tag:theconversation.com,2011:/ca-fr/topics/sciences-de-leducation-49592/articlessciences de l'éducation – La Conversation2023-10-25T16:00:05Ztag:theconversation.com,2011:article/2156152023-10-25T16:00:05Z2023-10-25T16:00:05ZLinguistique, éducation… Quand les médias confondent opinion et expertise<blockquote>
<p>« Moi je suis amoureux de la langue française. J’ai envie que la langue française reste comme elle est. Je ne vois pas pourquoi on transformerait. Je suis partisan de la richesse, de la beauté des mots comme on les a lus, comme on les a appris ! »</p>
</blockquote>
<p><a href="https://www.youtube.com/embed/bmCfj9QTd8A">Cette récente saillie de Pascal Obispo</a> signe une tendance largement partagée : les individus sont souvent amenés à penser que leur expérience personnelle leur confère une expertise dans un domaine. C’est particulièrement le cas pour la langue et l’éducation. Les médias partageraient-ils cette perception ? Ils font facilement appel aux chercheurs pour traiter des actualités liées à la santé, à la politique et à l’économie, mais on observe une certaine confusion lorsqu’il s’agit d’aborder des sujets relevant d’autres sciences humaines et sociales.</p>
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<p><a href="https://theconversation.com/lexpertise-en-sciences-ou-comment-se-decide-ce-qui-est-publiable-noblesse-et-de-rives-77925">L’expertise des chercheurs</a> a-t-elle la même fonction que d’autres discours sur les plateaux télévisés ? Plutôt que de s’intéresser directement au statut des individus (experts, chercheurs, etc.), les sciences du langage analysent la manière dont les discours publics sont perçus. On examinera ici le statut de ces discours d’expertise en cherchant à comprendre leur nature – oscillant entre opinion basée sur une expérience personnelle et expertise répondant aux critères scientifiques de la recherche – et leur positionnement dans les débats publics.</p>
<p>Prenons le cas de l’analyse de la langue, qui fait l’objet <a href="https://www.slate.fr/story/199326/medias-linguistique-langue-vulgarisation-reseaux-sociaux-youtube-podcasts">d’un intérêt particulier dans les médias</a> en France. Cet engouement est étayé par la participation de différents linguistes aux questions sociétales : <a href="https://www.youtube.com/watch?v=m5Ia-CxaD00">Maria Candea</a> sur le fait que le langage est politique, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=3D_ABYMMPak">Philippe Blanchet</a> concernant la glottophobie, <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/les-chemins-de-la-philosophie/les-chemins-de-la-philosophie-du-vendredi-04-fevrier-2022-2334444">Bernard Cerquiglini</a> ou <a href="https://www.youtube.com/watch?v=7PW8pPWCkKk">Anne Abeillé</a> sur l’évolution des langues, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=PtkujdTDv2o">Mathieu Avanzi</a> sur le français de nos régions, Jean Pruvost sur les <a href="https://www.lefigaro.fr/langue-francaise/actu-des-mots/jean-pruvost-notre-passion-pour-la-langue-et-les-dictionnaires-est-liee-a-notre-histoire-20211227">dictionnaires</a> et <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/la-chronique-linguiste-de-laelia-veron">Laélia Véron</a> sur la langue dans une <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/la-chronique-linguiste-de-laelia-veron">chronique radio humoristique</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1695366975675924629"}"></div></p>
<p>Cette présence médiatique peut sembler importante, mais elle se concentre sur des thématiques spécifiques, parfois en raison d’une actualité brûlante : la <a href="https://theconversation.com/ecriture-inclusive-un-premier-bilan-de-la-controverse-147630">polarisation autour de certaines évolutions de la langue</a>, par exemple. Et elle reste périphérique. Sur cette thématique, les <a href="https://shs.hal.science/halshs-00731499/document">« experts-profanes »</a> sont légion. Pour le média Slate.fr, l’Académie française <a href="http://www.slate.fr/story/199326/medias-linguistique-langue-vulgarisation-reseaux-sociaux-youtube-podcasts">« comblerait également un vide médiatique laissé par les sciences du langage »</a>. En effet, celle-ci <a href="https://theconversation.com/debat-lecriture-inclusive-un-peril-mortel-vraiment-86522">critique régulièrement les évolutions de la langue française</a> dans une vision décliniste. Or, sa légitimité à parler de la langue est <a href="https://lactualite.com/societe/trop-de-romanciers-pas-assez-de-linguistes/">régulièrement mise en cause du fait de l’écrasante majorité de non-linguistes en son sein</a>. Lassé de la « désinformation sur la langue » et des « paniques morales propagées sans rencontrer de discours contradictoire », le collectif des <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/tracts-le-podcast/les-linguistes-atterres-repenser-les-debats-sur-le-francais-6935492">linguistes atterré·e·s</a> publie en 2023 un court ouvrage revendiquant que <a href="https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Tracts/Le-francais-va-tres-bien-merci">« le français va très bien, merci ! »</a> Mais ce tract est rapidement contesté par une tribune dans <em>Le Figaro</em> intitulée <a href="https://www.lefigaro.fr/langue-francaise/actu-des-mots/le-francais-ne-va-pas-si-bien-helas-20230524">« Le français ne va pas si bien, hélas »</a>.</p>
<p>Maria Candea remarque que les médias ont peu tendance à se tourner vers des linguistes (ou leurs travaux) pour vérifier, au moyen de données issues de la recherche, des idées communément admises alors qu’il s’agit parfois de lieux communs.</p>
<h2>Sur les plateaux, opinion = expertise ?</h2>
<p>Dans les médias, opinions et expertises semblent par moments se valoir. Une émission <a href="https://www.publicsenat.fr/emission/deshabillons-les">« Déshabillons-les »</a> propose ainsi :</p>
<blockquote>
<p>« Des images décodées et mises en perspective par des experts qu’ils soient communicants, linguistes, psychologues, politologues mais aussi par les politiques eux-mêmes. »</p>
</blockquote>
<p>On note cependant parfois un mélange des genres avec une confusion sur ce que serait un discours d’expert, comme c’est le cas d’une tentative d’analyse de l’anglais du président Emmanuel Macron par une intervenante dont « l’expertise » viendrait de sa nationalité (américaine) et son métier (enseignante d’anglais). Le discours se transforme rapidement en une évaluation relativement imprécise, basée sur des arguments intuitifs plutôt que sur une grille de lecture spécifique :</p>
<blockquote>
<p>« C’est pas un accent tout à fait français, ni c’est un accent qui est un peu… c’est comme… il essaie un peu trop d’avoir un accent et des fois ça passe pas. »</p>
</blockquote>
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<p><a href="https://larevuedesmedias.ina.fr/invites-des-talk-shows-et-emissions-de-divertissement-tous-les-memes">L’INA</a> a répertorié les intervenants sur l’éducation dans les médias entre 2010 et 2015. Si sur 72 intervenants, une quarantaine sont enseignants-chercheurs, seuls trois ont une spécialité en lien direct avec l’éducation (formation des enseignants, sciences de l’éducation). Douze se dédient à la politique, onze aux lettres/littérature, six à l’histoire géographie, quatre à la philosophie et c’est le reflet du prisme pris par les médias sur cette question. Dix-huit enseignants (dont une partie importante d’agrégés) ont également été invités. Ces intervenants combinent la plupart du temps leur fonction académique avec celle de politique, écrivain, essayiste, éditeur ou encore réalisateur – ce qui brouille encore plus la fonction de ces discours.</p>
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<p>Même des chaînes qui ne courent pas après le divertissement du spectateur tombent dans ce travers. En 2023, sur Public Sénat, pour une émission sur la thématique <a href="https://www.youtube.com/watch?v=9jEve-Ckkac">« École : des réformes passéistes »</a> les invités sont un sénateur, une éditorialiste, une agrégée d’histoire-géographie et un ancien professeur d’anglais ayant quitté l’Éducation nationale. </p>
<p>Ce dernier, qui est invité à l’occasion de la <a href="https://editions.flammarion.com/lex-plus-beau-metier-du-monde/9782080298119">sortie de son livre</a>, relate sa formation d’il y a plus de 10 ans, sans que ne soit mise en perspective une vision sur les multiples réformes engagées dans cette période (masterisation, création des écoles supérieures du professorat et de l’éducation puis INSPE) qui ont bouleversé la formation initiale et continue des enseignants. Il s’agit donc, tel qu’il est présenté, d’un discours de témoignage basé sur l’expérience vécue, et non d’une expertise ayant une vocation de généralisation.</p>
