotionnel et les responsabilités liées à l’humain ne reçoivent pas toujours la reconnaissance méritée car ils sont trop souvent associés à des qualités « naturelles », voire « féminines ». La comparaison menée dans une autre partie de l’étude Ires entre des ingénieurs hospitaliers (profession à prédominance masculine, nécessitant un diplôme de niveau bac+5) et des sages-femmes (profession à prédominance féminine, également à bac+5) montre que les ingénieurs gagnent en fin de carrière près de 500 euros de plus par mois ; les énormes responsabilités humaines des sages-femmes semblant ainsi bien moins reconnues que les connaissances techniques des ingénieurs.</p>
<p>Les responsabilités liées à l’humain sont ainsi souvent sous-estimées car considérées comme allant de soi. Elles semblent pourtant fondamentales : 90 % des répondants exerçant des métiers du soin et du lien doivent garantir la confidentialité des données, notamment médicales, 95 % contribuent à la sécurité et à la protection des personnes, et 97 % veillent à la santé ou au bien-être des individus.</p>
<p>Et globalement, les qualifications requises ne sont pas toujours mises en avant. Les répondants mentionnent fréquemment l’absence de fiche de poste : le travail est peu normé, et se prête alors à un ajout de tâches ou de responsabilités, les obligeant souvent à faire le travail d’autres collègues ou d’autres corps de métier. En outre, l’apprentissage des connaissances et des compétences humaines et sociales reposent sur une <a href="https://www.cairn.info/revue-travail-et-emploi-2018-3-page-31.htm">grande pratique</a>. Les professionnels prennent sur leur temps personnel pour compléter leurs connaissances, comme le souligne une AESH qui mentionne devoir effectuer des « recherches sur Internet sur les handicaps concernant le ou les enfants » dont elle a la charge.</p>
<h2>Entre grande fierté et manque de reconnaissance</h2>
<p>Malgré tout, la fierté du travail prédomine pour la grande majorité des répondants, animés du sentiment que leur travail est utile aux autres et qu’il porte des valeurs fortes.</p>
<p>Parallèlement 92 % des professionnels estiment être mal payés, surtout parmi les bas salaires. Ce constat est à la fois subjectif et objectif. Les <a href="https://ires.fr/publications/cgt/investir-dans-le-secteur-du-soin-et-du-lien-aux-autres-un-enjeu-degalite-entre-les-femmes-et-les-hommes/">résultats</a> de François-Xavier Devetter, lui aussi chercheur à l’Ires, montrent la sous-rémunération de ces métiers, en les comparant avec les salaires moyens correspondant au niveau de diplôme réel de celles et ceux qui les exercent. Les faibles salaires sont alors la première raison pour ne pas recommander son métier, comme cette assistante maternelle qui doute :</p>
<blockquote>
<p>« Est-il recommandable de travailler 56 heures par semaine pour 3,25 € de l’heure ? »</p>
</blockquote>
<p>Cette réalité crée une situation paradoxale : d’un côté, le désir de promouvoir une profession socialement utile et dont on est fier, et de l’autre, ne pas la recommander car les salaires y sont bien en deçà de ce qu’ils devraient être.</p>
<p>Ces travailleurs du soin et du lien font l’objet de peu d’études approfondies. Les nôtres mettent en lumière le manque de reconnaissance de ces professions, qui revendiquent à la fois une vraie revalorisation des salaires et l’augmentation des effectifs. <a href="https://ires.fr/publications/cgt/investir-dans-le-secteur-du-soin-et-du-lien-aux-autres-un-enjeu-degalite-entre-les-femmes-et-les-hommes/">L’ensemble de l’étude Ires</a> montre l’urgence d’investir dans ces métiers du soin et du lien aux autres ; à la fois pour « faire société » mais aussi car il s’agit d’un enjeu central pour l’égalité entre les femmes et les hommes.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/223670/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>L'étude, à l'origine de cet article, a reçu des financements de l'Institut de recherches économiques et sociales (IRES).</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>L'étude, à l'origine de cet article, a reçu des financements de l'Institut de recherches économiques et sociales (IRES).</span></em></p>Une enquête portant sur près de 7 000 professionnels du soin et du lien aux autres montre des personnes fières de leur utilité sociale mais qui ne recommandent pas leur métier.Rachel Silvera, Économiste, maîtresse de conférences, co-directrice du réseau MAGE, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLouis-Alexandre Erb, Doctorant en économie des inégalités, Université Paris-EstSéverine Lemière, Maîtresse de conférences en Sciences de gestion, Université Paris CitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1725912022-04-19T13:14:19Z2022-04-19T13:14:19ZEnseignants non légalement qualifiés dans nos écoles : au-delà des inquiétudes, quelles solutions ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/458243/original/file-20220414-24-z0vibq.JPG?ixlib=rb-1.1.0&rect=81%2C7%2C4886%2C3203&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Des élèves d'une école primaire se préparent à entrer en classe à Montréal en janvier 2022. </span> <span class="attribution"><span class="source">LA PRESSE CANADIENNE/Paul Chiasson</span></span></figcaption></figure><p><a href="https://www.erudit.org/fr/revues/rse/2008-v34-n1-rse2410/018997ar/">À partir du début des années 2000</a>, et ce, pendant plus d’une dizaine d’années, la profession enseignante au Québec était marquée par une précarité croissante et une <a href="https://www.ledevoir.com/opinion/idees/273863/la-fausse-penurie-d-enseignants">difficulté pour les nouveaux diplômés en enseignement à obtenir un emploi régulier</a>. Or, cette tendance s’est renversée depuis 5 ans, et de manière encore plus marquée avec la pandémie.</p>
<p>La pénurie d’enseignants est aujourd’hui devenue un enjeu prioritaire pour le système éducatif québécois. Un <a href="https://www.edcan.ca/articles/penurie-denseignants-dun-ocean-a-lautre/?lang=fr">ensemble de facteurs interreliés permettent d’expliquer l’ampleur de la pénurie actuelle</a> : augmentation du nombre d’élèves, nombreux départs à la retraite, augmentation des absences d’enseignants, diminution des inscriptions en formation des enseignants, jeunes enseignants qui quittent la profession dans leurs premières années d’exercice et diminution des ratios d’élèves par classe. Cette pénurie touche tous les ordres d’enseignement et toutes les disciplines. Certains postes ne sont pas pourvus au premier jour de la rentrée scolaire et il devient de plus en plus difficile de trouver des enseignants contractuels qualifiés ou des suppléants pour remplacer les enseignants absents en cours d’année.</p>
<p>Chercheuses au <a href="https://crifpe.ca/">Centre interuniversitaire sur la formation et la profession enseignante</a>, nous avons réalisé plusieurs projets de recherche sur les <a href="https://www.grave-atnq.ca/recherche.php">enjeux associés aux pénuries d’enseignants</a>. Des <a href="https://frq.gouv.qc.ca/projet/penuries-denseignants-et-de-suppleants-au-quebec-les-pistes-de-solution-les-plus-prometteuses/">travaux récents</a> ont mis en évidence que de nombreux centres de services scolaires ont dû recourir à l’embauche d’enseignants non légalement qualifiés (ENLQ) pour contrer la pénurie d’enseignants qualifiés.</p>
<h2>Qui sont ces enseignants « non légalement qualifiés » ?</h2>
<p>Actuellement, les <a href="https://www.legisquebec.gouv.qc.ca/fr/document/rc/I-13.3,r.2.01/">autorisations d’enseigner</a> se divisent en trois catégories :</p>
<p>1) le brevet d’enseignement (enseignants ayant terminé un programme de formation à l’enseignement accrédité par le ministère) ;</p>
<p>2) le permis probatoire (enseignants en cours de formation) ;</p>
<p>3) l’autorisation provisoire d’enseigner (détenteurs d’une formation disciplinaire ayant débuté une formation à l’enseignement accréditée).</p>
<p><a href="https://www.legisquebec.gouv.qc.ca/fr/document/lc/I-13.3/20200615#se:23">L’article 23</a> de la <em>Loi sur l’instruction publique</em> dispense toutefois de l’obligation de détenir une qualification légale d’enseigner à toute personne qui effectue : 1) de l’enseignement à la leçon ou à taux horaire, 2) de la suppléance occasionnelle, 3) de l’enseignement, sous autorisation spéciale (appelée « tolérance d’engagement ») délivrée par le ministère. Dans ces trois cas, l’enseignant est alors considéré comme étant non légalement qualifié.</p>
<p>Pour accorder une <a href="http://www.education.gouv.qc.ca/fileadmin/site_web/documents/reseau/formation_titularisation/Autorisations_denseigner/Guide-tolerance-engagement.pdf">tolérance d’engagement</a>, la loi exige des candidats qu’ils détiennent au minimum un diplôme d’études secondaires en plus d’avoir débuté des études jugées pertinentes par le centre de services scolaire (par exemple, des études collégiales ou universitaires en éducation spécialisée, en psychoéducation, en littérature ou en sciences). Pour ce qui est des suppléants occasionnels et des enseignants à la leçon, la loi ne précise aucune exigence particulière en matière de formation, ce qui n’empêche pas les centres de services scolaires d’établir leurs propres critères de recrutement.</p>
<p>En 2018-2019, le réseau scolaire québécois comptait <a href="https://www.journaldequebec.com/2021/10/24/des-milliers-de-profs-non-qualifies">plus de 30 000 ENLQ sur un total de 121 000 enseignants</a>. Leur nombre a doublé depuis 2015-2016. De plus, selon une quinzaine d’acteurs des centres de services scolaires interviewés, une augmentation très importante du recours aux ENLQ a été observée pendant la pandémie pour remplacer les nombreuses absences des enseignants. Ces enseignants sont recrutés pour réaliser de la suppléance lors des absences ponctuelles des enseignants réguliers, mais également pour des remplacements pouvant aller de quelques semaines à toute une année scolaire.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/458617/original/file-20220419-20-dw5jnm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="graphique" src="https://images.theconversation.com/files/458617/original/file-20220419-20-dw5jnm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/458617/original/file-20220419-20-dw5jnm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=435&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/458617/original/file-20220419-20-dw5jnm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=435&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/458617/original/file-20220419-20-dw5jnm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=435&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/458617/original/file-20220419-20-dw5jnm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=547&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/458617/original/file-20220419-20-dw5jnm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=547&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/458617/original/file-20220419-20-dw5jnm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=547&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Nombre d’enseignants dans les écoles publiques du Québec, selon leur qualification (2013-2014 à 2018-2019).</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Geneviève Sirois)</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Quels impacts sur les élèves et les autres membres des équipes-écoles ?</h2>
