tag:theconversation.com,2011:/ca/topics/medias-20595/articlesmédias – The Conversation2024-03-26T19:07:57Ztag:theconversation.com,2011:article/2266662024-03-26T19:07:57Z2024-03-26T19:07:57ZL’attaque de l’État islamique (EI-K) à Moscou risque d’aggraver la guerre entre la Russie et l’Ukraine<p>Un concert de musique dans la banlieue de Moscou a été le théâtre d’une attaque terroriste sanglante le 22 mars, lorsque des hommes équipés d’armes automatiques et de cocktails Molotov <a href="https://ici.radio-canada.ca/info/videos/1-8913079/attentat-moscou-au-moins-143-morts-et-182-blesses">ont tué plus de 140 personnes</a> et en ont blessé des dizaines d’autres. </p>
<p>Immédiatement après l’attentat, des spéculations sont apparues pour déterminer qui étaient les responsables.</p>
<p>Bien que l’Ukraine ait rapidement <a href="https://www.lesoir.be/576371/article/2024-03-22/une-attaque-moscou-fait-au-moins-40-morts-lukraine-nie-toute-implication">nié toute implication</a>, le président russe <a href="https://www.rfi.fr/fr/europe/20240323-attentat-de-moscou-poutine-%C3%A9voque-l-ukraine-qui-r%C3%A9fute-tout-r%C3%B4le-dans-la-tuerie-revendiqu%C3%A9e-par-l-ei">Vladimir Poutine a fait une brève déclaration télévisée</a> à sa nation pour suggérer, sans preuve, que l’Ukraine était prête à aider les terroristes à s’échapper.</p>
<p>Cependant, l’État islamique et plus particulièrement sa filiale afghane État islamique-Khorasan, EI-K, a par la suite <a href="https://www.youtube.com/watch?v=Y1kuQ7aK8zY">revendiqué la responsabilité de l’attaque</a>.</p>
<p>La Russie <a href="https://www.rfi.fr/fr/europe/20240325-attentat-de-moscou-poutine-impute-l-attaque-%C3%A0-des-islamistes-radicaux-mais-pointe-toujours-l-ukraine">a fini par reconnaître l’implication d’islamistes radicaux dans l’attentat</a>, mais Vladimir Poutine pointe toujours l’Ukraine comme « commanditaire » du massacre. </p>
<p>Mais indépendamment de l’identité des terroristes, l’attentat de Moscou met en évidence deux problèmes majeurs.</p>
<p>Premièrement, les organisations terroristes — c’est-à-dire celles qui recourent à la violence à des fins politiques sans l’appui spécifique d’un gouvernement — peuvent utiliser des conflits préexistants et l’attention médiatique qui en résulte pour promouvoir leurs intérêts. Deuxièmement, les actions de ces organisations peuvent exacerber les conflits en cours.</p>
<h2>L’utilisation d’entités paramilitaires infra-étatiques</h2>
<p>De nombreux pays jugent utile d’employer des entités infra-étatiques et des paramilitaires pour atteindre leurs objectifs. <a href="https://theconversation.com/paramilitaries-in-the-russia-ukraine-war-could-escalate-and-expand-the-conflict-206441">La Russie et l’Ukraine ont eu recours et continuent d’avoir recours à de tels groupes</a> pour mener des actions que leurs soldats ne sont pas en mesure d’exécuter.</p>
<p>Si l’utilisation de ces forces présente certains <a href="https://www.taylorfrancis.com/books/mono/10.4324/9781003193227/serbian-paramilitaries-breakup-yugoslavia-iva-vuku%C5%A1i%C4%87">avantages pour un pays</a>, elle est en même temps problématique parce qu’elle conduit à se demander qui sont réellement derrière les actes.</p>
<p>Les attaques menées au début de l’année par des groupes houthis basés au Yémen contre des navires en mer Rouge en sont un exemple. Les Houthis sont <a href="https://www.cfr.org/in-brief/irans-support-houthis-what-know">généralement considérés</a> comme un groupe mandataire de l’Iran. Même s’il existe des liens étroits entre les deux, les Houthis <a href="https://theconversation.com/yemens-houthis-and-why-theyre-not-simply-a-proxy-of-iran-123708">ne sont pas contrôlés par l’Iran</a>. Supposer que l’Iran est directement à l’origine de l’attaque contre les navires de la mer Rouge est au mieux discutable, au pire carrément faux.</p>
<p>S’il est difficile d’évaluer le rôle d’un État dans la <a href="https://www.lawfaremedia.org/article/five-myths-about-sponsor-proxy-relationships">direction de ses proxys et paramilitaires</a>, cela n’est rien en comparaison de la difficulté à établir un lien entre les États et les organisations terroristes internationales. C’est une ambiguïté que les groupes terroristes peuvent exploiter.</p>
<h2>L’attention des médias : de l’oxygène pour les terroristes</h2>
<p>Définir le terrorisme est un exercice périlleux. La <a href="https://www.cambridge.org/core/books/abs/disciplining-terror/terrorism-fever-the-first-war-on-terror-and-the-politicization-of-expertise/12E123D58AA0437750CB882B066E2B6B">politisation du terme</a> depuis la guerre contre le terrorisme qui a suivi le 11 septembre 2001 a donné un nouveau sens à l’expression selon laquelle <a href="https://www.theatlantic.com/politics/archive/2012/05/is-one-mans-terrorist-another-mans-freedom-fighter/257245/">« le terroriste de l’un est le combattant de l’autre »</a>.</p>
<p>En règle générale, cependant, les <a href="https://www.washingtoninstitute.org/policy-analysis/defining-terrorism">décideurs politiques</a> <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/political-science-research-and-methods/article/is-terrorism-necessarily-violent-public-perceptions-of-nonviolence-and-terrorism-in-conflict-settings/9BA6C161346EEE1563A7DC2639066A02">et les universitaires</a> définissent les groupes terroristes comme des organisations non étatiques qui cherchent à recourir à la violence ou à la menace de violence contre des civils pour atteindre des objectifs politiques, avec une certaine ambiguïté quant aux entités qui peuvent s’en charger.</p>
<p>Au XXI<sup>e</sup> siècle, la diffusion des <a href="https://www.igi-global.com/dictionary/scales-dynamics-outsourcing/14566">technologies de communication</a> et le <a href="https://archive.org/details/whatsnextproblem0000unse/page/82/mode/2up">cycle d’information 24 heures sur 24</a> ont donné aux groupes terroristes de nouveaux moyens d’attirer l’attention de la communauté internationale.</p>
<p>Des vidéos peuvent être téléchargées en temps réel par des groupes terroristes, et l’attention internationale ne tarde pas à suivre. Les médias d’information sont toutefois <a href="https://www.aljazeera.com/opinions/2019/7/9/the-problem-is-not-negative-western-media-coverage-of-africa/">très sélectifs</a> dans ce qu’ils couvrent.</p>
<p>En raison de la sélectivité des médias, les organisations terroristes cherchent <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0047272717301214">à maximiser leur audience</a>. L’un des moyens d’y parvenir est de lier leurs activités à des événements en cours. L’attaque de l’EI-K à Moscou illustre cette tendance.</p>
<p>La décision de l’EI-K d’attaquer la salle de concert de Moscou n’était pas purement opportuniste. L’État islamique et ses organisations subsidiaires <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/russie/attaque-terroriste-pres-de-moscou/fusillade-en-russie-l-etat-islamique-et-la-russie-ont-une-dette-de-sang-qui-remonte-a-plusieurs-annees-analyse-un-specialiste-du-jihadisme-apres-la-revendication-de-Daech_6441190.html">reprochent à la Russie</a> son rôle dans la destruction de l’EI en Syrie et en Irak.</p>
<p>L’attaque de l’EI-K contre Moscou correspond donc à son propre agenda, tout en faisant progresser ses objectifs. Le problème est le potentiel d’escalade.</p>
<h2>L’escalade du conflit entre la Russie et l’Ukraine</h2>
<p>Il reste encore beaucoup d’inconnues sur l’attaque. Il est toutefois possible d’en tirer certaines conséquences potentielles.</p>
<p>Les autorités américaines avaient <a href="https://www.youtube.com/watch?v=iDEkly_6P4A">précédemment averti la Russie</a> qu’une attaque était imminente. Les autorités russes n’ont pas tenu compte de cet avertissement.</p>
<p>Poutine a même déclaré avant l’attaque que les <a href="https://www.rtbf.be/article/attentat-a-moscou-washington-avait-averti-poutine-parlait-alors-de-mensonges-11348726">avertissements américains à cet effet</a> étaient une forme de chantage. Ainsi, même un avertissement sincère des États-Unis a été perçu par les autorités russes à la lumière du conflit plus large entre la Russie et l’Ukraine.</p>
<p>Les suites de l’attaque risquent d’amplifier ces inquiétudes. Poutine a affirmé que quatre personnes impliquées dans le conflit avaient été capturées en <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/russie/attaque-terroriste-pres-de-moscou/direct-attentat-terroriste-pres-de-moscou-les-quatre-suspects-ont-ete-places-en-detention-provisoire_6445771.html">tentant de fuir</a> vers l’Ukraine.</p>
<p>Cela semble discutable : la frontière entre la Russie et l’Ukraine est l’un des endroits les plus militarisés du pays en raison de la guerre. Le résultat, cependant, est que la tentative d’évasion présumée a permis aux politiciens russes de <a href="https://www.lapresse.ca/international/europe/2024-03-26/le-fsb-accuse-l-ukraine-et-l-occident-d-avoir-facilite-l-attentat-pres-de-moscou.php">relier l’attaque</a> aux autorités ukrainiennes, malgré les <a href="https://fr.news.yahoo.com/pr%C3%A9sidence-ukrainienne-affirme-navoir-rien-194842346.html">protestations contraires</a> de ces dernières.</p>
<p>Les autorités russes devront agir, comme le ferait n’importe quel État à la suite d’une telle agression. Mais les représailles sont d’autant plus probables que <a href="https://www.nytimes.com/2024/03/23/world/europe/putin-russia-moscow-attack.html">Poutine</a> se présente comme le protecteur du peuple russe.</p>
<p>L’élimination du terrorisme est cependant une tâche <a href="https://www.nytimes.com/2021/09/10/world/europe/war-on-terror-bush-biden-qaeda.html">extrêmement difficile, voire impossible</a>, comme le montre l’expérience américaine. La guerre entre la Russie et l’Ukraine offre toutefois aux autorités russes un terrain propice pour canaliser ailleurs le chagrin et l’indignation suscités par le tragique attentat.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/226666/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>James Horncastle ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’Ukraine a nié toute implication dans l’attentat terroriste de Moscou. Cela ne signifie pas que la Russie n’essaiera pas d’utiliser cet événement pour intensifier sa guerre avec l’Ukraine.James Horncastle, Assistant Professor and Edward and Emily McWhinney Professor in International Relations, Simon Fraser UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2251372024-03-25T16:38:27Z2024-03-25T16:38:27ZLes violences sexistes et sexuelles dans le cinéma français : une « exception culturelle » ?<p>Invitée de l’émission <em>Quotidien</em> le 8 janvier 2024, Judith Godrèche dénonce l’emprise présumée de Benoît Jacquot à son égard. Si ses propos font écho à la diffusion d’un numéro de <em>Complément d’enquête</em> sur Gérard Depardieu, Judith Godrèche revient à plusieurs reprises au cours de sa carrière sur les violences subies : les différents registres de discours qu’elle a pu employer, jusqu’à affirmer l’impossibilité du consentement des enfants, soulignent la manière dont cette prise de conscience s’inscrit sur le temps long.</p>
<p>Le 23 février 2024, lors de la cérémonie des Césars, elle prend à nouveau la parole. La force de son discours réside dans son interpellation des professionnels du monde du cinéma sur ces questions :</p>
<blockquote>
<p>« Depuis quelque temps, je parle, je parle, mais je ne vous entends pas, ou à peine. Où êtes-vous ? Que dites-vous ? Un chuchotement. Un demi-mot. »</p>
</blockquote>
<p>En s’adressant à ses pairs, l’actrice souhaite sortir du « silence » qui accompagne les témoignages de violences au sein de la « grande famille du cinéma ». Le 29 février, lors d’une audition au Sénat, elle rappelle le rôle des institutions, notamment du CNC, dans le maintien de ce silence systémique.</p>
<p>Cette prise de parole s’inscrit dans la continuité d’autres témoignages et dans le sillon de mobilisations féministes nationales et internationales, et pourtant elle résonne au sein d’un milieu professionnel traversé par des contradictions. Si on enjoint les victimes à briser le silence, on les discrédite aussitôt en les accusant, par exemple, de vouloir attirer l’attention sur elles après des années d’absence. Si on sanctionne les auteurs, accusés ou condamnés, en les excluant de la cérémonie des Césars, on continue de leur décerner des prix, en montrant ainsi que la culture de la récompense en France est en pleine négociation avec les valeurs de la société contemporaine.</p>
<p>Afin de comprendre pourquoi et comment le cinéma français a pu devenir une fabrique de l’omerta sur les violences sexistes et sexuelles, il est crucial de « dézoomer » et d’interroger, dans une perspective historique, la construction d’une identité cinématographique française, incarnée par une génération d’auteurs et une prolifération d’œuvres où les rapports sociaux de sexe ont été longtemps désaxés.</p>
<p>Et il est également fondamental de questionner les conditions de production des témoignages de victimes, notamment leur réception par des instances officielles et les mobilisations qui les ont accompagnés.</p>
<h2>La question des auteurs</h2>
<p>Dans <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/peut-on-dissocier-l-oeuvre-de-l-auteur-gisele-sapiro/9782021461916"><em>Peut-on dissocier l’œuvre de l’auteur ?</em></a>, Gisèle Sapiro rappelle que les milieux culturels français (contrairement à la tradition étasunienne) se sont construits sur une « position esthète », à savoir une conception des arts et de la culture tournée vers l’appréciation des propriétés esthétiques, et non pas morales, des œuvres et par une valorisation, de matrice romantique, de la notion de « talent » dont l’auteur serait naturellement doté.</p>
<p>Au cinéma, le mot <em>auteur</em> <a href="https://theconversation.com/la-face-cachee-de-lexception-culturelle-francaise-un-cinema-dauteur-au-dessus-des-lois-224003">n’est pas anodin</a>, au contraire, il est politique. Entre 1954 et 1955, dans <em>Les Cahiers du cinéma</em> et dans le magazine <em>Arts</em>, une formule circule – « La Politique des Auteurs » – à travers laquelle cinéastes et critiques, comme Truffaut, revendiquent la centralité du réalisateur et de son style afin de légitimer le cinéma comme un art à part entière.</p>
<p>Cette théorie critique trouve sa consécration dans la Nouvelle Vague, composée par ces mêmes cinéastes et critiques pour qui un auteur considéré un génie jouit d’une sorte d’impunité esthétique : « Ali Baba eut-il été raté que je l’eusse quand même défendu en vertu de la “Politique des Auteurs” », <a href="http://www.cineressources.net/ressource.php?collection=ARTICLES_DE_PERIODIQUES&pk=16372">écrivait Truffaut</a> sur un film de Becker. Dans les <em>Cahiers du cinéma</em> (n° 47, mai 1955), il écrivait encore :</p>
<blockquote>
<p>« “La Tour de Nesle” est […] le moins bon des films d’Abel Gance [mais] comme il se trouve qu’Abel Gance est un génie, “La Tour de Nesle” est un film génial. »</p>
</blockquote>
<p>Par définition exceptionnels, les génies transgressent les normes de leur société, par leurs œuvres, leur vie ou les deux à la fois, et si la Nouvelle Vague avait bien l’ambition de renverser l’ordre esthétique et politique existant, ce <a href="https://www.cnrseditions.fr/catalogue/arts-et-essais-litteraires/la-nouvelle-vague/">renversement</a> s’est opéré à travers « l’imaginaire de jeunes hommes […] peu à même de placer les rapports de sexe au cœur de leur entreprise de subversion ».</p>
<p>Célébrée par la critique, imbriquée aux revendications de Mai 68 et à la révolution sexuelle, la Nouvelle Vague a longtemps incarné la norme cinématographique dominante en France.</p>
<h2>Au-delà d’un conflit « générationnel » ?</h2>
<p>Ainsi cristallisée, cette conception d’un cinéma « à la française » façonne tous les milieux (de la production à l’enseignement, en passant par les festivals) et réapparaît, insurgée, dans une <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2018/01/09/nous-defendons-une-liberte-d-importuner-indispensable-a-la-liberte-sexuelle_5239134_3232.html">tribune</a> publiée en 2018 dans <em>Le Monde</em> et signée, entre autres, par Catherine Deneuve, s’opposant aux vagues de dénonciation contre <a href="https://www.francetvinfo.fr/culture/cinema/retour-sur-les-affaires-et-accusations-impliquant-roman-polanski_3695951.html">Polanski</a>, <a href="https://www.liberation.fr/debats/2017/12/12/blow-up-revu-et-inacceptable_1616177/">Antonioni</a> et <a href="https://www.genre-ecran.net/?Ce-que-les-films-m-ont-appris-sur-le-fait-d-etre-une-femme">Ford</a>.</p>
<p>Ici, la liberté d’expression des auteurs se lie à une « liberté d’importuner », celle d’« hommes sanctionnés dans l’exercice de leur métier » pour avoir « touché un genou, tenté de voler un baiser, parlé de choses “intimes” lors d’un dîner professionnel ».</p>
<p>Suit en 2023 une <a href="https://www.lefigaro.fr/vox/culture/n-effacez-pas-gerard-depardieu-l-appel-de-50-personnalites-du-monde-la-culture-20231225">tribune publiée dans <em>Le Figaro</em></a> en faveur de Gérard Depardieu rassemblant 50 personnalités du monde de la culture dont Serge Toubiana, critique de cinéma et ancien directeur de la Cinémathèque française.</p>
<p>Cette institution avait déjà fait l’objet d’une <a href="https://www.genre-ecran.net/?Cinematheque-Dorothy-Arzner-dans-l-oeil-du-sexisme">tribune</a> dénonçant la quasi-absence de rétrospectives – 7 sur 293 entre 2006 et 2017 – consacrées aux femmes, ainsi que la misogynie et la lesbophobie des textes d’hommage à la cinéaste <a href="https://www.telerama.fr/television/dorothy-arzner-une-pionniere-a-hollywood_cri-7029512.php">Dorothy Arzner</a>.</p>
<p>Enfin, qualifié de « dernier monstre sacré du cinéma », « génie d’acteur » à la « personnalité unique et hors norme », Depardieu incarnerait l’emblème d’un cinéma qu’il a contribué à faire rayonner à l’international, celui de Truffaut, de Pialat, de Ferreri, de Corneau, de Blier ou de Bertolucci.</p>
<p>Au vu du profil des signataires des deux tribunes (2018 et 2023), il serait facile de réduire le #MeToo du cinéma français à un conflit générationnel. En réalité, de multiples rapports de pouvoir sont à l’œuvre, et la <a href="https://theconversation.com/la-face-cachee-de-lexception-culturelle-francaise-un-cinema-dauteur-au-dessus-des-lois-224003">dénonciation publique de Judith Godrèche, ainsi que celle d’Isild Le Besco</a>, illustrent cette complexité.</p>
<h2>Une parole incarnée, des mobilisations collectives</h2>
<p>Tout en pouvant être qualifié de remarquable, le témoignage de Judith Godrèche fait écho à d’autres prises de parole individuelles et collectives, anonymes ou incarnées. Les mobilisations féministes et syndicales devant les portes de l’Olympia lors de la cérémonie en témoignent.</p>
<p>En 2020, les Césars sont également marqués par la sortie d’Adèle Haenel lors de la remise du prix à Roman Polanski : accompagnée d’une dizaine de personnes dont Céline Sciamma, l’actrice s’exclame « La honte ! Bravo la pédophilie ! » Ce moment a d’ailleurs fait l’objet d’une tribune de Virginie Despentes, une autre « petite fille » (pour reprendre les propos de J. Godrèche lors de son allocution aux Césars) devenue punk.</p>
<p>Sa prise de position fait suite aux accusations présumées d’attouchements et de harcèlement sexuel du cinéaste Christophe Ruggia à son encontre, alors qu’elle avait entre 12 et 15 ans. Dans ce contexte, les actions organisées en amont et cours de la cérémonie par des groupes féministes comme Osez le Féminisme ! ou #NousToutes se déploient autour de la formule « César de la honte » ou du hashtag #Jesuisunevictime.</p>
<p>Les quatre années qui séparent ces deux moments soulignent néanmoins les difficultés à témoigner publiquement et à être entendues dans le monde du cinéma.</p>
<p>Au-delà des espaces artistiques, ces mobilisations font écho à la circulation massive et transnationale <a href="https://www.pressesdesmines.com/produit/numerique-feminisme-et-societe/">du hashtag #MeToo</a>. En s’inscrivant dans un « féminisme de hashtag », ce mot dièse et ses nombreuses déclinaisons, comme #MeTooMedia, #MeTooInceste ou encore #YoTambien, ont en commun de faire circuler des témoignages de violences et des paroles de soutien vis-à-vis des victimes.</p>
<p>Pour autant, ces mobilisations doivent être replacées dans des « traces » passées en ligne et hors ligne, à l’image du mouvement #MeToo lancé il y a une quinzaine d’années par <a href="https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2022/10/05/tarana-burke-la-lanceuse-meconnue-de-metoo_6144424_4500055.html">l’activiste afro-américaine Tarana Burke</a>, travailleuse sociale qui a fondé l’association « Me Too » pour lutter contre les violences sexuelles commises sur les petites filles noires ou des mobilisations féministes transnationales autour des violences.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-armes-numeriques-de-la-nouvelle-vague-feministe-91512">Les armes numériques de la nouvelle vague féministe</a>
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<p>En 2012, par exemple, plusieurs centaines de manifestations sont organisées en Inde suite au viol collectif et au meurtre de <a href="https://www.bbc.com/news/world-63817388">Jyoti Singh Pandey</a>. Dans la continuité de la dénonciation des féminicides, la première manifestation <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/10/08/avant-metoo-le-mouvement-niunamenos-mobilisait-l-amerique-latine_6144976_3224.html">Ni Una Menos</a> se déploie en mai 2015 et rassemble près de 300 000 personnes à Buenos Aires : le mouvement s’étend par la suite en Amérique latine et en Europe, comme en Italie avec la structuration en 2016 de Non Una Di Meno. Ces actions, parmi d’autres, mettent au jour la centralité accordée par les mouvements féministes contemporains à la prise en charge des violences, ainsi que le caractère massif de ces mobilisations.</p>
<h2>Comment les médias ont-ils intégré et dénoncé ces violences ?</h2>
<p>Par-delà de la dimension collective du témoignage de Judith Godrèche, le cadrage et l’activité médiatique qui l’accompagnent s’avèrent tout aussi importants. En effet, en matière de violences sexistes et sexuelles, les médias ont élaboré de <a href="https://www.cairn.info/feuilleter.php?ID_ARTICLE=HERM_BODIO_2022_01_0109">nouvelles stratégies discursives</a>, se sont dotés de figures professionnelles spécialisées et ont produit des <a href="https://journals.openedition.org/edc/10041#quotation">dispositifs de dénonciation</a>, même si des changements sont encore nécessaires.</p>
<p>Dans cette perspective, le 9 février 2024, le magazine <em>Télérama</em>, sous la plume de la directrice de la rédaction Valérie Hurier, questionne sa propre responsabilité au sein d’un :</p>
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<p>« système, celui de la production cinématographique, qu’il convient aujourd’hui de réexaminer à la lumière de ces témoignages. Un système dont les médias, Télérama compris, se sont parfois faits les complices par leurs éloges ».</p>
</blockquote>
<p>Quelques jours plus tard, l’AFP <a href="https://www.konbini.com/popculture/violences-sexuelles-le-cinema-dauteur-francais-force-de-se-regarder-dans-la-glace/">rapporte les propos de Dov Alfon</a>, directeur de la publication et de la rédaction à Libération, sur la « prise de conscience » amenant le journal à « commencer par un vrai travail de relecture aux archives sur [ses] différents papiers de l’époque, pour en rendre compte à [ses] lecteurs ».</p>
<p>Si ces déclarations à la marge renseignent sur une potentielle sortie de la figure du « monstre », déjà initiée avec l’ouvrage <em>Le Consentement</em> de Vanessa Springora, afin d’interroger l’ensemble des acteurs impliqués dans ces violences systémiques, elles peinent néanmoins à couvrir les difficultés de penser les violences sexistes et sexuelles en dehors d’espaces, affaires et secteurs particuliers, à l’image des nombreuses déclinaisons de #MeToo.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/225137/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Irène Despontin Lefèvre a obtenu un contrat doctoral pour réaliser sa thèse en sciences de l'information et de la communication au sein de l'Université Paris-Panthéon-Assas. Dans le cadre de ses recherches, elle a réalisé une enquête (n)ethnographique et a été amenée notamment à rencontrer des membres du collectif #NousToutes et des militantes féministes.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Giuseppina Sapio ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La récente prise de parole de Judith Godrèche s’inscrit dans le sillon des mobilisations féministes nationales et internationales, et interroge la façon dont les médias se font l’écho de ces paroles.Irène Despontin Lefèvre, Enseignante contractuelle à la Faculté des sciences économiques, sociales et des territoires de l'Université de Lille, Université Paris-Panthéon-AssasGiuseppina Sapio, Maîtresse de conférences en sciences de l'information et de la communication, Université Paris 8 – Vincennes Saint-DenisLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2252992024-03-17T15:33:33Z2024-03-17T15:33:33ZPour une éducation aux médias et à l’information (de) tous les jours<p>Ce lundi 18 mars 2024 s’ouvre la 35<sup>e</sup> édition de la <a href="https://www.clemi.fr/actions-educatives/semaine-de-la-presse-et-des-medias">Semaine de la presse et des médias dans l’école</a>. Chaque année, dans bon nombre d’établissements de la maternelle au lycée, ce rendez-vous permet de <a href="https://www.education.gouv.fr/semaine-de-la-presse-et-des-medias-dans-l-ecole-5159">« développer le goût pour l’actualité »</a>, tout en abordant avec les élèves des notions clés du travail journalistique, du décryptage de l’information, à travers des présentations du paysage médiatique ou des rencontres de rédactions.</p>
<p>Si cette manifestation a son importance, elle ne suffit bien sûr pas à mener à bien tous les objectifs énoncés ci-dessus. <a href="https://cfeditions.com/grandir-informes/">L’observation des pratiques informationnelles enfantines et adolescentes</a>, comme l’analyse des situations d’apprentissage dans le monde scolaire mais aussi en famille, en médiathèques ou dans les communautés associatives, plaident incontestablement pour une banalisation de l’éducation aux médias et à l’information (EMI).</p>
<p>Cette éducation est une pierre angulaire du développement d’une culture générale. Comment s’y prendre pour mieux l’ancrer dans le quotidien des jeunes générations ?</p>
<h2>Une recherche d’informations quotidienne</h2>
<p>Dès l’<a href="https://edunumrech.hypotheses.org/files/2023/12/GTnum_CREM_ELN_portfolio_Dec2023.pdf">enfance</a>, les pratiques informationnelles existent et participent du développement de loisirs et d’activités. Prenons l’exemple d’Emeline, 10 ans. Passionnée de botanique, elle effectue des recherches en ligne sur les plantes. De son côté, Aiden, 7 ans, utilise YouTube pour regarder « des vidéos de dessins pour avoir des techniques et des idées », et ensuite dessiner à son tour.</p>
<p>Dès l’enfance aussi, ces pratiques d’information témoignent d’un enjeu d’intégration sociale fort. Ainsi, Rémy, scolarisé en CM2, raconte l’importance de ses recherches sur les faits de jeu de son équipe de football préférée. Il les partage avec ses frères et son père car, à la maison, on n’a plus les moyens financiers de se rendre au stade : « Quand on en parle à l’école le lundi, c’est comme si j’étais allé à Bollaert ! »</p>
<p>Cette intrication des pratiques informationnelles avec le développement d’une personnalité et de ses goûts et la volonté de prendre sa place dans le monde monte en puissance avec l’âge.</p>
<p>Les collégiens et les lycéens rencontrés sur le terrain racontent le plaisir de s’informer en groupe, de partager leurs découvertes entre pairs, de s’interroger ensemble sur les informations auxquelles ils accèdent. Dans toute leur diversité : non seulement sont évoquées les pratiques informationnelles médiatiques, dites d’actualité, mais aussi les pratiques informationnelles documentaires, extrêmement prégnantes dans la vie enfantine et adolescente.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/TJiIudqXH30?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">C’est quoi une information ? Les Clés des Médias (CLEMI, mars 2021).</span></figcaption>
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<p>Contrairement à une vulgate répandue, et affirmée par des études aux contours flous et purement <a href="https://www.nouvelobs.com/medias/20220121.OBS53512/le-desinteret-pour-l-actualite-progresse-surtout-chez-les-plus-jeunes.html">déclaratives</a>, les enfants et les adolescents s’informent. Ils et elles s’informent sur leurs centres d’intérêt, leurs loisirs, mais aussi des sujets de société qui leur tiennent à cœur, à la manière de ces lycéennes qui peuvent discuter longuement des violences sexistes et sexuelles. Elles effectuent une veille informationnelle rigoureuse sur le sujet par le moyen des réseaux sociaux numériques.</p>
<p>Adolescentes et adolescents s’informent avec un plaisir réel, lors de rituels qu’ils mettent en place, seuls, avec des pairs ou en <a href="https://hal.univ-lorraine.fr/hal-03349651v1/file/CORDIER_Famille-numerique.pdf">famille</a>. Vasco, lycéen de 17 ans, explique combien il aime « confronter « (ses) » informations avec celles de (sa) mère avec la télé. On n’est pas souvent d’accord, mais c’est ça qui est bien, on se parle ! »</p>
