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11 Septembre – The Conversation
2022-08-02T20:17:12Z
tag:theconversation.com,2011:article/188100
2022-08-02T20:17:12Z
2022-08-02T20:17:12Z
Après l’élimination d’Ayman al-Zawahiri, Al-Qaïda représente-t-elle toujours une menace ?
<p>Le gouvernement américain vient d’annoncer qu’Ayman al-Zawahiri, le chef d’Al-Qaïda et cerveau des attentats du 11 septembre 2001, a été <a href="https://apnews.com/article/ayman-al-Zawahri-al-qaida-terrorism-biden-36e5f10256c9bc9972b252849eda91f2">tué par un drone</a> à Kaboul, capitale de l’Afghanistan.</p>
<p>Al-Zawahiri était le successeur d’Oussama ben Laden. Sa mort permet aux familles de ceux qui ont été tués dans les attaques de 2001 de « tourner la page », a déclaré le président des États-Unis, Joe Biden, lors d’une <a href="https://www.whitehouse.gov/briefing-room/speeches-remarks/2022/08/01/remarks-by-president-biden-on-a-successful-counterterrorism-operation-in-afghanistan/">allocution télévisée</a> le 1<sup>er</sup> août 2022.</p>
<p>Cet assassinat ciblé a eu lieu près d’un an après que les troupes américaines <a href="https://www.france24.com/fr/info-en-continu/20210830-les-derni%C3%A8res-troupes-am%C3%A9ricaines-ont-quitt%C3%A9-l-afghanistan-pentagone">ont quitté l’Afghanistan</a> après des décennies de combats dans ce pays. Quel sera l’impact de l’élimination du chef d’Al-Qaïda, et que dit cette opération de la lutte antiterroriste conduite par les États-Unis en Afghanistan sous le régime des talibans ? The Conversation a demandé à <a href="https://ctc.usma.edu/team/dr-daniel-milton/">Daniel Milton</a>, expert en terrorisme à l’Académie militaire américaine de West Point, et à <a href="https://extremism.gwu.edu/dr-haroro-ingram">Haroro J. Ingram</a> et <a href="https://extremism.gwu.edu/andrew-mines">Andrew Mines</a>, chargés de recherche au Programme sur l’extrémisme de l’Université George Washington, d’apporter de premiers éléments de réponse à ces questions.</p>
<h2>Qui était Ayman al-Zawahiri ?</h2>
<p>Ayman al-Zawahiri, né en 1951 en Égypte, était devenu le principal dirigeant d’Al-Qaïda en 2011 après que l’élimination de son prédécesseur, Oussama ben Laden, dans été une <a href="https://www.lemonde.fr/mort-de-ben-laden/">opération américaine</a>.</p>
<p>Au cours des dernières années précédant la mort de Ben Laden, de nombreux responsables d’Al-Qaïda avaient été tués par des <a href="https://www.cairn.info/revue-a-contrario-2019-2-page-63.htm">frappes de drones américains au Pakistan</a>, et Ben Laden avait <a href="https://www.ctc.usma.edu/letters-from-abbottabad-bin-ladin-sidelined/">rencontré de plus en plus de difficultés</a> à exercer un contrôle réel sur le réseau mondial qu’était devenue son organisation.</p>
<p>En 2011, Al-Zawahiri a succédé à Ben Laden malgré une réputation mitigée. Bien qu’il ait été impliqué de longue date dans la lutte djihadiste, il était considéré par de nombreux observateurs et, aussi, par certains djihadistes comme un orateur soporifique sans qualifications religieuses officielles ni expérience sur le champ de bataille.</p>
<p>Nettement moins charismatique que son prédécesseur, Al-Zawahiri était connu pour sa tendance à <a href="https://www.universiteitleiden.nl/binaries/content/assets/customsites/perspectives-on-terrorism/2017/issue-1/0620171-deciphering-ayman-al-zawahiri-and-al-qaeda%E2%80%99s-strategic-and-ideological-imperatives-by-sajjan-m.-gohel.pdf">se lancer dans de longs discours sinueux</a> et souvent archaïques. Il a également eu du mal à se défaire des rumeurs selon lesquelles il aurait été un <a href="https://www.pulitzer.org/winners/lawrence-wright">informateur</a> des autorités égyptiennes lors de son séjour en prison dans son pays d’origine (1981-1984) et, <a href="https://www.pulitzer.org/winners/lawrence-wright">comme l’a expliqué le journaliste Lawrence Wright</a>, il a rendu compliquées les relations entre le jeune Ben Laden et le mentor de celui-ci, Abdullah Azzam.</p>
<p>L’influence d’Al-Zawahiri s’est encore affaiblie du fait du <a href="https://www.france24.com/fr/%C3%A9missions/reporters/20210205-2011-une-histoire-de-printemps-les-r%C3%A9volutions-arabes-vues-par-france-24">Printemps arabe qui a balayé l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient</a> : Al-Qaïda est alors apparue déconnectée des événements et incapable d’exploiter efficacement le déclenchement de la guerre en Syrie et en Irak. Pour les analystes comme pour ses djihadistes, Al-Zawahiri est apparu comme le symbole d’une Al-Qaïda dépassée et rapidement éclipsée par d’autres groupes qu’elle avait <a href="https://www.cairn.info/le-terrorisme--9782738129543-page-251.htm">autrefois aidé à s’imposer sur la scène mondiale</a>, notamment l’État islamique.</p>
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<figcaption><span class="caption">Qui était Ayman Al-Zawahiri, chef d’Al-Qaïda ? • France 24, 2 août 2022.</span></figcaption>
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<p>Mais avec <a href="https://www.cnews.fr/monde/2016-05-17/Daech-sur-le-declin-729701">l’effondrement du califat du groupe État islamique</a> en 2019, le retour au pouvoir en Afghanistan des talibans, alliés d’Al-Qaïda, et la persistance des filiales d’Al-Qaïda <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/afrique/mali/le-point-sur-les-franchises-de-Daech-qui-frappent-en-afrique_4354447.html">notamment en Afrique</a>, certains experts <a href="https://warontherocks.com/2022/05/how-strong-is-al-qaeda-a-debate/">affirment</a> qu’Al-Zawahiri a guidé Al-Qaïda pendant sa période la plus difficile et que le groupe reste une menace puissante. Un haut responsable de l’administration Biden <a href="https://apnews.com/article/ayman-al-Zawahiri-al-qaida-terrorism-biden-36e5f10256c9bc9972b252849eda91f2">a déclaré à l’Associated Press</a> qu’au moment de sa mort, Al-Zawahiri continuait à exercer une « direction stratégique » et était considéré comme un personnage dangereux.</p>
<h2>Où sa mort laisse-t-elle Al-Qaïda ?</h2>
<p>L’assassinat ou la capture des principaux chefs terroristes est un outil clé de la lutte contre le terrorisme depuis des décennies. Ces opérations permettent de retirer les chefs terroristes du champ de bataille et de provoquer les <a href="https://cup.columbia.edu/book/terror-in-transition/9780231192255">luttes de succession</a> qui perturbent la cohésion du groupe et peuvent exposer ses vulnérabilités en matière de sécurité. Contrairement à l’État islamique, dont les <a href="https://theconversation.com/islamic-state-leader-killed-in-us-raid-where-does-this-leave-the-terrorist-group-176410">pratiques de succession des dirigeants</a> sont claires et ont été mises en œuvre à quatre reprises depuis la mort de son fondateur Abou Moussab al-Zarqaoui en 2006, celles d’Al-Qaïda sont plutôt opaques. Le successeur d’Al-Zawahiri ne sera que le troisième dirigeant du mouvement <a href="https://archives.fbi.gov/archives/news/testimony/al-qaeda-international">depuis sa création</a> en 1988.</p>
<p>Le <a href="https://www.securitycouncilreport.org/atf/cf/%7B65BFCF9B-6D27-4E9C-8CD3-CF6E4FF96FF9%7D/S%202022%20547.pdf">principal prétendant</a> est un autre Égyptien. Ancien colonel de l’armée égyptienne et, comme Al-Zawahiri, membre du Djihad islamique égyptien, affilié à Al-Qaïda, <a href="https://www.fbi.gov/wanted/wanted_terrorists/saif-al-adel">Saif al-Adel</a> est lié aux attentats à la bombe de 1998 contre les ambassades américaines en Tanzanie et au Kenya, qui ont fait d’Al-Qaïda une menace djihadiste mondiale. Sa réputation d’expert en explosifs et de stratège militaire lui vaut une vraie popularité au sein du mouvement Al-Qaïda. Toutefois, un certain nombre d’autres possibilités se cachent derrière Al-Adel : un récent <a href="https://www.securitycouncilreport.org/atf/cf/%7B65BFCF9B-6D27-4E9C-8CD3-CF6E4FF96FF9%7D/S%202022%20547.pdf">rapport du Conseil de sécurité des Nations unies</a> identifie plusieurs successeurs possibles.</p>
<p>Quoi qu’il en soit, Al-Qaïda se trouve aujourd’hui à la croisée des chemins. Si le successeur d’Al-Zawahiri est largement reconnu comme légitime à la fois par le noyau dur d’Al-Qaïda et par ses affiliés, il pourrait contribuer à stabiliser le mouvement. Mais toute ambiguïté concernant le plan de succession d’Al-Qaïda pourrait entraîner une remise en question de l’autorité du nouveau chef, ce qui pourrait fracturer davantage le mouvement.</p>
<p>Tout porte à croire qu’Al-Qaïda en tant que mouvement mondial survivra à la mort d’Al-Zawahiri, tout comme elle a survécu à celle de Ben Laden. Le réseau a connu un certain nombre de succès récents. Les talibans, ses alliés de longue date, ont réussi à prendre le contrôle de l’Afghanistan avec l’aide d’<a href="https://cisac.fsi.stanford.edu/mappingmilitants/profiles/al-qaeda-indian-subcontinent-aqis">Al-Qaïda dans le sous-continent indien</a> – une filiale qui étend actuellement ses opérations au Pakistan et en Inde. Pendant ce temps, les groupes affiliés sur le continent africain – du Mali et de la région du lac Tchad à la Somalie – demeurent une menace, certains s’étendant au-delà de leurs zones d’opérations traditionnelles.</p>
<p>D’autres groupes affiliés, comme Al-Qaïda dans la péninsule arabique, basée au Yémen, restent fidèles au noyau dur et, selon l’équipe de surveillance des Nations unies, sont désireux de relancer des attaques à l’étranger contre les États-Unis et leurs alliés.</p>
<p>Le successeur d’Al-Zawahiri cherchera à conserver l’allégeance des affiliés d’Al-Qaïda afin que celle-ci continue de représenter une menace réelle.</p>
<h2>Qu’est-ce que cette élimination nous apprend sur les opérations américaines en Afghanistan sous les talibans ?</h2>
<p>Le retrait américain d’Afghanistan en août 2021 a suscité des interrogations quant à la capacité des États-Unis à maintenir la pression sur Al-Qaïda, <a href="https://theconversation.com/quest-ce-que-letat-islamique-au-khorassan-qui-a-revendique-lattentat-de-laeroport-de-kaboul-166938">l’État islamique au Khorassan</a> et les autres djihadistes présents dans le pays.</p>
<p>Les responsables américains ont <a href="https://www.nationaldefensemagazine.org/articles/2021/11/20/sof-leader-calls-over-the-horizon-ops-in-afghanistan-hard-but-doable">expliqué</a> qu’une stratégie de surveillance de loin (« over-the-horizon ») – consistant à lancer des frappes chirurgicales et des raids d’opérations spéciales depuis l’extérieur d’un État donné – permettrait aux États-Unis de répondre à des défis tels que les préparatifs d’attaques terroristes et la résurgence de groupes armés.</p>
<p>Mais de nombreux experts <a href="https://foreignpolicy.com/2022/01/05/over-the-horizon-biden-afghanistan-counter-terrorism/">ne sont pas de ce cet avis</a>. Et lorsqu’une <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/12/13/les-militaires-americains-responsables-de-la-frappe-de-drone-a-kaboul-ne-seront-pas-poursuivis_6105923_3210.html">erreur de frappe d’un drone américain</a> a tué sept enfants, un travailleur humanitaire employé par les États-Unis et d’autres civils l’automne dernier, cette stratégie a fait l’objet d’un examen approfondi.</p>
<p>Mais à ceux qui doutaient que les États-Unis aient encore la volonté de s’attaquer aux principaux terroristes en Afghanistan, l’assassinat d’Al-Zawahiri apporte une réponse claire. <a href="https://www.france24.com/fr/am%C3%A9riques/20220802-u">Cette frappe</a> aurait impliqué une surveillance à long terme du leader d’Al-Qaïda et de sa famille, et des discussions approfondies au sein du gouvernement américain avant de recevoir l’approbation présidentielle. Joe Biden affirme que l’élimination d’Al-Zawahiri n’a pas fait d’autres victimes.</p>
<p>Il convient cependant de remarquer qu’il a fallu onze mois aux États-Unis pour frapper leur première cible de grande valeur en Afghanistan sous le régime des talibans. Cela contraste avec les <a href="https://www.voanews.com/a/us-military-significantly-reduced-global-airstrikes-in-2021-/6392771.html">centaines de frappes aériennes</a> effectuées dans les années qui ont précédé le retrait américain d’août 2021.</p>
<p>La frappe a eu lieu dans un quartier de Kaboul où résident de nombreux hauts responsables talibans. <a href="https://apnews.com/article/ayman-al-Zawahiri-al-qaida-terrorism-biden-36e5f10256c9bc9972b252849eda91f2">La planque elle-même appartenait</a> à un collaborateur de haut rang de Sirajuddin Haqqani, un terroriste <a href="https://www.fbi.gov/wanted/terrorinfo/sirajuddin-haqqani">recherché par les États-Unis</a> et un haut dirigeant taliban.</p>
<p>Apporter de l’aide à Al-Zawahiri constituait une violation de l’<a href="https://www.state.gov/wp-content/uploads/2020/02/Agreement-For-Bringing-Peace-to-Afghanistan-02.29.20.pdf">accord de Doha</a> de 2020, en vertu duquel les talibans avaient accepté de « ne pas coopérer avec des groupes ou des individus menaçant la sécurité des États-Unis et de leurs alliés ». Les circonstances de l’attaque suggèrent que si les États-Unis veulent mener des opérations efficaces « au-delà de l’horizon » en Afghanistan, ils <a href="https://foreignpolicy.com/2019/08/26/how-to-partner-with-the-taliban/">ne peuvent pas compter sur</a> le soutien des talibans.</p>
<p>L’élimination d’Al-Zawahiri ne nous dit pas non plus si la stratégie américaine après le retrait peut contenir d’autres groupes djihadistes dans la région, comme l’État islamique au Khorassan, qui est farouchement opposé aux talibans et <a href="https://ctc.usma.edu/the-islamic-state-threat-in-taliban-afghanistan-tracing-the-resurgence-of-islamic-state-khorasan/">à leur expansion en Afghanistan</a>.</p>
<p>En effet, si un plus grand nombre de djihadistes perçoivent les talibans comme étant trop faibles pour protéger les principaux dirigeants d’Al-Qaïda et de ses affiliés, tout en étant incapables de gouverner l’Afghanistan sans l’aide des États-Unis, beaucoup d’entre eux pourraient considérer l’État islamique au Khorassan comme le meilleur choix.</p>
<p>Ces dynamiques, ainsi que d’autres, illustrent les nombreux défis que pose la poursuite du contre-terrorisme en Afghanistan aujourd’hui – défis qui ne seront probablement pas résolus par des frappes de drones et des assassinats occasionnels très médiatisés.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie les 23 et 24 septembre 2022 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/188100/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>The views expressed by Dr. Milton are his own and not of the U.S. Military Academy, the Department of the Army, or any other agency of the U.S. Government</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Andrew Mines et Haroro J. Ingram ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>
L’élimination de celui qui en était le chef depuis onze ans porte sans doute un rude coup à Al-Qaïda, mais d’autres groupes djihadistes pourraient profiter de la nouvelle donne.
