tag:theconversation.com,2011:/ca/topics/management-20496/articlesmanagement – The Conversation2024-03-25T16:34:35Ztag:theconversation.com,2011:article/2258252024-03-25T16:34:35Z2024-03-25T16:34:35ZGérer autrement notre système de santé : les acteurs du secteur incités, mais insuffisamment formés<p>Raisons budgétaires, manque de personnel, évolution des pratiques médicales… Les 2976 hôpitaux publics et privés français ont fait l’objet de la <a href="https://www.vie-publique.fr/en-bref/292502-hopitaux-et-cliniques-les-chiffres-cles-de-lannee-2022">fermeture de près de 40 000 lits d’hospitalisation complète en 10 ans</a>. Des dizaines de petits hôpitaux ont fermé, tout comme des maternités et des services hospitaliers mal équipés ou déficitaires. En parallèle, le nombre de places d’hospitalisation a progressé de près de 2 % grâce notamment à l’hospitalisation partielle et à l’hospitalisation à domicile, en hausse de 16 % entre fin 2019 et fin 2020 pour atteindre <a href="https://sante.gouv.fr/IMG/pdf/feuille-de-route-had-2022-05-01-2.pdf#page=5">240 000 séjours</a>. La moitié seulement de cette hausse s’explique par le coronavirus. Si la courbe s’est <a href="https://www.fnehad.fr/wp-content/uploads/2023/04/MOP-3015.pdf">infléchie en 2021</a>, les pouvoirs publics se sont donné pour feuille de route de <a href="https://sante.gouv.fr/IMG/pdf/feuille-de-route-had-2022-05-01-2.pdf#page=7">développer</a> plus encore cette approche des soins.</p>
<p>Avec pareilles évolutions, l’organisation des soins mobilise de multiples intervenants professionnels rendant leur coordination essentielle. L’<a href="https://sante.gouv.fr/IMG/pdf/feuille-de-route-had-2022-05-01-2.pdf#page=23">injonction</a> à cela de la part des pouvoirs publics semble de plus en plus forte au moment où le système de <a href="https://theconversation.com/topics/sante-20135">santé</a> doit faire face à d’importantes contraintes comme le <a href="https://theconversation.com/la-population-de-la-france-va-t-elle-diminuer-suite-a-la-baisse-de-la-natalite-222790">vieillissement de la population</a>, l’<a href="https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/communique-de-presse/mieux-connaitre-et-evaluer-la-prise-en-charge-des-maladies-chroniques">augmentation des maladies chroniques</a> et l’importance de contenir le déficit de l’assurance maladie qui pourrait <a href="https://www.latribune.fr/economie/france/a-8-8-milliards-d-euros-le-deficit-de-la-securite-sociale-va-doubler-d-ici-trois-ans-977591.html">doubler d’ici trois ans</a>.</p>
<p>Plusieurs acteurs du système de santé ont déjà intégré dans leurs pratiques une fonction de <a href="https://theconversation.com/topics/organisation-21871">coordination</a>. En complément des professionnels de santé intervenant à domicile se développent également des dispositifs d’appui à la coordination (<a href="https://sante.gouv.fr/systeme-de-sante/structures-de-soins/les-dispositifs-d-appui-a-la-coordination-dac/">DAC</a>) ou des communautés professionnelles territoriales de santé (<a href="https://sante.gouv.fr/systeme-de-sante/structures-de-soins/les-communautes-professionnelles-territoriales-de-sante-cpts/">CPTS</a>). L’organisation de ce système dense semble néanmoins <a href="https://serval.unil.ch/resource/serval:BIB_276592407385.P001/REF.pdf">difficile car il paraît peu lisible</a>. Il reste par ailleurs <a href="https://sante.gouv.fr/systeme-de-sante/systeme-de-sante/strategie-de-transformation-du-systeme-de-sante/">cloisonné</a> avec notamment la persistance de frontières entre les soins de ville et hospitaliers, entre les professionnels médicaux, paramédicaux et sociaux.</p>
<h2>Cinq ans d’expérimentation</h2>
<p>Pour en sortir, les pouvoirs publics tentent de mettre en place une législation favorable, à l’innovation. Celle-ci peut certes être technologique ou thérapeutique, mais aussi organisationnelle. L’<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/article_jo/JORFARTI000036339172">article 51</a> de la loi de Finances de la Sécurité sociale 2018 (LFSS 2018) visait notamment à permettre aux acteurs de la santé, peu formés au management, à s’approprier la notion de « projet ».</p>
<p>Ce dispositif réglementaire autorisait pour les cinq années suivantes à expérimenter de nouvelles organisations grâce à des modes de financement qui n’étaient, jusqu’à présent, pas utilisés. Il s’agit par exemple des <a href="https://sante.gouv.fr/systeme-de-sante/parcours-des-patients-et-des-usagers/article-51-lfss-2018-innovations-organisationnelles-pour-la-transformation-du/les-experimentations/article/experimentation-d-une-incitation-a-une-prise-en-charge-partagee-ipep">incitations à une prise en charge partagée</a> (IPEP) : un intéressement versé à des professionnels qui se constituent une patientèle commune pour une meilleure coordination et prise en charge.</p>
<p>On retrouve également le <a href="https://sante.gouv.fr/systeme-de-sante/parcours-des-patients-et-des-usagers/article-51-lfss-2018-innovations-organisationnelles-pour-la-transformation-du/les-experimentations/article/experimentation-d-un-paiement-en-equipe-de-professionnels-de-sante-en-ville">paiement en équipe de professionnels de santé en ville</a> (Peps), qui, dans une même logique de coordination, vise à remplacer le paiement à l’acte par une rémunération collective.</p>
<p>L’objectif était notamment, d’après la loi, de « permettre l’émergence d’organisations innovantes dans les secteurs sanitaire et médico-social concourant à l’amélioration de la prise en charge et du parcours des patients, de l’efficience du système de santé et de l’accès aux soins ».</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1764055240679080270"}"></div></p>
<p>Près de mille projets ont été déposés sur les plates-formes régionales et nationale et plus de cent ont été autorisés à être expérimentés, regroupant au total un <a href="https://sante.gouv.fr/systeme-de-sante/parcours-des-patients-et-des-usagers/article-51-lfss-2018-innovations-organisationnelles-pour-la-transformation-du/les-rendez-vous-de-l-article-51/article/journee-nationale-des-porteurs-de-projet-23-novembre-2023">million de patients</a>. L’article 51 de la LFSS 2018 marque ainsi une <a href="https://www.cairn.info/revue-les-tribunes-de-la-sante-2020-1-page-35.htm?ref=doi">rupture nette</a> avec les tentatives précédentes d’amélioration des prises en charge du fait d’une plus grande souplesse, d’une rapidité des procédures accrue et d’un dispositif législatif davantage ouvert aux acteurs de santé.</p>
<h2>Aligner les motivations</h2>
<p>Nos <a href="https://www.theses.fr/2023PAUU2132">travaux de recherche</a> ont suivi certaines de ces expériences et mettent en avant leur potentiel transformatif. Observant succès et échecs, ils donnent également quelques clefs pour permettre de les mettre au mieux en œuvre.</p>
<p>Deux projets en Nouvelle-Aquitaine ont particulièrement été suivis, avec des fortunes diverses : un projet A, porté par un hôpital public et qui a échoué dans sa mise en œuvre, et un projet B, lancé par un Groupement de coopération sanitaire, qui, lui, a connu une réussite. Chacun reposait sur une innovation organisationnelle, de financement et technologique avec le développement d’interfaces numériques.</p>
<p>Le premier consiste à prendre en charge de manière coordonnée des patients qui souffrent de maladies inflammatoires chroniques. Il est porté par quatre médecins hospitaliers. Le second consiste à prendre en charge de manière coordonnée des patients pour des chirurgies orthopédiques. Ce projet est porté par un médecin militaire.</p>
<p>Le premier élément clé qui peut rendre compte de l’échec du projet A a trait aux motivations. Qu’elles soient collectives ou individuelles, elles restent le socle d’un projet innovant. L’enjeu est de les aligner et de faire adhérer les acteurs aux valeurs et à la culture de l’organisation. Que tout le monde, en somme, soit sur la même longueur d’onde. Or, les porteurs du projet A semblaient aussi animés par des motivations individuelles qui ont freiné l’élan collectif. Un personnel de l’Agence régionale de santé (ARS) Nouvelle-Aquitaine nous a ainsi confié :</p>
<blockquote>
<p>« Ce sont des porteurs qui aiment être devant. Il y a, quoi qu’on en dise, une volonté d’attirer la lumière. C’est positif pour faire naître des projets ; la preuve ils ont répondu à l’appel à manifestation d’intérêt. Mais lorsqu’il s’agit de les décliner, les choses deviennent plus compliquées. »</p>
</blockquote>
<h2>Apprendre à gérer</h2>
<p>Porter un projet et faire naître des coordinations nouvelles appelle en outre des compétences managériales particulières. Le financement et la gestion de budget, tout d’abord, représentent la condition <em>sine qua non</em> de l’amorçage des projets. Sans financement, pas de projet et sans maîtrise des outils de gestion, pas de mise en œuvre. Au-delà, la maîtrise des interactions humaines (gestion des conflits, résistance au changement…) doit être développée. Un pilotage de projet et des évaluations régulières sont également nécessaires pour garantir des avancées. Cela limite par ailleurs les risques d’exposition médiatique.</p>
<p>L’ARS relevait sans nuance pour le projet B, celui qui a réussi, le point suivant :</p>
<blockquote>
<p>« Clairement, depuis le début, il y a une maîtrise de tous les éléments qui sont nécessaires au bon déroulement du projet. Le porteur est en réalité un manager qui a un sens humain très fort et une connaissance globale du système ».</p>
</blockquote>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1766823677914472915"}"></div></p>
<p>La nouveauté se heurte par ailleurs bien souvent à une résistance au changement que nous avons pu observer notamment de la part de certains médecins hospitaliers. L’« hospitalocentrisme » reste assez marqué dans les mentalités. Dans la même veine, les conflits persistants entre les parties prenantes du projet A ont sans doute figé le projet avec un non-déploiement malgré le fort potentiel. Un des porteurs déplore :</p>
<blockquote>
<p>« Les conflits l’emportent sur le sens et la dynamique commune. Pourtant je peux vous dire que ce projet avait tout pour réussir et on a mis le paquet… »</p>
</blockquote>
<p>Face à cet enjeu, les tutelles comme l’ARS peuvent apporter une aide précieuse. Le dispositif article 51, dans son essence même, incite les acteurs de santé à travailler de manière coordonnée et facilite la conduite et le déploiement des projets grâce à l’accompagnement prévu et aux financements alloués.</p>
<p>Reste que, comme nous le montrons, ces éléments s’avèrent nécessaires mais non suffisants. Les professionnels de santé qui portent les projets doivent être formés aux outils et méthodes du projet sans oublier la dimension de management des ressources humaines. Leurs tutelles semblent, en la matière, avoir un rôle à asseoir pour notamment rappeler aux porteurs de projet le cadre des dispositifs afin d’éviter les risques de non-déploiement.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/225825/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Cécile Dezest a reçu des financements de ARS NA-CDAPPB. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Emmanuelle Cargnello et Isabelle Franchisteguy-Couloume ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>La Loi de Finances de la Sécurité sociale 2018 ouvrait la voie à de nouvelles expérimentations pour organiser notre système de soins. Une recherche en dresse un premier bilan.Cécile Dezest, Docteure en sciences de Gestion, Université de Pau et des pays de l'Adour (UPPA)Emmanuelle Cargnello, Professeur des universités en sciences de gestion, IAE Pau-BayonneIsabelle Franchisteguy-Couloume, Maître de conférences - Habilitée à Diriger les Recherches en sciences de gestion, Université de Pau et des pays de l'Adour (UPPA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2256942024-03-25T10:51:35Z2024-03-25T10:51:35ZManagers, n’ayez plus peur du flou !<p><em><a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/la-bibliotheque-ideale-de-l-eco/revolutionner-le-management-avec-francois-dupuy-9341570">Le sociologue des organisations François Dupuy</a> est décédé le lundi 11 mars dernier. Il est connu pour ses travaux sur les errements du management des entreprises et notamment pour sa trilogie inaugurée avec <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/lost-in-management-francois-dupuy/9782020986908">Lost in management</a>. Peu de temps avant son décès, il nous avait soumis cet article rédigé avec Eric-Jean Garcia. Nous le publions aujourd’hui.</em></p>
<hr>
<p>« Quand c’est flou, c’est qu’il y a un loup » dit un jour une candidate à la présidentielle dans un débat politique. Depuis longtemps déjà, les organisations détestent ce qui n’est pas « normé » pour employer un terme générique. La prolifération de normes, de procédures et de règles de fonctionnement est en effet censée assurer la qualité des produits et services proposés. L’objectif ultime affiché de cette multiplication est de garantir l’efficience et l’efficacité des organisations ainsi que le bien-être des acteurs impliqués dans la production. Rien n’est moins sûr et il se pourrait bien que les promoteurs de la norme finissent par obtenir un résultat inverse à celui qu’ils visaient.</p>
<p>Si un minimum de directives et de protocoles prescriptifs est indispensable à la qualité et à la sécurité, un moment arrive où l’accumulation génère des dysfonctionnements plus ou moins graves, pouvant aller jusqu’à l’accident. À l’origine de ces désordres (presque) involontaires, on trouve un raisonnement panoptique comparable à celui du <a href="https://www.librairie-gallimard.com/livre/9782081395497-leviathan-thomas-hobbes/"><em>Léviathan</em> de Thomas Hobbes</a>, au sens où ce dernier était persuadé que l’ordre et la stabilité requièrent une obéissance intégrale à un système normatif central. Cela a pour effet une rationalisation et une volonté de contrôle d’un maximum de variables. Un tel raisonnement s’avère parfaitement <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/The_Principles_of_Scientific_Management">compatible avec la logique taylorienne</a> toujours dominante. Ce mode de pensée conçoit des systèmes de gestion du travail axés sur la standardisation des tâches et la division du travail de manière séquencée et séquentielle, dans le but de maximiser la productivité du travail. Cette approche perdure notamment grâce à une volonté affirmée d’édicter des règles supposées « scientifiques ».</p>
<h2>Logique confortable pour les dirigeants</h2>
<p>Une telle logique peut sembler confortable pour de nombreux dirigeants tant et si bien que toutes sortes d’exigences prescriptives prolifèrent en toute liberté, jusqu’à devenir problématiques pour les acteurs et contreproductives pour l’organisation. On peut alors <a href="https://www.hbrfrance.fr/organisation/normobesite-la-securite-au-prix-de-linnovation-60405">parler de normobésité</a>.</p>
<p>Ce néologisme désigne un mode de pensée catégorique, cherchant à réduire les très nombreuses incertitudes inhérentes à la vie sociale organisée, dues notamment à la part d’imprévisibilité de tout comportement humain. Cela devient une telle obsession que toutes formes de management épousent cet objectif prioritaire et se donne tous les moyens pour y parvenir.</p>
<p>Cette <em>normobésité</em> se trouvait au cœur du dernier mouvement social des agriculteurs. Ils dénonçaient une overdose de normes et de règlements appliqués à leur secteur. Au nom de la biodiversité, curer un fossé peut relever de la correctionnelle même si cela permet d’éviter une inondation. L’intelligence de l’agriculteur prévenant face aux dégâts prévisibles d’intempéries à venir doit donc passer après la norme et les directives européennes.</p>
<p>Ce genre de situation absurde n’est malheureusement pas exclusive au monde de l’agriculture. On peut dire qu’il s’est généralisé, et ce malgré la volonté des gouvernements de réussir un « choc de simplification ». Mais les bonnes intentions promettent souvent bien plus qu’elles ne peuvent délivrer. D’autant qu’en plus des normes officielles viennent s’ajouter les contraintes internes dont se dotent volontairement les organisations. Une telle accumulation de normes et de règles contribue à augmenter la complexité au point d’être à l’origine de véritables drames industriels comme celui du <a href="https://theconversation.com/boeing-needs-to-get-real-the-737-max-should-probably-be-scrapped-221023">Boeing 737 Max où l’enquête a notamment révélé une approche par trop rigide et une confiance excessive dans le logiciel dit de Maneuvering Characteristics Augmentation System</a> (MCAS)</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1770487829321134541"}"></div></p>
<h2>Effets pervers tous azimuts</h2>
<p>Si trop de normes tuent la norme, le nombre n’est pas le seul facteur en cause. Pour le dire autrement, il ne suffit pas de supprimer des normes pour obtenir un résultat efficace. La tâche est plus complexe. La pertinence du contenu des normes, leurs exigences et la façon dont elles sont rédigées doivent aussi être soumises au crible d’un examen critique serré. La surabondance de critères normatifs accroît non seulement le temps consacré à la conformité mais augmente aussi le risque de contradictions entre une multitude de dispositions légales et conventionnelles. Un contexte dont la gravité augmente à mesure que les acteurs sont confrontés à des situations dangereuses ou imprévues.</p>
<p>À l’arrivée, le résultat produit est l’inverse du résultat recherché : en voulant tout mettre sous contrôle, on crée des situations dans lesquelles se multiplient les angles morts pour le plus grand bénéfice des acteurs qui retrouvent ainsi des marges de liberté. Ce n’est en effet pas le moindre des paradoxes de constater qu’une arme dont disposent les exécutants en cas de tensions sociales consiste simplement à respecter scrupuleusement, telles qu’elles sont prévues, sans marge d’interprétation, les règles, les normes, les procédures… bref tout le « fatras bureaucratique » qu’ils sont censés appliquer. Bien que connue de tous, la réalité de la « grève du zèle » n’empêche personne d’alimenter toujours plus la normobésité.</p>
<p>Et les exécutants ne sont pas les seuls à bénéficier de ce « gouvernement par l’absurde ». En cas d’accident, la prolifération de normes permet aux managers et à leurs dirigeants de se retrancher derrière leurs obligations réglementaires pour mieux se dédouaner de toute responsabilité.</p>
<h2>Accepter le flou</h2>
<p>Pour conjurer la <em>normobésité</em>, il convient de faire évoluer les organisations à contre-courant de la complexité galopante du monde moderne en acceptant les vertus méconnues, voire méprisées du flou. Ici le flou n’est pas synonyme de désorganisation, ni de chaos ou de laisser-faire mais il s’oppose à la recherche de clarté absolue et son corollaire, le refus de faire le pari de l’intelligence des acteurs. Une intelligence qui ne peut s’exprimer sans marge de manœuvre pour s’adapter, coopérer et déjouer les dérives de la <em>normobésité</em>. Car les acteurs ne sont pas dupes et ils perçoivent justement ce trop-plein de normes pour ce qu’il est : un ensemble de signes de défiance vis-à-vis de ceux qu’elles concernent et un flagrant manque de confiance dans leur intelligence.</p>
<p>Bien sûr, pour atteindre un niveau optimum de vigueur et de flexibilité, un système de production requiert un nombre optimum de contraintes formelles mais aussi et surtout une relative autonomie d’action, qui n’est pas à proprement parler de l’indépendance d’action. Cette autonomie offre des marges de manœuvre aux acteurs pour réagir et innover en fonction des opportunités et des circonstances. Cette part d’initiative crée un flou salutaire qui se nourrit de la confiance octroyée aux individus. Car telle est la condition de l’acceptation du flou et de ses vertus créatives. Il n’est acceptable que dans la mesure ou les acteurs ayant à coopérer, managers comme managés, ont su créer des relations de confiance.</p>
<h2>La confiance comme remède</h2>
<p>Pour faire bref, cela suppose que tous acceptent d’avoir ce que les philosophes appellent un comportement éthique, c’est-à-dire renoncent à l’incertitude de ces comportements. La prévisibilité du comportement peut certes réduire le pouvoir des managers en particulier, les sociologues l’ont démontré avec <a href="https://www.cairn.info/la-sociologie--9782912601858-page-162.htm">Michel Crozier</a>. Mais elle permet de sortir d’un management coercitif pour passer à un <a href="https://www.youtube.com/watch?v=9vDDWSzvRM4">management confiant, c’est-à-dire « déraisonnable au sens rationnel du terme »</a> qui n’implique pas d’avoir tout prévu, tout catégorisé et <em>in fine</em>, tout normé.</p>
<p>À partir de la [citation apocryphe d’Antoine de Saint Exupéry], on serait tenté de conclure par l’allégorie suivante : si tu veux construire un bateau innovant et performant, ne rassemble pas tes équipes pour leur donner l’ordre de suivre à la lettre l’intégralité des normes et des instructions expliquant comment faire, dans le moindre détail, tout en mettant en place un service qualité et un service conformité. Si tu veux construire un bateau, fais naître dans le cœur de tes équipes la volonté de respecter les règles fondamentales de conceptions navales autant que le désir de la mer grande et belle.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/225694/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Eric-Jean Garcia ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le trop-plein de normes, loin de réduire l’incertitude, réduit l’efficacité des organisations, entreprises comme administrations. Il est urgent de redécouvrir les vertus d’un flou bien maîtrisé.Eric-Jean Garcia, Co-directeur de l'executive master "enjeux juridiques et leadership" , Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2251202024-03-18T10:51:39Z2024-03-18T10:51:39ZPeut-on comparer les jeunes diplômés déçus par leur premier emploi aux romantiques du XIXᵉ siècle ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/580091/original/file-20240306-22-xwmeec.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=12%2C3%2C722%2C521&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">_Le Voyageur contemplant une mer de nuages_, tableau de Caspar David Friedrich, peintre romantique allemand (1818).