<p>Le recrutement d’ENLQ suscite de nombreuses préoccupations. Plusieurs s’inquiètent de la <a href="https://epaa.asu.edu/ojs/index.php/epaa/article/view/5295/2478">qualité de l’enseignement dispensé</a>, notamment parce que la recherche scientifique internationale a démontré que la qualité de l’enseignement a des <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.3102/0013189X031009013">impacts directs sur la qualité des apprentissages des élèves</a>. Plusieurs recherches ont démontré que les <a href="https://learningpolicyinstitute.org/product/crdc-teacher-access-report">enseignants qualifiés sont plus efficaces que les enseignants non qualifiés</a>. Aussi, les ENLQ au Québec seraient <a href="http://www.ciqss.umontreal.ca/Docs/Colloques/2014_ACFAS/Esther%20L%C3%A9tourneau.pdf">plus à risque de quitter prématurément la profession</a>.</p>
<p>Notre projet de recherche a également permis d’identifier d’autres impacts du recours au ENLQ :</p>
<p>1) Des retards observés au niveau de la progression des apprentissages ;</p>
<p>2) Des changements dans les trajectoires d’accès à la profession enseignante. L’insertion professionnelle, qui arrive habituellement au terme d’un programme de 4 ans de formation comprenant quatre stages, correspond pour les ENLQ à la toute première prise de contact avec l’enseignement. Cela induit donc une recomposition du corps enseignant, où se côtoient maintenant des enseignants formés et qualifiés et des ENLQ avec peu ou pas de formation dans le domaine de l’enseignement.</p>
<p>3) Le manque de formation aurait notamment des impacts sur les compétences en gestion de classe (<a href="https://www.erudit.org/fr/revues/rse/1999-v25-n3-rse1835/032009ar.pdf">qui réfère à l’ensemble des actes réfléchis, séquentiels et simultanés qu’effectuent les enseignants pour établir et maintenir un bon climat de travail et un environnement favorable à l’apprentissage</a>), qui, selon les acteurs rencontrés, est la plus grande difficulté rencontrée par les ENLQ ;</p>
<p>4) Les défis associés à l’accompagnement des ENLQ, qui ont des besoins très importants et qui doivent être soutenus par la direction, les conseillers pédagogiques et les autres enseignants de l’équipe-école, ce qui contribue à alourdir la tâche de tous.</p>
<h2>Comment former et soutenir l’insertion professionnelle des ENLQ ?</h2>
<p>Faut-il s’inquiéter de la présence des ENLQ dans nos écoles ? Dans le contexte actuel marqué par de nombreux départs à la retraite, une hausse des effectifs scolaires et une <a href="https://www.edcan.ca/articles/penurie-denseignants-dun-ocean-a-lautre/?lang=fr">pénurie de main-d’œuvre dans plusieurs secteurs d’emploi</a>, il semble de plus en plus évident que le système éducatif ne peut se priver des ENLQ face au besoin criant de personnel qualifié. Ce phénomène est inquiétant, et on en mesure encore mal les impacts sur les apprentissages des élèves. Il devient donc urgent de se questionner sur les meilleures stratégies pour soutenir le développement professionnel et l’<a href="https://www.ledevoir.com/societe/education/699261/education-le-defi-d-integrer-les-enseignants-non-legalement-qualifies">insertion des ENLQ</a>.</p>
<p>Actuellement, plusieurs centres de services scolaires ont des <a href="https://journals.openedition.org/ree/1473">programmes d’insertion professionnelle</a> pour le nouveau personnel enseignant. Ces programmes sont reconnus pour leurs <a href="https://cje-rce.ca/wp-content/uploads/sites/2/2020/09/6.-4449-F-Mukamurera-Nov-30_1035-1070.pdf">impacts positifs sur la rétention et les pratiques d’enseignement</a>. Toutefois, en 2021, seulement 10 des 55 centres de services scolaires interrogés nous ont mentionné offrir au moins un service adapté aux ENLQ. Tous les acteurs rencontrés soulignent l’importance de mettre en place de telles initiatives pour les ENLQ, particulièrement les programmes de mentorat.</p>
<p>Il est également important d’offrir des options flexibles et adaptées de formation aux ENLQ. Ces formations devraient leur permettre d’accroître leurs compétences tout en tenant compte de leur réalité et de leur expérience, d’obtenir une qualification légale, et, ultimement, d’avoir envie de poursuivre dans la carrière.</p>
<p>À cet effet, on voit se développer ces dernières années des programmes universitaires adaptés, plus souples, et ciblant des ENLQ, notamment offerts à temps partiel et à distance et visant à accroître leurs compétences pédagogiques et, dans certains cas, à les qualifier. Dans les années à venir, les universités seront donc amenées à jouer un rôle de premier plan dans le développement professionnel de ces milliers d’ENLQ.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/172591/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Geneviève Sirois est chercheuse au Centre de recherche interuniversitaire sur la formation et la profession enseignante. Elle a reçu des financements du FRQSC pour mener un projet de recherche sur les pénuries d'enseignants. Professeure régulière à l'Université TÉLUQ, elle est également membre du Groupe d'acteurs pour la valorisation des enseignants (GRAVE). </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Aline Niyubahwe est chercheuse associée au Centre de recherche interuniversitaire sur la formation et la profession enseignante (CRIFPE). Elle a reçu des financements du CRSH, de la Fondation de l'Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (FUQAT) et du Fonds d'appuis au rayonnement des régions (FARR). Professeure régulière à l'Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue, elle est membre du Groupe d'acteurs pour la valorisation des enseignants (GRAVE). </span></em></p>Les médias font de plus en plus état de la présence d’enseignants non légalement qualifiés dans les écoles québécoises, ce qui inquiète à la fois les parents et les gestionnaires.Geneviève Sirois, Professeure en administration scolaire, Université TÉLUQ Aline Niyubahwe, Associate professor, Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1723262021-11-23T20:08:30Z2021-11-23T20:08:30ZL’immigration, un levier de croissance et d’innovation mal activé en France<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/433110/original/file-20211122-21-1xatnef.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=62%2C102%2C1088%2C671&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Actuellement, près de 4 diplômés étrangers sur 10 rentrent dans leur pays d'origine après l’obtention du diplôme en France.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.erasmusplus-jeunesse.fr/blog/422/45/EMIS-Egalite-Mixite-Integration-par-le-Sport.html">Université de Franche Comté</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Plaider pour plus d’immigration n’est certainement <a href="https://www.lepoint.fr/politique/immigration-securite-les-cinq-pretendants-lr-rivalisent-de-fermete-15-11-2021-2451925_20.php">pas à la mode</a> en France. Pourtant, c’est ce que fait un groupe d’économistes, auquel nous avons participé, dans une toute récente <a href="https://www.cae-eco.fr/limmigration-qualifiee-un-visa-pour-la-croissance">note</a> du <a href="https://www.cae-eco.fr/p-conseil-d-analyse-economique">Conseil d’analyse économique</a> (CAE), organisme placé auprès du premier ministre et ayant pour mission« d’éclairer, par la confrontation des points de vue et des analyses, les choix du gouvernement en matière économique ».</p>
<p>À la suite d’un travail collaboratif incluant d’autres économistes, engagé depuis septembre 2020, la note conclut que l’immigration en France est moins qualifiée, moins diversifiée et moins nombreuse que celle d’autres pays développés.</p>
<p>Les auteurs reviennent ainsi sur le contraste entre un débat public dominé par les questions identitaires et sécuritaires, et un consensus scientifique de plus en plus solide sur les effets économiques positifs de l’immigration, surtout ceux sur la croissance économique à long terme.</p>
<p>Parmi ces effets, ceux qui passent par les liens entre immigration et innovation font l’objet d’un <a href="https://www.cae-eco.fr/immigration-internationale-et-innovation-mise-en-perspective-de-la-situation-francaise">focus</a> accompagnant la note, qui résume les résultats des études internationales les plus récentes et fait le point sur la France (d’autres focus approfondissent le rapport entre migration et <a href="https://www.cae-eco.fr/immigration-et-finances-publiques">finances publiques</a> ou le <a href="https://www.cae-eco.fr/immigration-et-difficultes-de-recrutement">marché de travail</a>, ainsi que l’impact économique de l’<a href="https://www.cae-eco.fr/quel-est-limpact-economique-de-laccueil-des-refugies">accueil des réfugiés</a>).</p>
<h2>Paradoxe français</h2>
<p>Comment l’immigration peut-elle soutenir l’innovation des pays d’accueil ? L’évidence empirique met en évidence trois mécanismes. Le premier est celui du transfert des connaissances, qui a fait l’objet de nombreuses études historiques : depuis toujours, les mouvements migratoires des scientifiques, ingénieurs et entrepreneurs plus ou moins affirmés ont joué un rôle clé dans la diffusion des savoirs techniques, permettant aux pays d’accueil soit de rattraper leur retard par rapport aux pays d’origine soit de garder leur leadership en profitant de toutes opportunités d’innovation.</p>
<p>Deuxièmement, les jeunes migrants hautement qualifiés – surtout dans les domaines STEM (science, technology, engineering and mathematics) – complètent l’offre de travail des natifs, qui souvent ne suffit pas à satisfaire la demande des secteurs à plus haute intensité en recherche et développement (R&D). Parmi ces migrants, on retrouve en effet en grande partie les <a href="https://theconversation.com/la-france-est-elle-aujourdhui-un-grand-pays-dimmigration-170309">étudiants étrangers</a>, qui à la fois soutiennent le système de formation supérieure du pays d’accueil (surtout dans les disciplines STEM) et peuvent en intégrer le marché du travail.</p>