Haroro J. Ingram, Senior Research Fellow at the Program on Extremism, George Washington University
Andrew Mines, Research Fellow at the Program on Extremism, George Washington University
Daniel Milton, Director of Research, United States Military Academy West Point
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/167846
2021-09-26T16:33:21Z
2021-09-26T16:33:21Z
2001-2021 : vingt ans de renforcement stratégique et économique pour la Chine
<p>Après le 11 septembre 2001, les États-Unis, traumatisés, s’engagèrent, sous l’influence des néoconservateurs, dans un interventionnisme militaire exacerbé au Moyen-Orient, motivés par <a href="https://www.institutmontaigne.org/blog/2001-2021-comment-le-11-septembre-transforme-les-etats-unis">l’idéologie de changement de régime par la force et les théories de la « paix démocratique »</a>. Pékin envoya un message de soutien à Washington dans la foulée des attaques terroristes ; mais les relations diplomatiques avaient été marquées, en avril de la même année, par un épisode extrêmement tendu. </p>
<p>Au-dessus de la mer de Chine méridionale, un avion-espion EP-3 américain était entré en collision avec un appareil chinois, provoquant la mort du pilote de celui-ci. L’avion américain finit par être intercepté et par <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/2001/07/20/la-facture-chinoise-pour-l-avion-espion-americain-ep-3_4197702_1819218.html">atterrir en urgence sur l’île chinoise de Hainan</a> où l’équipage, humilié, subit pendant près de trois semaines les quolibets de la presse chinoise avant d’être piteusement relâché.</p>
<p>Ces deux événements allaient, chacun à sa manière, permettre à Pékin d’obtenir des autorités américaines un blanc-seing pour mener une répression accrue contre la minorité musulmane et ouïgoure du Xinjiang. La création en juin 2001 de <a href="http://geoconfluences.ens-lyon.fr/glossaire/organisation-de-cooperation-de-shanghai-ocs">l’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS)</a> allait par ailleurs donner à la Chine des moyens inédits de surveillance, au-delà de son territoire et, plus particulièrement, en Asie centrale.</p>
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<figcaption><span class="caption">Le dessous des cartes : Organisation de coopération de Shanghai, 11 juin 2016.</span></figcaption>
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<p>Last but not least, en novembre, la Chine obtenait enfin, malgré des réticences évidentes (de certains) à Washington à son égard, la possibilité d’<a href="https://www.senat.fr/ue/pac/E1837.html">intégrer l’OMC</a>, après quinze ans de négociations. Une adhésion qui transformera puissamment l’économie et le commerce mondial, au bénéfice premier (pour un temps ?) de Pékin.</p>
<h2>Recompositions stratégiques de l’ordre international</h2>
<p>Le 11 Septembre aura permis à Pékin de <a href="https://hal-sciencespo.archives-ouvertes.fr/hal-01065008/document">nouer de meilleures relations avec Washington</a>, dans le cadre apparent d’une mobilisation multilatérale de la « guerre contre le terrorisme », sans pour autant que la Chine ne participe aux opérations militaires en Afghanistan. Surtout, la RPC multipliera les consultations, les rapports et les analyses sur les conséquences du <a href="https://www.persee.fr/doc/perch_1021-9013_2001_num_67_1_2664">11 Septembre et de l’intervention de l’OTAN dans les équilibres régionaux</a>. Ce qui intéresse les autorités chinoises au premier chef, ce n’est pas tant le djihadisme qui attaque l’Occident que la géopolitique régionale recomposée aux portes d’une région, le Xinjiang, perçue comme subversive pour l’unité de la Chine.</p>
<p>Le 11 Septembre aura pour conséquences d’accélérer la systématisation des discours officiels sur la lutte contre les « trois forces » (<em>san gu shili</em>) (terrorisme, séparatisme, extrémisme) – des discours qui insistent sur la prétendue collusion entre la minorité ouïgoure et le terrorisme islamiste international. Le Conseil des Affaires d’État (merci d’expliquer ce qu’est cette instance) s’attachera à montrer les liens étroits existant entre Al Qaida et deux groupuscules ouïgours jusqu’alors méconnus, le <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-03078827/document">Parti d’Allah du Turkestan oriental et le Mouvement islamique du Turkestan Oriental</a> (MITO). Si Pékin avait négocié avec les talibans dès 1996 pour s’assurer que ces derniers ne soutiendraient pas les Ouïgours, la présence de l’OTAN, et spécialement des États-Unis dans la région (Asie centrale, Pakistan…) va bousculer, un temps, l’action diplomatique chinoise.</p>
<p>Le Parti-État s’inquiétait à ce moment de <a href="https://www.cairn.info/revue-relations-internationales-2009-2-page-111.htm">l’installation dans la durée des États-Unis</a>, alors que l’OCS prenait une ampleur nouvelle, traduisant la montée en puissance de l’influence chinoise en Asie centrale et d’un certain dessein stratégique eurasien, <a href="https://theconversation.com/asie-du-sud-est-et-asie-centrale-deux-laboratoires-strategiques-de-lexpansion-chinoise-137295">centré sur l’approvisionnement en ressources</a> (hydrocarbures, minerais, terres arables, ressources agricoles) et sur la proximité diplomatico-politique plus forte avec les régimes en place.</p>
<p>C’est aussi le prolongement de la politique dit du « développement de l’ouest » (<em>xibu dakaifa</em>), à savoir de la sinisation des terres lointaines du centre, dont les habitants ne sont pas des Han et qui sont importantes pour l’équilibre territorial chinois (à la fois du point de vue des ressources dont elles disposent, de l’espace qu’elles offrent, et des enjeux sécuritaires qui s’y déploient). Ainsi, le facteur afghano-taliban et la longue guerre de l’OTAN de 2001 à 2014 (année du retrait de l’ISAF) – voire jusqu’en 2021, <a href="https://www.capitmuscas.com/produit/la-chine-face-au-monde-une-puissance-resistible/">sont perçus par Pékin</a> comme des facteurs influant à la fois sur sa politique intérieure (la sinisation du Xinjiang et, aussi, du Tibet) et sur sa politique extérieure (la stabilisation des pays situés à l’ouest de la Chine), particulièrement l’Asie centrale et le triangle conflictuel Chine-Inde-Pakistan.</p>
<p>Pékin mettra systématiquement en avant les réseaux terroristes locaux et la déstabilisation du Xinjiang pour mieux légitimer la politique du « développement de l’ouest » puis la répression stricto sensu contre les Ouïgours, laquelle sera accentuée après, d’une part, la <a href="https://www.sciencespo.fr/ceri/fr/oir/la-lutte-contre-le-terrorisme-et-l-extremisme-au-xinjiang-quelles-methodes-pour-quels-resultats-">multiplication des attentats dans le monde</a>, avec notamment l’émergence de Daech et, d’autre part, ceux commis sur le territoire chinois (Kunming, Canton, Pékin, Urumqi, etc.).</p>
<p>D’un côté, un nouvel arsenal législatif est institutionnalisé (loi anti-terroriste), de l’autre la répression sur l’ensemble du territoire (moins connue) et plus particulièrement au Xinjiang seront deux paramètres majeurs des politiques sécuritaires à partir de 2015. Ainsi, depuis vingt ans, la politique chinoise de contrôle de l’islam a évolué. Si à l’époque il s’agissait avant tout d’éviter que ce dernier <a href="https://www.canal-u.tv/video/fmsh/djihadisme_et_radicalites_en_asie.43999">ne devienne un canal d’expression du mécontentement ouïgour au Xinjiang</a> ou qu’il se radicalise sous l’influence de mouvements fondamentalistes étrangers, aujourd’hui la RPC met en place envers les Ouïgours un contrôle humain et technologique totalitaire.</p>
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<figcaption><span class="caption">Chine : Ouïgours, un peuple en danger (Arte, 2019).</span></figcaption>
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<h2>Le Xinjiang et l’Afpak (Afghanistan-Pakistan) : un champ de forces</h2>
<p>Cet étranger proche, situé dans le prolongement du Xinjiang, représente un <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/La-Suite-des-temps/Demain-la-Chine-guerre-ou-paix">terrain d’affrontement indirect avec l’Inde</a>. En ce sens, le Pakistan, à la fois soutien des talibans et partie d’un continuum stratégico-diplomatique avec Pékin, est la clef de ce Grand Jeu.</p>
<p>Les guérillas actives dans cette zone sont autant d’épines dans le pied du Gulliver chinois. Leur existence exprime la manifestation de frustrations identitaires, religieuses et économiques de peuples malmenés par la mondialisation, l’instabilité chronique et de longue durée (guerre en Afghanistan depuis plus de 40 ans) ou par une sinisation brutale comme celle subie par les Ouïgours. Leur opposition aux projets de Pékin, qu’elle se traduise par de simples tensions ou par des actions terroristes, obère les chances de l’<a href="https://www.senat.fr/rap/r05-400/r05-400.html">« émergence pacifique » (<em>heping jueqi</em>)</a> à laquelle la Chine prétend.</p>
<p>Sur le temps long, et dans les régions tampons que sont le Turkestan mais aussi les zones pachtoune, baloutche et cachemirie, ces heurts manifestent l’opposition irréductible entre deux systèmes politiques : l’un marqué par une culture voire un culte de l’État, l’autre s’en affranchissant et érigeant en principe cardinal le <a href="https://laviedesidees.fr/Zomia-la-ou-l-%C3%89tat-n-est-pas.html">fait même de ne pas être gouverné</a>. Et certainement pas par la Chine. Un autre « Grand Jeu » se joue dans ces différentes parties du monde. Il ne dépend pas des seules relations conflictuelles entre puissances. Car à travers lui, se redécouvre l’expérience faite hier par l’URSS, aujourd’hui par la Chine, dans leur rapport antagoniste à un islam des maquis.</p>
<p>« Redécouverte » car Al Qaida et les organisations terroristes centrasiatiques ont recours à une <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/cultures-monde/culturesmonde-emission-du-mardi-31-aout-2021">guerre asymétrique</a> déjà pratiquée au début du siècle dernier par des indépendantistes en pays ouïgour. Vue des oasis, du désert du Taklamakan ou de l’arrière-pays que forment les Pamirs, cette vaste région minérale s’apparente à une mer intérieure. Vue de Pékin, elle constitue davantage un front pionnier.</p>
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<figcaption><span class="caption">China’s Hidden War On Terror : Special Report, 10 mai 2019.</span></figcaption>
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<p>Les visées de la RPC butent aussi sur des précédents historiques que les populations locales n’ont guère oubliés. Nombre de Basmatchis (peuples musulmans, notamment turcs opposés à la domination russe et soviétique) se sont réfugiés, dans les années 1930, en Afghanistan et dans le nord-ouest de la Chine. Une <a href="https://www.persee.fr/doc/outre_0300-9513_1991_num_78_292_4801_t1_0454_0000_2">éphémère République du Turkestan voit même le jour</a>. Son gouvernement provisoire, dirigé par l’émir auto-proclamé Abdullah Bughra ( ?-1934), s’établit dans <a href="https://theconversation.com/tadjikistan-et-kirghizistan-deux-foyers-dincertitude-aux-portes-de-la-chine-148362">l’oasis de Khotan</a> (<em>Hetian</em> en chinois), à l’est de Kachgar. Soutenue par le roi d’Afghanistan, <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Mohammad_Zaher_Shah">Mohammed Zahir Shah</a> (1914-2007), qui lui fournit des armes, et bien qu’aidée par des rebelles kirghizes qui la rejoignent, celle-ci sera âprement combattue puis défaite par l’armée des nationalistes chinois avec l’aide financière de Staline.</p>
<p>La diplomatie chinoise n’hésitera pas non plus, en pleine guerre froide, à s’associer avec les services secrets pakistanais (ISI) et la CIA pour soutenir les <a href="https://theconversation.com/la-question-ou-goure-au-coeur-des-enjeux-entre-pekin-et-kaboul-150051">moudjahidines dans leur lutte contre les Soviétiques</a>. Aujourd’hui encore, la région reste redoutée par Pékin.</p>
<h2>À l’ouest, rien (de trop) nouveau…</h2>
<p>Dans sa recherche constante d’une sanctuarisation territoriale, <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/cultures-monde/episode-1-4-pakistan-la-strategie-de-l-ambiguite">Pékin cherche à s’appuyer non seulement sur le Pakistan</a> mais aussi, et dans son prolongement, sur l’Iran, pour dynamiser l’ensemble de la région dont l’Afghanistan est le centre.</p>
<p>Le fait que le ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi, ait assisté d’une part à la <a href="http://french.xinhuanet.com/2015-12/04/c_134886105.htm">5ᵉ conférence ministérielle du Processus d’Istanbul – Cœur de l’Asie sur l’Afghanistan</a>, qui s’est déroulée en 2015 à Islamabad, et que la Chine n’ait jamais écarté les talibans des négociations, cherchant au contraire à les associer aux <a href="https://www.letemps.ch/monde/situation-afghanistan-provoque-desarroi-inde-attentisme-chine">discussions organisées à Tianjin</a>, va dans le même sens. Pour l’essentiel, hormis <a href="https://asia.nikkei.com/Opinion/The-myth-of-Chinese-investment-in-Afghanistan2">l’hypothétique exploitation des immenses richesses</a> du pays (lithium, fer, or, cuivre – notamment la <a href="https://thediplomat.com/2017/01/the-story-behind-chinas-long-stalled-mine-in-afghanistan/">mine de cuivre de Mes Aynak</a>), c’est pour avoir l’assurance d’une stabilité régionale et pour anticiper ou éviter des attaques terroristes ouïgoures sur le territoire chinois que la RPC s’affiche aux côtés des talibans.</p>
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<figcaption><span class="caption">Afghanistan : la Chine souhaite des « relations amicales » avec les talibans • France 24, 16 août 2021.</span></figcaption>
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<p>La presse chinoise a abondamment évoqué tout au long du mois d’août dernier « l’échec » de l’Occident et, en particulier, des États-Unis dans l’entreprise de « Nation building » en Afghanistan depuis 2001. Si le bilan de l’intervention américaine, et plus largement de celle de l’OTAN, est <a href="https://www.marianne.net/monde/asie/afghanistan-nous-assistons-a-une-deroute-de-loccident-et-de-lotan">à nuancer</a>, et s’il ne faut pas oublier que cette intervention militaire s’est doublée d’une <a href="https://www.lefigaro.fr/economie/les-americains-ont-ils-depense-plus-de-1000-milliards-de-dollars-en-afghanistan-20210817">perfusion de dollars et de projets de développement</a>), le traitement médiatique de Pékin ne laisse pas de doute sur sa volonté d’incarner une alternative diplomatique et un modèle de développement pour la région.</p>
<p>Pour autant, les États-Unis se sont retirés massivement tout en conservant des relais locaux, la récurrence des attaques terroristes contre des intérêts ou individus chinois, notamment au Pakistan, ne tarira probablement pas. Le régime de Pékin le sait. La nouvelle donne entraînera probablement une montée en gamme (diplomatique, technique et militaire) des politiques anti-terroristes en Chine à l’intérieur et à l’extérieur de ses frontières, s’appuyant sur le Pakistan, l’Asie centrale et une partie du Moyen-Orient.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/167846/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Emmanuel Véron est délégué général du FDBDA.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Emmanuel Lincot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Pour Pékin, la « guerre contre le terrorisme » lancée par Washington après le 11 Septembre a été l’occasion de s’imposer comme un acteur sécuritaire et diplomatique alternatif pour l’Asie centrale.