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://picryl.com/media/ueber-die-sammlung-19-jahrhundert-caspar-david-friedrich-wanderer-ueber-dem-d82346">Picryl</a></span></figcaption></figure><p>En 2013, l’anthropologue américain <a href="http://www.editionslesliensquiliberent.fr/auteur-David_Graeber-250-1-1-0-1.html">David Graeber</a> faisait le buzz avec un <a href="https://strikemag.org/bullshit-jobs/">article</a> publié dans <em>STRIKE ! Magazine</em> où il n’hésitait pas à mettre un mot sur un véritable phénomène de société : les <em>bullshit jobs</em> (ou « jobs à la con »). Ce qui frappe de prime abord lorsqu’on s’intéresse à ces <em>bullshit jobs</em>, c’est leur contradiction essentielle avec le système dans lequel ils sont insérés.</p>
<p>Vides de sens pour ceux qui les occupent, ces « jobs à la con » reposent sur un double paradoxe : d’une part, les métiers inutiles semblent impensables dans un système néo-libéral qui suppose une rémunération du travail en fonction de la performance économique et, d’autre part, le capitalisme est censé reposer sur la notion de rationalité, alors même qu’il succombe bien souvent à des effets de mode pour le moins contestables (standardisation, qualité, <em>compliance</em>, <em>process</em> ou encore agilité).</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/0zSsQMB8zrQ?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Mais quel effet produit cette absurdité sur les individus, et plus particulièrement sur les jeunes diplômés qui arrivent sur le marché du travail et dont le premier poste peut les décevoir ? C’est la question que nous nous sommes posée dans un article de recherche co-écrit avec notre collègue <a href="https://www.theses.fr/2022AIXM0533">Marion Cina</a> à paraître prochainement dans la revue <a href="https://management-aims.com/index.php/mgmt/article/view/8277"><em>M@n@gement</em></a>.</p>
<p>Pour mieux comprendre cet effet, nous avons tenté de dresser un parallèle avec le <a href="https://www.larousse.fr/encyclopedie/divers/le_romantisme_en_litt%C3%A9rature/185879">romantisme</a> au XIX<sup>e</sup> siècle. Sur les décombres de <a href="https://www.lesbonsprofs.com/cours/lempire-napoleonien/">l’Empire napoléonien</a>, un « mal du siècle » se répandait à l’échelle européenne. Il en a découlé un mouvement littéraire qui résonne étrangement avec notre époque contemporaine : le romantisme. Ce courant artistique, voire spirituel, a fait de la mélancolie, du dégoût de l’époque vécue et de l’impossibilité à trouver sa place dans un monde vide de sens les leitmotivs d’une quête de grandeur.</p>
<h2>Un parallèle entre deux époques</h2>
<p>Entre les romantiques d’hier et les jeunes d’aujourd’hui, il semble en effet que l’histoire se répète. En d’autres termes, la jeunesse actuelle connaîtrait-elle les mêmes tourments que les romantiques d’hier ? Le parallèle serait alors riche d’enseignements. On nous objectera que comparaison n’est pas raison, et que tout cela est bien absurde. Eh bien justement ! Pour comprendre l’impensé, il apparaît nécessaire de mobiliser des outils nouveaux. Autrement dit, il faut combattre le mal par le mal.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/des-sciences-du-vivant-aux-sciences-de-gestion-quand-la-fiction-litteraire-fait-avancer-la-recherche-scientifique-146611">Des sciences du vivant aux sciences de gestion : quand la fiction littéraire fait avancer la recherche scientifique</a>
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<p>Nous nous sommes donc plongés dans les deux époques :</p>
<ul>
<li><p>Pour ce qui relève de l’époque contemporaine, nous avons mené 35 entretiens avec de jeunes diplômés entre 25 et 30 ans, tous diplômés d’une Grande École de commerce ou d’ingénieurs française. Notre panel d’interviewés regroupe plus spécifiquement des individus bien souvent passés par des classes préparatoires, qui est une des spécificités du système éducatif français. Entre travail intense et exigence maximale, ces structures préparent les étudiants pendant deux voire trois ans aux concours d’entrée des Grandes Écoles.</p></li>
<li><p>Pour la période romantique, nous avons convoqué les œuvres littéraires de ce mouvement du XIX<sup>e</sup> siècle dans lequel leurs auteurs (Balzac, Musset, Chateaubriand, etc.) s’épanchent sur leurs états d’âme d’élites désillusionnées. Nous avons extrait de ces ouvrages des passages qui nous semblaient particulièrement correspondre à l’expérience décrite par nos interviewés afin d’entendre les échos entre les deux époques.</p></li>
</ul>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/quand-la-fiction-modele-la-realite-76607">Quand la fiction modèle la réalité</a>
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<h2>Le choc de l’absurde</h2>
<p>De notre <a href="https://management-aims.com/index.php/mgmt/article/view/8277">enquête</a> menée entre deux siècles, nous tirons plusieurs enseignements. En premier lieu, l’absurde est un choc qui permet un dévoilement majeur pour les jeunes diplômés. Que ce soit en école ou en entreprise, ils perçoivent un décalage majeur entre les enseignements très riches et théoriques qu’ils ont pu suivre en classes préparatoires et la banalité des tâches et des activités qui leur sont confiées.</p>
<p>L’entrée dans le monde professionnel est particulièrement vécue comme une rupture brutale et déroutante. C’est ce qu’Estelle*, ancienne étudiante dans une Grande École de commerce, n’a pas manqué de rappeler lors de son entretien :</p>
<blockquote>
<p>« J’ai encore du mal à comprendre ce qui m’est arrivé quand je suis rentrée en entreprise… Je pense que le premier stage que j’ai fait a été un gros choc. J’ai pu constater la déconnexion entre l’école et l’entreprise ».</p>
</blockquote>
<p>Dans le même esprit, Mélanie* nous a fait part de son désarroi quand sa manageuse lui a demandé d’accomplir de basses besognes, totalement déconnectées du faste et de la grandeur de ses études :</p>
<blockquote>
<p>« J’épluchais toutes les annales depuis un mois, enfin tous les historiques des présentations, ce qui est rasoir en fait. J’étais le chien de toute la boîte ».</p>
</blockquote>
<p>Cette trivialité des tâches quotidiennes trouve son origine dans une modernité hyperrationnelle qui ôte toute poésie au monde. Dès la fin du XIX<sup>e</sup> siècle, malgré la sacralisation du progrès par les organisations, des dissensions émergent, en particulier dans la sphère littéraire. Le poète <a href="https://www.larousse.fr/encyclopedie/personnage/Charles_Baudelaire/107873">Charles Baudelaire</a> est notamment atterré par les mutations en cours, annonçant alors la <a href="http://zeio.free.fr/poesies/baudelaire-lemondevafinir.htm">« fin du monde »</a>. Il révèle sans détour qu’une victoire de la matière va atrophier « en nous toute la partie spirituelle ».</p>
<h2>Accélération, flot et perte de repères</h2>
<p>Au XIX<sup>e</sup> siècle, l’accélération du quotidien accentuée par l’émergence de la presse crée une impression de tohu-bohu total, d’emballement généralisé dans lequel les individus et les choses se retrouvent prisonniers d’un « flot » continu d’événements.</p>
<p>La dépréciation brutale de la poésie entraîne une chute significative du marché poétique, illustrée par l’écrivain <a href="https://www.larousse.fr/encyclopedie/personnage/Honor%C3%A9_de_Balzac/107350">Honoré de Balzac</a> dans son roman <a href="https://gallica.bnf.fr/essentiels/balzac/illusions-perdues"><em>Illusions perdues</em></a>. Cette transition vers la culture de masse engendre une grande désillusion littéraire, façonnant l’image de l’artiste isolé, incompris, voire du <a href="https://gallica.bnf.fr/essentiels/repere/poetes-maudits">poète maudit</a>.</p>
<p>Dès 1833, Balzac propose de revenir sur « l’état actuel de la littérature ». Il y dépeint sans ambages le développement effréné d’une « masse lisante » qui n’attend qu’une seule chose : dévorer toujours plus de livres. Ici, le vrai monstre, c’est la presse, c’est la culture médiatique.</p>
<p>Pour Balzac, « le mal que produit le journalisme est bien plus grand [par rapport au commerce des livres]. Il tue, il dévore de vrais talents ». Ce qui terrifie Balzac et ses contemporains, c’est l’obsolescence programmée de la culture médiatique qui fait que, quelle que soit la pertinence d’un texte écrit, de toute façon il est effacé par le suivant.</p>
<p>On retrouve cette accélération tous azimuts dans les propos des jeunes diplômés d’aujourd’hui : ils évoquent des tâches qui se succèdent dans un flux perpétuel comme s’ils passaient leur temps à remplir le <a href="https://www.rtbf.be/article/les-danaides-et-leurs-jarres-percees-metaphore-de-nos-desirs-insatiables-11072471">tonneau des Danaïdes</a>.</p>
<p>Ainsi, Valentine* a tout simplement l’impression d’être prise au milieu d’un flot incessant d’« appels, de mails et de comptes-rendus ». Aujourd’hui, les modes de communication par courriel et/ou messageries instantanées (Slack, Teams, etc.) sont devenus les nouveaux avatars du flux médiatique. Pour Mareva*, il y a une obligation tacite à toujours devoir vérifier ses mails ou son téléphone :</p>
<blockquote>
<p>« Le plus énervant, c’est d’être tout le temps sur son téléphone je trouve. Oui, ce qui me fatigue le plus, c’est de devoir toujours cliquer sur mes mails et mes trucs pour être sûre qu’il n’y ait pas d’urgences ».</p>
</blockquote>
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<h2>Le règne du double discours</h2>
<p>Dans <em>Illusions perdues</em>, Balzac dénonce également le règne de l’argent et la pratique du double discours, à la façon dont certains jeunes diplômés interrogés ont pu le faire concernant leurs organisations.</p>
<p>Dans ce roman balzacien, le personnage principal, <a href="http://classes.bnf.fr/essentiels/grand/ess_1832.htm">Lucien de Rubempré</a>, fait la rencontre de Vautrin, un ancien forçat qui se cache derrière l’habit d’un prêtre. Vautrin est un protagoniste qui appartient au monde du Mal mais qui a tout compris sur la société qui l’entoure. Cet ancien bagnard est surtout l’occasion pour Balzac d’insérer dans son roman sa conception réactionnaire du monde social. Non seulement la société moderne est profondément contradictoire, mais c’est aussi une société du mensonge caractérisé : ce qui importe le plus, c’est l’apparence.</p>
<p>En contexte organisationnel, le double discours et le mensonge font également partie de la panoplie de managers à l’éthique douteuse. C’est ce qu’a rappelé Iris* en évoquant sa manageuse qui n’hésitait pas à mentir aux candidats potentiels pour les attirer dans son entreprise :</p>
<blockquote>
<p>« En fait, elle invente, elle invente et je la regarde et je me dis mais on est dans la même boîte et tu me dis des choses qui n’existent pas. C’est absurde. Elle est capable pendant deux heures d’inventer du bullshit max, mais pour une mauvaise intention : attirer des candidats pour les mauvaises raisons et de les bloquer au début de leur vie professionnelle ».</p>
</blockquote>
<p>Parfois, le mensonge est même avoué et légitimé par les supérieurs et le management « pour améliorer les statistiques du service », comme nous le confiait Mélanie*. Dès lors, quelles sont les conséquences de tous ces bouleversements sur les jeunes du XIX<sup>e</sup> siècle et d’aujourd’hui ?</p>
<h2>Une quête d’idéal</h2>
<p>Pour se détourner de la médiocrité d’un monde où règnent l’accélération et le mensonge, les jeunes romantiques du XIX<sup>e</sup> siècle ne rejoignent pas des organisations non gouvernementales (ONG) ou des fermes écoresponsables : ils font de la poésie, de l’art. Ils créent des parenthèses artistiques dans un monde dénué de beauté, exprimant ainsi une dissidence ironique face à la réalité.</p>
<p>À l’heure actuelle, certains jeunes travailleurs, que la professeure <a href="https://www.cairn.info/publications-de-Pauline-P%C3%A9rez--661335.htm">Pauline Pérez</a> appelle les <a href="https://www.theses.fr/2014EHEC0007">« intermittents du travail »</a>, se désengagent des fonctions traditionnelles pour embrasser des activités jugées plus estimables malgré un confort apparemment réduit (petits boulots, intérims, temps partiel, jobs saisonniers…). Cette tendance traduit une volonté de reprise en main de leur destinée.</p>
<p><a href="https://www.arkhe-editions.com/livre/cassely-revolte-premier-classe/">Révolte</a>, retrait, dissidence sont autant de voies ouvertes par une jeunesse qui aspire à des lendemains qui chantent. « Jeunes gens, ayons bon courage ! Si rude qu’on nous veuille faire le présent, l’avenir sera beau » lancera à cet égard <a href="https://www.larousse.fr/encyclopedie/personnage/Victor_Hugo/124393">Victor Hugo</a> dans sa préface d’<a href="https://editions.flammarion.com/hernani/9782081433618"><em>Hernani</em></a>.</p>
<hr>
<p>*<em>Les prénoms ont été anonymisés</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/225120/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Les désillusions de la jeunesse romantique du XIXᵉ siècle peuvent éclairer les attentes et les déceptions des nouveaux entrants sur le marché du travail.Thomas Simon, Assistant Professor, Montpellier Business SchoolXavier Philippe, Enseignant-chercheur en sociologie du travail. Laboratoire Métis, EM NormandieLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2238922024-03-11T10:59:46Z2024-03-11T10:59:46ZDoit-on être gentil au travail ?<p>Au fil des dernières années, l’importance de la gentillesse au sein du milieu professionnel s’est accrue, devenant un élément central de la gestion des organisations. Cet « <a href="https://www.oxfordlearnersdictionaries.com/definition/american_english/kindness">acte de bonté</a> », comme défini par l’Oxford Learner’s Dictionaries, met en outre en relief le choix actif et délibéré de manifester compassion et empathie envers les autres.</p>
<p>Cela sous-entend que la gentillesse n’est pas simplement une caractéristique passive, mais une manière proactive d’interagir avec les autres. L’<em>American Psychology Association (APA)</em> décrit la gentillesse comme :</p>
<blockquote>
<p>« une <a href="https://dictionary.apa.org/kindness">action bienveillante et utile</a> dirigée intentionnellement vers une autre personne. On considère souvent que la gentillesse est motivée par le désir d’aider autrui et non par le désir d’obtenir une récompense explicite ou d’éviter une punition explicite. »</p>
</blockquote>
<p>L’accent est mis ici sur les motivations sous-jacentes des actes de gentillesse, en soulignant qu’ils sont ancrés dans une véritable intention altruiste plutôt que dans la recherche d’un gain personnel ou d’évitement de conséquences négatives.</p>
<p>Les recherches existantes sur la gentillesse au travail mettent en avant ses <a href="https://psycnet.apa.org/record/2018-12418-001">effets positifs</a>, notamment l’amélioration de la satisfaction au travail, la réduction du stress et le renforcement du bien-être mental et de la productivité. Les actes de gentillesse génèrent un effet d’entraînement, favorisant un environnement propice à la coopération. Ils renforcent aussi la confiance mutuelle.</p>
<p>Malgré ces résultats encourageants, il faut noter que certains aspects de la gentillesse au travail demeurent peu explorés, notamment en ce qui a trait au lien avec le leadership ou encore à ses limites pour le bon fonctionnement des organisations.</p>
<h2>« Chercher la connexion avec l’autre »</h2>
<p>Pour approfondir notre compréhension de ce phénomène, nous avons réalisé des recherches afin d’élaborer et de valider une <a href="https://www.cairn.info/revue-de-gestion-des-ressources-humaines-2023-4-page-51.html">échelle mesurant la gentillesse au travail</a>, allant au-delà de la simple quantification d’actions aléatoires, c’est-à-dire de gestes que nous faisons tous quotidiennement et à notre gré.</p>
<p>Nous avons initialement sollicité les retours d’un large éventail diversifié de professionnels afin de créer cet instrument multidimensionnel de mesure (un questionnaire). Certains commentaires ont apporté un éclairage concret sur cette réalité organisationnelle. Pour l’un des gestionnaires rencontrés, la gentillesse, c’est :</p>
<blockquote>
<p>« chercher à comprendre l’autre et à lui faire une place chez nous le [lieu de travail], ça nous rapproche et nous permet d’aller finalement ensuite plus loin sur notre propre liberté de parole envers l’équipe. »</p>
</blockquote>
<p>Un autre souligne :</p>
<blockquote>
<p>« Il est très important pour nous d’avoir un manager capable d’écouter et d’aider en cas de besoin. Notre performance passe par la disponibilité du manager à son équipe… surtout à distance. »</p>
</blockquote>
<p>Enfin, un troisième gestionnaire s’exprime ainsi :</p>
<blockquote>
<p>« Pour ma part, dans notre petite entreprise, je mets un point d’honneur à aider personnellement mes collaborateurs dans leur vie privée quand je le peux. Généralement, cela crée une espèce de reconnaissance et je pense que cela explique pourquoi je ne galère pas à recruter et que les gens restent assez longtemps chez nous. »</p>
</blockquote>
<p>Les autres participants ont mentionné les aspects positifs de la gentillesse tels qu’une ambiance de travail mettant en valeur le respect, l’effort et la réussite. Une culture organisationnelle favorable et des initiatives visant à renforcer la diversité et l’inclusion ont également été fortement appréciées.</p>
<hr>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<p>Certains répondants ont émis des inquiétudes quant à une approche potentiellement superficielle de la diversité, suggérant un manque de reconnaissance envers les idées et opinions divergentes. D’autres ont critiqué ce qu’ils considéraient comme des stratégies d’évitement adoptées par certaines entreprises confrontées à des conflits ou des défis.</p>
<h2>Et vous, comment ça se passe au travail ?</h2>
<p>À la suite de ces témoignages et de nos recherches, notamment dans les écrits scientifiques, nous avons identifié plusieurs composantes de la gentillesse au travail. Nous nous sommes concentrés sur trois d’entre elles dans un récent <a href="https://www.cairn.info/revue-de-gestion-des-ressources-humaines-2023-4-page-51.htm">article</a> : (1) l’empathie ; (2) l’inclusion ; et (3) la reconnaissance des efforts.</p>
<p>Une fois notre échelle de mesure temporaire établie (le questionnaire), nous l’avons testé sur un groupe de 160 individus puis sur un groupe de 241 participants. L’analyse des résultats montre que l’intention de quitter son emploi diminue de manière significative dans un environnement où la gentillesse est de mise. Nous avons également constaté un consensus sur le fait que la gentillesse a un impact positif sur la stabilité des organisations.</p>
<p>Le lien suivant vous dirige vers notre <a href="https://sphinx.icn-artem.com/SurveyServer/s/pedagogie/Kindness_5/questionnaire.htm">questionnaire</a> mis à jour. Après l’avoir rempli, vous obtiendrez un compte-rendu de la gentillesse dans votre milieu de travail de votre point de vue, y compris selon les trois dimensions susmentionnées.</p>
<p><strong>Votre cadre de travail se caractérise-t-il par la gentillesse ?</strong></p>
<p><em><strong>Faîtes le test en cliquant <a href="https://sphinx.icn-artem.com/SurveyServer/s/pedagogie/Kindness_5/questionnaire.htm">ici</a>.</strong></em></p>
<p>Il faut préciser ici que la gentillesse peut être une arme à double tranchant. En dose excessive, elle pourrait générer des comportements de travail aliénants (« <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/0149206313503019"><em>counterproductive work behaviors</em> ou CWB</a> » dans la littérature scientifique) de la part d’employés qui en profiteraient pour <a href="https://www.jstor.org/stable/256693">soutirer indûment des avantages</a>.</p>
<p>Ces derniers incluent prendre des pauses excessives, arriver en retard au travail, se déclarer malade sans raison, faire preuve d’un laisser-aller vestimentaire, faire moins attention aux normes de qualité, passer son temps sur des réseaux sociaux, utiliser les ressources de l’entreprise à des fins personnelles, etc.</p>
<p>Nous supputons, pour l’instant, que la gentillesse au travail favorise la confiance et la collaboration, mais qu’elle doit aussi s’inscrire dans un cadre de productivité afin de limiter les abus possibles. Un très haut niveau gentillesse au travail qui serait accompagné par un manque de productivité dans une organisation pourrait, en effet, aller à l’encontre des intérêts de tout un chacun.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/223892/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Selon un travail de recherche, la gentillesse favorise l’ambiance et la stabilité d’une organisation. À condition de ne pas en abuser.Olivier Mesly, Enseignant-chercheur au laboratoire CEREFIGE, université de Lorraine, professeur de marketing, ICN Business SchoolSilvester Ivanaj, Full Professeur, Département Management de la Supply Chain et des Systèmes d'Information, ICN Business SchoolSteve Ordener, Research Project Leader in Organizational Behavior, ICN Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2251982024-03-11T10:59:43Z2024-03-11T10:59:43ZÉquipes performantes : les effets positifs de la confiance partagée<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/580105/original/file-20240306-27-4moa9z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=22%2C5%2C1721%2C1118&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La confiance facilite la communication en favorisant l’ouverture, la familiarité et la fiabilité, qui impactent à leur tour la performance de l’équipe.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.publicdomainpictures.net/fr/view-image.php?image=265143&picture=mentor-aide-escalade-main">Publicdomainpictures.net/Mohamed Mahmoud Hassan</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Nous savons depuis longtemps que la confiance joue un rôle clé dans la performance des équipes. De nombreux travaux l’ont mis en évidence ces dernières années. La confiance facilite la communication dans les relations en favorisant l’ouverture, la familiarité et la fiabilité, qui impactent à leur tour la performance de l’équipe. Mais cette notion de confiance reste essentiellement comprise (<a href="https://journals.aom.org/doi/abs/10.5465/amj.2005.18803928">au niveau des recherches scientifiques</a>) et abordée (<a href="https://www.eyrolles.com/Entreprise/Livre/le-management-par-la-confiance-9782212574319/">au niveau des pratiques d’entreprises</a>) comme une relation ente deux individus, ou entre un individu et un groupe.</p>
<p>Or, en analysant uniquement les effets de variables du type « j’ai confiance en mon manager » ou « j’ai confiance en mes coéquipiers », les études classiques ne capturent pas le degré de convergence des perceptions de confiance ni son effet potentiel sur la performance. En d’autres termes, nous savons si les membres de l’équipe ont confiance en leur manager ou leur équipe au sens large, mais nous savons rarement si les membres de l’équipe ont tous confiance les uns envers les autres.</p>
<p>En effet, la confiance est une notion plus complexe qu’il n’y parait et la question de « confiance partagée » au sein d’une équipe joue un rôle clé. <a href="https://psycnet.apa.org/record/2009-08059-004">Concept récent</a> dans la littérature académique, cette confiance partagée est depuis longtemps au cœur des pratiques des équipes hautement performantes, notamment celles opérant dans des organisations à haute fiabilité (par exemple, chez les <a href="https://journals.aom.org/doi/abs/10.5465/amj.2006.0241">pompiers</a>).</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<p><em>Chaque lundi, que vous soyez dirigeants en quête de stratégies ou salariés qui s'interrogent sur les choix de leur hiérarchie, recevez dans votre boîte mail les clés de la recherche pour la vie professionnelle et les conseils de nos experts dans notre newsletter thématique « Entreprise(s) ».</em></p>
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<p>Le fait qu’une équipe converge dans ses perceptions de confiance joue aussi un rôle majeur pour construire des collectifs solidaires et performants dans des organisations plus traditionnelles. C’est ce que nous enseigne l’étude que nous avons menée (à paraître), en collaboration avec la plate-forme d’aide au management Open Decide, auprès de plus de 1 400 collaborateurs et 120 équipes au cours des trois dernières années.</p>
<h2>A-t-on confiance les uns envers les autres ?</h2>
<p>Faire converger les perceptions de confiance réduit l’incertitude relationnelle en permettant aux membres de l’équipe de mieux estimer et anticiper les réactions des autres. Différents types de « combinaisons de confiance » sont possibles dans les équipes.</p>
<p>Dans certaines équipes, il y aura convergence des perceptions de confiance, c’est-à-dire que tous les membres de l’équipe seront exactement à quoi s’en tenir en termes de confiance au sein de leur collectif. La convergence pourra s’opérer à un niveau de faible confiance : les membres de l’équipe se font peu confiance mais, en ayant réduit l’incertitude relationnelle, peuvent mieux prédire les comportements des autres et, in fine, adapter leurs attentes et comportements au juste niveau.</p>
<p>Chez d’autres, comme les équipes des forces spéciales françaises que nous avons pu étudier dans une <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1002/pmj.20181">autre recherche</a>, la convergence pourra s’établir à un haut niveau de confiance permettant au collectif de bénéficier d’une acceptation de vulnérabilité et d’un engagement total et de chacun de ses membres.</p>
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<img alt="Poignée de main dans un contexte professionnel" src="https://images.theconversation.com/files/580108/original/file-20240306-16-7m3osg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/580108/original/file-20240306-16-7m3osg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/580108/original/file-20240306-16-7m3osg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/580108/original/file-20240306-16-7m3osg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/580108/original/file-20240306-16-7m3osg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/580108/original/file-20240306-16-7m3osg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/580108/original/file-20240306-16-7m3osg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Différents types de « combinaisons de confiance » sont possibles dans les équipes.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://pxhere.com/en/photo/1640268#google_vignette">Pxhere</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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</figure>
<p>À l’inverse, dans d’autres équipes, les perceptions de confiance peuvent diverger. Si la confiance d’un membre envers ses coéquipiers est supérieure à la confiance qu’ils ont envers lui, il court le risque de voir ses attentes déçues ou de se rendre vulnérable à une partie qui in fine exploitera cette vulnérabilité. Dans ce cas-là, il réagira négativement sur un plan émotionnel et aura tendance à diminuer son engagement au sein de l’équipe.</p>
<p>Dans le cas contraire, si la confiance d’un individu dans l’équipe est plus basse, il risque de décevoir les attentes de ses coéquipiers et ne bénéficiera sans doute pas d’autant d’aide que ce qu’il pourrait en attendre. Et si aucun processus collectif ne vient faire converger les perceptions, la divergence peut perdurer et affecter négativement la performance.</p>
<h2>Résoudre le dilemme social fondamental</h2>
<p>Nos travaux de recherche donnent à voir que, lorsque cette confiance dans l’équipe est partagée, cela a aussi des impacts positifs sur la volonté de s’entraider. Cet effet positif existe au-delà des seuls effets de la confiance individuelle plus classiquement considérée.</p>
<p>La volonté de s’entraider constitue une dimension de ce que les scientifiques appellent « les <a href="https://psycnet.apa.org/record/1988-97376-000">comportements citoyens</a> ». Ces comportements sont discrétionnaires, variables selon les personnes, pas forcément reconnus au sein de l’organisation, quand bien même ils favorisent le fonctionnement des collectifs. Volontaires, ils vont au-delà de ce qui est attendu dans la fiche de poste. C’est par exemple se rendre disponible pour un membre de l’équipe qui fait face à un problème, qu’il soit professionnel ou non.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Illustration de solidarité dans une équipe" src="https://images.theconversation.com/files/580109/original/file-20240306-22-jhurew.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/580109/original/file-20240306-22-jhurew.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=488&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/580109/original/file-20240306-22-jhurew.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=488&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/580109/original/file-20240306-22-jhurew.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=488&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/580109/original/file-20240306-22-jhurew.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=613&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/580109/original/file-20240306-22-jhurew.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=613&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/580109/original/file-20240306-22-jhurew.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=613&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">L’entraide, un « comportement citoyen ».</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://pxhere.com/en/photo/1440157">Pxhere</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>Les études montrent que ces comportements citoyens favorisent la <a href="https://psycnet.apa.org/record/2006-20695-017">performance des groupes</a>, tout particulièrement lorsque les individus sont interdépendants dans la réalisation de leurs tâches.</p>
<h2>Encourager le partage de la confiance</h2>
<p>Comment les managers peuvent-ils encourager ce partage de confiance dans leurs équipes ? Nouvelle dimension de leur leadership, ces derniers doivent mettre en place des process qui permettent à leurs collaborateurs d’éprouver leur confiance réciproque et de tester progressivement l’ouverture et l’acceptation de leur vulnérabilité.</p>
<p>À l’instar des pratiques en place dans les équipes opérant en contexte de haute fiabilité, les managers doivent mettre en place des processus de feedback collectifs réguliers, s’assurer de l’explicitation claire des règles collectives à l’œuvre et garantir la transparence de la communication au sein de l’équipe.</p>
<p>Loin d’être évidents à mettre en œuvre, ces processus réclament des temps dédiés (à faire rentrer dans des agendas très chargés), de la compétence d’accompagnement d’échanges entre les pairs (de type co-développement) et une efficacité de communication dans le rappel des règles et des rôles de chacun de la part du manager.</p>
<p>Enfin, encourager les activités de socialisation formelles et informelles permettent aux membres de l’équipe de parfaire leur connaissance mutuelle et de se découvrir dans un contexte sans attente de performance, plus propice à l’expression « vraie » de soi.</p>
<hr>
<p><em>Emilia Keegan, directrice scientifique chez Open Decide, a contribué à la rédaction de cet article</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/225198/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Tessa Melkonian est membre du conseil scientifique d’Open Decide.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Marion Fortin est membre du conseil scientifique d’Open Decide.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Yannick Griep est membre du conseil scientifique d’Open Decide.</span></em></p>En entreprise, les membres d’une même équipe doivent non seulement faire confiance à leur manager mais aussi pouvoir compter les uns sur les autres. La recherche commence à s’intéresser à cet enjeu.Tessa Melkonian, Professeur en management et comportement organisationnel, EM Lyon Business SchoolMarion Fortin, Professeur des Universités en comportement organisationnel, Toulouse School of ManagementYannick Griep, Associate Professor at the Behavioural Science Institute, Radboud UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2250292024-03-11T10:59:40Z2024-03-11T10:59:40ZLe management des travailleurs indépendants nécessite une communication adaptée<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/579581/original/file-20240304-28-1uzfss.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=15%2C15%2C1793%2C1161&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">On compte aujourd’hui plus de 3,4&nbsp;millions de travailleurs indépendants en France.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/157089461@N07/26239556407">Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Le travail indépendant, même s’il n’est pas nouveau, gagne en popularité en France. Depuis 2008 et le lancement du statut d’auto-entrepreneur, le nombre de « free-lancers » n’a ainsi jamais cessé de croître pour <a href="https://fr.statista.com/themes/6975/les-freelances-en-france/#topicOverview">dépasser les 3,4 millions en 2022</a>. La tendance montre une <a href="https://fr.statista.com/statistiques/938358/nombre-travailleurs-independants-france/">croissance constante</a> dans tous les différents secteurs d’activité, dont 20 % dans le <a href="https://fr.statista.com/statistiques/1134520/micro-entrepreneurs-par-secteur-france/">e-commerce</a>.</p>
<p><iframe id="08Rwq" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/08Rwq/2/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Ce phénomène soulève toutefois des enjeux managériaux pour les entreprises. Parmi les défis majeurs figure notamment la question de leur inclusion, sur des durées par définition déterminées à l’avance, au sein des équipes en place. En effet, les travailleurs indépendants ne sont pas intégrés directement dans l’organisation et ne sont donc pas concernés par les politiques de ressources humaines à destination des salariés.</p>
<p>C’est pourquoi il s’agit, pour les managers, de redoubler d’efforts dans la communication, comme nous le soulignons dans une <a href="https://en.em-normandie.com/professors-directory/aneta-orlinska">recherche</a> récente.</p>
<h2>Communication ouverte sur les tâches</h2>
<p>Dans les entreprises, le manque d’intérêt pour les pratiques formelles d’inclusion peut notamment s’expliquer par le fait que les travailleurs indépendants sont engagés dans des projets à court terme et qu’ils travaillent avec plusieurs clients à la fois. La communication d’informations précises concernant le travail et les instructions relatives aux tâches par les managers, au moyen d’échanges informels et directs, devient donc nécessaire compenser l’absence de pratiques organisationnelles d’inclusion.</p>