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<p>Même constat en septembre 2023, lorsque le ministre de l’Éducation nationale Gabriel Attal réintroduit des sujets récurrents dans le débat public : <a href="https://www.lepoint.fr/education/gabriel-attal-annonce-une-serie-de-mesures-pour-renforcer-l-ecrit-des-eleves-15-09-2023-2535594_3584.php">port de l’uniforme, séparation de groupes de niveaux, (re)création d’une École Normale, etc.</a> Si les réactions à ces annonces de la part des acteurs du terrain de l’éducation <a href="https://www.cafepedagogique.net/2023/10/06/annonces-dattal-reactions-syndicales/">ont été nombreuses</a>, l’absence de visibilité des chercheurs du domaine (sciences de l’éducation et de la formation, didactique des différentes disciplines) et plus encore des formateurs des Instituts Nationaux Supérieur du Professorat et de l’Éducation (INSPE, ex–Ecole Normale ou IUFM) pose question, puisqu’ici encore leurs discours ne sont pas médiatisés.</p>
<h2>Prendre la parole à la TV : un combat de voix</h2>
<p>Les médias, forts de la nécessité de maintenir l’attention du public par le spectacle, peuvent considérer ces sujets en sciences humaines (la langue, l’école) comme des <a href="https://www.huffingtonpost.fr/julien-longhi/assez-des-mots-pretextes-en-cette-rentree-politique-comment-penser-le-renouvellement-de-l-analyse-politique_a_23511609/">« prétextes »</a>, en orientant leur traitement vers des approches clivantes. Pour cela, le recours à des invités dont le discours est tranché (notamment en pour/contre) s’avère un bon moyen de générer des débats voire des <a href="https://www.theses.fr/2012LYO20088">polémiques</a>, alors même que le discours scientifique fait une place centrale au doute. Avec cette concurrence effrénée des « experts plateaux » parfois autoproclamés, friands de médiatisation quel que soit les sujet, les connaissances médiées deviennent plus superficielles, et les discours d’informations peuvent alors relever de <a href="https://www.youtube.com/watch?v=f89WVeqWe-M">l’ultracrépidarianisme, c’est-à-dire « l’art de parler de ce qu’on ne connaît pas »</a>.</p>
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<p>Or, la temporalité des sciences n’est pas celle des médias, et la posture des experts-chercheurs diffère des autres experts, puisque si la <a href="https://www.cairn.info/revue-hermes-la-revue-2012-3-page-9.htm">« recherche vise à augmenter progressivement, suivant un rythme souvent lent, le stock de connaissances, l’expertise se fait sur le temps court »</a>. Et l’expertise est d’ailleurs tributaire d’une instance qui la sollicite : le discours scientifique nécessite une mise en débat avec les pairs, une prise en compte précise des connaissances actuelles et évolutions possibles. Les experts-chercheurs délivrent ainsi une analyse située, ce qui nécessite une méthodologie, des outils théoriques, et un peu plus de temps parfois que ne peuvent exiger les agendas médiatiques.</p>
<p>Cette réflexion n’amène pas à penser qu’il y aurait une hiérarchisation à faire entre les discours dans les médias. Elle s’intéresse à la manière dont ces discours peuvent être perçus comme plus ou moins experts et leur impact sur l’opinion. À ce titre, notons qu’il existe une hiérarchisation implicite de ces discours. On ne permet pas à certains de s’exprimer, par exemple, les « jeunes » qui <a href="https://www.lefigaro.fr/langue-francaise/expressions-francaises/2017/09/29/37003-20170929ARTFIG00003-l-appauvrissement-du-francais-est-en-marche.php">« appauvriraient la langue »</a>, tandis que la perception du discours des autres peut être biaisée par des représentations – les enseignants qui <a href="https://www.researchgate.net/publication/281831286_LA_RESISTANCE_AU_CHANGEMENT_UN_CONCEPT_DESUET_ET_INVALIDE_EN_EDUCATION_Resistance_to_change_an_outdated_and_invalid_concept_in_education">« résisteraient en permanence au changement »</a>. Le rôle de l’expert-chercheur en sciences du langage est aussi d’analyser ces rapports de pouvoir et parfois de les rééquilibrer.</p>
<p>En matière d’éducation ou de langue, la multiplication conséquente des <a href="https://shs.hal.science/halshs-00731499/document">« experts-profanes »</a> pose des questions pour le débat public, notamment face aux (non) interventions des experts-chercheurs. Si le « profane » ne doit pas être <a href="https://www.cairn.info/revue-questions-de-communication-2010-1-page-19.htm">« condamné à vivre sous tutelle des experts, à ne pas penser par lui-même »</a>, la mise en valeur des <a href="https://u-bourgogne.hal.science/hal-01622245/document">méthodes scientifiques auprès du grand public</a> dans les médias pourrait amener à l’identification d’experts en éducation ou en langues. Cela clarifierait, sans forcément tout résoudre, la distinction entre expertise et opinion, notamment sur des sujets qui se trouvent simplifiés ou caricaturés.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/215615/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>L’engouement des médias pour les chercheurs semble être à géométrie variable. S’il est légion dans certains domaines, en linguistique et éducation, la parole d’usagers qui se sentent experts domine.Grégory Miras, Professeur des Universités en didactique des langues, Université de LorraineJulien Longhi, Professeur des universités en sciences du langage, AGORA/IDHN, CY Cergy Paris UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2049782023-06-06T21:41:36Z2023-06-06T21:41:36ZÉducation : voici pourquoi les données probantes ne disent pas tout<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/530293/original/file-20230606-19-p7vgd8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C5%2C1997%2C1191&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">En se fiant uniquement sur des données probantes, on se prive d'expériences pertinentes provenant du milieu de l'éducation, comme ici dans une recherche réalisée en 2019 par des chercheuses de l’UQO. Sur la photo, des élèves d’une école de Gatineau découvrent leur environnement à l’aide d’appareils photo.</span> <span class="attribution"><span class="source">(courtoisie du projet Hors les murs »)</span>, <span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p>En éducation, le débat sur l’importance à accorder aux données probantes refait surface à intervalles réguliers depuis une vingtaine d’années. </p>
<p><a href="https://theconversation.com/la-reforme-drainville-renforce-lautorite-du-ministre-et-elimine-les-contre-pouvoirs-205550">Avec la récente réforme annoncée par le ministre de l’Éducation du Québec, Bernard Drainville</a>, une certaine confusion règne quant au sens à donner à ce concept.</p>
<p>Il peut être difficile de comprendre les enjeux du <a href="https://www.ledevoir.com/opinion/idees/791837/idees-l-inee-un-institut-de-la-naivete-par-excellence-en-education">débat qui s’est transporté sur la place publique</a> quant à l’utilisation des données probantes ou à la création d’un <a href="http://www.education.gouv.qc.ca/organismes-relevant-du-ministre/rapport-du-groupe-de-travail-sur-la-creation-dun-institut-national-dexcellence-en-education/">Institut national d’excellence en éducation</a> (INEÉ). En effet, comment ne pas se réjouir d’un gouvernement qui affirme vouloir éclairer ses décisions par des données scientifiques indiscutables ? Qu’est-ce qui peut expliquer que certains intervenants semblent s’inquiéter de l’excellence en recherche ? </p>
<p>En tant que chercheur en fondements de l’éducation, je m’intéresse à la fois à la philosophie de la connaissance, donc aux critères qu’on utilise pour déterminer ce qui peut être jugé comme étant vrai, et à la fonction de l’éducation et de l’école. J’estime que pour bien saisir les enjeux liés à l’utilisation des données probantes en éducation, il convient d’expliquer ce qu’elles sont et le contexte dans lequel elles ont été déployées.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-reforme-drainville-renforce-lautorite-du-ministre-et-elimine-les-contre-pouvoirs-205550">La réforme Drainville renforce l’autorité du ministre et élimine les contre-pouvoirs</a>
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<h2>Faire le pari du positivisme en recherche</h2>