Emmanuel Véron, Enseignant-chercheur - Ecole navale, Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)
Emmanuel Lincot, Spécialiste de l'histoire politique et culturelle de la Chine contemporaine, Institut catholique de Paris (ICP)
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/167811
2021-09-13T17:53:45Z
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Amiante, métaux lourds… Comment l’attentat du World Trade Center tue encore, plus de 20 ans après
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/420852/original/file-20210913-14-51un48.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=13%2C22%2C1165%2C814&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Pendant des jours, pompiers et forces d'intervention envoyées sur le site du Wordl Trade Center vont être confrontés aux fumées toxiques résultant de l'effondrement des Trous.</span> <span class="attribution"><span class="source">Mike Goad / Library of Congress</span></span></figcaption></figure><p>Les attaques terroristes du 11 Septembre sur le World Trade Center (WTC), à New York, ont causé la mort de <a href="https://www.cnn.com/2013/07/27/us/september-11-anniversary-fast-facts/index.html">2 753 personnes, dans les Twin Towers et leur environnement immédiat</a>.</p>
<p>Après l’attentat, plus de 100 000 intervenants et secouristes venus de tous les États américains – ainsi que <a href="https://www.cdc.gov/wtc/history.html">quelque 400 000 résidents</a> et d’autres travailleurs présents autour de Ground Zero – ont été exposés à un <a href="https://abcnews.go.com/Health/september-11-toxic-world-trade-center-dust-cloud/story?id=14466933">nuage de poussière toxique</a> retombé sous la forme d’une épaisse couche de cendres.</p>
<p>Un nuage fantomatique qui est resté dans l’air pendant plus de trois mois.</p>
<h2>Un mélange de composés toxiques vaporisés</h2>
<p>Le <a href="https://doi.org/10.3109/10408444.2015.1044601">panache de poussière du World Trade Center</a> était constitué d’un dangereux mélange de poussière et de particules de ciment, d’amiante et de plusieurs types de <a href="https://www.epa.gov/international-cooperation/persistent-organic-pollutants-global-issue-global-response">polluants organiques persistants</a>. Ces derniers produits chimiques comprennent des <a href="https://www.epa.gov/dioxin/learn-about-dioxin">dioxines cancérigènes</a> et des <a href="https://www.cdc.gov/biomonitoring/PAHs_FactSheet.html">hydrocarbures polyaromatiques, ou HAP</a>, qui sont des sous-produits de la combustion des carburants.</p>
<p>La poussière contenait également d’autres éléments dangereux. Des métaux lourds connus pour être <a href="https://www.who.int/news-room/fact-sheets/detail/lead-poisoning-and-health">toxiques pour le corps humain et le cerveau</a>, comme le plomb (utilisé dans la fabrication de câbles électriques flexibles) ou le mercure (présent dans les interrupteurs ou les lampes fluorescentes), ou du cadmium, un agent cancérigène <a href="https://doi.org/10.1007/s10534-010-9328-y">qui s’attaque aux reins</a> (qui entre dans l’élaboration des batteries électriques ou de pigments pour les peintures).</p>
<p>Des <a href="https://www.anses.fr/fr/content/pcb-carte-d%E2%80%99identit%C3%A9">Polychlorobiphényles</a> (PCB), produits chimiques utilisés dans les transformateurs électriques, étaient également présents. Les PCB sont <a href="https://www.epa.gov/pcbs/learn-about-polychlorinated-biphenyls-pcbs#healtheffects">connus pour être cancérigènes</a>, toxiques pour le système nerveux et capables de perturber l’appareil reproducteur. Dangereux déjà en temps normal, ils sont devenus encore plus nocifs une fois chauffés à haute température par la combustion du carburant des avions – avant d’être transportés par des particules très fines.</p>
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<img alt="Vue aérienne du site des tours du World Trade Center ravagé" src="https://images.theconversation.com/files/420867/original/file-20210913-24-meufqv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/420867/original/file-20210913-24-meufqv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=397&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/420867/original/file-20210913-24-meufqv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=397&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/420867/original/file-20210913-24-meufqv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=397&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/420867/original/file-20210913-24-meufqv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=499&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/420867/original/file-20210913-24-meufqv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=499&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/420867/original/file-20210913-24-meufqv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=499&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Amiante, plomb, mercure… Tous les produits et matériaux toxiques présents dans les Tours jumelles ont été vaporisés et se sont retrouvés en suspension en l’air pendant des mois.</span>
<span class="attribution"><span class="source">James Tourtellotte, US Customs and Border Protection</span></span>
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<p>La <a href="https://doi.org/10.3109/10408444.2015.1044601">poussière soulevée par la chute du WTC</a> était ainsi composée à la fois de « grosses » et très petites particules, fines et ultra-fines. Ces particules particulièrement petites sont connues pour être <a href="https://doi.org/10.1038/s41598-018-35398-0">hautement toxiques</a>, en particulier pour le système nerveux puisqu’elles peuvent traverser directement les <a href="https://doi.org/10.1016/j.neuro.2011.12.001">fosses nasales et atteindre le cerveau</a>.</p>
<p>De nombreux secouristes et autres personnels directement exposés à cette poussière ont développé une <a href="https://doi.org/10.3109/10408444.2015.1044601">toux grave et persistante</a> qui a duré en moyenne un mois. Ils ont été traités à l’hôpital Mont Sinaï et reçu des soins à la Clinique de médecine du travail, un centre réputé pour les maladies liées au travail.</p>
<p>Je suis spécialisé dans la médecine du travail et ai commencé à suive ces survivants en tant directeur du <a href="https://icahn.mssm.edu/about/departments/environmental-public-health/research/wtc-data-center">Centre de données</a> du <a href="https://www.cdc.gov/wtc/">Programme de santé du WTC</a>, au Mont Sinaï depuis 2012. Ce programme recueille des données et assure le suivi et la supervision de la santé publique des travailleurs chargés du sauvetage et de la récupération en lien avec le World Trade Center. Après huit ans à ce poste, j’ai <a href="https://stempel.fiu.edu/faculty/roberto-lucchini/">intégré la Florida International University</a>, à Miami, où je prévois de continuer à travailler avec les intervenants du 11 Septembre qui déménagent en Floride lorsqu’ils atteignent l’âge de la retraite.</p>
<h2>Des symptômes aigus à la maladie chronique</h2>
<p>Car après les problèmes de santé aigus initiaux, c’est une vague de maladies chroniques qui a commencé et <a href="https://doi.org/10.3390/ijerph18126383">continue de les affecter</a> 20 ans plus tard. La toux persistante a fait place à des <a href="https://doi.org/10.1001/dmp.2011.58">maladies respiratoires</a> telles que l’asthme, la bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO) et des maladies des voies respiratoires supérieures comme la <a href="https://doi.org/10.1136/oemed-2015-103094">rhinosinusite chronique</a>, la laryngite et la rhinopharyngite.</p>
<p>La litanie des maladies respiratoires a également exposé beaucoup d’entre eux au risque de <a href="https://doi.org/10.1038/ajg.2011.357">reflux gastro-œsophagien</a> (RGO), qui se produit à un <a href="https://doi.org/10.1097/JOM.0b013e3181845f9b">taux plus élevé chez les survivants de l’attentat des Twin Towers</a> que dans la population générale. Cette affection se produit lorsque les acides de l’estomac remontent dans l’œsophage, qui relie l’estomac à la gorge. En raison des troubles des voies respiratoires ou des troubles digestifs, beaucoup de ces survivants souffrent également d’<a href="https://doi.org/10.1097/JOM.0b013e3182305282">apnée du sommeil</a>, ce qui nécessite des traitements supplémentaires.</p>
<p>Pour en rajouter encore à cette tragédie, environ huit ans après les attentats, de <a href="https://doi.org/10.1093/jncics/pkz090">premiers cancers ont également commencé à apparaître</a> chez les survivants. Il s’agit notamment de tumeurs du sang et des tissus lymphoïdes telles que le lymphome, le myélome et la leucémie – tumeurs dont on sait qu’elles <a href="https://doi.org/10.1186/1745-6673-8-14">affectent les travailleurs exposés à des substances cancérigènes</a> sur le lieu de travail. Et les survivants souffrent encore d’autres cancers : du sein, de la tête et du cou, de la prostate, du poumon et de la thyroïde.</p>
<p>Certains ont également développé un mésothéliome, une forme agressive de cancer liée à <a href="http://dx.doi.org/10.1136/thoraxjnl-2013-204161">l’exposition à l’amiante</a>. <a href="https://www.9news.com.au/9stories/september-11-death-toll-from-terror-attack-could-rise-by-millions-due-to-toxic-asbestos-dust/8bc90677-0032-42a2-82f9-4b9baad753d9">L’amiante</a> a été utilisé au début de la construction de la tour nord jusqu’à ce que l’opinion publique et une plus grande prise de conscience de ses dangers pour la santé <a href="https://www.mesothelioma.com/states/new-york/world-trade-center/">mettent un terme à son utilisation</a>.</p>
<h2>L’esprit également touché</h2>
<p>Les survivants du 11 Septembre ont aussi à surmonter un traumatisme psychologique, qui a entraîné beaucoup de problèmes de santé mentale persistants.</p>
<p>Une <a href="https://doi.org/10.1007/s10488-019-00998-z">étude</a> publiée en 2020 a révélé que sur plus de 16 000 intervenants du WTC, pour lesquels des données ont été recueillies, près de la moitié ont signalé un besoin de soins en santé mentale. De plus, 20 % de ceux qui ont été directement touchés ont développé un <a href="https://doi.org/10.1016/j.dadm.2016.08.001">trouble de stress post-traumatique</a>.</p>
<p>Beaucoup m’ont dit qu’avoir découvert des corps déchiquetés, arpenté les scènes de carnage et subi l’ambiance tragique des jours qui ont suivi l'événement les ont marqués à vie. Ils sont incapables d’oublier les terribles images vues et beaucoup souffrent de troubles de l’humeur, de <a href="https://doi.org/10.1186/s12940-019-0449-7">déficiences cognitives et autres problèmes de comportement</a>, y compris des troubles liés à la consommation de substances.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/420871/original/file-20210913-15-1uy78k1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/420871/original/file-20210913-15-1uy78k1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=407&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/420871/original/file-20210913-15-1uy78k1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=407&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/420871/original/file-20210913-15-1uy78k1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=407&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/420871/original/file-20210913-15-1uy78k1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=512&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/420871/original/file-20210913-15-1uy78k1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=512&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/420871/original/file-20210913-15-1uy78k1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=512&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Pour les professionnels envoyés sur le site de l’attentat de New York, le spectacle tragique a aussi été psychologiquement traumatisant.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Library of Congress</span></span>
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<h2>Les survivants, une génération vieillissante</h2>
<p>Vingt ans plus tard, ces survivants sont confrontés à un nouveau défi alors qu’ils vieillissent et se dirigent vers la retraite – une <a href="https://doi.org/10.3386/w12123">transition de vie difficile</a>, qui peut entraîner un déclin de la santé mentale. Avant la retraite, le rythme quotidien de l’activité professionnelle et un horaire régulier aident souvent à garder l’esprit occupé…</p>
<p>Mais la retraite laisse parfois un vide – un vide qui, pour ce public fragilisé, est trop souvent rempli du souvenir indésirable des bruits, des odeurs, de la peur et du désespoir de cette terrible journée et de celles qui ont suivi. De nombreux survivants m’ont dit qu’ils ne voulaient pas retourner à Manhattan, et certainement pas sur le site du World Trade Center.</p>
<p>Le vieillissement peut également s’accompagner de pertes de mémoire et d’autres problèmes cognitifs. Or, des études montrent que ces processus naturels sont <a href="https://doi.org/10.1186/s12940-019-0449-7">accélérés et plus graves</a> chez les survivants du 11 Septembre, comme chez les anciens combattants des zones de guerre. Cette tendance est préoccupante, d’autant plus qu’un nombre croissant de recherches, dont <a href="https://doi.org/10.21203/rs.3.rs-846359/v1">notre propre étude préliminaire</a>, établit des liens entre <a href="https://doi.org/10.1192/bjp.bp.105.014779">troubles cognitifs chez les victimes du 11 Septembre et démence</a>. Un récent <a href="https://www.washingtonpost.com/magazine/2021/08/30/911-first-responders-dementia/">article du Washington Post</a> expliquait comment ces personnes sont confrontées à des troubles similaires à la démence dans la cinquantaine, soit bien plus tôt que la normale.</p>
<p>La pandémie de Covid-19 a également fait des ravages chez ceux qui avaient déjà souffert du 11 septembre. Les personnes souffrant de <a href="https://doi.org/10.1016/j.eclinm.2020.100515">conditions préexistantes</a> ont connu un risque beaucoup plus élevé pendant la pandémie. Une étude récente a ainsi, logiquement, révélé une <a href="https://doi.org/10.1371/journal.pone.0254713">incidence plus élevée de Covid-19</a> chez les intervenants du WTC entre janvier et août 2020.</p>
<h2>Hommage aux survivants</h2>
<p>Les risques sanitaires posés par l’exposition directe à la poussière âcre étaient sous-estimés à l’époque, et mal compris. De plus, les équipements de protection individuelle appropriés, tels que les <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Masque_de_protection">demi-masques respiratoires P100</a>, n’étaient pas disponibles à l’époque.</p>
<p>Nous en savons aujourd’hui beaucoup plus sur les risques – et nous avons un accès beaucoup plus large aux équipements de protection qui peuvent assurer la sécurité des intervenants et secouristes après une catastrophe. Pourtant, trop souvent, je constate que nous n’avons pas appris et appliqué ces leçons…</p>
<p>Par exemple, immédiatement après <a href="https://www.nytimes.com/live/2021/07/06/us/miami-building-collapse-updates">l’effondrement d’un immeuble en copropriété</a> près de Miami Beach en juin 2021, il a fallu plusieurs jours avant que des demi-masques respiratoires P100 soient disponibles et obligatoires pour les intervenants. D’autres exemples dans le monde sont encore pires : Un an après l’<a href="https://www.npr.org/2021/08/04/1024275186/a-year-after-the-beirut-explosion-victims-families-continue-to-push-for-justice">explosion de Beyrouth</a>, en août 2020, très peu de mesures ont été prises pour étudier et gérer les <a href="https://timep.org/commentary/analysis/the-beirut-explosions-impact-on-mental-health/">conséquences sur la santé physique et mentale</a> parmi les intervenants et la communauté touchée.</p>
<p>Une situation tout aussi désastreuse s’est produite au lendemain d’un <a href="https://www.dailymaverick.co.za/article/2021-07-20-new-health-warnings-issued-in-durban-over-toxic-fumes-stemming-from-chemical-blaze/">incendie chimique du 20 juillet</a> à Durban, en Afrique du Sud.</p>
<p>Appliquer les leçons tirées du 11 Septembre est un moyen essentiel d’honorer les victimes et les hommes et femmes courageux qui ont participé aux efforts désespérés de sauvetage et de récupération en ces jours terribles.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/167811/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Roberto Lucchini ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Au-delà du drame immédiat, le 11 Septembre a aussi eu un impact biologique plus insidieux : le nuage de poussière soulevé par la chute du World Trade Center a contaminé 500 000 de personnes.
Roberto Lucchini, Professor of Occupational and Environmental Health Sciences, Florida International University
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tag:theconversation.com,2011:article/167674
2021-09-10T19:40:19Z
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Comment le 11 Septembre s’est imprimé dans nos mémoires
<p><em>Deux décennies ont passé, mais les souvenirs du 11 septembre 2001 semblent toujours aussi vivaces dans les esprits de ceux qui ont assisté, de près ou de loin, à ces terribles attentats. Directeur de l’unité de recherche « Neuropsychologie et imagerie de la mémoire humaine » à l’Université Caen Normandie, Francis Eustache nous explique pourquoi, et revient sur ce que les recherches des vingt dernières années nous ont appris sur les processus de mémorisation.</em></p>
<hr>
<p><strong>The Conversation : En quoi le 11 Septembre a-t-il marqué un tournant dans la recherche sur le traumatisme et la mémoire ?</strong></p>
<p><strong>Francis Eustache :</strong> L’impact du 11 Septembre a été majeur, dans nos sociétés, mais aussi dans le monde de la recherche. Après ces attentats, de nombreux travaux ont été menés pour comprendre non seulement la mémoire traumatique, mais aussi la façon dont la mémoire évolue au cours du temps.</p>
<p>Ces travaux ont contribué à modifier de notre perception de la mémoire, en particulier dans ses aspects malléables, dynamiques. Ils ont aussi permis de mieux comprendre les relations entre mémoire individuelle et mémoire collective. Après ces attentats, la notion de trouble de stress post-traumatique a également diffusé beaucoup plus largement dans le grand public.</p>
<p>On peut en effet distinguer plusieurs grandes étapes dans la compréhension de ce syndrome, décrit dès le milieu du XIX<sup>e</sup> siècle chez les victimes de grandes catastrophes ferroviaires : les deux guerres mondiales, la guerre du Vietnam, la prise de conscience au niveau sociétal de l’impact des violences faites aux femmes et aux enfants dans les années 1970… Mais jusqu’au 11 Septembre, ces informations circulaient surtout dans certains milieux spécialisés. Après cette date, le grand public a pris conscience que le psychotraumatisme entraînait différents symptômes et en particulier des troubles de la mémoire.</p>
<p><strong>TC : Par leur ampleur, par la profusion des images, par le suivi quasi minute par minute du déroulé des événements, ces attentats ont marqué durablement les esprits, bien au-delà des personnes qui ont vécu un psychotraumatisme. Chacun a l’impression de se souvenir très précisément de ce qu’il faisait au moment de l’attaque. Comment cela s’explique-t-il ?</strong></p>
<p><strong>FE :</strong> Ce phénomène s’appelle <a href="https://www.cairn.info/revue-de-neuropsychologie-2020-1-page-35.htm">« souvenir flash » (« flash bulb memory » en anglais)</a> : cette expression désigne un souvenir détaillé et vivace qui fixe précisément les circonstances dans lesquelles nous sommes informés de la survenue d’un événement collectif inattendu, surprenant et empreint d’émotion. Une autre dimension importante intervenant dans la formation du souvenir flash est que nous percevons immédiatement que l’information reçue va avoir d’importantes conséquences, pour nous-mêmes et pour la société (quand bien même nous n’en appréhendons pas la portée exacte). En revanche, nous ne participons pas directement à l’événement qui survient ; nous sommes spectateurs à distance, sans possibilité d’action efficace.</p>
<p>Typiquement, après le 11 Septembre, les connaissances sur le souvenir flash ont fait l’objet d’un renouvellement majeur. Avant cette date, le débat était de savoir si le souvenir flash appartenait à une catégorie spéciale de souvenir, plus précis, moins susceptible de s’altérer dans le temps, qui aurait été produite par des mécanismes particuliers. Selon certains, il se serait agi d’un souvenir permanent et indélébile.</p>
<p>Or, les recherches post-11 Septembre (en particulier celles de l’équipe de William Hirst, à la New School de New York, avec qui nous avons aussi collaboré) ont montré que ce n’est pas le cas. En réalité, le souvenir flash est un souvenir comme les autres, qui lui aussi se modifie au fil du temps. Il est juste en quelque sorte « augmenté », plus vivace, par rapport à d’autres souvenirs autobiographiques.</p>
<p><strong>TC : C’est-à-dire ?</strong></p>
<p><strong>FE :</strong> Quand on mémorise un souvenir, on encode également son contexte : on sait où l’on est, qui nous donne l’information, le moment où se passe la scène, ce que l’on est en train de faire. À mesure que le temps passe, le souvenir évolue, devient moins précis. Dans le cas du souvenir flash, étant donné qu’il s’agit d’un souvenir qui se forme dans un contexte émotionnel intense, ledit contexte est très fortement mémorisé, y compris en cas d’une activité aussi banale que d’éplucher des légumes dans sa cuisine.</p>
<p>On en vient donc naturellement et inconsciemment à se dire « si je me souviens tellement précisément qu’à ce moment je faisais quelque chose d’aussi trivial, le reste aussi doit être vrai ». On est tellement sûr de se souvenir du contexte qu’on est également certain du contenu du souvenir. Mais ce n’est pas vrai : comme les autres souvenirs, le souvenir flash a pu évoluer avec le temps. Ce qui peut mener à de faux souvenirs dont on ne veut pas démordre…</p>
<p><strong>TC : Comment s’en est-on aperçu ?</strong></p>
<p><strong>FE :</strong> Pour déterminer si le souvenir flash avait une spécificité ou s’il s’agissait d’un souvenir autobiographique « normal », les scientifiques ont étudié quatre paramètres : sa précision (qui fait référence à la véracité des détails mémorisés), sa vivacité (qui correspond à la richesse de l’expérience phénoménologique associée au rappel du souvenir), la confiance en sa recollection (qui concerne le sentiment de certitude qu’ont les individus en leur remémoration), et sa stabilité dans le temps.</p>
<p>William Hirst et ses collaborateurs ont par exemple interrogé 3 246 Américains vivant dans sept villes des États-Unis sur leurs souvenirs des attentats du 11 septembre 2001. Leurs résultats indiquent que le taux d’oubli des détails associés au souvenir flash était important la première année (30 %) puis diminuait les deux années suivantes (entre 5 et 10 %) avant de devenir négligeable jusqu’à la dixième année. Cette évolution suit la même courbe que celle d’un souvenir classique.</p>
<p>Nous avons nous-mêmes analysé les mots utilisés par 206 personnes à qui nous avons demandé d’évoquer leurs souvenirs du 11 septembre 2001 une semaine, un an, deux ans et dix ans après les attentats. <a href="http://okina.univ-angers.fr/publications/ua17763/1/lesourd_2018_rnpsy.pdf">Nos travaux, publiés cette année,</a> révèlent que dans les premiers temps, le registre émotionnel prédomine, ainsi que la précision temporelle. Les gens décrivent avec exactitude le déroulé des événements, les horaires. Puis au bout de quelque temps, assez rapidement, cette précision s’estompe, et les témoignages se focalisent sur les références spatiales. En outre, l’évolution du souvenir flash de l’attentat est très influencée par la façon dont l’événement est rapporté par les médias.</p>