<p>Ces générations tirent parti de ressources informationnelles qui échappent souvent au regard des adultes, à l’instar de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Hugo_Travers">Hugo Décrypte</a>, fortement plébiscité par les lycéens, ou encore des titres de presse régionale ou nationale, dont ils suivent les publications <em>via</em> les réseaux sociaux numériques. N’oublions pas non plus les créateurs et créatrices de contenu, qui tiennent une place importante dans l’écosystème informationnel des publics juvéniles, notamment pour nourrir leur curiosité envers l’information documentaire (sur la santé, la sexualité, ou encore la physique ou le cinéma).</p>
<h2>Des rituels de familiarisation à l’information</h2>
<p>Ces pratiques informationnelles ont besoin de soutien, et les enfants comme les adolescents apparaissent très demandeurs d’accompagnement dans le domaine, conscients notamment de la difficulté à évaluer l’information dans un contexte généralisé de défiance, ou encore à gérer la <a href="https://larevuedesmedias.ina.fr/chaos-information-reseaux-sociaux-adolescents-sophie-jehel">réception des images violentes en ligne</a>. Ils sont aussi désireux de développer plus encore leurs connaissances informationnelles « pour réussir dans la vie, parce que l’information c’est un tremplin », comme le note Romane, 17 ans.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/faut-il-avoir-peur-des-ecrans-retour-sur-une-annonce-presidentielle-224456">Faut-il avoir peur des écrans ? Retour sur une annonce présidentielle</a>
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<p>Les adolescents et les jeunes adultes rencontrés en enquête font part de rituels de familiarisation à l’information qu’ils considèrent comme fondateurs dans leur parcours. C’est le cas de Morgan qui, à 24 ans, tire le fil entre une expérience quotidienne de la lecture et de la discussion autour de la presse d’actualité à l’école primaire et son appétence actuelle, à l’âge adulte, pour la presse écrite :</p>
<blockquote>
<p>« Tu titres “De Mon Quotidien à Mad Movies” ! (rires) Sérieusement, je suis certain, ça me vient de là, le plaisir de la presse, tu vois, de prendre de l’info dedans, de savoir que je peux la partager, comme on faisait en primaire, quoi. »</p>
</blockquote>
<p>D’autres évoquent des apprentissages structurants, lesquels ont pu être observés lors d’un <a href="https://journals.openedition.org/rfsic/5130">suivi longitudinal de lycéens dans leur entrée dans les études supérieures</a> et dans la vie professionnelle. À 19 ans, Julie « ne remerciera jamais assez (son professeur documentaliste) qui lui a donné les bonnes cartes pour après ! », notamment en la sensibilisant au référencement bibliographique et au travail de sourçage de l’information.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/HzZDrChvgME?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">“Le smartphone, une porte d’entrée à l’information” (Sqool TV, 2023)</span></figcaption>
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<p>Malheureusement, l’étude des parcours sur le long terme, et les enquêtes de terrain en milieu scolaire, montrent la difficulté à mettre en place une progression des apprentissages en éducation aux médias et à l’information. Les temps consacrés à l’information dans la classe, à son analyse comme à sa discussion, sont trop ponctuels.</p>
<p>Or, intégrer des apprentissages informationnels au sein d’un environnement médiatique et documentaire pour le moins complexe, comprendre des concepts essentiels comme l’autorité informationnelle ou encore la ligne éditoriale, développer une <a href="https://hal.univ-lorraine.fr/hal-03541492v1/document">culture des sources</a>, tout cela demande du temps.</p>
<h2>Sortir du traitement évènementiel de l’éducation à l’information</h2>
<p>Le traitement évènementiel de l’information, auquel se trouvent souvent contraints les acteurs de l’éducation aux médias et à l’information, ne permet absolument pas de relever le défi. Tout d’abord, parce que, nous l’avons vu, ce traitement n’est pas à la mesure de la quotidienneté – joyeuse – de la vie sociale des enfants et des adolescents, et des enjeux qu’ils ont à affronter chaque jour pour <a href="https://hal.univ-lorraine.fr/hal-03452769/document">appréhender le flux d’informations</a> et en traiter le contenu, quel que soit son statut.</p>
<p>Ensuite, la prise en charge des problématiques informationnelles et médiatiques ne saurait se limiter à la gestion d’un évènement en général tellement chargé émotionnellement (attentats, guerres) que la prise de distance nécessaire à la structuration de connaissances n’est pas possible.</p>
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<p>Enfin, l’étude des trajectoires informationnelles des acteurs suivis sur le long terme et les interrelations avec les formations en EMI dont ils ont bénéficié montrent à quel point la dimension temporelle est cruciale. C’est ce qui favorise l’intégration de compétences et de connaissances abordées de façon répétée de manière à ce que des transferts soient envisagés et envisageables. C’est ainsi qu’en situation, dans un nouveau contexte, les jeunes concernés seront en mesure de convoquer de nouveau des ressources, des types d’usages ou de pratiques abordés.</p>
<p>Pour l’ensemble de ces raisons, c’est d’une éducation aux médias et à l’information du quotidien et au quotidien dont nos enfants et adolescents ont besoin, une éducation à la hauteur de la place qu’a l’activité informationnelle dans leur vie. C’est-à-dire une place quotidienne, profondément incarnée, sensible, joyeuse, et essentielle dans les sociabilités qu’ils mettent en œuvre, que ce soit avec la famille ou avec les pairs.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/225299/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anne Cordier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>En mars, la Semaine de la presse et des médias à l’école sensibilise les enfants et les adolescents au décryptage de l’actualité. Mais l’éducation aux médias est un défi à relever au jour le jour.Anne Cordier, Professeure des Universités en Sciences de l’Information et de la Communication, Université de Lorraine, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2247162024-03-12T14:06:48Z2024-03-12T14:06:48ZVoici comment les données d’audience façonnent le journalisme canadien<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/580776/original/file-20240308-18-9gbysh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C4091%2C2733&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La façon dont les journalistes considèrent leur audience dans les salles de rédaction a beaucoup évolué. Ce changement est largement dû aux données d'audience.</span> <span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span></figcaption></figure><p>Les grands groupes médiatiques <a href="https://www.lapresse.ca/affaires/entreprises/2024-02-08/bce-elimine-4800-emplois-vend-des-stations-de-radio-et-ecorche-ottawa.php">suppriment des emplois, réduisent leur programmation</a>, et des <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2010982/medias-metro-cession-actifs-annonce">publications mettent fin à leurs activités</a>. Face aux défis de <a href="https://www.cem.ulaval.ca/publications/dnr-2023-canada-fr/">l’évitement des nouvelles et de la baisse de confiance</a> à l’égard du journalisme, c’est devenu une question de survie pour les journalistes que de trouver des moyens d’attirer, d’intéresser et de fidéliser leur public.</p>
<p>La manière dont ils considèrent leur public dans les salles de rédaction a beaucoup évolué. Ce changement est dû en grande partie aux <a href="https://j-source.ca/heres-how-metrics-and-analytics-are-changing-newsroom-practice/">données d’audience</a>, de plus en plus abondantes.</p>
<p>En effet, les journalistes reçoivent presque constamment des rétroactions sur le contenu qu’ils créent. Qu’ils travaillent en ligne, à la télévision, à la radio ou dans la presse traditionnelle, ils fournissent des informations à de multiples plates-formes. Ils sont donc exposés chaque jour à des données quantitatives (mesures du comportement de l’audience sur les sites web et les médias sociaux) et qualitatives (commentaires sur les médias sociaux).</p>
<p>Comme nous l’a dit un journaliste de télévision :</p>
<blockquote>
<p>On sait exactement jusqu’où quelqu’un fait défiler une page, combien de secondes il passe sur une page, quel appareil il utilise. Nous en savons tellement sur notre public, tout comme Google en sait sur le sien.</p>
</blockquote>
<p>Mais quel est l’impact de toutes ces données sur la façon dont les journalistes perçoivent leur public et le contenu qu’ils publient ? C’est ce nous explorons dans un <a href="https://doi.org/10.1080/17512786.2024.2310712">article récemment publié</a> sur le journalisme orienté vers l’auditoire.</p>
<h2>Le journalisme orienté vers l’auditoire</h2>
<p>Il implique trois rôles spécifiques :</p>
<ul>
<li><p>un rôle d’infodivertissement — utilisation de stratégies narratives et d’un style s’alignant sur des médias plus axés sur le divertissement ; </p></li>
<li><p>un rôle civique — contenus visant l’éducation des citoyens à leurs droits ou la défense de leurs revendications ; </p></li>
<li><p>un rôle de service — promotion de produits ou aide à la résolution de problèmes de la vie quotidienne.</p></li>
</ul>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/577152/original/file-20240221-20-97keji.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="site web du Toronto Star" src="https://images.theconversation.com/files/577152/original/file-20240221-20-97keji.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/577152/original/file-20240221-20-97keji.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/577152/original/file-20240221-20-97keji.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/577152/original/file-20240221-20-97keji.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/577152/original/file-20240221-20-97keji.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/577152/original/file-20240221-20-97keji.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/577152/original/file-20240221-20-97keji.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Trouver des moyens d’attirer, d’intéresser et de fidéliser un public est devenu une question de survie pour les professionnels de l’information.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Nous avons <a href="https://j-source.ca/a-global-study-on-pandemic-era-news-explores-the-gap-between-journalists-ideals-and-realities/">analysé plus de 3 700 articles</a> publiés en 2020, réalisé une enquête par questionnaire à 133 journalistes en 2020 et 2021, et interviewé 13 journalistes au cours de la même période. Les médias à l’étude sont TVA, CBC/Radio-Canada, <em>La Presse</em>, le <em>Toronto Star</em>, <em>Globe and Mail</em>, <em>National Post</em>, CTV, Global News et <em>HuffPost Canada</em>. Ayant nous-mêmes travaillé dans des salles de rédaction, nous avons pu contextualiser nos résultats en fonction de nos propres expériences.</p>
<p>Nous avons constaté que les données d’audience ont un impact important sur les pratiques des médias d’information canadiens. Au sein du défunt <a href="https://theconversation.com/bottom-up-audience-driven-and-shut-down-how-huffpost-canada-left-itsan-media-175805"><em>HuffPost Canada</em></a>, par exemple, l’audience était segmentée en types ou profils de lecteurs sur la base des données d’audience. Comme l’a expliqué un rédacteur en chef, « nous faisons X, Y et Z pour ce type d’article et pour ce type de personne ». En fait, la manière de rédiger un article était adaptée au profil de son destinataire.</p>
<p>Les journalistes sont également conscients de l’importance des données d’audience d’un point de vue commercial. Comme l’a fait remarquer l’un d’eux :</p>
<blockquote>
<p>Il s’agit d’algorithmes que je ne comprends pas tout à fait, mais qui aident nos experts à déterminer comment personnaliser l’expérience de l’utilisateur lorsqu’il se rend sur le site web. Il vous montre donc des choses qui vous intéressent, de la même manière que Facebook et Twitter, ce qui maintient l’intérêt des gens pour votre site web, ce qui signifie plus d’abonnés, ce qui signifie que je peux conserver mon emploi rémunéré.</p>
</blockquote>
<p>Les réponses à notre enquête confirment l’importance des données d’audience dans la sélection, le développement et la promotion des sujets, ainsi que dans la mesure de leur valeur. <a href="https://doi.org/10.1177/1464884913504259">D’autres études</a> ont montré que les journalistes peuvent minimiser <a href="https://doi.org/10.1177/1464884915595474">l’importance des données</a> dans leurs décisions éditoriales, de sorte que l’impact pourrait être encore plus important que ce que nous avons mesuré.</p>
<h2>Infodivertissement et sensationnalisme</h2>
<p>On déplore souvent que l’omniprésence des données dans les salles de rédaction favorise le clickbait ou les articles à sensation qui stimulent le trafic au détriment de reportages sur des enjeux plus importants — et <a href="https://doi.org/10.1080/21670811.2018.1504626">c’est parfois le cas</a>. </p>
<p>Le sensationnalisme fait partie de notre catégorie d’infodivertissement. Cependant, notre analyse de contenu a révélé qu’une grande partie de ce qui est qualifié d’infodivertissement dans le journalisme canadien implique des qualificatifs descriptifs et la présence de détails pertinents et personnels sur le sujet traité. Si cela est fait de manière appropriée, cela peut donner plus de nuances et de contexte à un article.</p>
<p>En outre, au Canada, l’infodivertissement est souvent associé à la partie « éducative » du rôle civique. Par exemple, un rédacteur en chef nous a expliqué qu’il cherchait à trouver l’aspect « plus amusant » (infotainment) d’un article qui peut constituer un « point d’entrée » pour informer le public sur des sujets tels que les règles parlementaires.</p>
<p>En outre, les rôles civiques et de service sont souvent combinés : par exemple, des informations pertinentes à la vie quotidienne peuvent aussi influencer la compréhension des processus politiques ou éclairer le public sur les droits des citoyens.</p>
<p>Près de 80 % des articles que nous avons sélectionnés comportaient au moins un rôle orienté vers le public, et près de 40 % en comportaient plus d’un. Cela prouve bien que les publics sont au centre des préoccupations dans les salles de rédaction. </p>
<p>Nos conversations ont également révélé que même si les rédactions ne sont pas toujours en mesure <a href="https://slate.com/technology/2021/03/imagined-audiences-journalism-analytics-intuition.html">d’interpréter avec précision</a> les attentes du public, elles consacrent beaucoup de temps et de ressources à essayer de le faire.</p>
<h2>L’importance des médias sociaux</h2>
<p>La plupart des journalistes avec lesquels nous nous sommes entretenus utilisent les médias sociaux, parce qu’ils les considèrent comme un outil important pour atteindre le public, trouver des sources et promouvoir leur travail. Plus de 78 % des journalistes interrogés reconnaissent qu’il s’agit d’un outil important pour entrer en contact avec le public.</p>
<p>Cependant, les journalistes ont également noté les inconvénients des médias sociaux, notamment en ce qui concerne la polarisation politique. Un journaliste de la presse écrite a déclaré : </p>
<blockquote>
<p>S’ils permettent de trouver un public, ce dont nous avons absolument besoin, ils ont aussi créé un forum où l’on peut attaquer les journalistes et la presse libre.</p>
</blockquote>
<p>Cet environnement hostile a poussé une autre journaliste à faire attention à son choix de mots afin de toucher un public plus large :</p>
<blockquote>
<p>Je fais délibérément des efforts pour essayer d’atteindre les gens qui essaient de m’ignorer. En fait, c’est le public cible que vous visez lorsque vous écrivez. Vous évitez donc d’utiliser inutilement des termes qui sont tournés en dérision, non pas parce que nous ne méritons pas d’utiliser ces termes… mais parce que ce que vous essayez de faire, c’est d’atteindre ces personnes.</p>
</blockquote>
<p>Même si les gens ne font pas confiance à l’information ou à un certain média, la recherche montre qu’ils peuvent reconnaître et apprécier le <a href="https://doi.org/10.4324/9781003257998">journalisme de qualité</a>. </p>
<p>Les journalistes canadiens doivent trouver des moyens de comprendre et d’atteindre un public qui ne veut pas toujours les écouter. Ils s’efforcent de le faire. Il reste à voir si cela fonctionne et quel impact durable auront leurs efforts sur les normes journalistiques.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/224716/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Nicole Blanchett a reçu des financements de Mitacs, du Centre d'études sur les médias, du Journalism Research Centre de la Toronto Metropolitan University, de la Creative School de la Toronto Metropolitan University, de la Toronto Metropolitan University et du CRSH.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Les travaux de Colette Brin sont financés en partie par le ministère de la Culture et des Communications du gouvernement du Québec et le Fonds de recherche du Québec - Société et culture. L'édition canadienne du Digital News Report est financée par Patrimoine canadien par l'intermédiaire de Médias d'info Canada. La professeure Brin est directrice du Centre d'études sur les médias, entité de recherche indépendante à but non lucratif hébergée à l'Université Laval en partenariat avec l'Université de Montréal et l'Université du Québec à Montréal. Elle est également présidente du Conseil consultatif indépendant sur l'admissibilité aux mesures fiscales pour le journalisme, en collaboration avec l'Agence du revenu du Canada. </span></em></p>Une nouvelle étude sur le journalisme canadien examine l’impact des données d’audience sur l’information dans les médias et la perception qu’ont les journalistes de leur public.Nicole Blanchett, Associate Professor, Journalism, Toronto Metropolitan UniversityColette Brin, Professor and Director, Centre d'études sur les médias, Université LavalLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2177092024-03-11T16:11:57Z2024-03-11T16:11:57Z« L’école, c’était mieux avant ! » : les enjeux d’un leitmotiv politique<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/580180/original/file-20240306-16-3u4ddu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C1%2C1022%2C722&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Une affiche de publicité des années 1920 autour de la rentrée des classes.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.parismuseescollections.paris.fr/fr/musee-carnavalet/oeuvres/rentree-des-classes-vetements-trousseaux-articles-pour-pensions#infos-principales">Henri Genevrier (dit Grand'Aigle), via Wikimedia Commons - Musée Carnavalet</a></span></figcaption></figure><p>On ne parle plus, dans les médias, de « retour » de l’uniforme pour <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2024/02/16/derriere-la-solution-du-port-de-l-uniforme-a-l-ecole-de-rares-etudes-scientifiques-et-une-absence-de-consensus_6216874_3224.html">qualifier l’expérience lancée par Gabriel Attal</a>. Chacun commence à savoir que, dans les écoles publiques de France métropolitaine, les <a href="https://theconversation.com/uniforme-a-lecole-leternel-debat-147126">écoliers n’ont jamais été astreints au port de l’uniforme</a>, ni même de la blouse.</p>
<p>Il reste que cette initiative, au milieu d’autres éléments de langage et de marqueurs symboliques, sur le « retour » aux fondamentaux ou la « restauration » de la discipline, semble faire système, <a href="https://theconversation.com/luniforme-a-lecole-reflet-du-clivage-entre-la-droite-et-la-gauche-213298">contribuant à dessiner un modèle scolaire ancien</a>, érigé aujourd’hui en référence du débat public. L’historien Claude Lelièvre rappelle régulièrement à quel point <a href="https://www.cahiers-pedagogiques.com/lecole-daujourdhui-a-la-lumiere-de-lhistoire/">l’image de l’école passée est un pur fantasme</a> et n’a guère de fondements historiques. Pourtant, ce qu’on aime à présenter comme « la tradition de notre école » s’est pour de bon imposé comme un repère positif.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/lecole-en-panne-de-projet-politique-212040">L’école, en panne de projet politique ?</a>
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<p>Il n’en a pas toujours été ainsi. <a href="https://journals.openedition.org/rhc/6639">En menant une étude systématique de la presse nationale d’information générale</a>, on voit que cette école traditionnelle n’était mentionnée dans les années 1960 que comme un repoussoir. <a href="https://www.cairn.info/refus-et-refuses-d-ecole--9782706145605-page-61.htm">Son progressif retour en grâce</a>, à partir de 1968, est en fait une illustration très éclairante des limites de nos débats éducatifs.</p>
<h2>Un modèle scolaire bien peu défini</h2>
<p>Si, dans les années 1960, la dénonciation délibérément provocatrice du « faux prestige des humanités classiques » ou de rites comme le baccalauréat (qualifié de « mort en sursis » par le vice-recteur de l’Université de Paris lui-même, dans son allocution solennelle de rentrée de 1961) paraît si consensuelle, c’est peut-être parce que <a href="https://journals.openedition.org/histoire-education/2730">cette école-repoussoir</a> est, hier comme aujourd’hui, bien peu définie par ceux qui la condamnent. C’est Raymond Aron qui, dans les colonnes du <em>Figaro</em> du 4 juin 1965, le dit le mieux :</p>
<blockquote>
<p>« Les porte-parole officiels commencent tous leurs discours par les formules aujourd’hui à la mode et, en un sens, incontestables : “les structures craquent de toutes parts… L’enseignement doit suivre son époque… il faut adapter méthodes et programmes” […] Qui ne souscrirait à de tels propos, dont la vérité s’impose avec d’autant plus d’évidence que la portée en est plus équivoque ? En quoi consiste l’"adaptation" ? Quelles sont “les structures qui craquent” ? »</p>
</blockquote>
<p>Mais l’ambivalence joue aussi dans l’autre sens. En 1984, il suffit à Jean-Pierre Chevènement, devenu ministre de l’Éducation, de faire allusion, dans la lettre qu’il envoie pour la rentrée à tous les enseignants, à « la tradition de notre école, (qui) est l’une des plus belles qui soient », pour que la <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1984/09/06/un-ministre-simple-et-pratique_3020418_1819218.html">presse glose à loisir</a>. Alors enfiévré par la <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1984/10/11/vues-et-revues-quand-l-education-redevient-nationale_3136550_1819218.html">publication de petits livres au ton vengeur</a> accusant les « réformes » ou le « pédagogisme » d’avoir dénaturé une école passée désormais parée de toutes les vertus, le débat éducatif embraye facilement.</p>
<p>Un mot suffit ainsi à activer tout un univers de représentations qu’à partir de ce moment, on qualifie de « républicain » alors qu’il était jusqu’ici cantonné au monde conservateur. Il n’est pas jusqu’au nom de Jules Ferry, rarement cité avant 1983, qui ne reprenne du service, mais dorénavant pour exalter les mérites d’une école de la discipline et de la verticalité, donc <a href="https://centrehenriaigueperse.wordpress.com/2022/02/05/claude-lelievre-lecole-republicaine-ou-lhistoire-manipulee/">bien loin de la vérité historique</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">1960 : Pour ou contre l’uniforme au lycée ? (Archive INA, 2018).</span></figcaption>
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<p>L’organisation en 2004 de la <a href="https://www.liberation.fr/societe/2004/09/01/les-evidences-de-fillon-agacent-les-enseignants_490953/">conférence de presse de rentrée de François Fillon</a> dans un des musées de l’école qui se sont multipliés entre-temps vient ainsi fort logiquement illustrer l’enracinement d’un discours devenu banal : « (je suis) porteur d’une vision finalement assez simple de l’éducation : […] il faut restaurer l’autorité des maîtres d’hier » (<em>Le Figaro Magazine</em>, 11 septembre 2004.).</p>
<h2>L’école de Jules Ferry, otage de priorités politiciennes</h2>
<p>On le devine, cette référence à l’école d’autrefois, à laquelle on peut faire dire beaucoup de choses, sert des préoccupations plus politiques que pédagogiques.</p>
<p>Les anathèmes consensuels des années 1960 apparaissent comme un moyen d’éviter le vrai débat, à savoir ce qu’il faudrait faire face à ce que Louis Cros a appelé, dans un <a href="https://www.persee.fr/doc/pop_0032-4663_1962_num_17_3_10199">livre qui a fait date</a>, « l’explosion scolaire ». La <a href="https://theconversation.com/bonnes-feuilles-culture-de-masse-et-societe-de-classes-le-gout-de-lalterite-172438">massification</a> à l’œuvre, qui multiplie en dix ans les effectifs du collège par deux, ne suscite pas la réflexion qui aurait permis de lui trouver une réponse institutionnelle à la hauteur, et la dénonciation des archaïsmes semble être le seul moyen de mettre tout le monde d’accord.</p>
<p>Sous l’effet de l’ébranlement provoqué par les événements de Mai-68, la stabilité, face aux <a href="https://journals.openedition.org/histoirepolitique/4863">craintes de déstabilisation</a>, devient brutalement une valeur désirable. On voit le ministre Olivier Guichard se féliciter publiquement en 1970 qu’il n’y ait pas cette année-là de réforme du baccalauréat, comme si l’absence de changement était devenue une vertu (<em>Le Nouvel Observateur</em>, 15 juin 1970), tandis qu’en 1973, le premier ministre, Pierre Messmer, se retrouve contraint de revenir sur ses propos lorsqu’il suggère que la disparition de cet examen « ne serait pas une catastrophe nationale ».</p>
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<p>La charge de la preuve s’est inversée : ce n’est plus désormais la défense du <em>statu quo</em> qui doit être justifiée, mais la volonté de réforme en profondeur qui est perçue comme un projet déraisonnable. Alors que la très sélecte association des Anciens des collèges et lycées se félicitait dans <em>Le Figaro</em> du 18 mai 1959, que « l’enseignement secondaire de papa (soit) mort », le même journal publie le 12 février 1980 une tribune de Guy Bayet, président de la Société des agrégés, sous le titre « Vive le bac de papa ! », illustrant le renversement du consensus.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/pourquoi-repenser-lautorite-a-lecole-209541">Pourquoi repenser l’autorité à l’école</a>
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<p>En 1984, l’invention du « républicanisme » par Chevènement joue sur une demande d’ordre, et se diffusera avec succès au cours des années suivantes aux thèmes de la sécurité et de l’immigration.</p>
<p>Deux décennies plus tard, c’est à la droite que l’école traditionnelle fournit une base de refondation idéologique. Le référentiel libéral, auquel elle a longtemps lié son destin, a alors perdu de son efficience politique. De la campagne de Nicolas Sarkozy en 2007 à la fondation du parti Les Républicains en 2015, l’école devient un appui majeur d’un discours fondé désormais sur l’ordre et la tradition.</p>
<h2>La célébration du passé éclaire-t-elle sur l’avenir ?</h2>
<p>Pour que cette célébration de ce qu’on imagine être l’école d’autrefois aide à répondre aux questions que nous pose l’école d’aujourd’hui, il faudrait au moins que les mérites de celle-ci soient rigoureusement établis et non pas simplement fantasmés.</p>
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<img alt="Portrait de Jules Ferry" src="https://images.theconversation.com/files/580200/original/file-20240306-22-aukpbk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/580200/original/file-20240306-22-aukpbk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=832&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/580200/original/file-20240306-22-aukpbk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=832&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/580200/original/file-20240306-22-aukpbk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=832&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/580200/original/file-20240306-22-aukpbk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1046&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/580200/original/file-20240306-22-aukpbk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1046&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/580200/original/file-20240306-22-aukpbk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1046&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Jules Ferry.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Jules_Ferry_-_photo_Franck.jpg">Franck, via Wikimedia</a></span>
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<p>Ce qui a fait, en définitive, la <a href="https://www.persee.fr/doc/hedu_0221-6280_1993_num_57_1_2649">réussite bien réelle de l’école de Jules Ferry</a>, c’est sa capacité à ouvrir la société paysanne et ouvrière sur la modernité et sur l’extérieur bien plus que les coups de règle sur les doigts et l’apprentissage par cœur des listes de départements. Et c’est le consensus établi autour de ce projet cohérent qui a permis de susciter une dynamique à même de mettre à mal le modèle clérical jusque-là dominant. L’évocation de ce qui ressemble aujourd’hui surtout à une photo sépia peut-elle suffire à relancer un mouvement comparable ?</p>