<p>D’abord, il importe de noter que les partisans de la supériorité de ces données s’inscrivent dans une conception bien précise de ce qu’est la vérité, de ce qu’elle exige et de la forme qu’elle peut et devrait prendre.</p>
<p><a href="https://www.deboecksuperieur.com/ouvrage/9782807351370-les-donnees-probantes-et-l-education">Le concept des données probantes porte en effet toutes les caractéristiques du positivisme</a>, ce courant philosophique né au XIX<sup>e</sup> siècle qui soutient qu’il existerait des vérités, voire des lois qui expliqueraient la totalité de l’expérience humaine. Pour identifier ces lois, il suffirait d’exploiter des outils ou des instruments de mesure suffisamment précis.</p>
<p>En philosophie de la connaissance, une telle posture n’est pas tout à fait nouvelle. Elle est cependant loin de faire consensus dans le domaine scientifique et plus encore, dans celui des sciences humaines et sociales. Plusieurs chercheurs et philosophes sont en fait très critiques de la capacité du positivisme d’expliquer les choses humaines. Ils soulignent notamment que, pour assurer la validité de leurs modèles, les approches découlant du positivisme doivent <a href="https://www.cairn.info/le-metier-de-chercheur--9782738009739.htm">réduire de façon artificielle le nombre de variables en présence</a> dans une situation. </p>
<p>Sans vouloir caricaturer, en éducation, on pourrait ainsi vouloir réduire l’engagement des élèves à leur présence ou non en classe ou l’apprentissage, aux résultats que ces mêmes élèves auront obtenus à une évaluation. Il serait inutile, ou tout simplement non pertinent, par exemple, de chercher à comprendre comment les élèves définissent leur engagement ou leur réussite à l’école.</p>
<h2>Diversifier les méthodes</h2>
<p>Cette sur-simplification peut difficilement offrir une compréhension de la complexité des phénomènes humains, comme l’éducation ou l’apprentissage. Même en médecine, d’où est issu le concept de données probantes, <a href="https://journals.sagepub.com/doi/pdf/10.1177/070674370104600502">plusieurs chercheurs</a> montrent que les devis permettant de produire de telles données <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/1098214007313742">présentent des faiblesses</a> que seule la <a href="https://www.cairn.info/de-la-defense-des-savoirs-critiques--9782348073069.htm">diversité des approches méthodologiques</a> et le jugement clinique d’un professionnel permettraient de corriger.</p>
<p>En éducation, ce qui inquiète n’est donc pas qu’on exploite la richesse évidente des données probantes, mais l’impasse qui semble être faite à toutes les autres recherches qui permettent un éclairage plus nuancé des différentes facettes de l’expérience scolaire des élèves, des personnes enseignantes, des directions, des parents et du sens qu’ils lui donnent.</p>
<p>Le discours sur les données probantes est souvent très exclusif. <a href="https://books.google.ca/books/about/Nursing_Research.html?id=HyNGxQEACAAJ&redir_esc=y">Certains auteurs</a> proposent même une hiérarchie formelle des approches méthodologiques et de la robustesse des « preuves » en recherche. C’est aussi ce qui transparait dans le discours du ministre québécois de l’Éducation lorsqu’il aborde le sujet des données probantes.</p>
<p>On peut ainsi légitimement s’inquiéter de la volonté de miser sur les seules données probantes pour comprendre des phénomènes complexes et prendre des décisions.</p>
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<img alt="Production d’élève dans le cadre du projet « hors les murs »" src="https://images.theconversation.com/files/529459/original/file-20230531-21802-g606gq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/529459/original/file-20230531-21802-g606gq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=402&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/529459/original/file-20230531-21802-g606gq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=402&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/529459/original/file-20230531-21802-g606gq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=402&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/529459/original/file-20230531-21802-g606gq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=505&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/529459/original/file-20230531-21802-g606gq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=505&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/529459/original/file-20230531-21802-g606gq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=505&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La pluralité des approches méthodologiques permet de corriger les angles morts des données probantes et de mieux comprendre comment les élèves donnent un sens à leur expérience. C’est le cas avec ce travail réalisé par les chercheuses Geneviève Lessard, Catherine Nadon, Stéphanie Demers, Marysa Nadeau, Marie-Thérèse Kamal, Ornella Kendjo où les élèves étaient invités à prendre en photo ce qui était important pour eux.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Projet Hors les murs)</span></span>
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<h2>Au service d’une gestion publique efficace</h2>
<p>Plusieurs des critiques de l’utilisation des données probantes sont aussi préoccupés par l’utilisation qui en sera faite par les décideurs politiques.</p>
<p>L’émergence des données probantes en éducation est en effet intimement liée à l’adoption des préceptes de la <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-de-politique-comparee-2004-2-page-177.htm">nouvelle gestion publique (NGP)</a> et de la gestion axée sur les résultats (GAR). </p>
<p>Avec la NGP, il s’agit de calquer la gestion des services publics sur celle des entreprises privées, exclusivement centrée sur l’atteinte de résultats quantifiables. La GAR, quant à elle, est l’incarnation de la NGP en éducation, avec le double pari que la mission de l’école se résume à la réussite scolaire, et qu’il est possible d’évaluer cette réussite par les seuls résultats scolaires.</p>
<p>Or, pour plusieurs intervenants des milieux scolaires, la <a href="https://www.jstor.org/stable/j.ctv1f2s28r">« réussite est considérée comme un phénomène complexe et ses déterminants, multifactoriels, ne sont pas seulement scolaires »</a>. Elle ne peut se résumer qu’aux résultats. Ainsi, ne suivre que des indicateurs quantifiables ne permettrait pas de témoigner de l’ampleur et de la diversité du travail accompli par les personnes enseignantes, par exemple. Les pratiques valorisées seront celles qui se mesurent aisément, et dont il est possible de quantifier les effets. Tout le reste de ce qui occupe les enseignants relève dès lors de l’angle mort.</p>
<p>On sait aussi que la NGP appliquée au système d’éducation s’accompagne de pratiques exigeantes de <a href="https://doi.org/10.1177/0741713606289025">reddition de compte et d’imputabilité</a>. Ainsi, si les résultats jugés importants par le ministre ne sont pas au rendez-vous, les écoles et les personnes enseignantes se trouvent directement mises en cause, peu importe les conditions dans lesquelles ils œuvrent. C’est aussi dans ce contexte qu’il faut comprendre le débat lié à l’importance à donner aux données probantes en éducation.</p>
<h2>Ce qui est en jeu</h2>
<p>Ce qui semble donc être en jeu dans ce débat n’est donc pas simplement de savoir s’il convient de s’appuyer sur des résultats de recherche pour prendre des décisions à l’échelle du système d’éducation. Il s’agit plutôt d’un débat sur la nature de la connaissance scientifique d’abord, et ensuite sur les outils qui seront mis en place pour témoigner la réussite ou non de notre système éducatif.</p>