<p>Enfin, la migration constitue une source de diversité au sein des équipes de R&D, ainsi que des entreprises et dans les grands centres urbains, ce que plusieurs études associent à une plus grande créativité et à plus d’innovation. Dans ce champ, la mobilité internationale interne aux entreprises multinationales joue un rôle aussi remarquable que celle caractérisant les réseaux scientifiques globaux.</p>
<p>Quel profit tire la France de cette mobilité internationale des talents ? À première vue, l’Hexagone est très bien placé, étant, selon les <a href="https://doi.org/10.1787/e2eea916-en">données de l’OCDE</a>, parmi les premiers cinq pays de destinations des étudiants internationaux, derrière les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Australie, et au coude-à-coude avec l’Allemagne. Le même constat vaut pour les scientifiques, surtout dans le domaine académique : nos évaluations, sur la base des <a href="https://orcid.org/">données ORCID</a>, suggèrent que le poids des immigrés sur le total des auteurs scientifiques (STEM et non-STEM) est presque le même en France qu’aux États-Unis et au Royaume-Uni ; et qu’il ne cesse de s’accroître, malgré des infléchissements avant l’année 2000 (figure 1).</p>
<iframe title="Figure 1 -- Auteurs scientifiques présumés immigrés" aria-label="Interactive line chart" id="datawrapper-chart-iASgD" src="https://datawrapper.dwcdn.net/iASgD/1/" scrolling="no" frameborder="0" style="width: 0; min-width: 100%!important; border: none;" height="578" width="100%"></iframe>
<p>Toutefois, quand on passe aux indicateurs plus proches de l’innovation, le panorama s’assombrit. En figure 2, on voit que le poids des inventeurs étrangers dans les brevets internationaux déposés par les entreprises et d’autres organisations françaises reste beaucoup plus limité qu’aux États-Unis, au Royaume-Uni ou au Canada. Sur cet indicateur, la France vient en outre de se faire dépasser par l’Allemagne.</p>
<iframe title="Figure 2 -- Inventeurs de brevets présumés immigrés" aria-label="Interactive line chart" id="datawrapper-chart-FLCjK" src="https://datawrapper.dwcdn.net/FLCjK/1/" scrolling="no" frameborder="0" style="width: 0; min-width: 100%!important; border: none;" height="578" width="100%"></iframe>
<p>Le constat est le même en ce qui concerne les dépôts de brevet par les universités, ce qui suggère que la présence internationale parmi les étudiants et les scientifiques actifs sur le sol français ne se traduit pas par une contribution à l’innovation comparable à celle d’autres pays. D’où vient ce paradoxe ?</p>
<h2>« Système à points » canadien</h2>
<p>La note et le focus du CAE mettent en avant différentes explications complémentaires. Parmi elles, on retrouve notamment la plus faible orientation STEM des étudiants étrangers en France en raison d’une politique d’attraction qui vise plutôt à renforcer la francophonie que la compétitivité. En outre, un manque de coordination entre politiques universitaire et migratoire complique l’accès au marché du travail des étrangers diplômés en France.</p>
<p>À ce propos, les enquêtes menées par le <a href="https://www.cereq.fr/le-cereq-activites-scientifiques-groupes-de-travail-et-seminaires/groupe-de-travail-sur">groupe de travail</a> sur l’enseignement supérieur du Centre d’études et de recherches sur les qualifications (Céreq) indiquent que, au cours des 20 dernières années, la part des doctorants étrangers en France est <a href="https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/sites/default/files/imported_files/documents/NI19_13_1196116.pdf">passée de 27 % à 42 %</a>, mais aussi que près de <a href="https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/sites/default/files/imported_files/documents/NI_Insertion_Docteurs_1141785.pdf">40 % des diplômés étrangers rentrent chez eux</a> après l’obtention de leur diplôme.</p>
<p>À partir de ce constat, la note du CAE formule plusieurs recommandations pour la réforme des politiques migratoires en France, dont la plupart visent explicitement à renforcer l’immigration hautement qualifiée et à y mettre au centre le système d’éducation supérieure. Parmi elles, la note propose d’intensifier la concession des « passeports talent », tout en ciblant certains pays qui ont un excédent de jeunes diplômés et restent peu représentés parmi les pays d’origine des immigrants en France.</p>
<p>La note suggère également d’augmenter l’attractivité de l’enseignement supérieur français aux yeux des étudiants étrangers. De même, il s’agit de faciliter la transition études-emploi en étendant l’octroi d’un titre de séjour à l’issue des études, notamment des très qualifiés, sans y adjoindre comme actuellement des critères de salaire minimum, ou d’adéquation du travail aux qualifications.</p>
<p>Enfin, la note prône l’introduction en France d’un « système à points » inspiré au modèle canadien, qui donne plus de poids au capital humain des candidats à l’immigration et de leur conjointe ou conjoint. Ce système s’appuie sur des indicateurs mesurés par le niveau d’études, l’expérience et les compétences linguistiques), en plus des critères habituels comme les liens personnels et familiaux, ou encore une offre d’embauche.</p>
<p>Il ne s’agit pas de remplacer les migrants actuels avec des autres. Cela n’arrangerait rien, car le volume de l’immigration en France est déjà faible (292 000 entrants en 2019, soit 0,41 % de sa population, là où la moyenne européenne et des pays de l’OCDE est de 0,85 % ; avec un stock de résidants à l’étranger vieillissant qui ne dépasse pas 13 %, contre 13,6 % aux États-Unis, 13,7 % au Royaume-Uni et 16,1 % en l’Allemagne). Il s’agit plutôt d’en enrichir la composition par pays et qualifications, à partir du constat que l’immigration, loin d’être un fardeau socio-économique, constitue une source puissante d’innovation et de croissance.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/172326/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Francesco Lissoni a reçu des financements de l'Agence Nationale de la Recherche (ref: ANR-17-CE26-001600).</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Ernest Miguélez a reçu des financements de l'Agence Nationale de la Recherche (ref: ANR-17-CE26-001600).</span></em></p>Le manque de coordination entre politiques universitaire et migratoire grippe les mécanismes qui, ailleurs, permettent de recueillir les fruits de la mobilité internationale des talents.Francesco Lissoni, Professor of Economics, Université de BordeauxErnest Miguélez, Chargé de recherche CNRS, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1135022019-03-18T19:33:35Z2019-03-18T19:33:35ZL’immigration représente-t-elle une menace pour les salaires et l’emploi ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/263658/original/file-20190313-123528-5rvofn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=2%2C8%2C995%2C657&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le cas de l'Europe entre 2014 et 2016 a permis d'enrichir les connaissances des conséquences économiques des migrations (photo prise en Slovénie en 2015).</span> <span class="attribution"><span class="source">Janossy Gergely/Shutterstock</span></span></figcaption></figure><figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/263632/original/file-20190313-123551-16gwazq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/263632/original/file-20190313-123551-16gwazq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=435&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/263632/original/file-20190313-123551-16gwazq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=435&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/263632/original/file-20190313-123551-16gwazq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=435&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/263632/original/file-20190313-123551-16gwazq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=546&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/263632/original/file-20190313-123551-16gwazq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=546&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/263632/original/file-20190313-123551-16gwazq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=546&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"></span>
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<p><em>Cet article est publié à l’occasion du <a href="http://www.printempsdeleco.fr">« Printemps de l’économie 2019 »</a>, qui se déroule du 18 au 21 mars à Paris, et dont The Conversation France est partenaire. Anthony Edo, économiste au CEPII, participe à la table ronde <a href="http://www.printempsdeleco.fr/jeudi-21-mars-mairie-du-3e">« Immigration et emploi »</a>.</em></p>
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<p>L’arrivée de centaines de milliers de réfugiés en Europe entre 2014 et 2016 <a href="http://www.cepii.fr/BLOG/bi/post.asp?IDcommunique=654">a ravivé l’intérêt des économistes</a> et du grand public pour la question des effets de l’immigration sur le marché du travail. Cette situation migratoire exceptionnelle a suscité de nouvelles analyses dont les résultats ont enrichi notre connaissance des conséquences économiques des migrations. Des réponses à la fois plus précises et plus documentées ont ainsi été apportées aux questions concernant les effets de l’entrée de nouveaux travailleurs, et plus généralement de l’immigration, sur les salaires, l’emploi et le chômage.</p>
<h2>Population et emploi : quel lien ?</h2>