<p>Quel fut, au fond, le vrai moteur de cette réinvention couronnée de succès d’une école qui n’a pas vraiment existé ? On pourrait fort bien la mettre au rang des <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1957/05/06/mythologies_2336212_1819218.html">« mythologies » de Roland Barthes</a>, qui nous rappelle fort opportunément que la fonction de ces mythes est avant tout d’essentialiser une structure sociale qui bénéficie à ceux qui les entretiennent.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/blanquer-lire-ecrire-compter-et-les-savoirs-fondamentaux-111676">Blanquer, « lire, écrire, compter » et les « savoirs fondamentaux »</a>
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<p>Dans les médias, entre 1983 et 2015, la réduction du débat scolaire au <a href="https://journals.openedition.org/ries/3993">retour cyclique de la confrontation entre ceux qui veulent changer l’école et ceux qui veulent la « sauver »</a> a fini par faire de ce modèle ancien, jamais vraiment décrit, une référence obligée, d’autant mieux naturalisée que, n’étant pas mise en débat, elle est généralement sous-entendue.</p>
<p>S’impose ainsi une confusion entre cette école mythique, le savoir et la République, comme si la remise en cause de l’une menaçait les deux autres. Confusion qui se fait au profit exclusif des <a href="https://www.cairn.info/revue-carrefours-de-l-education-2016-1-page-117.htm">personnalités médiatiques et intellectuelles qu’on a appelées « ceux qui aiment l’école »</a> : ayant construit leur identité sur leur maîtrise de l’école à l’ancienne, ils ont continuellement attiré l’attention sur cette question en assurant l’encadrement intellectuel du débat dans la presse et l’édition.</p>
<p>« Ceux qui aiment l’école » se rassurent ainsi sur leur positionnement dans le champ intellectuel tandis que, dans le champ politique, des conservateurs, assumés ou non, peuvent qualifier de « républicain » leur tropisme nostalgique. Il va de soi que, ce faisant, on relègue au second plan l’enjeu de l’invention d’une école capable de faire face aux défis des inégalités sociales, de l’explosion des cultures médiatiques ou de l’internationalisation des savoirs.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217709/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Yann Forestier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Du retour aux fondamentaux à la « restauration » de la discipline, l’école d’autrefois est régulièrement érigée en modèle dans le débat public. Cela n’a pas toujours été le cas.Yann Forestier, Chercheur associé au Centre Amiénois de Recherche en Education et Formation (CAREF). Professeur agrégé d'histoire, Université de Picardie Jules Verne (UPJV)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2249402024-03-06T16:13:14Z2024-03-06T16:13:14ZRT et Sputnik : comment les médias internationaux russes se restructurent après leur interdiction dans les pays occidentaux<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/579388/original/file-20240303-26-j1qrt6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C1880%2C1156&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Vladimir Poutine visite les locaux de RT à Moscou, le 10 décembre 2015, en compagnie de Margarita Simonian, rédactrice en chef de la chaîne RT, du site Sputnik et de l'agence d'informations Rossia Segodnia (en russe, la Russie aujourd'hui, soit le même nom que Russia Today). </span> <span class="attribution"><span class="source">Kremlin.ru</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/">CC BY-NC-SA</a></span></figcaption></figure><p><em>Le chercheur Maxime Audinet est l’un des meilleurs spécialistes français du complexe dispositif d’influence de la Russie, au cœur duquel se trouve le réseau RT (anciennement Russia Today). Son ouvrage très complet, <a href="http://www.inatheque.fr/publications-evenements/publications-2021/russia-today-rt-un-m-dia-d-influence-au-service-de-l-tat-russe-.html">« Un média d’influence d’État »</a>, paru en 2021, faisait déjà référence ; il ressort ces jours-ci, toujours aux éditions de l’INA, dans une version mise à jour et enrichie au regard des nombreux développements observés depuis que, le 24 février 2022, la confrontation entre la Russie et l’Ukraine, en cours depuis 2014, a pris une ampleur nouvelle. Nous vous en présentons ici quelques extraits où l’auteur revient sur les répercussions qu’a eues l’invasion à grande échelle de l’Ukraine sur la galaxie RT.</em></p>
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<h2>Un média sanctionné et interdit dans les pays occidentaux</h2>
<p>Saper les capacités informationnelles de l’État agresseur russe après son invasion de l’Ukraine s’impose rapidement comme un objectif prioritaire parmi les « mesures restrictives » émises par l’Union européenne contre Moscou. Les médias russes transnationaux RT et Sputnik se retrouvent à ce titre en ligne de mire.</p>
<p>Le 1<sup>er</sup> mars 2022, quelques jours après le lancement de l’offensive, le Conseil de l’Union européenne adopte un <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32022R0350">règlement</a> visant à lutter contre les « actions de propagande » mises en œuvre par la Russie pour « justifier et soutenir son agression de l’Ukraine ».</p>
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<p>Le texte de mars 2022 […] conduit à la suspension de l’ensemble des canaux de diffusion numérique et audiovisuelle de RT et Sputnik sur le territoire de l’Union, à leur déréférencement des principaux moteurs de recherche, ainsi qu’à leur <a href="https://larevuedesmedias.ina.fr/guerre-ukraine-plateformes-numeriques-gafam-deplateformisation-interdiction">« déplateformisation »</a>, autrement dit la fermeture de leurs comptes et chaînes sur les réseaux sociaux (Facebook, Twitter, YouTube, Instagram, Telegram, etc.).</p>
<p>[…]</p>
<p>Certaines rédactions cessent purement et simplement leurs activités, comme RT America (abandonné par ses plates-formes de distribution), RT UK (après la révocation définitive de la licence accordée par le régulateur britannique Ofcom), ainsi que les branches grecque, italienne, tchèque, polonaise et allemande de Sputnik.</p>
<p>[…]</p>
<p>En Allemagne, où la chaîne RT DE, à peine lancée, est interdite quelques semaines avant l’invasion […], la double rédaction berlinoise de RT (composée du site RT DE et de l’agence Ruptly) fait face à des <a href="https://www.tagesspiegel.de/gesellschaft/medien/russischen-medien-in-berlin-laufen-mitarbeiter-davon-4314460.html">départs massifs après le 24 février</a>.</p>
<p>[…]</p>
<p>En France, les fonds de RT France sont gelés par la Direction générale du Trésor, rendant impossible la poursuite de ses activités. Dans une atmosphère particulièrement tendue, RT France est d’abord placée en redressement judiciaire en mars 2023, avant qu’un jugement en liquidation judiciaire ne soit <a href="https://www.bodacc.fr/pages/annonces-commerciales-detail/?q.id=id:A202300763039">acté par le tribunal de commerce de Nanterre</a> le 7 avril 2023, entraînant avec lui le licenciement de plusieurs dizaines de salariés de la chaîne et du site qui avaient décidé de rester après les sanctions de mars 2022.</p>
<p>Un certain nombre d’employés de RT France <a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/020923/le-jdd-nouveau-porte-voix-du-kremlin">trouvent progressivement des emplois dans l’écosystème médiatique « alternatif » ou de droite radicale et d’extrême droite française</a> (CNews, <em>Journal du dimanche</em>, Omerta, Sud Radio, Prisma, Europe 1, etc.). Un de mes enquêtés, ancien de RT France, parle même d’un « effet de vase communicant » et de « passerelle » avec la chaîne d’opinion CNews, et plus largement des médias détenus par le groupe Vivendi de Vincent Bolloré, tout en indiquant que la plupart des autres rédactions ne répondent pas aux sollicitations de recrutement des anciens employés de la chaîne russe.</p>
<p>Après une phase de transition « saisissante » et marquée par un « sentiment de dépassement » de la direction, pour reprendre les mots de ce même enquêté à Paris, les rédactions de RT France et RT DE, et avec eux une partie importante de la production de leurs contenus, sont relocalisées au cours de l’année 2023 en Russie, au siège moscovite.</p>
<h2>En quête de nouvelles audiences depuis 2022</h2>
<p>Au-delà de ces manœuvres, RT tente de compenser la perte d’une partie des audiences occidentales par la recherche de nouveaux débouchés médiatiques.</p>
<p>[…] C’est surtout vers l’Afrique subsaharienne que les regards se tournent, parallèlement à une <a href="https://www.irsem.fr/media/5-publications/etude-irsem-83-audinet-le-lion-ok.pdf">nouvelle phase d’expansion de la présence russe sur le continent</a>. Ce tournant vers l’Afrique – principalement dans ses régions francophone et anglophone – concerne en premier lieu la rédaction francophone de Sputnik.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1550492119395082244"}"></div></p>
<p>Sputnik France avait déjà consolidé son réseau de correspondants dès 2018, en amont du sommet Russie-Afrique de Sotchi. En août 2022, après avoir quitté la France et cessé de produire des contenus entre mars et juillet, le site en français de Sputnik, rebaptisé « Sputnik Afrique », rouvre dans les locaux moscovites de Rossia Segodnia avec une nouvelle identité éditoriale et un nouveau site (« sputniknews.africa »), qui remplace l’ancien nom de domaine « fr.sputniknews.com ». Sa branche anglophone Sputnik Africa ouvre en avril 2023, et la croissance de ses audiences africaines se confirme depuis lors.</p>
<p>[…]</p>
<p>En dépit des [déclarations des autorités russes sur la nécessité de développer la présence de RT en Afrique], de l’enregistrement en 2022 par TV-Novosti de plusieurs noms de domaine sans ambiguïté (rt-afrique.com, rtafrica.media, etc.), d’une campagne de recrutement de journalistes avortée au Kenya et de plusieurs annonces <a href="https://mid.ru/ru/foreign_policy/news/themes/id/1898648/">prônant un élargissement du réseau sur le continent</a>, RT n’a toujours pas ouvert un bureau en Afrique subsaharienne au moment de l’écriture de ces lignes, fin 2023. La tendance n’en reste pas moins à la conquête de nouvelles audiences non occidentales, alors que la Russie cherche à préserver sa réputation et <a href="https://meduza.io/en/feature/2022/11/11/putin-the-anti-colonialist">engranger des soutiens dans les pays du « Sud global »</a>, en parallèle du conflit de haute intensité dont elle est responsable en Ukraine.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/224940/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Maxime Audinet a reçu des financements du CNRS (CEFR/UMIFRE) pour mener des recherches en Russie.</span></em></p>Porte-voix du Kremlin, RT et Sputnik, interdits en Europe depuis l’invasion à grande échelle de l’Ukraine, tentent de continuer d’émettre vers l’Occident et développent leur présence en Afrique.Maxime Audinet, Chercheur « Stratégies d’influence » à l’Institut de recherche stratégique de l'école militaire (IRSEM). chercheur associé au Centre de recherches pluridisciplinaires multilingues (CRPM) de l’Université Paris Nanterre, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2239372024-03-05T16:01:37Z2024-03-05T16:01:37ZL’avenir des médias et de l’influence repose-t-il sur les newsletters ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/579848/original/file-20240305-24-y5flwb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=81%2C90%2C5925%2C3917&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les newsletters, une stratégie payante pour les médias?</span> </figcaption></figure><p>Faites-vous partie des abonnés aux newsletters proposées par <a href="https://secure.lemonde.fr/newsletters"><em>Le Monde</em></a>, <a href="https://www.lesechos.fr/newsletters"><em>Les Echos</em></a>, ou <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/">The Conversation</a> ? Ces envois réguliers par mail – quotidiens, hebdomadaires ou mensuels – ne se limitent pas à une simple transmission périodique d’informations, mais correspondent à une stratégie de diffusion de l’information, dans un contexte où il est de plus en plus difficile de capter et de retenir l’attention.</p>
<p>Sur les réseaux sociaux, les préférences des utilisateurs sont en constante évolution. Sursollicités, ils expriment une <a href="https://www.meta-media.fr/2022/06/17/reuters-digital-news-report-la-news-fatigue-sinstalle.html">forme de lassitude</a>. Au fil du temps, <a href="https://link.springer.com/chapter/10.1007/978-3-030-42412-1_15">l’attention</a> du public se fait de plus en plus rare et précieuse, en raison de la concurrence permanente des réseaux sociaux, qui contribuent à brouiller la frontière entre les journalistes et les influenceurs. Les algorithmes orchestrent les préférences et régulent l’accès aux articles produits par les médias et aux autres contenus. Dès lors, malgré un grand nombre d’abonnés à sa page Facebook ou de followers sur Instagram, aucun média ne peut s’assurer de la visibilité et de la lecture effective de ses articles, même lorsque les lecteurs ont manifesté de l’intérêt en « likant » la page.</p>
<h2>Le retour en force des newsletters</h2>
<p>Dans ce contexte, les nouvelles entreprises médiatiques exclusivement numériques (les pure players) ont <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/19312431211037681">compris l’intérêt des newsletters</a>, qui font un <a href="https://www.statista.com/statistics/812060/email-marketing-revenue-worldwide">retour</a> en force avec quelques améliorations par rapport à leurs versions précédentes des années 2000.</p>
<p><a href="https://reutersinstitute.politics.ox.ac.uk/people/nic-newman">Selon Nic Newman</a>, auteur du rapport de 2024 de Reuters et de l’Université d’Oxford sur l’avenir et la consommation des médias, <a href="https://www.statista.com/forecasts/1143723/smartphone-users-in-the-world">l’essor croissant de l’usage des appareils mobiles</a> joue un rôle déterminant dans le regain de popularité des newsletters par e-mail. Au sein de cette enquête, 77 % des auteurs interrogés déclarent leur intention de renforcer leurs efforts dans le développement de liens directs avec les consommateurs à travers des sites web, des applications, des newsletters et des podcasts.</p>
<p>Selon une <a href="https://www.statista.com/statistics/1376934/email-marketing-campaign-objectives/">enquête menée en 2023</a> auprès de spécialistes du marketing, l’envoi de newsletters est l’un des principaux usages des campagnes par e-mail, juste après la sensibilisation aux produits et les promotions.</p>
<p>Considérées comme un outil puissant par les médias qui les utilisent, les plates-formes qui permettent d’envoyer des newsletters comme Mailjet, Sarbacane, Brevo et Mailchimp offrent un moyen direct et efficace de communication avec les abonnés, permettant une large diffusion d’informations, fidélisation de l’audience et création d’une communauté. L’e-mail garantit une relation continue et permet d’afficher un bouton « répondre » ; il offre des opportunités qui contribuent à <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/19312431211037681">réduire la distance entre l’auteur et le lecteur</a>.</p>
<p>La personnalisation, la fréquence d’envoi et la valeur ajoutée du contenu sont des éléments clés pour le succès d’une newsletter. Écrivains, journalistes et créateurs de contenu l’ont bien compris et utilisent beaucoup Substack, une application américaine.</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>En France, il existe un équivalent : Kessel Media, une start-up créée en juin 2022 pour aider les créateurs de contenu à se développer et à générer des revenus. Sur cette application, les contributeurs restent propriétaires de leur newsletter et de leur liste d’abonnés, rejoignant une communauté d’auteurs prêts à échanger des conseils et à s’entraider.</p>
<p>Ces newsletters indépendantes sont rédigées par des individus qui se concentrent sur des niches spécifiques dont ils ont une expertise approfondie. Citons parmi les plus populaires Hugo Clément (« actualité écolo et culturelle »), Louise Aubery (influenceuse qui prône l’acceptation de soi) ou encore Rose Lamy (sexisme ordinaire dans les médias). Ils proposent des idées, des analyses et des commentaires ciblés qui arrivent directement dans la boîte de réception des abonnés, selon une fréquence régulière, généralement hebdomadaire ou mensuelle, et proposent différentes formules d’abonnement (payant, gratuit, ou mixte).</p>
<h2>Personnaliser son offre</h2>
<p>Les études montrent que les organisations médiatiques grand public, en <a href="https://www.digitalnewsreport.org/survey/2020/the-resurgence-and-importance-of-email-newsletters/">France et ailleurs,</a> ont réaffecté une part de leurs ressources vers la création de newsletters dans le but d’élargir leur base d’abonnés, de fidéliser leur audience actuelle et <a href="https://www.niemanlab.org/2016/11/there-are-at-least-eight-promising-business-models-for-email-newsletters/">d’incorporer davantage de personnalisation dans leurs offres numériques</a>.</p>
<p>Les médias ont compris l’importance de rester directement connectés à leurs lecteurs, à l’instar du <em>New York Times</em>. Côté lecteurs, il peut être difficile de trouver des informations fiables et des analyses pertinentes parmi la multitude d’informations disponibles. C’est pourquoi, pour favoriser ses abonnés, le journal américain a migré en 2021 des newsletters gratuites vers des contenus exclusivement réservés aux abonnés.</p>
<p>Toutefois, la newsletter <a href="https://www.nytimes.com/series/us-morning-briefing">« The Morning »</a>, très appréciée, reste gratuite, probablement pour continuer d’attirer de potentiels abonnés. Emboîtant le pas au <em>New York Times</em>, des auteurs de renom se tournent depuis 2021 vers des plates-formes de newsletter et les médias s’orientent vers un contenu plus axé sur le destinataire. En recevant des newsletters, les lecteurs n’ont plus besoin de consulter régulièrement un site web pour découvrir de nouveaux articles : les actualités leur parviennent directement dans leur boîte de réception. Les interactions entre auteurs et lecteurs dans le cadre des newsletters établissent alors des <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/youtubeurs-podcasteurs-nos-relations-parasociales-avec-ces-amis-qui-nous-ignorent-5081620">relations parasociales</a>, créant une connexion directe et personnelle qui influe sur la nature et le contenu des newsletters.</p>
<p>D’après l’enquête menée par Reuters et l’Université d’Oxford, qui couvre 56 pays et territoires, dans un scénario optimiste, les producteurs de newsletters envisagent une ère où leur dépendance envers les géants de la technologie serait moindre, et où ils établiraient de plus en plus de relations plus directes avec leurs abonnés fidèles. La chute significative du trafic de référence en provenance de Facebook et de X (anciennement Twitter) réduit progressivement les flux d’audience vers les sites d’actualités établis et accroît la pression sur leur rentabilité.</p>
<p>Néanmoins, ces stratégies risquent de marginaliser les médias et les influenceurs en compliquant <a href="https://theconversation.com/medias-les-jeunes-ont-envie-dune-information-qui-leur-ressemble-218264">l’accès à des utilisateurs plus jeunes</a> et moins éduqués, nombre d’entre eux étant déjà familiarisés avec les actualités générées de manière algorithmique et ayant des liens plus faibles avec les médias traditionnels.</p>
<p>Il est donc indispensable d’adopter une stratégie de diffusion de l’information inclusive et diversifiée, tout en maintenant une veille active sur les réseaux sociaux <a href="https://fr.statista.com/statistiques/570930/reseaux-sociaux-mondiaux-classes-par-nombre-d-utilisateurs/">où les jeunes sont plus présents</a> (Instagram ; Snapchat et TikTok).</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/223937/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Ali Ahmadi ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Comment anticiper l’avenir des médias, quand les technologies s’emballent et que l’IA s’en mêle ? Les newsletters offrent une piste.Ali Ahmadi, Enseignant-chercheur, spécialiste des plateformes numériques, Université de ToursLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2216272024-01-28T16:07:53Z2024-01-28T16:07:53ZL’inquiétante progression d’Israël dans le classement des pays par nombre de journalistes emprisonnés<p>Israël est désormais l’un des pays du monde qui comptent le plus grand nombre de journalistes emprisonnés, selon une <a href="https://cpj.org/fr/reports/2024/01/recensement-carceral-2023-le-nombre-de-journalistes-emprisonnes-frole-un-niveau-record-forte-hausse-des-emprisonnements-en-israel/">étude</a> récemment publiée par le Comité pour la protection des journalistes (CPJ), basé à New York.</p>
<p>Chaque année, cette organisation publie un rapport faisant état du nombre de journalistes se trouvant derrière les barreaux. Au 1<sup>er</sup> décembre 2023, ce nombre s’élevait à 320, soit le deuxième le plus élevé depuis que ce classement a été créé en 1992. D’un certain point de vue, la dynamique est encourageante : le record en la matière – 367 – avait été <a href="https://cpj.org/data/?status=Imprisoned&start_year=1992&end_year=2022&group_by=year">enregistré en 2022</a>.</p>
<p>Il n’en demeure pas moins que le fait qu’autant de représentants du secteur des médias soient en prison est profondément préoccupant. Leur emprisonnement porte atteinte à la liberté de la presse et, souvent, aux droits humains.</p>
<h2>La guère enviable première place de la Chine</h2>
<p>Avec ses 44 journalistes emprisonnés, la République populaire de Chine occupe la première position. Elle est suivie par le <a href="https://rsf.org/fr/un-de-r%C3%A9pression-contre-le-journalisme-en-birmanie-en-chiffres">Myanmar</a> (43), la <a href="https://rsf.org/fr/b%C3%A9larus-rsf-d%C3%A9voile-les-portraits-des-27-professionnels-des-m%C3%A9dias-emprisonn%C3%A9s">Biélorussie</a> (28), la <a href="https://www.arte.tv/fr/videos/116944-000-A/journalistes-russes-en-danger-meme-en-exil/">Russie</a> (22) et le <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/vietnam-un-journaliste-independant-condamne-a-six-ans-de-prison-20230412">Vietnam</a> (19). Israël et <a href="https://rsf.org/fr/79-journalistes-arr%C3%AAt%C3%A9s-depuis-la-mort-de-mahsa-amini-une-r%C3%A9pression-terrifiante.">l’Iran</a> occupent conjointement le sixième rang (17 chacun).</p>
<p>Si la baisse par rapport à 2022 est indéniablement un phénomène positif, les statistiques révèlent quelques tendances inquiétantes.</p>
<p>Le CPJ ne se contente pas d’effectuer un simple décompte ; il examine également les accusations dont les journalistes font l’objet. En 2023, dans près des deux tiers des cas, les journalistes sont emprisonnés pour des faits que l’on peut globalement qualifier d’« atteinte aux intérêts de l’État » – une notion qui recouvre des inculpations pour espionnage, terrorisme, diffusion de fausses nouvelles, et ainsi de suite.</p>
<p>En d’autres termes, dans les pays concernés, les autorités considèrent le journalisme comme une sorte de menace existentielle qui doit être combattue à l’aide des lois protégeant la sécurité nationale.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/Tpubh9Eb3G0?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Dans certains cas, cela peut être justifié : il est en effet impossible d’examiner de façon indépendante chaque affaire. Mais ce qui ressort des observations du CPJ, c’est que, de plus en plus, les gouvernements perçoivent le domaine de l’information comme un champ de bataille. Dès lors, les journalistes se retrouvent dans une position précaire : ils sont vus, à leur corps défendant, comme des combattants engagés dans des affrontements souvent brutaux.</p>
<p>La première place de la Chine n’est guère surprenante. La RPC se classe en tête, ou juste en dessous, depuis plusieurs années. La censure rend extrêmement difficile une évaluation précise du nombre de personnes emprisonnées, mais on sait que, après la <a href="https://theconversation.com/hongkong-vitrine-de-la-democratie-a-la-chinoise-au-corps-defendant-de-ses-habitants-174297">répression des activistes pro-démocratie en 2021</a>, des journalistes de Hongkong se sont retrouvés enfermés pour la première fois. Près de la moitié des détenus chinois sont des Ouïghours du Xinjiang, région où Pékin a été accusé par le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme de <a href="https://www.ohchr.org/sites/default/files/documents/countries/2022-08-31/22-08-31-final-assesment.pdf">violations des droits humains</a> dans le cadre de la répression permanente conduite à l’encontre des minorités ethniques de la région, majoritairement musulmanes.</p>
<p>Les autres membres du « top cinq » sont également des habitués des places de tête de ce sinistre classement ; mais, juste en dessous de ce quintette, deux changements majeurs ont surpris les observateurs.</p>
<p>L’Iran avait <a href="https://cpj.org/reports/2022/12/number-of-jailed-journalists-spikes-to-new-global-record">pris la première place en 2022</a>, avec 62 journalistes emprisonnés. Ce chiffre est passé en 2203 à 17, ce qui a valu au pays de reculer à la sixième place. Un rang où il est rejoint par Israël, où un seul journaliste emprisonné avait été recensé en 2022.</p>
<p>C’est une bonne nouvelle pour les journalistes iraniens, mais une très mauvaise pour Israël, qui ne cesse de répéter qu’il est l’unique démocratie du Moyen-Orient et le seul pays de la région qui <a href="https://www.jpost.com/opinion/article-709045#google_vignette">respecte la liberté des médias</a>. En outre, Israël pointe régulièrement du doigt le régime iranien pour ses attaques répétées à l’encontre de tous ses détracteurs.</p>
<p>Les journalistes emprisonnés par Israël sont tous originaires de Cisjordanie occupée, tous palestiniens, et tous ont été arrêtés après les effroyables attaques lancées par le Hamas depuis Gaza le 7 octobre. Mais très peu de choses sont connues sur les raisons de leur mise en détention. Leurs proches ont déclaré au CPJ que la plupart d’entre eux étaient placés sous ce qu’Israël qualifie de « détention administrative ».</p>
<h2>Israël : dix-sept arrestations en moins de deux mois</h2>
<p>L’euphémisme « détention administrative » signifie en réalité que les journalistes ont été incarcérés <a href="https://www.btselem.org/topic/administrative_detention">pour une durée indéterminée, sans procès ni inculpation</a>.</p>
<p>Il est possible qu’ils aient, d’une manière ou d’une autre, planifié des attaques (Israël utilise l’outil de la détention administrative pour arrêter les personnes qu’il accuse de préparer la commission d’un futur délit), mais les preuves justifiant ces mises en détention ne sont pas divulguées, et les raisons de ces arrestations n’ont pas été rendues publiques.</p>
<p>La place qu’occupe Israël dans la liste du CPJ met en évidence une situation paradoxale et complexe. La liberté des médias fait partie intégrante d’une démocratie libre. Des médias dynamiques, incisifs et parfois hargneux sont un moyen éprouvé de maintenir le débat public en vie et le système politique en bonne santé.</p>
<p>C’est souvent problématique, notamment pour les autorités, mais il ne peut y avoir de système démocratique fort si les journalistes ne remplissent pas librement et vigoureusement leur rôle. De fait, l’ampleur de la répression exercée par un gouvernement à l’encontre des médias est un bon moyen de savoir si une démocratie est en train de s’effondrer.</p>
<p>Pour autant, on ne saurait établir une équivalence entre Israël et l’Iran. Israël reste une démocratie et les médias israéliens <a href="https://www.timesofisrael.com/public-trust-in-government-scrapes-bottom-amid-criticism-for-inadequate-war-response/">critiquent souvent leur gouvernement avec véhémence</a>, d’une manière qui serait impensable à Téhéran.</p>
<p>Mais si Israël veut rétablir la confiance dans son engagement envers les normes démocratiques, il devra au moins faire preuve de transparence sur les raisons de l’arrestation de 17 journalistes en moins de deux mois, et sur les preuves retenues contre eux. Et s’il n’y a aucune preuve qu’ils représentent une véritable menace pour la sécurité d’Israël, ils doivent être libérés immédiatement.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221627/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Peter Greste est professeur de journalisme à l'université Macquarie et directeur exécutif de l'Alliance pour la liberté des journalistes. Il a également signé une lettre ouverte appelant à une couverture équilibrée du conflit entre Gaza et Israël et, en 2006, il a couvert la bande de Gaza pour la BBC.</span></em></p>La Chine trône en tête de ce classement, devançant plusieurs autres régimes autoritaires ; mais Israël occupe désormais la sixième place, aux côtés de l’Iran.Peter Greste, Professor of Journalism and Communications, Macquarie UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2213672024-01-21T14:41:55Z2024-01-21T14:41:55Z« Emmanuel Macron préfère se passer des journalistes dès qu’il le peut »<p><em>La conférence de presse d’Emmanuel Macron, mardi 16 janvier 2024, a fait l’objet de nombreuses remarques, à la fois sur la forme – deux heures et quart face à son auditoire – mais aussi le fond. Au-delà des axes politiques et des choix ministériels défendus, l’historien des médias Alexis Lévrier (CRIMEL-Université de Reims/GRIPIC-Sorbonne Université) qui a notamment publié l’ouvrage <a href="https://www.lespetitsmatins.fr/collections/essais/medias-politique-et-communication/252-jupiter-et-mercure-le-pouvoir-presidentiel-face-a-la-presse.html">« Jupiter et Mercure. Le pouvoir présidentiel face à la presse »</a> (2021) revient sur ce que ce moment dit du rapport très ambivalent que le chef de l’état entretient avec les médias, et ce que cela révèle aussi de la V<sup>e</sup> République.</em></p>