<p>Une analyste que nous avons rencontrée dans le cadre de nos travaux a souligné le rôle clé joué par la clarté des consignes lors d’une de ses missions en cours :</p>
<blockquote>
<p>« Pour ce travail, je reçois des indications claires, quand j’en ai besoin […]. J’apprécie cela […]. Sinon je ne me sentirais pas à l’aise de travailler pour une organisation ni ne me sentirais incluse. »</p>
</blockquote>
<p>Un autre élément important de la communication est l’utilisation de divers canaux, offrant ainsi une plus grande flexibilité aux travailleurs indépendants. Un des interviewés l’exprime clairement :</p>
<blockquote>
<p>« Être inclusif, pour moi, c’est accepter que les travailleurs indépendants indiquent leurs préférences de communication et ce qui leur convient le mieux »</p>
</blockquote>
<h2>Un management différent</h2>
<p>Dans les organisations qui font appel à des travailleurs indépendants, les échanges informels prévalent donc sur les <a href="https://en.em-normandie.com/professors-directory/aneta-orlinska">procédures formelles</a> de gestion des ressources humaines. Ainsi, mettre l’accent sur l’ambiance de travail reste essentiel pour créer un environnement inclusif.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption"></span>
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<p>Interrogés sur ce que représente la notion d’« inclusion », les travailleurs indépendants insistent sur cette dimension d’ambiance, bien plus que sur des dimensions liées à l’identité de l’individu. Un rédacteur en free-lance apprécie par exemple :</p>
<blockquote>
<p>« Un environnement dynamique, flexible […] chaleureux, vivant […] et plus informel que dans les structures traditionnelles ».</p>
</blockquote>
<p>En effet, es travailleurs indépendants valorisent la flexibilité et l’adaptabilité dans leur travail, des caractéristiques mieux soutenues par une atmosphère informelle positive. Les structures rigides peuvent limiter leur capacité à s’adapter rapidement aux changements de projet ou aux demandes des clients. Pour les travailleurs en free-lance, qui peuvent se sentir isolés du fait de leur travail à distance ou en solo, l’ambiance informelle apparaît donc cruciale pour se sentir connectés avec leur manager et inclus.</p>
<p>Pour les managers, voici donc quelques points à méditer avant de se lancer dans des stratégies de gestion plus flexibles : externaliser certaines tâches auprès de free-lancers ne demandera pas forcément moins de management, mais un management différent.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/225029/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Aneta Hamza-Orlinska ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Une étude montre que les managers doivent veiller à la clarté de leurs consignes et contribuer à créer un environnement informel positif pour une meilleure collaboration avec les « freelancers ».Aneta Hamza-Orlinska, Professeure assistante en gestion des ressources humaines, EM NormandieLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2239152024-03-07T16:19:29Z2024-03-07T16:19:29ZQuatre ans après le Covid, les régimes de télétravail restent moins favorables aux femmes<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/576509/original/file-20240219-28-vjcwtt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=13%2C1%2C695%2C482&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">46% des femmes prennent moins de pauses en télétravail qu’en présentiel contre 35% des hommes.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.pickpik.com/digital-nomad-millenial-woman-working-remotely-cafe-blonde-78850">Pickpic</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Près de 4 ans après le début de la pandémie mondiale de Covid-19, au cours de laquelle le <a href="https://theconversation.com/fr/topics/teletravail-34157">télétravail</a> s’est particulièrement développé, l’<a href="https://obstt.fr/wp-content/uploads/sites/47/2023/12/Dossier_Presse-Observatoire_Teletravail-Ugict-CGT.pdf">enquête</a> de l’Observatoire du télétravail de l’Union générale des ingénieurs, cadres et techniciens de la CGT, publiée le 6 décembre dernier, permet de dresser un état des lieux. Il en ressort notamment que les femmes se montrent particulièrement adeptes de cette forme de travail, alors même qu’elle se décline pour elles de manière moins favorable.</p>
<p>Les femmes sont plus nombreuses que les hommes à souhaiter télétravailler davantage. Rien d’étonnant, puisqu’en réduisant les temps de transport, le télétravail offre la perspective d’une meilleure articulation des temps professionnels et familiaux, dont la gestion repose principalement sur les femmes qui effectuent la <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/fichier/1303226/ES478E.pdf">majeure partie du travail domestique avant</a> comme <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/fichier/6477736/01_ES536-37_Pailhe-et-al_FR.pdf">pendant la pandémie</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/penser-a-tout-pourquoi-la-charge-mentale-des-femmes-nest-pas-pres-de-salleger-221659">« Penser à tout » : pourquoi la charge mentale des femmes n’est pas près de s’alléger</a>
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<p>Mais cette aspiration des femmes au télétravail est également intimement liée aux conditions d’exercice de l’activité professionnelle en présentiel. Sur site, elles bénéficient en moyenne de <a href="https://www.cairn.info/revue-des-politiques-sociales-et-familiales-2023-4-page-15.htm?contenu=article">moins de libertés dans l’organisation de leur temps de travail</a>, pouvant moins souvent que les hommes modifier elles-mêmes leurs horaires ou s’absenter en cas d’imprévu, y compris à poste équivalent. Le télétravail leur promet ainsi une plus grande autonomie.</p>
<p>Enfin, dans la mesure où <a href="https://dares.travail-emploi.gouv.fr/sites/default/files/pdf/synthese_stat__expositions_professionnelles__contraintes_organisationnelles__relationnelles.pdf">elles occupent plus souvent que les hommes des métiers en contact avec le public</a> et sont plus exposées à effectuer du <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/le_prix_des_sentiments-9782707188960">« travail émotionnel »</a> avec la clientèle ou les collègues, le télétravail peut leur apparaître plus encore qu’aux hommes comme un moyen de se ménager des plages de travail avec moins d’interruptions et plus de concentration. Les télétravailleuses sont d’ailleurs plus nombreuses que les télétravailleurs à considérer que cette forme de travail leur permet de gagner en efficacité et une meilleure productivité, tout en étant moins sensibles qu’eux aux éventuelles déperditions d’information.</p>
<p><iframe id="40PdP" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/40PdP/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<h2>Le télétravail, plus contraignant au féminin</h2>
<p>Plus désiré par les femmes, le télétravail reste paradoxalement plus contraignant au féminin qu’au masculin. Plusieurs raisons à cela : les femmes disposent d’abord de moins de latitude pour faire valoir leurs souhaits et contraintes dans la mise en place de leur télétravail. Les choix du nombre de jours de télétravail hebdomadaire et de leur répartition sur la semaine leur sont plus souvent imposés qu’aux hommes (24 % pour les femmes et 13 % pour les hommes).</p>
<p>Ensuite, durant une journée de télétravail, les femmes sont plus souvent contraintes de respecter des plages horaires fixes durant lesquelles elles sont joignables (53 % contre 41 % des hommes), quel que soit leur niveau hiérarchique. Elles peuvent dès lors moins facilement que les hommes profiter du télétravail pour s’organiser en adaptant leurs horaires (22 % n’en ont pas la possibilité contre 12 % des hommes). Les conséquences sur le rythme de travail leur sont par ailleurs plus défavorables avec un travail plus dense en télétravail – 46 % des femmes prennent moins de pauses en télétravail qu’en présentiel contre 35 % des hommes.</p>
<p>A contrario, si la moitié des répondants (femmes comme hommes) déclarent profiter du temps gagné dans les transports pour le consacrer au repos et à leur famille, les hommes se démarquent en déclarant davantage que le télétravail leur permet de consacrer du temps à leurs loisirs (44 % des hommes pour seulement 28 % des femmes) et/ou de travailler plus (39 % des hommes contre 31 % des femmes).</p>
<p>Le télétravail se solde donc pour les femmes par des journées <a href="https://www.cairn.info/revue-germinal-2023-1-page-124.htm">pas forcément plus longues mais plus intenses</a>, d’autant plus qu’elles restent <a href="https://luttevirale.fr/wp-content/uploads/2020/05/RAPPORT-ENQUETE-UGICT-CGT-VFINALE.pdf">moins bien équipées</a> par leurs entreprises et qu’elles sont <a href="https://dares.travail-emploi.gouv.fr/sites/default/files/5171e9d0f2d214774c44afc82353563a/Dares-Analyses_Teletravail-durant-crise-sanitaire-Partiques-Impacts.pdf">plus souvent concernées que les hommes par des difficultés techniques</a> qui rendent leur activité moins fluide et plus hachée (problèmes de connexion, de matériel, d’applications numériques).</p>
<p><iframe id="cKLM1" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/cKLM1/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<h2>Carence d’information</h2>
<p>Enfin, l’enquête de l’Observatoire du télétravail a pointé que les salariés sont trop rarement consultés lors de réorganisations des espaces de travail accompagnant la mise en place du télétravail (passage en « open space » ou en « flex office »).</p>
<p>Cette carence d’information s’observe également au niveau de l’organisation du travail. Un tiers seulement des salariés considèrent que la mise en place du télétravail a été décidée en concertation avec l’équipe. Les femmes semblent encore plus éloignées de ces prises de décisions : elles déclarent plus fréquemment que les hommes ne pas savoir comment le travail en équipe en distanciel a été organisé (28 % contre 21 % des hommes), ni si un dispositif de surveillance à distance de leur travail existe (47 % contre 39 %).</p>
<p>Les femmes sont donc à la fois plus contraintes par le télétravail et moins informées sur sa mise en place, ce qui témoigne de la place qu’elles occupent dans les politiques de télétravail des organisations.</p>
<h2>Le télétravail a souvent « mauvais genre »</h2>
<p>L’accès des femmes au télétravail reste relativement récent. Si elles télétravaillent aujourd’hui à même hauteur que les hommes et <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/fichier/6966932/ip1941.pdf">même un peu plus</a>, pendant longtemps le télétravailleur type était un <a href="https://dares.travail-emploi.gouv.fr/sites/default/files/938f3d78a355590d73f21b2976526f8f/2004-51.3.pdf">homme, cadre</a>, qui travaillait à distance de manière occasionnelle et le plus souvent informelle, dans des arrangements interpersonnels au cas par cas.</p>
<p>Avant la pandémie encore, le <a href="https://dares.travail-emploi.gouv.fr/sites/default/files/pdf/dares_analyses_salaries_teletravail.pdf">télétravail occasionnel prédomine</a> sur le télétravail régulier : il reste l’apanage des cadres et demeure plus masculin. Il a fallu la crise sanitaire et la <a href="https://theconversation.com/teletravail-le-Covid-a-accelere-la-mise-en-place-de-formules-a-la-carte-174090">multiplication des accords de télétravail</a> pour que les femmes accèdent plus largement au télétravail, en particulier les femmes non-cadres, qui occupent des positions de professions intermédiaires ou d’employées dans des métiers de bureau.</p>
<p>Cette forte féminisation et cette relative démocratisation du télétravail ne se font pas sans heurts. Les <a href="https://www.cairn.info/le-travail-a-distance--9782348079481-page-203.htm">enquêtes ethnographiques</a> au long cours menées par l’une de nous montrent que les politiques de télétravail menées par les organisations ne sont pas neutres du point de vue du genre. Alors que le télétravail est en théorie destiné à toutes et tous, elles en dessinent des figures plus ou moins désirables et légitimes, marquées par des stéréotypes.</p>
<p>Dans un certain nombre d’organisations, le télétravail est mis en place à reculons, du fait d’obligations réglementaires ou de la crise sanitaire. Il est conçu comme une politique sociale très (trop) favorable aux salariés qui risque de peser sur la productivité. À bien y regarder, le soupçon pèse d’abord sur les femmes et les mères de famille, suspectées d’être peu engagées et de vouloir télétravailler le mercredi pour garder leurs enfants, d’autant plus lorsqu’elles occupent des postes à peu de responsabilités.</p>
<p>Dans ces organisations, les hommes hésitent plus à recourir à un dispositif qui a « mauvais genre », tandis que les femmes qui le font sont stigmatisées et restent très contrôlées, leur travail à distance étant attentivement scruté.</p>
<p>Dans d’autres organisations, une <a href="https://www.anact.fr/teletravail-les-enjeux">orientation plus organisationnelle est donnée au télétravail</a>, abordé au contraire comme un signal de modernité et une opportunité pour mettre en place de « nouveaux modes de travail ». La figure implicite du télétravailleur est plutôt celle du « bon manager », qui fait confiance à ses équipes et leur donne de l’autonomie.</p>
<p>Pour autant, cette figure, <a href="https://www.cairn.info/revue-travail-genre-et-societes-2007-1-page-79.htm?contenu=article">construite au « masculin-neutre »</a>, peine à se décliner aux échelons hiérarchiques inférieurs, structurellement plus féminisés. L’accès au télétravail y demeure souvent plus compliqué – on rechigne par exemple à accorder du télétravail aux assistantes, que l’on aime garder sous la main – et sa pratique peut là aussi être plus restreinte en termes de nombre de jours accordés ou de possibilités d’adapter ses horaires.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/223915/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Une enquête montre que, bien qu’apprécié par les salariées, ce mode de travail, à poste égal, les contraint davantage que les hommes.Gabrielle Schütz, Maîtresse de conférences en sociologie, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay Céline Dumoulin, Ingénieure de recherche, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2247972024-03-06T16:08:59Z2024-03-06T16:08:59ZS’inspirer du Bauhaus, une école de design pionnière, pour gérer la transition verte<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/578918/original/file-20240229-16-p8z0hc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C3924%2C2358&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L'école du Bauhaus à Dessau associait à une école d'architecture et de design des ateliers depuis lequels cette photo est prise.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/B%C3%A2timent_du_Bauhaus_%28Dessau%29#/media/Fichier:Bauhaus_Dessau_2018.jpg">Aufbacksalami / Wikimedia Commons</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Depuis plusieurs années, les recherches et les formations conduites en partenariat avec les acteurs socio-économiques témoignent de leur mobilisation pour œuvrer aux transitions qu’appellent notre temps, au premier rang desquelles la transition verte. Ici un fournisseur de l’aéronautique développe une <a href="https://www.cgs.minesparis.psl.eu/presentation/option-ic/#:%7E:text=L%27option%20Ing%C3%A9nierie%20de%20la,innovation%20et%20aux%20projets%20industriels">nouvelle filière pour le recyclage de ses composants</a> ; là une entreprise soutient la <a href="https://www.cgs.minesparis.psl.eu/presentation/option-ic/">mobilisation collective pour réinventer les stations de ski</a> face au changement climatique ; ailleurs le <a href="https://e-shape.eu/index.php/co-design">co-design</a> permet aux acteurs de mobiliser la donnée satellitaire pour de nouveaux services à fort impact pour le développement durable. Certains travaillent à <a href="https://www.usinenouvelle.com/article/comme-un-air-de-revolution-chez-verallia.N2206927">alléger radicalement la bouteille en verre pour diminuer l’impact environnemental</a>, quand d’autres reconçoivent des socio-agro-écosystèmes avec de <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/rapports/cepestici/l16b2000-t1_rapport-enquete">meilleurs couplages alimentation-agriculture-environnement</a>.</p>
<p>À peine entamées, les nombreuses transitions semblent pourtant <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2024/02/23/la-transition-ecologique-est-mal-partie_6218115_3234.html">déjà à la peine</a>. Les sciences de gestion nous indiquent que ces difficultés tiennent notamment au fait que manquent aujourd’hui les capacités à gérer collectivement l’inconnu. En effet il ne s’agit pas de suivre une <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/sans-transition-jean-baptiste-fressoz/9782021538557">trajectoire prédéfinie</a> vers un état final bien connu, comme le laisserait penser l’origine de la notion de transition. Les transitions contemporaines sont des transitions vers l’inconnu : il s’agit d’inventer un futur soutenable face aux crises et aux limites des modes de développement passés. De la notion, on peut cependant conserver le caractère systémique : toutes les dimensions de l’action sont à réinventer.</p>
<p>Les transitions contemporaines appellent ainsi un renouvellement des sciences, des usages et modes de vie, des compétences, des régimes de collaboration et de solidarité, des responsabilités, des façons d’apprendre et de transmettre… Loin d’un <a href="https://theconversation.com/les-cornucopiens-sont-parmi-nous-mais-qui-sont-ils-210481">techno-solutionisme naïf</a>, le besoin de conception se révèle immense et sous-estimé, tant il porte sur des aspects qui dépassent les catégories usuelles de la R&D et de la technologie. Et les sciences de gestion nous alertent : gérer les efforts de conception collective pour les transitions dans l’inconnu suppose un changement de paradigme majeur pour le management.</p>
<h2>De la destruction créatrice à la préservation créatrice ?</h2>
<p>Longtemps le manager a été assimilé au décideur, un décideur qui ne verrait dans les transitions contemporaines que des dilemmes sacrificiels où chaque décision ne fait que des perdants, conduisant inexorablement à un durcissement des positions et des discours : l’emploi contre la biodiversité, la paix sociale contre l’environnement, la mobilité pour tous contre les motorisations décarbonées… Le manager-décideur sera ainsi tenté de trancher et d’assurer une acceptabilité sociale minimale.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1689581528014028800"}"></div></p>
<p>Cependant face à l’inconnu, il ne s’agit pas de décider mais de concevoir. Le manager-concepteur organise l’exploration collective pour imaginer de nouvelles alternatives plus durables, plus soutenables, plus résilientes. Ceci se fait en mobilisant l’ensemble des ressources inventives sciences-arts-industries-sociétés pour dessiner les prospérités et les puissances futures.</p>
<p>La gestion de l’inconnu a pu se développer fortement dans les départements d’innovation apparus dans les entreprises et les organisations ces dernières années. Mais la gestion des inconnus des transitions présente deux caractéristiques singulières.</p>
<p>D’une part, les transitions contemporaines posent la question de la préservation tant des ressources que du vivre-ensemble, des valeurs ou des modes de vie. Le régime d’innovation ne saurait ici être une création destructrice schumpétérienne mais bien plutôt une <a href="https://minesparis-psl.hal.science/hal-03418896/document">création préservatrice</a>.</p>
<p>D’autre part, les transitions impactent de très nombreux acteurs : citoyens, associations, politiques, universitaires, et, dans l’entreprise, les fonctions les plus variées. Il s’agit aujourd’hui de rendre tous ces acteurs concepteurs, bien au-delà du strict cadre des « experts de l’innovation ». En résumé, gérer les inconnus des transitions suppose une action collective qui soit une création préservatrice dans laquelle tous les acteurs peuvent être concepteurs.</p>
<h2>S’inspirer du Bauhaus, une école de design pionnière</h2>
<p>Ce management reste largement à inventer. Il a certes été <a href="https://www.johnljerz.com/superduper/tlxdownloadsiteMAIN/id592.html">régulièrement évoqué</a> dans les sciences de gestion mais il manquait alors les sous-bassements théoriques rendant compte de cette rationalité dans l’inconnu à la fois génératrice et préservatrice. Les <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s00163-017-0275-2">progrès</a> de la <a href="https://www.tmci.minesparis.psl.eu/">théorie de la conception</a> et les <a href="https://www.pressesdesmines.com/produit/la-mission-de-lentreprise-responsable/">avancées</a> en <a href="https://www.te.minesparis.psl.eu/">gouvernance de l’entreprise</a>, ont contribué à élaborer des fondements plus solides, et ont ouvert la voie à l’exploration des formes, des méthodes, des responsabilités de ce management des inconnus des transitions.</p>
<p>Ces travaux ont éclairé la façon dont des collectifs pouvaient être créatifs car préservateurs en s’appuyant sur leur patrimoine de création. On entend par là un ensemble de savoirs et de règles d’action collective caractérisant ce qui est préservé pour renforcer les logiques créatives associées. Il s’agit aujourd’hui de permettre le déploiement de ces travaux, d’en assurer l’impact socio-économique et l’approfondissement scientifique.</p>
<p>Et si l’inspiration pour cela était puisée dans le monde des formations à la création ?</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/578917/original/file-20240229-30-cm5y8a.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/578917/original/file-20240229-30-cm5y8a.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/578917/original/file-20240229-30-cm5y8a.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=524&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/578917/original/file-20240229-30-cm5y8a.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=524&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/578917/original/file-20240229-30-cm5y8a.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=524&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/578917/original/file-20240229-30-cm5y8a.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=658&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/578917/original/file-20240229-30-cm5y8a.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=658&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/578917/original/file-20240229-30-cm5y8a.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=658&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Logo du Bauhaus, créé en 1922 par Oskar Schlemmer.</span>
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</figure>
<p>Face aux transformations socio-économiques du XX<sup>e</sup> siècle, l’école allemande du Bauhaus réunissait les théoriciens, maîtres de la forme, et les praticiens de la conception, maîtres de la matière, pour développer les forces créatives en combinant les logiques de formation, de recherche et d’impact. Avant qu’elle ne soit dissoute par les nazis, voyant dans ses réalisations un « art dégénéré », et que ses membres partent en exil, elle a construit un apport décisif pour le design, l’industrie et les arts.</p>
<p>Inspirée par ce Bauhaus, et avec le soutien de partenaires partageant l’esprit de ce projet, Mines Paris – PSL inaugure un <a href="https://bauhausdestransitions.minesparis.psl.eu/">nouveau « Bauhaus des transitions »</a>. Chercheurs, praticiens, dirigeants des collectifs inventifs pourront y développer les nouveaux langages (les « formes ») et les nouvelles pratiques (la « matière ») pour gérer les inconnus des transitions contemporaines, en écologie, santé, mobilité, matériaux, énergie, souveraineté industrielle ou encore espaces informationnels.</p>
<p>Ce Bauhaus des transitions du XXI<sup>e</sup> siècle se donne pour objectif de renouveler la culture gestionnaire en approfondissement les modèles de la générativité préservatrice et en expérimentant concrètement des projets à impact. Il se veut un espace pour des recherches-utopies sur de nouvelles formes d’action collective pour gérer l’inconnu en lien avec les autres disciplines scientifiques explorant les logiques génératives (data science, biologie, histoire, mathématiques, sciences de l’ingénieur…). Il s’inscrit dans les réseaux français, <a href="https://community.eelisa.eu/communities/bauhaus-new-ways-in-education-and-management/">européens</a> et mondiaux d’universités, d’entreprises et d’institutions publiques qui ont vocation à répondre aux défis posés par la gestion des inconnus des transitions.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/224797/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Les dynamiques créatives qui existaient au sein de l’école du Bauhaus pourraient-elles nous inspirer pour mieux gérer les inconnus des transitions ?Pascal Le Masson, Professeur Mines Paris - PSL, Mines Paris - PSLBenoit Weil, Professeur, Mines Paris - PSLBlanche Segrestin, Professeur en Sciences de Gestion, Centre de Gestion Scientifique, Mines Paris - PSLSophie Hooge, Professeur en Sciences de Gestion, Mines Paris - PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2238742024-03-03T15:56:22Z2024-03-03T15:56:22ZComment les entreprises peuvent-elles embaucher et soutenir les employés neurodivergents ?<p>Environ <a href="https://www.forbes.com/sites/forbestechcouncil/2021/08/13/neurodiversity-as-a-strengthening-point-for-your-team-and-our-society/">15 à 20 %</a> de la population mondiale se situe sur le spectre de la <a href="https://www.health.harvard.edu/blog/what-is-neurodiversity-202111232645">neurodiversité</a>, qui comprend une variété de diagnostics cognitifs tels que la dyslexie, l’autisme, le trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH), le syndrome de Down et la dyspraxie. Les <a href="https://hbr.org/2017/05/neurodiversity-as-a-competitive-advantage">recherches</a> montrent que les employés neurodivergents ont des compétences exceptionnelles en matière de reconnaissance des formes, de mémoire et de mathématiques, ce qui peut s’avérer très bénéfique pour les entreprises.</p>
<p>En général, les entreprises qui embauchent des employés neurodivergents (par exemple, <a href="https://www.autismatwork.org/about">SAP</a>, <a href="https://www.microsoftalumni.com/s/1769/19/interior.aspx?gid=2&pgid=1119&sid=1769">Microsoft</a>, <a href="https://www.jpmorganchase.com/news-stories/autism-at-work">JPMorgan</a>, <a href="https://www.ey.com/en_us/innovation/neurodiversity-powered-transformation">Ernst & Young</a>, <a href="https://www.deloitte.com/global/en/about/people/social-responsibility/neurodiversity-at-deloitte.html">Deloitte</a>, <a href="https://www.hp.com/us-en/shop/tech-takes/neurodiversity-in-the-office">Hewlett Packard</a>) ont constaté plusieurs <a href="https://www.forbes.com/sites/forbesbusinesscouncil/2023/03/07/why-its-important-to-embrace-neurodiversity-in-the-workplace-and-how-to-do-it-effectively/?sh=15f267294669">avantages</a> tels qu’une productivité accrue, une plus grande créativité, une culture et une réputation améliorées, et une réduction du taux de rotation du personnel. En fait, certaines estimations suggèrent que les employés autistes peuvent être jusqu’à <a href="https://hbr.org/2021/12/autism-doesnt-hold-people-back-at-work-discrimination-does">140 %</a> plus productifs que leurs homologues neurotypiques.</p>
<p>Malgré cette reconnaissance, la grande majorité des personnes neurodivergentes restent sans emploi. Certaines études suggèrent que le taux de chômage chez les personnes neurodivergentes pourrait <a href="https://hbr.org/2017/05/neurodiversity-as-a-competitive-advantage">atteindre 80 %</a>. Cela n’a rien d’étonnant puisque seule <a href="https://sloanreview.mit.edu/article/helping-neurodivergent-employees-succeed/">une</a> entreprise <a href="https://sloanreview.mit.edu/article/helping-neurodivergent-employees-succeed/">sur dix</a> se préoccupe de l’inclusion de la neurodiversité.</p>
<h2>L’entretien d’embauche n’est pas adapté</h2>
<p>Quelles sont les mesures que les entreprises peuvent prendre pour intégrer la neurodiversité ? Sur la base des études existantes et de nos propres recherches auprès des entreprises, nous pouvons identifier trois domaines clés qui doivent être abordés pour l’embauche et la gestion des employés neurodivergents :</p>
<p>Tout d’abord, les entreprises doivent <strong>adapter le processus d’embauche</strong> aux besoins des personnes neurodivergentes. Pour commencer, le langage utilisé dans les offres d’emploi doit être inclusif afin d’éviter toute interprétation erronée.</p>
<p>Par exemple, la banque <a href="https://cib.bnpparibas/harnessing-the-power-of-neurodiversity-in-the-workplace/">BNP Paribas</a> a décidé d’utiliser un langage clair et concis dans ses offres d’emploi. Les organisations peuvent également souligner leur engagement en faveur de la diversité et de l’inclusion.</p>
<p>Ensuite, au lieu d’entretiens, les entreprises peuvent envisager des <strong>évaluations basées sur les compétences</strong>. L’envoi d’un CV suivi d’un premier entretien de sélection n’est pas nécessairement adapté aux personnes autistes, qui peuvent trouver ce type de communication particulièrement difficile. En revanche, grâce à des évaluations basées sur les compétences, les responsables du recrutement pourraient savoir si les candidats sont capables d’effectuer un travail.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Illustration de CV" src="https://images.theconversation.com/files/576460/original/file-20240219-28-g7jxid.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/576460/original/file-20240219-28-g7jxid.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=287&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/576460/original/file-20240219-28-g7jxid.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=287&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/576460/original/file-20240219-28-g7jxid.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=287&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/576460/original/file-20240219-28-g7jxid.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=361&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/576460/original/file-20240219-28-g7jxid.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=361&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/576460/original/file-20240219-28-g7jxid.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=361&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">L’envoi d’un CV suivi d’un premier entretien n’est pas nécessairement adapté aux personnes autistes, qui peuvent trouver ce type de communication particulièrement difficile.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.needpix.com/photo/1812579/cv-curriculum-vitae-interview-recruitment-employment-resume-job-application-unemployed">Needpix.com</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>Dans cette optique, chez l’éditeur de logiciel <a href="https://www.sap.com/insights/viewpoints/the-win-win-potential-of-hiring-neurodiverse-workers.html">SAP</a>, les candidats neurodivergents sont invités à effectuer une série de tâches qui leur permettent de démontrer leurs capacités. De même, le géant du numérique <a href="https://www.microsoft.com/en-us/diversity/inside-microsoft/cross-disability/neurodiversityhiring">Microsoft</a> organise un événement d’embauche au cours duquel les candidats découvrent l’environnement de travail et réfléchissent au développement de leurs compétences tout en se préparant aux entretiens.</p>
<p>Enfin, les entreprises doivent <strong>s’associer à des organisations</strong> qui travaillent avec des personnes neurodivergentes, car elles peuvent manquer d’expertise interne en matière d’embauche. Aux États-Unis, il existe une <a href="https://hbr.org/2022/02/is-your-company-inclusive-of-neurodivergent-employees">quarantaine de structures dédiées</a> à l’accompagnement des entreprises et au soutien des employés neurodivergents. Elles peuvent être d’une grande aide dans l’identification et la sélection des candidats, ainsi que dans l’intégration et la formation de ces derniers.</p>
<h2>« Office buddy »</h2>
<p>Il ne suffit pas d’embaucher des candidats neurodivergents : il est également important qu’ils se sentent soutenus et qu’ils trouvent des occasions de développer leurs compétences. À cet égard, les organisations peuvent s’assurer que leurs employés neurodivergents ont des mentors pour répondre à leurs besoins professionnels et sociaux.</p>
<p>Par exemple, <a href="https://s3-us-west-2.amazonaws.com/palms-awss3-repository/Shared_Content/BAS/PATC/2015/SAP_Autism%2Bat%2BWork%2B-%2Bv2.pdf">SAP</a> s’assure qu’il existe un cercle de soutien pour le lieu de travail et la vie personnelle, tant pour le travail que pour les aspects sociaux liés à l’emploi. De même, le cabinet de conseil EY met à la disposition des employés neurodivergents un « job coach » et un « office buddy » et a également nommé des champions de la neurodiversité et des sponsors exécutifs.</p>
<p>Ensuite, les entreprises doivent réfléchir aux possibilités de développement de carrière et aux parcours personnalisés pour les employés neurodivergents. Il s’agit notamment de réfléchir à des questions telles que la manière dont les performances seront évaluées et la façon dont ils peuvent développer des compétences pour progresser dans leur carrière.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<p>Enfin, pour créer un environnement favorable, il est essentiel de former les personnes qui travaillent avec des employés neurodivergents. Le plus souvent, ce n’est pas la neurodiversité <em>en soi</em> qui est un frein, mais les <a href="https://hbr.org/2021/12/autism-doesnt-hold-people-back-at-work-discrimination-does">préjugés et la discrimination</a> auxquels sont confrontées les personnes concernées. Les employés neurotypiques devraient donc suivre une formation pour lutter contre leurs <a href="https://www.linkedin.com/pulse/neurodiversity-101-whats-your-neurodivergent-bias-prof-amanda-kirby/">préjugés conscients et inconscients</a>.</p>
<p>Ils devraient également développer une sensibilité à l’égard des manières et des méthodes de travail de leurs collègues neurodivergents. Pour créer un environnement favorable, EY forme ses équipes comprenant des employés neurodivergents à communiquer clairement et sans ambiguïté. De même, le cabinet de conseil <a href="https://www2.deloitte.com/uk/en/pages/neurodiversity-learning-guides.html">Deloitte</a> a créé des guides d’apprentissage sur la neurodiversité qui aident les managers à comprendre comment ils peuvent embaucher et soutenir les employés neurodivergents.</p>
<h2>Limiter les réunions</h2>