<p>Pour penser les effets de l’immigration sur le marché du travail, l’approche la plus intuitive est de considérer la population immigrée comme homogène et d’appréhender l’immigration comme une simple hausse de la population. Dans le cas où l’économie d’un pays serait composée d’un nombre fixe d’emplois à partager entre ses membres, une telle hausse devrait se traduire par une concurrence accrue sur le marché du travail et par une baisse des salaires. Le graphique 1 trace les évolutions de la population en âge de travailler et en emploi sur près d’un siècle en France.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/263651/original/file-20190313-123534-d9a0lr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/263651/original/file-20190313-123534-d9a0lr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=433&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/263651/original/file-20190313-123534-d9a0lr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=433&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/263651/original/file-20190313-123534-d9a0lr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=433&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/263651/original/file-20190313-123534-d9a0lr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=544&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/263651/original/file-20190313-123534-d9a0lr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=544&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/263651/original/file-20190313-123534-d9a0lr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=544&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Notes : la population en âge de travailler mesure la quantité de travail potentiel disponible dans une économie. Pour neutraliser l’accroissement du nombre de lycéens et d’étudiants depuis les années 1960, ceux-ci sont exclus de la population en âge de travailler à partir de 1962.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Cahen (1953), Nizard (1971), Insee, INED.</span></span>
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</figure>
<p>Si l’économie était composée d’un nombre d’emplois fixe, le niveau d’emplois devrait être stable et déconnecté des évolutions de la population en âge de travailler. Or, la population en emploi est passée de 21,2 millions en 1921 à 18,9 millions en 1954 (soit une baisse de 11 %), pour atteindre son plus haut niveau en 2014 à plus de 25 millions (soit une hausse de 30 % par rapport à 1954). En outre, population en emploi et en âge de travailler ont tendance à varier dans le même sens et selon la même ampleur. De quoi infirmer l’idée que le volume d’emplois serait fixe et qu’un accroissement du potentiel de travail dans une économie conduirait nécessairement à une baisse de salaires et/ou à une hausse du chômage.</p>
<h2>En moyenne, des effets négligeables</h2>
<p>Qu’en est-il des effets de l’immigration ? L’analyse précédente suggère que les conséquences économiques d’une hausse de la population induite par l’immigration ne peuvent se réduire à un accroissement de la concurrence sur le marché du travail. L’arrivée de nouveaux travailleurs stimule aussi l’activité économique par l’accroissement de la taille de marché qu’elle induit et exerce, en retour, des effets positifs sur les salaires et l’emploi.</p>
<p>Pour analyser de manière rigoureuse les effets de l’immigration sur les salaires et l’emploi, l’approche empirique dominante consiste à exploiter l’inégale répartition des immigrés entre les régions d’un pays afin de comparer l’évolution des salaires et de l’emploi des régions à forte immigration à celles des régions à faible immigration ayant des caractéristiques comparables. La plupart des études concluent que l’immigration n’a pas d’incidence sur le salaire ou l’emploi moyens des natifs (Edo, <a href="http://www.cepii.fr/CEPII/fr/publications/em/abstract.asp?NoDoc=9251">2016</a>, <a href="http://www.cepii.fr/BLOG/bi/post.asp?IDcommunique=549">2018</a>, <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/joes.12300">2019</a>). En accord avec le graphique 1, ce résultat implique que l’immigration n’induit qu’un changement d’échelle : une augmentation proportionnelle de la population, de l’emploi et de la production sans incidence sur le niveau du salaire moyen.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/263660/original/file-20190313-123551-jt17w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/263660/original/file-20190313-123551-jt17w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/263660/original/file-20190313-123551-jt17w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/263660/original/file-20190313-123551-jt17w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/263660/original/file-20190313-123551-jt17w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/263660/original/file-20190313-123551-jt17w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/263660/original/file-20190313-123551-jt17w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Un accroissement du nombre de travailleurs dans une économie ne conduit pas nécessairement à une baisse de salaires et/ou à une hausse du chômage.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Richard Thornton/Shutterstock</span></span>
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</figure>
<p>Ces résultats ne sont cependant pas généralisables à l’ensemble des contextes migratoires car ils portent majoritairement sur des épisodes d’immigration traditionnelle où les flux sont plutôt modestes, stables et parfaitement anticipés. Lorsque l’arrivée de migrants est massive, soudaine et imprévue, les effets initiaux de l’immigration sur le marché du travail peuvent différer des effets de plus long terme. C’est ce qu’indique une série d’études récentes analysant les réactions des salaires et de l’emploi à des épisodes d’immigration exceptionnelle, comme ce fut le cas en France et au Portugal après le rapatriement des 600 000 Français d’Algérie en 1962 (<a href="http://www.cepii.fr/CEPII/fr/publications/wp/abstract.asp?NoDoc=10369">Edo, 2017</a>) et des 500 000 Portugais d’Angola et du Mozambique en 1974-75 (<a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0014292117301241">Mäkelä, 2017</a>), en Turquie après l’arrivée des réfugiés syriens en 2012 (<a href="https://www.aeaweb.org/articles?id=10.1257/aer.p20161065">Tumen, 2016</a>) ou en Allemagne après l’entrée imprévue de travailleurs tchèques dans le sud-est du pays en 1992 (<a href="https://academic.oup.com/qje/article-abstract/132/1/435/2724541">Dustmann et coll., 2017</a>). Ces études montrent que ces afflux de population ont eu tendance à réduire les salaires et/ou les opportunités d’emploi des natifs dans les premières années suivant le choc migratoire. Celle sur les rapatriés d’Algérie prolonge l’analyse et montre toutefois que ces effets dépressifs de court terme disparaissent à l’horizon de 10 à 15 ans.</p>
<h2>Des effets différenciés selon les qualifications</h2>
<p>Si l’immigration traditionnelle, celle qui concerne des flux modestes, stables et anticipés, n’a pas d’effet sur le salaire moyen, elle peut affecter la distribution des salaires et induire des effets redistributifs. En modifiant la structure de qualification de la population, les nouveaux arrivants pourraient détériorer les conditions salariales des travailleurs qui leur sont substituts (qualification similaire) et améliorer celles des travailleurs qui leur sont complémentaires (qualification différente). Ainsi, un afflux de travailleurs non qualifiés pourrait réduire le salaire des travailleurs non qualifiés et accroître celui des qualifiés. C’est ce que souligne un <a href="https://www.nap.edu/catalog/23550/the-economic-and-fiscal-consequences-of-immigration">rapport de 2017</a> très documenté de l’Académie nationale des sciences américaine sur les conséquences économiques et fiscales de l’immigration aux États-Unis.</p>
<p>Dans la mesure où les États-Unis connaissent depuis les années 1990 une immigration majoritairement peu qualifiée, les travailleurs immigrés déjà installés et les travailleurs natifs les moins qualifiés ont été les plus vulnérables face à l’accroissement de la présence immigrée. Plus précisément, l’immigration a eu tendance à accroître les inégalités salariales entre travailleurs très qualifiés et faiblement qualifiés. Ce résultat fait écho à ceux de l’économiste américain George Borjas sur les <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/0019793917692945?journalCode=ilra">conséquences économiques de l’afflux de plus de 125 000 réfugiés cubains</a> dans la ville de Miami en 1980 : 60 % de ces réfugiés étant sans diplôme, leur arrivée sur le marché du travail américain a eu pour conséquence de réduire le salaire des travailleurs natifs non qualifiés par rapport à celui des qualifiés.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/263661/original/file-20190313-123528-r5lf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/263661/original/file-20190313-123528-r5lf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/263661/original/file-20190313-123528-r5lf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/263661/original/file-20190313-123528-r5lf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/263661/original/file-20190313-123528-r5lf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/263661/original/file-20190313-123528-r5lf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/263661/original/file-20190313-123528-r5lf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Aux États-Unis, l’immigration a eu tendance à accroître les inégalités salariales entre travailleurs très qualifiés et faiblement qualifiés depuis les années 1990.</span>
<span class="attribution"><span class="source">TravelStrategy/Shutterstock</span></span>
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</figure>
<p>Ces résultats contrastent toutefois avec ceux des études menées au <a href="https://academic.oup.com/jeea/article-abstract/5/4/663/2295689">Canada</a> et en <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/roie.12163">France</a> où l’immigration des dernières décennies a surtout augmenté le nombre relatif de travailleurs qualifiés (<a href="https://academic.oup.com/jeea/article-abstract/5/4/663/2295689">Aydemir et Borjas, 2007</a> ; <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/roie.12163">Edo et Toubal, 2015</a>). Dans ces deux cas, l’immigration a réduit le salaire des travailleurs qualifiés et augmenté celui des faiblement qualifiés. Elle a donc redistribué la richesse des travailleurs qualifiés vers les travailleurs moins qualifiés et contribué à réduire les inégalités salariales.</p>