<p>Comprendre les différentes facettes de l’éducation exige de profiter de la diversité des regards scientifiques et de la pluralité des approches méthodologiques. Mettre un accent exagéré sur les seules données dites probantes et, plus encore, n’autoriser que la formation enseignante s’appuyant sur ces données risque de limiter le <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s11217-010-9191-x">pouvoir d’intervention des personnes enseignantes</a> et d’engendrer des <a href="http://link.springer.com/10.1007/s10833-016-9294-4">effets secondaires imprévisibles</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/204978/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Charles-Antoine Bachand ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le projet de loi 23 remet à l’ordre du jour le débat sur l’importance à accorder aux données probantes en éducation. Mais est-ce la meilleure méthode pour avoir un portrait juste d’une situation ?Charles-Antoine Bachand, Professeur, Université du Québec en Outaouais (UQO)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1037142018-09-24T20:11:31Z2018-09-24T20:11:31Z« Apprendre à apprendre » : mot d’ordre sulfureux ou banal ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/237592/original/file-20180923-129853-1kh2xz6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=13%2C2%2C985%2C663&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">« Apprendre à apprendre » est une compétence qui figure noir sur blanc dans le socle de compétences.</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Dans une interview parue le 10 septembre dernier dans le magazine <em>Causeur</em>, <a href="https://www.lemonde.fr/education/article/2018/02/02/souad-ayada-une-philosophe-au-conservatisme-assume_5250787_1473685.html">Souâd Ayada</a>, présidente du Conseil supérieur des programmes, nommée par le ministre de l’Éducation nationale Jean‑Michel Blanquer, s’en prenait à « l’inflation des méta-discours » sur l’école – affirmant « la nécessité d’apprendre à apprendre, de comprendre et de critiquer avant d’apprendre quoi que ce soit ».</p>
<p>Une déclaration à rebours de <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/la-grande-table-2eme-partie/doit-reapprendre-a-apprendre">ce que prônait la veille sur France Culture</a> le neuro-scientifique Stanislas Dehaene, nommé président du <a href="http://eduscol.education.fr/cid124993/conseil-scientifique-de-l-education-nationale.html">Conseil scientifique</a> de l’Éducation nationale par le même ministre Jean‑Michel Blanquer. Son premier conseil pour aider les élèves : leur « apprendre à apprendre ». C’est d’ailleurs l’un des <a href="https://www.ludomag.com/2018/01/les-cinq-axes-de-travail-du-nouveau-conseil-scientifique-de-leducation-nationale/">cinq axes de travail</a> choisis par ce conseil destiné à éclairer les décisions politiques par la recherche : « Il est intéressant pour les enfants de se comprendre soi-même, de comprendre comment ils apprennent, de maîtriser les stratégies d’apprentissage », a-t-il été précisé lors de son lancement en présence du ministre.</p>
<h2>Un héritage du XIX<sup>e</sup> siècle</h2>
<p>Cette opposition rappelle que le choix de cet axe de travail, et en particulier celui de l’expression « apprendre à apprendre », revendiqué explicitement et publiquement, n’a rien d’anodin. Derrière une expression récurrente dans les discours actuels sur l’éducation se cache une longue histoire, loin d’être tranquille et de l’ordre du consensuel.</p>
<p>Le mot d’ordre « Apprendre à apprendre » n’est nullement apparu dans le cadre de la mouvance pédagogique de l’Éducation nouvelle comme on le croit souvent – cette erreur historique n’est d’ailleurs pas pour rien dans la vivacité des querelles à ce sujet. Dès la fin du XIX<sup>e</sup> siècle, il s’est imposé comme une évidence pour les cadres de l’École républicaine. On peut en prendre pour exemple, parmi bien d’autres possibles, cet extrait banal d’un rapport annuel de l’inspecteur d’Académie de la Somme adressé au Conseil général et au préfet, il y a plus de 120 ans :</p>
<blockquote>
<p>« Aucun de nos maîtres n’ignore que le but de l’enseignement primaire est double. On veut d’abord, dans nos écoles, donner aux enfants les connaissances nécessaires à la vie moderne ; on veut ensuite cultiver l’intelligence de l’enfant de façon à la rendre forte, souple, capable de réflexions et d’efforts, apte à se gouverner, à travailler, à produire d’elle-même. En deux mots : on veut <strong>apprendre</strong>, et <strong>apprendre à apprendre</strong>. De ces deux tâches là, la seconde est la plus importante » (ce qui est en gras l’est aussi dans le texte original).</p>
</blockquote>
<h2>Une injonction évidente ?</h2>
<p>Lors de son audition par la <a href="https://www.nouvelobs.com/societe/20041011.OBS8793/ecole-le-rapport-thelotpour-un-socle-commun.html">commission « Thélot »</a> le 10 décembre 2004, le philosophe Marcel Gauchet a fait à ce sujet une intervention tout à fait significative :</p>
<blockquote>
<p>« Cette formule, “apprendre à apprendre” a ses premières racines chez Pestalozzi (l’une des références majeures de Jules Ferry lui-même]). C’est effectivement une idée de la modernité […]. Ce n’est pas la peine de polémiquer contre. Il faut éclairer le sens qu’elle a […]. D’une certaine manière, c’est un idéal pour nous tous, et ça ne peut que l’être dès lors qu’on a compris les raisons pour lesquelles il exerce une telle séduction. C’est un idéal épistémique, qui relève des conditions les plus profondes de ce que veut dire la connaissance pour les Modernes – sujet de raison. Mais on peut aussi éclairer sa praticabilité, parce qu’en fait, si on veut efficacement agir avec une telle idée, il faut à la fois montrer aux acteurs les bonnes raisons qu’ils ont de penser comme cela, et le rapport ambigu que cette proposition entretient avec la réalité. Parce que ça n’est pas un programme pratique, c’est un idéal de la modernité […]. Personne n’apprend à apprendre. En apprenant, on apprend à apprendre. »</p>
</blockquote>
<p>La formule déboucherait-elle sur une impasse ? Apprendrait-on en fait déjà à apprendre comme on fait de la prose, sans le savoir ? Mais la mise en place de méthodes d’apprentissage ne se fait pas en apprenant n’importe quoi, ni n’importe comment. Et sans doute peut-elle passer par d’autres biais que les exercices quotidiens.</p>
<h2>Une compétence clé</h2>
<p>Toujours est-il que le sujet est revenu au centre des polémiques le 25 mai 2013 lors de la discussion au Sénat du projet de loi pour la <a href="http://www.education.gouv.fr/pid29462/la-refondation-de-l-ecole-de-la-republique.html">refondation de l’école</a> porté par le ministre de l’Éducation nationale Vincent Peillon. Un amendement (venant du groupe écologiste et adopté en commission) indiquant que parmi les « huit compétences-clés » il devait y avoir notamment « apprendre à apprendre » a été rejeté en séance en raison du tir croisé du groupe UMP et du groupe CRC (à savoir le PCF et ses alliés).</p>
<p>Cela n’a pas empêché finalement le Conseil supérieur des programmes de définir dans le socle de compétences et de culture un domaine intitulé « méthodes et outils pour apprendre », afin de permettre aux élèves « d’apprendre à apprendre, seuls ou collectivement, en classe ou au-dehors, afin de réussir dans leurs études » et, par la suite, de « se former tout au long de la vie ». Il est même précisé que « les méthodes et outils pour apprendre doivent faire l’objet d’un apprentissage explicite en situation, dans tous les enseignements et espaces de la vie scolaire ».</p>
<p>Il apparaît donc que sur ce point (objet généralement de vives controverses), le président du nouveau Conseil scientifique Stanislas Dehaene et le ministre de l’Éducation nationale Jean‑Michel Blanquer ont choisi d’être en continuité avec les indications du Conseil supérieur des programmes plutôt que d’être dans la ligne des votes du 25 mai 2013 de l’UMP et du CRC au Sénat – ou même des indications du philosophe Marcel Gauchet, et de la nouvelle présidente du Conseil national des programmes Souâd Ayada. On attend la suite…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/103714/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Claude Lelièvre ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Dans un monde qui change à la vitesse grand V, on parle sans cesse d’apprendre à apprendre. Mais ce mot d’ordre est-il si nouveau ?Claude Lelièvre, Enseignant-chercheur en histoire de l'éducation, professeur honoraire à Paris-Descartes, Université Paris CitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/918522018-03-15T20:09:35Z2018-03-15T20:09:35ZParlons d’autre chose que de leurs notes avec nos ados<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/210147/original/file-20180313-30961-1qgzolw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C329%2C5000%2C2582&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les jeunes Français trouvent qu'il n'est pas facile pour eux de parler des choses qui les préoccupent vraiment avec leurs parents, selon une enquête internationale. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/communication-adult-mother-teenage-girl-background-1042793038?src=FwXEPCuKQSbK4N_iHUJL7A-1-1">Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Les adolescents français trouvent qu’il n’est pas facile de parler des sujets importants avec leurs parents. C’est un des résultats méconnus – et pourtant récurrent – de l’<a href="http://inpes.santepubliquefrance.fr/etudes/enquete-cours/scolaire-jeunes.asp">enquête internationale menée sur les comportements des jeunes vis-à-vis de la santé</a> régulièrement renouvelée depuis près de trente ans, sous l’impulsion de l’Organisation mondiale de la santé (OMS).</p>