<p>Enfin, les entreprises devraient réfléchir à la manière dont l’espace de travail et les processus peuvent être <a href="https://www.workdesign.com/2023/07/designing-for-neurodiversity-in-the-workplace/">conçus</a> et adaptés pour répondre aux besoins des employés neurodivergents. Parmi ces adaptations, citons l’utilisation de couleurs plus calmes sur les murs et l’aménagement d’espaces calmes dans le bureau pour faire une pause.</p>
<p>Pour faciliter les réunions, l’ordre du jour et les documents à lire peuvent être envoyés à l’avance. De même, la fréquence et la durée des réunions pourraient être limitées, et des pauses pourraient être prévues en cas de réunions prolongées. Les horaires de travail peuvent également prévoir des jours sans réunion. Les options de <a href="https://hbr.org/2023/08/the-radical-promise-of-truly-flexible-work">travail flexible et à distance</a> facilitent également la gestion des routines de travail et de soins personnels des employés neurodivergents et peuvent éventuellement les aider à construire leur carrière.</p>
<p>Non seulement les grandes entreprises peuvent prendre des mesures en faveur de l’inclusion de la neurodiversité, mais les petites entreprises peuvent également suivre cette voie. Dans le cadre de nos propres <a href="https://www.neilsonjournals.com/JIBE/abstractjibe18food4thought.html">recherches</a>, nous avons ainsi étudié comment un restaurant, qui est une petite entreprise, a réussi à embaucher des employés neurodivergents. Comme les grandes entreprises, il s’est associé à des associations pour l’identification des candidats. Le processus d’embauche a consisté à remplacer l’entretien formel par une première rencontre non structurée.</p>
<p>En outre, les candidats neurodivergents ont travaillé sur des tâches que l’on effectue normalement dans un restaurant. Cela a permis de comprendre si les candidats étaient aptes à occuper le poste. En même temps, cela a permis aux candidats d’évaluer s’ils trouvaient le poste et l’environnement de travail adéquats. Il est à noter que les familles des candidats neurodivergents ont également été impliquées dans la phase initiale d’embauche et que les restaurateurs se sont assurés qu’ils étaient convaincus que les candidats se trouvaient dans un endroit adéquat. Enfin, la formation continue des employés neurodivergents et des collègues neurotypiques a été la clé de la création d’un environnement de travail propice.</p>
<p>Grâce à ces mesures, le restaurant a pu embaucher et soutenir des employés neurodivergents et, ce faisant, bénéficier d’un personnel engagé avec un faible taux de rotation, ce qui est une lutte constante dans le secteur de la restauration. Il ne fait aucun doute que les entreprises peuvent tirer profit de l’emploi de salariés neurodivergents. Toutefois, pour récolter ces bénéfices, il est essentiel de repenser et d’adapter les systèmes et les processus existants.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/223874/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Les personnes atteintes de dyslexie ou encore d’autisme, malgré leurs compétences reconnues, restent victimes de discriminations sur le marché du travail.Mamta Bhatt, Associate Professor of Organizational Behavior, IESEG School of Management, LEM, CNRS (UMR 9221), IÉSEG School of ManagementAntonio Giangreco, Full Professor in HRM & OB, IÉSEG School of ManagementLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2239462024-02-27T16:13:54Z2024-02-27T16:13:54ZDans les hôpitaux, le mal-être des soignants face à l’accélération du rythme de travail<p>Depuis l’an 2000, en France, <a href="https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/coronavirus/infographies-comment-la-france-a-perdu-pres-de-80-000-lits-d-hospitalisation-publics-en-vingt-ans_4833931.html">environ 80 000 lits d’hospitalisation complète ont été fermés</a>, représentant un quart de la capacité d’accueil des hôpitaux. Cette évolution vise à favoriser une hospitalisation plus brève, connue sous le nom d’« ambulatoire » où les patients entrent le matin à l’hôpital, reçoivent leurs soins, et repartent dans la journée.</p>
<p>Cette tendance à accélérer la prise en charge s’inscrit dans une <a href="https://www.researchgate.net/publication/281512421_Post-NPM_Reforms_or_Administrative_Hybridization_in_the_French_Health_Care_System">logique d’amélioration de l’efficience et de la rentabilité des hôpitaux</a>, en lien avec les réformes inspirées du <a href="https://books.google.fr/books?hl=en&lr=&id=XFphDAAAQBAJ&oi=fnd&pg=PT4&dq=nouveau+management+public%3B+h%C3%B4pitaux">nouveau management public</a> (NMP), un modèle de gestion qui vise à importer des pratiques du secteur privé dans les organisations publiques. Le NMP permettrait de rendre plus performants les hôpitaux publics, en s’appuyant sur des principes tels que l’optimisation des ressources, le renforcement de la compétitivité face aux structures privées, et <a href="https://journals.openedition.org/quaderni/735">l’amélioration de la capacité de rendement</a>. L’application de ce nouveau modèle de gestion a des répercussions sur le terrain, comme nous avons pu le constater lors de <a href="https://www.researchgate.net/publication/372988846_Ethical_Implications_of_Acceleration_Perspectives_From_Health_Professionals">l’enquête</a> que nous avons réalisée, fondée sur des entretiens avec divers professionnels de santé ainsi que des observations menés <a href="https://inria.hal.science/tel-03553270/">entre 2017 et 2020</a>.</p>
<h2>Des mesures pour réduire les dépenses</h2>
<p>Les réformes, notamment la <a href="https://sante.gouv.fr/professionnels/gerer-un-etablissement-de-sante-medico-social/financement/financement-des-etablissements-de-sante-10795/article/financement-des-etablissements-de-sante">transition d’un budget global à une tarification à l’activité (T2A)</a> en 2004-2005, ont redéfini les incitations financières dans le système hospitalier. Ce changement a instauré une relation entre le volume d’activité réalisé et le financement des établissements, encourageant ainsi une augmentation du nombre de patients pris en charge pour obtenir des fonds liés à l’activité.</p>
<p>Parallèlement, l’émergence des pôles d’activités médico-économiques, initiée par <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000606537/">l’ordonnance du 2 mai 2005</a> et confirmée en <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000020879475">2009</a> par une loi portant réforme de l’hôpital, a ajouté une dimension nouvelle.</p>
<p>Les pôles placent les médecins, en tant que chefs de pôles, au cœur des pratiques budgétaires. Ils jouent un rôle déterminant dans l’établissement et la réalisation des objectifs financiers des hôpitaux. La performance est devenue la pierre angulaire de ces changements, répondant à l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (ONDAM).</p>
<p>Une des conséquences de ces réformes est la <a href="https://inria.hal.science/tel-03553270/">mise en avant d’objectifs de performance quantitatifs</a> tels que la réduction des durées moyennes de séjour, l’augmentation du taux d’occupation des lits et l’augmentation du taux d’activité médicale, incitant les professionnels de santé à <a href="https://www.emerald.com/insight/content/doi/10.1108/AAAJ-12-2019-4309/full/html">accélérer le <em>turn-over</em> des patients</a>.</p>
<h2>La rentabilité est associée à l’accélération du <em>turn-over</em></h2>
<p>Cette accélération du rythme s’inscrit dans le concept plus large d’<a href="https://www.lemonde.fr/livres/article/2010/04/15/la-fuite-en-avant-de-la-modernite_1333903_3260.html">« accélération sociale »</a> et de <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/alienation_et_acceleration-9782707182067">« stabilisation dynamique »</a> du sociologue allemand Hartmut Rosa.</p>
<p>L’accélération sociale est définie par Hartmut Rosa comme une tendance de la société moderne à accélérer dans trois domaines principaux : les innovations technologiques, les normes culturelles, et nos rythmes de vie (en réalisant davantage d’actions par unité de temps). Ces processus d’accélération créent un stress chez les individus qui doivent constamment s’adapter à ce rythme effréné caractéristique de la modernité. Afin d’expliciter le processus de stabilisation dynamique, Rosa compare les systèmes capitalistes à un vélo.</p>
<p>Pour maintenir un équilibre, il faut pédaler en continu, aller de l’avant, et augmenter la vitesse sinon le vélo risque de basculer. Dans le contexte des entreprises, cette tentative pour maintenir une stabilité et rester en place se traduit par une intensité de travail croissante. Les décisionnaires voient dans cette accélération une opportunité, associant la rapidité à la rentabilité. Cependant, cette vision occidentale industrialisée du temps, axée sur l’optimisation, peut conduire à des effets néfastes pour les salariés.</p>
<h2>Des effets néfastes sur les soignants</h2>
<p>Du point de vue des soignants, les soins nécessitent du temps, de la lenteur afin d’être présents pour les patients et leur famille. Cependant, cette dimension relationnelle n’est pas toujours possible en raison du manque de temps. On constate alors une <a href="https://www.jstor.org/stable/44875693">érosion de l’éthique du soin</a>. Une cadre de santé, Sylvie, chargée de coordonner les équipes soignantes, a déploré lors de nos entretiens « la perte de cette dimension relationnelle essentielle ». Cette réalité alimente chez elle un sentiment d’insatisfaction au travail.</p>
<p>L’accélération du <em>turn-over</em> des patients a aussi un impact sur le bien-être au travail des soignants. « Cela crée du stress pour tout le monde », affirme Olivier, un autre cadre de santé interviewé lors de notre enquête. Plus le <em>turn-over</em> est élevé, plus la charge de travail des médecins, des internes et des paramédicaux est importante et plus la fatigue se fait sentir, et peut entraîner des cas de dépression, d’absentéisme et de burn-out. Une infirmière, Sara, nous a expliqué que pendant les six premiers mois après son embauche, une fois par semaine, en rentrant du travail dans sa voiture, elle pleurait juste pour des choses stupides, témoignant de l’impact émotionnel de la charge et du rythme de travail intense. Aujourd’hui, elle prévient ses nouveaux collègues qu’elle forme des défis qui les attendent, soulignant la réalité difficile de ce contexte de travail.</p>
<p>Les professionnels se sentent souvent traités comme des automates, semblables à des machines et alertent sur le risque de déshumanisation des soignants. Plusieurs cadres de santé comparent maintenant l’hôpital à une chaîne de production dans une usine.</p>
<h2>Une spirale vicieuse qui crée de la désorganisation collective</h2>
<p>L’accélération du <em>turn-over</em> des patients crée donc non seulement une pression accrue mais aussi une désorganisation collective. En effet, plus l’absentéisme augmente, plus les infirmiers doivent faire des heures supplémentaires et raccourcir leur temps de repos avant leur prochain tour de travail. L’accélération peut donc devenir une spirale vicieuse, brouillant les frontières entre la vie privée et professionnelle des infirmiers.</p>
<p>Camille, une infirmière qui est employée depuis deux ans et demi à l’hôpital, a déjà fait 150 heures supplémentaires. Elle précise que « cela représente plus d’un mois d’heures supplémentaires ». Tandis que sa responsable a réussi à lui octroyer des jours de congé, elle lui conseille de ne pas répondre si l’hôpital l’appelle car il est probable qu’on lui demande de revenir de son congé pour apporter son aide au fonctionnement des services de l’hôpital. Camille estime que « ce type de management est déshumanisant ».</p>
<p>Du point de vue des cadres de santé, cette gestion les pousse à prendre des décisions managériales qui vont à l’encontre de leurs valeurs, générant un sentiment de ne pas respecter les infirmiers, de les manipuler et de les utiliser pour faire face à l’absentéisme. Pour Nathalie, le rôle de cadre de santé voudrait de respecter leur vie personnelle, de respecter les horaires, mais « ce n’est tout simplement pas possible ». Alors, nous confie-t-elle, elle se retrouve régulièrement « contrainte de les épuiser ».</p>
<p>L’impact de ces effets sur les soignants ne fait guère de doute aujourd’hui, en raison d’une littérature scientifique et d’une presse importante. Pourtant, le gouvernement a reporté à 2028 la fin du caractère central de la tarification à l’activité dans le financement des hôpitaux et n’a pas fait d’annonce concernant un plan stratégique visant à assurer le bien-être des professionnels de santé.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/223946/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Agathe Morinière ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Plus le turn-over des patients est élevé, plus la charge de travail des soignants est importante et entraîne stress, dépression, absentéisme et cas de burn-out.Agathe Morinière, Maître de conférence (Professeur assistant), EM Lyon Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2240322024-02-26T11:30:23Z2024-02-26T11:30:23ZVictime d’un manager incompétent ? Bienvenue en « kakistocratie » !<p>Alors que la compétence est vue comme un pilier du monde du travail, l’incompétence est partout. Le problème est qu’elle ne se niche pas uniquement dans les emplois subalternes, mais qu’on la retrouve dans les gouvernances de nombreuses organisations. Bienvenue en « kakistocratie », le monde de l’incompétence !</p>
<p>Le terme kakistocratie est construit à partir de deux mots grecs : <em>kakistos</em> (le pire) et <em>cratos</em> (le pouvoir). J’ai mené une enquête pendant trois années pour analyser le phénomène, plus répandu qu’on ne le pense, et comprendre comment on pouvait en sortir. On pourrait supposer que ce type de gouvernance est réservé à quelques grandes institutions publiques (les bureaucraties), avec quelques illustrations savoureuses en littérature (Ubu Roi) ou au cinéma (Les Tuche à l’Élysée). Or, j’ai pu constater qu’on la retrouve également dans des multinationales comme dans des start-up ou des très petites entreprises (TPE).</p>
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</div>
<p>Si les kakistocraties existent depuis le début de l’humanité, le sujet trouve une nouvelle actualité avec le développement exponentiel du numérique et tout particulièrement de l’intelligence artificielle (IA), qui génère la « présomption de compétences ».</p>
<p>Mais avec quelle consistance ? Quelle profondeur ?</p>
<h2>Souffrance et sous-performance</h2>
<p>Les effets de la kakistocratie sur les collaborateurs de l’entreprise sont toujours les mêmes : sentiment d’inutilité, d’incompréhension, de frustration, avec comme conséquences l’absentéisme, le désengagement, le départ et bien sûr la sous-performance. Marc*, 41 ans, qui travaille dans le secteur informatique, en témoigne :</p>
<blockquote>
<p>« J’ai travaillé des années avec un manager incompétent. Le pire, c’est qu’il ne se remettait jamais en cause. On était obligés de faire à sa place, ou bien de réparer ses c**. J’ai souvent remonté l’info, preuves à l’appui. Rien n’y a fait. Il était protégé par la direction. Du coup, on est tous partis, petit à petit. C’était cause perdue ! »</p>
</blockquote>
<p>En général, la présence d’un manager incompétent oblige ses collaborateurs à faire à sa place, au prix de beaucoup de temps et d’énergie pour compenser ses manques. C’est aussi le sentiment de honte, honte pour l’image que cette incompétence renvoie. Être managé par des incompétents provoque également la perte de confiance. Il est en effet impossible d’avoir confiance en des personnes qu’on estime incompétentes.</p>
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<figcaption><span class="caption">La promotion par l’incompétence : la kakistocratie (Isabelle Barth, TEDxClermont, 2022).</span></figcaption>
</figure>
<p>Un autre sentiment partagé est celui d’injustice : les témoignages sont nombreux d’avoir le sentiment d’être piégé par sa compétence, à l’image de celui d’Émile, 46 ans, qui travaille dans le secteur industriel :</p>
<blockquote>
<p>« Ça fait 12 ans que je suis dans le même service. J’ai essayé d’obtenir des promotions. J’ai fait des demandes. Je suis allé en formation… Chaque fois, c’est quelqu’un d’autre qui a eu la place. Sans explication, des même pas bons. C’est dur à vivre ».</p>
</blockquote>
<p>Et puis, il y a la perte de repères, car en kakistocratie, on oublie ce qu’on a appris depuis qu’on est tout petit : la réussite est associée à l’effort, l’apprentissage, et surtout au mérite ! C’est tout le contraire en kakistocratie !</p>
<h2>Comment se construit une kakistocratie ?</h2>
<p>Quand on évoque l’incompétence au travail, apparait spontanément le « principe de Peter (1970) » : nous progressons dans nos fonctions jusqu’à ce que nous rencontrions notre seuil d’incompétence. Mais ce n’est pas la seule explication, loin de là !</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/576826/original/file-20240220-16-dddb6p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Une illustration du « principe de Peter »" src="https://images.theconversation.com/files/576826/original/file-20240220-16-dddb6p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/576826/original/file-20240220-16-dddb6p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=476&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/576826/original/file-20240220-16-dddb6p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=476&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/576826/original/file-20240220-16-dddb6p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=476&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/576826/original/file-20240220-16-dddb6p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=598&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/576826/original/file-20240220-16-dddb6p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=598&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/576826/original/file-20240220-16-dddb6p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=598&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Une illustration du « principe de Peter ».</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Principe_de_Peter">Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Un autre principe est celui de Dilbert, inventé par l’humoriste américain Scott Adams : « Les gens les plus incompétents sont systématiquement affectés aux postes où ils risquent de causer le moins de dégâts : ceux de managers ».</p>
<p>Ensuite, il y a la peur de la compétence. Le manager ne veut pas recruter ni promouvoir des talents qui pourraient rapidement être des concurrents et le dépasser.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/576827/original/file-20240220-24-ng8zae.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Illustration du « principe de Dilbert »" src="https://images.theconversation.com/files/576827/original/file-20240220-24-ng8zae.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/576827/original/file-20240220-24-ng8zae.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=810&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/576827/original/file-20240220-24-ng8zae.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=810&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/576827/original/file-20240220-24-ng8zae.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=810&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/576827/original/file-20240220-24-ng8zae.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1017&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/576827/original/file-20240220-24-ng8zae.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1017&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/576827/original/file-20240220-24-ng8zae.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1017&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Couverture du livre « Le principe de Dilbert » de l’humoritse Scott Adams.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://en.wikipedia.org/wiki/Dilbert_principle#/media/File:Dilbert_Principle.jpg">Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Une autre explication de l’incompétence au plus haut niveau des entreprises et des institutions est le développement de la « consultocratie », la délégation à des cabinets de conseil des missions complexes ou à caractère stratégique.</p>
<p>Enfin, l’entreprise peut fabriquer de l’incompétence, quand elle ne propose aucune formation.</p>
<p>La kakistocratie s’installe souvent par défaut, par glissements successifs, par lâcheté, par ignorance, par bêtise, mais il existe des organisations où la kakistocratie n’est pas le lot de quelques individus, mais bien un système organisé.</p>
<p>Ces kakistocraties organisées répondent à trois mécanismes :</p>
<ul>
<li><p>la <strong>dette</strong>, car en recrutant des incompétents, vous vous assurez de leur loyauté, puisqu’ils vous sont redevables.</p></li>
<li><p>la <strong>négation de l’individu au profit du système</strong> qui décide au mépris de la compétence. C’est le cas des dictatures.</p></li>
<li><p>et enfin, le <strong>système clanique</strong>. L’objectif d’un clan est la <a href="https://www.jstor.org/stable/2392231">préservation et la perpétuation de ses intérêts et de ses périmètres</a>, pas d’être performant ou compétent. On recrute pour la loyauté, par pour la compétence : le syndrome du « fils du patron » !</p></li>
</ul>
<h2>Comment renverser une kakistocratie ?</h2>
<p>Une bonne façon de supprimer une kakistocratie, c’est d’agir sur la cause racine : l’incompétence. Je propose ainsi 4 scénarios, qui ne sont pas exclusifs les uns des autres :</p>
<p>Le premier est le plus classique, il consiste à former, pour rendre les gens compétents ! Sont visées alors les compétences métiers mais aussi les compétences managériales.</p>
<p>Un autre est de mobiliser le <em>name and shame</em>, « nommer et couvrir de honte », pour dénoncer les kakistocrates ! Dans un monde où la réputation des entreprises compte de plus en plus, cela peut être efficace.</p>
<hr>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption"></span>
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<hr>
<p>On peut aussi recommander le recrutement de femmes. Les femmes dirigeantes ayant eu beaucoup plus de barrières à franchir pour parvenir au sommet, elles sont plus talentueuses que les hommes à statut égal. Les études montrent qu’elles ont aussi un rapport différent à la compétence, qui les rend exigeantes vis-à-vis d’elles-mêmes.</p>
<p>Le dernier scénario est le moins intuitif mais certainement le plus structurant pour sortir d’une kakistocratie : accepter l’incompétence, pour en faire quelque chose qui permet de se mettre en mouvement, d’avancer.</p>
<h2>L’incompétence, une valeur créatrice ?</h2>
<p>On peut en effet avancer l’idée que l’incompétence peut motiver la créativité, l’innovation même. Quand on ne sait pas, on peut apporter un regard nouveau et des idées disruptives pour résoudre un problème, à l’image de Yacine, 38 ans, d’une entreprise de service :</p>
<blockquote>
<p>« Je me suis mis à l’écoute des “pourquoi ? ”. Avant je les balayais du revers de la main, je répondais comme tout le monde : “parce qu’on a toujours fait comme ça ! ” Et c’est souvent passionnant. Quelle que soit l’issue, l’exercice du pourquoi est particulièrement utile ».</p>
</blockquote>
<p>Avec cette capacité réflexive, on entre dans ce mouvement d’une pensée managériale qui reconnait de mieux en mieux la vulnérabilité. Il ne s’agit plus d’opposer incompétence et compétence mais à les voir comme complémentaires. Après tout, nous sommes tous l’incompétent de quelqu’un d’autre.</p>
<p>Mais il ne faut pas être naïf, s’attaquer à la kakistocratie, c’est mettre en cause ceux qui gouvernent. Cela demande du courage ! En kakistocratie, le compétent est souvent l’empêcheur de ne pas bien travailler en rond ! L’indésirable !</p>
<p>Les kakistocraties ont encore de beaux jours devant elles.</p>
<p>Mais les nommer, les dénoncer est un point de départ. Le diagnostic est toujours le début de la guérison !</p>
<hr>
<p><em>*Les prénoms ont été modifiés</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/224032/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Isabelle Barth ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Pour un employé, les défaillances d’un supérieur hiérarchique peuvent générer une frustration qui favorise l’absentéisme, le désengagement et une sous-performance au travail.Isabelle Barth, Secrétaire général, The Conversation France, Université de StrasbourgLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2223262024-02-12T10:58:21Z2024-02-12T10:58:21ZDes clients qui dépassent les bornes et un management distant : avez-vous la chance d’avoir une « communauté de pratique » ?<p>Que des <a href="https://theconversation.com/topics/clients-93811">clients</a> puissent dépasser les bornes et avoir des comportements inacceptables n’est pas un phénomène nouveau. Nos précédents <a href="https://theconversation.com/i-want-my-fucking-nuggets-lentreprise-a-lepreuve-des-clients-ingerables-104614">travaux</a> détaillaient déjà la façon dont les organisations de service réagissent aux comportements de réclamations que l’on peut qualifier de « déviants », c’est-à-dire contraires au système de normes. On note toutefois des signes que la <a href="https://theconversation.com/topics/relation-client-48788">relation client</a> <a href="https://www.agoranews-experience-client.fr/l-evolution-du-climat-des-relations-avec-les-clients-decryptage/">continue à se tendre</a> et l’on retrouve probablement ici un facteur aggravant de la désaffection manifeste pour certains métiers mal reconnus comme les livreurs ou les soignants, particulièrement touchés par la <a href="https://theconversation.com/le-mystere-de-la-grande-demission-comment-expliquer-les-difficultes-actuelles-de-recrutement-en-france-173454">« Grande Démission »</a>.</p>
<p>De façon certes plus ponctuelle statistiquement, mais terriblement plus impactante sur un plan symbolique, on voit se multiplier des épisodes violents de la part des clients, aux conséquences pour le personnel allant du (relativement) bénin, ce <a href="https://news-24.fr/un-passager-frappe-un-pilote-pour-un-retard-de-vol-de-13-heures-video-sauvage/#google_vignette">pilote d’avion</a> récemment frappé par un passager pour un vol en retard par exemple, au <a href="https://www.huffingtonpost.fr/actualites/article/claye-souilly-un-employe-d-une-boutique-bouygues-telecom-poignarde-a-mort_183678.html">dramatique</a> avec par exemple, un employé d’une boutique Bouygues Télécom <a href="https://www.huffingtonpost.fr/actualites/article/claye-souilly-un-employe-d-une-boutique-bouygues-telecom-poignarde-a-mort_183678.html">poignardé par un client</a> en 2021 pour des différends commerciaux.</p>
<p>Comment les employés s’organisent-ils pour tenir et pour gérer ces clients ? Les <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/gwao.12117">études</a> sur le sujet font le constat récurrent d’un certain désarroi de leur part, du fait notamment d’une absence fréquente de soutien de la part de l’organisation et de son management. Comment font-ils dès lors qu’ils se retrouvent seuls face aux clients pour gérer ces situations tendues ? Et les pratiques de terrain qui leur permettent de faire face au quotidien, d’où viennent-elles ?</p>
<p>C’est à ces questions que <a href="https://shs.hal.science/halshs-04094500/">notre recherche</a>, menée dans le contexte d’un organisme social en France, a tenté d’apporter des réponses. Les agents de cet organisme sont chargés de la gestion et de l’attribution de certaines prestations aux résidents d’un département français et rencontrent régulièrement des situations tendues avec les usagers que ce soit au guichet ou au téléphone. La complexité des procédures d’attribution, la lourdeur bureaucratique et la multiplicité des partenaires impliqués génèrent en effet des situations d’autant plus sensibles que l’attribution ou non d’une prestation particulière a un impact direct sur les ressources financières des familles concernées.</p>
<h2>Des partages d’expériences</h2>
<p>La littérature en sociologie du travail a bien mis en évidence le <a href="https://www.researchgate.net/publication/247747517_Communities_of_Coping_Collective_Emotional_Labor_in_Service_Work">rôle clé du collectif de travail</a> en matière émotionnelle. Avoir des collègues attentifs permet, dans les cas où on subit l’agressivité du client, de tenir grâce à leur soutien émotionnel. Mais ce dernier ne raconte qu’une partie de l’histoire, car il faut aussi comprendre comment le collectif de travail permet d’inventer des réponses pour répondre aux clients et trouver une solution, pas simplement un palliatif.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1708781240478847270"}"></div></p>
<p>C’est ce que permet de saisir la notion de communauté de pratique, forgée notamment par l’anthropologue Jean Lave et le sociologue Étienne Wenger dans un <a href="https://www.cambridge.org/highereducation/books/situated-learning/6915ABD21C8E4619F750A4D4ACA616CD#overview">ouvrage</a> de 1991. Une communauté de pratique est un groupe informel de personnes liées les unes aux autres par le partage des expériences et l’élaboration de pratiques communes pour faire face aux problèmes quotidiens. Le concept visait à l’origine à rendre compte des solutions trouvées par les réparateurs de photocopieuses de Xerox, mais il s’applique aujourd’hui à une variété de situations organisationnelles.</p>
<p>Dans le contexte que nous avons étudié, les agents au contact devaient répondre à des demandes des usagers (soit au téléphone, soit au guichet), demandes qui s’avéraient parfois problématiques, soit sur le fond (par exemple une demande illégitime d’information confidentielle), soit sur la forme (par exemple des insultes à l’attention du personnel). Nos observations montrent que face à l’absence de solution satisfaisante proposée par l’organisation, les agents ont élaboré eux-mêmes leurs réponses à ces problèmes quotidiens pour réussir à faire leur travail malgré tout.</p>
<h2>« Il me fait le coup de Hulk »</h2>
<p>C’est à l’occasion du repas pris en commun, ou d’une pause entre deux appels téléphoniques reçus, ou même pendant un appel téléphonique qui semble délicat à gérer et mobilise l’attention des collègues proches, que se discutent les situations délicates : quel est le problème ? que faut-il faire ? comment faire maintenant, et la prochaine fois ? Ces discussions permettent d’élaborer de façon continue des solutions. Les agents expérimentés savaient par exemple quels arguments utiliser pour recadrer des demandeurs insistants, et ces arguments étaient discutés et partagés avec les collègues plus novices.</p>
<p>Cette élaboration collective permanente de réponses aux comportements déviants permet de développer un répertoire de pratiques relationnelles dans lequel chacune et chacun vient puiser. La discussion des réponses possibles faisait que le celui-ci était en permanence actualisé. Le répertoire jouait ainsi un rôle de boîte à outils partagée, qui permettait d’une part à chacun de s’en sortir « à sa façon » sans devoir complètement inventer ses pratiques non plus ; et d’autre part au groupe d’avoir une référence commune garantissant une bonne coordination.</p>
<p>La situation du « Hulk » illustre parfaitement cette double fonction du répertoire. Une agente fait irruption dans une salle où des collègues étaient en pause, et s’écrie :</p>
<blockquote>
<p>« P… ! J’ai quelqu’un qui est en train de me faire le coup de Hulk ! »</p>
</blockquote>
<p>Elle venait d’annoncer au visiteur un énième report du paiement de ses droits car il manquait encore des pièces dans son dossier, alors qu’il était venu justement à la suite d’une précédente notification de pièces manquantes.</p>
<p>Comprenant immédiatement ce qui se joue, deux de ses collègues se ruent au guichet pour contrôler le client, tandis que l’agente reste avec trois autres collègues qui la rassurent. On voit ici tout ce que contient ce mot « <em>Hulk</em> » : la référence imagée à une situation certes extrême mais déjà rencontrée à ce guichet, qui voit un usager perdre tout contrôle et aller jusqu’à arracher ses vêtements ; mais aussi le protocole de réponse collective et coordonnée pour régler rapidement cette situation explosive. Répondre rapidement et sans trop réfléchir est ici permis par le travail d’élaboration collective continue d’un répertoire de pratiques, dans le cadre des communautés de pratiques des agents.</p>
<h2>Pour les managers, le pari de la discrétion ?</h2>
<p>Pour le manager qui lirait ces lignes, les conclusions à en tirer sont à la fois évidentes et paradoxales. Évidentes parce qu’il suffirait de créer des communautés de pratique parmi les employés au contact des clients pour enlever un caillou dans la chaussure.</p>
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<p>Pourtant, ce n’est pas si intuitif que cela. D’une part parce que les travaux de recherche en management portant sur la question, insistent beaucoup sur l’importance pour le manager d’être plus présent, attentif, et réactif aux difficultés et questions des employés qui touchent à des clients aux comportements contraires aux normes (on parle de « déviance » en sociologie) : plus d’écoute et plus de soutien, donc, ce qui se combine assez mal à première vue avec la volonté de laisser faire la communauté de pratique.</p>
<p>D’autre part, parce qu’une communauté de pratique est un acteur social informel et spontané, qu’on ne décrète pas. Qu’un manager crée une communauté de pratiques face à la déviance des clients n’a donc pas de sens, et il s’agit plutôt d’adopter une posture de soutien indirect au développement de la communauté de pratiques. C’est, par exemple, s’assurer de la présence d’une salle de repos et de temps de pauses, pour favoriser les discussions à propos des clients, dont on a vu combien elles étaient nécessaires et efficaces. Un manager discret donc, pas spécialement héroïque face aux clients qui vont trop loin, mais qui fait en sorte que ses collaborateurs puissent inventer leurs propres pratiques relationnelles.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/222326/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>En échangeant de manière informelle, un groupe de collègues peut trouver les réponses aux situations où le comportement du client ne semble pas adéquat. Les managers devraient-ils donc laisser faire ?Jean-Baptiste Suquet, Neoma Business SchoolLamine Mebarki, Maître de conférences en Sciences de gestion, Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2223412024-02-05T09:57:26Z2024-02-05T09:57:26ZÊtre dans la lune au travail : pour le meilleur ou pour le pire ?<blockquote>
<p>« Qu’en penses-tu Tony ? – Excuse-moi, tu disais ? »</p>
</blockquote>