<p>L’ensemble de ces résultats montre toute l’importance de la structure de qualification des immigrés dans la détermination de leurs effets sur le marché du travail. Si les effets moyens de l’immigration sont négligeables, elle tend à générer des perdants et des gagnants au sein des pays d’accueil. Négliger ces effets redistributifs pourrait nous conduire à occulter la complexité des conséquences économiques de l’immigration et à nous empêcher de penser des politiques publiques adaptées qui pourraient permettre de compenser les pertes des travailleurs les plus vulnérables.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/113502/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anthony Edo ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>En moyenne, l’immigration a des effets négligeables. Le niveau de qualification des nouveaux travailleurs explique toutefois certaines disparités.Anthony Edo, Economiste, CEPIILicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/975042018-10-09T16:18:35Z2018-10-09T16:18:35ZLa valeur du temps, au cœur du grand bouleversement de nos sociétés<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/239559/original/file-20181006-72100-1xw49gu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=5%2C0%2C3988%2C2670&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L'accélération du temps bouleverse les relations au sein de nos sociétés.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/photos/vVIwtmqsIuk">Curtis MacNewton / Unsplash</a></span></figcaption></figure><p><em>Cette contribution est tirée de l’article « La déformation sociale du temps est un défi pour nos institutions ». Il sera publié dans le prochain numéro de la revue du Mauss, n°52 (novembre 2018).</em></p>
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<p>Nous manquons de temps. Au cœur de ce constat, il y a deux grands phénomènes. Le premier est économique. Il a été décrit par <a href="https://www.jstor.org/stable/2228949?seq=1#page_scan_tab_contents">Gary Becker</a>. Avec lui, le temps apparaît comme un actif économique, un capital fini amené à devenir de plus en plus rare. Le deuxième est d’ordre sociologique et a été développé par <a href="https://catalogue.univ-amu.fr/cgi-bin/koha/opac-detail.pl?biblionumber=723770#descriptions">Hartmut Rosa</a> qui propose de relire l’histoire moderne à l’aune du concept d’accélération sociale.</p>
<p>Ces deux phénomènes se renforcent l’un l’autre. Plus nos sociétés accélèrent, plus notre capital-temps se raréfie et prend de la valeur. Cette combinaison forme un processus d’une puissance inouïe, qui se situe au cœur du grand bouleversement de nos sociétés et défie la possibilité même de l’action politique dans sa capacité à transformer l’ordre des choses.</p>
<h2>Le temps devient un input comme un autre</h2>
<p>Dans le modèle néoclassique, le consommateur cherche à maximiser son utilité en tenant compte des prix respectifs de chaque bien et de son revenu. Or, dans sa « nouvelle théorie du consommateur », Becker nous indique que ce que cherche en réalité cet agent c’est une « production » optimale de satisfaction. De ce fait, le consommateur devient donc un producteur qui, pour produire les satisfactions qu’il recherche, va combiner des biens et services, ainsi qu’une autre ressource jusqu’ici ignorée par la théorie économique : le temps.</p>
<p>À chaque bien de consommation est donc attachée une fonction de production. Pour un bien donné, la quantité de satisfaction produite sera fonction de la quantité consommée du bien et de la quantité de temps mise en œuvre. Le consommateur/producteur a le choix entre acheter plus de biens ou utiliser plus de temps. Il va donc être amené à comparer les prix de chacun.</p>
<p>Le prix des biens est déterminé sur le marché des biens. Pour le prix du temps, Becker affirme qu’il est mesuré par le taux de salaire. Selon cette analyse, l’augmentation du salaire fait augmenter le prix du temps. Celle-ci va donc entraîner un déplacement de l’activité des productions à base de temps (inviter ses amis à la maison par exemple) vers des productions à base de dépenses (aller au restaurant).</p>
<p>Ainsi, le consommateur/producteur pourra obtenir une même satisfaction en combinant différentes combinaisons temps-dépenses, en fonction des prix relatifs des biens et du temps. C’est le principe des <a href="https://www.alternatives-economiques.fr/courbe-dindifference/00045773">courbes d’indifférence</a> bien connu des économistes. Mais cette théorie reste-t-elle valable lorsque les salaires n’augmentent plus, ce qui est le cas général aujourd’hui ?</p>
<p>Toutes choses égales par ailleurs, le prix du temps ne devrait plus bouger. Pourtant, et comme le prévoyait Becker, on substitue toujours plus de dépenses au temps. Ceci s’explique par le fait que dans le modèle <a href="http://www.journaldumauss.net/./?Le-technocapitalisme-met-en-danger-notre-projet-liberal">technocapitaliste</a>, c’est le prix des produits qui baisse et non celui du travail qui augmente. Le consommateur/producteur, pour maximiser son volume global de satisfactions, cherchera donc bien à réaliser ses préférences par des moyens nécessitant moins d’<a href="http://www.cnrtl.fr/definition/input">inputs</a> temps. Nous comprenons ainsi que la plupart des produits que nous consommons aujourd’hui, correspondent à une politique d’économie de temps (GPS ou livraison de repas à domicile par exemple).</p>
<h2>« Du temps de cerveau disponible »</h2>
<p>La hausse de cette forme de demande a pour conséquence d’augmenter la valeur de notre capital-temps. En conséquence, elle explique en grande partie la croissance des pays occidentaux. Ainsi, le temps devient un véritable enjeu pour le processus technocapitaliste, qui va donc chercher à s’en emparer.</p>
<p>En 2004, Patrick Le Lay, à l’époque PDG de TF1, fait scandale en déclarant : « Ce que nous vendons à Coca Cola, c’est du temps de cerveau disponible ». Aujourd’hui, il apparaîtrait comme un visionnaire. Avant tout le monde, il a compris que l’une des grandes sources de profit de la nouvelle économie sera la transformation du temps en un actif économiquement utile.</p>
<p>Dans le monde technocapitaliste, les produits sont de plus en plus fournis gratuitement en échange de quelques secondes d’attention de la part de l’utilisateur. Il faut donc que ces quelques secondes soient très efficaces. C’est au sein du <a href="http://captology.stanford.edu/">Persuasive Tech Lab</a> que se développent les recherches les plus avancées dans ce que l’on appelle le domaine de la captologie. Grâce à ces travaux, le système technocapitaliste a pu développer des techniques de persuasion qui orientent l’individu vers un comportement marchand.</p>
<p>Tout comme les chimistes des cigarettiers étaient <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2012/02/25/les-conspirateurs-du-tabac_1647738_3224.html">payés pour rendre les fumeurs de plus en plus dépendants</a>, des milliers de chercheurs et d’ingénieurs le sont pour transformer notre temps en un actif valorisable. Ainsi, à côté du nouveau marché des données dont il est souvent question, se crée un marché tout aussi stratégique, celui du temps. Et ce sont les mêmes acteurs qui s’emploient à le dominer.</p>
<h2>« Le rapide qui dévore le lent »</h2>
<p>L’accélération du temps est devenue indispensable à la croissance. Dans son livre <a href="https://www.lemonde.fr/livres/article/2010/04/15/la-fuite-en-avant-de-la-modernite_1333903_3260.html"><em>Accélération</em></a>, Hartmut Rosa pose comme hypothèse que notre modèle économique impose un cadre social basé sur le principe d’accélération et que cette accélération transforme en profondeur nos sociétés. Pour lui, le système ne peut se contenter d’une vitesse constante. Compte tenu du ralentissement de la croissance démographique et de la productivité, nombre d’économistes expliquent que le monde doit se préparer à vivre avec une croissance voisine de 1 % à 1,5 % par an. Des taux qui, à l’évidence, sont difficilement compatibles avec le projet technocapitaliste.</p>
<p>Celui-ci a besoin de rendement du capital bien supérieur (la fameuse <a href="https://www.capital.fr/economie-politique/thomas-piketty-ne-en-1971-son-analyse-des-inegalites-est-en-phase-avec-les-preoccupations-du-public-1146542">inégalité r > g de Thomas Picketty</a>). Et c’est là que l’accélération apparaît comme la solution. Il faut une diffusion plus rapide et plus massive des nouveautés technologiques. Pour accélérer les comportements d’achat, il faut rendre inutiles les anciens produits. Pour pouvoir prêter toujours plus à des taux toujours plus bas, on va accélérer la vitesse de circulation des titres financiers.</p>
<p>Ce principe d’accélération dessine aussi une nouvelle forme d’organisation économique. L’entreprise qui a de l’avenir est celle qui sera portée par les valeurs de l’entrepreneuriat : l’agilité, l’appât du gain rapide, la mobilité et le changement permanent. Lorsque Klaus Schwab, fondateur du World Economic Forum, déclare : « Dans le monde d’aujourd’hui, ce n’est pas le gros qui mange le petit, <a href="https://www.cio.com/article/2935648/it-strategy/focus-and-speed-digital-strategy-for-your-specific-business-challenges-and-goals.html">mais le rapide qui dévore le lent</a> »</p>
<p>il nous indique que le temps constitue l’avantage concurrentiel décisif, la rapidité d’action est survalorisée. On ne demande plus à un collaborateur du travail bien fait, d’aller au fond des choses. Ce qu’on exige de sa part est qu’il aille de plus en plus vite.</p>
<h2>La désynchronisation du temps politique</h2>
<p>De nos jours, c’est à l’ensemble de nos sociétés que l’on demande d’accélérer. Le grand modèle porté par les dirigeants du monde entier est celui de la start-up censée représenter ce qui se fait de plus efficace en matière d’adaptation à un monde en accélération permanente. À tel point que l’on se plaît à imaginer la France devenir une « start-up nation ». Or, au niveau d’une nation, il n’est pas sûr qu’accélération rime avec harmonie et inclusion sociale.</p>
<p>Avec la montée en puissance de ces nouveaux modèles économiques, nous assistons surtout à une transformation des marchés qui, d’un côté, permettent au gagnant de les emporter en totalité, et donc de créer des rentes monopolistiques et, de l’autre, conduisent à une précarisation des emplois de travailleurs devenus prétendument indépendants avec, à la clé, un creusement des inégalités et un phénomène majeur de déliaison sociale.</p>
<p>Le modèle de la start-up est symbolique du principe d’accélération qui caractérise notre monde. Mais, pour qu’il s’applique à l’ensemble de nos sociétés, cette vision impose l’idée que le temps du droit, du politique, du social est lui aussi capable d’accélérer. Cette idée revient à ignorer, voire à remettre en cause, le rôle des institutions démocratiques, judiciaires et sociales qui, par nature, procède d’une autre temporalité.</p>
<h2>L’accélération sociale nous fait entrer dans un monde liquide</h2>
<p>La dynamique qui s’opère sur le marché des qualifications est une parfaite illustration des conséquences sociales de ce phénomène. L’accélération des rythmes économiques, des progrès technologiques, de la complexité des systèmes imposent un accroissement de plus en plus rapide de la demande de qualification. L’offre de qualification, qui relève d’un processus de formation/adaptation beaucoup plus lent, a de plus en plus de mal à suivre. C’est pourquoi le système technocapitaliste est inégalitaire par nature.</p>