<p>Dans la continuité du rapport que nous avons remis récemment à la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF), <a href="http://www.ladocumentationfrancaise.fr/catalogue/9782111454903/index.shtml">« Accompagner les parents dans leur travail éducatif et de soin »</a> (publié à la documentation française), nous analysons ici plus en détail la communication entre les parents et leurs adolescents en France.</p>
<p>Dans la dernière vague de l’enquête, réalisée en 2014, la France était le pays le plus mal classé quant au dialogue entre les adolescents et leurs parents, parmi les 42 pays ou régions du monde étudiés. L’explication pourrait bien tenir à un décalage plus grand qu’ailleurs entre les préoccupations des uns et des autres, avec des parents obnubilés par la performance à l’école. Et des ados, peut-être désireux d’aborder d’autres questions. Une réflexion de circonstance, tandis que la pression monte à l'approche du brevet pour les collégiens et du baccalauréat pour les lycéens. </p>
<h2>« Est-il facile pour toi de parler des choses qui te préoccupent vraiment ? »</h2>
<p>À peu près tous les quatre ans, l’OMS diligente son <a href="http://www.hbsc.org/">enquête sur les comportements de santé des jeunes d’âge scolaire</a> (« Health Behaviour in School-aged Children », ou HBSC). Celle-ci porte sur un minimum de 1 500 élèves par groupe d’âge dans chacun des pays étudiés. Elle constitue un instrument précieux non seulement pour observer les évolutions, mais surtout pour comparer la situation dans différents pays. Pour la France, inclus dans le dispositif au début des années 1990, les chercheurs disposent de six vagues d’enquête.</p>
<p>Une des questions posées à l’échantillon de garçons et filles à 11, 13 et 15 ans est formulée ainsi : « Est-il facile pour toi de parler des choses qui te préoccupent vraiment (des choses importantes, graves…) avec les personnes suivantes : père/beau-père ; mère/belle-mère ? » Les réponses s’échelonnent de très facile, facile, difficile à très difficile.</p>
<p>Dans la dernière édition, les jeunes Français sont proportionnellement les moins nombreux à estimer pouvoir parler (facilement ou très facilement) des sujets importants à leurs yeux avec leurs parents. Quels que soient l’âge, ou encore l’interlocuteur (le père ou la mère) de ces adolescent·e·s, la France se trouve invariablement… en dernière position du classement.</p>
<h2>Seulement 33 % des garçons estiment pouvoir parler facilement avec leur père des sujets qui les préoccupent</h2>
<p>À 15 ans, par exemple, seulement 33 % des garçons estiment pouvoir parler avec leur père de ce qui les préoccupe, quand le pourcentage est de 71 % en Islande ou 64 % en Suède. Les filles estiment communiquer un peu plus facilement avec leurs pères (56 %), même si l’écart est encore une fois important en comparaison avec un pays comme l’Islande (83 %).</p>
<p>Comment expliquer cette position de la France ? Les réponses ne figurent pas dans les publications scientifiques disponibles, aussi plusieurs pistes méritent d’être explorées. Cette moindre communication entre parents et adolescents serait-elle liée à un plus faible investissement des parents auprès de leurs enfants, ou à une moindre disponibilité ? Pourrait-il s’agir d’une volonté de ces jeunes de ne pas inquiéter leurs parents en gardant le silence sur leurs préoccupations ?</p>
<p>Et si, à l’origine de cette moindre communication, on trouvait le sujet épineux, en France, de l’école ? L’enquête HBSC fournit quelques indices dans ce sens, corroborés par d’autres enquêtes.</p>
<h2>Davantage d’heures passées au collège en France</h2>
<p>La France, déjà, se distingue de nombreux autres pays par le temps important passé par les jeunes au collège. Ainsi, les Français de 12 à 14 ans passent en moyenne 978 heures par an dans le système scolaire, alors que la moyenne est de 872 pour l’Union européenne, <a href="http://inpes.santepubliquefrance.fr/70000/dp/12/dp120904.pdf">selon l’OCDE citée par Santé publique France</a>. À 15 ans, le chiffre grimpe à 1 048 heures, contre 886 heures en moyenne dans l’Union – soit 18 % de plus. Mais que produit ce long temps scolaire ? Un meilleur rapport des jeunes à l’école ? Une meilleure performance globale ? Ce n’est pas vraiment ce que montre l’enquête HBSC.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/210141/original/file-20180313-30994-9iumbv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/210141/original/file-20180313-30994-9iumbv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=438&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/210141/original/file-20180313-30994-9iumbv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=438&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/210141/original/file-20180313-30994-9iumbv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=438&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/210141/original/file-20180313-30994-9iumbv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=551&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/210141/original/file-20180313-30994-9iumbv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=551&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/210141/original/file-20180313-30994-9iumbv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=551&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Les adolescents français passent davantage d’heures au collège que la moyenne des élèves européens. Pourtant quand on leur demande d’estimer leur performance scolaire, ils se jugent plus sévèrement que la moyenne observée dans les pays européens.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/photos/AZvGpBp925o">Wadi Lissa/Unsplash</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les adolescents y sont interrogés sur le fait qu’ils aiment ou non l’école. Parmi les pays où ils disent le plus fréquemment l’aimer, c’est à nouveau l’Islande qu’on retrouve dans le haut du classement. Ce pays se range également parmi ceux où les élèves auto-évaluent très positivement leur performance scolaire.</p>
<p>La France est dans une position plus mitigée. Les jeunes se situent au niveau de la moyenne des pays sur le fait d’aimer l’école. Par contre, ils se trouvent à un niveau nettement inférieur à la moyenne sur l’évaluation de leur propre performance scolaire.</p>
<h2>La qualité des relations parents enfants, importante pour la réussite scolaire</h2>
<p>La performance scolaire est clairement au cœur des préoccupations des adultes dans notre pays. Ainsi, chaque édition de l’<a href="http://www.oecd.org/pisa/aboutpisa/pisa-en-francais.htm">enquête PISA</a>, qui classe les pays par niveau de réussite scolaire de leurs élèves, provoque en France <a href="http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2016/12/06/01016-20161206ARTFIG00098-classement-pisa-les-eleves-francais-toujours-mediocres.php">des réactions passionnées</a>. Elle suscite les commentaires des pouvoirs publics, mais aussi des professionnels de l’éducation et des associations de parents d’élèves.</p>
<p>Cette intense pression qui s’exerce à l’échelle de la nation sur les résultats scolaires des jeunes Français n’est visiblement pas sans effet sur les familles. Elle pourrait même influencer, négativement, la qualité du dialogue entre parents et adolescents. On en arriverait à ce paradoxe que plus les parents se focalisent, dans les échanges, sur l’école, moins le dialogue est riche et… plus les performances scolaires des adolescents s’en ressentent.</p>
<p>De nombreuses recherches insistent sur l’importance de la qualité des échanges entre parents et enfants pour la réussite scolaire de ces derniers. Cet effet relationnel semble d’ailleurs plus important que celui du seul dialogue entre les parents et l’école.</p>
<h2>Un fort investissement des parents en temps et en argent</h2>
<p>Dimitra Hartas, professeur en sciences de l’éducation de l’Université de Warwick (Royaume-Uni) a étudié cette question à partir des données de l’enquête PISA. <a href="https://www.researchgate.net/publication/287965637_Patterns_of_Parental_Involvement_in_Selected_OECD_Countries_Cross-National_Analyses_of_PISA">Ses analyses</a> remettent en question le modèle de parentalité intensive ou <em>intense parenting</em>, au sens d’un investissement important en temps et en argent destiné à augmenter les performances et capacités des enfants, en particulier au plan scolaire.</p>