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<p><strong>La conférence de presse du 16 janvier 2024 marque-t-elle une étape nouvelle dans l’histoire des rapports entre <a href="https://www.lespetitsmatins.fr/collections/essais/medias-politique-et-communication/252-jupiter-et-mercure-le-pouvoir-presidentiel-face-a-la-presse.html">Emmanuel Macron et la presse</a> ?</strong></p>
<p>Il faut d’abord rappeler que le chef de l’État n’aime pas particulièrement cet exercice : il a donné très peu de grandes conférences de presse depuis son élection, alors même qu’il s’agissait d’un rituel prisé par les présidents de la République depuis le général de Gaulle. De la même manière, Emmanuel Macron a eu tendance à plusieurs reprises à se passer des vœux à la presse, autre tradition qui suppose la rencontre entre le président et les journalistes. L’an dernier, il a par exemple remplacé au dernier moment ce cérémonial par un échange en « off » avec une <a href="https://larevuedesmedias.ina.fr/v%C5%93ux-president-macron-presse-rituel-off-annulation-2023">dizaine d’éditorialistes choisis</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-resilience-du-journalisme-face-au-pouvoir-jupiterien-160264">La résilience du journalisme face au pouvoir « jupitérien »</a>
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<p>Il a malgré tout donné quelques conférences de presse au cours de son premier mandat, par exemple en <a href="https://www.youtube.com/watch?v=h36VYBX5lD4">2021 au moment de la présidence française de l’Union européenne</a>, ou en <a href="https://www.youtube.com/watch?v=s_0VbuU6XNg">mars 2022 pour lancer sa campagne pour l’élection présidentielle</a>. Auparavant, en avril 2019, un événement très similaire à celui qui vient de se tenir avait eu lieu pour clore la séquence du Grand débat national : le président s’était exprimé pendant deux heures trente devant un parterre de plusieurs centaines de journalistes, qui avaient eu la possibilité de lui poser des questions après un discours liminaire prononcé sur un <a href="https://www.dailymotion.com/video/x76lrxn">ton très solennel</a>.</p>
<p>Cette fois, le président semble avoir opté pour un format un peu plus souple et moins daté : son discours était plus court (une demi-heure contre une heure) et ses réponses plus brèves, ce qui a permis à plus d’une vingtaine de journalistes de l’interroger. La spécificité de cette intervention (et son importance pour l’Élysée) apparaît aussi dans le « teasing » qui l’a précédé : en annonçant un « rendez-vous avec la nation » dès la fin 2023, Emmanuel Macron a su créer une attente auprès de la population, encore renforcée par des <a href="https://twitter.com/EmmanuelMacron">rappels au cours des derniers jours</a> et par le choix d’un horaire en « prime time » destiné à toucher un public le plus large possible.</p>
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<figcaption><span class="caption">Conférence d’Emmanuel Macron, mardi 16 janvier 2024, France 24.</span></figcaption>
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<p>Malgré les quelques efforts dont témoigne cette dernière conférence de presse, il est évident que le chef de l’État est peu à l’aise dans l’exercice et privilégie d’autres moyens de s’adresser aux Français.</p>
<p>D’une manière générale, c’est un président qui préfère se passer des journalistes dès qu’il le peut. Il l’avait du reste théorisé en amont de sa première élection, comme en témoignent les propos retranscrits par Philippe Besson, qui l’a accompagné durant sa campagne de 2017. Dans son essai <a href="https://www.lepoint.fr/livres/un-personnage-de-roman-nomme-macron-07-09-2017-2155117_37.php"><em>Un personnage de roman</em></a>, le romancier rapporte ainsi les jugements sévères tenus par Emmanuel Macron sur cette profession : le futur Président aurait même déclaré que beaucoup de journalistes « sont à la déontologie ce que mère Teresa était aux stups ».</p>
<p>Il en aurait tiré l’idée que cette corporation doit être contournée autant que possible pour s’adresser aux Français : « Il faut tenir les journalistes à distance […], trouver une présence directe, désintermédiée au peuple » (<em>Un Personnage de roman</em>, Julliard, 2017, p. 105).</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/570088/original/file-20240118-25-r0m0vm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/570088/original/file-20240118-25-r0m0vm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=983&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/570088/original/file-20240118-25-r0m0vm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=983&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/570088/original/file-20240118-25-r0m0vm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=983&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/570088/original/file-20240118-25-r0m0vm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1235&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/570088/original/file-20240118-25-r0m0vm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1235&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/570088/original/file-20240118-25-r0m0vm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1235&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"><em>Un personnage de roman</em>, Philippe Besson, 2017 (collection 10-18).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.fnac.com/a11269087/Philippe-Besson-Un-personnage-de-roman">Fnac</a></span>
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<p>Ce rêve d’une « désintermédiation » est illusoire, puisqu’un responsable politique a de toute façon besoin d’utiliser des médias pour communiquer. Mais Emmanuel Macron a tendance à le faire sans journalistes, par le biais d’allocutions solennelles face caméra (au moment de la crise sanitaire notamment) ou en recourant aux réseaux sociaux.</p>
<p>Cette méfiance à l’égard de la presse constitue évidemment une rupture spectaculaire avec le modèle incarné par François Hollande : <a href="https://www.publicsenat.fr/actualites/non-classe/francois-hollande-le-president-qui-voulait-etre-normal-60381">« le président normal »</a> ouvrait constamment les portes de l’Élysée aux journalistes et n’a cessé de communiquer avec eux pendant son mandat.</p>
<p>À l’inverse, Emmanuel Macron a revendiqué dans deux entretiens programmatiques – <a href="https://le1hebdo.fr/journal/macron-un-philosophe-en-politique/64/article/j-ai-rencontr-paul-ricoeur-qui-m-a-rduqu-sur-le-plan-philosophique-1067.html">dans <em>Le 1</em> en 2015</a> puis dans <a href="https://www.challenges.fr/election-presidentielle-2017/interview-exclusive-d-emmanuel-macron-je-ne-crois-pas-au-president-normal_432886"><em>Challenges</em> en 2016</a>- sa volonté de renouer avec une verticalité dans l’exercice du pouvoir. Plus encore que l’exemple gaullien, souvent cité, il a suivi les leçons du communicant de François Mitterrand, <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Jacques_Pilhan">Jacques Pilhan</a>, qui a théorisé la notion de président « jupitérien » : il a voulu une parole arythmique, maîtrisée, en choisissant ses propres moments et ses propres formats pour intervenir dans l’espace médiatique. Cette rareté a pour vertu de créer une attente : ce 16 janvier 2024, 8 chaînes de télévision ont par exemple diffusé en direct la conférence de presse du président.</p>
<p><strong>Comment expliquer cette méfiance à l’égard des journalistes ?</strong></p>
<p>Là aussi c’est assez particulier à Emmanuel Macron. Bien sûr il s’agit pour lui de revenir à une forme d’âge d’or de la V<sup>e</sup> République, qu’incarneraient les présidences de Gaulle et Mitterrand. Mais même ces deux prestigieux prédécesseurs ont su créer des liens de proximité et parfois d’amitié avec des journalistes. Certains de leurs successeurs sont allés beaucoup plus loin, à l’image de François Hollande donc, mais aussi de Nicolas Sarkozy, qui a cultivé des relations souvent passionnelles avec la presse.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/moi-president-e-regle-n-1-la-jouer-people-167197">« Moi, président·e » : Règle n°1, la jouer people</a>
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<p>Il me semble que l’attitude assez singulière d’Emmanuel Macron à l’égard de la presse s’explique d’abord par son parcours. Contrairement à ses prédécesseurs, il n’a jamais été élu. Or, quand vous êtes élu à l’échelle territoriale ou locale, vous devez construire une forme de compagnonnage avec la presse. Parfois cela créé des relations de connivence, ce qui pose question bien sûr. Mais au moins ce lien, cette médiation existe. Emmanuel Macron a voulu pour sa part créer une « saine distance » avec la presse, selon une formule utilisée <a href="https://video-streaming.orange.fr/actu-politique/macron-plaide-pour-une-saine-distance-entre-pouvoir-et-medias-CNT000000UVWwg.html">lors de ses premiers vœux à la presse, en 2018</a>. Le problème est que cette distance s’est souvent accompagnée d’une incompréhension, et parfois d’une forme de brutalité.</p>
<p><strong>La « saine distance » voulue par Emmanuel Macron suffit-elle à expliquer pourquoi la presse française est à ce point dépendante des interventions du président pour construire l’agenda médiatique ?</strong></p>
<p>Cette dépendance de la presse française ne date pas de l’élection d’Emmanuel Macron, bien au contraire. Elle s’explique d’abord par le fonctionnement de la V<sup>e</sup> République, qui attribue un pouvoir écrasant au président de la République. Le chef de l’État a la possibilité de fixer le rythme de ses interventions, et les grands médias se trouvent donc en situation de subordination à cette parole.</p>
<p>La situation actuelle puise même son origine dans une histoire plus ancienne encore : il existe une faiblesse culturelle de la presse française à l’égard de l’État depuis l’Ancien Régime, période durant laquelle les journaux ont été assujettis au pouvoir dans des proportions considérables. Il n’est pas anodin que les <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/les-journalistes-en-france-1880-1950-christian-delporte/9782020235099">grandes conquêtes du journalisme</a> (de la loi de 1881 à la création de la carte de presse) aient eu lieu sous la III<sup>e</sup> République, seul régime parlementaire durable que la France ait connu. À chaque fois que la France a renoué avec un pouvoir centralisé, personnalisé et incarné, cela s’est accompagné <a href="https://www.lespetitsmatins.fr/collections/essais/medias-politique-et-communication/252-jupiter-et-mercure-le-pouvoir-presidentiel-face-a-la-presse.html">d’une tentation de limiter la liberté de la presse</a>.</p>
<p>Avec la V<sup>e</sup> République nous sommes ainsi revenus à un système très hiérarchisé, dans lequel le pouvoir maintient une relation pyramidale avec les journalistes : au sommet les éditorialistes politiques, souvent reçus et choyés par l’Élysée, et tout en bas les journalistes de terrain, dont le travail d’enquête est pourtant indispensable à la démocratie. Avec ces éditorialistes qui vivent dans l’entre-soi avec le pouvoir, c’est l’héritage de notre culture de Cour qui persiste.</p>
<p>Dans un premier temps, Emmanuel Macron avait voulu rompre avec ces « relations poisseuses », selon une confidence <a href="https://www.albin-michel.fr/le-tueur-et-le-poete-9782226398055">rapportée par Maurice Szafran et Nicolas Domenach</a>, qui incarnent précisément cette forme de journalisme politique. Mais il aura fini par rejoindre cette tradition française si favorable au pouvoir. </p>
<p>La méfiance à l’égard du journalisme d’investigation était par exemple flagrante le 16 janvier. Alors que <em>Libération</em> et <em>Mediapart</em> ont fait paraître des enquêtes défavorables à Amélie Oudéa-Castéra au cours des jours précédents, ils ont été oubliés par les attachés de presse de l’Élysée qui ont distribué la parole tout au long de la soirée. Ainsi, alors que la question de l’école a occupé une très large partie de la conférence de presse, jamais <a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/160124/affaire-oudea-castera-mediapart-publie-le-rapport-sur-stanislas-cache-par-les-ministres">l’enquête sur l’école Stanislas</a> publiée par Mediapart le jour même n’a été mentionnée.</p>
<p>La presse française a cependant une responsabilité dans cette situation, et là encore la conférence de presse du 16 janvier l’a montré de manière parfois gênante. Dans le monde anglo-saxon, il est en effet courant, lorsqu’un responsable politique esquive une question, que la même question lui soit posée par les journalistes désignés ensuite. Or, le 16 janvier, personne n’a vraiment relancé Emmanuel Macron quand le président a choisi de botter en touche, et aucun journaliste n’a choisi de reprendre à son compte les questions que ne pouvait pas poser Mediapart.</p>
<p>Certains journalistes ont bien sûr manifesté à titre individuel leur exaspération d’être ainsi privés de parole, à l’image de Paul Larrouturou.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1747368669628293343"}"></div></p>
<p>Mais on aurait pu imaginer une forme de résistance collective, et elle n’a pas eu lieu. Le plus inquiétant dans la conférence de presse du 16 janvier était sans doute cette incapacité de la presse française à se penser elle-même comme un contrepouvoir face au chef de l’État.</p>
<p>**Quel bilan tirer des relations entre Emmanuel Macron et les journalistes sept ans après son arrivée au pouvoir ? Peut-on déjà considérer que sa présidence aura été marquée par un recul de la liberté de la presse ?</p>
<p>Le constat est forcément nuancé puisque ce jeune chef de l’État venu de la gauche, et qui se réclame du <a href="https://theconversation.com/lechec-du-en-meme-temps-macroniste-une-repetition-dun-phenomene-du-xix-si%C3%A8cle-204627">« progressisme »</a>, a fait l’éloge à plusieurs reprises de la fonction démocratique du journalisme. Dans ses vœux à la presse, en janvier 2022, il avait par exemple célébré le travail des journalistes et cité la formule célèbre de Zola : <a href="https://www.youtube.com/watch?v=0EHb0xb8Hrs">« Je suis pour et avec la presse »</a>. Il s’agissait alors de s’opposer à Éric Zemmour, qui venait de mettre en cause le rôle joué dans l’Affaire Dreyfus par l’auteur de « J’accuse ».</p>
<p>Ce président du « en même temps » semble parfaitement conscient des contradictions françaises en la matière. S’il a souvent souligné l’attachement des Français à l’héritage de l’Ancien Régime, il a aussi présenté la France comme un « pays de monarchistes régicides » dans un entretien au Spiegel, en <a href="https://www.spiegel.de/international/europe/interview-with-french-president-emmanuel-macron-a-1172745.html">octobre 2017</a>. Il sait que l’une de ces Révolutions, en <a href="https://www.retronews.fr/histoire-de-la-presse-medias/long-format/2018/03/22/la-suspension-de-la-liberte-de-la-presse-en-1830">juillet 1830</a>, a justement eu pour origine la volonté de défendre la liberté de la presse. On peut donc considérer qu’il a voulu tenir compte de cette double aspiration dans l’exercice du pouvoir.</p>
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<figcaption><span class="caption">Retronews, archives BNF.</span></figcaption>
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<p>Mais cet équilibre apparaît aujourd’hui de plus en plus précaire, et l’on peut s’interroger sur le legs que laissera le macronisme après dix années d’exercice très vertical du pouvoir. Il semble presque banal aujourd’hui que les journalistes soient pris pour cibles par les forces de l’ordre lors des manifestations, et le projet de loi sécurité globale prévoyait même dans sa version originelle de rendre presque <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/05/20/le-conseil-constitutionnel-censure-l-ex-article-24-de-la-proposition-de-loi-securite-globale_6080897_3224.html">impossible de publier des images de policiers</a>. On peut constater par ailleurs que les convocations à la DGSI ont été particulièrement nombreuses depuis 2017 : il est devenu courant d’essayer d’identifier les sources des journalistes d’investigation, au mépris des lois qui protègent leur travail. L’exemple d’Ariane Lavrilleux, qui a subi 39 heures de garde à vue en septembre 2023, apparaît de ce point de vue comme <a href="https://www.liberation.fr/idees-et-debats/ariane-lavrilleux-en-garde-a-vue-une-attaque-sans-precedent-contre-la-protection-du-secret-des-sources-alertent-des-societes-de-journalistes-20230921_5UWBOPZ4DNG3XFQ4PCQDFYFUL4/">particulièrement inquiétant</a>.</p>
<p>La conférence de presse du 16 janvier a montré malgré tout qu’Emmanuel Macron se considère toujours comme le défenseur des libertés face aux risques que représenterait l’arrivée au pouvoir du Rassemblement national. Tourné désormais vers les élections européennes, il a voulu mettre en scène l’affrontement de deux projets de civilisation qui se dessinerait à l’échelle du continent. Mais le paradoxe de cette défense des valeurs démocratiques est qu’elle survient au moment même où la France est à la manœuvre, au niveau européen, pour limiter la liberté de la presse.</p>
<p>Notre pays figure en effet parmi les pays qui militent activement pour autoriser la <a href="https://disclose.ngo/fr/article/espionnage-des-journalistes-la-france-fait-bloc-aux-cotes-de-six-etats-europeens">surveillance des journalistes par des logiciels espions</a>. Le « en même temps » finit ici par se perdre et par aboutir à une évidente contradiction : Emmanuel Macron se veut le héraut du camp du progrès à l’échelle européenne mais, en matière de journalisme, il défend des pratiques autoritaires qui sont d’habitude l’apanage des démocraties illibérales.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221367/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alexis Lévrier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La conférence de presse d’Emmanuel Macron, mardi 16 janvier 2024, montre l’ambivalence du rapport qu’entretient le chef de l’état avec les médias.Alexis Lévrier, Historien de la presse, maître de conférences Université Reims Champagne Ardenne, chercheur associé au GRIPIC, Sorbonne UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2209482024-01-16T16:19:06Z2024-01-16T16:19:06ZMusique, films, logiciels : quand les messages anti-piratage encouragent… le piratage !<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/568817/original/file-20240111-19-uv4d8u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=340%2C12%2C1703%2C992&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Exemple de campagne de communication affichée aux États-Unis dans les années&nbsp;2000.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/thomashawk/12246570">Flickr/ Thomas Hawk</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Le <a href="https://theconversation.com/fr/topics/piratage-26347">piratage</a> est un acte courant (<a href="https://www.telerama.fr/ecrans/piratage-de-films-la-pandemie-a-propage-le-virus-de-la-fraude-7010172.php">14 millions de pirates en France en mars 2020</a>) qui <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/03/26/etrange-epoque-ou-pirater-des-films-ou-des-series-est-encore-assimile-a-un-geste-cool_6074492_3232.html">pénalise de nombreux secteurs</a>, aux premiers rangs desquels figurent les industries musicale et cinématographique, ou encore les producteurs de jeux et de logiciels. Les estimations montrent que 37 % des logiciels dans le monde sont piratés, ce qui représente un <a href="https://gss.bsa.org/wp-content/uploads/2018/05/2018_BSA_GSS_Report_en.pdf">manque à gagner qui dépasse les 46 milliards de dollars</a>. Face à ces pratiques illicites, les professionnels et le régulateur ont conçu et mis en place des stratégies, parfois agressives, visant à <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2021/04/08/le-gouvernement-presente-son-projet-de-loi-pour-lutter-contre-le-piratage-audiovisuel_6076059_3234.html">décourager de tels comportements</a>.</p>
<p>En mai 2023, le Centre national du cinéma et de l’image animée CNC et l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) ont lancé une campagne de spots radio pour appeler à soutenir la création en évitant les pratiques illégales.</p>
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<iframe style="width:100%;height:100%;position:absolute;left:0px;top:0px;overflow:hidden" frameborder="0" type="text/html" src="https://www.dailymotion.com/embed/video/x8l4oja" width="100%" height="100%" allowfullscreen="" title="Dailymotion Video Player"> </iframe>
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<p>Depuis les années 2000, il est ainsi fréquent que les utilisateurs soient exposés à des messages anti-piratage dans les médias ou au début d’une œuvre. Or, en dépit des intentions claires des concepteurs de ces messages, les effets de ces derniers sont parfois atténués ou, pire, contre-productifs.</p>
<p>Voici donc toute l’ironie de la situation : certaines campagnes visant à décourager le piratage contribuent peut-être finalement à l’encourager. La raison ? Une méconnaissance de certains ressorts du comportement humain.</p>
<h2>« Voleriez-vous une voiture ? »</h2>
<p>Comment dès lors concevoir une campagne pertinente sur un tel sujet ? Les sciences comportementales viennent au secours des secteurs concernés en mettant en évidence trois erreurs fondamentales susceptibles de favoriser le piratage au lieu de le décourager. Ces trois erreurs fréquentes reposent sur le raccourci mental qui laisse penser que <a href="https://doi.org/10.1080/01972243.2022.2095683">« plus est toujours préférable à moins »</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/series-et-sport-en-streaming-quand-labondance-doffres-encourage-le-piratage-114754">Séries et sport en streaming : quand l’abondance d’offres encourage le piratage</a>
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<p>La première de ces erreurs est d’asséner au public une longue liste d’arguments contre le piratage. Les concepteurs de ces messages pensent que les arguments s’additionnent les uns et aux autres et donc qu’un plus grand nombre d’arguments sert mieux la cause défendue. Malheureusement, l’audience a plutôt tendance à adopter un raisonnement à la moyenne : les arguments les plus forts en termes de pouvoir persuasif sont dilués par la présence simultanée d’arguments <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s11002-014-9286-1">faibles</a>.</p>
<p>Par exemple, le spot vidéo « Le piratage c’est du vol », diffusé au Royaume-Uni au début des films dans les années 2000 commençait par « Voleriez-vous une voiture ? Jamais ! » En comparant le piratage à des exemples raisonnablement pertinents (voler un DVD) tout en y ajoutant des exemples a priori incongrus comme voler une voiture, le message s’en trouvait dilué. Ce spot a ainsi par la suite donné lieu à de nombreuses parodies ou détournements qui le tournent en ridicule.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/HmZm8vNHBSU?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Spot « Piracy it’s a crime » (Le piratage c’est du vol) diffusé dans les salles de cinéma au Royaume-Uni dans les années 2000.</span></figcaption>
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<p>Une deuxième erreur consiste, comme le fait la <a href="https://www.getitrightfromagenuinesite.org/the-law-what-it-means/">campagne actuellement en cours au Royaume-Uni</a>, à expliquer l’impact du piratage au moyen de nombreux chiffres, comme le nombre d’emplois perdus ou le montant des dommages causés aux industries concernées. Ces statistiques sont souvent froides, incapables de susciter des émotions et d’une certaine façon, déshumanisantes.</p>
<p>Une <a href="http://evene.lefigaro.fr/citation/mort-homme-tragedie-mort-million-hommes-statistique-13144.php">citation</a> attribuée à Staline résume bien cette idée :</p>
<blockquote>
<p>« La mort d’un homme est une tragédie, celle d’un million d’hommes est une statistique ».</p>
</blockquote>
<p>Le fait que les gens ne puissent s’identifier à une victime bien définie et ressentir des émotions prive certains messages anti-piratage d’un pouvoir émotionnel pourtant bien nécessaire.</p>
<h2>« Tout le monde le fait ! »</h2>
<p>La troisième erreur consiste à souligner à quel point le piratage est répandu. Affirmer, comme l’a fait récemment une <a href="https://www.km.gov.lv/lv/jaunums/biedriba-par-legalu-saturu-uzsak-pretpiratisma-socialo-kampanu-0">publicité en Lettonie</a> que « 46 % de la population a déjà piraté des films sur Internet » signale involontairement une norme sociale. Le pirate potentiel peut donc juste sentir qu’il se comporte comme tout le monde.</p>
<p>Au bilan, ne pas pirater « comme tout le monde » reviendrait à être « le dindon de la farce ». Récemment, une <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1111/1467-8721.01242">expérience</a> édifiante l’a encore montré : en cherchant à diminuer le vol de bois fossilisé, le parc national de la « Petrified Forest » en Arizona a en réalité conduit à une augmentation du nombre de vols lorsque les pancartes mentionnaient qu’un grand nombre de visiteurs volaient.</p>
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<p>Même si ces erreurs sont très répandues, des tactiques relativement simples permettent de les corriger. Une première piste serait de sélectionner les arguments les plus puissants. Une autre piste serait de remplacer ou de combiner les statistiques souvent arides avec des récits de victimes du piratage bien identifiées, capables d’éveiller des réactions émotionnelles fortes. Enfin, pour éviter le piège de la norme sociale, il semble souvent préférable d’insister sur l’injonction à ne pas pirater ou de mentionner le nombre de personnes ayant décidé de ne plus pirater.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/series-et-sport-en-streaming-comment-limiter-le-piratage-face-a-leclatement-de-loffre-116203">Séries et sport en streaming : comment limiter le piratage face à l’éclatement de l’offre ?</a>
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<p>Le comportement humain est complexe et les raccourcis habituels du type « plus est préférable à moins » peuvent sembler convaincants. Néanmoins, lorsqu’il s’agit d’influencer efficacement le comportement humain, les sciences comportementales peuvent aider à concevoir des campagnes plus efficaces. Il apparaît donc comme urgent de les intégrer à la réflexion de manière précoce, y compris pour d’autres enjeux cruciaux comme le changement climatique ou la lutte contre la pauvreté.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220948/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Les sciences comportementales relèvent trois erreurs de communication qui peuvent expliquer les effets contre-productifs de certains messages visant à lutter contre les pratiques illégales en ligne.Gilles Grolleau, Professor, ESSCA School of ManagementLuc Meunier, Professeur de Finance, ESSCA School of ManagementLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2204052024-01-14T16:30:10Z2024-01-14T16:30:10ZDu « Jour du Seigneur » aux croisades morales de CNews<p>Le <em>Jour du Seigneur</em> vient de fêter ses 75 ans. Émission emblématique du <a href="https://theconversation.com/debat-laudiovisuel-public-est-il-vraiment-public-156794">service public</a> par sa longévité, elle s’inscrit dans un processus ancien d’influence de l’Église au sein des médias. Si les émissions religieuses font désormais partie du « patrimoine » de la <a href="https://theconversation.com/la-necessite-de-la-television-publique-158175">télévision publique</a>, elles ne manquent pas d’interroger le <a href="https://www.vie-publique.fr/fiches/271400-la-loi-du-9-decembre-1905-de-separation-des-eglises-et-de-letat">principe de laïcité</a>.</p>
<h2>Des causeries religieuses aux radio-sermons</h2>
<p>Les émissions religieuses illustrent la rapidité avec laquelle l’Église catholique a su s’adapter à l’évolution des médias pour étendre son influence. Ce sont essentiellement les dominicains, appartenant à <a href="https://www.cairn.info/revue-de-l-histoire-des-religions-2018-3-page-554.htm">l’Ordre prêcheur</a> (OP), congrégation pour l’évangélisation des peuples, qui vont être les fers de lance du mouvement d’influence.</p>
<p>À partir de 1927, la station Radio-Paris retransmet les conférences de Notre-Dame et diffuse chaque dimanche 20 minutes de prédication catholique, appelée la « causerie religieuse ». Au 1<sup>er</sup> janvier 1934, suite à la décision du gouvernement français de racheter Radio-Paris afin d’en faire une radio nationale publique, les émissions religieuses sont supprimées au nom de la neutralité de l’État malgré les critiques rejetant un « laïcisme outrancier".</p>
<p>C’était sans compter l’influence des dominicains : elles sont rétablies à Pâques la même année… À partir de cette date, les prédications <a href="https://journals.openedition.org/radiomorphoses/1411">« radio-sermons »</a>, sorte de discours simples, directs, familiers, à la portée de tous, fleurissent sur les radios d’État ou privées.</p>
<p>L’introduction de la messe est plus tardive. En 1935, une campagne est menée par des auditeurs et des personnalités de confession catholique auprès du ministre des PTT pour la diffusion d’une messe hebdomadaire. Mais la radio d’État résiste au motif que l’expression religieuse à la radio doit être soumise aux principes de laïcité et de neutralité. Les dominicains orchestrent alors une campagne de communication et obtiennent ainsi à la Pentecôte 1938 que Radio-37, nouvelle radio privée en quête d’audience, diffuse en direct la messe.</p>