<p>Qui parmi vous n’a jamais été ramené sur Terre au cours d’une réunion de <a href="https://theconversation.com/topics/travail-20134">travail</a> ? Soyez rassurés, les neuroscientifiques ont montré que ce phénomène, dénommé en Anglais <em>Mind-Wandering</em>, est <a href="https://pdodds.w3.uvm.edu/files/papers/others/2010/killingsworth2010a.pdf">davantage la norme que l’exception</a>. L’existence de nombreuses expressions du langage courant l’atteste d’ailleurs : rêvasser, être distrait, être dans la lune, dans les nuages, dans son monde, avoir la tête à autre chose, être perdu dans ses pensées… Bien <a href="https://sites.insead.edu/facultyresearch/research/file.cfm?fid=57510">peu d’études</a> en sciences de <a href="https://theconversation.com/topics/gestion-24154">gestion</a> ont pourtant été consacrées à ce phénomène qui nous concerne tous. Ce silence des chercheurs de la discipline est d’autant plus étonnant que l’errance de la pensée semble avoir des conséquences négatives non négligeables… mais aussi positives fort heureusement.</p>
<p>Dans une première approche approximative, il est possible de définir le <em>Mind-wandering</em> comme le <a href="https://www.researchgate.net/publication/224927532_Flow_The_Psychology_of_Optimal_Experience">contraire du <em>flow</em></a>, c’est-à-dire de l’engagement extrême dans le travail. Ces deux états ont malgré tout pour point commun une perte passagère de conscience du temps et de l’environnement. L’originalité du <em>Mind-Wandering</em> tient surtout à un déplacement de notre attention vers des pensées autogénérées et/ou des sentiments sans rapport avec la tâche en cours. En ce sens, il n’est pas un défaut de concentration mais plutôt une <a href="https://www.annualreviews.org/doi/abs/10.1146/annurev-psych-010814-015331">dérive</a>.</p>
<p>Pendant ces moments, notre pensée se disperse sans forcément poursuivre un but précis. Elle flotte et associe une idée à une autre sans forcément de logique précise. Elle est instable contrairement à nos moments de rumination. Cette dérive peut être spontanée (<em>zoning out</em>) comme quand vous lisez une phrase sans en comprendre le sens ou, au contraire, intentionnelle (<em>tuning out</em>) à l’image de ces instants où vous planifiez intellectuellement vos prochaines vacances alors que vous devriez travailler. Ne mentez pas, cela vous est déjà arrivé !</p>
<h2>Combattre les rêveurs ?</h2>
<p>Intuitivement, nous comprenons tous que ces pensées hors tâches peuvent avoir des conséquences fâcheuses sur certains postes nécessitant une forte vigilance. Chacun perçoit sans difficulté ce qu’il pourrait par exemple advenir à un conducteur de poids lourds dans la lune, au patient d’un chirurgien distrait, ou à vous, dont l’avion devrait être précisément guidé alors que le contrôleur aérien est absorbé par ses pensées. Que les chauffeurs routiers, les chirurgiens et les contrôleurs aériens qui nous lisent ne nous en veulent pas de les avoir pris en exemple. Bien d’autres métiers auraient pu l’être.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1738688351723557221"}"></div></p>
<p>De nombreuses recherches ont confirmé ces intuitions de bon sens et les <a href="https://scholar.google.com/scholar">résultats</a> sont éloquents : le <em>Mind-Wandering</em> pénalise d’au moins 25 % les performances de lecture, d’attention et de mémorisation. Il <a href="https://www.researchgate.net/publication/235785870_The_Costs_and_Benefits_of_Mind-Wandering_A_Review">nuit à la résolution</a> de problèmes raisonnée, objective et sans émotion. L’organisation n’est pas la seule à en souffrir apparemment puisque <a href="https://www.researchgate.net/publication/253648485_I_don%27t_feel_your_pain_as_much_The_desensitizing_effect_of_mind_wandering_on_the_perception_of_others%27_discomfort">l’attention portée aux collègues est réduite</a>. La sensibilité à leur peine et à leur inconfort décline dramatiquement.</p>
<p>Ces impacts négatifs s’expliquent par la concurrence que se livrent tâche et <em>Mind-Wandering</em> pour capter nos ressources intellectuelles. Ils sont également interprétés comme une faille dans notre contrôle exécutif, c’est-à-dire une incapacité à rester concentrés sur notre travail. N’en jetez plus, son sort est scellé : le <em>Mind-Wandering</em> au travail doit être surveillé de près, combattu, et réprimandé sévèrement. En êtes-vous si sûr ?</p>
<h2>Newton sous le pommier et Archimède dans son bain</h2>
<p>L’élargissement de l’analyse à l’objet vers lequel vos pensées se sont dirigées invite à formuler un avis plus nuancé. Le <a href="https://psycnet.apa.org/record/2008-18777-009">bénéfice d’incubation</a> est certes débattu. Celui-ci se définit comme la contribution de la rêverie à la reconstitution des ressources intellectuelles. Pour les uns, elle est indispensable à périodicité régulière pour se régénérer alors que d’autres remarquent que la dérive de l’attention n’est pas toujours reposante pour l’esprit.</p>
<p>D’autres incidences positives sont en revanche moins contestées. Il en va ainsi de la <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S1053810011001978">planification autobiographique</a> et de la pensée créative. La première permet de se préparer à ce qui adviendra en anticipant et en hiérarchisant les buts à atteindre. Elle autorise la conception et la simulation de plans à long terme de manière réfléchie plutôt que réactive et impulsive. Il s’agit là d’une fonction adaptative précieuse dans les environnements professionnels changeants et incertains.</p>
<hr>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<p>La pensée créative facilite quant à elle la mise au jour de solutions inédites pour surmonter des difficultés avant qu’elles n’adviennent dans le monde réel. Elle aussi est indispensable dans le contexte du travail contemporain qui invite davantage à questionner le statu quo de façon régulière plutôt qu’à simplement reconduire des routines. Les inspirations célèbres de Newton et sa pomme ou d’Archimède qui s’exclame « <em>Eurêka</em> ! », solutionnant un problème en prenant un bain, sont là pour nous rappeler le potentiel productif de ces moments d’absence.</p>
<p>D’autres effets bénéfiques du <em>Mind-Wandering</em> ont pu être observés à l’image de la consolidation en mémoire de nouveaux savoirs ou bien encore du découplage de la situation actuelle qui limite par exemple l’impact négatif des évènements stressants. Dans cette perspective, nous avons, pour notre part, montré statistiquement qu’un <a href="https://www.cairn.info/revue-agrh1.htm">bien-être au travail faible</a> est associé à une propension forte du salarié à laisser sa pensée errer. Autrement dit, les salariés qui se sentent les plus heureux au travail ont moins besoin de relâcher la pression en rêvant. L’errance de la pensée constitue ainsi une échappatoire salutaire aux situations de travail négatives.</p>
<p>Il ressort de toutes ces observations que le <em>Mind-Wandering</em> au travail ne peut pas être restreint à un simple état mental dysfonctionnel. Il semble aussi avoir des effets positifs. Le contenu même de la pensée dérivée les conditionnerait. Elle peut porter selon les cas sur les problèmes actuels, le passé, le futur, les solutions innovantes, les émotions positives ou négatives. Mais ça, aucun manager n’est en mesure de le contrôler à coup sûr. Cela laisse rêveur n’est-ce pas ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/222341/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Certes, rêver ne fait pas beaucoup avancer le travail… Mais les effets positifs sont aussi nombreux !Franck Biétry, Professeur des Universités en gestion des ressources humaines, Université de Caen NormandieCarine Bourdreux, Doctorante en 4ème année en sciences de gestion spécialité comportement organisationnel, Université Littoral Côte d'Opale Jordan Creusier, Professeur des universités en sciences de gestion, Université Littoral Côte d'Opale Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2222222024-01-30T16:07:24Z2024-01-30T16:07:24ZSanction contre Amazon : comment penser la surveillance des salariés sans tomber dans l’excès ?<p>La <a href="https://theconversation.com/topics/commission-nationale-de-linformatique-et-des-libertes-cnil-137097">Commission nationale de l’informatique et des libertés</a> (Cnil) vient de condamner, après quatre années de procédure, le 23 janvier dernier la filiale française d’<a href="https://theconversation.com/topics/amazon-40118">Amazon</a> chargée des entrepôts logistiques à une amende d’un montant de 32 millions d’euros. Cela « notamment pour avoir mis en place un système de <a href="https://theconversation.com/topics/surveillance-20967">surveillance</a> de l’activité et des performance des salariés excessivement intrusif », selon le communiqué de la commission.</p>
<p>Le travail, comme l’a rapporté le quotidien <a href="https://www.lesechos.fr/industrie-services/conso-distribution/amazon-condamne-a-32-millions-deuros-damende-par-la-cnil-pour-surveillance-des-salaries-2070768"><em>Les Échos</em></a>, y semble en effet strictement minuté. Chaque salarié doit enregistrer les colis préparés pour les clients à l’aide d’un scanner qui enregistre les données : les managers peuvent ainsi analyser le temps de latence entre deux scans. Ils disposent par la même d’un indicateur d’inactivité. On se situe dans une stricte logique de taylorisation du travail industriel, « chronométrant chacun des éléments des divers genres de travaux et trouver ensuite le temps minimum en additionnant les temps partiels » comme l’écrivait l’ingénieur <a href="https://www.lesechos.fr/2014/07/frederick-taylor-pere-de-lorganisation-scientifique-du-travail-306063">Frederick Taylor</a> au <a href="https://www.eyrolles.com/Entreprise/Livre/organisation-du-travail-et-economie-des-entreprises-9782708111585/">début du XXᵉ siècle</a>. En France, l’introduction de ce système en novembre 1912 par Louis Renault dans huit de ses ateliers généra deux grèves successives.</p>
<p>S’agissant ainsi d’Amazon, on se situe ainsi au cœur d’une rationalisation on ne peut plus traditionnelle du travail combinée avec une innovation structurante, le commerce en ligne. Et si certaines tâches répétitives pourraient bientôt, comme l’a annoncé la firme de Seattle, être effectuées par des robots humanoïdes, ce contrôle peut s’exercer également dans un autre contexte et sous une autre forme auprès de « cols blancs ».</p>
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<p>Le cas nous conduit en effet à interroger cette problématique managériale contemporaine que constitue cet arbitrage entre confiance envers ses équipes et lâché-prise d’un côté, et contrôle parfois excessif de l’autre.</p>
<p>La surveillance et le contrôle méticuleux débordent en effet largement le cas « usinier » d’Amazon. Le déploiement du télétravail dans la période récente a pu générer des pratiques de cybersurveillance fondées sur la suspicion et la méfiance, cela même alors que sous des formes atténuées elles peuvent toutefois présenter un intérêt pour les salariés.</p>
<h2>Les ambiguïtés de la surveillance</h2>
<p>Chargés officiellement d’identifier les salariés en surcharge de travail de manière à mieux les soulager, ou de faire respecter les règles de sécurité, des <a href="https://www.eyrolles.com/Entreprise/Livre/10-cles-pour-preparer-mon-entreprise-au-travail-a-distance-9782416000980/">logiciels</a> tels Activ Trak, InterGuard, Teramind, Desk Time, InnerActiv, peuvent devenir en réalité des manières de s’assurer de la productivité des télétravailleurs en contrôlant leur activité. D’autres plates-formes enregistrent les frappes sur les claviers des employés (keyloggers), de suivre l’historique du navigateur ou les mouvements de la souris. La vérification de la présence se réalise possiblement à travers le contrôle des heures de connexion, la fréquence des conversations audio, une webcam ou des captures d’écran.</p>
<p>Une <a href="https://www.getapp.fr/blog/1822/mefiance-utilite-rapport-ambigu-salarie-surveillance">étude</a> menée en 2020 révélait déjà que 45 % de salariés travaillent dans une entreprise qui utilise des outils de surveillance. Une <a href="https://www.vmware.com/content/dam/learn/en/amer/fy22/pdf/vmw-virtual-floorplan-exec-summary_r3v2-1162603.pdf">autre</a>, un an plus tard, établissait que 63 % des entreprises françaises prévoyaient d’adopter ou ont déjà mis en œuvre des outils ayant pour objet de renforcer la supervision de leurs employés en situation de télétravail. Un manque de confiance, voire de la défiance, une forme d’infantilisation régressive ?</p>
<p>La surveillance qui s’effectue via du matériel fourni par l’entreprise (ordinateur et applications utilisées) demeure légale sous la condition que les télétravailleurs en aient été <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006900861">informés</a> par leur employeur et qu’une déclaration soit effectuée auprès de la Cnil. Comme tout autre moyen de surveillance, il doit satisfaire des dispositions générales du <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006900785">Code du travail</a> et du règlement général sur la protection des données.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1749413896367018035"}"></div></p>
<p>Selon des conclusions récentes, <a href="https://theconversation.com/8-des-teletravailleurs-seulement-se-sentent-surveilles-220717">peu de télétravailleurs se sentent surveillés</a>. Et quand bien même, cette surveillance semble <a href="https://www.getapp.fr/blog/1822/mefiance-utilite-rapport-ambigu-salarie-surveillance">relativement bien acceptée</a> : c’était le cas de 41 % des interrogés d’une enquête à la sortie des confinements qui y trouvaient même des avantages. Les salariés y voient certains avantages, en particulier le bénéfice d’une confiance mutuelle grâce aux preuves tangibles que le travail est effectivement réalisé, une motivation pour fournir des résultats ou les dépasser, et la prise en compte des heures supplémentaires. Mais pareille surveillance est assurément d’une autre nature et peut s’apparenter à un soutien managérial.</p>
<h2>Quelles réponses managériales ?</h2>
<p>Quatre pistes de réponse à pareilles problématiques peuvent être proposées.</p>
<p>Une première piste fait inévitablement référence à la « question de la <strong>confiance</strong> », laquelle a fait l’objet d’une immense <a href="https://www.jstor.org/stable/258792">littérature</a> tant académique que professionnelle. Trois ingrédients principaux lui sont attribués : les degrés de compétence, de bienveillance (altruisme) et d’intégrité (valeurs). Dans un <a href="https://www.eyrolles.com/Entreprise/Livre/le-management-par-la-confiance-9782212574319/">ouvrage</a> de 2020, un collectif de chercheurs déclinait également le concept en trois modalités, toutes trois devant être considérées par qui veut mettre en place un management par la confiance : la confiance suscitée (comment inspirer confiance), la confiance donnée (faire confiance) et la confiance en soi. Plusieurs <a href="https://newsroom.malakoffhumanis.com/actualites/malakoff-humanis-presente-les-resultats-de-son-barometre-teletravail-et-organisations-hybrides-2022-0686-63a59.html">enquêtes</a> soulignent un fort impact du télétravail en la matière et dressent un bilan encourageant.</p>
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<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<p>Une seconde option réside dans ce que l’on nomme le <strong>management « dialogique »</strong>, inspiré par le philosophe <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/la-methode-edgar-morin/9782020092579">Edgar Morin</a>. Il articule trois notions : la confiance, le contrôle et l’autonomisation. La confiance, en effet, ne s’oppose a priori ni au contrôle ni à l’autonomie, mais en constitue le complément nécessaire. En matière managériale, il s’agit alors d’imaginer au cas par cas des formes de pilotage et de contrôle conduisant à l’autonomisation des personnes et des collectifs. Elles sont en réalité de trois natures pouvant se combiner, voire se cumuler : un contrôle par les pairs notamment dans le cadre d’activités de nature collective et collaborative, un contrôle par la culture fondé sur une intériorisation individuelle et collective des valeurs prônées par l’organisation et un contrôle plus classique par les objectifs.</p>
<p>Le <strong><a href="https://academic.oup.com/sf/article-abstract/40/2/190/2227538">« contrat psychologique »</a></strong> constitue une troisième piste. Celui-ci regroupe l’ensemble des attentes, explicites ou non, cohérentes ou non avec le contrat de travail, qu’un travailleur forme sur son entreprise. Il constitue les termes spécifiques d’un échange social potentiellement bénéfique et prometteur en termes d’autonomie et de confiance. C’est ce qu’ont relevé deux <a href="https://www.annales.org/gc/2021/gc144/2021-06-04.pdf">chercheurs</a> lors d’une étude réalisée en 2021 portant sur des collaborateurs nouvellement en situation de télétravail dans un établissement d’enseignement supérieur privé. Ils mettent notamment en exergue une réponse à des « attentes réciproques » : l’employeur va au-delà de ses promesses en accordant davantage de confiance avec le télétravail ; le télétravailleur va au-delà de ses engagements en développant des comportements « hors rôle », en accroissant sa charge de travail et en augmentant son implication.</p>
<p>Le <strong>management de l’isolement professionnel</strong> est une quatrième voie envisageable, en ce qu’elle constitue l’un des aspects saillants potentiellement les plus sensibles du télétravail. Les dirigeants et les managers doivent être particulièrement attentifs à ce risque et à ses effets, sachant par ailleurs que les ressentis peuvent différer. Les individus, nous le savons, ne sont pas tous égaux devant ce phénomène, et n’ont notamment pas tous le même confort à domicile. Plusieurs recherches soulignent l’importance du <a href="https://journals.lww.com/joem/fulltext/2020/12000/teleworking_and_employee_well_being_in_corona.35.aspx">soutien social des collègues</a> et confirment que le soutien social constitue une <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC7675760/">aide précieuse</a> contribuant au bien-être des télétravailleurs. Inversement, une logique de surveillance des télétravailleurs (ainsi qu’une charge de travail supplémentaire) vient compromettre ce soutien. On retiendra plus généralement qu’une approche combinant subtilement soutien, bienveillance et exigence participe, si besoin, à la construction ou au renforcement de la confiance dans la réalisation des activités et leur autonomisation.</p>
<p>À la lumière des enquêtes et recherches citées sous forme de pistes prometteuses et encourageantes, on peut à ce stade en effet mobiliser l’acronyme LAIM, pour « leadership managérial durablement augmenté et inclusif » afin de souligner à travers la légitimité et la confiance qui lui est associée, la largeur de la palette prometteuse qui est potentiellement suggérée aux managers au regard des leviers à actionner pour mobiliser et soutenir leurs équipes. Cet acronyme comporte au passage assurément des analogies avec celui de CARE, pour Confiance, Autonomie, Responsabilité, Engagement.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/222222/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Pierre Bouchez ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Amazon a récemment été condamnée par la Cnil pour une surveillance trop intrusive de ses salariés : comment les gérants des entreprises peuvent-ils répondre à cette problématique ?Jean-Pierre Bouchez, Directeur de recherches en sciences de gestion, Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2207172024-01-22T11:00:24Z2024-01-22T11:00:24Z8 % des télétravailleurs (seulement) se sentent surveillés<p>Le <a href="https://theconversation.com/topics/teletravail-34157">télétravail</a> est sans doute, et de loin, le thème qui revient le plus depuis la pandémie liée au coronavirus lorsque l’on aborde le thème des transformations de la vie professionnelle. Et c’est tout un <a href="https://theconversation.com/topics/droit-21145">cadre légal</a> qui a dû se déployer pour accompagner le mouvement. L’article <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000047864720#:%7E:text=Le%20t%C3%A9l%C3%A9travail%20est%20mis%20en,%C3%A9conomique%2C%20s%E2%80%99il%20existe">L1222-9 du code du travail</a> le définissait dès 2012 :</p>
<blockquote>
<p>« Le télétravail désigne toute forme d’organisation du travail dans laquelle un travail qui aurait également pu être exécuté dans les locaux de l’employeur est effectué par un salarié hors de ces locaux de façon volontaire en utilisant les technologies de l’information et de la communication. »</p>
</blockquote>
<p>Les lignes suivantes précisent que le télétravailleur est un salarié comme un autre et bénéficie à ce titre des mêmes droits et devoirs que ses collègues. Cela vaut y compris en matière de surveillance, domaine pour lequel le droit est assez strict. Dans quelle mesure un manager peut-il encadrer ses équipes lorsqu’elles se trouvent à leur domicile et vérifier qu’elles sont bien au travail ?</p>
<p>En vertu de son pouvoir de direction, l’employeur peut certes déployer divers dispositifs de contrôle : contrôle des temps de connexion, <a href="https://www.capital.fr/votre-carriere/votre-employeur-peut-il-vous-geolocaliser-1421242">géolocalisation</a>… à condition de <a href="https://lespratiquesdumanager.com/fiches-pratiques/352-comprendre-le-controle-en-entreprise.html">respecter certaines contraintes</a>. La géolocalisation, via un ordinateur, un téléphone professionnel ou une voiture de fonction n’est par exemple qu’un <a href="https://www.village-justice.com/articles/geolocalisation-materiel-informatique-entreprise-les-bonnes-pratiques,41839.html">outil de dernier recours</a> lorsqu’il s’agit de contrôler le temps de travail, c’est-à-dire quand ce contrôle ne peut pas être effectué par un autre moyen, même moins efficace. Il peut sinon être déployé à certaines fins très précises : satisfaire une obligation légale, justifier une prestation de transport auprès d’un client, sécuriser un transporteur ou encore répartir au mieux les tâches d’une flotte de véhicules et notamment d’urgence (une société d’ambulance par exemple).</p>
<p>Le code du travail, le code civil, la jurisprudence mais aussi le Règlement général sur la protection des données (RGPD) encadrent plus généralement les pratiques et les éléments collectés. Tout dispositif de contrôle doit ainsi être <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006900785#:%7E:text=Nul%20ne%20peut%20apporter%20aux,ni%20proportionn%C3%A9es%20au%20but%20recherch%C3%A9">justifié par la nature de la tâche à accomplir, et proportionné au but recherché</a>. Il doit également faire l’objet d’une consultation des représentants du personnel, et d’une <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006900861#:%7E:text=Article%20L1222%2D4-,Version%20en%20vigueur%20depuis%20le%2001%20mai%202008,port%C3%A9%20pr%C3%A9alablement%20%C3%A0%20sa%20connaissance">information individuelle</a> des salariés. Un dispositif de surveillance ne doit en outre <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/cnil/id/CNILTEXT000029302625">pas conduire à une mise sous surveillance généralisée et permanente du personnel</a>.</p>
<h2>Une surveillance que l’on pensait connue et acceptée</h2>
<p>En pratique les entreprises utilisent <a href="https://www.annales.org/gc/2022/resumes/septembre/04-gc-resum-FR-AN-septembre-2022.html">plusieurs formes de contrôle</a> : un contrôle formel de l’organisation (la vérification de l’atteinte d’objectifs par exemple), un contrôle exercé par le groupe, un contrôle reposant sur le pouvoir d’un individu hors de ses attributions formelles, et même éventuellement un autocontrôle. Auparavant, cela reposait sur une structure hiérarchique, le présentiel et la possibilité de voir ses salariés. Dorénavant, il s’exerce potentiellement à tout moment et à distance par l’<a href="https://www.village-justice.com/articles/teletravail-cameras-surveillance-mariage-impossible,40244.html">intermédiaire de la technologie</a>.</p>
<p>Du côté du télétravailleur, dont le <a href="https://obstt.fr/wp-content/uploads/sites/47/2023/12/Dossier_Presse-Observatoire_Teletravail-Ugict-CGT.pdf#page=9">profil type</a> est une femme jeune (30-39 ans), qui travaille dans le secteur privé, comme cadre ou comme ingénieure dans le secteur de l’informatique et des télécommunications ou de l’industrie avec 2 jours de présentiels hebdomadaires <a href="https://obstt.fr/actualites/">résultats</a>, la visibilité « numérique » apparait comme un facteur important de la relation de confiance. La présence derrière l’écran assoit une bonne réputation à la fois auprès de son manager et envers ses collègues. Le numérique à distance permet aussi de contrebalancer l’adage « les absents ont toujours tort » : les canaux technologiques sont utilisés pour communiquer mais aussi pour maintenir des liens avec des collègues éloignés et renforcer leur sentiment d’appartenance à un groupe et/ou à une organisation. Cela <a href="https://psycnet.apa.org/record/2012-10167-004">renforce l’efficacité du contrôle organisationnel</a>.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<p><em>Chaque lundi, que vous soyez dirigeants en quête de stratégies ou salariés qui s’interrogent sur les choix de leur hiérarchie, recevez dans votre boîte mail les clés de la recherche pour la vie professionnelle et les conseils de nos experts dans notre newsletter thématique « Entreprise(s) ».</em></p>
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<p>De <a href="https://www.cairn.info/revue-recherches-en-sciences-de-gestion-2019-1-page-181.htm">précédents travaux</a> se sont intéressés à l’attitude des salariés vis-à-vis des caméras de vidéoprotection en entreprise, technologie qui, au-delà des débats éthiques qu’elle soulève parfois, semble plutôt bien acceptée. D’autres <a href="https://www.cairn.info/revue-gerer-et-comprendre-2021-2-page-38.htm">études</a> ont montré que l’autonomie gagnée grâce au télétravail rend le salarié redevable. Il est parfois tenté de prouver son engagement et sa loyauté par une hyperconnectivité.</p>
<p>Membres du comité scientifique de l’observatoire du télétravail de l’UGIC-CGT, ces conclusions nous laissaient envisager un contrôle très présent dans les entreprises en situation de télétravail au moment de construire une enquête dont les <a href="https://obstt.fr/actualites/">résultats</a> ont commencé à être présentés. Ce n’est plus du tout le même scénario qui s’écrit.</p>
<h2>Surveillance, nombre de jours et liberté de choix</h2>
<p>5732 personnes en situation de télétravail nous ont répondu entre juin et décembre 2023. Elles ont été questionnées sur leur perception de la surveillance organisationnelle et sur le contrôle managérial. Plusieurs questions relatives aux dispositifs potentiels ont été posées, concernant notamment l’activation de la caméra, le suivi des frappes sur le clavier et mouvement de souris ou encore les appels/mails réguliers du manager. Nous avons été surpris de constater que la perception de la surveillance est peu présente, à la fois pour la dimension technologique et humaine : seulement 8 % des répondants déclarent ressentir au moins un de ces deux types de surveillance.</p>
<p>Plusieurs constats ont été dressés au-delà, deux principalement. Premièrement, plus le volume accordé de jours en télétravail est important, et plus le sentiment d’être surveillé par la technologie s’accroît. À noter que pareille observation ne s’applique pas au télétravail très occasionnel. Second constat, la surveillance sera moins perçue lorsque le salarié est libre de choisir ses jours en télétravail.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1729510738685747404"}"></div></p>
<p>Plusieurs hypothèses explicatives peuvent être avancées. Une explication peut reposer sur le fait que certains outils utilisés pour le travail à distance le sont dans l’esprit des salariés à d’autres fins que des fins de contrôle : ceux qui permettent par exemple d’organiser une réunion en visioconférence. Ils sont susceptibles d’être aussi utilisés à des fins de contrôle et les salariés ne semblent pas en avoir conscience.</p>
<p>Le manque, ou l’absence, d’informations, même si c’est une obligation légale, peut aussi être avancé : 69 % des répondants déclarent en effet ne pas avoir eu d’information. Or, de précédents travaux ont montré qu’il y a là un <a href="https://scholar.google.fr/citations?view_op=view_citation&hl=fr&user=hXAD0mUAAAAJ&cstart=20&pagesize=80&sortby=pubdate&citation_for_view=hXAD0mUAAAAJ:zYLM7Y9cAGgC">déterminant de l’acceptation des technologies de contrôle</a>. Si les répondants perçoivent la situation comme juste et équitable, cela minore la perception de surveillance.</p>
<p>Le sentiment de redevabilité que nous évoquions, enfin, peut nourrir d’autres hypothèses. Le télétravailleur a tendance à aller au-delà des attentes du manager (heures en plus, forte concentration, autocontrôle, hyperconnectivité), et par la même à surpasser les promesses initiales liées au contrat de travail. En faisant plus, se sentant redevable, il accepterait en même temps tacitement la surveillance, comme une forme de compensation à l’amélioration de sa qualité de vie : une forme de situation donnant/donnant où le télétravailleur accepte la surveillance, n’y prête pas attention, ceci lui permettant d’accroitre son autonomie et d’avoir des conditions de travail plus agréables à distance.</p>
<hr>
<p><em>Nicolas Cochard, docteur en Histoire des mondes modernes et directeur Recherche & Développement de Kardham a également contribué à la rédaction de cet article.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220717/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Caroline Diard est membre de CERCLE K2. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Damien Pouillanges travaille pour Kardham, entreprise dans le secteur de l'immobilier professionnel.</span></em></p>Comment comprendre que peu de salariés en télétravail se sentent surveillés alors que les dispositifs de contrôle sont nombreux ?Caroline Diard, Professeur associé - Département Droit des Affaires et Ressources Humaines, TBS EducationDamien Pouillanges, Associate research scientist, Université Toulouse – Jean JaurèsLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2201592023-12-21T17:43:23Z2023-12-21T17:43:23ZM. Dupuis a-t-il eu raison d’embaucher Gaston Lagaffe ?<p>Le 22<sup>e</sup> opus des gags de Gaston Lagaffe, le garçon de bureau des éditions Dupuis imaginé par André Franquin et qui renaît aujourd’hui sous la plume du Québécois Delaf, est arrivé en librairie le 22 novembre avec <a href="https://www.leparisien.fr/culture-loisirs/livres/ventes-de-bd-avec-le-retour-de-lagaffe-gaston-fait-un-carton-13-12-2023-BEFTVGWRRNHDJM2LVCVYKFMGCI.php">succès</a>. Avec 300 000 exemplaires écoulés en trois semaines, l’album intitulé <em>Le Retour de Lagaffe</em> s’est classé pendant 15 jours en tête des ventes de livres en France, se payant le luxe de devancer alors le nouvel Astérix.</p>
<p>C’est l’occasion pour nous de retrouver le gaffeur en chef pour l’observer avec le regard du <a href="https://theconversation.com/fr/topics/ressources-humaines-rh-120213">directeur des ressources humaines</a> ou du manager. Et si Gaston n’était pas (que) le boulet que tout le monde imagine ? Et s’il était, au contraire, un collaborateur précieux pour l’entreprise ? Les temps changent et lui qui pouvait incarner un (sympathique) tire-au-flanc pourrait aujourd’hui être, au contraire, un profil précieux à recruter pour les entreprises.</p>
<h2>Gaston a de vraies compétences</h2>
<p>Certes Gaston manque dramatiquement de ce que l’on appelle des « hard skills » (ses compétences techniques). Du moins ne les montre-t-il pas. Il semble incapable de faire ce qui est sa tâche supposée. Quoi qu’on lui confie, l’échec semble assuré : le tri du courrier n’avance pas, la salle de documentation n’est pas rangée, les livraisons ne sont pas correctement faites et tout est bon pour esquiver les missions que son manager pourrait être assez fou pour lui confier.</p>
<p>Ce dernier, Prunelle, ne s’en rend peut-être pas compte mais Gaston dispose pourtant de compétences aujourd’hui assez prisées par les directions des ressources humaines : des <a href="https://theconversation.com/talent-competence-soft-skills-une-mode-manageriale-de-plus-213117">« soft skills »</a>, ces compétences de nature plus sociales, émotionnelles, relationnelles ou comportementales.</p>
<p>Gaston est un chic type, Prunelle lui-même admettant parfois que « ce garçon a bon fond ». Dans une époque où la bienveillance et le souci de l’autre sont des qualités recherchées en entreprise et pour le travail en équipe, il peut être un atout (risqué) pour la cohésion. Il cherche toujours à aider ses collègues, à enlever les petits cailloux du quotidien. Même si ses réalisations sont assez aléatoires, il a le souci de contribuer au confort des autres comme quand il se propose de mettre son (discutable) génie créatif au service de la lutte contre les mouches importunant ses collègues (p. 12).</p>
<p>Gaston est aussi, parfois à son corps défendant, un élément de la marque employeur. Il dépoussière l’image de l’entreprise et la valorise auprès des plus <a href="https://theconversation.com/equilibre-de-vie-sens-ethique-les-nouvelles-cles-pour-fideliser-les-jeunes-en-entreprise-184504">jeunes générations</a> en montrant un visage plus expérimental. Il est un ambassadeur (malheureux mais efficace) de l’entreprise (p. 4). Lagaffe peut aussi être un vrai soutien psychologique pour les plus jeunes pousses comme quand il choisit d’encourager un jeune dessinateur envers et contre tous (p.24).</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1233157431275991041"}"></div></p>
<p>Il est ensuite un vrai Chief Happyness Officer qui s’ignore et beaucoup de ses aventures vont dans le sens du bien-être et de la qualité de vie et des conditions de travail. D’abord parce qu’il n’hésite pas à se mettre au service de ses collègues pour leur faire plaisir comme lorsqu’en période de forte chaleur il tente (hélas) de faire des glaces pour leur offrir un rafraîchissement (p. 9). Gaston est aussi depuis toujours un pionnier de la réduction du stress par la <a href="https://theconversation.com/un-animal-de-compagnie-au-travail-cest-plus-dimplication-et-moins-de-stress-189988">présence des animaux au travail</a> : grâce à sa mouette, son chat et son poisson rouge, les Éditions Dupuis ont mis en place depuis longtemps ce que de grandes entreprises expérimentent depuis peu sous le nom de code <em>Pet at work</em>. Enfin, il est convaincu des bienfaits du travail dans la bonne humeur et de la psychologie positive au service de la performance. Gaston exerce souvent son (discutable) humour pour égayer les journées de ses collègues et de son management, comme quand il trafique le répertoire de Prunelle pour le 1<sup>er</sup> avril (p. 26).</p>
<h2>Quelques « mad skills » aussi</h2>