<p>Certes, depuis les années 1970, des progrès ont été obtenus dans les apprentissages des enfants du fait de l’augmentation du temps parental, et aussi de la réduction de l’écart entre le temps qu’y consacre le père et celui qu’y consacre la mère – sachant que cet investissement parental a lieu dans tous les milieux sociaux.</p>
<p>Mais la chercheuse révèle des éléments qui pourraient éclairer la question du mauvais classement de la France sur le dialogue entre parents et adolescents. Ainsi, lorsque l’intensification de l’investissement parental porte sur la dimension scolaire, il a des effets modestes sur le plan des apprentissages. Autrement dit, les gains en terme de performances scolaires des enfants sont loin d’être proportionnels. Par ailleurs, cet investissement peut, contrairement à ce qui serait attendu, ne pas générer l’estime de soi, la confiance, la capacité d’agir, les compétences sociales et la maturité émotionnelle.</p>
<p>Dimitra Hartas insiste en revanche sur le fait que la conversation entre les parents et leurs adolescents sur d’autres sujets que la scolarité peut renforcer bien davantage leurs apprentissages.</p>
<h2>L'aider à un exercice de maths, ou à découvrir le monde ?</h2>
<p>Ainsi, l’enjeu, pour les parents, serait moins dans l’aide aux devoirs que dans le fait d’accompagner les jeunes dans leur découverte du monde, de les aider à se forger un point de vue propre sur la société. Donner un coup de main à son enfant pour finir un exercice de maths pourrait se révéler moins crucial que de parler avec lui de l’actualité, de cinéma, de musique, de littérature, de politique, de l’amitié, de l’amour, de la sexualité, etc.</p>
<p>On peut de ce point de vue se demander si les parents, en France, ne seraient pas trop centrés, dans les échanges avec leurs adolescents, sur les apprentissages et la performance à l’école. Ils étendraient et renforceraient en quelque sorte à la maison les tensions et inquiétudes liées à l’école, au lieu d’offrir un recours possible pour s’ouvrir à d’autres horizons.</p>
<p>Cette culture où la performance à l’école est le pivot de l’interaction entre le parent et son enfant pourrait expliquer à la fois un moindre dialogue – du point de vue de l’enfant – et une moindre performance dans ses apprentissages. En prendre conscience, c’est un premier pas, déjà, pour s’en extraire et ouvrir sur d’autres sujets de conversation.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/91852/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>La chaire CNAF – EHESP « Enfance, bien-être, parentalité » dont Claude Martin est titulaire reçoit des financements de la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF). </span></em></p>Les jeunes trouvent qu’il est difficile de parler des sujets qui les préoccupent avec leurs parents. La scolarité prendrait-elle trop d'importance, et plus encore à l'approche du brevet et du bac ?Claude Martin, Sociologue, titulaire de la chaire de recherche Enfance, bien-être, parentalité, École des hautes études en santé publique (EHESP) Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/932982018-03-15T20:09:05Z2018-03-15T20:09:05ZApprendre à chercher, chercher à apprendre<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/210065/original/file-20180313-30965-63y0ty.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=7%2C0%2C1200%2C787&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La classe à Langon (Gironde)</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.youtube.com/watch?v=aWjLJi3ILrw">Canopé</a></span></figcaption></figure><p><em>Cet article décrit l’un des projets présentés en <a href="http://www.education.gouv.fr/cid56374/journee-de-l-innovation.html">2017 lors des journées de l’innovation</a>, en avant-première de la Journée nationale de l’Innovation 2018</em>.</p>
<hr>
<p>Comment l’École peut-elle être perçue différemment par ses élèves ? Apprendre avec du plaisir permet-il de mieux apprendre ? Qu’est-ce qu’apprendre ? Dans quels types de situations les élèves sont-ils en position de réussite ?</p>
<p>Depuis trois ans, mes classes d’école élémentaire (CE2, CM1) sont engagées dans un projet expérimental de l’Éducation nationale en lien avec la recherche.</p>
<p><a href="http://eduscol.education.fr/experitheque/consultFicheIndex.php?idFiche=12752">Ce projet CARDIE</a>, mentoré par François Taddei, directeur du CRI Paris et Amélia Legavre, doctorante en sociologie de l’éducation au CRI Paris/OSC Sciences Po, constitue un projet d’exploration des manières d’apprendre tant pour les élèves que pour moi, enseignante.</p>
<h2>Développer le questionnement des élèves</h2>
<p>Son principal objectif est de développer le questionnement des élèves comme source et outil d’apprentissage, une activité transversale à toutes les disciplines dans le but de :</p>
<ul>
<li><p><strong>construire un climat de la classe positif</strong> : favoriser le bien-être, encourager la parole argumentée de l’élève au travers de pratiques coopératives, conforter le droit à l’erreur comme processus d’apprentissage, mettre en place des systèmes d’entraide et de partage de savoirs entre élèves ;</p></li>
<li><p><strong>mettre en œuvre un fonctionnement participatif et démocratique au sein de la classe</strong> : choix d’activités, de projets, de manières d’apprendre ;</p></li>
<li><p><strong>développer un esprit critique vis-à-vis de ses manières d’apprendre</strong> : quelles stratégies mises en œuvre pour quelle efficacité ?</p></li>
<li><p><strong>améliorer le rapport au savoir et construire le savoir-être</strong> par l’élaboration de projets interdisciplinaires qui intègrent le numérique : projets d’apprentissage par la recherche dans le but d’acquérir des méthodes d’investigation en pratiquant la démarche scientifique ; projets d’action citoyenne dans le but de permettre aux élèves de construire progressivement leur rapport aux autres ainsi que leur responsabilité dans un monde dans lequel ils peuvent d’ores et déjà être acteurs.</p></li>
</ul>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/aWjLJi3ILrw?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Paroles d’enfants : le travail personnel de l’élève en vidéo (film Canopé tourné dans notre classe).</span></figcaption>
</figure>
<h2>Explorer, pour réfléchir à l’acte d’apprendre</h2>
<p>Le projet a également pour but de renforcer le lien école-famille en partageant les avancées des projets et les réalisations de la classe via les usages numériques et des rencontres hors temps scolaire.</p>
<p>Une des spécificités est d’intégrer, dans le fonctionnement de classe, une démarche réflexive sur l’acte d’apprendre grâce à plusieurs domaines d’exploration : la philosophie (« Qu’est-ce qu’apprendre ? » « Pourquoi apprendre ? »), la sociologie (« Quel est le rôle des interactions dans l’apprentissage ? »), la psychologie (« Que ressent-on lorsque l’on apprend ? » « Qu’est-ce que le plaisir ? » « A quoi sert-il ? »), les sciences cognitives (« Comment apprend-on ? », « Quelles sont les différentes manières d’apprendre ? »).</p>
<p>Afin de donner du sens à ces réflexions et répondre aux besoins identifiés en classe, les solutions envisagées par les élèves sont mises en place pour essai avant analyse critique collective, apportant ainsi une dimension de recherche-action à cette exploration.</p>
<p>Ce fonctionnement, à la fois créatif et réflexif, permet de solutionner certaines problématiques concrètes du terrain tout en étant aidés, selon nos besoins, par nos mentors de recherche qui partagent leur expertise et leurs connaissances.</p>
<p>Dans son déroulement, ce projet expérimental envisage le travail personnel des élèves de manière variée tant sur un plan didactique que pédagogique, en considérant aussi bien la question de la transmission des connaissances disciplinaires que, de manière plus transversale, celle de la relation entre l’enseignant et les élèves et entre les élèves eux-mêmes.</p>
<h2>Des activités très diverses et personnalisées</h2>
<p>L’apprentissage revêt de nombreuses formes. Dans un parcours personnalisé par l’utilisation de ceintures de compétences en mathématiques et en français, les élèves s’exercent et explorent diverses manières d’apprendre dans le but d’« apprendre à apprendre ».</p>