<p>Après la libération, la radiodiffusion française (RTF) devient monopole d’État. Néanmoins, dès octobre 1944, la messe est diffusée sur les antennes et des programmes spéciaux ont lieu pour les événements catholiques.</p>
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<h2>L’introduction des émissions religieuses à la télévision</h2>
<p>Dans les années 1950, dans une télévision française naissante, les premiers programmes de télévision accordent sans tarder une place et une attention particulières aux émissions à caractère religieux.</p>
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<p>Cette présence du religieux est essentiellement due à l’action conjointe du père Pichard, dominicain, et celle de <a href="https://publictionnaire.huma-num.fr/notice/arcy-jean">Jean d’Arcy</a>, alors chargé de mission au cabinet de François Mitterrand, secrétaire d’État chargé de l’information auprès du président du Conseil. Si Jean d’Arcy défend le choix des 819 lignes, technique de qualité qui rendrait la France compétitive, le père Pichard entend prioritairement mettre la technique au service de l’unité chrétienne. Ancien résistant, Jean d’Arcy considère aussi ce nouveau média comme instrument de lien et de communication entre les peuples, susceptible de répondre aux besoins spirituels du public :</p>
<blockquote>
<p>« Grâce à la Télévision, qui apporte un spectacle complet, maintenant, à domicile, nous pouvons apporter la satisfaction de ces besoins intellectuels et spirituels, qui ne sont plus réservés ainsi aux classes riches, aux classes aisées, comme c’était le cas jusqu’à maintenant. C’est en cela que nous sommes un service, et un service public. » (stage international des réalisateurs, 21/10/1957. Fonds J. d’Arcy)</p>
</blockquote>
<h2>La première messe télévisée</h2>
<p>En 1948 est diffusé le premier direct extérieur de la télévision française : il s’agit la messe de Noël en direct de la cathédrale Notre-Dame, la première messe télévisée au monde. Quant au <a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/i19053921/premiere-allocution-televisee-du-pape-pie-xii">premier discours à la télévision</a> française, c’est celui du Pape Pie XII, diffusé le 17 avril 1949.</p>
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<p>À partir du 9 octobre 1949, la télévision française émet 17 heures de programme par semaine. Parmi celles-ci : une heure et demie de programmes religieux catholiques, soit 9 % du temps d’antenne. Le père Pichard, engagé par contrat « en qualité de collaborateur artistique » est rémunéré pour exercer des fonctions de conseiller ecclésiastique à la télévision, ce qui constitue un certain nombre <a href="https://www.gouvernement.fr/qu-est-ce-que-la-laicite">d’entorses au principe de laïcité</a>.</p>
<p>Jean d’Arcy, devenu directeur des programmes de la RTF (radiodiffusion-télévision française) en 1952, continue de s’intéresser au développement de la télévision catholique en même temps qu’à celui de l’Eurovision, toutes deux destinées à créer « une communauté spirituelle entre les peuples » selon lui. Ses <a href="https://www.cairn.info/revue-le-temps-des-medias-2007-2-page-247.htm">discours</a> attestent ainsi de la place des courants d’inspiration chrétienne dans la construction de la première télévision.</p>
<p>Le débat autour de la compatibilité des émissions religieuses avec le principe de laïcité reprendra de la vigueur après que la RTF, le 5 décembre 1954, décide de diffuser tous les dimanches à la télévision <em>Le Jour du Seigneur</em>, un magazine et une messe catholiques en direct. En l’absence de cadre légal, au nom du principe de neutralité du service public mais aussi pour faire taire les critiques, les responsables proposent au président de la Fédération protestante de France une émission « Présence protestante » dès 1955 dans la grille des programmes. D’autres religions et courants spirituels suivront : <em>La Source de vie</em> (judaïsme, 1962), <em>Orthodoxie</em> (1963), <em>Foi et traditions des chrétiens orientaux</em> (1965), rejoints par l’Islam (1983) et le Bouddhisme (1996).</p>
<h2>Émissions religieuses : une entorse au principe de laïcité ?</h2>
<p>Il faut attendre la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/LEGISCTA000006089724">loi du 7 août 1974</a> pour que soit consacré un « égal accès à l’expression des principales tendances de pensée et des grands courants de l’opinion ». Plus tard, la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/LEGISCTA000043969260">loi du 30 septembre 1986</a> relative à la liberté de communication prévoit et encadre juridiquement la programmation des émissions religieuses (article 56). <a href="https://www.senat.fr/rap/l08-150/l08-15089.html">Cette loi impose à France Télévisions</a> de programmer et de participer financièrement à la réalisation d’émissions religieuses consacrées aux principaux cultes.</p>
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<p>La diffusion de programmes religieux est donc rendue possible en droit français par une interprétation du principe de neutralité du service public audiovisuel : l’idée est que le pluralisme dans le contenu de l’audiovisuel public est une garantie de cette neutralité. Il en résulte que c’est bien la loi qui prévoit les émissions religieuses, sur la base de la Constitution, et cela sans que puisse être opposée la loi de séparation de l’Église et de l’État de 1905. Selon le législateur, les programmes à caractère religieux à la télévision publique participent à la formation des divers courants d’opinions des citoyens, et revêtent ainsi le caractère d’une mission de service public.</p>
<p>Si la neutralité du service public audiovisuel suppose la représentation de tous les courants de pensée, c’est le juge qui doit délimiter les contours de cette notion en cas de conflits. En 1980, Le <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000007687938">Conseil d’État</a> a rejeté une demande tendant à bénéficier d’un même espace d’expression au bénéfice des athées, en jugeant que le principe d’égalité de traitement des grands courants d’opinion « ne fait pas obstacle à ce que des émissions particulières soient consacrées à l’expression de certaines formes de pensée et de croyance ».</p>
<p>Dans la pratique, les émissions religieuses sont diffusées le dimanche matin entre 8 h 30 et 12 h, et réunissent en moyenne 8,5 % de part d’audience. Le <em>Jour du Seigneur</em>, émission co-produite avec le comité français de radio-télévision (CFRT), association dominicaine en charge du programme, bénéfice d’une heure trente tous les dimanches avec une audience de <a href="https://www.arcom.fr/sites/default/files/2023-11/Rapport-sur-execution-du-cahier-des-charges-de-France-Televisions-Annee-2022-Arcom_0.pdf">600 000 personnes</a> soit 11,4 % de parts d’audience, en baisse depuis plusieurs années. Cela est peu au regard des 1,8 M d’abonnés du <a href="https://twitter.com/Pontifex_fr">compte du Pape François sur X (ex Twitter)</a></p>
<h2>Un monopole du sens ?</h2>
<p>Comme le rappelle <a href="https://irel.ephe.psl.eu/sites/default/files/iesr_import//debray.pdf">Regis Debray</a>, on ne saurait reconnaître aux religions un quelconque monopole du sens. Pour ce qui relie l’individu au temps, au cosmos et à ses congénères, les religions instituées n’ont ni exclusivité ni supériorité a priori. Les réponses profanes aux questions que posent la fin de vie, l’interruption volontaire de grossesse, le mariage pour tous, l’origine et la finalité de l’univers, contribuent pleinement à la formation du sens. Il faut ainsi faire le partage entre le religieux comme objet de culture (entrant dans le cahier des charges de la télévision publique qui a pour mission de permettre de comprendre l’apport des différentes religions à l’institution symbolique de l’humanité) et le religieux comme objet de culte (pratique personnelle dans le cadre d’associations privées). On peut légitimement s’interroger sur la place de retransmissions de prières collectives à la télévision de service public.</p>
<h2>CNews et croisade morale</h2>
<p>Enfin, si les émissions religieuses du service public sont bien encadrées par la loi, quoiqu’en porte-à-faux avec la représentation d’une République incarnant l’émancipation du service public à l’égard du religieux, la présence de journalistes d’opinion au sein de chaînes privées interroge peut-être plus encore la laïcité.</p>
<p>Avec l’émission « En quête d’esprit » animée par Aymeric Pourbaix, journaliste du magazine France Catholique, diffusée chaque dimanche, CNews entend « aborder l’actualité d’un point de vue spirituel et philosophique » et plus précisément défend une ligne éditoriale chrétienne affirmée. À titre d’exemple, le <a href="https://www.cnews.fr/emission/2023-03-12/en-quete-desprit-du-12032023-1331847">12 mars 2023</a>, à l’occasion du projet d’inscription dans la Constitution de la loi « Veil » relative à l’interruption volontaire de la grossesse (IVG), l’animateur qualifie l’IVG de « dogme » et défend « la place du pardon et de la miséricorde divine ». Une attaque au droit fondamental de la femme à disposer de son corps.</p>
<p>Faut-il rappeler que la laïcité est la garantie de la liberté de conscience, indépassable outil au service de l’émancipation des hommes et des femmes, ciment de la citoyenneté et de l’égalité de tous vis-à-vis de tous ? L’esprit critique est alors indispensable pour décrypter au sein des médias et sur les réseaux sociaux les discours dogmatiques et manœuvres d’influence, offrant un terrain fertile aux attaques à la laïcité et à la <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2016/12/07/ivg-net-le-site-tres-oriente-d-un-couple-de-militants-catholiques_5044551_4355770.html">désinformation active dans le domaine</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220405/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sylvie Pierre ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Chaque dimanche depuis 75 ans, la télévision publique diffuse une émission catholique. Comment cela s’articule-t-il avec le principe de laïcité ?Sylvie Pierre, Maître de conférences en sciences de l’information et de la communication/Centre de recherche sur les médiations, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2168512023-11-29T17:20:49Z2023-11-29T17:20:49ZUkraine : la bataille des opinions publiques dans la guerre de l’information<p>Si l’information, devenue un terrain de confrontation amplifié et magnifié par sa diffusion digitale, a désormais atteint la conscience d’une grande partie des publics occidentaux, la bataille pour l’opinion desdits publics demeure insuffisamment étudiée. Or c’est à partir de la perception et de l’interprétation des informations que se forme l’opinion. <a href="https://books.openedition.org/psn/5046">Le rôle des opinions publiques dans l’issue de nombreux conflits</a> n’est pas à tant il a contribué à faire basculer des situations complexes, parfois de façon inattendue.</p>
<p>La guerre russo-ukrainienne et sa <a href="https://www.slate.fr/story/243911/tribune-premiere-guerre-numerique-histoire-russie-ukraine-satellites-big-data-intelligence-artificielle-cyber">dimension numérique</a> placent les opinions publiques littéralement au cœur des combats, les <a href="https://larevuedesmedias.ina.fr/guerre-information-russie-ukraine-zelensky-propagande-narratifs-opinion-osint-twitter-telegram-tiktok-youtube-facebook">usagers des réseaux sociaux devenant souvent les relais d’un camp ou de l’autre</a>. Les stratégies informationnelles ukrainiennes et russes s’inscrivent dans <a href="https://www.oecd.org/ukraine-hub/policy-responses/disinformation-and-russia-s-war-of-aggression-against-ukraine-37186bde/">cette adversité cognitive</a>.</p>
<h2>L’information, un terrain de bataille</h2>
<p>La Russie, en <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/02/10/infiltration-des-conversations-privees-et-recours-a-l-intelligence-artificielle-les-techniques-novatrices-de-l-etat-russe-pour-surveiller-l-internet_6161227_3210.html">isolant son espace informationnel interne</a>, a pris en otage son opinion publique, dépossédée de ses capacités de réaction, tout en poursuivant une stratégie à destination des publics étrangers et européens dont les <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/organes/autres-commissions/commissions-enquete/ce-ingerences-etrangeres">gouvernements commencent à comprendre</a> les objectifs et les effets.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/un-manuel-de-survie-numerique-pour-sinformer-et-eviter-la-censure-en-russie-181889">Un manuel de survie numérique pour s’informer et éviter la censure en Russie</a>
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<p>L’Ukraine, quant à elle, a lancé sa contre-offensive informationnelle dès 2014, avant d’y adjoindre depuis l’invasion russe, un <a href="https://larevuedesmedias.ina.fr/guerre-information-russie-ukraine-zelensky-propagande-narratifs-opinion-osint-twitter-telegram-tiktok-youtube-facebook">vecteur multidirectionnel</a> – à savoir le maintien de la mobilisation nationale et la conquête des opinions publiques des pays alliés. Aujourd’hui, 21 mois après le début du conflit, cette stratégie montre des <a href="https://time.com/6329188/ukraine-volodymyr-zelensky-interview/">signes d’essoufflement</a>.</p>
<p>Le tableau ne serait pas complet si l’on n’ajoutait pas à ces stratégies informationnelles concurrentes l’analyse du travail collectif d’interprétation du conflit effectué par les médias français et européens. En 2018, le ministère français des Armées <a href="https://www.irsem.fr/institut/actualites/rapport-conjoint-caps-irsem.html">reconnaissait le champ informationnel comme un espace d’affrontement</a>. Puis la menace que représente la manipulation de l’information a pris une nouvelle dimension avec la décision de l’Union européenne de <a href="https://www.lepoint.fr/monde/bannir-russia-today-un-casse-tete-juridique-pour-paris-et-bruxelles-01-03-2022-2466616_24.php">bannir les deux médias russes RT France et Sputnik</a> dès le début du conflit.</p>
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<p>Les médias européens développèrent de nouveaux outils (en particulier par le <em>fact checking</em>, version moderne de la vérification des sources, inscrite dans le <a href="https://www.spj.org/pdf/ethicscode/spj-ethics-code-french.pdf">code de déontologie du journalisme</a>) pour contrer les <a href="https://journals.openedition.org/questionsdecommunication/pdf/28590">opérations d’influence mises en œuvre par des pays extérieurs</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/operation-doppelganger-quand-la-desinformation-russe-vise-la-france-et-dautres-pays-europeens-208071">Opération Doppelgänger : quand la désinformation russe vise la France et d’autres pays européens</a>
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<p>C’est dans ce contexte particulier que ces médias, notamment français, eurent à interpréter le phénomène d’une nouvelle guerre conventionnelle, sur le sol européen, après le choc et la surprise du 24 février 2022 et face à <a href="https://www.ifop.com/publication/le-regard-des-francais-sur-la-guerre-en-ukraine/">l’inquiétude des populations</a>.</p>
<p>Comment interpréter l’inconnu et le rendre familier et compréhensible ? Et quels peuvent en être les effets sur l’opinion publique ?</p>
<h2>L’invocation de références historiques</h2>
<p>Serge Moscovici, <a href="https://www.cairn.info/revue-hermes-la-revue-2015-1-page-305.htm">l’un des fondateurs de la psychologie sociale en France</a>, définissait l’ancrage comme un phénomène de pensée par lequel l’interprétation de phénomènes nouveaux s’opère en enracinant ces phénomènes dans des modes de pensée existants.</p>
<p>En effet, pour rendre un événement compréhensible, à partir d’une mise en commun des informations, des représentations partagées vont se former et ainsi rendre familier ce qui est inconnu (<a href="https://www.deboecksuperieur.com/ouvrage/9782807330504-psychologie-sociale">Yzerbyt et Klein, <em>Psychologie sociale</em>, 2019</a>). Ainsi, les médias français vont, dès le début du conflit, mobiliser les éléments consensuels au sein de la communauté française au sens large et, en premier lieu, les représentations sociales de l’Histoire.</p>
<p>Ce sont les références aux deux guerres mondiales, qui restent des repères majeurs pour les Français comme pour les autres Européens, qui vont servir de toile de fond à l’interprétation de la guerre d’Ukraine. Ces représentations partagées, destinées à rendre familier l’inconnu, ont également pour résultat de renforcer l’essence identitaire du groupe européen face aux représentations et aux narratifs de la Russie.</p>
<p>Depuis le 24 février 2022, la presse française s’est fait l’écho du rappel d’une mémoire collective « européenne » plus que nationale, en lien avec les deux guerres mondiales : l’attitude d’Emmanuel Macron, jugée conciliante envers Poutine lui a valu d’être taxé de <a href="https://www.courrierinternational.com/article/vu-de-l-etranger-emmanuel-macron-un-nouveau-chamberlain-face-a-poutine">« nouveau Chamberlain »</a>, les appels à abandonner l’Ukraine aux appétits russes ont été assimilés à un <a href="https://www.lefigaro.fr/international/face-a-la-russie-les-occidentaux-hantes-par-le-syndrome-de-munich-20220109">« syndrome de Munich »</a>, les soldats ukrainiens comparés aux <a href="https://www.lepoint.fr/monde/en-ukraine-un-air-de-premiere-guerre-mondiale-10-05-2022-2475001_24.php">« Poilus »</a> dans leurs tranchées et aux <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/manifestations-en-ukraine/guerre-en-ukraine-le-mal-etre-des-gueules-cassees_5524392.html">« gueules cassées »</a> quand leurs blessures les ont défigurés, les pays soutenant Kiev ont été surnommés <a href="https://www.la-croix.com/international/Guerre-Ukraine-allies-face-risque-lessoufflement-2023-10-03-1201285289">« les Alliés »</a>, les forces russes appelées <a href="https://www.latribune.fr/opinions/tribunes/le-fantome-de-l-armee-rouge-923731.html">« Armée rouge »</a>, certaines batailles ou bombardements ont donné lieu à l’invocation de <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/les-separatistes-prorusses-admettent-encore-combattre-des-milliers-d-ukrainiens-a-marioupol-20220407">Stalingrad</a> ou de <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/ces-chansons-qui-font-l-actu/l-ukraine-sous-les-bombes-apres-dresde-londres-ou-brest_4992582.html">Dresde</a>, etc.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1660574506170163205"}"></div></p>
<p>La mémoire collective européenne, nourrie de mythes et de symboles, est ainsi mobilisée à travers l’ensemble des représentations partagées du passé se basant sur une identité commune aux membres d’un groupe, selon la définition donnée par le précurseur de la psychologie sociale en France, <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/memoire-collective-psychologie-sociale/">Maurice Halbwachs</a>. La mémoire collective, en façonnant cette représentation partagée du passé du groupe, en préserve aussi l’image positive.</p>
<p>Les événements moins flatteurs et potentiellement plus menaçants pour l’identité du groupe sont donc écartés ou mis en retrait. Ainsi, certains aspects controversés de l’histoire de l’Ukraine – comme la <a href="https://www.cairn.info/revue-commentaire-2018-1-page-211.htm">conduite durant la Seconde Guerre mondiale de Stepan Bandera</a>, personnage célébré par certains pans de la classe politique ukrainienne – n’ont pas fait l’objet d’une large couverture médiatique côté français ; en revanche, ils ont été <a href="https://www.slate.fr/story/249292/histoire-invasion-ukraine-2014-2022-crimee-russie-guerre-jade-mcglynn-nazis-rhetorique">largement mis en avant côté russe</a> pour justifier les actions actuelles de Moscou.</p>
<p>L’imaginaire social, vecteur de la mémoire collective, puise dans les images les éléments contribuant à une construction de la réalité. Les émotions liées aux images y jouent un rôle prépondérant car ce sont elles qui vont réveiller la mémoire collective (les références à l’histoire, à d’autres images de la Première et de la Seconde Guerre mondiale dans les méthodes de combat, l’exode des réfugiés, les destructions… ) et enraciner les nouvelles représentations de l’Ukraine, comme faisant partie intégrante de notre passé mais aussi de notre futur européen. Les médias contribuent à la construction d’une réalité dont découle la formation d’un consensus, particulièrement en situation d’incertitude.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/lukraine-peut-elle-adherer-rapidement-a-lue-178842">L’Ukraine peut-elle adhérer rapidement à l’UE ?</a>
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<h2>L’intériorisation des influences inconscientes</h2>
<p>Au-delà du rôle sociologique tenu par les médias, les influences inconscientes sur les opinions ne peuvent être écartées de l’analyse. Les influences inconscientes (influence psychologique conduisant à un jugement ou à un comportement à l’insu des personnes qui en ont été la cible <a href="https://www.scienceshumaines.com/les-influences-inconscientes_fr_5129.html">selon Jean-Léon Beauvois</a>) peuvent découler du façonnage d’un univers idéologique (opinion dominante) dans lequel certains thèmes de discussion sont jugés plus ou moins légitimes, tandis que des comportements ou des opinions sont valorisés ou stigmatisés, comme le souligne <a href="https://www.cairn.info/le-pouvoir-des-medias--9782706126376.htm">Grégory Derville (2017)</a>.</p>
<p>Le processus sociocognitif du modelage des idées et des jugements peut agir sur les représentations, valeurs et systèmes de croyance, en présentant des modèles et des anti-modèles, comme les associations verbales très souvent utilisées au début du conflit, les Ukrainiens étant par exemple perçus comme <a href="https://www.lexpress.fr/monde/europe/guerre-en-ukraine-la-lecon-d-heroisme-d-un-peuple-martyrise-par-poutine_2178741.html">« héroïques »</a>, <a href="https://multimedia.europarl.europa.eu/fr/video/2022-sakharov-prize-awarded-to-the-brave-people-of-ukraine_N01_AFPS_221215_SCWU">« courageux »</a>, et « travailleurs ». Une fois qu’ils ont acquis le statut de structures cognitives ou de noyaux informationnels stables et actifs, les stéréotypes dirigent le traitement de l’information et les jugements, sans que les personnes ne s’en rendent compte.</p>
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<p>Parallèlement, ces processus cognitifs sont également sollicités pour fixer des stéréotypes opposés, mobilisés à travers le narratif des médias russes puis <a href="https://www.lexpress.fr/societe/anti-imperialistes-anti-systemes-et-complotistes-enquete-sur-les-relais-de-poutine-en-france_2180276.html">repris par certains médias « alternatifs » occidentaux</a> : les Ukrainiens « nazis », l’instrumentalisation occidentale de l’Ukraine destinée à détruire la Russie et ses valeurs traditionnelles, etc. Ces noyaux informationnels sont d’autant plus aisément fixés chez les personnes dont le sentiment de défiance envers les médias traditionnels, <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2022/03/11/du-militantisme-antivax-a-la-tentation-du-soutien-a-vladimir-poutine_6117066_4355770.html">renforcé durant la crise du Covid</a>, prédomine. Le questionnement des médias, en situation d’incertitude, pourrait être l’instant T du point de rupture et du basculement vers une <a href="https://www.cairn.info/revue-defense-nationale-2023-3-page-47.htm?ref=doi">attitude « anti-consensus » et « anti-système »</a> qui favoriserait l’acceptation du narratif contraire.</p>
<p>Il est intéressant de noter que le traitement de l’information par les médias au sujet du conflit Israël-Hamas n’a pas formé un consensus partagé, tel que nous avons pu le voir avec la guerre en Ukraine : les mémoires collectives plurielles, les représentations concurrentes, représentent autant de difficultés à la formation d’un consensus et au renforcement d’une identité collective.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/216851/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Carole Grimaud est vice présidente de l'Observatoire Géostratégique de Genève
Membre de l'IHEDN
Rattachée au programme doctoral Sécurité et Défense intérieure de l'AMU (Aix-Marseille Université) </span></em></p>Les médias traditionnels comme les réseaux sociaux sont les théâtres d’affrontements verbaux dont la violence reflète celle des vrais champs de bataille.Carole Grimaud, Chercheure Sciences de l'Information IMSIC, Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2182642023-11-28T17:13:08Z2023-11-28T17:13:08ZMédias : les jeunes ont envie d’une information qui leur ressemble<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/561102/original/file-20231122-17-6jk9h8.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=7%2C38%2C5168%2C3406&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les jeunes ont un rapport à l'information différent de celui de leurs aînés, mais subissent peut-être davantage la fatigue émotionnelle.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.pexels.com/fr-fr/photo/livre-de-lecture-de-personne-2118463/">Pexels/Hasan Zahra</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p>Beaucoup d’idées simples (quand elles ne sont pas tout bonnement fausses) circulent sur le rapport des adolescents et jeunes adultes à l’information. Ils manqueraient d’appétence pour l’information, seraient frivoles dans leurs centres d’intérêt, délaisseraient la télévision, seraient plus prompts à être bernés par les fake news…</p>
<p>Ces idées reçues trahissent une incompréhension des adultes vis-à-vis d’une jeunesse qui n’adoptent pas tous leurs réflexes et usages lorsqu’il s’agit de s’informer. Et un <a href="https://www.meta-media.fr/2021/03/13/consommation-media-le-fossee-se-creuse-entre-les-generations.html">fossé générationnel s’est en effet creusé</a> en la matière qui engendre des incompréhensions et des jugements de valeur hâtifs.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/560782/original/file-20231121-27-k31c2c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/560782/original/file-20231121-27-k31c2c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/560782/original/file-20231121-27-k31c2c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/560782/original/file-20231121-27-k31c2c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/560782/original/file-20231121-27-k31c2c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/560782/original/file-20231121-27-k31c2c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/560782/original/file-20231121-27-k31c2c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="attribution"><a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p><em>Cet article est publié dans le cadre de l’enquête exclusive <a href="https://cdn.theconversation.com/static_files/files/2951/Jeune%28s%29_en_France_-_THE_CONVERSATION.pdf">« Jeune(s) en France »</a> réalisée en octobre 2023 pour The Conversation France par le cabinet George(s). Une étude auprès d’un échantillon représentatif de plus de 1000 personnes qui permet de mieux cerner les engagements des 18-25 ans, les causes qu’ils défendent et leur vision de l’avenir.</em></p>
<p><strong>À lire aussi :</strong></p>
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<li><p><a href="https://theconversation.com/18-25-ans-des-jeunes-etonnamment-optimistes-et-resilients-217935">18-25 ans : des jeunes étonnamment optimistes et résilients</a></p></li>
<li><p><a href="https://theconversation.com/comment-les-jeunes-sengagent-218165">Comment les jeunes s’engagent</a></p></li>
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<p>Heureusement, de nombreuses données d’enquête permettent de dresser un portrait très différent des jeunes face à l’information, y compris l’enquête exclusive « Jeune(s) en France ». Il apparaît notamment que les jeunes restent intéressés par les actualités, mais pas forcément les mêmes que leurs parents et grands-parents, pas avec la même priorité thématique, pas sur les mêmes supports.</p>
<h2>Des pratiques d’information qui explorent davantage de nouveaux supports</h2>
<p>Dans l’imaginaire social des pratiques d’information jugées les plus sérieuses et légitimes, on trouve une série d’usages établis : être abonné à un journal ou un magazine de presse écrite (régional ou national) ; regarder un journal télévisé (souvent en famille) ; écouter une tranche matinale d’information sur une des grandes radios périphériques ; manifester un intérêt prononcé pour les informations citoyennes par excellence que sont l’actualité politique, économique et sociale ou internationale ; affirmer une fidélité à un média qui devient son média quotidien et à quelques figures journalistiques phares et donc leur faire confiance durablement.</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Les études sur la consommation d’informations dressent un panorama des pratiques de la jeunesse française contemporaine assez divergentes. Tout d’abord le rendez-vous matinal avec les tranches infos des radios est en voie d’affaiblissement notable chez les jeunes. Selon le <a href="https://www.kantarpublic.com/fr/barometres/barometre-de-la-confiance-des-francais-dans-les-media/barometre-2023-de-la-confiance-des-francais-dans-les-media">baromètre annuel de la confiance dans les médias</a> Kantar/<em>La Croix</em>, fin 2022, 26 % des 18-24 ans écoutent la radio pour s’informer contre 42 % des 35 ans et plus.</p>