<p>Sur les marchés où le niveau de qualification est élevé, nous sommes dans une situation de demande excédentaire. En conséquence les revenus ont tendance à augmenter. Par contre, sur le marché des faibles qualifications, c’est l’offre qui est structurellement excédentaire. Cet écart est amené à grandir par le simple phénomène de l’accélération du progrès technique. Devant l’abondance de l’offre à faible qualification, les salaires vont rester stables, voire baisser.</p>
<p>L’accélération des rythmes du changement chahute notre vie sociale. Dans un mode de vie accéléré, il devient difficile de construire de véritables relations. Les individus essayent de saisir les opportunités qui s’offrent à eux. <a href="https://catalogue.univ-amu.fr/cgi-bin/koha/opac-detail.pl?biblionumber=954256">Zygmunt Bauman</a> constate que nos sociétés se caractérisent par la disparition des permanences. Comme l’eau d’une rivière, nos sociétés se transforment continuellement. Il prend l’exemple de l’amour ou du sentiment comme témoin de cette liquéfaction : dans une société toujours plus individualiste, les liens permanents et structurés entre hommes et femmes deviennent très improbables. De la même manière, l’accélération des exigences en matière de mobilité professionnelle rend quasi impossible le maintien d’institutions sociales puissantes. C’est pourquoi il propose de les qualifier de « sociétés liquides ». Dans celles-ci, les relations sociales sont de plus en plus impalpables et improbables. L’État devient simple gestionnaire d’une société ultra concurrentielle, où les principes d’enracinement, de permanences et de solidarités interpersonnelles sont affaiblis à l’extrême. Ce que Bauman nomme la « modernité liquide » correspond ainsi à notre mode d’existence insaisissable et atomisé.</p>
<p>Chaque révolution industrielle s’est accompagnée d’une accélération. Au Moyen-Âge, le temps se décomptait en semaines, en jours. L’apparition de la modernité au XIX<sup>e</sup> et XX<sup>e</sup> siècles s’accompagne de mesures en minutes, en secondes. Aujourd’hui, la mesure du temps c’est la nano-seconde. À cette vitesse, nos institutions sont prises par un système qui décide à leur place. Nous le savons pour ce qui concerne les marchés financiers. Mais le problème est bien plus général. L’État n’est plus qu’une machine à suivre ce que le marché décide. Dans ce sens, la déformation sociale du temps est l’un des tout premiers facteurs explicatifs de l’impuissance du politique. Dans ce grand bouleversement, chacun essaye de se rattraper à ce qu’il peut, et parfois au pire.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/97504/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Renaud Vignes ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Plus nos sociétés accélèrent, plus notre capital-temps se raréfie et prend de la valeur. Cette combinaison forme un processus puissant qui se situe au cœur du grand bouleversement social actuel.Renaud Vignes, Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1016892018-09-23T19:19:52Z2018-09-23T19:19:52ZEn Côte d’Ivoire, les travailleurs surqualifiés gagnent moins que les travailleurs qualifiés<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/236539/original/file-20180916-177956-16gps13.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=9%2C7%2C1583%2C1149&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les travailleurs en rang devant le guichet automatique d'une banque de la place pour retirer leur salaire du mois.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="http://eburnietoday.mondoblog.org/">Suy Kahofi </a></span></figcaption></figure><p><em>Nos travaux montrent que les travailleurs surqualifiés diplômés de BTS/DEUG/DUT sont les plus exposés à l’écart de salaire. On constate aussi que cet écart diminue avec l’âge. Plus le travailleur surqualifié vieillit, plus il a de l’expérience dans son emploi, ce qui augmente sa productivité marginale dans l’entreprise, donc son salaire.</em></p>
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<p>La <a href="https://www.cirano.qc.ca/files/Publications/2003RP-13.pdf">surqualification</a> est la distinction qui peut être observée entre le niveau de qualification du travailleur et la qualification requise par le poste d’emploi qu’il occupe.</p>
<h2>Surqualification et rendement salarial</h2>
<p><a href="https://www.jstor.org/stable/30023104">Freeman en 1976</a> est l’un des premiers économistes à avoir manifesté, à la fin des années 1970, de l’intérêt pour ce phénomène à travers l’étude sur les Baby-boomers sur le marché du travail aux États-Unis. Selon lui, l’augmentation de l’offre de travailleurs hautement qualifiés s’est réalisée pendant la période durant laquelle la demande des travailleurs qualifiés était en baisse, forçant les diplômés hautement qualifiés à accepter des emplois qui nécessitaient des qualifications de niveau plus faible que les leurs.</p>
<p>La surqualification a des implications en terme salarial. Cette dimension du phénomène est étroitement liée à la littérature économique sur les <a href="https://www.persee.fr/doc/ecop_0249-4744_2007_num_180_4_7673">rendements de l’éducation des diplômés</a>.</p>
<p>Selon <a href="https://www.lenouveleconomiste.fr/theorie-capital-humain-de-gary-becker-60930/">Gary Becker</a>, le rendement salarial est en corrélation avec la durée de la formation du diplômé. Le salaire étant fixé par les conditions de la concurrence, il mesure la productivité de l’individu.</p>
<h2>La situation en Côte d’Ivoire</h2>
<p>Le gouvernement ivoirien, dans un contexte de pénurie de travailleurs qualifiés a augmenté les dépenses globales d’éducation sur la période 2006-2014 passant de 579 505 millions de FCFA à 1 230 843 millions de FCFA (source : ministère du Budget, ENV 2008 et ENV 2015) afin de soutenir le développement de la Côte d’Ivoire.</p>
<p>Mais <strong>le taux de surqualification qui est de 29,69 % sur le marché du travail et de 30,68 % pour les diplômés du supérieur</strong> montre un déphasage entre les investissements consentis dans l’éducation et les besoins du marché du travail.</p>
<p>A diplôme égal, le diplômé qui accepte un emploi dont les exigences de qualification est inférieures à son niveau de qualification subit un écart de salaire par rapport à son confrère qui est dans un emploi dont les exigences de qualification est égales au niveau de qualification.</p>
<p>En effet, selon une enquête réalisée par le <a href="http://www.ufrseg.ci/welcome/activities/12">Centre de recherches microéconomiques du développement</a> (CREMIDE) en 2018 sur les diplômés en Côte d’Ivoire, le salaire moyen d’un travailleur qualifié est de 237 465 FCFA. Par contre, celui du surqualifié est de 149 630 FCFA. <strong>On observe un écart de salaire d’environ 90 000 FCFA.</strong></p>
<p>Pour les travailleurs qui occupent des emplois à plein temps, les qualifiés gagnent en moyenne 239 217 FCFA alors que les surqualifiés gagnent 154 227 FCFA. Quant aux travailleurs en temps partiel, les qualifiés gagnent 219 877 FCFA et les surqualifiés gagnent 138 072 FCFA.</p>
<p>Pour les travailleurs de niveau d’enseignement supérieur, les qualifiés gagnent en moyenne 244 549 FCFA alors que les surqualifiés gagnent en moyenne 152 293 FCFA soit un écart d’environ 90 000 FCFA.</p>
<p>Cet état de fait nous montre qu’il est irrationnel pour un diplômé du supérieur d’accepter un emploi qui exige un niveau de qualification inférieur au sien, car il risque de perdre 90 000 FCFA de salaire.</p>
<h2>Pourquoi ces écarts de salaire ? Deux pistes</h2>
<p>Pour expliquer les écarts de salaires entre les qualifiés et les surqualifiés, l’on a utilisé la méthode de décomposition <a href="https://core.ac.uk/download/pdf/6442665.pdf">d’Oaxaca-Blinder (1973) repris par Ben Jann (2008)</a>. Les résultats obtenus nous montrent que l’écart de salaire entre les travailleurs qualifiés et surqualifiés est expliqué en majorité (53,65 %) par <strong>les caractéristiques sociodémographiques des travailleurs</strong>.</p>
<p>L’obtention d’un diplôme de BTS/DEUG/DUT explique l’écart de salaire. Cela veut dire que les diplômés de BTS/DEUG/DUT qui acceptent un emploi de niveau de qualification inférieur auront un salaire plus bas que ceux qui acceptent seulement un emploi de niveau BTS/DEUG/DUT.</p>
<p>En plus du diplôme BTS/DEUG/DUT, les travailleurs en accord verbal avec leurs employeurs risque d’avoir un salaire inférieur aux travailleurs qualifiés de mêmes niveaux qu’eux, travaillant chez le même employeur, s’ils occupent des emplois qui exigent des niveaux de qualification inférieurs au sien.</p>
<p>La part non expliquée de l’écart de salaire (46,35 %) est due à <strong>la discrimination des employeurs envers les surqualifiés</strong>. Cette discrimination diminue cependant avec l’âge du travailleur surqualifié. Mais augmente avec les travailleurs qui ont un diplôme du supérieur surtout le diplôme de BTS/DEUG/DUT.</p>