<p>Tous ces résultats indiquent que le souvenir flash, comme les autres souvenirs, se transforme au fil du temps. C’est un souvenir puissant au plan émotionnel, mais ce n’est pas un souvenir indélébile. Cela peut parfois être difficile à entendre, mais c’est aujourd’hui clairement démontré.</p>
<p><strong>TC : Cette conclusion concerne le souvenir flash, mais n’a rien à voir avec le souvenir traumatique, tel que celui qui peut survenir chez certaines victimes d’attentats…</strong></p>
<p><strong>FE :</strong> Effectivement, souvenir flash et souvenir traumatique sont deux représentations mnésiques très différentes. D’ailleurs, le « souvenir traumatique » n’est pas un souvenir à proprement parler.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/420574/original/file-20210910-21-bmilfs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Photo d’une exposition photographique dédiée au 11 Septembre" src="https://images.theconversation.com/files/420574/original/file-20210910-21-bmilfs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/420574/original/file-20210910-21-bmilfs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=867&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/420574/original/file-20210910-21-bmilfs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=867&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/420574/original/file-20210910-21-bmilfs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=867&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/420574/original/file-20210910-21-bmilfs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1089&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/420574/original/file-20210910-21-bmilfs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1089&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/420574/original/file-20210910-21-bmilfs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1089&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Exposition dédiée au 11 Septembre aux Rencontres de la photo d’Arles, en 2019.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/photos/NpBL8eNeWPQ">Fred Moon</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Contrairement au souvenir flash, dans le cas d’une situation potentiellement traumatique, l’individu se trouve directement confronté avec l’événement. Il perçoit un risque immédiat pour son intégrité physique (ou pour l’intégrité physique de quelqu’un situé à proximité, avec qui il est en empathie), mais sans pouvoir agir avec efficacité. Dans ce cas, l’encodage du souvenir se fait très différemment, sans renforcement contextuel. Le souvenir traumatique présente un profil presque inverse du souvenir flash, de ce point de vue.</p>
<p>Cependant, il existe entre les deux une forme de continuum, en ce sens que l’on monte en intensité émotionnelle. Chez certaines personnes, dans ce « no man’s land » entre souvenir flash et souvenir traumatique se trouve un point de rupture émotionnelle au-delà duquel peut se produire un basculement.</p>
<p><strong>TC : Cela signifie-t-il que l’on peut développer un trouble de stress post-traumatique, même si l’on ne s’est pas trouvé à proximité des tours jumelles le 11 septembre 2001 ? Simplement en étant exposé aux images de l’attentat, par exemple ?</strong></p>
<p><strong>FE :</strong> Oui, même si ce n’est bien sûr pas la règle. C’est aujourd’hui un fait bien documenté, et cela a malheureusement été confirmé lors des attentats qui sont survenus par la suite.</p>
<p>Quant à savoir quel est le rôle joué par les images à proprement parler, c’est une question complexe. Bien entendu, chez l’être humain le canal visuel est très prégnant, c’est un vecteur important pour la fabrication des mémoires en général. Quand on évoque un souvenir, ce sont souvent d’abord les images qui reviennent en mémoire. Néanmoins, un point est probablement plus important qu’une éventuelle hiérarchie des sensorialités : c’est le fait que ce qui est perçu soit décontextualisé, encore une fois. Cette absence de contexte mime la situation traumatique.</p>
<p>C’est un point intéressant que l’on a observé dans le cas des attentats du 13 novembre 2015 à Paris : les images qui ont tourné en boucle sur les chaînes d’information en continu, souvent hors de tout contexte (bandeaux défilants mentionnant des informations sans lien avec les images, son coupé dans les lieux publics privant les spectateurs de commentaires, etc.), ont contribué au développement de troubles de stress post-traumatique chez certaines personnes. Ces chaînes n’existaient pas au moment des attentats du 11 Septembre 2001, mais les images en boucles sur toutes les télévisions du monde ont pu avoir le même effet.</p>
<p><strong>TC : À nouveau, on voit que le collectif influence la mémoire individuelle…</strong></p>
<p><strong>FE :</strong> C’est un point important : les études menées sur le 11 Septembre ont contribué à établir les liens entre la mémoire des individus et la mémoire collective. Celle-ci se construit de diverses façons, via la narration des médias, la création de mémoriaux, l’organisation de commémorations, l’éducation…</p>
<p>À partir de cette date tragique, on a également réalisé l’importance de la mémoire communicative. Notre mémoire ne se construit pas uniquement dans notre intimité subjective, mais aussi via nos échanges : quand nous enregistrons un souvenir, nous le faisons dans un cadre social, et il en est de même quand nous l’évoquons avec les autres, que nous en parlons. Dès 1926, le sociologue Maurice Halbwachs avait pressenti l’importance de ce qu’il nommait « les cadres sociaux de la mémoire ».</p>
<p>Le trouble de stress post-traumatique survient justement en raison de ce manque de cadre social. La personne qui en souffre mémorise des éléments disparates, très sensoriels et fortement émotionnels, de la scène vécue sans assemblage par le contexte qui permettrait de les unifier et de les faire évoluer dans le temps comme d’autres souvenirs.</p>
<p>Dans le trouble de stress post-traumatique, ces éléments disparates peuvent se transformer en images intrusives qui envahissent la conscience de la personne qui en est victime ; elle les vit comme de nouveaux événements surgissant dans son présent.</p>
<p><strong>TC : Les relations sociales jouent aussi un rôle important dans la prise en charge des blessés psychiques…</strong></p>
<p><strong>FE :</strong> Tout à fait. Il y a bien entendu les cellules d’urgence médico-psychologiques, des dispositifs précoces faisant intervenir psychologues, psychiatres, soignants spécifiquement formés pour prendre en charge les blessés psychiques immédiatement après l’événement traumatisant. Mais par la suite, le soutien social est également primordial.</p>
<p>Les blessés psychiques sont très sensibles à l’entourage de leurs proches et de la société. Même ceux qui ne le montrent pas, et donnent l’impression de vouloir s’isoler. Dans cette situation, il est essentiel de maintenir le contact. Et surtout, il faut avoir conscience que les échelles de temps peuvent être très longues. Trop souvent, les proches aimeraient que les personnes traumatisées passent rapidement « à autre chose », qu’elles reprennent leurs activités. Mais c’est souvent difficile.</p>
<p>Nous avons évoqué le traumatisme du 11 Septembre et, plus largement, celui des attentats. Il s’agit, le plus souvent, d’un événement unique dans la vie de l’individu. Mais les situations sont très différentes d’une personne à l’autre. Je pense en particulier aux personnes endeuillées qui ont perdu un proche ou encore à celles qui conservent des séquelles physiques. Le traumatisme peut aussi entraîner d’autres complications, comme une dépression.</p>
<p>Toutefois, nous avons aujourd’hui une meilleure connaissance du traumatisme. Les recherches qui sont menées, y compris au plan thérapeutique, modifient notre regard et les pratiques. Aujourd’hui, des thérapies innovantes sont proposées, qui prennent en compte non seulement la personne souffrant de trouble de stress post-traumatique, mais également son environnement familial.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/167674/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Francis Eustache ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Les attentats du World Trade Center n’ont pas seulement bouleversé les relations géopolitiques. Dans le domaine de la recherche sur la mémoire, il y a aussi un avant et un après 11 septembre 2001.
Francis Eustache, Directeur de l'unité Neuropsychologie et imagerie de la mémoire humaine, Inserm, Ecole Pratique des Hautes Etudes, Université de Caen Normandie, Inserm
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tag:theconversation.com,2011:article/166803
2021-09-10T14:56:05Z
2021-09-10T14:56:05Z
L'après 11 septembre : la lutte contre l’islamophobie est nécessaire, mais elle ne doit pas être un appui à l’islamisme
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/420518/original/file-20210910-17-1d037ir.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=51%2C0%2C5760%2C3837&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Protestors hold placards as they march during a protest against islamophobia, in Paris, Sunday, Nov. 10, 2019. Placard on the left reads : "Together against islamophobia", and placard on the right reads: " Your secularity, our freedom". </span> <span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Thibault Camus) </span></span></figcaption></figure><p>Les <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Attentats_du_11_septembre_2001">attentats du 11 septembre 2001</a> ont lancé un signal clair : les mouvements djihadistes islamistes étaient désormais prêts à s’en prendre directement aux puissances occidentales par des actions violentes d’envergure.</p>
<p>En réponse à ce défi, les États-Unis ont déployé une double stratégie au Moyen-Orient. D’abord militaire, pour combattre Al-Qaeda ainsi que certains régimes jugés menaçants, dont celui des talibans en Afghanistan. Puis politique, pour convaincre leurs alliés arabes autoritaires de laisser une plus grande marge de manœuvre à leurs sociétés civiles.</p>
<p>Ce deuxième volet de la stratégie était fondé sur l’idée qu’un espace démocratique plus grand rendrait le recours à la violence moins attirant pour les courants contestataires, en particulier islamistes. Cette stratégie a donc été accompagnée de diverses initiatives d’ouverture envers les courants de l’islam politique qui ne revendiquaient pas la violence comme moyen d’action privilégié.</p>
<p>Ces tentatives de cooptation, voire de glorification d’un certain islam conservateur, ont constitué un désavantage pour les courants sociaux et politiques sécularisés au sein même des sociétés musulmanes, mais elles ne les ont pas paralysés. Au contraire, ces sociétés ont elles aussi bénéficié de cette ouverture, qui a permis les lentes et patientes mobilisations qui ont rendu possibles les <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Printemps_arabe">révoltes arabes de 2011</a>.</p>
<p>J’ai commenté et <a href="http://classiques.uqac.ca/contemporains/antonius_rachad/qui_veut_voler_revol_arabes/qui_veut_voler_revol_arabes.html">publié</a> sur ces événements, en tant que professeur de sociologie à l’Université du Québec à Montréal. Je m’intéresse entre autres aux transformations sociales dans les sociétés arabes, incluant l’émergence de l’islam politique, aux conflits au Proche-Orient, en particulier israélo-palestinien, ainsi qu’aux stéréotypes et aux discriminations qui ont ciblé les communautés arabes et musulmanes.</p>
<h2>L’agenda sécuritaire et l’islamophobie</h2>
<p>En même temps qu’il développait ses nouvelles stratégies dans le grand Moyen-Orient, le gouvernement américain a développé des stratégies sécuritaires visant à empêcher que des attaques semblables à celles du 11 septembre 2001 ne se reproduisent sur son territoire. Allié fidèle des États-Unis, le gouvernement du Canada, a lui aussi développé des stratégies similaires de <a href="https://www.canada.ca/fr/services/defense/securitenationale/lutteterrorisme.html">lutte contre le terrorisme</a>.</p>
<p>La menace du 11 septembre étant venue d’un groupe qui se réclamait explicitement de l’islam dans son action politique violente, les soupçons se sont naturellement portés vers des groupes similaires. Le discours sécuritaire a alors constitué un terreau fertile aux dérapages xénophobes qui visaient spécialement les musulmans, d’abord dans les mesures sécuritaires elles-mêmes, dont certaines étaient clairement discriminatoires. Par exemple, le traitement différentiel en fonction de l’apparence ou du nom, ou encore les <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/No_Fly_List">« No-Fly Lists »</a> des citoyens ordinaires dont le nom était « suspect ». Mais c’est surtout dans certains discours populistes, qui encourageaient la méfiance et la haine envers l’islam et les musulmans, que ces dérapages se sont manifestés, produisant hélas de nombreuses agressions contre des citoyens du seul fait qu’ils et elles étaient musulmans.</p>
<p>C’est cet ensemble de politiques, de discours et d’attitudes hostiles à l’islam et aux musulmans qui a été désigné par le terme « islamophobie », souvent considéré comme étant synonyme de « racisme antimusulman » et comme étant étroitement lié à l’agenda sécuritaire post-11 septembre.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Un pompier erre dans les débris d’un édifice encore fumant" src="https://images.theconversation.com/files/420519/original/file-20210910-23-t6nkj7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/420519/original/file-20210910-23-t6nkj7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=394&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/420519/original/file-20210910-23-t6nkj7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=394&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/420519/original/file-20210910-23-t6nkj7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=394&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/420519/original/file-20210910-23-t6nkj7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=495&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/420519/original/file-20210910-23-t6nkj7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=495&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/420519/original/file-20210910-23-t6nkj7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=495&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Les traumatisants attentats du 11 septembre 2001 ont constitué un terreau fertile aux dérapages xénophobes.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Graham Morrison)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Des appuis à l’islam politique</h2>
<p>En réaction à cette islamophobie, un mouvement de solidarité et de défense des droits des musulmans s’est développé au Canada et au Québec.</p>
<p>Initié par des associations antiracistes et de défense des droits, ce mouvement a rapidement conclu, à juste titre, qu’il fallait lutter contre les stéréotypes négatifs associés à l’islam et le montrer sous un meilleur — et plus réaliste — jour.</p>
<p>Mais comment aborder la question de l’émergence des courants de l’islam politique d’inspiration <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Wahhabisme">wahhabite</a>, originaire d’Arabie saoudite, et qui est une forme spécifique de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Salafisme">salafisme</a> ? Comment tenir compte de l’émergence de l’islamisme, avec ses composantes antidémocratiques ou même liberticides ?</p>
<p>C’est là, je crois, que certains mouvements antiracistes ont fait des erreurs importantes. En voulant s’opposer à l’agenda sécuritaire considéré discriminatoire et islamophobe, ils ont ignoré les dangers de l’islam politique et lui ont apporté des appuis qui vont bien plus loin que la défense des droits démocratiques. Ceci les a amenés à glorifier, à l’occasion, les pratiques salafistes comme étant émancipatrices, par exemple <a href="https://ricochet.media/fr/3597/ahmad">dans cette vidéo inattendue</a> publiée sur le site du journal Ricochet.</p>
<p>Plus généralement, les symboles associés à l’islamisme, ainsi que les discours identitaires islamistes, devenaient des revendications qu’il fallait appuyer activement au nom de la diversité, du libre choix et de l’antiracisme.</p>
<h2>Des sympathies douteuses</h2>
<p>Cette empathie ne s’est pas seulement appliquée aux pratiques religieuses orthodoxes. <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Oussama_Atar">Oussama Atar</a>, citoyen belge, l’un des cerveaux des <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Attentats_du_13_novembre_2015_en_France">attentats de Paris du 13 novembre 2015</a>, avait été adopté par des groupes de défense des droits, dont Amnistie internationale, dans le cadre d’une campagne intitulée « Sauvons Oussama », lorsqu’il avait été emprisonné pour son association avec des groupes djihadistes. Au Canada, le controversé <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/708905/qui-est-adil-charkaoui">Adil Charkaoui</a> (qui <a href="https://www.lapresse.ca/actualites/2021-08-31/adil-charkaoui-preche-en-faveur-des-talibans.php">s’est réjoui publiquement du retour au pouvoir des talibans</a>) avait reçu un appui, un hommage même, de la part de la Ligue des droits et libertés, quand il luttait pour faire annuler un certificat de sécurité déposé envers lui par le ministère de l’Immigration.</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="Adil Charkaoui devant un collège" src="https://images.theconversation.com/files/420527/original/file-20210910-15-1iaenpp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/420527/original/file-20210910-15-1iaenpp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/420527/original/file-20210910-15-1iaenpp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/420527/original/file-20210910-15-1iaenpp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/420527/original/file-20210910-15-1iaenpp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/420527/original/file-20210910-15-1iaenpp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/420527/original/file-20210910-15-1iaenpp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Adil Charkaoui s’adresse aux journalistes, en février 2015, alors qu’il est soupçonné d’avoir encouragé de jeunes Québécois à partir en Syrie se joindre à Daesh.</span>
<span class="attribution"><span class="source">La Presse canadienne/Paul Chiasson</span></span>
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</figure>
<p>Ces cas ne sont pas que des anecdotes. C’est la conception même de « l’islamophobie », portée par une partie de la gauche antiraciste, qui est en jeu ici. En effet, la définition de l’islamophobie a été élargie pour considérer comme « phobie » toute critique, y compris rationnelle et documentée, des idéologies politiques qui se réclament de l’islam.</p>
<p>C’est ce qu’on pouvait lire dans un manuel (par ailleurs fort utile) produit dans le cadre du <a href="https://www.ihmcanada.com">Islamic Heritage Month</a> par le Toronto District School Board. Dans <a href="https://professionallibrarytdsb.wordpress.com/2017/10/16/islamic-resource-guidebook-for-educators-2017/">sa première version, publiée dans le Resource Guidebook For Educators, en 2017</a>, on pouvait y lire cette définition : « Islamophobia refers to fear, prejudice, hatred or dislike directed against Islam or Muslims, or towards Islamic politics or culture », soit « L’islamophobie désigne la peur, les préjugés, la haine ou l’aversion dirigés contre l’islam ou les musulmans, ou contre la politique ou la culture islamique ».</p>
<p>Cette définition a été amendée quelques mois plus tard, en réaction aux protestations venues de… la droite, la gauche étant restée silencieuse sur cette question. Inutile de souligner ici le danger d’inclure la critique des politiques associées à l’islam comme étant du racisme islamophobe.</p>
<p>Cette conception de l’islamophobie portée par certains des courants antiracistes converge tout à fait avec les politiques officielles du gouvernement canadien, peut-être en raison de la stratégie d’ouverture envers l’islam politique non violent évoquée plus haut. Les efforts pour combattre l’islamophobie, définie dans ce sens très large, et sans critique de l’islamisme, trouvent ainsi un écho même au Parlement canadien, qui a adopté en 2019 une <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1024073/motion-m-103-adoptee-les-communes-condamnent-lislamophobie">Motion pour combattre l’islamophobie</a>.</p>
<h2>Le combat contre le dogmatisme religieux</h2>
<p>Cependant, dans le monde arabo-musulman, les critiques de l’islam comme idéologie politique se sont fait entendre de plus en plus. Face aux courants fondamentalistes se dressent des conceptions laïques de la société et de l’État, qui vont jusqu’à critiquer les fondements mêmes de l’islam. Ces courants ne revendiquent pas nécessairement la laïcité comme principe, mais ils l’expriment concrètement dans les arts, la culture, la littérature, les comportements sociaux et aussi la politique.</p>
<p>Ces critiques ne sont pas nouvelles : très visibles dans la première moitié du XX<sup>e</sup> siècle et jusqu’après l’ère des indépendances, elles avaient été étouffées par la montée de l’islam conservateur à partir des années 1970, puissamment appuyé par le régime saoudien. Mais on les voit émerger à nouveau à présent.</p>
<p>Dans de nombreux pays arabes, on peut voir par exemple des groupes se disant explicitement athées proliférer sur les réseaux sociaux tout en gardant un certain anonymat par peur de représailles. Un livre autobiographique d’un ex-salafiste/djihadiste devenu athée, publié sous le nom de <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Hicham_Nostik">Kafer Maghrebi</a> (Apostat maghrébin) a eu un énorme succès durant la foire du livre de Casablanca où sa vente avait été autorisée. D’autres critiques radicales confrontent le récit officiel de l’histoire glorieuse de l’islam et contestent les rapports de domination justifiés au nom du dogme religieux.</p>
<p>C’est sur ces courants, enracinés dans les sociétés arabes, qu’il faudra compter pour continuer le combat contre le dogmatisme religieux et pour la laïcité, c’est-à-dire pour que les politiques de l’État n’aient pas besoin de justifications religieuses. Souvent exilés de leur pays d’origine, ceux et celles qui appartiennent à ces courants n’auront pas l’appui de cette partie de la gauche qui, en voulant défendre les droits des musulmans, appuie la propagation de l’islamisme. Ce faisant, cette gauche a cessé d’être un allié dans le combat pour la laïcité au sein des groupes arabes en situation de migration.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/166803/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Rachad Antonius a reçu des financements du CRSH et du FRQSC dans le cadre de recherches universitaires. </span></em></p>
En réaction à l’islamophobie qui s’est développée au lendemain du 11 septembre 2001, des mouvements en Occident ont ignoré les dangers de l’islam politique et lui ont apporté des appuis inusités.