<p>Les jeunes perdent le réflexe de la radio d’actualité au réveil, soit qu’ils écoutent des radios plutôt musicales, soit qu’ils se jettent avec gourmandise sur leur smartphone pour accéder à leurs comptes de réseaux socionumériques. Soit qu’ils ouvrent la télévision du côté d’une chaîne d’information continue.</p>
<p>Leurs pratiques d’information sont beaucoup plus digitales que celle de leurs aînés, ils sont même souvent pionniers dans le développement de nouveaux supports pour s’informer, que ce soit historiquement Facebook, ou l’application Discover au sein de Snapchat, et plus récemment TikTok ou Twitch par exemple. 54 % s’informent chaque jour via les réseaux socionumériques fin 2022, contre 17 % des plus de 65 ans. Les médias ne s’y trompent pas qui multiplient les productions sur ces supports en espérant capter l’attention des plus jeunes pour les fidéliser un jour, <a href="https://cahiersdujournalisme.org/V2N6/CaJ-2.6-R051.pdf">comme avec Snapchat</a>.</p>
<p>Les jeunes goûtent aussi avec joie aux podcasts pour trouver des informations qu’ils ne trouvent pas forcément ailleurs ou aiment les formats vidéo courts comme peuvent leur offrir des chaînes en ligne comme Brut ou Loopsider.</p>
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<figcaption><span class="caption">La chaine Hugo Décrypte est devenue une référence incontournable de l’information, ici son interview d’Emmanuel Macron en septembre 2023.</span></figcaption>
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<p>Ils apprécient également le style de traitement de l’information plus décontracté que dans les médias traditionnels, avec un code vestimentaire et un parler qui leur ressemble (chaîne You Tube Hugo décrypte), un ton mêlant désir d’informer et de distraire (l’émission télévisée <em>Quotidien de Barthès</em> : fin 2022, 29 % des 18-24 ans regardent ce type d’émission tous les jours contre 14 % seulement des plus de 65 ans), animations graphiques et stories de Snapchat…</p>
<p>Déjà dans <a href="https://www.editions-msh.fr/livre/info/">notre étude début 2016</a> auprès de 1 820 étudiants, 74 % de ceux qui déclaraient s’informer via Facebook reconnaissaient que les informations reçues étaient un mixte entre infos sérieuses et divertissement. Autant de formats que la plupart de leurs aînés ne fréquentent pas, voire ignorent jusqu’à leur existence.</p>
<h2>Des pratiques d’information différentes entre les générations</h2>
<p>Cela ne signifie néanmoins pas que les jeunes se détournent totalement de la télévision pour s’informer. Elle reste bien présente dans leur patchwork informationnel. D’après le baromètre Kantar/<em>La Croix</em>, 42 % des 18-24 ans déclaraient regarder un journal télévisé tous les jours (contre 73 % chez les plus de 65 ans, il est vrai).</p>
<p>Ils ont recours aux chaînes d’information continue surtout si un événement fort survient. À cette occasion d’ailleurs, les réflexes de visionnage en famille resurgissent, la télévision restant fédératrice d’audience en temps de crise. On l’a bien vu durant la pandémie. En mars 2020, <a href="https://www.ladn.eu/media-mutants/tv-et-nouvelles-images/jt-grand-gagnant-confinement-pas-netflix/">selon Médiamétrie</a>, 57 % des 15-24 ans ont regardé la télé contre 36 % un an avant. Dans la catégorie des 15-34 ans, les JT de TF1 et France ont cumulé 1,3 million de téléspectateurs en plus chaque soir.</p>
<p>En revanche, les jeunes regardent plus volontiers l’information produite par les chaînes de télévision sur un autre support que l’écran télé. Leur smartphone, ou leur ordinateur pourra chez certains offrir un accès prioritaire à ces programmes, et sans attacher une importance aussi grande qu’avant à la ritualité des horaires fixes, comme la fameuse et désormais dépassée <a href="https://theconversation.com/le-journal-televise-francais-un-rituel-populaire-au-service-du-public-207162">« grande messe du 20h »</a>.</p>
<h2>Un faible engagement partisan qui induit une autre hiérarchie de l’information</h2>
<p>C’est aussi sur les priorités thématiques que les jeunes se distinguent en partie de leurs aînés. Relevons d’abord que dans l’enquête exclusive The Conversation, la note d’intérêt des 18-24 ans pour les rubriques jugées les plus prestigieuses ne sont jamais en dessous de 5 sur 10 : politique nationale 5,54 ; économie 5,46 ; politique internationale 5,38.</p>
<p>Et dans ces notes transparaissent un écart sociologique, bien connu dans l’ensemble de la population entre les moins diplômés (note moyenne d’intérêt pour l’actualité en dessous de 5/10) et les plus diplômés (note supérieure à 6/10). Mais ce résultat sur la politique est tout à fait en phase avec une difficulté de la jeunesse à se passionner pour l’action politique et partisane traditionnelle.</p>
<p>L’enquête pour The Conversation montre ainsi que l’engagement partisan est jugé peu désirable au contraire de l’engagement pour des causes précises (environnement, égalité hommes/femmes, luttes contre les discriminations…).</p>
<p>Engagement pour des causes qui explique que les jeunes vont chercher une information politique ailleurs que dans les médias traditionnels qui abordent encore massivement la politique par le truchement des luttes partisanes, des groupes parlementaires, etc. En lieu et place, les jeunes trouvent dans des médias plus de niche mais plus engagés, une offre informationnelle adaptée à leur engagement par les causes. On songe au bon écho reçu chez les jeunes femmes aux <a href="https://www.telerama.fr/radio/les-meilleurs-podcasts-feministes-pour-faire-exploser-le-patriarcat-5516-7011938.php">podcasts féministes</a> ou dénonçant des discriminations de genre ou de sexe, par exemple.</p>
<p>D’autres rubriques d’information bénéficient donc de meilleures notes dans l’enquête précitée. Arrive en tête la culture (ce qui tord définitivement le cou au cliché d’une jeunesse mal informée, car abêtie) avec la note de 7, puis les sujets science et environnement (6,63) ou les sujets dits de société (dans lesquels leurs combats sont souvent traités) avec 5,9. L’enjeu environnemental correspondant à ces deux dernières catégories. Pas de totale dépolitisation de l’information dans la jeunesse donc, mais une politique autrement, ce qui induit une information politique ailleurs, sur d’autres canaux, avec d’autres tiers de confiance (blogueurs par exemple plutôt que chroniqueurs politiques à l’ancienne).</p>
<h2>Le désir pour une autre information</h2>
<p>Et sur la culture, il faut aussi noter que ce n’est pas la même culture que leurs aînés. C’est aussi un facteur expliquant le désir de trouver sur d’autres médias une information qui leur parle, qui correspond à leurs goûts. Car les médias traditionnels ont tendance à privilégier les pratiques et acteurs culturels les plus établis et conformes aux canons d’une culture traditionnelle (variété française et rock, considérés comme par les jeunes comme des « musiques de vieux », expositions de peinture, littérature consacrée depuis les grands classiques jusqu’aux prix littéraires de l’année, films d’auteur, festivals d’art lyrique et de musique classique).</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/QGYkf30fTiQ?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Des sites comme Konbini reflètent des codes informationnels et des intérêts plus proches des 18-24 ans.</span></figcaption>
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<p>Ce qui revient pour ces médias <em>mainstream</em> à exclure peu ou prou, le rap, le raï, la R’n’B Mix, les jeux vidéo, les films d’horreur, les mangas, certains programmes de téléréalité…</p>
<p>Mais après tout, leurs parents ou grands-parents n’ont-ils pas fait de même, en écoutant les radios libres musicales, ou en achetant une presse jeunesse de leur temps, comme <a href="https://www.cairn.info/revue-le-telemaque-2010-2-page-87.htm?contenu=article"><em>Salut les copains</em></a>, rock et folk ou plus tard <a href="https://www.slate.fr/story/111689/presse-ados-excitait"><em>Podium</em></a> ?</p>
<h2>Des jeunes plus touchés par la fatigue informationnelle</h2>
<p>La baromètre annuel de la confiance dans les médias nous aide à y voir plus clair sur toutes ces différences générationnelles. Dans l’enquête publiée en janvier 2023, 68 % des 18-24 ans déclarent suivre l’actualité avec un grand intérêt, certes contre 80 % pour les 35 ans et plus, mais on est loin de l’apathie informationnelle.</p>
<p>Et sur la confiance dans les divers supports médiatiques pour exposer une information fiable, difficile de trouver des divergences significatives entre les générations. Les jeunes conservent la même confiance toute relative dans les médias que leurs aînés. Toutefois, la confiance dans les médias Internet est nettement plus forte que celle des plus âgées, témoignant du fait qu’ils les pratiquent et qu’ils ont su trouver des médias de confiance dans cet univers où le meilleur côtoie il est vrai le pire. 48 % des 18-24 ans pensent que les faits se sont passés plutôt comme les médias en ligne en parlent, contre 29 % seulement des plus de 35 ans qui pensent ça.</p>
<p>Et dans le <a href="https://www.la-croix.com/economie/Barometre-medias-rapports-linfo-differents-selon-ages-2023-11-22-1201291825">nouveau baromètre annuel</a> Kantar/<em>La Croix</em> de novembre 2023, 24 % des 18‐34 ans disent s’informer via des influenceurs (comme Hugo décrypte), contre seulement 6 % des plus de 35 ans. Le tiers de confiance est donc moins une figure de journaliste connu et reconnu. Les jeunes font davantage confiance que leurs aînés à des figures qui leur ressemblent et qui leur offrent une relation vécue comme plus horizontale et égalitaire, dans la façon de leur parler, dans le choix des sujets, dans les valeurs véhiculées.</p>
<p>Un point de vigilance sur le rapport des jeunes à l’information concerne le sentiment de fatigue informationnelle. Nous sommes tous confrontés à un défi anthropologique majeur : notre capacité à être tenus informés de tout ce qui se passe de terrible de par le monde est quasi illimitée mais notre capacité à agir n’a pas progressé, ce qui nous confronte fatalement à un sentiment d’impuissance très frustrant voire décourageant :</p>
<blockquote>
<p>« A quoi bon continuer à s’informer sur la misère du monde, si cela me déprime et génère un profond sentiment d’impuissance ? »</p>
</blockquote>
<p>On ajoutera la multiplication des sollicitations permanentes à s’informer (alertes <em>push</em> sur nos téléphones, messages partagés sur nos réseaux socionumériques, chaînes d’information continue…) qui peuvent provoquer une saturation. Le sentiment se développe donc que l’information est anxiogène, démoralisante.</p>
<p>Si toutes les tranches d’âge sont touchées, les études montrent que les jeunes la ressentent plus que d’autres. En 2022, 15 % des Français <a href="https://www.jean-jaures.org/publication/les-francais-et-la-fatigue-informationnelle-mutations-et-tensions-dans-notre-rapport-a-linformation/">se déclarent épuisés ou stressés</a> par les informations reçues « régulièrement » et 35 % « de temps en temps ». Dans l’évaluation de l’état d’esprit des jeunes face à l’information, dans l’étude pour The Conversation, on constate que jusqu’à 41 % peuvent se déclarer « inquiets », 34 % fatigués et 25 % angoissés. Sentiments négatifs plus prégnants chez les jeunes femmes, qui sont plus inquiètes (48 % vs 33 % des hommes) plus fatiguées (39,5 % vs 26 %), plus angoissées (31,8 % vs 18 %).</p>
<p>Et dans le baromètre Kantar/<em>La Croix</em> de janvier 2023, le sentiment de « lassitude » face à l’information est le plus fort chez les 18-24 ans (58 %) contre 47 % chez les 65 ans et plus. Et deux raisons majeures explique cette lassitude chez eux : « je me sens angoissé ou impuissant face aux informations » (33 %) et « les médias ne parlent pas des sujets importants pour moi » (30 %). Et ici l’effet générationnel est massif puisque seulement 16 % des 35 ans et plus pensent cela. Il faut dire que sur les causes qui les mobilisent (racisme, lutte contre les discriminations, environnement…) les médias leur donnent à voir de nombreux exemples déprimants (bavures policières, violences, dégâts climatiques).</p>
<p>On voit que la relative défiance des jeunes vis-à-vis des médias traditionnels d’information n’est pas un retrait total, dédaigneux et irresponsable, mais bien le symptôme d’une difficulté de ces médias à s’adresser aux jeunes, à capter leur intérêt en offrant des contenus renouvelés, qu’ils vont donc chercher ailleurs.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/218264/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Arnaud Mercier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Une récente étude confirme que les jeunes n’adoptent pas les mêmes réflexes et usages d’information que leurs aînés, ce qui génère une incompréhension des adultes allant jusqu'aux clichés injustes.Arnaud Mercier, Professeur en Information-Communication à l’Institut Français de presse (Université Paris-Panthéon-Assas), Université Paris-Panthéon-AssasLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2179352023-11-26T15:41:03Z2023-11-26T15:41:03Z18-25 ans : des jeunes étonnamment optimistes et résilients<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/561311/original/file-20231123-23-10xms0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">18-25 ans : des jeunes étonnamment optimistes et résilients </span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Dans un contexte difficile, les jeunes sont plus positifs qu’on ne le pense face aux défis de demain, plus matures aussi et se définissent principalement par les causes qu’ils défendent en privilégiant des modes d’action dans la sphère privée plutôt que dans un espace public qui ne les inspire pas.</p>
<p>Tels sont les principaux enseignements de l’enquête exclusive réalisée en octobre auprès des 18-25 ans pour The Conversation France par le cabinet d’études George(s).</p>
<hr>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/560782/original/file-20231121-27-k31c2c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/560782/original/file-20231121-27-k31c2c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/560782/original/file-20231121-27-k31c2c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/560782/original/file-20231121-27-k31c2c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/560782/original/file-20231121-27-k31c2c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/560782/original/file-20231121-27-k31c2c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/560782/original/file-20231121-27-k31c2c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="attribution"><a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p><em>Retrouvez l’enquête exclusive <a href="https://cdn.theconversation.com/static_files/files/2951/Jeune%28s%29_en_France_-_THE_CONVERSATION.pdf">« Jeune(s) en France »</a> réalisée en octobre 2023 pour The Conversation France par le cabinet George(s). Une étude auprès d’un échantillon représentatif de plus de 1000 personnes qui permet de mieux cerner les engagements des 18-25 ans, les causes qu’ils défendent et leur vision de l’avenir.</em></p>
<hr>
<p>Alors que de nombreux sondages montrent les inquiétudes des parents pour leur progéniture, les jeunes interrogés sont majoritairement optimistes en pensant à l’avenir (71 %) et environ un quart d’entre eux se disent « très optimistes » mais ils envisagent leurs leviers d’action dans un cadre familial ou amical plutôt que collectif.</p>
<p><iframe id="bjzi3" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/bjzi3/2/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Ils se déclarent aussi adultes à 86 % et font de l’autonomie financière une condition primordiale de leur vie future.</p>
<h2>Un engagement qui se matérialise dans la sphère privée</h2>
<p>L’un des faits frappants de l’étude est que la confiance exprimée est ancrée dans l’environnement proche, alors que la famille (à 45 %) et les amis (41 %) sont les éléments qui les rendent « très heureux ».</p>
<p>Les jeunes interrogés déclarent se définir en premier lieu à travers les causes qu’ils soutiennent, principalement d’ordre environnemental et sociétal : gaspillage alimentaire, défense de l’environnement, lutte contre les violences faites aux femmes, combat contre le racisme et les discriminations…</p>
<p>Mais cet engagement, qui est donc au cœur de leur identité, est à la fois un engagement personnel et citoyen.</p>
<p>La mobilisation ou l’appartenance à un parti politique ou à un syndicat ne représentent ainsi pas à leurs yeux des preuves fortes d’engagement. Pas plus que la participation à une manifestation ou la signature d’une pétition, traduisant un réel fossé entre leurs préoccupations et la possibilité de les exprimer dans le monde qui les entoure.</p>
<p>Plusieurs formes de « dons » sont en fait mises en avant par rapport au fait de s’engager : aider une personne dépendante ou malade (83 %), donner de son temps en général (80 %), faire des dons d’argent (75 %) sont largement cités.</p>
<p><iframe id="oEwS0" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/oEwS0/2/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>L’engagement est à la fois proximal et intime. Il témoigne d’une véritable résilience et prend tout son sens à travers les actions et les gestes du quotidien. Interrogés sur « les personnes dont l’exemple vous donne envie de vous engager, de vous mobiliser », ils citent tout d’abord leurs parents, puis des « gens de leur génération qu’ils ont rencontrés » et en troisième « des membres de leur famille ».</p>
<p>Reste une singularité, même si seulement 16 % d’entre eux estiment que leurs « opinions politiques » contribuent à dire qui ils sont et que l’on connaît les faibles taux de participations des jeunes aux élections, 79 % considèrent toujours le vote comme une preuve d’engagement.</p>
<p>Un élément apparemment contradictoire mais qui semble traduire le décalage entre la représentation politique actuelle et celle que l’on aimerait et qui déclencherait l’envie de participer aux scrutins.</p>
<h2>Une maturité assumée face au contexte économique</h2>
<p>Être autonome financièrement (à 58 %), avoir une situation professionnelle stable (à 46 %), bénéficier d’un logement à soi (à 40 %)… ces trois éléments sont les premiers qui sont pris en considération par les 18-25 ans comme étant constitutifs d’un passage à l’âge adulte.</p>
<p>Une vision qui traduit la réalité d’une génération qui doit aussi faire à une certaine précarité. Il faut noter d’ailleurs que 41 % des 18-25 ans estiment que leur santé mentale et physique est très importante pour comprendre qui ils sont et en font donc une pierre angulaire de leur équilibre.</p>
<p>La question de l’orientation scolaire ou professionnelle montre des divergences. Une majorité des jeunes interrogés (56 %) estiment ainsi avoir le sentiment d’avoir vraiment pu choisir cette orientation mais chez les actifs, c’est le fait d’avoir un métier qui ne correspond pas à leur diplôme qui domine (à 53 %).</p>
<p>Face au travail, les jeunes sont à la fois très raisonnés et très exigeants, projetant une véritable maturité. Parmi les choses considérées comme « très importantes » figurent l’ambiance de travail (51 %), mais aussi la rémunération et les avantages matériels (50 %), le niveau de responsabilité (31 %) et le temps libre (44 %). La possibilité d’évoluer (43 %) est jugée plus importante que les valeurs et engagements de l’entreprise (34 %).</p>
<p><iframe id="rcIHf" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/rcIHf/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Autant de constats qui semblent privilégier une approche très pragmatique face au travail, loin des déclarations que l’on peut voir de ci et là sur certaines quêtes de sens priorisées sans grande considération matérielle.</p>
<h2>Une ambiguïté face aux médias</h2>
<p>Parce qu’ils trouvent leurs repères dans cet environnement de proximité, les jeunes interrogés apparaissent très ambigus face au monde renvoyé par les médias.</p>
<p>Quand ils décident de s’informer, la priorité n’est pas donnée à la politique ou à l’économie. Ils préfèrent se tourner vers de l’actualité culturelle (note d’intérêt déclaré de 7,05/10), liée à l’environnement, la santé ou la science (6,63) ou au sport (6,21). Sans surprise par rapport à notre constat sur l’engagement, l’intérêt déclaré est beaucoup plus faible pour la politique nationale (5,54) ou internationale (5,38).</p>
<p>Face à l’actualité, ils se disent à la fois inquiets (41 %) et curieux (36 %), fatigués (33 %) et optimistes (24 %). Mais l’angoisse (25 %) et la méfiance (29 %) n’aboutissent pas forcément à de l’indignation (14 %) ou de la mobilisation (10 %).</p>
<p><iframe id="9mYCQ" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/9mYCQ/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Un point à souligner : les jeunes femmes se déclarent en moyenne plus inquiètes que les hommes (48 % vs 33 %), plus fatiguées (39,5 % vs 26 %), angoissées (31,8 % vs 18 %) ou dépassées (29,6 % vs 19,5 %).</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217935/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Fabrice Rousselot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’enquête exclusive de The Conversation France sur les 18-25 ans montre une jeunesse positive et qui s’engage dans la sphère privée pour relever les défis du futur.Fabrice Rousselot, Directeur de la rédaction, The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2143542023-11-21T14:39:16Z2023-11-21T14:39:16ZLes médias sociaux, une arme à double tranchant pour l’image des syndicats<p>L’image des syndicats est souvent évoquée pour expliquer <a href="https://doi.org/10.25318/36280001202201100001-eng">l’érosion du taux de syndicalisation au Canada au cours des quatre dernières décennies</a>, qui a passé de 38 % en 1981 à 29 % en 2022. Les travailleurs peinent à <a href="https://doi.org/10.1177/102425890701300204">s’identifier aux syndicats, perçus comme des organisations vieillissantes, et donc à s’y engager</a>.</p>
<p>Les médias sociaux font naître <a href="https://www.ilo.org/wcmsp5/groups/public/---ed_dialogue/---actrav/documents/publication/wcms_875935.pdf">l’espoir d’un vent de renouveau pour le mouvement syndical</a>. Ces plates-formes leur offrent en effet – au moins en théorie – la possibilité d’améliorer leur image en fluidifiant la communication avec leurs membres, en adoptant de nouvelles méthodes de mobilisation et en s’adressant à un public plus jeune et connecté.</p>
<p>Néanmoins, les espoirs suscités par les médias sociaux pour redorer l’image des syndicats s’avèrent en partie déçus. <a href="https://doi.org/10.1177/00221856231192322">Nos recherches récentes</a> révèlent quatre effets de distorsion que les médias sociaux peuvent avoir sur l’image des syndicats. Si ces effets peuvent contribuer à revitaliser leur image publique, ils peuvent également aboutir au résultat inverse et représenter une menace tout à fait sérieuse : celle de les rendre invisibles.</p>
<h2>Facteur de division</h2>
<p>Une première conséquence des médias sociaux est qu’ils peuvent exacerber les clivages entre les syndicats et les employeurs ou les gouvernements. Un phénomène qui n’est pas sans rappeler la <a href="https://www.pewresearch.org/politics/2014/06/12/political-polarization-in-the-american-public/">polarisation qui frappe la sphère politique</a>.</p>
<p>Selon les responsables syndicaux avec lesquels nous nous sommes entretenus, cette polarisation en ligne est en partie attribuable aux normes de communication sur les médias sociaux, marquées notamment par une <a href="https://theconversation.com/its-not-just-bad-behavior-why-social-media-design-makes-it-hard-to-have-constructive-disagreements-online-161337">grande tolérance à l’égard des postures virulentes et agressives</a>. L’incitatif à communiquer de manière plus clivante en ligne découlerait également de la concurrence féroce à laquelle doivent se livrer les communicants pour capter l’attention fugace des utilisateurs des médias sociaux.</p>
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<img alt="Images of social media likes, follows, and comments float above a hand scrolling on a cell phone screen" src="https://images.theconversation.com/files/548897/original/file-20230918-21-ek67qz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/548897/original/file-20230918-21-ek67qz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/548897/original/file-20230918-21-ek67qz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/548897/original/file-20230918-21-ek67qz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/548897/original/file-20230918-21-ek67qz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/548897/original/file-20230918-21-ek67qz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/548897/original/file-20230918-21-ek67qz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La structure et la culture associées aux médias sociaux incitent certains syndicats à adopter des styles de communication plus brefs, moins nuancés et plus affirmatifs, dans le but de rallier leurs partisans et d’amplifier la portée de leurs messages.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span>
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<p>La structure et la culture associées aux médias sociaux incitent ainsi certains syndicats à adopter des styles de communication plus brefs, moins nuancés et plus affirmatifs, dans le but de rallier leurs partisans et d’amplifier la portée de leurs messages.</p>
<p>L’effet de polarisation en ligne n’affecte pas tous les syndicats de la même manière. Nos résultats indiquent que les syndicats les plus touchés par cet effet sont souvent ceux les plus militants.</p>
<h2>Tout à l’égo</h2>
<p>Les médias sociaux peuvent également contribuer à déformer l’image numérique des syndicats en encourageant des comportements autocentrés. Il a déjà été démontré que les médias sociaux <a href="https://doi.org/10.1037/ppm0000137">encouragent les individus à adopter des comportements narcissiques</a>. Notre étude révèle que cette tendance se manifeste également pour des organisations comme les syndicats.</p>
<p>Les médias sociaux encouragent en effet les syndicats à mettre en scène leurs membres de manière extrêmement positive. Cette survalorisation de l’effectif syndical s’explique essentiellement par les règles du jeu algorithmique des médias sociaux. En d’autres termes, le contenu faisant l’éloge des membres d’un syndicat aurait tendance, selon les responsables syndicaux, à susciter davantage d’engagement (likes, commentaires ou partages). Par conséquent, certains gestionnaires de médias sociaux privilégient les contenus célébrant les mérites des membres afin de maximiser la viralité de leur communication en ligne. </p>
<p>Cette tendance au « tout à l’égo » semble le plus prononcée dans les syndicats dont l’effectif est homogène et l’identité professionnelle forte, où il est incidemment plus aisé d’encourager un sentiment de fierté professionnelle. </p>
<h2>Grossir ses traits jusqu’à la caricature</h2>
<p>La troisième façon dont les médias sociaux peuvent déformer l’image en ligne des syndicats est en exagérant certains de leurs caractéristiques ou traits identitaires au point de les rendre grotesques ou caricaturales.</p>
<p>Ce type de distorsion découle notamment du sentiment d’obligation perçu par certains syndicats d’alimenter régulièrement leurs comptes de média sociaux. À cet égard, soulignons que tous les syndicats de notre étude publient entre cinq et sept messages par semaine sur leurs pages Facebook. </p>
<p>Cependant, tous les syndicats ne disposent pas de contenu nouveau ou attrayant à partager sur une base aussi régulière. Pour satisfaire à la boulimie des médias sociaux, certains syndicats se rabattent sur le partage en ligne d’activités aussi routinières que des réunions, formations ou assemblées syndicales. Répétées à l’envi, ces scènes banales de la vie syndicale finissent par grossir exagérément les caractéristiques bureaucratiques de ces organisations. </p>
<p>C’est donc sans surprise que les syndicats ayant une <a href="https://www.oxfordreference.com/display/10.1093/oi/authority.20110803110716472">culture bureaucratique</a> prononcée sont les plus susceptibles de s’autocaricaturer en ligne.</p>
<h2>Noyés dans l’actualité</h2>
<p>L’effet d’effacement est la dernière distorsion que les médias sociaux peuvent faire subir aux images numériques des syndicats. Un phénomène identique se produit lorsque les gestionnaires de médias sociaux abreuvent les comptes des syndicats de flots d’articles de presse et de republications, plutôt que de partager du contenu directement lié au syndicat.</p>
<p>Dans pareille situation, la visibilité numérique du syndicat décline, au point de rendre son identité diaphane. Cet effet est encore plus prononcé lorsque le partage d’article ou la republication n’est accompagné d’aucun texte introductif qui tisse un lien entre la nouvelle et le syndicat ou ses membres. </p>
<p>Les syndicats les plus exposés à l’effet d’effacement sont ceux dont les responsables des médias sociaux manquent d’expertise ou ceux dont le modèle de syndicalisme est axé sur la <a href="https://www.oxfordreference.com/display/10.1093/oi/authority.20110803100456590">prestation de services</a></p>