<p>Le héros aux espadrilles bleues et au pull vert est aussi doté de compétences atypiques et inattendues que les DRH recherchent pour des entreprises souhaitant bousculer un peu leur modèles managériaux : des « <a href="https://theconversation.com/les-mad-skills-au-coeur-des-metiers-de-demain-181505">mad skills</a> », qualités propres aux profils décalés qui les conduit hors des sentiers habituels tout en étant animés de bonnes intentions. On parle aussi parfois de « déviance positive ».</p>
<p>Gaston est un hackathon a lui tout seul. Il ne cesse de questionner les règles, de pirater les espaces et de repousser les lignes. Accepter de le considérer comme une richesse plutôt que comme un risque permet de changer d’angle de vue sur son rôle dans l’entreprise et peut permettre à Prunelle et aux Éditions Dupuis de mieux utiliser ces compétences.</p>
<p>D’abord parce que Lagaffe est un vrai <a href="https://theconversation.com/lintrapreneuriat-un-subtil-equilibre-entre-organisation-et-desorganisation-209555">intrapreneur</a>. Au sein des Éditions Dupuis, il n’a de cesse de se comporter en véritable électron libre mettant en permanence son esprit créatif à contribution, un peu comme dans une start-up ou un incubateur. Incapable de suivre les <em>process</em> et de se conformer aux <em>reportings</em> et divers outils de mesure, il passe son temps en dehors de clous. Gaston cherche tout le temps à inventer, à créer. Si ses résultats sont assez souvent catastrophiques, sa démarche est assez emblématique, quand bien même rarement efficace.</p>
<p>Gaston est aussi un innovateur né qui n’hésite pas à se lancer de manière autonome et avec une vraie prise d’initiative dans le suivi de projets décalés. Les « side projects » qu’il mène au sein des Éditions Dupuis en parallèle de son activité principale sont soit un passe-temps, soit un moyen d’apprendre une nouvelle compétence (comme sa tentative catastrophique de faire de la musique). Mais le gaffeur peut aussi tester une idée d’entreprise sans prendre (trop) de risque et avoir une intuition géniale dont la réalisation maîtrisée pourrait profiter à toute l’organisation. Son idée de téléphone (trans) portable sur roulement à billes (p. 5) est remarquable. Si sa mise en œuvre est catastrophique, on peut regretter que Gaston n’ait pas été accompagné dans la concrétisation de sa géniale intuition.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/566563/original/file-20231219-29-4dyqky.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/566563/original/file-20231219-29-4dyqky.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/566563/original/file-20231219-29-4dyqky.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=359&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/566563/original/file-20231219-29-4dyqky.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=359&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/566563/original/file-20231219-29-4dyqky.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=359&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/566563/original/file-20231219-29-4dyqky.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=452&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/566563/original/file-20231219-29-4dyqky.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=452&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/566563/original/file-20231219-29-4dyqky.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=452&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Le G-Phone aurait-il pu avoir un grand avenir ?</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.dupuis.com/actualites/FR/un-nouvel-album-de-gaston-lagaffe-sera-publie-prochainement/4861">Delaf d’apres Franquin/Dupuis</a></span>
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</figure>
<p>Gaston Lagaffe est enfin un militant convaincu du « right to repair mouvement », c’est-à-dire du mouvement pour le droit à la réparation qui valorise la réparation des appareils plutôt que leur remplacement par du neuf à la moindre panne. Celui-ci a d’ailleurs récemment fait l’objet de <a href="https://www.europarl.europa.eu/news/fr/press-room/20231117IPR12211/des-regles-pour-inciter-les-consommateurs-a-reparer-plutot-qu-a-remplacer">nouvelles règles européennes</a> visant à le favoriser. Avec une <a href="https://theconversation.com/des-ressources-humaines-orientees-rse-une-opportunite-economique-pour-les-entreprises-218621">conscience RSE</a> sans faille, notre gaffeur préféré passe une bonne partie de son temps à inspecter (sans grand succès) les appareils de ses collègues ou que des amis lui confient. De la tondeuse au téléphone en passant par les postes de radio, rien ne lui échappe (p. 28). Pour Gaston, l’obsolescence programmée des objets doit être combattue et le bricolage doit devenir la nouvelle règle d’exploitation raisonnée des ressources. Il est presque un ambassadeur du développement durable interne dans l’entreprise… que tout le monde ignore. Jusqu’à ce que les aléas que ces réparations occasionnent fassent des victimes.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-mad-skills-au-coeur-des-metiers-de-demain-181505">Les « mad skills », au cœur des métiers de demain ?</a>
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<p>Finalement, Gaston Lagaffe nous invite à poursuivre la réflexion suivante : pourquoi des collaborateurs avec de vraies compétences décalées sont si mal gérés par leur management et si mal vus par les entreprises ? Comme le gaffeur, il faut sûrement penser hors des carcans habituels, « out of the box », pour gérer ces talents bizarres qui peuvent s’avérer précieux lorsque leur énergie est déployée à bon escient. Le management et les RH doivent sûrement accepter aussi d’ajuster leurs modèles pour permettre l’agilité nécessaire à la gestion de ce genre de profils spéciaux. Dans l’intérêt de tous. C’est une question de diversité et d’inclusion. A bien y regarder, Gaston Lagaffe est un assez bon sujet de management et de RH. Et un collaborateur qu’il faut oser embaucher.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220159/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Arnaud Lacan ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le roi des gaffes, dont les nouvelles planches rencontrent un véritable succès, est-il vraiment nuisible au travail ? Les entreprises n’auraient-elles pas plutôt besoin de ce profil farfelu ?Arnaud Lacan, Professeur de management - Chercheur au GREQAM AMSE - Titulaire de la Chaire AGIPI KEDGE « Le travail indépendant et les nouvelles formes d'entrepreneuriat », Kedge Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2202252023-12-20T19:57:59Z2023-12-20T19:57:59ZGérald Darmanin, symbole des illusions perdues du macronisme ?<p>Le projet de loi sur l’immigration était annoncé comme un moment décisif pour les différents acteurs de la vie politique française et en particulier pour Gérald Darmanin, le ministre de l’Intérieur. Il constitue sans doute un tournant important pour l’homme politique et illustre a plusieurs égards les difficultés auxquelles font face Emmanuel Macron, le macronisme et le système politique français dans son ensemble.</p>
<p>Les derniers événements ont été particulièrement difficiles pour le ministre même si celui qui a remis <a href="https://www.francetvinfo.fr/politique/gerald-darmanin/info-franceinfo-vote-de-rejet-de-la-loi-immigration-gerald-darmanin-a-propose-sa-demission-refusee-par-le-president-lors-d-un-entretien-lundi-soir-a-l-elysee_6237198.html">sa lettre de démission, refusée par l’Élysée</a> (suite au vote de la motion de rejet de la loi sur l’immigration) <a href="https://www.lefigaro.fr/politique/en-direct-loi-immigration-nous-sommes-plus-pres-d-un-accord-que-d-un-desaccord-affirme-darmanin-20231218">se félicite</a> aujourd’hui de la séquence politique qui a vu l’adoption de cette même loi.</p>
<p>L’homme politique est-il pour autant renforcé de cet épisode et que nous dit-il de l’état du macronisme ?</p>
<h2>Une image d’homme de droite</h2>
<p>Si Gérald Darmanin a pu publiquement <a href="https://www.francetvinfo.fr/politique/gerald-darmanin/presidentielle-2027-gerald-darmanin-estime-qu-edouard-philippe-est-le-mieux-place-mais-s-interroge-sur-son-envie_6109053.html">interroger sa volonté</a> de se positionner dans la course pour le poste de président de la République, il fait très clairement parti des personnes qui pourraient prétendre à la succession d’Emmanuel Macron.</p>
<p>Darmanin s’est construit une image d’homme de droite attaché au respect de l’ordre et son rôle de ministre de l’Intérieur a donné corps à ce positionnement. Mais plusieurs ratés (<a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/02/16/gerald-darmanin-doit-tirer-les-lecons-du-chaos-au-stade-de-france_6162045_3232.html">incidents du Stade de France</a>, <a href="https://www.lexpress.fr/societe/terrorisme-islamiste-darmanin-plaide-pour-une-injonction-de-soins-FJ5FEWIDYZCEVKUAN3CSTXHOG4/">attaques terroristes</a>…) et polémiques (<a href="https://www.lepoint.fr/societe/gerald-darmanin-maintient-ses-propos-sur-karim-benzema-25-10-2023-2540792_23.php#11">affaire Karim Benzema</a>, <a href="https://www.francetvinfo.fr/politique/gerald-darmanin/accusations-de-viol-a-l-encontre-de-gerald-darmanin-le-non-lieu-en-faveur-du-ministre-de-l-interieur-est-confirme-en-appel_5620133.html">accusation de viol</a>…) ont écorné sa réputation d’efficacité et de rigueur. Le rejet de « son » projet de loi sur l’immigration porte un coup certain à ses ambitions personnelles qui s’appuyaient en grande partie sur sa légitimité en matière de sécurité.</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Difficile pourtant de prévoir ce qu’il adviendra des ambitions présidentielles de Darmanin tant la période qui s’ouvre est inédite sous la V<sup>e</sup> République. <a href="https://www2.assemblee-nationale.fr/decouvrir-l-assemblee/histoire/la-ve-republique/les-grandes-etapes-de-la-ve-republique">Pour la première fois</a>, un président encore jeune quittera la présidence sans avoir été battu… alors que la possibilité qu’<a href="https://fr.news.yahoo.com/emmanuel-macron-pourrait-il-se-representer-en-2032-151353458.html?guccounter=1&guce_referrer=aHR0cHM6Ly93d3cuZ29vZ2xlLmNvbS8&guce_referrer_sig=AQAAAEKnCJD-4Puu94CtwDzyqMxOwQpDP1vGFHerRERgF4B1jyXWISobCd63hHgltqw3Oh95r1Db3-hkKua6TWiKp0H1yAoVvvxfn1Yr3jSxxiXfgw8aSkHR0_DL6ujHfEb48njeoWtcR5S6knPk_DbXa0vZG6669MwJO4f0YDYY0TT3">il puisse se représenter de manière non consécutive</a> n’est pas écartée.</p>
<p>Jamais, une telle situation n’était arrivée et la succession d’Emmanuel Macron risque donc de réserver des stratégies et des montages politiques nouveaux.</p>
<p>Pour la première fois, la <a href="https://www.lejdd.fr/politique/presidentielle-2027-marine-le-pen-caracole-en-tete-edouard-philippe-favori-du-camp-macroniste-dapres-un-sondage-139319">favorite des sondages</a> et de l’élection présidentielle pourrait être Marine Le Pen, la candidate du parti représentant l’extrême droite française. Dans ce contexte, le positionnement d’homme de droite de Darmanin et sa connaissance des dossiers régaliens, légitimés par son passage place Beauvau, seront sans doute recherchés par ceux qui décideront de se lancer dans la bataille face à Marine Le Pen.</p>
<h2>Pas de vrai virage politique, sauf vers la droite</h2>
<p>Lors de sa première élection présidentielle, Emmanuel Macron s’était fait élire en promettant de <a href="https://theconversation.com/la-gauche-et-la-droite-font-elles-encore-sens-en-france-178181">dépasser le clivage droite/gauche</a>.</p>
<p>Les sujets mis en avant, à l’image de l’immigration, et les mesures prises, comme dans le cadre de la réforme des retraites, semblent entériner l’idée que le parti présidentiel penche désormais fortement <a href="https://theconversation.com/emmanuel-macron-lheritier-cache-de-nicolas-sarkozy-178669">à droite</a>.</p>
<p>Le départ d’anciens alliés issus de la gauche, à l’instar tout récemment de <a href="https://www.ouest-france.fr/politique/daniel-cohn-bendit/europeennes-daniel-cohn-bendit-rompt-avec-macron-et-appelle-les-ecologistes-a-rejoindre-glucksmann-1f927344-9804-11ee-b5ab-4c9dbbc4ce19">Daniel Cohn Bendit</a>, parait d’ailleurs confirmer ce virage.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/nCnZvB09N6I?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Immigration : le projet de loi adopté par l’Assemblée nationale le 19 décembre 2023, HuffPost.</span></figcaption>
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<p>Lors de la seconde élection, il avait déclaré que le résultat morcelé du premier tour l’obligeait à faire de la politique autrement et qu’il avait <a href="https://www.youtube.com/watch?v=SMHd9uYD5H8">compris le message</a>. L’épisode des échanges et négociations entre Darmanin et Les Républicains (LR) lors de la loi sur l’immigration donne pourtant l’image de manœuvres politiciennes peu en accord avec l’idée de nouvelles pratiques politiques et de la recherche d’un consensus autour d’un projet commun. Alors que certains en appellent à une <a href="https://books.openedition.org/putc/157?lang=fr">VIᵉ république</a>, la façon dont les jeux de pouvoir s’organisent sous et autour d’Emmanuel Macron rappelle en tous points celles des époques précédentes.</p>
<p>La loi sur l’immigration symbolise à plusieurs égards la « politique à l’ancienne » que l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron devait faire disparaître. En ce sens, elle illustre l’échec de la tentative de faire de la politique autrement. La <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/un-parlement-en-toc-l-amertume-d-une-deputee-macroniste-decidee-a-ne-pas-se-representer-a-l-assemblee-5879426">décision de certains élus macronistes</a> de ne pas rempiler suite au premier quinquennat, avaient déjà en partie mis en exergue ce phénomène. Force est constater que l’utilisation répétée du 49.3 semble témoigner des <a href="https://www.lopinion.fr/politique/les-deputes-macronistes-doivent-encore-apprendre-a-perdre">difficultés du camp présidentiel</a> à <a href="https://theconversation.com/macron-incarnation-de-la-theorie-des-paradoxes-et-de-ses-limites-195300">co-construire, à négocier, à convaincre</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/changer-de-constitution-pour-changer-de-regime-180160">Changer de constitution pour changer de régime ?</a>
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<h2>Un décalage profond avec les électeurs</h2>
<p>L’incapacité de parvenir à mettre en place de nouvelles pratiques politiques illustre un phénomène plus profond pour la V<sup>e</sup> République et le système démocratique : celui du décalage entre la façon dont les décideurs politiques comprennent les messages des urnes et des élections et la réalité des aspirations des électeurs et de la population. L’affaire de la loi sur l’immigration vient rappeler que le macronisme n’est pas parvenu à combler ce décalage… qui s’est sans doute amplifié au cours des dernières années suite à des scandales comme <a href="https://www.lefigaro.fr/actualite-france/dossier/affaire-benalla-macron-garde-du-corps-video-manifestant">l’affaire Benalla</a> ou la crise des <a href="https://www.sciencespo.fr/cevipof/fr/content/qui-sont-les-gilets-jaunes-et-leurs-soutiens.html">« gilets jaunes »</a>.</p>
<p>Mais l’épisode de la loi sur l’immigration est aussi un tournant politique car la motion de rejet de la loi sur l’immigration a donné lieu à un vote uni de <a href="https://www.lesechos.fr/politique-societe/societe/loi-immigration-et-integration-ce-quil-faut-savoir-1902727">LR, du Rassemblement national (RN) et de la gauche</a>. Cette alliance, bien que de circonstance, montre à quel point le Rassemblement national est devenu un <a href="https://theconversation.com/lextreme-droite-premier-courant-politique-francais-182977">parti comme les autres</a> au sein de la vie politique française.</p>
<h2>Un parfum de fatalité ?</h2>
<p>Le Front Républicain contre l’extrême droite s’est transformé en un <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/12/13/l-arc-republicain-un-concept-destine-a-exclure-certains-du-champ-de-la-legitimite-politique_6205527_3232.html">Arc Républicain</a> visant tous les extrêmes. Et les partis « traditionnels » s’allient désormais de plus en plus avec le RN au hasard des circonstances. La <a href="https://www.lopinion.fr/politique/la-strategie-de-la-cravate-du-rn-fonctionne-t-elle">stratégie de Marine Le Pen</a> visant à cultiver une image sérieuse et modérée à l’Assemblée Nationale semble donc porter ses fruits, d’autant plus qu’elle positionne son groupe parlementaire en complète opposition avec la <a href="https://www.leparisien.fr/politique/la-on-va-dans-le-mur-au-sein-de-lfi-la-strategie-de-la-bordelisation-fait-debat-16-12-2023-SOHC2BQIXBDGXHV45XZP6OGKZE.php">stratégie volontiers provocatrice</a> et belliqueuse de LFI et de certaines personnalités de gauche.</p>
<p>Comme ses prédécesseurs, Emmanuel Macron, qui avait affirmé qu’il parviendrait à faire baisser l’extrême droite en France, ne parvient pas à empêcher l’expansion du RN. Les figures comme Gérald Darmanin semblaient pourtant <a href="https://www.lavoixdunord.fr/1182443/article/2022-05-20/gerald-darmanin-l-atout-droite-pop-de-macron-rempile-l-interieur">destinées à élargir le spectre du parti présidentiel</a> et devaient faire barrage au parti d’extrême droite en se positionnant sur ses thématiques et ses idées. Les déboires du ministre de l’Intérieur illustrent au contraire les limites des stratégies de lutte contre l’extrême droite visant à s’appuyer sur des personnalités censées reprendre et représenter leurs idées pour attirer les électeurs.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-rn-trou-noir-du-paysage-politique-francais-219757">Le RN, « trou noir » du paysage politique français</a>
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<p>Mais l’expansion du RN est à mettre en perspective avec les succès des partis d’extrême droite dans plusieurs pays d’Europe comme en <a href="https://fr.euronews.com/2023/10/22/giorgia-meloni-un-an-a-la-tete-de-litalie">Italie</a> ou au <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/11/24/extreme-droite-aux-pays-bas-l-original-triomphe-toujours-de-la-copie_6202071_3232.html">Pays Bas</a> ou par exemple en <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/11/20/en-argentine-le-choc-et-les-interrogations-apres-l-election-triomphale-de-javier-milei-a-la-presidence_6201228_3210.html">Argentine</a>. L’exemple français n’est pas exceptionnel et ces succès donnent un parfum de fatalité à l’incapacité d’Emmanuel Macron et du camp présidentiel à contrer l’expansion du parti présidé par Jordan Bardella.</p>
<p>La période de turbulences économiques, sociales, géopolitiques et environnementales actuelle est aussi un terrain particulièrement fertile pour la montée des extrêmes et des populismes. Dans le cas de la France, cette montée ne pourra être un tant soit peu contenue que si des personnes comme Gérald Darmanin et Emmanuel Macron parviennent à éviter des séquences comme celle de la loi sur l’immigration tant elles mettent en lumière les illusions perdues de leur aventure politique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220225/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Olivier Guyottot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Comment Gérald Darmanin incarne l’échec d’une « nouvelle façon » de faire de la politique.Olivier Guyottot, Enseignant-chercheur en stratégie et en sciences politiques, INSEEC Grande ÉcoleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2161052023-12-17T15:34:32Z2023-12-17T15:34:32ZLe silence, un outil de performance managériale sous-estimé<p>Les managers travaillent évidemment avec des mots… mais peuvent-ils travailler avec le silence ? Lorsqu’il était président-directeur général (PDG) d’Amazon, Jeff Bezos avait supprimé les présentations PowerPoint des réunions et avait introduit 30 minutes de silence <a href="https://www.cnbc.com/2019/10/14/jeff-bezos-this-is-the-smartest-thing-we-ever-did-at-amazon.html">au début de chaque réunion</a>. Il a qualifié ce changement radical de « chose la plus intelligente que nous n’ayons jamais faite » au sein du géant de la distribution en ligne. De manière similaire, Diane Greene, ex-PDG de Google Cloud, explique que « les <a href="https://hbr.org/2017/03/bursting-the-ceo-bubble">moments calmes sont essentiels</a> pour penser clairement et augmenter les chances de poser les bonnes questions ».</p>
<p>Ces propos peuvent sembler surprenants dans nos quotidiens suractifs, parce que le calme est souvent négligé dans les environnements de travail. En 2022, plus de <a href="https://www.sante-auditive-autravail.org/pdf/enquete-Ifop-JNA-SSAT-2022.pdf">50 % des actifs</a> se disaient ainsi gênés par le bruit au travail, un chiffre qui n’a que peu évolué ces dernières années.</p>
<p><iframe id="xP7a9" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/xP7a9/4/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Pourtant, le silence peut constituer un formidable vecteur de performances…</p>
<h2>90 minutes perdues par jour</h2>
<p>Alors que d’autres types de silence, comme la communication non verbale ou la rétention d’information, ont été largement étudiés en management, nous nous intéressons à l’environnement de travail et à la pratique intentionnelle du silence par les individus, les groupes et les organisations. Ces situations ont fait l’objet de très peu de recherches. À l’inverse, des études montrent sans ambiguïté les pertes considérables de temps liées au bruit et à l’absence de tranquillité sur le lieu de travail (<a href="https://hbr.org/2015/03/stop-noise-from-ruining-your-open-office">près de 90 minutes par jour et par employé</a>).</p>
<p>Ollie Campbell, PDG et co-fondateur de Milanote, une entreprise australienne de développement d’applications, a par exemple estimé que l’introduction de moments de calme <a href="https://medium.com/@oliebol/quiet-time-969ccc3416f8">a augmenté la productivité de l’entreprise de 23 %</a>. Une étude portant sur le fait de motiver les autres a en outre démontré que le fait de se taire et d’être silencieux pouvait être <a href="https://www.jmir.org/2013/6/e104/">nettement plus efficace que des mots d’encouragement</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-limiter-la-pollution-sonore-au-bureau-197165">Comment limiter la pollution sonore au bureau ?</a>
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<p>Comme les temps perdus par le bruit sont peu quantifiables, ils restent cependant négligés et constituent des coûts cachés : ils impactent pourtant significativement les performances individuelle et organisationnelle, auxquelles il faut ajouter leurs effets potentiels sur les problématiques majeures que sont l’absentéisme, la qualité de vie au travail ou la santé des collaborateurs.</p>
<p>La question du silence dans les environnements de travail apparaît donc très pertinente. Celui-ci peut procurer un certain nombre de bénéfices indirects, à commencer par un renforcement du potentiel d’attractivité et de fidélisation pour les collaborateurs. Combien d’employés dont on attend une production sont – très paradoxalement ! – mis dans des situations bruyantes rendant difficiles leur concentration, leur attention et leur capacité d’analyse, altérant donc leur productivité ?</p>
<h2>Organiser le silence</h2>
<p>Certes, apprivoiser le silence en entreprise n’est pas chose aisée. Pour démarrer un tel processus où la place du silence est reconnue et valorisée, nous proposons aux managers, sur la base de notre <a href="https://hal.inrae.fr/hal-04251781">étude</a> dans la revue <em>Industrial & Organizational Psychology</em>, les deux recommandations suivantes.</p>
<p>Tout d’abord, accorder de la valeur au silence en <strong>prévoyant explicitement des moments et des espaces de silence</strong> dans l’espace de travail : la configuration des locaux peut consacrer des espaces dédiés au silence, où le bruit n’a pas sa place. De même, des périodes silencieuses peuvent être placées en début de réunion, à l’instar de la méthode de Jeff Bezos, ou insérées en cours de discussion.</p>
<p>Il s’agit ensuite de s’accorder – et accorder – des <strong>moments de déconnexion totale dans la nature</strong>,** **<a href="https://hbr.org/2017/03/the-busier-you-are-the-more-you-need-quiet-time">voire des retraites silencieuses</a>. A priori, cela peut sembler surprenant, mais les effets de ces moments sont puissants, comme le fait de renouveler son stock d’énergie, de procéder à un « rangement » intérieur ou d’être plus à l’écoute des autres.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"825035424829685763"}"></div></p>
<p>Sally Blount, doyenne de la Kellogg School of Management aux États-Unis, <a href="https://www.linkedin.com/pulse/burnt-out-work-consider-silent-retreat-sally-blount">conseille même</a> :</p>
<blockquote>
<p>« La prochaine fois que vous vous sentirez coincé au travail avec un problème difficile à résoudre, une dynamique d’équipe compliquée ou que vous vous sentirez simplement épuisé – au lieu d’embaucher un consultant, d’aller à un séminaire ou de tweeter à ce sujet – envisagez de partir pour deux à trois jours de silence. »</p>
</blockquote>
<p>Même si les effets restent essentiellement indirects et difficilement quantifiables, le silence mériterait une bien meilleure considération de la part des managers et des organisations. Cette question pourrait par exemple s’insérer dans les négociations employeurs-employés sur les modalités de télétravail, la productivité, la santé/qualité de vie au travail. L’objectif n’est pas de transformer les organisations en cathédrales ni de proposer des mesures qui seraient efficaces partout et toujours. Simplement d’ouvrir une perspective qui semble receler, dans de nombreux contextes, un formidable potentiel d’opportunités.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/216105/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Pour organiser le calme au calme au travail, un travail de recherche préconise d’aménager des espaces et des plages horaires spécifiques mais aussi de partir parfois en retraite en pleine nature.Alexandre Asselineau, Professeur associé en Management stratégique, Burgundy School of Business Gilles Grolleau, Professor, ESSCA School of ManagementNaoufel Mzoughi, Chargé de recherches en économie, InraeLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2191662023-12-13T20:42:03Z2023-12-13T20:42:03ZQuand les dirigeants utilisent le storytelling pour atténuer leurs erreurs stratégiques<p>Que dire en cas d’accident stratégique, lorsque l’ombre de la faillite commence à planer sur l’entreprise et que collaborateurs et investisseurs commencent à paniquer ? Les récents déboires de <a href="https://theconversation.com/casino-une-debacle-previsible-depuis-plus-dune-decennie-209170">Casino</a> et Alstom en France et les déroutes début 2023 de <a href="https://theconversation.com/credit-suisse-les-lecons-dune-lente-descente-aux-enfers-202363">Credit Suisse</a> et <a href="https://theconversation.com/faillite-de-la-silicon-valley-bank-pourquoi-les-risques-dune-nouvelle-crise-financiere-restent-limites-201650">Silicon Valley Bank (SVB)</a> à l’étranger rappellent l’éternelle et permanente possibilité de la sortie de route, au-delà des cas exemplaires de Kodak et Nokia.</p>
<p>Le déni et la distribution d’accusations forment le réflexe le plus fréquent des dirigeants exposés à de tels épisodes. « Des rumeurs et fausses conceptions » sont à l’origine de la faillite de SVB, plaidait encore son <a href="https://www.ft.com/content/56d98a9c-d59e-4296-bf94-2a1926017818#post-d131de91-9f18-49d2-91f6-3186827abaaa">président-directeur général</a> (PDG)… plusieurs mois après avoir été chassé de son poste.</p>
<p>Cependant, si l’image d’infaillibilité attachée au pouvoir peut aveugler ses titulaires au point de nier l’évidence, nos études montrent que d’autres formes de storytelling permettent au contraire de donner du sens lorsqu’il faut reconstruire une stratégie sur de nouvelles bases. Dans un <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/14761270231195295">article</a> tout juste publié par <em>Strategic Organization</em>, nous avons identifié un processus dialectique par lequel les dirigeants réussissent à contourner le paradoxe de leur maintien au pouvoir après et malgré un épisode d’échec stratégique.</p>
<h2>Deux « lignes éditoriales » alternatives</h2>
<p>Cette perspective de storytelling, mise au jour par l’analyse de dizaines d’interviews avec des présidents et directeurs généraux de grandes entreprises européennes des services financiers employant au total près d’un million de personnes, repose sur la notion d’erreurs stratégiques. Elle comporte deux grandes dimensions.</p>
<p>La première dimension est contre-intuitive. Elle consiste à reconnaître, mobiliser l’erreur stratégique et à s’en emparer pour impulser le changement. Déclarer l’erreur permet d’écarter deux « lignes éditoriales » alternatives, mais moins crédibles : la dénégation, dont les risques augmentent au fur et à mesure du développement de la crise ; et l’accusation de personnes ou groupes, perçue comme trop facile – dans l’affaire Kerviel, c’était la stratégie choisie par le dirigeant de l’époque Daniel Bouton et la Société générale, et elle s’est <a href="https://www.lejdd.fr/Societe/Affaire-Kerviel-la-Societe-generale-condamnee-a-payer-450-000-euros-a-l-ancien-trader-789381-3154016">avérée coûteuse</a> pour les deux.</p>
<p>Introduire cette notion d’erreur apparaît comme une voie subtile, parce que l’erreur implique une certaine prise de responsabilité de la part de l’entreprise. Reconnaître et mobiliser l’erreur signifie affirmer que l’entreprise a dévié d’une règle qu’elle aurait dû observer. Les dirigeants qui en font usage énoncent la règle qu’il aurait fallu respecter, celle qui servira de guide pour définir la nouvelle stratégie.</p>
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<p>La règle de prudence, marque de fabrique de <a href="https://www.ft.com/content/0d37a6df-68cb-4541-9e9e-aa20c574fa85">UBS</a>, s’impose désormais à Credit Suisse à la place de la profitabilité au prix de trop forts risques. Il aura cependant fallu en passer par une faillite, l’intervention des pouvoirs publics, et l’élimination du top management. Chez <a href="https://www.reuters.com/business/autos-transportation/alstom-appoint-new-chairman-cut-1500-staff-2023-11-15/">Alstom</a>, à la règle de croissance des commandes succède la priorité aux livraisons et au flux de trésorerie. Pour l’instant, la direction a réussi à se maintenir.</p>
<p>Mobiliser la notion d’erreur dans le storytelling permet aux dirigeants de dramatiser la situation pour stimuler la perception d’urgence. L’erreur offre un cadrage des épisodes de crise et lui donne un sens afin de catalyser le renouvellement stratégique, ici et maintenant.</p>
<p>La seconde dimension du storytelling que nous avons identifié permet toutefois aux dirigeants de se distancier de l’erreur et de l’échec qui y est associé. Si tous nos interlocuteurs nous ont raconté des épisodes qu’ils avaient vécus personnellement, chacun a pris soin de dissocier leur propre rôle de celui de l’organisation.</p>
<p>Collectiviser l’erreur et l’échec a émergé comme un élément déterminant de leurs récits. Comme nous l’a expliqué le président d’une des premières banques européennes :</p>
<blockquote>
<p>« Ce n’est pas mon erreur, ce n’est pas l’erreur de telle ou telle personne. C’est le problème que nous devons résoudre ensemble ».</p>
</blockquote>
<p>Cette collectivisation est utile aux dirigeants car elle soulage l’opprobre qui pourrait les affecter directement. Elle a un autre avantage : elle dilue la culpabilité des équipes et des collaborateurs en la faisant porter par l’organisation entière. Elle assigne à l’entreprise une nouvelle mission – surmonter l’épisode pour passer à une nouvelle étape.</p>
<h2>Acte de pouvoir</h2>
<p>Mais cette dilution des responsabilités ne suffit pas. La notion de faute et la culpabilité associée restant inhérentes à la crise, encore faut-il aux dirigeants des moyens pour l’atténuer. Outre la collectivisation, nous avons trouvé trois mécanismes narratifs qui accomplissent cet objectif :</p>
<ul>
<li><p>Le premier passe par la temporalisation. Le discours revient alors à dire que l’entreprise n’a pas réussi à s’adapter assez vite à un changement extérieur imprévisible. Un de nos interlocuteurs a ainsi expliqué comment son entreprise, une importante compagnie d’assurances française, s’était retrouvée en défaut après un revirement de jurisprudence – jugé trop brutal.</p></li>
<li><p>Le deuxième mécanisme repose sur l’isolement : en substance, le récit énonce que l’erreur stratégique s’est développée dans une business-unit si spécifique et si éloignée de l’organisation principale qu’elle échappait naturellement à l’attention.</p></li>
<li><p>Enfin, le troisième et dernier mécanisme implique la généralisation. Le discours consiste alors à justifier l’erreur en exposant que toutes les organisations du même secteur ont été touchées – une explication plausible par exemple pour les banques à l’heure des hausses de taux.</p></li>
</ul>
<p>Dans notre schéma, si la collectivisation est systématique dans les discours, les mécanismes de temporalisation, d’isolement et de généralisation se sont avérés exclusifs l’un de l’autre, répondant ainsi à l’impératif de clarté rappelé par un article récent de la <a href="https://hbr.org/2023/09/create-stories-that-change-your-companys-culture?ab=HP-magazine-text-1">Harvard Business Review</a>.</p>
<p>Dans une perspective pratique, reconnaître une erreur stratégique pourrait ainsi offrir une nouvelle opportunité aux dirigeants. En réalité, c’est un acte de pouvoir. Lorsque les circonstances se détériorent, c’est peut-être même leur dernier recours avant le naufrage – et pour éviter leur éviction.</p>
<hr>
<p><em>La recherche a été conduite avec le soutien de la Chaire Baillet-Latour sur le management des erreurs à la Solvay Brussels School of Economics & Management</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/219166/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Un article de recherche récent met en lumière plusieurs mécanismes narratifs qui permettent aux responsables d’atténuer leur responsabilité après une faute.Vincent Giolito, Professeur, EM Lyon Business SchoolDamon Golsorkhi, Professeur associé, EM Lyon Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2189842023-12-12T18:45:52Z2023-12-12T18:45:52ZLa compétence professionnelle n’est pas une question de personnalité<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/562798/original/file-20231130-21-1jjkoi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=109%2C98%2C977%2C709&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Il est impossible de dire que tous les magistrats ont une personnalité introvertie. Ici, « Portrait du Juge et des Consuls de la Bourse de Bordeaux » de Pierre Lacour (1787).