Rachad Antonius, Adjunct professor, University of Quebec in Montreal, Université du Québec à Montréal (UQAM)
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tag:theconversation.com,2011:article/167616
2021-09-10T13:11:43Z
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Vingt ans après les attentats du 11 septembre, que reste-t-il du consensus antiterrorisme ?
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/420331/original/file-20210909-17-1a5sc6r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C1991%2C1299&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Des restes fumants des tours jumelles à New York, le 11 septembre 2001. Le large consensus antiterroriste aux États-Unis qui a suivi les attentats s'est peu à peu effiloché. </span> <span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Alexandre Fuchs) </span></span></figcaption></figure><p>Avec un bilan d’au moins 3 000 morts et de 6 000 blessés, les <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Attentats_du_11_septembre_2001">attaques du 11 septembre 2001</a> constituent à la fois l’attentat terroriste et l’attaque étrangère les plus meurtriers perpétrés en sol américain.</p>
<p>En plus d’avoir <a href="https://www.pewresearch.org/fact-tank/2014/05/14/more-than-a-decade-later-911-attacks-continue-to-resonate-with-americans/">traumatisé durablement la population américaine</a>, ces attaques ont mis fin à la certitude partagée par nombre de citoyens de mener une existence à l’abri de la violence et du chaos. Le 11 septembre a porté un coup fatal et inattendu au paradigme optimiste de la <a href="https://www.goodreads.com/book/show/57981.The_End_of_History_and_the_Last_Man">« fin de l’histoire »</a> énoncé en 1992 par le politologue néoconservateur <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Francis_Fukuyama">Francis Fukuyama</a>. Il voyait la disparition de l’Union soviétique comme annonciatrice d’une marche inexorable des nations vers la démocratie, le libre marché et, en définitive, la paix mondiale.</p>
<p>Douze ans après la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Chute_du_mur_de_Berlin">chute du Mur de Berlin</a>, une autre chute, celle des tours jumelles de Manhattan, a amené un « <a href="https://www.goodreads.com/book/show/2611798-the-return-of-history-and-the-end-of-dreams">retour</a> de <a href="https://www.goodreads.com/book/show/28957367-the-return-of-history">l’histoire</a> », marqué au sceau d’un <a href="https://www.goodreads.com/book/show/413179.The_Clash_of_Civilizations_and_the_Remaking_of_World_Order">« choc des civilisations »</a>.</p>
<p>Dans le monde de l’après 11 septembre, les États-Unis devaient reprendre l’étendard du monde libre pour mener un combat homérique contre un extrémisme islamiste violent, obscurantiste et liberticide, aux valeurs incompatibles avec celles de l’Occident. Neuf jours après les attentats, le président George W. Bush annonce devant le Congrès que les États-Unis s’engagent dans un nouveau type de guerre, une <a href="https://www.washingtonpost.com/wp-srv/nation/specials/attacked/transcripts/bushaddress_092001.html">« war on terror »</a> : « [Cette guerre] ne sera pas terminée tant que tous les groupes [terroristes] ayant une portée mondiale n’auront pas été trouvés, neutralisés et vaincus », de déclarer le président républicain, <a href="https://news.gallup.com/poll/116500/presidential-approval-ratings-george-bush.aspx">dont le taux de popularité atteignait alors un incroyable 90 %</a>.</p>
<p>Ils étaient rares alors ceux qui remettaient en doute l’entrée des États-Unis dans un nouveau paradigme au sein duquel le djihadisme remplaçait le communisme en tant que plus grande menace portée à la paix mondiale. Le consensus antiterroriste succédait ainsi au consensus anticommuniste de la Guerre froide.</p>
<p>En tant qu’historien et politologue spécialiste des États-Unis, il me paraissait pertinent de revisiter, 20 ans après la tragédie du 11 septembre et alors que s’achève la guerre américaine en Afghanistan, l’effet de ce consensus aux États-Unis : continue-t-il de façonner la politique intérieure et extérieure des États-Unis ou est-il devenu un enjeu parmi d’autre, sujet aux aléas de la polarisation partisane ?</p>
<h2>Un patriotisme exacerbé</h2>
<p>À n’en pas douter, la lutte contre le terrorisme (lire : le terrorisme d’inspiration djihadiste) a été au cœur des <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/George_W._Bush">années Bush</a> (2001-2009) : en plus de cette lutte, l’administration républicaine a lancé les États-Unis dans deux guerres plus « classiques » en Afghanistan et en Irak. Elle l’a fait avec l’appui de majorités écrasantes au Congrès (une seule voix, celle de la démocrate californienne Barbara Lee, a osé voter contre l’utilisation de la force militaire en Afghanistan).</p>
<p>Moins de deux mois après les attentats, ce même Congrès a voté massivement pour l’adoption du <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Patriot_Act">USA Patriot Act</a>, un imposant projet de loi accroissant les capacités de surveillance du gouvernement américain afin de prévenir de nouvelles attaques. <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/United_States_federal_executive_departments#Current_departments">Chose relativement rare dans l’histoire des États-Unis</a>, un tout nouveau ministère, le Department of Homeland Security, a été créé avec le mandat d’assurer la sécurité du territoire américain.</p>
<p>Les Américains (et les touristes de passage) ont du apprendre à vivre avec les <a href="https://ash.harvard.edu/terrorism-attacks#:%7E:text=Six%20months%20after%20the%20attacks,the%20public%20about%20terrorist%20threats.&text=The%20alert%20system%20established%20five,%3D%20high%3B%20red%20%3D%20severe.">niveaux nationaux d’alerte terroriste</a> (les fameuses alertes orange) et avec la sécurité renforcée dans les aéroports et dans les lieux publics. Dans un contexte de patriotisme exacerbé, critiquer le gouvernement américain a pris rapidement des allures suspectes et on a vu temporairement le <em>God Bless America</em> remplacer le <em>Take Me Out to the Ball Game</em> dans les stades de baseball.</p>
<p>La culture populaire ne devait pas échapper à ce nouveau paradigme comme en font foi la popularité de la télésérie <a href="https://www.imdb.com/title/tt0285331/?ref_=nv_sr_srsg_0">24</a> ou, dans un registre satyrique, le film <a href="https://www.imdb.com/title/tt0372588/?ref_=nv_sr_srsg_0">Team America : World Police</a>.</p>
<h2>Premiers doutes et critiques</h2>
<p>La détresse ressentie par les Américains immédiatement après les attentats du 11 septembre, de même que le phénomène de <a href="https://www.jstor.org/stable/3649343">« ralliement autour du drapeau »</a>, expliquent sans doute pourquoi une forte majorité d’Américains ont pu souscrire au consensus antiterroriste.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Un homme portant un mouchoir sur sa bouche traverse le pont de Brooklyn avec d’autres personnes" src="https://images.theconversation.com/files/420332/original/file-20210909-21-1mz8z4u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/420332/original/file-20210909-21-1mz8z4u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=394&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/420332/original/file-20210909-21-1mz8z4u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=394&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/420332/original/file-20210909-21-1mz8z4u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=394&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/420332/original/file-20210909-21-1mz8z4u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=495&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/420332/original/file-20210909-21-1mz8z4u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=495&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/420332/original/file-20210909-21-1mz8z4u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=495&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Des gens traversent le pont de Brooklyn Bridge après l’écrasement des tours du World Trade Center, le 11 septembre 2001. Le traumatisme des Américains après les attentats explique pourquoi une écrasante majorité d’Américains d’entre eux ont pu souscrire au consensus antiterroriste.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Mark Lennihan)</span></span>
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</figure>
<p>Peu à peu toutefois, les ratés de la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Guerre_d%27Irak">guerre en Irak</a> et la révélation que cette guerre a été lancée sous de faux prétextes, le récit des bavures américaines (notamment à la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Scandale_d%27Abou_Ghraib">prison d’Abou Ghraib</a>) et les entorses de plus en plus nombreuses aux libertés civiles au nom de la sécurité (y compris sous Barack Obama, le président sous lequel ont été révélés les scandales des écoutes de la NSA par <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Edward_Snowden">Edward Snowden</a>) ont amené un nombre croissant d’Américains à remettre en question les méthodes employées pour lutter contre le terrorisme, voire à douter de l’importance à accorder à cet enjeu.</p>
<p>Ces critiques ont proliféré au sein des franges plus progressistes du Parti démocrate, mais également dans les cercles libertariens au sein du Parti républicain. On a ainsi vu, en mars 2013, le sénateur républicain Rand Paul, du Kentucky, bloquer pendant 12 heures la nomination du nouveau directeur de la CIA pour remettre en question la légalité de l’utilisation de drones pour lutter contre des terroristes possédant la citoyenneté américaine.</p>
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<img alt="Oussama Ben Laden" src="https://images.theconversation.com/files/420333/original/file-20210909-15-1776fvs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/420333/original/file-20210909-15-1776fvs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=472&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/420333/original/file-20210909-15-1776fvs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=472&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/420333/original/file-20210909-15-1776fvs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=472&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/420333/original/file-20210909-15-1776fvs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=594&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/420333/original/file-20210909-15-1776fvs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=594&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/420333/original/file-20210909-15-1776fvs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=594&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">La mort de leader d’al-Qaida, Oussama ben Laden, a laissé croire aux Américains que la menace terroriste s’éloignait, effritant le consensus anti-terroriste.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo, File)</span></span>
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</figure>
<p>La mort <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Oussama_ben_Laden">d’Oussama Ben Laden</a> en 2011, de même que l’absence pendant plusieurs années d’attaques de grande ampleur en sol américain, expliquent sans doute également l’effritement du consensus. L’émergence du groupe armé État islamique (ISIS) et la vague d’attentats qui ont frappé l’Occident entre 2014 et 2017 ont toutefois remis de l’avant les enjeux liés au terrorisme sans qu’on assiste par ailleurs au retour d’un consensus bipartisan : une <a href="https://www.pewresearch.org/politics/2016/11/10/a-divided-and-pessimistic-electorate/">enquête réalisée en marge de l’élection présidentielle de 2016</a> devait montrer que le terrorisme représentait alors un enjeu majeur pour 74 % des électeurs républicains et pour seulement 42 % des électeurs démocrates.</p>
<h2>Le terrorisme, un enjeu parmi d’autres ?</h2>
<p>Les élections présidentielles américaines de 2020 ont été les cinquièmes organisées après les attentats du 11 septembre. Et c’étaient les premières depuis cette date fatidique où le thème du terrorisme n’a pas été sur le devant de la scène. Terrorisme djihadiste s’entend, puisque la violence de certains groupes d’extrême droite appuyant le président Donald Trump (notamment les <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Proud_Boys">Proud Boys</a>) a fait l’objet d’une certaine attention médiatique.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/JZk6VzSLe4Y?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Avec le recul, il est étonnant que Donald Trump n’ait pas davantage cherché à tirer profit de la défaite d’ISIS ou de la mort de son leader <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Abou_Bakr_al-Baghdadi">Abou Bakr al-Baghdadi</a> (comme l’a fait Obama en 2012 lors de sa campagne de réélection avec la mort de Ben Laden). De même, son adversaire démocrate Joe Biden a peu attaqué le président à propos de son <a href="https://www.federalregister.gov/documents/2017/03/09/2017-04837/protecting-the-nation-from-foreign-terrorist-entry-into-the-united-states">« Muslim Ban »</a> adopté en 2017 pour empêcher l’arrivée en sol américain de ressortissants provenant principalement de pays à majorité musulmane.</p>
<p>Certes, la Covid-19 a monopolisé une bonne partie des débats, mais il n’en demeure pas moins que même des enjeux généralement marginalisés comme la <a href="https://www.loe.org/shows/segments.html?programID=20-P13-00043&segmentID=1">justice environnementale</a> ont été davantage discutés que la lutte contre le djihadisme. Certes, le terrorisme islamique n’a pas disparu et ne disparaîtra jamais totalement des préoccupations des Américains : on l’a vu récemment avec la réaction courroucée de <a href="https://apnews.com/article/immigration-151d588fd9f4b33b0a71b9a1226e589b">nombreux républicains</a> craignant que l’arrivée de réfugiés afghans en sol américain constitue une menace inacceptable envers la sécurité nationale.</p>
<p>Par ailleurs, malgré la débâcle ayant accompagné la chute de Kaboul et le retour des talibans au pouvoir en Afghanistan, une <a href="https://www.pewresearch.org/fact-tank/2021/08/31/majority-of-u-s-public-favors-afghanistan-troop-withdrawal-biden-criticized-for-his-handling-of-situation/">majorité d’Américains (54 %) appuient le retrait américain de ce pays</a>. Quant aux talibans, une faible majorité d’Américains (52 %) affirment qu’ils représentent un danger mineur ou ne représentent pas de danger pour les États-Unis.</p>
<p>En somme, le monde de 2021 n’est plus celui de 2001 : la crise sanitaire, le retour des tensions géopolitiques (avec la Russie sous Obama, avec la Chine et l’Iran sous Trump) et l’urgence climatique font en sorte que le terrorisme islamique ne peut être, aux yeux des Américains, qu’une menace parmi d’autres.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/167616/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christophe Cloutier-Roy ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Vingt ans après le 11 septembre, la crise sanitaire, le retour des tensions géopolitiques et l’urgence climatique font en sorte que le terrorisme islamiste est devenu une menace parmi d’autres.