<p>plutôt que sur la mobilisation active des membres.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="An laptop open to a news article is seen over the shoulder of a young woman" src="https://images.theconversation.com/files/548903/original/file-20230918-27-77a0sh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/548903/original/file-20230918-27-77a0sh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=394&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/548903/original/file-20230918-27-77a0sh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=394&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/548903/original/file-20230918-27-77a0sh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=394&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/548903/original/file-20230918-27-77a0sh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=495&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/548903/original/file-20230918-27-77a0sh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=495&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/548903/original/file-20230918-27-77a0sh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=495&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les syndicats dont les médias sociaux sont noyés sous un flot d’articles de presse et de republications risquent de brouiller leur image au point de devenir invisibles.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span>
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<h2>Les risques de l’invisibilité numérique</h2>
<p>Les médias sociaux apparaissent donc comme une arme à double tranchant pour les syndicats. Si certains effets de distorsion peuvent avoir des résultats positifs, d’autres apparaissent comme clairement négatifs. La polarisation et l’égocentrisme, par exemple, peuvent être bénéfiques parce qu’ils augmentent l’engagement en ligne. Au contraire, les effets de caricature et d’effacement conduisent à réduire le nombre de réactions.</p>
<p>Un contenu peu engageant tend à devenir invisible en raison du fonctionnement des algorithmes des médias sociaux. Les syndicats <a href="https://doi.org/10.1177/0022185620979337">soumis à ces effets</a> courent ainsi le risque d’être marginalisés de la sphère publique numérique.</p>
<p>La communication étant un levier essentiel du pouvoir syndical, il est donc à craindre que les médias sociaux n’affaiblissent leur capacité à défendre les droits des travailleurs, au lieu de la renforcer. Notre étude souligne alors la nécessité pour les syndicats de réfléchir à la manière dont ils peuvent construire une image en ligne qui soit à la fois efficace, engageante et alignée sur leur identité organisationnelle. À l’ère numérique, les syndicats doivent trouver le bon dosage entre l’engagement et la visibilité algorithmique pour redorer leur image.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/214354/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christian Lévesque a reçu des financements du Fonds de recherche du Québec- Société et culture. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Marc-Antonin Hennebert et Vincent Pasquier ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>Si le paysage numérique offre aux syndicats des possibilités d’engagement et de mobilisation de leurs membres, il présente également des défis, notamment le risque d’être marginalisé dans le vaste univers virtuel.Vincent Pasquier, Professeur en GRH et relations professionnelles, HEC MontréalChristian Lévesque, Professeur de Relations du Travail, HEC MontréalMarc-Antonin Hennebert, Professor of Human Resources Management, HEC MontréalLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2143172023-11-21T14:39:11Z2023-11-21T14:39:11ZFaire le mauvais buzz sur les réseaux sociaux, ça vous tente ? Voici comment !<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/559387/original/file-20231114-25-wra0k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=2%2C0%2C989%2C750&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Parce qu'elles prennent l'esprit au dépourvu, les ruptures de cadre sont des facteurs potentiels de dégradation des relations sociales.</span> <span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span></figcaption></figure><p><a href="https://semji.com/fr/guide/quest-ce-qu-un-bad-buzz/">Faire l’objet d’une popularité négative et incontrôlable sur Internet</a>, c’est-à-dire « faire le mauvais buzz », ça peut arriver à n’importe qui, même aux gens les mieux intentionnés.</p>
<p>C’est manifestement ce qui est arrivé aux trois personnes dont je présente ici les cas embarrassants, avec le projet de décrypter les raisons de leur mauvaise fortune. Mon objectif n’est pas de mettre en cause la valeur de leurs idées ou de leurs combats (féminisme, LGBTisme ou antispécisme), mais plutôt d’examiner leurs stratégies de communication à partir de mon point de vue d’<a href="https://professeurs.uqam.ca/professeur/genest.sylvie/">artiste anthropologue</a>.</p>
<p>Plus spécifiquement, je souhaite mettre en lumière les <a href="https://ifftb.com/wiki/cadrage-effet-de/">effets de cadrage</a> qui les ont desservies et que je soupçonne être la principale cause de l’énorme dégât de commentaires désobligeants qui ont été formulés à leur endroit, avec atteinte à leur réputation sur les réseaux sociaux. </p>
<p>Construit sur les fondements de mon étude du <a href="https://papyrus.bib.umontreal.ca/xmlui/handle/1866/27428">changement d’état d’esprit</a>, cet article s’intéresse aux ruptures de cadre provoquées par des communicateurs malhabiles ainsi qu’aux répercussions psychiques de leurs prestations sur l’humeur d’internautes mal préparés à cette expérience. </p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-talk-shows-quon-aime-des-machines-a-broyer-la-dignite-198044">Les talk-shows qu’on aime : des machines à broyer la dignité ?</a>
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<h2>La « théorie des cadres » en communication</h2>
<p>Les techniques de <a href="https://books.openedition.org/editionsehess/10320?lang=fr">cadrage</a> et de <a href="https://www.cairn.info/revue-therapie-familiale-2006-4-page-377.htm">recadrage</a> soutenues par les principes fondamentaux de la communication sont utilisées en psychiatrie, en thérapie familiale, en publicité, en arts et en gestion médiatique des comportements sociaux ou privés, principalement. </p>
<p>La théorie générale qui sous-tend ces différentes applications est souvent attribuée au sociologue Erving Goffman, dont la pensée sur le sujet fait l’objet du livre intitulé <a href="http://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-Les_Cadres_de_l%E2%80%99exp%C3%A9rience-2094-1-1-0-1.html">« Les cadres de l’expérience »</a>. Le principe central de cette théorie est que <a href="https://tactics.convertize.com/fr/definitions/framing-effect-effet-de-cadrage">« nous réagissons différemment aux messages ou aux choix que l’on nous soumet en fonction de la manière dont on nous les présente »</a>.</p>
<p>La théorie des cadres est toutefois antérieure aux travaux de Goffman. Elle prend racine dans l’œuvre de l’anthropologue Gregory Bateson et de ses partenaires de l’<a href="https://www.cairn.info/l-ecole-de-palo-alto--9782130606628.htm">École de Palo Alto</a>. Cette équipe de recherche a établi des rapports significatifs entre <a href="http://olivier.hammam.free.fr/imports/auteurs/bateson/eco-esprit/2-3-0-formes-pathologies-relations2.htm">pathologies de la communication et pathologies des relations sociales</a>. </p>
<p>C’est sous le nom de <a href="https://www.cairn.info/revue-cahiers-critiques-de-therapie-familiale-2001-1-page-229.htm">« syndrome trancontextuel »</a> que Bateson a regroupé les réactions émotives et psychiques observées chez des personnes confrontées à l’expérience brutale d’une rupture de cadre – ou d’une « transgression » des contextes de communication – lorsque celle-ci se produit dans le cours d’un échange significatif. C’est cette épreuve cognitive à la fois troublante et risquée que parodie avec humour la scène suivante construite sur le modèle de la « caméra cachée ».</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/NG08aAve42E?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Si les ruptures de cadre peuvent provoquer le rire lorsqu’elles sont mises en scène, elles peuvent aussi entraîner la perplexité, la colère ou même la <a href="https://journals.openedition.org/questionsdecommunication/430">souffrance psychique</a> lorsqu’elles se produisent dans la réalité.</p>
<h2>Trois buzz négatifs</h2>
<p>Les trois vidéos qui suivent présentent des cas d’espèce dont les conséquences sur les internautes sont facilement discernables grâce à la présence visible de commentaires, d’apartés et de réactions exprimées au moyen de <a href="https://dictionnaire.lerobert.com/dis-moi-robert/raconte-moi-robert/mot-jour/meme.html">mèmes</a>, comme celui que constitue le <a href="https://www.rtl.fr/culture/cine-series/qui-etait-juan-joya-borja-alias-el-risitas-l-homme-derriere-le-rire-culte-d-internet-7900026236">rire culte de l’humoriste espagnol El Risitas</a>. </p>
<p>Le premier cas est celui d’une entrevue donnée par Typhaine D, une militante dont l’apostolat est de <a href="https://typhaine-d.com/index.php/actualites/234-manifeste-de-la-feminine-universelle">promouvoir une langue « féminine universelle »</a>.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/hNKGMPqAwQE?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>L’effet déjanté de ses prestations, que ce soit dans la vidéo ci-dessus ou dans une <a href="https://www.youtube.com/watch?v=v4J3m7VnlS8">conférence TEDx Talks de 2022</a>, est une conséquence de sa manière d’enchevêtrer des cadres discursifs réciproquement incompatibles sans avoir l’air de s’en apercevoir : celui du débat d’idées et celui de la comédie burlesque. Pour les personnes qui en ressentent les effets, il en résulte un paradoxe qui les coince entre des émotions contradictoires, comme en témoignent les commentaires laissés sous ses vidéos :</p>
<ul>
<li><p>😂 Franchement, j’ai beaucoup ri ! Puis après je me suis souvenu que cette personne existe pour de vrai et qu’elle n’est pas internée en psychiatrie…</p></li>
<li><p>😵💫 Il n’y a pas de mot assez fort pour décrire le malaise que j’ai éprouvé durant cette vidéo… </p></li>
<li><p>🤔 Je n’ai pas su définir si c’était de l’humour ou un exposé féministe. Je ne sais pas s’il faut que je pleure ou que je rigole ?</p></li>
</ul>
<p>Le deuxième cas concerne Arnaud Gauthier-Fawas, responsable d’une association militante pour les <a href="https://www.inter-lgbt.org/">droits des personnes LGBT</a>.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/nuCV9fh5-b4?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Le paradoxe avec lequel il faut composer ici est à la fois d’ordre <a href="https://journals.openedition.org/lcc/180">perceptif</a> (comme dans une illusion d’optique) et <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/paradoxe/2-paradoxes-scientifiques/">cognitif</a> (comme lorsque deux visions du monde s’opposent). L’échange auquel on assiste est déconcertant parce qu’il met en doute notre capacité d’évaluer la réalité sur la seule base de nos perceptions : bien qu’on puisse être d’avis que Gauthier-Fawas présente bien l’apparence d’un <em>homme blanc</em>, il faut réviser notre estimation en conséquence de l’arbitraire de son identité psychique : « <em>Je ne suis pas un homme, monsieur ! Je ne suis pas blanc</em> ! » L’effet surréaliste qui en résulte pour l’observateur est comparable à celui qu’entraîne la contemplation du célèbre tableau de Magritte, <a href="https://artshortlist.com/fr/journal/article/trahison-des-images-magritte">La trahison des images (1928)</a>.</p>
<p>Le troisième et dernier cas s’alimente à la source de plusieurs performances médiatiques de Solveig Halloin, activiste <a href="https://www.cairn.info/revue-etudes-rurales-2022-2-page-58.htm">végétaliste</a> se portant, entre autres, à la <a href="https://www.femmeactuelle.fr/actu/news-actu/qui-est-solveig-halloin-la-militante-activiste-qui-a-fait-le-buzz-dans-touche-pas-a-mon-poste-2112721">défense des animaux d’abattage</a>.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/B08OfmfGKV8?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Le mode paradoxal sur lequel s’exprime cette militante – notamment lorsqu’elle affirme « <em>se battre</em> pour que la violence cesse » – garantit à lui seul l’apparition du syndrome de Bateson chez ses interlocuteurs. En sublimant la cause animale qu’elle défend, Solveig Halloin franchit le seuil critique qui relie le profane au sacré, forçant dès lors une promiscuité de sens choquante entre <a href="https://www.facebook.com/watch/?v=343310679576397">élevage et holocauste</a>. Cela appelle des commentaires acides à lire sous plusieurs de ses <a href="https://www.youtube.com/watch?v=rJIOez7-G_s">vidéos</a>.</p>
<h2>Trois cadres rompus</h2>
<p>Ces trois cadres rompus de la communication entraînent des réactions à classer dans des catégories distinctives du syndrome transcontextuel de Bateson. Le premier cas – qui fait sauter les frontières entre le sérieux du débat et le jeu du théâtre – exploite les effets déroutants d’un changement de règles qui survient en plein cours d’un événement social significatif. Les personnes qui s’aventurent sur un tel terrain doivent savoir qu’elles entreprennent un <a href="https://web.archive.org/web/20220718093758id_/https://journals.openedition.org/communication/7002">jeu sans fin</a>, c’est-à-dire un jeu « qui ne peut pas engendrer de l’intérieur les conditions de son propre changement ».</p>
<p>Le deuxième cas – qui abolit les <a href="http://www.lyber-eclat.net/lyber/korzybski/glossaire.html">différences entre la carte des perceptions et le territoire de l’expérience</a> – exploite les effets pervers d’un changement de niveau d’abstraction non maîtrisé. </p>
<p>Le troisième cas – qui culbute le sacré dans la cour du profane et vice-versa – exploite les effets catastrophiques d’un changement de paradigme, lequel commande une conversion irréversible de l’humanité tout entière. Ce dernier type de rupture peut causer des troubles psychiques d’une très grande gravité.</p>
<h2>Les réseaux sociaux comme « méta cadre » de communication</h2>
<p>Parce qu’elles prennent l’esprit au dépourvu, les ruptures de cadre sont des facteurs potentiels de dégradation des relations sociales. Lorsqu’on les envisage dans le « méta cadre » des réseaux sociaux, toutefois, leurs conséquences pathologiques se trouvent diminuées par les ripostes créatives de personnes (youtubeurs, tiktokeurs, instagrameurs et autres influenceurs) pratiquant l’art de la <a href="https://www.cairn.info/la-boite-a-outils-du-dialogue-en-entreprise--9782100798711-page-96.htm"><em>métacommunication</em></a>, c’est-à-dire l’art de « communiquer sur la communication ». </p>
<p>Grâce à la mise en abîme que leurs <a href="https://ici.radio-canada.ca/ohdio/premiere/emissions/region-zero-8/segments/chronique/195001/technologie-youtube-tendance-musique-reaction-video">« vidéos de réaction »</a> accomplissent dans nos esprits – c’est-à-dire grâce à des « vidéos de vidéos » dans lesquelles on peut observer des « réactions humaines à des réactions humaines » – notre sort collectif sur les réseaux sociaux s’en trouve amélioré par la présence de dispositifs nous indiquant comment nous conduire en cas de rupture de cadre : <em>Attention ! Indignez-vous ici ! Riez maintenant ! Soyez méfiant en tout temps !</em></p>
<p>Par leur capacité à recadrer les communications cabossées, ces méta vidéos confirment – au grave détriment de malheureux attiseurs de rumeurs – l’une des plus belles hypothèses de Bateson : « chaque fois qu’on introduit une confusion dans les règles qui donnent un sens aux relations importantes, on provoque une douleur et une inadaptation qui peuvent être graves. Or, si on peut éviter ces aspects pathologiques, l’expérience a des chances de déboucher sur la créativité ».</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/214317/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sylvie Genest est membre de l'Institut de recherches et d'études féministes (IREF) de l'Université du Québec à Montréal ; de SAS-Femmes, Collectif de recherches et d'actions pour la sécurité, l'autonomie et la santé de toutes les femmes ; et du Laboratoire de recherche en relations interculturelles (LABRRI) de l'Université de Montréal.</span></em></p>Faire l’objet d’une popularité négative et incontrôlable sur Internet, ça peut arriver à n’importe qui, même aux gens les mieux intentionnés.Sylvie Genest, Professeure à la Faculté des arts, Université du Québec à Montréal (UQAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2177362023-11-16T17:26:50Z2023-11-16T17:26:50ZL’intelligence artificielle va-t-elle tuer ou sauver les médias ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/559353/original/file-20231114-29-4bhhx0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C8000%2C3911&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les journalistes seront-ils tentés de donner la parole aux intelligences artificielles</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Recherche d’informations, production de contenu, traduction, détection de propos haineux… l’<a href="https://theconversation.com/topics/intelligence-artificielle-ia-22176">intelligence artificielle</a> (IA) générative promet d’importants gains de productivité dans l’univers des <a href="https://theconversation.com/topics/medias-20595">médias</a>.</p>
<p>Les médias nous accompagnent au quotidien et sont un support à la démocratie : ils ont la liberté de montrer différents points de vue et idées, de dénoncer la corruption et les discriminations, mais également de montrer la cohésion sociale et culturelle.</p>
<p>Alors que le public se tourne vers les médias pour s’informer, se cultiver et se divertir, les médias n’échappent pas aux soucis économiques et à la rentabilité d’une industrie mesurée en termes d’audimat et de vente. Dans ce contexte, l’IA générative amène de nouveaux outils puissants et sera de plus en plus utilisée.</p>
<p>Mais il faut crucialement rappeler que les IA génératives n’ont pas d’idées, et qu’elles reprennent des propos qui peuvent être agencés de façon aussi intéressante qu’absurde (on parle alors d’« hallucinations » des systèmes d’IA). Ces IA génératives ne savent pas ce qui est possible ou impossible, vrai ou faux, moral ou immoral.</p>
<p>Ainsi, le métier de journaliste doit rester central pour enquêter et raisonner sur les situations complexes de société et de géopolitique. Alors, comment les médias peuvent-ils exploiter les outils d’IA tout en évitant leurs écueils ?</p>
<p>Le Comité national pilote d’éthique du numérique (CNPEN) a rendu en juillet un <a href="https://www.ccne-ethique.fr/publications/avis-7-du-cnpen-systemes-dintelligence-artificielle-generative-enjeux-dethique">avis général</a> sur les enjeux d'éthique des IA génératives, que j'ai co-coordonné, au ministre chargé de la Transition numérique. Il précise notamment les risques de ces systèmes.</p>
<h2>Des outils puissants au service des journalistes</h2>
<p>Les médias peuvent utiliser l’IA pour améliorer la qualité de l’information, lutter contre les fausses nouvelles, identifier le harcèlement et les incitations à la haine, mais aussi parce qu’elle peut permettre de faire avancer la connaissance et mieux comprendre des réalités complexes, comme le développement durable ou encore les flux migratoires.</p>
<p>Les IA génératives sont des outils fabuleux qui peuvent faire émerger des résultats que nous ne pourrions pas obtenir sans elles car elles calculent à des niveaux de représentation qui ne sont pas les nôtres, sur une quantité gigantesque de données et avec une rapidité qu’un cerveau ne sait pas traiter. Si on sait se doter de garde-fous, ce sont des systèmes qui vont nous faire gagner du temps de recherche d’information, de lecture et de production et qui vont nous permettre de lutter contre les stéréotypes et d’optimiser des processus.</p>
<p>Ces outils n’arrivent pas maintenant par hasard. Alors que nous sommes effectivement noyés sous un flot d’informations diffusées en continu par les chaînes classiques ou contenus accessibles sur Internet, des outils comme <a href="https://chatgpt-info.fr/">ChatGPT</a> nous permettent de consulter et de produire des synthèses, programmes, poèmes, etc., à partir d’un ensemble d’informations gigantesques inaccessibles à un cerveau humain en temps humain. Ils peuvent donc être extrêmement utiles pour de nombreuses tâches mais aussi contribuer à un flux d’informations non sourcées. Il faut donc les apprivoiser et en comprendre le fonctionnement et les risques.</p>
<h2>L’apprentissage des IA génératives</h2>
<p>Les performances des IA génératives tiennent à la capacité d’apprentissage auto-supervisée (c'est-à-dire sans être guidée par une main humaine, ce qui est un concept différent de l'adaptation en temps réel) de leurs modèles internes, appelés <a href="https://www.journaldunet.com/intelligence-artificielle/1522625-modeles-de-fondation-que-signifie-la-prochaine-ere-de-l-intelligence-artificielle/">« modèles de fondation »</a>, qui sont entraînés à partir d’énormes corpus de données constitués de milliards d’images, de textes ou de sons très souvent dans les cultures dominantes sur Internet, par exemple GPT3.5 de ChatGPT est nourri majoritairement de données en anglais. Les deux autres types d’apprentissage ont également été utilisés : avant sa mise à disposition fin 2022, ChatGPT a été optimisé grâce à un <a href="https://theconversation.com/intelligence-artificielle-les-defis-de-lapprentissage-profond-111522">apprentissage supervisé</a> puis grâce à un <a href="https://theconversation.com/pourquoi-marcher-est-il-si-difficile-pour-un-robot-201996">apprentissage par renforcement</a> par des humains de façon à affiner les résultats et à éliminer les propos non souhaitables.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1640033915657232384"}"></div></p>
<p>Cette optimisation par des humains a d’ailleurs été très critiquée. Comment sont-ils formés ? Qui sont ces <a href="https://slate.com/technology/2023/05/openai-chatgpt-training-kenya-traumatic.html">« hommes du clic » sous-payés</a> ? Ces propos « non souhaitables », en outre, ne sont pas décidés par un comité d’éthique ou le législateur, mais par l’entreprise seule.</p>
<h2>Un apprentissage qui oublie les sources</h2>
<p>Durant l’apprentissage des modèles de fondation sur des textes, le système apprend ce que l’on appelle des <a href="https://theconversation.com/comment-fonctionne-chatgpt-decrypter-son-nom-pour-comprendre-les-modeles-de-langage-206788">« vecteurs de plongements lexicaux »</a> (de taille 512 dans GPT 3.5). C’est le système « transformers ». Le principe d’entraînement du modèle de fondation est fondé par l’hypothèse distributionnelle proposée par le linguiste américain John Ruppert Fith en 1957 : on ne peut connaître le sens d’un mot que par ses fréquentations (« You shall know a word by the company it keeps »). </p>
<p>Ces entités (« <em>token</em> » en anglais) font en moyenne quatre caractères dans GPT3.5. Elles peuvent n'être constituées que d'un seul et d'un blanc. Elles peuvent donc être des parties de mots ou des mots avec l’avantage de pouvoir combiner agilement ces entités pour recréer des mots et des phrases sans aucune connaissance linguistique (hormis celle implicite à l’enchaînement des mots), le désavantage étant évidemment d’être moins interprétable. Chaque entité est codée par un vecteur qui contient des informations sur tous les contextes où cette entité a été vue grâce à des mécanismes d’attention. Ainsi deux entités ayant le même voisinage seront considérées comme proches par le système d’IA.</p>
<p>Le système d’IA générative sur des textes apprend ainsi un modèle de production avec des mécanismes qui n’ont rien à voir avec la production humaine située avec un corps, pour autant <a href="https://theconversation.com/de-cambridge-analytica-a-chatgpt-comprendre-comment-lia-donne-un-sens-aux-mots-205534">elle est capable de l’imiter à partir des textes de l’apprentissage</a>. Ce fonctionnement a pour conséquence directe de perdre les sources d’où sont extraits les voisinages repérés, ce qui pose un problème de fond pour la vérification du contenu produit. Aucune vérification de la véracité des propos n’est produite facilement. Il faut retrouver les sources et quand on demande au système de le faire, il peut les inventer !</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-fonctionne-chatgpt-decrypter-son-nom-pour-comprendre-les-modeles-de-langage-206788">Comment fonctionne ChatGPT ? Décrypter son nom pour comprendre les modèles de langage</a>
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<p>Lorsque vous proposez une invite à ChatGPT, il va prédire l’entité suivante, puis la suivante et ainsi de suite. Un paramètre clé est celui de la « température » qui exprime le degré d’aléatoire dans le choix des entités. À une température élevée, le modèle est plus « créatif » car il peut générer des sorties plus diversifiées, tandis qu’à une température basse, le modèle tend à choisir les sorties les plus probables, ce qui rend le texte généré plus prévisible. Trois options de température sont proposées dans l’outil conversationnel Bing (GPT4) de Microsoft (plus précis, plus équilibré, plus créatif). Souvent, les hyperparamètres des systèmes ne sont pas dévoilés pour des raisons de cybersécurité ou de confidentialité comme c’est le cas dans ChatGPT… mais la température permet d’avoir des réponses différentes à la même question.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/beau-parleur-comme-une-ia-196084">Beau parleur comme une IA</a>
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<h2>« Hallucinations » et autres risques</h2>
<p>Il est ainsi facile d’imaginer certains des risques de l’IA générative pour les médias. D’autres apparaîtront certainement au fur et à mesure de leurs utilisations.</p>
<p>Il paraît urgent de trouver comment les minimiser en attendant la promulgation pour l’Union européenne d’un <a href="https://www.europarl.europa.eu/news/fr/headlines/society/20230601STO93804/loi-sur-l-ia-de-l-ue-premiere-reglementation-de-l-intelligence-artificielle"><em>IA Act</em></a> en se dotant de <a href="https://iapp.org/news/a/ai-act-sets-rules-for-foundational-general-purpose-ai-models/">guides de bonnes pratiques</a>. L’<a href="https://www.ccne-ethique.fr/publications/avis-7-du-cnpen-systemes-dintelligence-artificielle-generative-enjeux-dethique">avis</a> du CNPEN sur les IA génératives et les enjeux d’éthique comprend, lui, 10 préconisations pour la recherche et 12 pour la gouvernance. Voici quelques-uns des risques identifiés pour les médias :</p>
<ul>
<li><p>Faire trop confiance aux dires de la machine sans recouper avec d’autres sources. Le croisement de plusieurs sources de données et la nécessité d’enquêter deviennent fondamentaux pour toutes les professions : journalistes, scientifiques, professeurs et autres. Il semble d’ailleurs fondamental d’enseigner la façon d’utiliser ces systèmes à l’école et à l’université et de <a href="https://theconversation.com/chatgpt-nous-rendra-t-il-moins-credules-197306">cultiver l’art de débattre pour élaborer ses idées</a>.</p></li>
<li><p>Comprendre que ChatGPT est construit avec des données majoritairement en anglais et que son influence culturelle peut-être importante.</p></li>
<li><p>Utiliser massivement ChatGPT de façon paresseuse dans les médias, en produisant énormément de nouvelles données artificielles non vérifiées sur Internet qui pourraient servir à entraîner de nouvelles IA. Ce serait dramatique qu’il n’y ait plus aucune garantie de vérité sur ces données reconstituées par la machine. Deux avocats américains se sont par exemple fait piéger en faisant référence au cours d’une procédure, sur les conseils de l’algorithme, à des <a href="https://www.reuters.com/legal/new-york-lawyers-sanctioned-using-fake-chatgpt-cases-legal-brief-2023-06-22/">jurisprudences qui n’existaient pas</a>.</p></li>
<li><p>Remplacer certaines tâches dans de nombreux métiers autour des médias par des systèmes d’IA. Certains métiers vont disparaître, d’autres vont apparaître. Il faut créer des interfaces avec des <a href="https://theconversation.com/peut-on-faire-confiance-aux-ia-148867">mesures de confiance</a> pour aider la coopération entre les humains et les systèmes d’IA.</p></li>
<li><p>Utiliser les systèmes d’IA et les démystifier devient une nécessité absolue tout en faisant attention de ne pas désapprendre et de pouvoir s’en passer.</p></li>
<li><p>Il est nécessaire de comprendre que ChatGPT fait de nombreuses erreurs, par exemple il n’a pas de notion d’histoire ni de compréhension de l’espace. Le diable est dans les détails mais également dans le choix des données utilisées pour créer le modèle. La loi sur l’IA réclame plus de transparence sur ces systèmes d’IA pour vérifier leur robustesse, leur non-manipulation et leur <a href="https://theconversation.com/apprentissage-profond-et-consommation-energetique-la-partie-immergee-de-lia-ceberg-172341">consommation énergétique</a>.</p></li>
<li><p>Il faut vérifier que les données produites n’empiètent pas sur le <a href="https://theconversation.com/copyright-droit-dauteur-quel-statut-juridique-pour-lia-dans-la-creation-audiovisuelle-215370">droit d’auteur</a> et que les données utilisées par le système sont correctement utilisées. Si des données « synthétiques » remplacent demain nos connaissances dans l’entraînement des futurs modèles de fondation, il sera de plus en plus difficile de démêler le vrai du faux.</p></li>