<p>Ils s’investissent dans des activités de production (cartes mentales, exposés, blogs, films…), de recherche (projets, défis…). D’entraînement écrit mais aussi d’entraînement numérique qui permet la répétition et le réinvestissement de notions scolaires ou bien par des jeux (jeux de cartes et jeux de plateau dont le but est aussi d’accepter le rapport à la règle et d’apprendre à gérer les défaites ou les erreurs).</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/NMT8Wc-UiDg?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">4 générations racontent l’école.</span></figcaption>
</figure>
<p>Le travail personnel des élèves est structuré dans le temps : apprentissage seul, à deux, en groupe, entraînement selon des modalités à leur initiative et accompagné par l’enseignante.</p>
<p>En cas de difficulté, la priorité est au questionnement et à la recherche au moyen des outils disponibles avant de mettre en œuvre tout un système d’entraide et d’aide (marché des besoins, tuteurs, groupes de besoin).</p>
<p>Enfin, des <a href="http://bit.ly/1HATswC">activités de métacognition</a> sont progressivement développées au cours de l’année : les élèves explicitent leurs stratégies, les partagent avec les autres élèves et peuvent en garder des traces mémoire collective ou individuelle.</p>
<h2>Dans ce projet, le lien avec la recherche s’effectue à trois niveaux</h2>
<p><strong>Le premier niveau consiste en une participation de la classe à des projets d’éducation par la recherche.</strong> Chaque année depuis quatre ans, les élèves s’engagent dans un ou plusieurs projets en partenariat avec des dispositifs et/ou laboratoires de recherche :</p>
<ul>
<li><p>Le dispositif <a href="https://les-savanturiers.cri-paris.org/">Les Savanturiers</a> au Centre de Recherche Interdisciplinaire permet aux élèves d’explorer une question scientifique avec l’aide d’un chercheur/mentor et de mettre en pratique une démarche d’investigation tels des apprentis chercheurs dans des domaines variés (climatologie, sciences cognitives et biologie ces dernières années pour ma classe).</p></li>
<li><p><a href="http://www.inb.u-bordeaux2.fr/dev/FR/chercheur.php?chercheur=Groc&id=133">L’Institut Interdisciplinaire de Neurosciences de Bordeaux</a> a accompagné mes élèves à l’occasion d’un projet Savanturiers en neurosciences.</p></li>
<li><p><a href="http://www.bordeaux-aquitaine.inra.fr/">L’Institut National de Recherche en Agronomie</a> mène un projet de sciences participatives en biologie et écologie auquel ma classe participe cette année.</p></li>
</ul>
<p><strong>Le deuxième niveau de lien avec la recherche se caractérise par un développement professionnel en relation avec la recherche.</strong> Les projets d’éducation par la recherche menés en classe ont permis de nouer un contact avec des chercheurs dans les divers domaines d’exploration abordés puis des formations (Savanturiers, <a href="https://www.batisseursdepossibles.org/">Bâtisseurs de possibles</a>, MOOCs) ont enrichi ce cheminement.</p>
<p>Des lectures d’articles ou d’ouvrages complètent les connaissances nécessaires au déroulement des projets de la classe et ouvrent à un questionnement plus général sur l’éducation.</p>
<p>Enfin, des contacts ponctuels avec des chercheurs d’autres domaines comme en pédagogie (<a href="http://bit.ly/2FJMJst">Sylvain Connac</a>, <a href="https://www.meirieu.com/">Philippe Meirieu</a>) et des lectures en psychologie ont permis de répondre à des interrogations davantage en relation avec l’aspect affectif, motivationnel et relationnel des élèves.</p>
<p><strong>Il existe désormais un troisième niveau de lien avec la recherche sous la forme d’une contribution à des études en cours.</strong> Au-delà de participer à un <a href="http://www.bordeaux-aquitaine.inra.fr/Toutes-les-actualites/Qui-a-mange-mes-chenilles-Appel-aux-ecoles-pour-un-projet-de-science-participative">projet de sciences participatives de l’INRA sur les parasites des chênes pédonculés en Europe</a>, ma classe prend part à l’évaluation du dispositif des Savanturiers mené par l’Université de Mons (Belgique). Elle est aussi le terrain d’observation d’une recherche doctorale en sociologie de l’éducation sur le lien entre pédagogies et rapport des élèves aux savoirs.</p>
<p>Par ce projet, les élèves sont invités à adopter une attitude de chercheurs tout en développant une motivation à apprendre. Ce que je peux observer de ma position d’enseignante, c’est la hausse d’engagement des élèves dans les activités scolaires, leur capacité à aller vers la nouveauté, leur plaisir à être, penser et faire ensemble.</p>
<p>La question serait maintenant de percevoir si les méthodes et comportements initiés pendant le projet deviennent transférables à d’autres situations et reproductibles dans le temps. Ce qui mériterait une recherche en soi !</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/93298/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Apprendre avec du plaisir permet-il de mieux apprendre ? Qu’est-ce qu’apprendre ? Dans quels types de situations les élèves sont-ils en position de réussite ? Un projet innovant veut y répondre.Amélie Vacher, Professeure des écoles. DSDEN de la Gironde, Académie de Bordeaux. Ambassadrice Les Savanturiers-l’école de la recherche, Ministère de l'Éducation nationaleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/913692018-02-11T19:59:07Z2018-02-11T19:59:07ZLe Conseil scientifique de l’éducation nationale face à cinq grands défis<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/205494/original/file-20180208-180801-kpz36z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">En classe : expérimentations, sciences et preuves…</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/photos/zFSo6bnZJTw">Neonbrand/Unsplash</a></span></figcaption></figure><p>Créé pour combler un double manque (d’« éclairages pertinents », et « d’outils pédagogiques » adaptés), le <a href="http://bit.ly/2D3j3WG">Conseil scientifique de l’éducation nationale</a> a pour tâche d’éclairer, de nourrir, et d’outiller, le travail pédagogique. Pour mener à bien cette triple tâche, qui risque d’être plus difficile que ne l’ont imaginé ses promoteurs, il lui faudra affronter cinq défis, qui n’ont rien d’anodin.</p>
<h2>1. Trouver sa place parmi les autres institutions ou organismes ayant une mission d’éclairage et de recommandation</h2>
<p>Le premier défi, pour le nouveau Conseil, est de trouver, et de prendre, sa juste place. Car paradoxalement, si les praticiens manquent, selon le ministre, d’éclairages pertinents, <strong>l’éducation nationale, comme institution, ne manque pas de conseillers !</strong> Elle était déjà dotée d’un <a href="http://www.cnesco.fr/fr/accueil/">Conseil national d’évaluation du système scolaire</a> (CNESCO), et d’un <a href="http://bit.ly/2opKS2x">Conseil supérieur des programmes</a>.</p>
<p>Elle dispose par ailleurs d’une Inspection générale, et d’une <a href="http://bit.ly/1NpexxI">Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance</a>. Si donc l’on veut s’épargner la création d’un « Conseil chargé de la coordination des conseils », il faudra être capable de faire réellement jouer la « complémentarité » entre ces instances, que le ministre appelle de ses vœux. Ce premier défi exigera diplomatie, et réalisme.</p>
<p>Par ailleurs, certaines « expérimentations », mises en place par le précédent ministère, paraissent se situer dans ce qui sera le champ de travail du nouveau Conseil. Ainsi, dans le cadre de l’action <a href="http://bit.ly/2nUNHa7">« innovation numérique pour l’excellence éducative »</a> du « programme d’investissements d’avenir », l’expérimentation <a href="http://bit.ly/2ruwkBx">ProFan</a> (cf. BO 41 du 10/11/16) a pour fonction de « promouvoir de nouveaux contextes d’apprentissage et d’enseignement ». En travaillant à l’interface entre communauté éducative, monde économique, et recherche, ProFan a déjà le mérite <a href="http://bit.ly/2BL4i9J">d’associer chercheurs et acteurs de terrain</a>.</p>
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<p>De façon semblable, les <a href="http://www.gouvernement.fr/efran-les-22-laureats">22 projets sélectionnés en 2016</a> par le programme de recherche et développement <a href="http://bit.ly/2C4NmqH">e-FRAN</a> ont pour objectif d’expérimenter de nouvelles manières d’enseigner et d’apprendre, dans un cadre scientifique rigoureux, en associant établissements scolaires, collectivités territoriales, entreprises, unités de recherche, associations, centres de formation. Pour le moins, une coopération s’impose entre le « Conseil » et les personnes et groupes de pilotage responsables de ces actions.</p>