Christophe Cloutier-Roy, Chercheur en politique américaine, Université du Québec à Montréal (UQAM)
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/167199
2021-09-09T13:54:52Z
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9/11 : que sont nos super-héros devenus ? L’exemple de Batman
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/420066/original/file-20210908-19-1p6a5es.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">The Dark Knight (2008)</span> <span class="attribution"><span class="source">© 2008 Warner Bros. Entertainment Inc.</span></span></figcaption></figure><p>Les attentats terroristes du 11 septembre 2001 ont considérablement marqué l’imaginaire collectif avec la diffusion en direct sur les chaînes du monde entier de l’effondrement des deux tours du World Trade Center. Des images d’une ampleur dramatique inédite pour la télévision, dont la ressemblance avec des œuvres cinématographiques populaires (<em>Independance Day</em>, <em>Die Hard</em>) a déjà été <a href="https://www.academia.edu/11965690/_Just_Like_Independence_Day_The_Falling_Towers_On_9_11_and_the_Hegemonic_Function_of_Intertextuality">soulignée par des chercheurs</a>.</p>
<p>Si des liens apparaissent clairement entre la fiction et la réalité, il peut être intéressant de s’interroger sur la représentation du super-héros au cinéma après le 11 septembre 2001. « Les années 2000 ont été les années super-héros au cinéma avec trois Spiderman, deux Batman, Superman, Thor, Hulk, Captain America… Les super-héros sauvent encore le monde, mais le traitement de l’histoire est très sombre. Les personnages sont tourmentés, bien dans leur époque, en pleine crise de confiance. C’est l’époque du danger. », <a href="https://www.liberation.fr/cinema/2011/09/07/comment-les-attentats-du-11-septembre-ont-influence-hollywood_759660">explique</a> Jean‑Michel Lavantin, chercheur en études stratégiques et auteur du livre <a href="https://www.cairn.info/hollywood-le-pentagone-et-washington--9782746714151.htm"><em>Hollywood, Washington et Le Pentagone</em></a>.</p>
<h2>Le Batman post-11 Septembre</h2>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/419450/original/file-20210905-21-gfh6vl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/419450/original/file-20210905-21-gfh6vl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=814&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/419450/original/file-20210905-21-gfh6vl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=814&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/419450/original/file-20210905-21-gfh6vl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=814&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/419450/original/file-20210905-21-gfh6vl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1022&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/419450/original/file-20210905-21-gfh6vl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1022&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/419450/original/file-20210905-21-gfh6vl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1022&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Joker (2019).</span>
<span class="attribution"><span class="source">2008 Warner Bros. Entertainment Inc</span></span>
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<p>À la manière des monstres du studio Universal popularisés dans les années 1930 au cinéma, les super-héros sont des figures matricielles qui peuvent faire écho aux problématiques d’une époque. Le long-métrage <em>Joker</em> (2019) propose ainsi une lecture socio-économique de la naissance de la Némésis de Batman à travers un Gotham des années 1980 asphyxié par une crise sociétale terriblement actuelle. Le Joker, ou plutôt Arthur Fleck, y devient le produit d’une crise économique et identitaire. Les époques définissent et redéfinissent les personnages.</p>
<p>Pour s’en convaincre, il suffit de penser au Batman post-11 Septembre de Christopher Nolan qui offre une nouvelle lecture du Chevalier noir. Entre 2005 et 2012, trois longs-métrages proposent une version contemporaine du super-héros de Bob Kane et Bill Finger : <em>Batman Begins</em> (2005), <em>The Dark Knight</em> (2008) et <em>The Dark Knight Rises</em> (2012).</p>
<p>Rompant avec l’adaptation cartoonesque de Joël Schumacher, Christopher Nolan plonge Batman dans les méandres de l’Amérique post-11 Septembre en abordant des thèmes comme le terrorisme, la sécurité, la justice et la peur et en réinventant les origines du Chevalier noir. Ainsi, Gotham City devient une grande ville américaine corrompue, divisée socialement, victime d’une crise économique majeure. Christopher Nolan utilise alors Batman pour explorer ces thématiques, autour de la figure de cet homme torturé. Les antagonistes sont associés à des terroristes (le Joker, Bane) qui visent à la destruction d’un système (Ra’s al Ghul et sa fille), créant un parallélisme évident avec le contexte sociopolitique des États-Unis du début du XXI<sup>e</sup> siècle.</p>
<h2>Batman face au terrorisme dans <em>Batman Begins</em></h2>
<p>Dans <em>Batman Begins</em> (2005), nous découvrons les origines du Chevalier Noir incarné à l’écran par Christian Bale. Raconter des origines, c’est enraciner un personnage dans une forme de réalité, un contexte économique, politique, géographique et parfois sociologique. Bruce Wayne est ainsi présenté comme un homme sombre et mystérieux qui entame son entraînement physique et mental pour devenir Batman au sein d’une société secrète, la Ligue des Ombres, menée par Ra’s al Ghul. Celle-ci se révèle être un groupe terroriste, destinée à la destruction des sociétés jugées décadentes, comme l’explique Henri Ducard (alias Ra’s al Ghul) dans le film :</p>
<blockquote>
<p>« La Ligue des Ombres a mis un frein à la corruption de l’humanité pendant des milliers d’années. Nous avons saccagé Rome, chargé les navires de commerce de rats de la peste, brûlé Londres. Chaque fois qu’une civilisation parvient au sommet de sa décadence, nous revenons pour rétablir l’équilibre. »</p>
</blockquote>
<figure class="align-center ">
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<span class="caption">Le métro de Gotham City menant à la Tour Wayne.</span>
<span class="attribution"><span class="source">2008 Warner Bros. Entertainment Inc</span></span>
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<p>Parmi les actes terroristes commandités par la Ligue des Ombres, nous retrouvons la destruction de la Tour Wayne à l’aide d’un métro. Ces différents éléments fictionnels ne sont pas sans nous rappeler les attentats du 11 Septembre, tant dans les thèmes choisis que dans le traitement scénaristique. Cet exemple est symptomatique d’une époque post-traumatique, sans que la moindre référence directe ne soit faite au 11 Septembre pour autant. Le discours fictionnel semble vouloir combler ce manque sémiotique « en ne se situant pas, ou pas immédiatement, ou pas exclusivement, dans une logique argumentative, avec une faible nécessité d’adéquation factuelle, en investissant d’un poids de signification les choix poétiques qui président à l’élaboration des fictions », <a href="http://oic.uqam.ca/fr/system/files/garde/51751/documents/metro_nitro_ground_zero-nicolas_xanthos.pdf">observe</a> Nicolas Xanthos, professeur de littérature au département des Arts et Lettres à l’UQAC.</p>
<h2>L’effet de réel dans <em>The Dark Knight</em></h2>
<p>Lors de la sortie du second film de Nolan, <em>The Dark Knight</em> (2008), la menace terroriste prend le visage d’un clown qui compte bien semer le chaos dans la ville de Gotham. Mais là encore, c’est la réalité qui va véritablement prendre le dessus sur la fiction, jusque dans la stratégie de promotion. En effet, Warner Bros demande à 42 Entertainement, agence spécialisée dans le marketing viral, de penser une campagne de communication en lien avec le film en proposant aux spectateurs de devenir des citoyens de ce Gotham fictif à travers une multitude de jeux, de vidéos, de sites Internet, d’événements et d’indices sur le film.</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/420059/original/file-20210908-21-1umy1jr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/420059/original/file-20210908-21-1umy1jr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=757&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/420059/original/file-20210908-21-1umy1jr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=757&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/420059/original/file-20210908-21-1umy1jr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=757&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/420059/original/file-20210908-21-1umy1jr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=951&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/420059/original/file-20210908-21-1umy1jr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=951&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/420059/original/file-20210908-21-1umy1jr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=951&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Site web du candidat de fiction Harvey Dent.</span>
<span class="attribution"><span class="source">2008 Warner Bros. Entertainment Inc</span></span>
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<p>Fondé sur la campagne fictionnelle de l’avocat Harvey Dent (Double-Face) pour devenir procureur de la ville de Gotham, le marketing viral se déploie. L’année de promotion du film devient l’année de campagne de Harvey Dent, préparant ainsi les enjeux au cœur du film de Nolan. L’année de promotion permet de s’immerger dans l’univers de Gotham au travers de l’enjeu politique à venir. La campagne de Dent est mise en avant par des sites Internet, vidéos virales et affiches. Le slogan « I Believe in Harvey Dent » devient le <a href="https://batman.wikibruce.com/Ibelieveinharveydent.com">site de campagne du candidat</a>.</p>
<p>L’analogie entre la campagne politique américaine et le film est pertinente dans la mesure où, à l’instar d’un candidat qui doit obtenir un ralliement massif pour s’élever, voter Harvey Dent, c’est aussi devenir un potentiel spectateur du film. Rappelons par ailleurs que cette idée est en lien direct avec la réalité puisque les primaires présidentielles de 2008 étaient au cœur de l’actualité. Le slogan de Barack Obama, alors candidat en liste pour l’investiture démocrate, « Yes, we can », ressemble étrangement à celui du procureur. Cette corrélation avec l’actualité politique montre à quel point ces univers de fiction puisent leur essence dans la réalité.</p>
<p>En parallèle, la menace terroriste incarnée par le Joker se construit autour de la campagne de Dent par la mise en ligne d’un site intitulé « Why so serious ? ». Les détournements des affiches de campagne, des journaux fictionnels comme le <em>Gotham Times</em> deviennent les marques apparentes du clown fou. En effet, des débats télévisuels fictionnels sont proposés dans le cadre d’une imitation des journaux d’information américains type CNN/late-night show avec <em>Gotham Tonight with Mike Engel</em>. Ces vidéos proposent des débats sur Batman, la politique à Gotham, ou l’élection du procureur, comme autant de préludes au film à venir.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/-AU8_ybCw8I?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Gotham Tonight #1 « Election Night », The Dark Knight’ Special Features.</span></figcaption>
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<p>L’analogie avec l’actualité américaine est évidente (crise économique, chômage, insécurité) et assure une corrélation avec le réel que le chercheur Hervé Glevarec <a href="http://dx.doi.org/10.4000/questionsdecommunication.405">définit</a> comme « l’effet de réel ». Une impression qui « se produit chaque fois qu’un univers diégétique représentationnel (fictionnel ou cadre ordinaire) vient toucher le monde réel ». Le choix de copier le format des émissions de débats américaines s’inscrit dans ce que Glevarec appelle la néo-télévision, laquelle « se caractérise par ceci qu’elle rend perméable ses frontières avec le réel, dont elle est de surcroît, une partie ». En touchant le réel, dans sa forme et dans son fond, la campagne fonctionne en écho avec l’actualité américaine.</p>
<h2>The Dark Knight Rises : se relever</h2>
<p>Dans le dernier volet de la trilogie de Nolan, <em>The Dark Knight Rises</em> (2012), Batman est cassé physiquement et moralement, mais apprend à se relever, faisant écho à la scène centrale du premier film : « Pourquoi tombons-nous, Bruce ? Pour apprendre à mieux nous relever », explique le père du héros à son fils. Dans <em>Batman V Superman</em> (2016) de Zack Snyder, nous assistons de nouveau à la chute de la Tour Wayne, en plein milieu de Metropolis, ville fictive basée à New York. Ces plans familiers de gratte-ciel s’effondrant au sol, suivis de nuages de fumée, nous rappellent que le 11 Septembre est à jamais ancré dans l’imaginaire collectif.</p>
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<figcaption><span class="caption">Batman v Superman – Metropolis Destruction.</span></figcaption>
</figure>
<hr>
<p><em>Cette contribution s’appuie sur l’article de recherche de Frédéric Aubrun et Vladimir Lifschutz, <a href="https://journals.openedition.org/communication/7376">« Le traitement médiagénique de Batman : des franchises au transmedia storytelling »</a>, publié en juillet 2017 dans la revue « Communication ».</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/167199/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Frédéric Aubrun est membre du centre de recherche Marge (EA 3712), rattaché à l'Université Lyon 3 : <a href="https://marge.univ-lyon3.fr">https://marge.univ-lyon3.fr</a>. L’équipe, interdisciplinaire, regroupe des spécialistes de littératures et d’Info-com (sections 09, 14, 13 et 71 du CNU).</span></em></p>
Le 11 Septembre a marqué les films de super-héros à la fois sur le fond, le propos devenant plus sombre, et sur la forme, de nombreux plans rappelant plus ou moins subrepticement les images du 9/11.
Frédéric Aubrun, Enseignant-chercheur en Marketing digital & Communication au BBA INSEEC - École de Commerce Européenne, INSEEC Grande École
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/166868
2021-09-07T18:24:29Z
2021-09-07T18:24:29Z
Les djihadistes peuvent-ils gagner ?
<p>Les attentats du 11 septembre 2001 furent un choc incommensurable pour l’Amérique. Le président des États-Unis, George W. Bush, compara cet événement à l’attaque-surprise de Pearl Harbor en 1941. Il répliqua par le déclenchement d’une « guerre globale contre le terrorisme » dont le premier théâtre fut l’Afghanistan. Le régime taliban – qui avait refusé de livrer Oussama Ben Laden – fut balayé en quelques semaines et les camps d’entraînement d’al-Qaïda furent détruits. Nul n’aurait alors songé que 20 ans plus tard, les talibans seraient de retour à Kaboul, ni qu’al-Qaïda et ses épigones auraient <a href="https://www.csis.org/analysis/evolution-salafi-jihadist-threat">essaimé dans de nombreux pays</a>.</p>
<p>Deux décennies après l’effondrement des tours du World Trade Center, les djihadistes peuvent-ils gagner ? Cette question est plus compliquée qu’il n’y paraît. Commençons par rappeler que les djihadistes – partisans d’une doctrine politico-religieuse qui prône la lutte armée au nom d’une conception fondamentaliste de l’islam – ne forment pas un ensemble homogène. Une manière de les différencier consiste à distinguer les groupes ayant des objectifs locaux de ceux poursuivant des buts globaux.</p>
<h2>Djihad local et djihad global</h2>
<p>Les talibans sont généralement classés dans la première catégorie, mais ils entretiennent historiquement des liens avec al-Qaïda qui appartient à la seconde catégorie. Un point essentiel de l’<a href="https://www.state.gov/wp-content/uploads/2020/02/Agreement-For-Bringing-Peace-to-Afghanistan-02.29.20.pdf">accord de Doha</a>, signé en février 2020 par le diplomate américain Zalmay Khalilzad et le mollah Abdul Ghani Baradar, est que l’émirat islamique d’Afghanistan s’engageait à ne pas héberger al-Qaïda ni à lui fournir la moindre assistance. De sérieux doutes, émis notamment par <a href="https://www.undocs.org/pdf?symbol=fr/S/2021/486">l’Organisation des nations unies</a>, existent néanmoins sur la crédibilité de cet engagement, d’autant que la formulation de l’accord était relativement ambiguë.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/laccord-entre-les-etats-unis-et-les-talibans-un-jeu-de-dupes-134060">L’accord entre les États-Unis et les talibans : un jeu de dupes ?</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Les États-Unis, de leur côté, promettaient de retirer leurs troupes du pays. Profitant de ce retrait et de l’effondrement subséquent de l’armée nationale afghane, les talibans ont réussi à s’emparer du pouvoir à l’été 2021, à l’issue d’une offensive-éclair. Ils ont ainsi gagné leur guerre et rempli leur objectif stratégique. On ne peut pas en dire autant d’al-Qaïda – même si <a href="https://english.alarabiya.net/News/gulf/2021/08/19/Al-Qaeda-in-Yemen-congratulates-Taliban-vows-to-continue-campaigns">différentes</a> <a href="https://ent.siteintelgroup.com/Statements/aqim-and-jnim-issue-joint-statement-congratulating-taliban-promoting-its-victory-as-justifying-jihad.html">filiales</a> de l’organisation terroriste se sont réjouies de la victoire talibane.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1433487420125859840"}"></div></p>
<p>Oussama Ben Laden avait exposé publiquement ses objectifs : « chasser les juifs et les croisés » des terres d’islam, renverser les gouvernements « apostats » et unifier la communauté des croyants sous l’autorité d’un calife. Force est de constater qu’au cours des deux dernières décennies, ces buts n’ont été atteints ni par al-Qaïda, ni par son principal concurrent au sein de la mouvance djihadiste internationale : Daech. Si ces deux organisations paraissent aujourd’hui affaiblies, minées par leurs divisions internes et traquées par les unités contre-terroristes, elles disposent néanmoins de trois grands atouts qui ont rendu jusqu’à présent leur éradication impossible.</p>
<h2>La force de l’idéologie</h2>
<p>Le premier atout est la force de l’idéologie <a href="https://www.hurstpublishers.com/book/salafi-jihadism/">salafo-djihadiste</a> qui plonge ses racines dans les écrits d’<a href="https://brill.com/view/book/9789004412866/BP000005.xml">Ibn Taymiyya</a> (1263-1328), <a href="https://www.lesclesdumoyenorient.com/Sayyed-Qutb.html">Sayyid Qutb</a> (1906-1966) ou encore <a href="https://www.cambridge.org/core/books/caravan/F92B16194E70D55E6ABF362A06271E71">Abdallah Azzam</a> (1941-1989). Les partisans de cette mouvance ont le sentiment de défendre l’islam contre des agresseurs et d’œuvrer pour une cause sacrée. Ils perçoivent l’interventionnisme occidental dans le monde musulman comme une forme de guerre contre l’<em>oumma</em> et présentent l’engagement dans le « djihad défensif » comme une obligation individuelle pour tous les musulmans. Ceux qui refusent de suivre ce précepte ne peuvent être considérés à leurs yeux comme de véritables croyants. Dans cette vision de la « guerre sainte », les « croisés » doivent être combattus jusque sur leurs terres, ce qui permet de légitimer les attentats dans les pays occidentaux.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/AMN5zlQLqgY?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Les djihadistes sont persuadés de jouir d’une forme de supériorité morale et développent par conséquent une détermination hors du commun au service d’une cause sacrée. Ils mènent une guerre totale et se vantent de ne pas craindre d’aller au-devant de la mort. Leur propension à mourir est d’autant plus élevée que mille félicités sont promises aux « martyrs ». La devise « Nous aimons la mort autant que vous aimez la vie » n’a pas uniquement vocation à terroriser les adversaires : elle est aussi le <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/le-djihad-et-la-mort-olivier-roy/9782757876534">reflet d’un système de valeurs</a> fondamentalement différent de celui des Occidentaux. La lutte contre le djihadisme n’est peut-être pas un <em>clash</em> des civilisations, mais c’est assurément un choc de valeurs.</p>
<h2>La capacité à innover</h2>
<p>L’idéologie est un socle essentiel pour motiver les combattants et attirer de nouvelles recrues, mais elle ne suffit pas à garantir la puissance d’un mouvement. Or, d’un point de vue matériel, les djihadistes ne font pas le poids face à leurs ennemis. S’ils engageaient toutes leurs forces dans un combat frontal face aux armées occidentales – sans même mentionner d’autres adversaires comme la Russie ou l’Iran –, ils seraient vaincus. Conscients de cette faiblesse matérielle, ils misent sur un deuxième atout : la capacité à surprendre et à déstabiliser leurs opposants en misant sur l’innovation.</p>
<p>Ainsi, al-Qaïda et Daech ont su innover à différents niveaux : organisationnel, stratégique et tactique. Un exemple d’évolution organisationnelle est la décentralisation de la nébuleuse qaïdiste qui a pris deux formes : d’une part, l’ouverture de <a href="https://www.cairn.info/un-monde-de-ruptures--9782100745562-page-48.htm?contenu=plan">« filiales » régionales</a> et, d’autre part, le déploiement d’un <a href="https://www.ifri.org/fr/publications/etudes-de-lifri/focus-strategique/web-social-djihadisme-diagnostic-aux-remedes">vaste appareil de propagande sur Internet</a> en vue, notamment, de susciter du « terrorisme d’inspiration ». L’innovation stratégique peut être illustrée par la volonté d’Abou Bakr al-Baghdadi d’unifier les théâtres syrien et irakien en 2013, puis de rétablir le califat en 2014. Au niveau tactique, enfin, les exemples sont nombreux, de l’utilisation quasi industrielle de véhicules-suicides à la <a href="https://www.defenseone.com/technology/2017/01/drones-isis/134542/">confection de drones armés artisanaux</a>.</p>
<h2>La mobilité stratégique</h2>
<p>Ces savoir-faire tactiques peuvent être déployés sur différents théâtres car les djihadistes bénéficient d’un troisième atout : leur mobilité stratégique. Ils ont su, au cours des deux dernières décennies, faire passer le centre de gravité de leurs actions de l’Afghanistan à l’Irak puis à la Syrie, à la Libye et à l’Afrique subsaharienne. Ils savent se greffer sur des conflits locaux, profiter de la mauvaise gouvernance, des injustices et des inégalités, nouer des alliances tribales et promouvoir les mérites de leur <a href="https://www.ifri.org/fr/publications/politique-etrangere/articles-de-politique-etrangere/sahel-soubassements-dun-desastre">modèle alternatif</a>. Dans des États faillis ou marqués par des fractures ethno-sociales, les djihadistes ne gagnent pas seulement du terrain en terrorisant les populations réfractaires mais aussi en se présentant comme les défenseurs d’un ordre islamique plus équitable.</p>
<p>Ces trois atouts offrent à la mouvance djihadiste internationale une capacité de résilience remarquable. Ils peuvent lui permettre de continuer à porter des coups à ses adversaires et lui fournir les bases d’une possible remontée en puissance. Ils ne sauraient toutefois suffire à offrir la victoire à des combattants irréguliers opposés aux États les plus puissants. Souvenons-nous de la formule de <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-etrangere-2011-2-page-281.htm">Gérard Chaliand</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Si la guérilla est l’arme du faible, le terrorisme, utilisé de façon exclusive, est l’arme du plus faible encore. »</p>
</blockquote>
<p>En définitive, après vingt ans de guerre contre le terrorisme, les États occidentaux continuent d’être confrontés à un ennemi qu’ils ne parviennent pas à éradiquer, mais qui n’est pas en mesure de l’emporter. La victoire des talibans pourrait agir comme un trompe-l’œil stratégique, laissant penser à une mouvance djihadiste enhardie qu’elle est capable de mettre l’Occident à genoux. Or, ce n’est pas le cas. Les dirigeants américains ont décidé de cesser le combat parce qu’ils ne voyaient plus dans cette guerre lointaine une priorité et qu’ils mesuraient les limites de leur action. S’ils l’avaient voulu, ils auraient néanmoins pu tenir Kaboul encore des années.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/398344/original/file-20210503-19-iy155o.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/398344/original/file-20210503-19-iy155o.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/398344/original/file-20210503-19-iy155o.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=942&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/398344/original/file-20210503-19-iy155o.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=942&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/398344/original/file-20210503-19-iy155o.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=942&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/398344/original/file-20210503-19-iy155o.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1184&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/398344/original/file-20210503-19-iy155o.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1184&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/398344/original/file-20210503-19-iy155o.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1184&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Marc Hecker a récemment publié, avec Élie Tenebaum, <em>La Guerre de vingt ans. Djihadisme et contre-terrorisme au XXIᵉ siècle</em>, aux éditions Robert Laffont.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Éditions Robert Laffont</span></span>
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<p>La situation est différente de celle de l’URSS à la fin des années 1980. On se souvient qu’Oussama Ben Laden était persuadé que les moudjahidines, du fait de leur victoire contre l’Armée rouge en Afghanistan, avaient joué un grand rôle dans la chute de l’Union soviétique. Cette perception avait conduit l’émir d’al-Qaïda à développer une forme d’hybris, à déclarer le djihad aux États-Unis et à <a href="https://www.foreignaffairs.com/articles/afghanistan/2021-08-13/osama-bin-ladens-911-catastrophic-success">anticiper de façon erronée la réaction des Américains aux attentats du 11 septembre 2001</a>. Il est peu probable que l’histoire se répète, mais les pays occidentaux ne sont pas à l’abri d’une nouvelle surprise stratégique. Les conditions chaotiques du retrait américain d’Afghanistan risquent en tout cas de renforcer la détermination des djihadistes à poursuivre le combat et Washington pourrait avoir du mal à clore définitivement le cycle de la <em>global war on terror</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/166868/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marc Hecker est directeur de la recherche et de la valorisation à l'Institut français des relations internationales (Ifri). Il est aussi rédacteur en chef de la revue Politique étrangère.</span></em></p>
Chasser « les juifs et les croisés » des terres d’islam, renverser les gouvernements « apostats » et unifier l’oumma : c’était l’objectif de Ben Laden, et c’est toujours celui de ses épigones.