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/50879678@N03/19433203832">Flickr/Bernard Blanc</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>On lit parfois que la <a href="https://journals.openedition.org/rfp/5143">personnalité indique l’intelligence</a>, ou qu’il existe des <a href="https://www.hrimag.com/Les-caracteristiques-personnelles-des-personnes-creatives">personnalités plus créatives que d’autres</a>. Or, ces perspectives sont erronées, comme le montrait une <a href="http://www.leseditionsovadia.com/collections/22-les-carrefours-d-ariane/159-personnalite-ou-performance.html">publication en 2015</a>. En effet, il n’existe pas de définition consensuelle de la personnalité. Cependant, un thème commun émerge : la personnalité se manifeste au travers des <a href="https://pascalkermarrec.com/2018/03/28/le-comportement-de-lindividu-dans-lorganisation/">régularités ou des cohérences du comportement</a>.</p>
<p>Dans le monde professionnel, bien que les sages-femmes soient souvent bienveillantes, les magistrats distants et les commerciaux avenants, il reste difficile d’affirmer avec certitude que ces caractéristiques soient le reflet de leur personnalité : en effet, il est tout aussi probable que ces régularités comportementales soient le résultat d’une compétence acquise et qu’elles aient été adoptées parce qu’elles sont efficaces dans ces professions. Il est donc impossible de dire que les magistrats ont tous une personnalité réservée et introvertie. De la même façon, la bienveillance est essentielle pour une sage-femme, mais cela ne signifie pas qu’elle soit de nature bienveillante.</p>
<h2>Méfiez-vous des tests !</h2>
<p>De manière générale s’il veut être reconnu, tout professionnel se doit d’incarner les qualités attendues spécifiques à son métier. L’acquisition de ces compétences comportementales nécessite un certain degré d’intelligence et d’adaptabilité mais ne reflète pas leur personnalité à proprement parler. Les comportements professionnels ne peuvent donc pas être considérés comme manifestant la personnalité.</p>
<p>Dès lors, comment interpréter les recours aux tests de personnalité des ressources humaines lors d’une phase de recrutement ? Ces tests sont censés offrir un aperçu des préférences et tendances (c’est notamment le cas pour le <a href="https://eu.themyersbriggs.com/fr-FR/tools/MBTI/MBTI-personality-Types">MBTI</a>, l’une des références en la matière). Toutefois, ils ne doivent pas être interprétés comme une représentation totale de la personnalité ou du potentiel professionnel d’un individu.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-tests-de-personnalite-sont-ils-vraiment-un-bon-outil-de-selection-en-entreprise-201432">Les tests de personnalité sont-ils vraiment un bon outil de sélection en entreprise ?</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Comme le souligne une étude récente de la <a href="https://www.challenges.fr/emploi/recrutement-et-si-les-tests-de-personnalite-ne-servaient-a-rien_11046">Chaire « Nouvelles Carrières » de Neoma Business School</a> :</p>
<blockquote>
<p>« L’évaluation de la personnalité en situation de recrutement révèle moins les caractéristiques réelles des candidats que leur connaissance des stéréotypes et des attentes supposées des recruteurs ».</p>
</blockquote>
<p>Les managers doivent donc éviter de tirer des conclusions hâtives à partir de la personnalité supposée d’un candidat et rester factuels dans leur approche. Par exemple, dans un contexte de management d’équipe, il est crucial de distinguer le comportement observable des traits de personnalité tels que mesurés via un test et d’éviter les généralisations réductrices. Il en va de même pour les <a href="https://www.hbrfrance.fr/management/faut-il-en-finir-avec-le-management-intergenerationnel-60325">stéréotypes générationnels</a>, eux aussi réducteurs et nuisibles au management.</p>
<h2>Déresponsabilisation</h2>
<p>Les principaux enseignements de ce constat pour les managers peuvent donc se résumer comme suit :</p>
<ul>
<li><p>D’abord, <strong>considérer l’adaptabilité comme la clef de la réussite</strong> : comportements professionnels et habitudes peuvent être le résultat d’adaptations à des situations spécifiques plutôt que des indicateurs fixes de la personnalité. Les managers doivent favoriser une culture d’adaptabilité pour encourager la flexibilité dans les réponses aux défis et ne pas emprisonner les collaborateurs dans des profils types.</p></li>
<li><p>ensuite, <strong>éviter les amalgames préjudiciables</strong> : les tests de personnalité ne doivent pas être les seuls guides dans le recrutement et la gestion d’équipes. Les témoignages d’anciens collaborateurs ou superviseurs et les expériences professionnelles fournissent notamment des informations cruciales sur l’adaptabilité et la capacité individuelle d’un collaborateur à évoluer dans des contextes variés.</p></li>
</ul>
<p>Faire uniquement appel à la personnalité pour expliquer un comportement professionnel revient donc à dire que les individus ne sont pas responsables de leur comportement, mais que leur personnalité l’est. C’est suggérer, à tort, une absence de responsabilité individuelle dans les actions et ignorer la complexité des influences externes et internes sur notre comportement. Le management efficace va au-delà des simples étiquettes de personnalité et exige une compréhension individuelle plus approfondie et une approche plus flexible, surtout dans un contexte mouvant comme la gestion d’équipes.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/218984/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Les comportements professionnels ne sont pas des indicateurs fiables de la véritable nature d’une personne, car ils peuvent également résulter de compétences acquises progressivement.Veronique Brajeux-Ferrouillat, Responsable Master Négociation et Management des Affaires, Pôle Léonard de VinciJean-Etienne Joullié, Professeur de management à l'EMLV, Pôle Léonard de VinciLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2194332023-12-11T20:42:51Z2023-12-11T20:42:51ZCoopérer pour le climat entre pays, c’est aussi une affaire de management<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/564290/original/file-20231207-27-37apct.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C1917%2C1077&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Des dirigeants du monde entier se retrouvent à Dubaï pour la COP28 du 30&nbsp;novembre au 12&nbsp;décembre.
</span> <span class="attribution"><span class="source">Ministerio para la Transición Ecológica - España / Flickr</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p>Les chefs d’État et de gouvernement se retrouvent à la <a href="https://theconversation.com/topics/cop28-147549">COP28</a> à Dubaï, avec pour ambition, 8 ans après l’Accord de Paris sur le climat, de dresser un premier bilan mondial des engagements pris par les États afin de limiter le <a href="https://theconversation.com/topics/climat-20577">réchauffement climatique</a>. Au-delà de la polémique sur l’<a href="https://theconversation.com/vu-des-emirats-arabes-unis-une-cop28-sous-le-signe-du-petrole-218880">hôte de ces rencontres</a> – la <a href="https://www.lesechos.fr/monde/enjeux-internationaux/cop28-a-dubai-vers-un-record-demissions-de-co2-2038320">cohérence</a> entre l’objectif affiché de la conférence et la dépendance aux énergies fossiles des Émirats arabes unis n’allant pas de soi – une question essentielle est celle de la collaboration nécessaire pour pouvoir effectivement adresser la question du réchauffement climatique.</p>
<p>Parmi les 17 <a href="https://www.un.org/sustainabledevelopment/fr/2015/09/25/les-etats-membres-de-lonu-adoptent-un-nouveau-programme-de-developpement-audacieux/">Objectifs du développement durable (ODD) des Nations unies</a>, la lutte contre les changements climatiques figure aux côtés d’autres grands défis économiques, sociaux et environnementaux : lutte contre la pauvreté, lutte contre la faim dans le monde, égalité des sexes, mais aussi préservation de la vie aquatique et de la vie terrestre.</p>
<p>Comme le montre le <a href="https://www.stockholmresilience.org/research/planetary-boundaries.html">Stockholm Resilience Centre</a>, bien connu pour avoir développé le concept de limites planétaires, il semble exister une hiérarchie entre ces ODD : la biosphère (ODD 6, 13, 14 et 15) « porte » les ODD qui concernent directement la société (ODD 1, 2, 3, 4, 5, 7, 11 et 16), sur lesquels reposent les ODD liés à l’économie (ODD 8, 9, 10, 12). Tout en haut de cette <a href="https://www.stockholmresilience.org/research/research-news/2016-06-14-the-sdgs-wedding-cake.html">« pièce montée »</a>, nom donné par les auteurs, on retrouve l’ODD 17, intitulé <a href="https://www.un.org/sustainabledevelopment/fr/globalpartnerships/">« partenariats pour la réalisation des objectifs »</a>. Sous ce titre simple, réside en fait toute la complexité de l’atteinte des ODD.</p>
<h2>Travailler ensemble ne se décrète pas</h2>
<p>La littérature académique s’est emparée, depuis plusieurs années déjà, de la notion de « grands défis » (« Grand Challenges » ou « wicked problems », en anglais), définis comme des problèmes complexes aux enjeux économiques, sociaux et environnementaux majeurs qui impactent des populations importantes et nécessitent la collaboration de plusieurs acteurs, car impossibles à résoudre seul.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1731431812793012681"}"></div></p>
<p>Relever de tels défis nécessite une prise de conscience de la part des différentes parties prenantes, qui ont des attentes variées, voire opposées sur le sujet. Les pays du Sud mettent en avant leurs besoins de consommation d’<a href="https://www.lesechos.fr/industrie-services/energie-environnement/cop-28-relance-par-la-crise-de-lenergie-le-charbon-est-loin-davoir-tire-sa-reverence-2038646">énergies fossiles</a> afin de permettre le développement de leurs économies. À cela s’ajoute la nécessité de lever des barrières sociales, mais aussi des <a href="https://journals.aom.org/doi/abs/10.5465/amj.2016.4007">contraintes organisationnelles et institutionnelles</a>. Une des grandes difficultés, dans l’atteinte de ces objectifs ambitieux, est ainsi de bousculer les modèles et croyances établis, en adoptant une démarche plus critique pour pouvoir explorer des <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/1052562916674465">solutions régénératives</a>.</p>
<p>Travailler ensemble ne se décrète pas. La variété des parties prenantes impliquées dans ces grands défis nécessite un effort certain de leur part pour identifier un objectif partagé, dénominateur commun constituant un début de possible collaboration. Et, forcément, des <a href="https://journals.aom.org/doi/abs/10.5465/amj.2015.0890">tensions émergent</a>.</p>
<h2>Collaborer sous la contrainte</h2>
<p>La recherche académique a tenté de mieux comprendre les enjeux d’une collaboration entre acteurs multiples et pourquoi l’<a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/joms.12273">échec est souvent au rendez-vous</a>. La <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s10551-015-2756-4">variété des acteurs présents</a>, regroupés en trois grandes catégories (secteur public, secteur privé, société civile), pose deux types de questions.</p>
<p>Tout d’abord, celle de la sélection des partenaires, qui s’avère être une étape cruciale, quel que soit le projet. Mais le choix est-il vraiment possible ? La COP28 nous prouve, si besoin il y avait, que la négociation se joue parfois avec des partenaires imposés, qui sont en l’occurrence les gouvernements des autres pays.</p>
<p>La seconde question est celle de la compatibilité entre partenaires : sont-ils en capacité de se mettre d’accord sur l’objectif recherché d’une part, et quels types de complémentarité de ressources et de compétences apportent-ils d’autre part ? Là aussi, <a href="https://reporterre.net/La-COP28-sera-une-lutte-acharnee-entre-pays-du-Nord-et-du-Sud">l’opposition est évidente</a> entre les attentes des pays du Sud, en termes de développement économique et social, et celles des pays du Nord qui tentent d’enrayer ce qui peut encore l’être en matière climatique. Mais la lutte contre le réchauffement climatique est-elle vraiment un « problème de riches » ?</p>
<p>En tout état de cause, l’ODD 17, souvent passé sous silence, s’avère être une clé essentielle dans la quête – nécessairement longue et sans garantie de succès – de l’atteinte des autres ODD, grâce à une démarche participative, intégrant toutes les parties prenantes utiles à l’atteinte de ces objectifs.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/219433/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>L’objectif de développement durable des Nations unies n°17 insiste sur la constitution de partenariats pour relever les défis du XXIe siècle.Anne Albert-Cromarias, Directrice Académique et de la Recherche. Enseignant-chercheur HDR en management stratégique, ESC Clermont Business SchoolAngéline Pinglot, Enseignante-chercheuse en Management, ESC Clermont Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2139422023-12-05T16:56:42Z2023-12-05T16:56:42ZCybersécurité : le défi de la formation des dirigeants publics<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/561382/original/file-20231123-23-xl4n4q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C2048%2C1247&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">37 000 cyberattaques dirigées contre des organisations publiques ont réussi en 2022.</span> <span class="attribution"><span class="source">Guerric / Flickr</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0/">CC BY-NC</a></span></figcaption></figure><p>Les informations et les données qui tentent d’évaluer la prise en compte par les dirigeants de collectivités territoriales de la Sécurité de leurs propres Systèmes d’Information (SSI) sont assez rares en général et restent quasiment <a href="https://www.cairn.info/revue-gestion-et-management-public-2013-1-page-24.htm">inexistantes en France</a>. Une nouvelle étude, <a href="https://www.researchgate.net/publication/374051369_Les_dirigeants_de_collectivites_territoriales_francaises_confrontes_a_la_gestion_operationnelle_des_cybermenaces_une_approche_typologique">récemment publiée</a>, expose, à nouveau, un niveau de prise en compte qui reste globalement insuffisant. Elle pointe un niveau de vulnérabilité qu’il convient de prendre au sérieux.</p>
<p>Il est pourtant manifeste, en ces temps troublés, que cette sécurisation des SI des collectivités territoriales – et des bases de données sensibles de type public et para public qu’ils renferment – constitue un impératif stratégique tout à fait majeur. Cet impératif dépasse largement le simple cadre local et territorial notamment au regard de l’<a href="https://www.groupeonepoint.com/fr/nos-publications/le-secteur-public-face-aux-defis-de-la-cybersecurite/#_ftn1">augmentation</a> constante des <a href="https://theconversation.com/topics/cybersecurite-31367">cyberattaques et des cybermenaces</a> contre des collectivités, y compris de taille modeste, voire très modeste, depuis le début des crises sanitaires et sécuritaires que nous traversons depuis 2020. Selon un <a href="https://asteres.fr/etude/les-cyberattaques-reussies-en-france-un-cout-de-2-mdse-en-2022/">rapport</a> du cabinet Asterès, les organisations publiques ont subi 37 000 cyberattaques réussies en 2022. La moitié de celles employant plus de 250 salariés sont concernées mais plus d’un quart (27 %) demeurent en deçà de 250 salariés.</p>
<h2>Un sentiment de maîtrise en trompe-l’œil</h2>
<p>Pour tenter de combler ce déficit de sécurité, il nous a semblé que trois fondements théoriques issus des sciences de gestion et du management public étaient à mobiliser. Le premier repose sur travaux liés à l’adoption et à l’<a href="https://www.researchgate.net/publication/226145805_The_Technology-Organization-Environment_Framework">appropriation des outils numériques en mode TOE</a>. Ceux-ci s’intéressent à ce qui relève de la technologie, de l’organisation ou de l’environnement dans les prises de décision en matière de cybersécurité. Le second s’intéresse aux travaux sur les <a href="https://ideas.repec.org/a/bpj/johsem/v15y2018i3p14n4.html">risques numériques en organisation publique</a> et le décalage entre les dangers potentiels et la maîtrise que pensent en avoir les agents. Le troisième pilier est lié aux travaux sur la prévention des cyberattaques publiés par Rémy Février.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/xrSjt4BY4O0?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Pour aller plus loin qu’un seul cadrage théorique et aborder les aspects empiriques propres au terrain, nous avons mobilisé 67 dirigeants de collectivités qui, toutes, ont moins de 3 500 habitants et sont situées en métropole. Les questionnaires qu’ils nous ont retournés ont été traités statistiquement à la fois de façon descriptive et par classification hiérarchique.</p>
<p>Il s’agissait de s’attaquer à la question du « pourquoi » de cette vulnérabilité en décryptant les freins retardant le déploiement d’une véritable politique de sécurisation des SI des collectivités territoriales.</p>
<p>Le premier est collectif et réside dans le vocabulaire employé qui doit rester accessible à tous. Il convient ainsi de <a href="https://www.mailinblack.com/ressources/glossaire/lexique-cybersecurite/">ne pas trop « techniciser »</a> les menaces et d’appeler un chat un chat sans trop de jargon ni verbiage. Par exemple des termes basiques comme « mot de passe », « pièce jointe », « lien » ou <a href="https://www.economie.gouv.fr/particuliers/phishing-hameconnage-filoutage">« hameçonnage »</a> ne doivent pas être snobés ! Les autres freins sont plus individuels et montrent certaines lacunes – non rédhibitoires – en matière de prise de conscience de la réalité des risques numériques par les décideurs territoriaux.</p>
<p>À titre d’exemple, nous avons pu mettre en lumière trois types de profils de dirigeants que nous avons qualifiés de « 3P »</p>
<h2>16 % de prudents seulement</h2>
<p>On retrouve en premier lieu les « <strong>Pratiques</strong> », qui représentent 65,7 % de l’effectif total. Cette classe correspond aux dirigeants utilisant normalement les technologies de l’information et de la communication (TIC), relativement bien informés à propos des risques liés à l’utilisation d’un SI. Cependant, ces derniers ne sont que faiblement conscients de la nécessité de protéger leurs données numériques et encore moins de la réglementation afférente. La majorité de ce premier type de profil représente des individus issus de communes de moins de 3 500 habitants (56 %) et provient de directions générales (40 %).</p>
<p><iframe id="8DOOv" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/8DOOv/2/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Les « <strong>Perplexes</strong> » regroupent, eux, 17,9 % de l’effectif total. Il s’agit de dirigeants cumulant un certain nombre de lacunes en matière de prise en compte de la sécurité de leur SI respectif. Ils restent très peu utilisateurs des TIC, pas du tout informés sur les menaces liées au SI et peu sensibles aux questions de sécurité. Les individus de ce groupe sont pour 66 % des élus, issus en majorité de communes de moins de 1 000 habitants (91 %) et disposant en moyenne de trois fonctionnaires territoriaux.</p>
<p>Les « <strong>Prudents</strong> », enfin, 16,4 % de l’effectif total, sont les dirigeants les plus conscients de l’apport des SI et de leur nécessaire sécurisation. Ces individus ont un usage intensif des TIC (45 %), ils sont très bien informés sur les menaces liées au SI (72 %), bien organisés (81 %) et ont une relative conscience du caractère sensible des données traitées par le SI (72 %). Ce dernier type de profil vit en majorité dans des communes de plus de 1 000 habitants (63 %) et travaille dans des structures employant en moyenne 107 agents. Les cadres informatiques représentent une part importante de cette classe (40 %).</p>
<h2>Quelques perspectives</h2>
<p>Ces dernières années le niveau de <a href="https://www.pole-emploi.org/accueil/communiques/pole-emploi-et-diversidays-publient-le-barometre-2022-de-lobservatoire-des-diversites-et-du-numerique.html">formation et d’information des employés</a> est certes monté mais pas forcément aussi vite que celui du risque d’être attaqué et fragilisé.</p>
<p>Il faut donc rester vigilant – la limite de ce type d’enquête est que les données collectées sont vite obsolètes – et prudent pour continuer à monter en puissance. Il ne faut en effet rien négliger pour mieux former et informer nos dirigeants – quelque soit leur parcours professionnel préalable (ingénieur, manageurs, employés, juristes, etc.) – à la fois sur l’information (nous sommes en effet vulnérables mais il est possible de déployer des <a href="https://cyber.gouv.fr/developper-des-solutions-de-confiance">solutions de confiance !</a>) et sur la formation (nous pourrions ne plus, ne pas ou – restons humbles – moins l’être !) de façon à contribuer à l’opérationnalisation d’une démarche volontariste de sécurisation de nos SI.</p>
<p>Gardons enfin à l’esprit que des quatre composantes de nos systèmes d’information – réseaux, matériel, logiciel et personnel – il est bien évident que c’est la dernière qui doit faire l’objet de toute notre attention – <a href="https://www.cnil.fr/fr/se-proteger-sur-internet-avec-les-cyber-reflexes">via le déploiement de cyberréflexes</a> – car d’une part c’est la “porte d’entrée” la plus fréquemment utilisée et d’autre part “<a href="https://www.lesechos.fr/thema/articles/les-chiffres-de-la-cybercriminalite-explosent-1986310">l’intelligence artificielle générative va aider les cybercriminels à créer de nouveaux modèles »</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/213942/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marc Bidan est membre du comité de rédaction de la revue française de gestion (RFG) et ancien membre du conseil national des universités (section sc. de gestion et du management)</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Ancien officier supérieur de la Gendarmerie Nationale et ancien élu local</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Olivier Lasmoles ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Même si la prise en compte augmente, une étude montre qu’une large majorité des dirigeants de collectivités territoriales est encore trop faiblement consciente de la réalité des risques cyber.Marc Bidan, Professeur des Universités en Management des systèmes d’information - Nantes Université, Auteurs historiques The Conversation FranceOlivier Lasmoles, Associate Professor in Law - Skema, SKEMA Business SchoolRémy Février, Maître de Conférences HDR en Sciences de Gestion - Equipe Sécurité-Défense-Renseignement, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2183632023-12-03T16:28:14Z2023-12-03T16:28:14ZLe plaisir de travailler pour une grande marque, une question de place dans l’organigramme<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/560999/original/file-20231122-27-sdjkuk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=34%2C60%2C1815%2C950&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">En 2017, la compagnie américaine Southwest Airlines, qui a mis en place des politiques visant à renforcer l’image de marque en interne, enregistrait le taux moyen de rotation du personnel le plus bas du secteur aérien.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Southwest_Airlines#/media/Fichier:N8704Q_Southwest_Airlines_Boeing_737-8_MAX_s-n_36988_(25859981728).jpg">Tomás Del Coro/Wikimedia commons</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>La recherche désigne par le terme de <a href="https://www.jstor.org/stable/1252054">« capital marque »</a> ce qui influence un consommateur à choisir un produit plutôt qu’un autre, à payer davantage, à lui rester fidèle, ou à vouloir l’essayer. Autrement dit, tout ce qui permet à une entreprise de récolter plus d’avantages qu’elle ne le ferait sans le nom de la marque. Grâce à ces mécanismes, le capital marque augmente le volume et les prix de vente. Les entreprises deviennent par ailleurs <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0148296319305399">plus attractives aux yeux des candidats</a> à l’emploi et la fidélisation des collaborateurs s’améliore.</p>
<p>C’est pourquoi les entreprises suivent de près l’évolution de la perception de leur marque aussi bien auprès du consommateur qu’en interne, <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/15332960802619082">au sein de leurs équipes</a>. Par exemple, la société de luxe française LVMH a récemment intensifié ses efforts sur les questions sociales et environnementales et a découvert que « le pourcentage de fierté d’appartenir au groupe LVMH a augmenté » suite à ces efforts.</p>
<p>S’il existe encore peu de recherches sur ce sujet, certains cas d’entreprises semblent suggérer que le capital marque a un impact positif sur la satisfaction des employés. Par exemple, Southwest Airlines est bien connue pour avoir utilisé la marque d’employeur afin de fidéliser les employés et d’augmenter leur niveau de motivation. En 2017, la compagnie aérienne américaine a enregistré un <a href="https://www.brunswickgroup.com/southwest-airlines-i6401/">taux moyen de rotation du personnel de 2,5 %</a>, soit le taux le plus bas du secteur aérien.</p>
<p>Faut-il en conclure que les employés sont généralement plus satisfaits lorsqu’ils travaillent pour des entreprises dont la marque est forte ? Dans une récente <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0263237322001232">recherche</a>, nous avons montré que ce niveau de satisfaction dépend en réalité du niveau de hiérarchie dans l’organigramme de l’entreprise : pour les salariés de haut rang, l’effet est quasi neutre alors qu’il est généralement positif pour les salariés de bas échelon, mais négatif pour les salariés de niveau intermédiaire.</p>
<h2>Gardiens de la marque</h2>
<p>Nos données sur l’expérience collaborateur envers une marque, issues d’un vaste échantillon intersectoriel, viennent appuyer l’hypothèse selon laquelle une marque forte ne facilite pas la tâche des salariés de niveau intermédiaire. En effet, ces derniers participent directement au renforcement et au maintien du capital marque. Ils planifient les actions de marketing externe et interne, rédigent les scripts des centres d’appels, évaluent les performances et, plus généralement, « incarnent la marque ». Or plus la marque est prestigieuse, plus les exigences envers le personnel de rang intermédiaire sont nombreuses.</p>
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<img alt="Vitrine Louis Vuitton, marque du groupe LVMH" src="https://images.theconversation.com/files/560998/original/file-20231122-23-mn9kzr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/560998/original/file-20231122-23-mn9kzr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/560998/original/file-20231122-23-mn9kzr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/560998/original/file-20231122-23-mn9kzr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/560998/original/file-20231122-23-mn9kzr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/560998/original/file-20231122-23-mn9kzr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/560998/original/file-20231122-23-mn9kzr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le géant du luxe LVMH s’est réjoui de voir « le pourcentage de fierté d’appartenir au groupe » augmenter après une intensification des efforts sur les questions sociales et environnementales.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/sottolestelle/44586424454">Julien Chatelain/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>Si les salariés de niveau intermédiaire sont décrits comme des gardiens de la marque, leurs supérieurs hiérarchiques s’en soucient moins. En effet, les salariés de haut rang tirent profit d’une marque forte en termes d’avantages matériels et de réputation professionnelle, mais sont moins impliqués dans les activités qui contribuent à préserver le capital marque.</p>
<p>Il en va de même pour les salariés qui se situent dans les plus bas échelons de la hiérarchie : ces derniers occupent une fonction opérationnelle et non stratégique (à quelques exceptions près dans certains services ou dans les métiers d’assistance à la clientèle).</p>
<h2>Bienfaits émotionnels</h2>
<p>Cependant, le comportement d’un responsable influence, positivement ou négativement, celui de son équipe. Ainsi, les salariés de niveau intermédiaire exercent une forte influence sur les salariés qu’ils supervisent. De même, on observe que les salariés de niveau intermédiaire ne seront pas sans réagir s’ils remarquent une différence de traitement entre eux et leurs propres supérieurs.</p>
<p>Ces derniers doivent donc être considérés de la même manière que leurs supérieurs, à la fois en termes d’avantages socio-émotionnels (par exemple, mots de remerciements, ou événements d’équipe) qu’utilitaires (par exemple, l’intéressement au capital). Ils pourront alors à leur tour jouer un rôle clé en inspirant et en motivant le reste du personnel. Dans le cas contraire, ils risquent de faire « payer » aux salariés de moindre échelon ce traitement qui leur est défavorable.</p>
<p>En effet, comme le montre la <a href="https://www.researchgate.net/profile/Karen-Cook-12/publication/227109881_Social_Exchange_Theory/links/0deec51e95c0ff0d3c000000/Social-Exchange-Theory.pdf">théorie de l’échange social</a>, mieux une personne (ou une entité sociale comme une marque) vous traite, mieux vous la traiterez en retour, et pas seulement au niveau transactionnel, mais aussi en termes de bienfaits émotionnels (loyauté, respect…).</p>
<p>Le secteur tertiaire constitue un exemple particulièrement éloquent de détérioration du comportement des salariés de rang inférieur et intermédiaire à mesure que le capital marque s’accroît. Dans ce secteur, si le comportement des salariés de rang intermédiaire et élevé n’est pas le bon, il y a de fortes chances que celui des salariés de rang inférieur et intermédiaire aille à l’encontre de la marque.</p>
<p>Cela s’explique en partie parce qu’au sein des grandes marques de service, les collaborateurs de première ligne doivent impérativement représenter la marque auprès des clients, donc leur enthousiasme et la qualité de service dépendent encore plus du comportement de leurs responsables.</p>
<p>Nos recherches soulignent donc qu’une marque forte va de pair avec plus de responsabilités stratégiques. Lorsqu’une marque commence à se faire connaître, l’entreprise doit ainsi veiller à utiliser les bonnes méthodes de marketing interne pour préserver au mieux son organisation.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/218363/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Une marque reconnue, qui fidélise les clients et augmente les ventes, n’affecte pas tous les collaborateurs de la même manière au sein de l’entreprise qui la propose.Dominique Rouziès, Professeur de marketing, HEC Paris Business SchoolEmine Sarigollu, Associate Professor in Marketing, McGill UniversityMyriam Ertz, Professeure adjointe en marketing, responsable du LaboNFC, Université du Québec à Chicoutimi (UQAC)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2184472023-11-27T17:13:50Z2023-11-27T17:13:50ZDu rire aux larmes : quand le team building s’égare<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/561314/original/file-20231123-29-liu4xf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=79%2C24%2C1848%2C1257&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le fun est-il la meilleure solution pour créer de la cohésion au sein des équipes&nbsp;?