<h2>2. Ne pas se cantonner à un champ réduit d’« avancées »</h2>
<p>Le deuxième défi concerne le choix des « résultats de la recherche de pointe » à valoriser. Le diagnostic sur lequel repose la création du nouveau Conseil a le mérite de souligner l’importance de la pédagogie, naguère vilipendée, en laquelle on voit, de fait, un levier essentiel pour une meilleure réussite des élèves.</p>
<p>Toutefois, si la pédagogie est mise au centre, ce n’est pas pour devenir prisonnière d’un groupe de disciplines (ex : les <a href="http://sciences-cognitives.fr/">neurosciences</a>) devenant dictatoriales. Le défi est ici de « nourrir la réflexion pédagogique » <strong>avec tous les apports utiles, sans en oublier</strong>.</p>
<p>On a pu à cet égard <a href="http://bit.ly/2E9Bo4O">s’interroger</a> sur la <a href="http://bit.ly/2CVvOBL">composition du Conseil</a>, du point de vue non des personnes, mais des disciplines et courants de recherche qui y sont, ou non, représentés. Car la nature et le poids des disciplines retenues apportent une réponse de fait à la question de savoir de quoi le travail pédagogique a vraiment besoin pour être éclairé, nourri, et outillé, de façon efficace.</p>
<p>Sans doute a-t-il besoin, entre autres, des « dernières avancées de la recherche », mais en n’écartant aucune discipline potentiellement contributive. Mais aussi, comme l’indique à juste titre le texte présentant le Conseil, du « savoir-faire empirique des professeurs ». Et peut-être d’autres choses encore ! Le défi sera de ne méconnaître aucun des champs dignes d’intérêt, quand bien même ils ne seraient pas « scientifiques », au sens étroit du terme. Tout en se gardant de croire qu’il suffira d’éclairer l’action éducative pour la rendre plus consistante et moins incertaine.</p>
<h2>3. Se donner les moyens de repérer et de suivre les « expérimentations de terrain » prometteuses</h2>
<p>Le troisième défi concerne la reconnaissance et le suivi des « expérimentations de terrain » que l’on jugera digne d’être « mises à la portée de tous » pour « nourrir la réflexion pédagogique ». Le travail du Conseil sera ici, en quelque sorte, d’identifier celles qui ont fait leurs preuves. <strong>Mais, en pédagogie, la notion de preuve est ambiguë</strong>.</p>
<p>Le président du nouveau Conseil est un farouche partisan de l’idée d’une <a href="http://lemde.fr/2sibq9O">« éducation fondée sur la preuve »</a>. Toutefois, l’on peut s’interroger sur la possibilité même d’apporter une preuve, s’agissant de pratiques (cf. Hadji et Baillé, 1998 : <em>Recherche et éducation</em>, <a href="http://bit.ly/2slg8DO">« La démarche de preuve en 10 questions »</a>). Pour le courant de l’<a href="http://bit.ly/2BhGZ6A">« evidence-based education »</a> (pratique éducative basée sur les preuves), la réponse va de soi. Cependant, la prudence ne s’impose-t-elle pas ?</p>
<p>D’une part, l’hypercomplexité des faits éducatifs rend difficile, sinon impossible, d’isoler une méthode ou un dispositif comme variable indépendante. D’autre part, des impératifs d’ordre déontologique ou éthique rendent impossible une expérimentation au sens strictement scientifique. Et l’évaluation, même la plus rigoureuse possible, n’est jamais une mesure au sens propre.</p>
<p>C’est pourquoi, si une <a href="http://bit.ly/2H0e72T">« évaluation rigoureuse des stratégies éducatives »</a> (Stanislas Dehaene) est en soi souhaitable, le Conseil devra se garder de faire trop vite le tri entre les pratiques qui seraient scientifiquement validées, et les autres. Il faudra donner leurs chances aux innovations qui seraient jugées dignes d’un accompagnement critique.</p>
<h2>4. Assurer véritablement une liaison entre la recherche et le terrain</h2>
<p>Le quatrième défi est de pouvoir <strong>faire concrètement le lien entre la théorie et la pratique</strong>. Il y a là le Graal à la poursuite duquel se sont lancés tous les formateurs depuis de très nombreuses années. Le Conseil parviendra-t-il à être enfin l’acteur de l’articulation tant souhaitée ? L’ambition est clairement affichée. Il doit être celui qui transfert, et qui rend disponible, en mettant à la portée de tous les membres de la communauté éducative les résultats de la recherche de pointe. Il doit être celui qui « conjugue » l’excellence du savoir-faire empirique et le meilleur du savoir théorique.</p>
<p>Mais dispose-t-il pour cela des armes adéquates ? Apparemment, il pourra agir en proposant (en recommandant), trois types d’« objets ». <strong>Des savoirs</strong> : avancées et résultats de recherche. <strong>Des contenus de formation</strong> : ensemble de savoirs (théoriques) et de savoir-faire (empiriques). Et <strong>des outils</strong> : modèles de dispositifs et de pratiques.</p>
<p>Or l’expérience pédagogique quotidienne montre qu’il ne suffit pas de <a href="http://bit.ly/2pO9qTZ">désigner un savoir</a> pour que ceux à qui il serait utile se l’approprient ; qu’aucun contenu n’a en soi le pouvoir de s’imposer à des formés ; et que l’existence d’un outil n’entraîne pas automatiquement son usage. La recommandation est impuissante à assurer l’adoption.</p>
<p>Le conseil devra donc faire preuve de beaucoup de pédagogie pour faire des avancées repérées, et offertes à la communauté éducative, l’aliment d’une amélioration des pratiques. Car il ne dispose que de la parole. Avec trois types d’interlocuteurs ciblés. Les décideurs politiques, qui seront éclairés, mais dont on sait qu’ils agissent surtout en fonction des circonstances. L’ensemble de la communauté éducative, mais pour quels « bénéfices » concrets ? Et les professeurs, que l’on veut doter d’outils adaptés, mais à qui il appartiendra finalement de réaliser, ou non, l’union de la théorie et de la pratique. Ce qui nous conduit au dernier défi.</p>
<h2>5. Contribuer véritablement au changement des pratiques</h2>
<p>Trois pouvoirs sont, de fait, attribués au Conseil : « pouvoir consultatif » ; pouvoir de recommandation ; pouvoir d’outiller, ou plutôt de proposer (d’offrir) des outils. L’exercice de ces pouvoirs est-il de nature à permettre un réel enrichissement des pratiques pédagogiques ?</p>
<p>On sait que le changement de pratiques, comme tout changement, est un processus complexe. Pas plus qu’il ne se décrète, il n’est jamais directement déclenché par des avis, même les plus autorisés. Il suffit de voir combien de rapports, élaborés pourtant par de savantes commissions, sont restés lettre morte. Il faudra pouvoir prendre en compte les modalités de fonctionnement propres aux acteurs, en particulier aux enseignants.</p>
<p>Dans une étude sur <a href="http://bit.ly/2ENJxsE">« le rôle de l’enseignant dans l’innovation en éducation »</a>, R. Vandenbergue (1986) a mis en évidence que l’acceptation par les enseignants d’un changement proposé se fonde sur 3 critères : son <strong>instrumentalité</strong> (l’enseignant doit voir clairement ce qu’il aura à faire) ; sa <strong>congruence</strong> (est-ce crédible, compte tenu de ses expériences concrètes ?) ; et son <strong>coût</strong> (en termes de bilan effort/récompense). La « scientificité » du changement n’est jamais un argument susceptible de l’imposer.</p>
<p>Autrement dit, quand bien même on pourrait apporter la « preuve » de la positivité d’une pratique, il est loin d’être sûr que cela suffise à lui assurer une bonne diffusion. Il faudra avoir la capacité de convaincre les enseignants. Peut-être est-ce là, en définitive, le dernier, et plus difficile, défi à relever pour le Conseil, s’il entend contribuer à l’amélioration des pratiques. Car la rationalité seule des arguments ne suffira pas, comme l’ont monté les récentes tentatives de réforme. Il faudra sans doute trouver d’autres arguments, et ouvrir d’autres chantiers que celui du seul travail pédagogique.</p>
<p>Mais il serait injuste d’attendre d’un conseil « consultatif » plus qu’il ne peut donner. Souhaitons-lui déjà d’accomplir avec succès sa mission princeps, celle « d’apporter des éclairages pertinents en matière d’éducation », et ce sera déjà beaucoup.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/91369/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Charles Hadji ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Analyse des enjeux et des écueils possibles du nouveau conseil. Et réflexion sur la science et l’éducation.Charles Hadji, Professeur honoraire (Sciences de l’éducation), Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.