Marc Hecker, Enseignant à Sciences Po, Sciences Po
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/146245
2020-09-15T20:44:18Z
2020-09-15T20:44:18Z
Bonnes feuilles : « Dix attentats qui ont changé le monde »
<p><em>Dans son essai <a href="https://m.armand-colin.com/dix-attentats-qui-ont-change-le-monde-comprendre-le-terrorisme-au-XXIe-siecle-9782200627829">« Dix attentats qui ont changé le monde. Comprendre le terrorisme au XXIᵉ siècle »</a>, le géopoliticien Cyrille Bret revient en détail sur les 10 attaques terroristes les plus marquantes de ces vingt dernières années : le 11 septembre 2001 à New York et Washington (États-Unis) ou « 9/11 » ; le 11 mars 2004 à Madrid (Espagne) ou « 11-M » ; le 1<sup>er</sup> septembre 2004 à Beslan (Russie) ; le 26 novembre 2008 à Mumbai (Inde) ; le 22 juillet 2011 à Utoya et Oslo (Norvège) ; le 18 mars 2015 à Tunis (Tunisie) ; le 13 novembre 2015 à Paris (France) ; le 22 mars 2016 à Bruxelles (Belgique) ; le 4 avril 2017 à Khan Cheikhoun (Syrie) ; et le 15 janvier 2019 à Nairobi (Kenya). La seule énumération des pays frappés suffit à rappeler à quel point le phénomène du terrorisme est devenu universel, au-delà de son hétérogénéité idéologique et opérationnelle. Nous publions ici un extrait de l’introduction, où l’auteur présente la démarche à l’origine de cet ouvrage.</em></p>
<hr>
<h2>Dix attentats peuvent-ils résumer un siècle encore jeune ?</h2>
<p>Toutes les victimes du terrorisme sont égales en malheur et en dignité. Mais tous les attentats n’ont pas la même portée. En matière de violence politique, il n’est rien de plus indigne que la compétition des bilans qui fixe l’importance d’un événement au nombre des victimes qu’il a faites. La place historique d’un attentat ne se mesure pas à la douleur qu’il inflige : elle est toujours maximale et inacceptable. Mais la signification politique dépend d’autres éléments qu’il faut mettre en évidence. Il en va du récit collectif des communautés meurtries.</p>
<p>Au fil des deux décennies écoulées, bien plus d’une dizaine d’attentats ont marqué des villes, des régions et des pays. L’analyse détaillée de dix attentats ne saurait donc suffire à rendre compte des évolutions du XXI<sup>e</sup> siècle, ni même à retracer l’histoire de la violence politique depuis 2001. Sélectionner, c’est éliminer. Et choisir les événements emblématiques, c’est s’exposer à la critique d’en avoir négligé d’autres par incompétence, oubli ou biais idéologique.</p>
<p>Les limites d’une telle sélection sont trop évidentes pour qu’il soit nécessaire de les détailler. Ainsi, pour analyser la propagation de l’hyperterrorisme d’Al-Qaïda en Europe, il aurait fallu non seulement décrire les attentats de Madrid en 2004 mais aussi passer en revue les dizaines d’attentats revendiqués par Al-Qaïda perpétrés contre des Européens au Maghreb et au Moyen-Orient. Il aurait été utile de consacrer un chapitre entier aux attentats de Londres en 2005 car ils ont suscité dans la démocratie parlementaire la plus ancienne d’Europe un tournant sécuritaire préoccupant.</p>
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<p>De même, pour dresser un état des lieux du terrorisme en France aujourd’hui, il aurait fallu analyser aussi précisément les attentats de janvier 2015 contre la rédaction de <em>Charlie Hebdo</em> et contre les clients de l’Hypercacher de la porte de Vincennes que les attentats du 13 novembre 2015 au Stade de France, dans les rues du quartier de la République et au théâtre du Bataclan. Et pour comprendre « l’africanisation » du terrorisme, il aurait été nécessaire de ne pas se limiter aux attentats perpétrés par les Chebabs à Nairobi en 2013 et en 2019 mais de détailler aussi les exactions de Boko Haram au Nigeria ou encore d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) au Sahel.</p>
<p>Enfin, la radicalisation violente de l’extrême droite occidentale mériterait une analyse non seulement à travers le cas d’Anders Behring Breivik mais aussi dans les attentats perpétrés en 2019 à Christchurch en Nouvelle-Zélande et à Halle en Allemagne en 2020. Les attentats commis contre la Russie auraient pu eux aussi être davantage détaillés. L’explosion criminelle d’un charter de touristes russes le 31 octobre 2014 au-dessus du Sinaï et les attentats du métro de Saint-Pétersbourg le 3 avril 2017 auraient trouvé leur place dans l’analyse du « moment Daech » en Europe.</p>
<p>Mais l’ambition de cet ouvrage n’est pas encyclopédique. Il faut le juger non sur son exhaustivité mais sur la justesse dans son analyse des « effets de terreur ».</p>
<p>Nous avons donc identifié les événements terroristes qui ont eu le plus de poids politique dans les deux décennies ouvertes par le 11 septembre. Dans cette sélection à la fois macabre et difficile, plusieurs critères ont été retenus.</p>
<p>Tout d’abord et avant tout, nous avons cherché à mettre en évidence ce que nous avons constaté à travers le monde : chaque culture politique, chaque communauté nationale est obsédée par « ses » attentats historiques. C’est un des effets recherchés de la terreur : enfermer une communauté sur elle-même, la rendre nombriliste.</p>
<p>Ainsi, la France et la Belgique ont-elles entamé des examens de conscience douloureux suite aux attentats de 2015 et 2016. Mais Français et Belges ne doivent pas oublier que d’autres États ont eux aussi été frappés par des acteurs identiques et selon des scénarios proches. On néglige, tout à sa douleur, le fait que le terrorisme devient une violence politique universelle. Nous avons donc choisi de mettre en lumière des attentats qui ont pu nous paraître éloignés, dans le temps et l’espace, pour rappeler combien d’autres pays sont eux aussi en proie aux doutes et à l’horreur face au terrorisme. Qui, en France et en Europe, hormis les spécialistes, a sérieusement pris en compte les attentats de Mumbai en 2008 ou de Nairobi en 2013 et en 2019 ? Ces événements ont pourtant pesé sur l’histoire nationale et sur les destinées mondiales. Et surtout, les terroristes, eux, se comparent entre eux et rivalisent à travers la planète. On verra à quel point les attentats de Mumbai de 2008, négligés en Europe, auront servi de modèle tragique à la campagne de Daech en Europe et en Afrique.</p>
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<p>Le deuxième objectif de cet ouvrage est de montrer ce qui, dans les vies politiques, chez nous et à travers le monde, est en passe de changer. Les attentats terroristes, les réactions officielles et populaires à ces violences, les réformes juridiques et administratives qui en découlent transforment rapidement des cultures politiques. Dans les actions violentes les plus choquantes, les traditions ressurgissent, les tensions oubliées se ravivent, les mouvements d’opinion se précisent. La crise terroriste joue le rôle d’un révélateur des situations politiques.</p>
<p>Ainsi, la Norvège a pris douloureusement conscience, en 2011, de l’islamophobie qui travaille une partie de son opinion. De même, l’Inde de la prospérité s’est tragiquement remémoré le conflit non résolu du Cachemire en 2008 lors des attaques de Mumbai. À chaque fois, nous avons essayé de mesurer ce qui se manifestait des cultures politiques à travers les violences terroristes.</p>
<p>Enfin, nous avons choisi ici d’aborder les attentats par leurs conséquences. Ces dix attentats ont eu des effets de souffle considérables sur la vie collective et individuelle. Dans les réactions officielles comme dans les protestations individuelles, ce sont nos passions fondamentales qui ont été réactivées : la douleur, l’indignation, la colère et le dégoût au premier chef. Mais il nous a semblé essentiel d’aller au-delà de ces réactions immédiates. Si ces événements ont acquis un statut historique, c’est qu’ils ont cristallisé des conflits latents et eu des effets durables et profonds. Ils sont des conséquences et des symptômes bien sûr, mais ils sont aussi des causes. L’Inde a ainsi accéléré son tournant identitaire après les attentats de Mumbai. La radicalisation hindouiste était certes déjà présente auparavant, mais elle a pris un virage essentiel en 2008. De même, la présidentialisation du régime russe s’est explicitement affirmée en 2004 après les attentats de Beslan.</p>
<p>Pour commémorer les victimes, analyser dix attentats est assurément dérisoire. Et pour dresser une encyclopédie du terrorisme contemporain, c’est bien insuffisant. En revanche, pour repérer les événements qui ont modifié le cours politique de notre jeune siècle, la relecture de ces dix événements emblématiques est éclairante. Elle permet de saisir ce que chaque vague terroriste a de spécifique.</p>
<p>Et d’apercevoir, dans un moment critique, les tendances à l’œuvre dans les traditions politiques nationales et internationales.</p>
<p>Il faut donc scruter les faits eux-mêmes pour les connaître et identifier leur portée politique et leur puissance symbolique. Puis mettre à jour leurs rouages et mesurer la propagation, par cercles concentriques, de l’« effet de terreur » dans le temps, l’espace et les différentes strates de la société.</p>
<h2>Décrypter les « effets de terreur »</h2>
<p>Décrypter les attentats et comparer leurs impacts politiques respectifs permet de dissiper plusieurs illusions entretenues sur le phénomène terroriste.</p>
<p>Cette « brève histoire de la violence politique » fait apparaître une erreur récurrente, qui fait prendre la partie pour le tout. Depuis le 11 septembre 2001, « terroriste » est devenu synonyme de « djihadiste ». Or, malheureusement, le terrorisme n’est pas l’apanage des mouvements islamistes. Comme l’ont montré les années 1970, la violence terroriste est aussi utilisée dans des luttes sociales, ethniques, nationales sans rapport avec le fanatisme religieux. Réduire la lutte contre le terrorisme à un conflit entre islam politique armé et Occident civilisé est bien illusoire et même fort dangereux. L’extrême droite a commencé à utiliser le meurtre de masse contre des civils comme instrument de propagande. L’exemple tragique des attentats de Norvège en 2011 et de Nouvelle-Zélande en 2019 doit résonner comme un avertissement.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1106583583576199168"}"></div></p>
<p>Une deuxième illusion sur le terrorisme à abandonner concerne les auteurs des violences terroristes. Là encore, l’ombre portée du 11 septembre ne doit pas induire en erreur. Les organisations infra-étatiques clandestines n’ont pas le monopole du terrorisme car les États eux-mêmes l’ont abondamment utilisé, qu’il s’agisse des États totalitaires ou des dictatures affaiblies. L’exemple tragique des attaques chimiques perpétrées par le régime de Bachar Al-Assad en Syrie au fil de la décennie doit nous prémunir contre cette idée : tout acteur politique, quel que soit son statut juridique, peut être tenté de recourir à des tactiques terroristes.</p>
<p>Une dernière illusion à bousculer est commune à tous ceux qui consacrent leur travail au terrorisme, aux attentats et aux terroristes. L’histoire du XXI<sup>e</sup> siècle ne se résume pas à cette forme de violence politique. Une Histoire du monde écrite par les terroristes ou par les services de lutte contre le terrorisme ressemblerait sans doute à un catalogue d’attaques. La révolution numérique, les défis démographiques, la propagation du populisme dans les démocraties, la montée en puissance militaire de la Chine, les pandémies, etc., tout cela serait passé sous silence ou minoré.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/358121/original/file-20200915-24-b1oxq5.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Couverture du livre « Dix attentats qui ont changé le monde »" src="https://images.theconversation.com/files/358121/original/file-20200915-24-b1oxq5.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/358121/original/file-20200915-24-b1oxq5.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=921&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/358121/original/file-20200915-24-b1oxq5.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=921&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/358121/original/file-20200915-24-b1oxq5.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=921&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/358121/original/file-20200915-24-b1oxq5.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1157&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/358121/original/file-20200915-24-b1oxq5.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1157&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/358121/original/file-20200915-24-b1oxq5.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1157&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Ce texte est extrait de « Dix attentats qui ont changé le monde » de Cyrille Bret, qui vient de paraître aux éditions Armand Colin.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Armand Colin éditions</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Par leurs effets et les réactions de tout le corps social, les attentats terroristes significatifs donnent des éléments essentiels pour comprendre la vie collective. Miroirs déformants, symptômes éloquents, tournants stratégiques, ils jalonnent eux aussi notre expérience commune.</p>
<p>En somme, les crises terroristes ont un triple pouvoir de révélation, de concentration et d’accélération des processus politiques. La crise terroriste rend douloureusement évidentes des tendances encore mal connues : elle a une puissance de révélation. Elle concentre en elle les tensions et les conflits d’une communauté politique – c’est sa fonction de condensation ou de concentration.</p>
<p>Et enfin, elle précipite les évolutions politiques comme un accélérateur de la vie collective. Ce sont ces trois fonctions de l’attentat que nous avons mises en évidence tout au long du livre.</p>
<p>Dix attentats ne créent pas à eux seuls un nouveau monde. Mais ils le changent durablement.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/146245/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Cyrille Bret ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Cet ouvrage présente une analyse détaillée de dix attentats qui ont endeuillé le siècle – des États-Unis à l’Inde en passant par le Kenya, la Syrie, la Russie, la France ou encore la Norvège.