<p><strong>Par ailleurs, les employeurs qui ont une entreprise de petite taille ont un comportement discriminatoire plus fort envers les travailleurs surqualifiés</strong> du point du salaire que les employeurs possédant des entreprises de grande taille. Il n’est donc pas conseillé pour un diplômé qui veut s’insérer dans une entreprise de petite taille d’accepter un emploi qui exige un niveau de qualification inférieur au sien.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/101689/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Dr. Andoh Regis Yapo ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Cette étude montre que les travailleurs qualifiés gagnent plus que les travailleurs surqualifiés. Les travailleurs surqualifiés diplômés de BTS/DEUG/DUT sont les plus exposés à l’écart de salaire.Dr. Andoh Regis Yapo, Doctorant, économiste du travail, assistant chercheur au CREMIDE (Centre de recherche microéconomique du développement)., Université Alassane Ouattara de BouakéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/862462017-11-22T05:12:39Z2017-11-22T05:12:39ZLe triple A des Écoles de Commerce : des accréditations entre assurance-qualité, affaire, et accusations<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/194982/original/file-20171116-8000-o10uhw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Campus berlinois de l'ESCP Europe.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/escpeurope_london/10801117863/in/album-72157636683908305/">ESCP Europe/Flickr</a></span></figcaption></figure><p><a href="http://www.aacsb.edu/">AASCB</a>, <a href="https://www.mbaworld.com/">AMBA</a>, <a href="http://www.efmd.org/">EQUIS</a> sont autant de labels d’excellence que les écoles de management vantent dans leur communication. Similaires à des notations telles que le <a href="http://droit-finances.commentcamarche.net/faq/24074-triple-a-definition">triple A en finance</a>, ces récompenses constituent une assurance-qualité. Néanmoins, elles sont également devenues une affaire lucrative et une question de survie pour les <a href="http://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0007681316000045">business schools internationales</a>. Régulièrement, des accusations dénoncent notamment l’aspect pécuniaire des accréditations. Comment cela fonctionne, à quoi cela sert, quels sont les enjeux, et quels sont les revers de la médaille ?</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/194827/original/file-20171115-19772-13vkk8s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/194827/original/file-20171115-19772-13vkk8s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=317&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/194827/original/file-20171115-19772-13vkk8s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=317&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/194827/original/file-20171115-19772-13vkk8s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=317&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/194827/original/file-20171115-19772-13vkk8s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=399&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/194827/original/file-20171115-19772-13vkk8s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=399&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/194827/original/file-20171115-19772-13vkk8s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=399&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les accréditations AACSB, EQUIS, EPAS et AMBA des écoles de gestion.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://www.ecoles-commerce.com/accreditations-des-ecoles-en-2017-equis-aacsb-amba-epas/">ecoles-commerce.com</a></span>
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</figure>
<p>Commençons par distinguer les accréditations et reconnaissances conférées par l’État (<a href="https://www.cefdg.fr/ecoles-et-formations-visees;jsessionid=53D2EC5E8273692B102D9042A0322307">formations visées</a>, <a href="https://www.cefdg.fr/web/cefdg/lexique?p_p_id=56_INSTANCE_ru6I&p_p_lifecycle=0&p_p_state=normal&p_p_mode=view&p_p_col_id=column-2&p_p_col_pos=1&p_p_col_count=3">grade de master</a>…) de celles attribuées par des accréditeurs privés. Malgré l’absence de caractère officiel de ces derniers, leur portée internationale est souvent prééminente sur celle de l’État.</p>
<p>Parmi environ <a href="https://www.efmd.org/images/stories/efmd/Blog/GFOCT2014/Issue__3_2014_accreditation.pdf">13 000 business schools</a> au monde, moins de <a href="https://www.efmd.org/images/stories/efmd/Blog/GFOCT2014/Issue__3_2014_accreditation.pdf">10 %</a> ont à minima l’un de ces labels internationaux. Moins de <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Triple_accreditation">1 %</a> détiennent l’AASCB, l’AMBA, et l’EQUIS, triple couronne détenue en France par seulement <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Triple_accreditation">15 écoles</a> au total dont l’<a href="http://www.essec.edu/">ESSEC</a>, entrée récemment dans ce club plutôt select.</p>
<p>Le processus pour obtenir une de ces accréditations pour la première fois peut prendre jusqu’à <a href="https://blog.headway-advisory.com/a-quoi-servent-les-accreditations-internationales-la-cge-fait-le-point/">sept ans</a> avec des étapes semblables pour chacune des accréditations : une enquête préliminaire auprès de l’école ; un rapport écrit par l’école à partir de standards et de questions précises ; une visite sur site par une équipe de pairs ; des recommandations écrites par cette équipe ; la décision de l’accréditeur d’accorder ou non le label à l’institution et sous quelles conditions.</p>
<p>Chacune de ces trois accréditations a cependant son propre raisonnement. L’américaine AACSB se concentre beaucoup sur l’assurance de la qualité de l’apprentissage en se focalisant davantage sur des critères quantitatifs et des checklists, l’EQUIS (l’équivalent européen) met plus de poids sur la stratégie internationale de l’institution et poursuit une approche plus qualitative. L’AMBA basée à Londres est en quelque sorte la petite sœur des deux autres car elle n’accrédite que des programmes individuels et non des institutions entières.</p>
<h2>Assurance-qualité et moteurs du perfectionnement des business schools</h2>
<p>La phase d’accréditation ou de réaccréditation régulière oblige les business schools à se remettre en question. Elle implique tous les stakeholders de l’institution (l’équipe de direction, le corps professoral, le corps administratif, les étudiants et alumni) et sont un excellent moyen de les fédérer autour d’un même projet – souvent équivalent à un projet de modernisation d’une entreprise. Enfin, au moment de l’obtention du label, une fierté s’installe parmi tous ces acteurs et est source d’énergie et de renouveau. Ainsi, la <a href="http://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/08975930.2013.860345">recherche scientifique</a> montre que les accréditations ont amélioré les écoles de management.</p>
<p>Bien que leur utilité soit incontestable, les accréditations pourraient l’être encore davantage, si appliquées et préparées de manière optimale. Il arrive que les écoles soient débordées et ne prennent/ne puissent pas prendre le temps nécessaire. Ainsi, quelquefois la finalité d’obtenir l’accréditation prend le dessus sur l’objectif d’améliorer véritablement et durablement son institution. Or, pour qu’une accréditation ait un rôle majeur d’assureur-qualité, les processus d’amélioration doivent être assidus et permanents.</p>
<h2>Affaire pour les accréditeurs et question de survie pour les écoles</h2>
<p>Les accréditations ont un impact direct sur le recrutement des meilleurs étudiants sensibles aux labels d’excellence. Elles sont également indirectement vitales par leur prise en compte dans les barèmes des classements et par leur qualité de repère lors du choix des partenaires prestigieux pour les meilleures écoles internationales. Ainsi, dans un contexte de baisse constante des financements publics où bien recruter devient crucial, la perte d’une accréditation peut avoir des conséquences dramatiques.</p>
<p>Cette importance se reflète dans le coût élevé des accréditations. Il existe des coûts directs élevés critiqués par <a href="http://www.lemonde.fr/societe/article/2012/12/28/la-cour-des-comptes-epingle-les-ecoles-de-commerce_1811097_3224.html">La Cour des comptes</a> car les accréditeurs de l’AASCB ou de l’EQUIS facturent environ <a href="https://www.efmd.org/companies/113-accreditation/equis/113-fee-structure">50 000€</a> pour un label d’une durée de cinq ans. Mais les standards exigeants des accréditeurs créent également des coûts indirects très importants tels que celui induit par le pourcentage minimum d’enseignants permanents avec un niveau élevé de recherche. </p>
<p>Ces professeurs sont plus chers que des intervenants donnant seulement quelques cours chaque année. Ainsi, la <a href="http://www.sciencespo.fr/ecole-management-innovation/en">School of Management and Innovation de Sciences Po</a>, institution pourtant prestigieuse, aurait actuellement des difficultés à décrocher l’un de ces labels avec un corps enseignant constitué de très peu d’enseignants-chercheurs permanents. Pour les accréditeurs il existe parfois également une pression financière pour maximiser leur profit en poursuivant une politique d’expansion qui respecterait leurs critères de qualité.</p>
<h2>Accusations d’accompagnement : uniformisme, lobbysme, opportunisme</h2>
<p>Même si les accréditeurs soulignent à juste titre que chaque école est évaluée dans son contexte, un certain effet d’harmonisation est indéniable et se traduit par des accusations régulières d’uniformisation. À l’inverse, cette harmonisation transnationale se heurte parfois aux normes étatiques. Au Royaume-Uni par exemple, l’<a href="http://www.qaa.ac.uk/en">accréditeur national</a> demande l’existence d’évaluateurs externes à l’école. En Allemagne, en revanche, cela est interdit par la <a href="https://www.hochschulverband.de/hochschulgesetzsammlung.html#_">loi</a> car le professeur est le juge ultime de la qualité de son cours. Pour une école comme <a href="http://www.escpeurope.eu/">ESCP Europe</a>, avec des campus et normes à respecter dans six pays européens, cela peut devenir assez compliqué.</p>
<p>D’autres accusations se concentrent autour du lobbying. Sans surprise, les écoles ayant reçu l’accréditation discutent et influencent les évolutions potentielles des critères d’évaluation – ce qui rend quelquefois plus dur pour les non-membres d’y rentrer. Par exemple quand l’AASCB s’est vu renouveler de manière significative en 2003 et 2013, un comité de directeurs d’écoles membres a proposé des changements.</p>
<p>Enfin par opportunisme, des membres de direction des écoles peuvent essayer d’influencer le rapport des accréditeurs de façon à ce qu’il soit utile à leur politique interne. Cette instrumentalisation, source de mécontentement, veut qu’il soit plus simple de fermer ou de repositionner des programmes, de modifier les statuts du corps enseignant, si cela est effectivement demandé par un accréditeur objectif et externe à la maison.</p>
<h2>Des labels d’excellence bien particuliers aux business schools</h2>
<p>Ces accréditations revêtent donc un caractère incontournable d’assurance-qualité pour les écoles de commerce en quête de prestige. Mais est-ce que ces labels d’excellence existent aussi dans d’autres secteurs de l’enseignement supérieur et est-ce que ce système serait transposable à d’autres domaines ? Les écoles d’ingénieurs ont à cet égard leur label <a href="https://www.efmd.org/companies/126-eu-cooperation/completed-projects/182-queste-si-quality-system-of-science-and-technology-universities-for-sustainable-industry">QUESTE</a>, soutenu par la Commission européenne, mais qui reste encore très circonscrit.</p>