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/angelsolutions/36334489085">Flickr/Angel solutions</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nd/4.0/">CC BY-ND</a></span></figcaption></figure><p>Depuis les années 1980, les sessions de <em>team building</em> fleurissent dans les organisations. Elles sont même devenues des solutions « prêtes à l’emploi » pour pallier tous les maux du quotidien (baisse de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/motivation-60842">motivation</a>, manque de cohésion, perte d’engagement, etc.). Les <a href="https://theconversation.com/fr/topics/entreprises-20563">entreprises</a> ne manquent pas d’inspiration pour proposer aux collaborateurs des activités toujours plus diversifiées allant de la sortie au bowling jusqu’à la croisière de rêve en passant par le parcours d’accrobranche ou le <a href="https://www.hbrfrance.fr/chroniques-experts/2019/05/26019-pourquoi-faut-il-en-finir-avec-les-baby-foot-et-les-seminaires-tropicaux/">stage de survie</a>.</p>
<p>Pourtant, la légitimité du <em>team building</em> fait aujourd’hui l’objet de nombreuses remises en question. Pour certains, comme l’auteur et conférencier <a href="https://www.hbrfrance.fr/chroniques-experts/2018/11/23214-ne-gaspillez-plus-votre-argent-dans-le-team-building/">Carlos Valdes-Dapena</a>, le <em>team building</em> est tout simplement une perte de temps et d’argent pour les organisations. Pour d’autres, comme l’auteure <a href="https://leaderslab.co.uk/a-buzz-in-the-building/">Kate Mercer</a> ou la philosophe <a href="https://editions-observatoire.com/livre/La-comedie-%28in%29humaine/222">Julia de Funès</a> et l’essayiste Nicolas Bouzou, les activités proposées lors de ces sessions sont source d’embarras et ont tendance à accentuer le fossé entre les collaborateurs.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/faconner-les-cadres-oui-mais-a-quel-point-ces-team-building-qui-vont-trop-loin-203380">Façonner les cadres, oui, mais à quel point ? Ces team building qui vont trop loin…</a>
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<p>Dans ces conditions, les sessions de <em>team building</em> se présentent comme des moments d’absurdité organisationnelle dans lesquels les managers proposent des activités saugrenues à leurs employés dans le but de « construire une équipe ». L’amusement au cœur des dispositifs de <em>team building</em> est mobilisé à la fois pour divertir les salariés et pour créer des liens affinitaires entre eux.</p>
<p>Or, l’esprit d’équipe ne se décrète pas sur ordre des managers, qui plus est dans une ambiance grotesque.</p>
<h2>Modernité joyeuse</h2>
<p>Cette absurdité notoire fait d’ailleurs l’objet de nombreuses parodies dans la pop culture contemporaine. Non sans une bonne dose d’humour, les acteurs de <a href="https://www.allocine.fr/series/ficheserie_gen_cserie=294.html"><em>Caméra Café</em></a> ou du <a href="https://www.tf1.fr/tmc/palmashow"><em>Palmashow</em></a> reprennent tous les codes du <em>team building</em> pour en dénoncer les errances et les impasses, entre activités ridicules et discours paternaliste.</p>
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<p>Par-delà la parodie et les analyses critiques, peu d’éléments ont émané récemment d’un travail de recherche rigoureux. C’est ce que nous avons proposé de faire dans le cadre d’un <a href="https://www.cairn.info/tap-l1dso2kak95nz">article de recherche</a> paru dernièrement dans la <a href="https://www.ripco-online.com/FR/accueil.asp"><em>Revue internationale de psychosociologie et de gestion des comportements organisationnels (RIPCO)</em></a>.</p>
<p>Nous avons mené 35 entretiens individuels en face à face sur une période de huit mois afin de recueillir le vécu des participants à ces sessions. Nous souhaitions éviter à tout prix d’adopter un discours désincarné sur le <em>team building</em> et avons volontairement interrogé des jeunes diplômés de Grandes Écoles françaises, bien souvent affublés de l’étiquette de la modernité joyeuse et réceptive aux activités <em>fun</em>.</p>
<p>Sur le papier, il ne paraît pas déraisonnable de penser qu’un dispositif destiné à faire participer un ensemble d’individus à une activité commune soit de nature à favoriser la cohésion au sein d’une équipe. La littérature, très prescriptive, l’affirme par ailleurs sans détour. Pourtant, très tôt, il a été démontré que les tentatives de mesure de l’efficacité du <em>team building</em> se soldaient généralement par un échec, notamment dû à la fragilité des méthodes de mesure. Dès 1981, les chercheurs <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/105960118100600311">Kenneth De Meuse et S. Jay Liebowitz</a> indiquaient dans leur méta-analyse que les travaux destinés à mesurer l’efficacité du <em>team building</em> aboutissaient à une impasse. Il semblerait que depuis, on ait fait chou blanc en la matière.</p>
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<p>Dès lors, si la communauté académique a été jusqu’à présent dans l’impossibilité de démontrer l’efficacité du <em>team building</em> sur la cohésion d’équipe, pourquoi les organisations en sont-elles si friandes ?</p>
<p>Une piste de réponse intuitive pourrait être l’aspect ludique de ce type de dispositif. En d’autres termes, le <em>team building</em>, c’est <em>fun</em>. Derrière cette utilisation approximative et un peu fourre-tout du terme anglais destiné à décrire l’amusement, se cache pourtant une forme de domination insidieuse. Le <em>team building</em> devient l’un des instruments du phénomène actuel de brouillage des frontières entre amusement et travail que connaissent les organisations.</p>
<p>Le problème est que le <em>fun</em> se trouve dans ce cas pris dans un réel paradoxe. Comment s’amuser lorsque cela devient obligatoire ? Par ailleurs, si je m’amuse au travail, quel recul critique puis-je encore avoir vis-à-vis de mon organisation ? Enfin, comment me comporter envers mon responsable hiérarchique auquel j’ai infligé il y a deux jours une cuisante défaite au baby-foot ? En somme, l’injonction au <em>fun</em> que représentent les séminaires de <em>team building</em> n’épuise en rien les questions de la contrainte, de la lucidité ou encore du pouvoir posé par le travail quotidien.</p>
<p>Mais qu’en pensent les principaux intéressés, à savoir les personnes que nous avons interrogées ?</p>
<h2>Scepticisme général</h2>
<p>Notre enquête met en lumière un scepticisme général des jeunes diplômés à l’égard des sessions de <em>team building</em> au sein des entreprises. Les participants insistent notamment sur les incohérences et les aspects « ridicules » de ces sessions.</p>
<p>Pour Charles*, c’est tout simplement « absurde de coller des gommettes sur une affiche ». Les entretiens menés soulignent un décalage profond entre le sérieux du monde professionnel et le caractère <em>fun</em> des activités de <em>team building</em>. Ainsi, Justine est revenue sur un séminaire qui s’étalait sur deux jours et qui incluait deux soirées festives. Elle nous a alors fait part d’un brouillage des frontières qui la mettait dans une posture pour le moins inconfortable :</p>
<blockquote>
<p>« Au début, ça me mettait mal à l’aise parce que je trouve qu’il y a un côté “il faut être pote avec tes collègues de travail et te mettre une cuite avec les associés à côté"… mais ça, ce n’était pas trop mon truc. »</p>
</blockquote>
<p>Dans ces conditions, les jeunes diplômés expriment largement leur désarroi face à des activités perçues comme absurdes, superficielles, voire inutiles. Certains décrivent des expériences ennuyeuses, soulignant le gaspillage d’argent et le manque de pertinence des pratiques mises en place. Bien souvent, le caractère pseudoludique crée des situations malaisantes plutôt que des liens authentiques entre les participants.</p>
<p>Un thème récurrent est la critique de la dimension cosmétique des sessions de <em>team building</em>. Les participants notent que certaines entreprises utilisent ces activités comme une diversion plutôt que de s’attaquer aux problèmes structurels sous-jacents.</p>
<p>Pour Marine, le <em>team building</em> est un pansement sur une jambe de bois :</p>
<blockquote>
<p>« Franchement, je ne connais pas de "team building” ayant apporté une solution sur des problèmes de fond. »</p>
</blockquote>
<p>En outre, le <em>team building</em> ne parvient pas à créer une véritable rupture avec le théâtre social quotidien au travail. Les interviewés n’ont pas hésité à mobiliser des métaphores théâtrales pour décrire ces sessions comme une continuation des interactions habituelles, avec des masques sociaux et des rôles imposés par l’organisation.</p>
<p>Voici ce que Justine nous a confié sur ce point :</p>
<blockquote>
<p>« J’ai l’impression qu’en “team building”, on nous impose de jouer un rôle. »</p>
</blockquote>
<h2>Rompre avec la routine</h2>
<p>Alors, « baisser de rideau » pour le <em>team building</em> ? La réalité est un peu plus complexe. Si les jeunes diplômés mettent en lumière certains aspects positifs du <em>team building</em> (rencontre entre collègues plus ou moins éloignés géographiquement, fonctionnellement ou hiérarchiquement ou encore rupture avec la routine quotidienne), ils restent sceptiques sur d’autres facettes, notamment le management par le <em>fun</em>.</p>
<p>En effet, les jeunes diplômés ne recherchent pas simplement des sessions divertissantes, mais des opportunités d’interagir dans des contextes différents. Le <em>team building</em> devient alors pour eux un moyen de découvrir les aspects personnels de leurs collègues, renforçant les liens au-delà du strict cadre professionnel.</p>
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<img alt="groupe d’hommes torses nus dans une étendue d’eau sous un ciel bleu pendant la journée" src="https://images.theconversation.com/files/561345/original/file-20231123-21-79rwiw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/561345/original/file-20231123-21-79rwiw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=601&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/561345/original/file-20231123-21-79rwiw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=601&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/561345/original/file-20231123-21-79rwiw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=601&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/561345/original/file-20231123-21-79rwiw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=755&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/561345/original/file-20231123-21-79rwiw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=755&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/561345/original/file-20231123-21-79rwiw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=755&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le <em>team building</em>, un moyen de renforcer les liens au-delà du strict cadre professionnel ?</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.pickpik.com/men-sea-people-swimming-trunks-summersault-submerge-6738">Pickpik</a></span>
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</figure>
<p>Les jeunes diplômés proposent finalement de se tourner vers l’organisation de sessions <em>ad hoc</em> en insistant sur l’importance de la spontanéité et du caractère volontaire des activités. Ils préconisent l’élaboration d’événements simples et authentiques, initiés par les employés eux-mêmes. L’idée est alors de favoriser des moments propices aux échanges informels, plutôt que des activités imposées.</p>
<p>En somme, les jeunes diplômés saluent tous ces moments capables de rompre avec la routine, mais suggèrent des approches plus authentiques et volontaires, échappant ainsi aux critiques de superficialité.</p>
<h2>Des <em>bullshit jobs</em> au <em>bullshit work</em></h2>
<p>Le problème du <em>fun</em> comme principe au cœur de l’organisation de sessions de <em>team building</em> provient d’une confusion entre amusement et spontanéité. Sur la base de ce malentendu en forme de péché originel, les organisations imaginent que le <em>team building</em> va nécessairement créer de la cohésion d’équipe puisque l’amusement entraînerait de fait l’instauration de liens forts.</p>
<p>Dans la lignée des <a href="http://www.editionslesliensquiliberent.fr/livre-Bullshit_Jobs-578-1-1-0-1.html"><em>bullshit jobs</em></a>, le <em>team building</em> contient lui aussi sa part de <em>bullshit</em>, par l’absurde qui règne au sein de ses activités et de ses grandes déclarations. Le doute s’installe alors. En complément des <em>bullshit jobs</em> vient le <em>bullshit work</em>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/jobs-a-la-con-lennui-le-sens-et-la-grandiloquence-58382">« Jobs à la con » : l’ennui, le sens et la grandiloquence</a>
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<p>Ce que nous dit Justine que nous citons plus haut, c’est qu’une préparation trop grande d’un dispositif de <em>team building</em> est souvent contre-productive, car le <em>fun</em> ne se décrète pas, il se vit. Au contraire, l’encadrement organisationnel des sessions de <em>team building</em>, voire le recours fréquent à des séminaires dispensés par des prestataires externes dont les métaphores managériales sont souvent contestables d’un point de vue scientifique, voire moral, ne peut qu’être délétère.</p>
<p>Plus les salariés se sentent infantilisés par des dispositifs de <em>team building</em> qu’ils jugent absurdes et sans aucun lien avec le travail réel, plus ils mettent en doute la sincérité de la démarche initiée par leur organisation. Le <em>team building</em> n’est en rien un pas de côté. Il ne fait que reproduire la scène sociale constituée par l’organisation, mais avec des modalités différentes.</p>
<p>Cet état de fait est pernicieux à deux titres. En premier lieu, l’injonction à l’amusement ne fait que rendre les salariés suspicieux, et les pousse à une conformité de façade. Tout cela semble bien louche à leurs yeux. Par ailleurs, l’amusement cache la réalité des conditions de travail. Penser résoudre le mal-être ambiant vécu au quotidien par une activité ludique laisse à penser que l’amusement pourrait être un préalable à l’amélioration des conditions de travail, alors qu’il doit n’en être qu’une éventuelle conséquence.</p>
<p>En d’autres termes, on ne résoudra pas les problèmes concrets que pose le travail réel en transformant l’entreprise en bac à sable. Stop au <em>bullshit work</em> donc.</p>
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<p><em>Les prénoms ont été anonymisés.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/218447/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Les sessions de team building font-elles partie des activités « bullshit » en entreprise ? Faut-il renoncer à manager par le fun ?Thomas Simon, Assistant Professor, Montpellier Business SchoolXavier Philippe, Enseignant-chercheur en sociologie du travail. Laboratoire Métis, EM NormandieLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2178662023-11-20T10:50:15Z2023-11-20T10:50:15ZDes applications pour améliorer la qualité de vie au travail ? Prenez garde aux écueils !<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/559890/original/file-20231116-26-r8nl42.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C11%2C7395%2C4140&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Wittyfit, Moodwork, Supermood ou encore Zestmeup proposent aux entreprises un accompagnement pour améliorer la qualité de vie au travail.</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>La dégradation de la santé des travailleurs en France est devenue au fil des années un sujet préoccupant. De nombreuses études font état d’un <a href="https://www.fr.adp.com/a-propos-adp/communiques-de-presse/stress-au-travail-salarie-francais.aspx">accroissement des risques psychosociaux</a>, avec une détérioration d’indicateurs comme le niveau de stress, la détresse psychologique ou encore l’épuisement professionnel.</p>
<p>Face à ces risques, les entreprises tentent parfois de reprendre la main sur la prévention de la <a href="https://theconversation.com/topics/sante-au-travail-132582">santé au travail</a> au moyen d’outils technologiques. Mano Mano, spécialiste du bricolage et du jardinage en ligne, <a href="https://www.lesechos.fr/thema/articles/comment-manomano-veille-sur-la-sante-mentale-de-ses-salaries-grace-a-mokacare-1868082">recourt par exemple à Moka.care</a> pour accompagner ses effectifs éparpillés et prendre soin de leur santé mentale.</p>
<p>Ces applications visant à l’amélioration de la <a href="https://theconversation.com/topics/qualite-de-vie-48280">qualité de vie</a> et des conditions de travail connaissent depuis quelques années un important développement. Elles se nomment Wittyfit, Moodwork, Supermood ou encore Zestmeup. Relativement peu connues encore, ces start-up se caractérisent par une forte dynamique de croissance et certaines, comme Moodwork, revendiquaient déjà <a href="https://www.lemondeinformatique.fr/actualites/lire-qualite-de-vie-au-travail-moodwork-leve-2meteuro-pour-accelerer-en-europe-77256.html">plus de 150 000 salariés accompagnés en 2020</a>.</p>
<p>Au-delà de leur promesse néanmoins, l’utilisation de ces outils comporte également le risque d’être exploités à des fins moins vertueuses, tombant malgré eux dans une logique d’individualisation des problèmes invisibilisant les enjeux organisationnels, ou bien en se trouvant pris dans des jeux de pouvoir dans lesquels leurs résultats se voient détournés.</p>
<h2>Des technologies prometteuses</h2>
<p>Nos <a href="https://www.cairn.info/revue-rimhe-2023-1-page-44.htm">travaux</a> ont montré que le contexte de la crise sanitaire a accentué, en même temps qu’une recherche du <em>care</em> en entreprise, la recherche d’outils de gestion du bien-être des équipes à distance. La numérisation d’aspects autrefois considérés comme subjectifs, tels que le bien-être, l’engagement et la satisfaction des employés, suscite un intérêt croissant. Fini le questionnaire papier traité à la main pour évaluer le bien-être des employés, ces technologies de l’information et de la communication (TIC) automatisent désormais la collecte, le traitement et la visualisation des données RH. Elles offrent tous les avantages (instantanéité, facilité d’usage, ergonomie, à coût réduit) et les fonctionnalités de services et de prestations adaptables à des plates-formes numériques.</p>
<p>De nouveaux indicateurs sont ainsi mis au service des gestionnaires des ressources humaines, des managers ou encore de leurs équipes sur la prévention de sa santé, ainsi qu’un ensemble de services : accès à un psychologue, fiches-conseils, webinaires, formations… Ces start-up de la « Happy technology » mettent en avant une meilleure santé mentale et le bonheur au travail. Elles cherchent à transformer la perception des risques psychosociaux en promouvant un bien-être au travail.</p>
<p>Les médias en ligne regorgent ainsi d’articles décrivant ces applications comme permettant aux employés de reprendre le contrôle sur leur bien-être au travail ou d’offrir au dirigeant la capacité de piloter le capital humain. Ces technologies sont présentées comme des outils émancipateurs et collaboratifs, modifiant la relation entre différents acteurs.</p>
<p>Elles sont aussi associées à une possible prise de pouvoir des utilisateurs sur leur santé et aussi, partiellement, sur l’organisation grâce à la capacité d’expression offerte. Les équipes obtiennent un outil qui doit libérer la parole au service de l’amélioration globale de la qualité de vie au travail. L’outil doit permettre de rassembler autour d’un sujet bien souvent clivant en permettant de mettre en accord un ensemble d’acteurs internes (dirigeant, syndicats…) ou externes à l’organisation (médecin du travail…).</p>
<p>Nous identifions toutefois deux risques majeurs en matière de prévention de la santé au travail.</p>
<h2>Déresponsabilisation de l’organisation</h2>
<p>Ces applications adoptent des approches variées pour aborder les risques psychosociaux au sein des entreprises. Certaines se concentrent sur l’adaptation de l’individu au travail, principalement à un niveau de prévention proche du curatif. C’est par exemple proposer une cellule d’écoute psychologique. D’autres visent à adapter le travail à l’individu, avec une approche plus primaire, où l’on cherchera davantage à agir sur l’organisation du travail dont l’employeur est le principal responsable. Elles proposent par exemple des diagnostics pour favoriser le dialogue social sur la prévention.</p>
<p>Le choix de tel ou tel d’outil de mesure en santé au travail n’est pas neutre et peut refléter les valeurs et choix stratégiques de l’organisation. Certains obstacles à l’intervention organisationnelle, liés souvent à un manque de volonté commune pour agir sur l’organisation du travail, favorisent une approche individualisante, parfois insuffisante.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<p>Les applications encouragent en effet souvent les employés à effectuer un autosuivi de leur santé mentale. Cependant, cette approche psychologisante peut parfois négliger les aspects organisationnels des risques psychosociaux. Un psychologue nous explique ainsi :</p>
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<p>« J’en vois qui me disent : “j’ai essayé la relaxation pour être mieux au travail mais je n’y arrive pas… ”. Ils culpabilisent alors encore plus de ne pas réussir à accéder à ce bien-être-là, comme s’ils en étaient responsables. »</p>
</blockquote>
<p>Bien que l’efficacité d’une approche centrée sur l’individu puisse avoir tout son sens, elle porte le risque de glisser vers une déresponsabilisation de l’organisation. Quand la gestion des données de santé s’en remet à l’organisation toutefois, d’autres écueils peuvent se faire montre.</p>
<h2>Des applications prises dans des jeux de pouvoir</h2>
<p>Les applications génèrent en effet et distribuent des informations entre différents acteurs, avec des statuts spécifiques. Cependant, comme l’ont bien identifié nos travaux, quand chaque acteur, tant interne qu’externe à l’organisation, tente de maximiser son influence, leurs intérêts divergents se reflètent alors dans la prévention de la santé au travail. La <a href="https://www.cairn.info/la-boite-a-outils-du-management--9782100795789-page-116.htm">maîtrise de l’information</a> constituant une source de pouvoir, les utilisateurs adaptent l’outil à leurs besoins, renforçant ainsi leur propre influence. Cela répond au questionnement de ce responsable RH :</p>
<blockquote>
<p>« Le problème que l’on a pu constater avec la plate-forme est que, au départ, les associés ne souhaitaient pas que l’on communique les résultats… On a un peu manqué de transparence. Et, pour notre part, on ne comprenait pas pourquoi, parce que les résultats étaient plutôt satisfaisants… »</p>
</blockquote>
<p>Cette appropriation centrée sur l’influence permet à l’utilisateur de consolider sa position au sein de l’organisation.</p>
<p>Les dirigeants peuvent en outre être réticents à partager des informations qui pourraient compromettre leur position. La peur de l’ampleur des problèmes potentiels peut les freiner ou les inciter à filtrer les données en fonction de leurs intérêts. « Quelle transparence et quelle véritable intention derrière l’utilisation des applications de qualité de vie au travail ? », peut-on se demander.</p>
<p>Pour se parer contre ces dérives possibles et aborder efficacement les risques psychosociaux au travail, il est essentiel de trouver un équilibre entre la responsabilisation individuelle et la transformation organisationnelle, en reconnaissant le rôle actif de l’individu et la capacité du groupe de travail à influencer son organisation. En outre dans cette lutte d’influence qui laisse planer des incertitudes quant à la véritable portée des actions entreprises, nous recommandons également qu’un mode de gouvernance transparent soit maintenu pour ne pas réduire les bénéfices potentiels de l’usage de ces technologies.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217866/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Utiliser des applications pour agir sur la QVCT peut conduire les individus à culpabiliser plus que de raison, ou bien les dirigeants à les instrumentaliser à des fins personnelles.Nikolaz Le Vaillant, Doctorant en sciences de gestion, Université Bretagne SudMarc Dumas, Professeur en management et gestion des ressources humaines, Université Bretagne SudLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.