Cyrille Bret, Géopoliticien, Sciences Po
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/56573
2016-03-22T21:36:00Z
2016-03-22T21:36:00Z
« Tu n’as rien vu au World Trade Center » (2)
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/115694/original/image-20160320-4415-nlxxll.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=12%2C8%2C893%2C645&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Mémoire des bâtiments ou mémoire des personnes ? Ici et là dans la ville, des peintures murales ont fleuri qui entretiennent le souvenir des deux tours comme « balise » architecturale constitutive de l’identité visuelle de la ville.</span> <span class="attribution"><span class="source">Roman Jullier</span>, <span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p><em>Depuis mai 2015, les touristes qui visitent New York peuvent monter à plus d’un demi-kilomètre du sol, au One World Observatory. Là, depuis le 102<sup>e</sup> étage, le sud de Manhattan s’offrira à leurs yeux, et notamment le réaménagement du site du World Trade Center, dont le building même dans lequel ils se trouvent constitue le fleuron. Or ce réaménagement pose diverses questions.</em></p>
<h2>Tomber pour les tours</h2>
<p>Poursuivons la visite en direction du National September 11 Memorial and Museum. La sculpture monumentale qui en constitue le fleuron porte un nom qui lui va parfaitement : <em>Reflecting Absence</em>. Elle se compose de deux fontaines cubiques creusées dans le sol, aux proportions exactes de la base des deux tours détruites et à leur emplacement. C’est en quelque sorte un monument <em>ex negativo</em> : si les deux tours de Yamasaki s’élançaient si haut que leur sommet s’estompait les jours de brume, l’eau qui glisse ici sur le marbre noir disparaît, en sens inverse, comme le reflet d’une chose qui n’est plus, dans les profondeurs de la terre. Sur le pourtour de ces fontaines, des plaques de bronze donnent les noms des 2 983 victimes des attentats.</p>
<p>Contrairement au Vietnam Veterans Memorial de Washington et à ses 58 256 noms gravés sur des murs qui n’évoquent en rien la guerre, le design de <em>Reflecting Absence</em> associe donc étroitement la mort et sa cause technique. Il rejoint là, si l’on veut et pour prendre un exemple français, l’inscription des noms sur le socle des monuments aux morts de la Première Guerre mondiale, qui pour la plupart représentent un combattant armé.</p>
<p>En alignant exactement leurs noms le long des deux périmètres des anciennes tours, on <em>commet</em> donc les personnes disparues à la mémoire des bâtiments – c’est le moment d’utiliser ce verbe dans le sens où l’entendait Heidegger quand il disait que dans le monde moderne, le fleuve est commis au pont qui l’enjambe (<em>La Question de la technique</em>, 1953). Ces personnes ne sont pourtant pas « tombées pour les tours » comme des soldats fauchés au champ de bataille. </p>
<p>Donner plus d’importance à la mémoire des bâtiments qu’à celle des personnes qu’elles ont tuées en s’écroulant, c’est à nouveau isoler l’événement en ne considérant que son caractère de catastrophe technique. D’autant que les noms sont disposés selon la position des occupants des tours au moment de l’attentat, alors que le Vietnam Veterans Memorial a choisi, lui, l’ordre alphabétique. L’oiseau-stégosaure de Calatrava, à ce titre, est plus prudent, puisqu’on peut l’associer tout aussi bien aux tours qu’à leurs occupants, en l’interprétant, selon la conviction de chacun, comme leurs âmes (il est prêt à s’envoler) ou comme leurs traces (il ressemble à un squelette).</p>
<h2>D’une différence ténue entre les fenêtres et les écrans</h2>
<p>Au 102<sup>e</sup> étage du One World Trade Center, maintenant, la « société du spectacle » triomphe, bien loin de la spiritualité de l’oiseau-stégosaure. On pourrait même dire, en changeant un simple verbe de l’ouverture du fameux livre de Guy Debord, que « tout ce qui était directement <em>vu</em> s’est éloigné dans une représentation ». En effet, une visite ici est avant tout affaire de rencontre avec des écrans, et non de vision directe des choses.</p>
<p>Pour commencer, les parois internes de l’ascenseur ultra-rapide qui nous amène là sont recouvertes d’écrans. On y voit les images d’un Manhattan numérisé dont le sol s’éloigne à la vitesse où le visiteur monte. Tant qu’à faire, puisqu’il s’agit d’images de synthèse, les concepteurs ont même ajouté le temps à l’espace : durant la minute de la montée, Manhattan passe du XVI<sup>e</sup> siècle au XXI<sup>e</sup>, les immeubles apparaissant (et disparaissant parfois, comme les tours jumelles de Yamasaki) au rythme de l’ascension.</p>
<p>En sortant de cet ascenseur, le visiteur est prié d’assister à un <em>mapping</em> vidéo sur les murs d’un couloir – une de ces projections qui, comme aux nuits d’été sur la Grand Place à Bruxelles ou la Place Stanislas à Nancy, prennent les façades des bâtiments pour des écrans. Il y voit des instantanés stéréotypés de la vie new-yorkaise (Time Square, une bouche de métro, un taxi jaune…), comme s’il ne venait pas déjà de les croiser pour de bon. Puis il passe devant un autre mur-écran, représentant la vue panoramique à 541 mètres (qu’il n’a pas encore vue, donc), devant lequel les employés le photographient. Le résultat lui sera proposé à la vente un peu plus tard… Enfin, il accède à l’observatoire, dont la plus grande partie de l’espace est par ailleurs occupée par une boutique de souvenirs.</p>
<p>Tout en haut de l’Empire State Building et du Rockfeller Center, le visiteur peut sentir l’air frais et entendre monter la rumeur de la ville ; c’était aussi le cas avec l’observatoire des tours de Yamasaki. Mais pas ici. Dans ces gratte-ciel ultramodernes, il est interdit d’ouvrir la moindre fenêtre ; les courants d’air ruineraient les trésors d’ingéniosité consentis dans le but de freiner l’oscillation de leur sommet. En haut du One World, le visiteur enfermé ne peut que regarder des fenêtres qui découpent en rectangles, comme les écrans mêmes qu’il vient de voir, le spectacle de la ville. Quelle différence, alors, entre écrans et fenêtres, puisque la résolution des images est de nos jours aussi fine que celle du monde qui s’offre à nos yeux ? Le cinéma de science-fiction a déjà exploité ce phénomène : <em>Retour vers le futur II</em> (Robert Zemeckis, 1989) montrait des quartiers défavorisés dont les habitants remplacent les fenêtres de leur maison par des écrans diffusant de magnifiques paysages ; et <em>Resident Evil</em> (Paul W. S. Anderson, 2002) des employés travaillant sous terre, à Manhattan justement, alors que les fenêtres-écrans leur font croire qu’ils surplombent la ville…</p>
<p>L’impression de voir des images en lieu et place du monde, en haut du One World, est encore plus forte les jours de brume. Ces jours-là, les écrans semblent en panne, au sens où de l’autre côté des vitres tout est impeccablement et radicalement blanc. « <em>Zero visibility</em> », dit ingénument un écriteau… Il vaut mieux, alors, fermer les yeux pour se persuader d’occuper une position en hauteur : plus sensible soudain aux informations transmises par l’oreille interne, on ressent les quelques centimètres d’oscillation du bâtiment.</p>
<h2>Comprendre le passé par le présent</h2>
<p>À la pointe sud de Manhattan, l’histoire qui s’écrit à travers les aménagements architecturaux a donc toute l’air d’une histoire d’avant l’École des Annales – une histoire de grands hommes et de grandes batailles, d’événements isolables qui surviennent inopinément. Quant aux liens qui relient le passé au présent : « <em>zero visibility</em> ». C’est le moment de relire Marc Bloch, qui décrivait dans <em>Apologie pour l’histoire</em> (1949) sa visite de Stockholm en compagnie du médiéviste belge Henri Pirenne :</p>
<blockquote>
<p>L’incompréhension du présent naît fatalement de l’ignorance du passé. Mais il n’est peut-être pas moins vain de s’épuiser à comprendre le passé si l’on ne sait rien du présent. J’ai déjà ailleurs rappelé l’anecdote : j’accompagnais à Stockholm Henri Pirenne ; à peine arrivés, il me dit : « Qu’allons-nous voir d’abord ? Il paraît qu’il y a un Hôtel de Ville tout neuf. Commençons par lui ». Puis, comme s’il voulait prévenir un étonnement, il ajouta : « Si j’étais un antiquaire, je n’aurais d’yeux que pour les vieilles choses. Mais je suis un historien. C’est pourquoi j’aime la vie.</p>
</blockquote>
<p>À peine arrivé à New York, on peut se précipiter au site tout neuf du World Trade Center, mais à condition d’avoir les yeux de Marc Bloch et de Henri Pirenne. À cette condition seulement, il sera possible de percevoir dans les choix architecturaux du réaménagement ce qu’il y avait de si détestable, aux yeux d’Al-Qaïda, dans le monde étasunien. Hélas ! une telle vista n’est pas à la portée du premier touriste venu, et la plupart d’entre nous repartirons de là comme l’héroïne de <em>Hiroshima mon amour</em> : sans avoir rien vu.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/56573/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Laurent Jullier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Depuis mai 2015, les touristes qui visitent New York peuvent monter à plus d’un demi-kilomètre du sol, au One World Observatory. Visite guidée et réflexion.
Laurent Jullier, Professeur d'études cinématographiques, Université de Lorraine
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tag:theconversation.com,2011:article/56572
2016-03-21T21:30:13Z
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Un an après : « Tu n’as rien vu au World Trade Center » (1)
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/162640/original/image-20170327-3298-j0kzqd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le regard de Rémi Malingrëy sur les lectures « événementialistes » du 11 septembre</span> <span class="attribution"><span class="source">Rémi Malingrëy</span></span></figcaption></figure><p><em>Un an après, <a href="http://www.remimalingrey.com/">Rémi Malingrëy</a> a porté un regard graphique et personnel sur cet article.</em></p>
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<p>Nombre d’événements, de par le monde, semblent jour après jour obéir à des logiques très complexes, que les médias modernes ne sont pas du tout équipés pour décoder. Depuis les petites phrases de Twitter™ jusqu’aux sujets de deux minutes qu’enchaînent « sans transition » les journaux télévisés en passant par les « images-choc » et les rumeurs propagées par les réseaux sociaux, on pourrait même avancer que c’est l’inverse : davantage de « données » sont disponibles, mais ce ne sont que les plus immédiatement visibles, les plus courtes, les plus « spectaculaires », et elles arrivent dans le plus grand désordre. Le temps de l’investigation, de la recherche et de la réflexion semble manquer. Résultat, les raisons d’agir de quantité de personnes – par exemple, les raisons qu’elles ont de voter pour tel candidat ou de perpétrer tel forfait – ne cessent de nous échapper, ce qui nous condamne à nous étonner perpétuellement de ce qui arrive. Une petite pause et un peu d’histoire ne feraient pas de mal…</p>
<hr>
<p>Depuis mai 2015, les touristes qui visitent New York peuvent monter à plus d’un demi-kilomètre du sol, au <a href="https://oneworldobservatory.com/">One World Observatory</a>. Là, depuis le 102<sup>e</sup> étage, le sud de Manhattan s’offrira à leurs yeux, et notamment le réaménagement du site du World Trade Center, dont le building même dans lequel ils se trouvent constitue le fleuron. Or ce réaménagement pose diverses questions.</p>
<h2>En guise de cygne noir</h2>
<p>La destruction criminelle des tours jumelles du World Trade Center de New York, en 2001, consistait pour ses instigateurs en un moyen, non une fin – un moyen particulièrement sinistre de « faire passer » un message à l’ennemi. Pourtant, une part non négligeable de commentateurs tendit très tôt à lire l’écroulement des deux tours comme une fin en soi, imprévisible catastrophe dont il n’y a plus qu’à interpréter le côté symbolique. Ainsi avait-on affaire à un « événement » circonscriptible et clos. On l’évoqua même en termes de « spectacle » à l’aspect cinématographique.</p>
<p>Dans les années qui suivirent, ce caractère singulier de la destruction fut accentué par le succès d’auteurs américains comme Nassim N. Taleb, avec sa « théorie du cygne noir » : jusqu’ici vous n’avez jamais rencontré au cours de vos promenades que des cygnes blancs, et tout à coup l’imprévu survient, ponctuel, isolé et clos, sous la forme d’un cygne noir, équivalent zoologique de l’improbable rencontre entre un gratte-ciel et un avion de ligne. La mise en place d’une borne historique elle aussi alla dans le même sens : un monde occidental « post-11-septembre », un cinéma américain « post-11-septembre », etc.</p>
<p>Or, bien que ces lectures « événementialistes » soient contestables (la théorie du cygne noir a presque autant de sérieux scientifique que l’astrologie), elles semblent avoir informé le programme de réaménagement du site, notamment sa partie visitable par les touristes.
« Tu n’as rien vu à Hiroshima » : on se souvient de la phrase qui revient comme un leitmotiv dans <em><a href="https://www.youtube.com/watch?v=JNwUCV5BW2k">Hiroshima mon amour</a></em> (Alain Resnais, 1959). Quoiqu’elle ait connu elle aussi l’expérience de la guerre, l’héroïne française de ce film écrit par Marguerite Duras semble incapable, aux yeux de son amant japonais, de saisir vraiment ce qui se trouve devant elle : une ville détruite où le passé traumatique flotte à l’ombre des immeubles fraîchement reconstruits. Les touristes arrivant aujourd’hui au sud de Manhattan sont un peu dans son cas : pour comprendre quelque chose à ce qui s’est passé là, il leur faudrait dépasser très largement les limites de ce qu’on leur donne à voir.</p>
<h2>Le souvenir d’un spectacle</h2>
<p>Si la destruction du <a href="http://www.archdaily.com/504682/ad-classics-world-trade-center-minoru-yamasaki-associates-emery-roth-and-sons">World Trade Center original</a> (Minoru Yamasaki, 1973) eut quelque chose de « cinématographique », c’est que les films américains grand public ont toujours adoré mettre en scène des catastrophes. <a href="https://www.youtube.com/watch?v=SUXWAEX2jlg"><em>Fight Club</em></a> (David Fincher, 1999) ne se terminait pas autrement : des gratte-ciel dynamités qui s’affaissent comme des châteaux de cartes. Le terme même dont se servent les scénaristes hollywoodiens pour décrire l’enchaînement des péripéties qu’ils écrivent, la « théorie des dominos », renvoie d’ailleurs à un écroulement.</p>
<p>Ce qui pose le problème des causes premières : pourquoi a-t-on poussé le premier domino, pourquoi a-t-on touché au château de cartes ? Ne pouvait-on les laisser tranquilles ? Or le cinéma, en matière de causes premières, est beaucoup plus discret : dans les milliers de westerns tournés par les Studios à l’âge classique, par exemple, les Indiens attaquent les Blancs sans qu’on explique au spectateur <em>pourquoi</em> ils les attaquent. Là n’est pas la question, semble-t-il. C’est que les causes premières ne sont pas très spectaculaires. Elles se laissent difficilement filmer ; ce ne sont pas des événements isolables mais de lentes sédimentations, des sentiments qui naissent dans le secret des cœurs et qui finissent par se transformer en raison d’agir.</p>
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<figcaption><span class="caption">Nassim Nicholas Taleb évoque sa théorie du cygne noir (2012).</span></figcaption>
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<p>Qualifier de « cinématographique » un événement comme la destruction du World Trade Center, quand bien même l’industrie du cinéma fait ses choux gras des films-catastrophes, a en outre quelque chose d’obscène, et pas seulement parce que ce retrait confortable dans les pantoufles d’un simple spectateur évacue la question de la cause pour se focaliser sur la conséquence. Les corps broyés dans les ferrailles tordues, en effet, ne devraient pas être mis sur le même plan qu’une fiction sur un écran ; ils ne constituent pas un spectacle.</p>
<p>Il ne faut pas confondre cette horrible réalité avec son exploitation médiatique, qui, elle, en constitue un. Les trépignements de Patrick Poivre d’Arvor, impatient de prendre l’avion pour aller faire d’inutiles directs à Manhattan sur fond de ruines fumantes, les remix 3D de l’écroulement bricolés à partir d’images amateurs avant d’être postés sur YouTube, etc. : <em>là</em> était le spectacle au sens de <a href="http://www.bnf.fr/fr/evenements_et_culture/anx_conferences_2013/a.c_130413_samedis_savoirs.html">Guy Debord</a>. </p>
<p>L’événement avait peut-être l’air de sortir d’un film hollywoodien, mais les terroristes de tout poil ont bien moins besoin du cinéma de fiction que des médias d’information, sans qui leurs actions échoueraient. Il leur faut des émissions spéciales, des interruptions de programme, des discours de politiques indignés, des zooms avant sur des mères en larmes et des plateaux où se succèdent des commentateurs fébriles dont le dernier livre porte justement sur la question. L’assassinat à visée symbolique d’une personne non directement coupable des agissements contre lesquels ses bourreaux entendent partir en guerre (c’est à cela que revient le terrorisme) comprend par définition un « plan-média ». Comme le <a href="http://www.lemonde.fr/disparitions/article/2007/03/06/l-esprit-du-terrorisme-par-jean-baudrillard_879920_3382.html">notait après-coup</a> Jean Baudrillard, « les médias font partie de l’événement, ils font partie de la terreur » (<em>Le Monde</em> du 6 mars 2007).</p>
<h2>« Sans dire un seul mot… »</h2>
<p>Accomplissons maintenant, sans changer de place, un bond de quinze ans. En sortant du métro new-yorkais au lieu du drame, aujourd’hui, le touriste a toutes les chances de passer d’abord par le tout nouveau <em>transportation hub</em> de Santiago Calatrava, gigantesque compromis tout blanc entre l’oiseau et le stégosaure qui surmonte la station de métro (2016), puis de croiser la sculpture d’un cavalier armé jusqu’aux dents, l’<a href="http://thebrigade.com/2014/09/09/americas-response-monument-aka-the-horse-soldier-statue-13-hq-photos/"><em>America’s Response Monument</em></a> (2011). Il pourra ensuite se rendre au <a href="http://www.911memorial.org/">National September 11 Memorial and Museum</a> (Michael Arad & Peter Walker, 2011), et s’il est en mal de vues panoramiques, grimper à 541 mètres du sol, au sommet du One World Trade Center (David Childs & Daniel Libeskind, 2013).</p>
<p>Or rien, en ces lieux battus par les vents ou écrasés de chaleur, ne donne la moindre chance à un béotien ou à une adolescente fraîchement venue aux questions géopolitiques de comprendre pourquoi les deux tours initiales ont été détruites en 2001. D’un côté, avec le <em>Memorial</em>, c’est le recueillement qui s’impose ; de l’autre, avec le « plus haut building de l’hémisphère nord », comme le proclament à satiété les pancartes disséminées un peu partout, la célébration d’un renouveau conquérant. Quant à l’<em>America’s Response Monument</em>, bronze à l’échelle 1,5x1 du sculpteur Douwe Blumberg, il représente un Béret Vert à cheval lors de l’opération <em>Enduring Freedom</em> menée contre les talibans d’Afghanistan (2001-2014), en représailles aux attentats.</p>
<p>Sans doute n’était-ce pas le lieu de revenir sur les raisons d’agir des terroristes : comme l’écrivit fameusement Rudyard Kipling,</p>
<blockquote>
<p>Si tu peux voir détruit l’ouvrage de ta vie <br>
Et sans dire un seul mot te mettre à rebâtir…</p>
</blockquote><img src="https://counter.theconversation.com/content/56572/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Laurent Jullier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Sur le nouveau site du World Trade Center à New York, rien ne donne la moindre chance aux visiteurs de comprendre pourquoi les deux tours jumelles ont été détruites le 11 septembre 2001.
Laurent Jullier, Professeur d'études cinématographiques, Université de Lorraine
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