<p>Toutefois, pour qu’un label fonctionne il faut qu’il y ait un besoin pour la formation concernée motivé par une offre variée et potentiellement anarchique dans la formation concernée. Le label de l’AMBA a été créé car beaucoup de <a href="http://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0263237314000425">formations MBA médiocres</a> avaient émergé d’un marché lucratif dans les années 1970-1980. De plus, un label ne peut s’établir sans le consentement des institutions elles-mêmes, surtout les plus prestigieuses d’entre elles. Un label légitime tend à être octroyé par l’État ou soutenu par un organisme important. Finalement, souvent les formations ont une forte composante nationale, comme la médecine ou le droit, et sont donc moins propices à des labels internationaux d’excellence de qualité, pour le moment bien particuliers aux business schools.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/86246/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Andreas Kaplan ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les labels d’accréditation des écoles de management : comment cela fonctionne, à quoi cela sert, quels sont les enjeux, et quels sont les revers de la médaille ?Andreas Kaplan, Rector, ESCP Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/657622016-09-26T04:35:13Z2016-09-26T04:35:13ZLa condition de la réussite en Master est la sélection<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/138680/original/image-20160921-21689-15l3b6l.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La sélection en Master doit s’effectuer par le mérite, par l’esprit combatif, l’acceptation de l’échec, le travail de recherche et de formation dirigé par les enseignants.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/7/72/Finales_du_Championnat_d%E2%80%99Ile-de-France_de_boxe_anglaise_amateur_2009_002.jpeg">Beyrouth</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>La ministre de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Mme Vallaud-Belkacem, est notoirement opposée à toute forme de sélection, du moins dans l’enseignement public, secondaire et supérieur, car le système sélectif des Grandes-Écoles ou encore de Sciences-Po, dont elle est issue, semble échapper à sa vigilance idéologique.</p>
<p>Mme Vallaud-Belkacem n’a eu de cesse de définir comme « rétrograde » toute forme de sélection à l’université. Elle n’avait pas hésité, en <a href="http://www.assemblee-nationale.fr/14/cri/2015-2016/20160131.asp#P728902">intervenant devant l’Assemblée nationale le 17 février dernier</a>, à déclarer, en s’adressant sans doute moins aux députés présents qu’à l’Union nationale des étudiants de France : « Vous pouvez compter sur moi pour vous assurer que [la] liste [des formations relevantes du deuxième cycle pouvant faire l’objet d’une sélection] sera très limitative […] La sélection, profondément rétrograde, s’oppose à la démocratisation et au renouvellement de nos élites ».</p>
<p>Le décret du Conseil d’État, précisant que la sélection à l’entrée de la deuxième année de master était illégale sans la publication d’un décret d’application de la loi, ainsi que la pression d’une part importante de la communauté universitaire, relayée par la Conférence des présidents d’université, avaient fini par obliger le ministère à publier le 25 mai dernier un <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000032587047&categorieLien=id">décret autorisant une partie des formations de Master</a> à opérer une sélection entre le Master 1 (M1) et le Master 2 (M2).</p>
<p>Un grand nombre d’universitaires avaient souligné le caractère insatisfaisant d’un tel décret, affirmant que l’examen des candidatures et la décision concernant l’éventuel accueil des étudiants en master devaient intervenir en M1 et non en M2.</p>
<p>Les services du ministère semblaient ainsi s’orienter vers une telle solution.
C’était sans compter avec les convictions inébranlables de Mme Vallaud-Belkacem.</p>
<p>La ministre vient de déclarer dans une interview parue dans <em>Les Échos</em> du 11 septembre qu’une <a href="http://www.lesechos.fr/politique-societe/societe/0211277213464-najat-vallaud-belkacem-universites-une-loi-en-novembre-pour-un-master-reforme-a-la-rentree-2017-2026407.php">nouvelle loi et un nouveau décret seraient bientôt votés, pour une mise en œuvre à la rentrée 2017</a>.</p>
<p>Les universités pourraient bien recruter en M1, mais tout étudiant diplômé de Licence aurait le « droit » désormais, de poursuivre ses études. La nouvelle procédure de recrutement à l’entrée en master garantirait selon la ministre l’élévation du « niveau de qualification des jeunes ». Le principe qui inspire cette énième loi est clair : faciliter par tous les moyens juridiques la réussite pour tous, du bac au master, et sans doute demain au doctorat…</p>
<h2>Plus d’étudiants en master… pour quel résultat ?</h2>
<p>Le but serait de passer du 15-16 % actuel d’une classe d’âge diplômée de master en France à 25 %. L’objectif est très ambitieux (50 % de plus de diplômés), peut-être trop. Aujourd’hui, presque trois quarts des diplômés de licence générale poursuivent déjà leurs études en master.</p>
<p>Or même si tous les diplômés de Licence devaient décider de poursuivre leurs études sans aucune sélection à l’entrée du M1, on passerait au mieux de 16 % à 23 % ! Pour que ce chiffre soit atteint, il faudrait même que les équipes pédagogiques ne pratiquent aucune forme de sélection à l’intérieur du master, qui deviendrait alors, si la ministre accepte que l’on paraphrase une formule latine, un diplôme <em>ope inscriptionis</em>. On aurait ainsi rejoint les pays européens ayant un taux de diplômés de master autour de 25 %, mais au prix d’une dévalorisation de ce diplôme.</p>
<p>La notion de réussite n’a pas de sens sans la possibilité de l’échec, qui n’est pas toujours un revers, et qui peut aider la maturation intellectuelle et professionnelle de l’étudiant.</p>
<p>L’enseignement supérieur ne peut pas être une fabrique des diplômes évaluée sur son taux de productivité. L’objectif d’augmenter le nombre d’étudiants poursuivant les études après la Licence est en soi louable, mais le moyen d’y parvenir est tout aussi important. Il ne peut s’agir de saper les bases du système de transmission des savoirs, de vérification des connaissances, d’élaboration de la recherche.</p>
<p>Certes, l’histoire du savoir a montré que la connaissance progresse dès lors qu’elle est mieux partagée et que le vivier universitaire s’enrichit qualitativement et quantitativement. Mais cette progression doit se faire en respectant des règles et des protocoles scientifiques et didactiques rigoureux et transparents, validés par les chercheurs eux-mêmes. Les professeurs universitaires sont les seuls garants de la qualité et de l’impartialité d’un tel processus.</p>
<p>Leur retirer ce droit, qui est pour eux un devoir déontologique et scientifique, comme semble le préconiser la ministre, ce serait une faute grave, que la grande majorité des universitaires ne pourraient pas accepter.</p>
<p>Imaginer des commissions régionales décidant du sort des étudiants qui n’auraient pas été accueillis dans une formation du deuxième cycle signifierait s’attaquer aux libertés académiques fondamentales. Cela reviendrait à nier l’autonomie universitaire, soumise de fait à une tutelle régionale opaque. Ce serait aussi pénaliser tous ces étudiants qui sont inscrits en master en vertu des connaissances acquises, de leur projet de recherche, de leur motivation, bref de leur mérite.</p>
<h2>La sélection par la formation et la recherche est primordiale</h2>
<p>Imaginer que la sélection opérée par les équipes pédagogiques à l’entrée du master soit une sorte d’injustice perpétrée contre les étudiants non admis, c’est, en premier lieu, méconnaître les modalités didactiques de la formation par la recherche, qui exige à la fois des étudiants possédant un niveau de connaissances et de compétences comparable, une pratique de l’étude consolidée, un nombre d’étudiants limité qui permette au professeur de suivre et encadrer chacun.</p>
<p>C’est, d’autre part, ignorer que les séminaires de master ne sont pas des cours magistraux, mais des travaux dirigés de haut niveau, qui traduisent sur un plan didactique les recherches du professeur qui y enseigne et exigent une formation cohérente sur le plan de la qualité et du cursus didactique des étudiants qui y étudient – des étudiants qui à travers leurs travaux doivent faire progresser les connaissances des autres intervenants, et si possible de leur professeur.</p>
<p>C’est aussi oublier que les masters sont adossés à des centres de recherche et qu’ils ne peuvent que refléter les orientations scientifiques des chercheurs qui sont rattachés à ces centres. C’est ne pas comprendre, enfin, que cette formation du deuxième cycle a également pour mission de faire émerger les doctorants de demain.</p>
<p>Si l’on veut continuer d’élever le niveau de qualification des jeunes, en augmentant dès 2017 le nombre de diplômés de master, et demain celui des docteurs, ce n’est pas en déstabilisant les formations actuelles par un flux non maîtrisable d’étudiants que l’on y parviendra.</p>
<p>Pour élever le niveau des jeunes générations, il faut d’abord instituer une orientation sélective fondée sur les prérequis disciplinaires à l’entrée des universités, en favorisant à travers l’affichage d’une formation universitaire exigeante le retour dans nos facultés de ces étudiants qui privilégient de plus en plus les systèmes sélectifs des Grandes Écoles, des IUT et des BTS, des Écoles de commerce. Si l’université française ne retrouve pas son attractivité didactique et scientifique, l’idéal de la réussite pour tous ne sera qu’un slogan dissimulant le nivellement vers le bas des jeunes générations.</p>
<p>Une fois de plus, les victimes en seront les étudiants issus des classes moins favorisées qui, malgré leurs mérites, risqueront d’être les titulaires d’un bout de papier qui vaudra bien moins pour leur insertion professionnelle que le réseau de relations pour les étudiants appartenant aux classes privilégiées.</p>
<p>La formation supérieure ne doit pas être le stade ultime de la remédiation, mais le levier d’une croissance scientifique et d’une conscience intellectuelle mieux partagées.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/65762/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Claudio Galderisi ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’enseignement supérieur ne peut pas être une fabrique des diplômes évaluée sur son taux de productivité.Claudio Galderisi, Professeur de langues et littératures de la France médiévale, Université de PoitiersLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.