<li><p>Donner accès à des systèmes d’IA (par exemple <a href="https://openai.com/dall-e-2">Dall-E</a> ou <a href="https://www.stable-diffusion-france.fr/">Stable Diffusion</a>) qui peuvent être utilisés pour créer de l’hypertrucage (<a href="https://theconversation.com/peut-on-detecter-automatiquement-les-deepfakes-212573"><em>deepfake</em></a> en anglais) pour produire des images. Le phénomène rappelle l’importance de vérifier non seulement la fiabilité des sources des articles, mais aussi des images et vidéos. Il est question de mettre des filigranes (ou <em>watermarks</em>) dans les textes, images ou vidéos produites pour savoir si elles ont été faites par des IA ou de labelliser les données « bio » (ou produites par des humains).</p></li>
</ul>
<h2>Laboratoire de l’IA sur les émergences et limites des IA génératives</h2>
<p>L’arrivée de ChatGPT a été un tsunami pour tout le monde. Il a bluffé experts comme non-experts par ses capacités de production de texte, de traduction et même de programmation informatique.</p>
<p>L’explication scientifique précise du phénomène d’« étincelle d’émergences » dans les modèles de fondation est un sujet de recherche actuel et dépend des données et des hyperparamètres des modèles. Il est important de développer massivement la recherche pluridisciplinaire sur les émergences et limites des IA génératives et sur les mesures à déployer pour les contrôler.</p>
<p>Enfin, if faut <a href="https://www.fondation-blaise-pascal.org/nos-actions/les-projets-de-la-fondation/capsules-ethique-du-numerique-pour-les-enfants/">éduquer à l’école sur les risques et l’éthique tout autant que sur la programmation</a>, et également former et démystifier les systèmes d’IA pour utiliser et innover de façon responsable en ayant conscience des conséquences éthiques, économiques, sociétales et du coût environnemental.</p>
<p>La France pourrait jouer un rôle majeur au sein de l’Europe avec l’ambition d’être un laboratoire de l’IA pour les médias en étudiant les enjeux éthiques et économiques au service du bien commun et des démocraties.</p>
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<p><em>Cette contribution à The Conversation France prolonge une intervention de l’auteur aux <a href="https://www.journeeseconomie.org">Jéco 2023</a> qui se sont tenues à Lyon du 14 au 16 novembre 2023.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217736/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Laurence Devillers est présidente de la Fondation Blaise Pascal de médiation en mathématiques et en informatique. Elle a également une chaire en IA au CNRS HUMAAINE : Human-Machine Affective Interaction & Ethics. Elle est membre du CNPEN : Comité National Pilote d'Ethique du Numérique. </span></em></p>Même si les nouveaux outils d’intelligence artificielle sont puissants, ils ne savent pas identifier leurs sources d’information et inventent même parfois les propos qu’ils livrent.Laurence Devillers, Professeur en Intelligence Artificielle, Sorbonne UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2167792023-11-14T13:48:15Z2023-11-14T13:48:15ZLes utilisateurs de X doivent lutter seuls contre la désinformation qui y sévit<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/558711/original/file-20231109-19-8ft176.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=5%2C0%2C988%2C667&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Dans une optique de gestion de la désinformation, la plateforme X a déployé graduellement une nouvelle fonctionnalité à partir de décembre 2022: « les notes de la communauté». </span> <span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span></figcaption></figure><p>Après <a href="https://theconversation.com/rachat-de-twitter-par-elon-musk-le-risque-sous-estime-dune-fuite-des-utilisateurs-194033">l’acquisition de Twitter par Elon Musk</a> en octobre 2022, la plate-forme, rebaptisée X, a connu d’importants changements. Et ils vont bien au-delà de son nom et de son logo. </p>
<p>Ces modifications incluent l’introduction d’un abonnement Premium X qui offre un badge d’authentification à ceux qui le souhaitent, la réactivation de comptes auparavant suspendus pour non-respect des conditions d’utilisation, une fonctionnalité pour sauvegarder les tweets, ainsi qu’un compteur de vues affiché sous chaque publication.</p>
<p>Résultat ? X est devenu un champ de bataille où fausses nouvelles et désinformation foisonnent. Si bien que le commissaire européen au marché intérieur, Thierry Breton, a <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2017603/union-europeenne-desinformation-israel-hamas">ouvert une enquête sur le sujet</a>. En réponse à ce fléau, la plate-forme délègue désormais une partie de cette responsabilité à ses utilisateurs et utilisatrices, les plaçant en première ligne de la lutte contre la désinformation.</p>
<p>Cette initiative a-t-elle véritablement le potentiel d’être efficiente dans la lutte quotidienne contre la désinformation en ligne ?</p>
<p>Doctorante et chargée de cours à l’École des médias de l’Université du Québec à Montréal, j’étudie les médias socionumériques ainsi que la circulation et les troubles de l’information en ligne. Dans cet article, je propose une analyse critique du fonctionnement de X.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/voici-comment-elon-musk-favorise-la-desinformation-sur-x-214206">Voici comment Elon Musk favorise la désinformation sur X</a>
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<h2>Impliquer les utilisateurs</h2>
<p>Dans une optique de gestion de la désinformation, la plate-forme X a déployé graduellement une nouvelle fonctionnalité à partir de <a href="https://twitter.com/CommunityNotes/status/1601753552476438528">décembre 2022</a> : <a href="https://communitynotes.twitter.com/guide/fr/about/introduction">« les notes de la communauté »</a> (anciennement connue sous le nom de <a href="https://blog.twitter.com/en_us/topics/product/2021/introducing-birdwatch-a-community-based-approach-to-misinformation"><em>Birdwatch</em></a>, qui représentait la phase pilote du programme).</p>
<p>Bien que les motifs n’aient pas été énoncés, il y a une corrélation à faire avec les <a href="https://www.lapresse.ca/affaires/entreprises/2022-11-05/twitter-a-licencie-pres-de-4000-employes-sans-preavis-vendredi.php">licenciements de novembre 2022</a> et le <a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2022/11/16/elon-musk-reporte-le-lancement-du-nouvel-abonnement-controverse-de-twitter_6150034_4408996.html">premier lancement désastreux de <em>Twitter Blue</em></a> (maintenant Premium X). Ce dernier avait généré un lot important de fausses nouvelles et d’identités usurpées. </p>
<p>Les notes de la communauté permettent aux utilisateurs de X de contribuer activement à la lutte contre la désinformation en fournissant un contexte aux tweets potentiellement trompeurs. Si des évaluateurs suffisamment nombreux et aux avis diversifiés jugent ces notes utiles, elles deviennent alors publiques.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1720544745200484667"}"></div></p>
<p>N’importe quelle personne peut évaluer les notes. Mais, pour devenir un <a href="https://communitynotes.twitter.com/guide/fr/contributing/writing-notes">rédacteur</a> de contexte, il faut respecter certains critères : ne pas avoir contrevenu aux règles de X récemment, être membre de la plate-forme depuis au moins six mois, avoir un numéro de téléphone vérifié par un opérateur fiable et ne pas être associé à d’autres comptes de contributeurs.</p>
<p>Le programme s’appuie sur la transparence : les notes ne sont pas modifiées par X et les employés ne sont pas impliqués dans le processus, sauf en cas de violation des conditions d’utilisation ou de la politique de confidentialité. En outre, toutes les contributions sont publiées quotidiennement, et l’algorithme de classement des notes est disponible en ligne et accessible à tous.</p>
<h2>Une contribution bénévole</h2>
<p>Les notes de la communauté sont avant tout une forme de <a href="https://larevuedesmedias.ina.fr/quest-ce-que-le-digital-labor"><em>digital labour</em></a>, ou « travail numérique ». En d’autres termes, c’est une forme de travail non rémunéré qui est dissimulé dans les actions des utilisateurs de médias socionumériques, qui créent de la valeur pour le réseau social.</p>
<p>Ici, X délègue à moindres coûts le travail dont il est responsable, au lieu d’investir dans les ressources nécessaires et les technologies appropriées.</p>
<p>D’emblée, même si X continue de proposer un abonnement gratuit à ses membres, l’utilisation de cette plate-forme n’est pas dénuée de coûts. En effet, les utilisateurs investissent leur temps dans l’utilisation de la plate-forme et dans la création de contenu. Ce contenu est ensuite consommé sur X grâce à un système de recommandation algorithmique, qui suggère des contenus susceptibles d’intéresser l’utilisateur. Cette captation de l’attention est précieuse, car elle est par la suite monétisée auprès des annonceurs pour le placement publicitaire. Ce processus génère des revenus pour X, s’inscrivant ainsi dans un modèle économique basé sur <a href="https://www.worldcat.org/fr/title/892725761">l’économie de l’attention</a>.</p>
<p>De ce fait, une exigence accrue est imposée à la communauté de contributeurs aux notes : celle de contextualiser davantage les publications. Cette tâche supplémentaire s’inscrit dans la volonté de la plate-forme d’optimiser l’engagement des utilisateurs et, par conséquent, sa rentabilité. </p>
<p>Le tout est offert aux utilisateurs dans un emballage de belles valeurs : <a href="https://communitynotes.twitter.com/guide/fr/contributing/values">« contribuer de manière authentique et constructive à l’information des autres utilisateurs »</a>. </p>
<p>Mais cet apport bienveillant a un prix : temps et efforts de recherche. La vérification des faits est un travail méticuleux et méthodique, qui devrait être rémunéré.</p>
<h2>Accroître la méfiance envers les médias</h2>
<p>Bien que le concept des annotations puisse sembler séduisant et donne une première impression de libre arbitre, il est crucial de reconnaître que X a lui-même engendré la nécessité de contextualiser certaines publications. <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2017338/titres-article-presse-aveugle-twitter">Depuis le 4 octobre 2023, les publications contenant des articles de presse n’affichent plus les titres et sous-titres desdits articles</a>. Seuls l’image de l’article ainsi qu’un lien vers le média en question sont visibles en vignette.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1720434929933423093"}"></div></p>
<p>Non seulement cette censure entrave le repartage des articles et leur contextualisation, mais <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2017338/titres-article-presse-aveugle-twitter">elle crée un problème d’accessibilité pour les personnes atteintes de cécité utilisant des lecteurs d’écrans</a>. Le tout a pour effet de nuire à la circulation d’information journalistique provenant d’organes de presse sur X.</p>
<p>De plus, en s’appuyant sur un consensus d’amateurs très engagés plutôt que sur des journalistes professionnels ou des modérateurs de contenu pour identifier et démystifier le contenu problématique, X accentue le manque de confiance envers l’institution du journalisme. Et il s’agit principalement d’un choix économique. </p>
<p>Le 12 novembre 2022, Twitter a supprimé une grande partie de ses capacités de modération après avoir mis fin aux contrats de <a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2022/11/14/twitter-supprime-une-grande-partie-de-ses-capacites-de-moderation_6149773_4408996.html">4 400 prestataires, sur un total de 5 500</a>. </p>
<h2>Les dérives potentielles des notes</h2>
<p>Plusieurs possibilités de dérives des notes de la communauté sont envisageables : harcèlement, mobilisation opportune, critiques non constructives, annotations destinées à dénaturer le contenu original.</p>
<p>Prenons pour exemple cette annotation ajoutée à une publication du quotidien <em>Le Parisien</em>, qui révèle une autre forme de déviation de l’utilité des notes. </p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1692088046181654759"}"></div></p>
<p>Cette contextualisation fournit des informations supplémentaires, qui ne sont pas divulguées dans la publication X originale du <em>Parisien</em>, qui exige un abonnement pour la lecture intégrale de l’article en question. L’hyperlien de la note redirige le lecteur vers un site web que l’on peut qualifier d’« amateur », qui résume et cite le texte payant du <em>Parisien</em>. Comme l’auteur de la note et les évaluateurs demeurent anonymes, il est difficile de déterminer si ces personnes sont biaisées et ont un intérêt à orienter les lecteurs intéressés par le sujet vers un autre site Internet.</p>
<p>Nous retrouvons également les notes sur les contenus publicitaires. L’évaluation de tout type de « contenu » ouvre la voie non pas à la vérification factuelle, mais à l’expression d’opinions. Ce risque est exacerbé dans le cas des publicités politiques payantes qui sont de retour sur la plate-forme. </p>
<p><a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2023/08/30/twitter-autorise-a-nouveau-les-publicites-politiques_6187055_4408996.html">X a en effet levé l’interdiction sur ce genre de contenu publicitaire</a> le 30 août 2023, d’abord pour les États-Unis. Twitter avait initialement proscrit ces publicités en 2019 sous la direction de Jack Dorsey, alors PDG. Il affirmait à l’époque que « la portée des messages politiques devrait être gagnée, pas achetée ».</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1189634360472829952"}"></div></p>
<h2>Une défaite contre la désinformation</h2>
<p>Les chercheurs qui analysent les origines et la diffusion de la désinformation ne peuvent plus traquer automatiquement les <em>hashtags</em>, les mots-clés et d’autres données en temps réel. En février 2023, Twitter <a href="https://theconversation.com/voici-comment-elon-musk-favorise-la-desinformation-sur-x-214206">a révoqué l’accès gratuit à son interface de programmation d’application (API)</a> pour les recherches académiques. Cet outil était crucial pour la récolte et l’analyse des données.</p>
<p>Les utilisateurs de Twitter doivent désormais lutter seuls contre les troubles de l’information, et à leurs frais. </p>
<p>Les notes de la communauté ne sont qu’un accessoire supplémentaire de X pour amasser des données, entraîner ses algorithmes, maintenir la présence d’utilisateurs actifs, capter leur attention et vendre cette dernière aux annonceurs. </p>
<p>Sur la base de ce constat, la <a href="https://www.europarl.europa.eu/news/fr/agenda/briefing/2023-10-16/6/appliquer-la-loi-de-l-ue-pour-lutter-contre-la-diffusion-de-contenus-illicites">décision de X</a> de se désengager du <a href="https://digital-strategy.ec.europa.eu/fr/policies/code-practice-disinformation">code de bonnes pratiques contre la désinformation en ligne de l’Union européenne</a> apparaît comme rationnelle, compte tenu du manque de détermination manifeste à lutter efficacement contre ce fléau. Toutefois, cette démarche met également en lumière les préoccupations légitimes exprimées par le commissaire Thierry Breton face à cette situation.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/216779/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Laurence Grondin-Robillard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La plateforme X délègue désormais une partie de la lutte contre la désinformation à ses utilisateurs et utilisatrices, les plaçant en première ligne. Cette stratégie n’est pas exempte de dérives.Laurence Grondin-Robillard, Chargée de cours à l'École des médias et doctorante en communication, Université du Québec à Montréal (UQAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2169432023-11-05T18:27:09Z2023-11-05T18:27:09ZComment protéger les enfants exposés à des images de guerre violentes ?<p>Dans le monde actuel rempli d’écrans, de nombreux enfants et <a href="https://theconversation.com/fr/topics/adolescents-21823">adolescents</a> ont un accès quasi permanent aux médias. Selon des estimations américaines, les enfants d’âge scolaire passent quatre à six heures par jour à regarder ou <a href="https://www.aacap.org/AACAP/Families_and_Youth/Facts_for_Families/FFF-Guide/Children-And-Watching-TV-054.aspx">à utiliser des écrans</a>. Les adolescents passent jusqu’à neuf heures par jour sur des écrans.</p>
<p>(<em>En France, des <a href="https://fr.statista.com/statistiques/1414345/duree-utilisation-ecran-france-jeunes/">données statistiques</a> montrent une forte hausse du temps passé par les enfants mineurs devant un écran. L’augmentation la plus importante concerne la tranche 13-19 ans dont le temps passé devant un écran (télévision, jeux vidéos ou sur Internet), mesuré sur une base hebdomadaire, a augmenté de six heures par semaine entre 2011 et 2022, pour atteindre 36 heures par semaine, ndlr</em>).</p>
<p>Si les <a href="https://theconversation.com/fr/topics/medias-20595">médias</a> peuvent ouvrir la voie à l’apprentissage et favoriser les liens relationnels des enfants, ils comportent également un risque d’exposition à la violence.</p>
<p>Les médias d’information, en particulier, font courir des risques en diffusant des actualités qui traitent de guerres, de génocides, de morts violentes, de terrorisme et de souffrance, ces actualités étant couvertes de manières répétées tout au long d’un cycle d’information de 24 heures. Des recherches montrent que la violence et la criminalité font l’objet d’une <a href="https://scholarship.law.marquette.edu/mulr/vol103/iss3/14/">couverture médiatique disproportionnée</a>. Cela s’explique en partie par le fait que nous sommes attirés par ces récits ; il a été constaté que les <a href="https://www.nature.com/articles/s41562-023-01538-4">titres négatifs</a> suscitent plus d’intérêt et de clics que les titres positifs.</p>
<p>Aujourd’hui, sur Internet, les enfants et les adolescents ont accès à des images de conflits armés, d’attaques terroristes, de violences policières, de fusillades de masse et d’homicides. Les médias qui retransmettent ces informations violentes, en presse écrite, audiovisuelles ou via des vidéos peuvent être consultés à tout moment et diffusent leurs informations en boucle. Celles-ci sont accompagnées de commentaires, d’analyses et véhiculent des représentations que les enfants peuvent être susceptibles d’intérioriser.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/dossier-les-ados-face-aux-ecrans-171232">Dossier : Les ados face aux écrans</a>
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<p>En tant que <a href="https://doi.org/10.1080/15299732.2019.1572043">chercheuse en traumatologie</a> et <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/10783903231171590">infirmière en psychiatrie</a>, j’étudie l’impact des traumatismes et des traumatismes vicariants sur les enfants.</p>
<p>(<em>On parle de <a href="https://www.cairn.info/pratique-de-la-psychotherapie-emdr--9782100737802-page-269.htm">traumatisme vicariant</a> quand une personne est « contaminée » par le vécu traumatique d’une autre personne avec laquelle elle est en contact, ndlr</em>).</p>
<p>Les médias qui diffusent des informations violentes et les <a href="https://www.business-school.ed.ac.uk/research/blog/media-framing-and-how-it-shifts-the-narrative">représentations qu’ils véhiculent</a> sur Internet ne peuvent être ignorés lorsqu’il s’agit de la santé mentale des enfants. Même les parents les plus avertis, à propos des médias, ne peuvent pas totalement contrôler les contenus que leurs enfants consomment ou les représentations qu’ils intériorisent. Néanmoins, je pense que certaines mesures peuvent être prises pour en atténuer les effets.</p>
<h2>Quand la peur est amplifiée</h2>
<p>Dans certains cas, les analyses faites par les médias d’information peuvent se révéler utiles pour comprendre les événements qui font l’actualité. Mais toutes les personnes avec un accès à Internet peuvent s’exprimer, qu’il s’agisse d’experts reconnus ou d’adolescents influents sur les réseaux sociaux. Ces personnes peuvent amplifier la peur d’un enfant, sans tenir compte du contexte.</p>
<p>Après les attaques terroristes du 11 septembre 2001 aux États-Unis, des chercheurs ont inventé le terme <a href="https://psycnet.apa.org/doiLanding?doi=10.1111%2Fj.1468-2850.2007.00078.x">« terrorisme secondaire »</a> pour décrire la manière dont les représentations véhiculées par les médias d’information augmentaient la perception d’une menace et d’une situation de détresse.</p>
<p>À force d’être exposés à des médias violents et aux représentations qu’ils véhiculent, les enfants peuvent développer une <a href="https://www.nature.com/articles/s41562-023-01538-4">vision déformée</a> du monde, perçu comme un endroit dangereux et hostile. Cela peut, en retour, amener chez eux de l’anxiété et entraver leur capacité à être en confiance et à s’engager dans le monde.</p>
<p>Le sentiment de sécurité des enfants peut également être altéré, ce qui rend difficile le développement chez eux d’un sentiment d’optimisme.</p>
<p>Des études ont révélé que, parmi les enfants exposés aux médias violents sous leurs <a href="https://www.aafp.org/about/policies/all/violence-media-entertainment.html">nombreuses formes</a>, certains risquaient de souffrir d’une perte de sensibilité, de peur, d’anxiété, de troubles du sommeil, d’agression et de symptômes de stress traumatique.</p>
<h2>Comment les parents peuvent-ils réagir ?</h2>
<p>Les parents doivent concilier deux priorités opposées.</p>
<p>D’une part, il est important d’élever les enfants pour qu’ils deviennent des citoyens informés, pour qu’ils cultivent des compétences adaptées à leur âge afin qu’ils s’impliquent, de manière critique, face aux événements et aux injustices du monde. On évoquera la réalité dévastatrice des fusillades dans les écoles (<a href="https://www.courrierinternational.com/article/le-chiffre-du-jour-un-nombre-ahurissant-d-eleves-exposes-a-la-violence-par-armes-a-feu-dans-les-ecoles-americaines"><em>un nombre important de fusillades ont lieu dans des établissements scolaires aux États-Unis</em></a><em>, ndlr</em>) et d’autres lieux publics qui représentent une menace réelle pour les enfants, tout comme les conflits armés et les attaques terroristes qui ont lieu dans de nombreuses régions du monde.</p>
<p>D’autre part, les parents doivent surveiller la consommation que leurs enfants font des médias afin de réduire leur exposition à la violence et de contrôler la façon dont les enfants intériorisent des représentations fondées sur la peur, qui nuisent à leur bien-être psychologique.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/avec-de-jeunes-enfants-comment-guider-lusage-des-ecrans-153310">Avec de jeunes enfants, comment guider l’usage des écrans ?</a>
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<p>Les parents, les grands-parents, les enseignants et tous les autres adultes responsables d’enfants au sein de diverses communautés peuvent prendre des mesures pour atteindre cet équilibre délicat. Dans une vie d’enfants remplie par les médias, ils doivent offrir un cadre constant et sécurisé.</p>
<p>Tout d’abord, il est important que les adultes encouragent la réflexion critique sur ce que les enfants voient et entendent sur Internet et dans les médias. Les enfants et les adolescents doivent participer à des conversations adaptées à leur âge concernant les situations dont ils sont témoins et le contexte dans lequel surviennent des événements violents, en particulier quand ils ont lieu près de chez eux. Les conversations ouvertes, l’exploration des sentiments et la reconnaissance d’expériences vécues par les enfants et marquées par la tristesse, l’inquiétude, la colère ou la peur peuvent favoriser un dialogue réfléchi et une sécurité psychologique.</p>
<p>Ensuite, les adultes doivent veiller à fixer des limites à la consommation de médias et surveiller les contenus auxquels les enfants sont exposés. Regarder ou écouter les médias avec eux et créer un espace de discussion peut aider les enfants à donner un sens aux informations difficiles qu’ils reçoivent et cela permet aux parents de surveiller la réaction de l’enfant.</p>
<p>Enfin, les adultes doivent être des modèles pour leurs enfants concernant les médias d’information. Les enfants copient souvent le comportement de leurs parents et d’autres adultes. Nos propres <a href="https://www.insiderintelligence.com/content/us-time-spent-with-media-2019">habitudes de consommation des médias</a>, nos réactions et notre capacité à avoir une vie en ligne contrebalancée par des activités positives dans la vie réelle, cela parle aux enfants.</p>
<p>La violence du monde étant entre les mains des enfants et des adolescents, il incombe aux adultes de les guider vers une compréhension nuancée du monde, tout en leur assurant une sécurité psychologique.</p>
<p>Il est essentiel d’encourager l’esprit critique, de fixer des limites et de montrer un modèle de consommation responsable des médias.</p>
<p>Si les adultes mènent à bien ces actions des adultes, cela peut permettre à la prochaine génération de naviguer dans un monde de plus en plus complexe et interconnecté, en faisant preuve d’empathie, de résilience émotionnelle et d’esprit critique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/216943/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Kristen Choi est financée par les National Institutes of Health et la Gordon and Betty Moore Foundation.</span></em></p>À force d’être exposés à des médias violents et aux représentations que ces médias véhiculent, les enfants peuvent développer une vision déformée du monde, perçu comme un endroit dangereux et hostile.Kristen Choi, Assistant Professor of Nursing & Public Health, University of California, Los AngelesLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2166642023-11-02T20:57:59Z2023-11-02T20:57:59ZSport féminin : les médias sociaux ont-ils réussi là où les médias traditionnels ont échoué ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/556605/original/file-20231030-19-owtjmy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=70%2C19%2C1115%2C777&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Serena Williams, l’une des sportives américaines les plus présentes sur les réseaux sociaux.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/bosstweed/9666265544">Boss Tweed/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Les médias sociaux (terme qui désigne les <a href="https://theconversation.com/fr/topics/reseaux-sociaux-20567">réseaux sociaux</a> comme Facebook ou Instagram, mais aussi les sites de partage de contenus, les blogs ou les forums) ont ouvert de nouvelles voies aux athlètes féminines, qui peuvent désormais non seulement montrer leurs prouesses athlétiques, mais aussi façonner leur <a href="https://theconversation.com/pourquoi-creer-son-image-de-marque-personnelle-110164">« marque personnelle »</a> (<em>personal branding</em>).</p>
<p>Par exemple, la superstar du tennis Serena Williams, retraitée des courts depuis octobre 2022, n’est pas seulement connue pour ses talents de joueuse mais aussi pour sa forte présence sur les médias sociaux. L’Américaine aux 23 titres du Grand Chelem utilise des <a href="https://theconversation.com/fr/topics/plates-formes-31157">plates-formes</a> telles qu’Instagram et Twitter pour partager son parcours de mère, ses projets de mode et son plaidoyer en faveur de <a href="https://www.marca.com/en/tennis/us-open/2022/09/02/63117a05e2704e4e188b4579.html">l’égalité des sexes dans le sport</a>. La joueuse a ainsi été une figure de proue dans la lutte pour les droits des femmes dans le tennis, et sa présence sur les médias sociaux lui a permis d’étendre son influence au-delà du court.</p>
<p>Un autre exemple est celui de Megan Rapinoe, membre de l’équipe nationale féminine de football des États-Unis, qui a été reconnue non seulement pour ses talents de footballeuse, mais aussi pour son activisme social et politique. La joueuse utilise notamment les médias sociaux pour s’exprimer sur des questions telles que l’égalité des sexes, les droits des personnes <a href="https://olympics.com/en/news/megan-rapinoe-lgbtq-community-inspiration">LGBTQI+</a> et la justice raciale.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1654567971337977856"}"></div></p>
<p>Le troisième cas est celui de Simone Biles, une sensation de la gymnastique, qui s’est emparée des médias sociaux pour inspirer ses adeptes et se rapprocher d’eux. La gymnaste américaine partage ses routines, ses séances d’entraînement et ses moments personnels. Elle s’exprime également sur des questions telles que la <a href="https://www.turnbridge.com/news-events/latest-articles/simone-biles-mental-health/">santé mentale</a>, l’autonomisation des jeunes filles et la positivité du corps.</p>
<h2>Le sport féminin sous-représenté dans les médias traditionnels</h2>
<p>Mais qu’est-ce qui pousse les consommateurs à suivre ces athlètes féminines sur les plates-formes ? Nous avons publié une <a href="https://cgscholar.com/bookstore/works/instagram-users-motives-of-social-media-engagement-with-female-athletes?category_id=cgrn&path=cgrn%2F282%2F287">étude</a> sur ces motivations, qui révèle également comment ces <a href="https://theconversation.com/fr/topics/influenceurs-81090">influenceurs</a> s’emparent de ces outils pour s’émanciper du traitement historiquement réservé au <a href="https://theconversation.com/fr/topics/sport-feminin-113654">sport féminin</a>.</p>
<p>L’idée est que, tout au long de l’histoire, les athlètes féminines ont souvent été <a href="https://www.thenation.com/article/archive/slide-show-6-ways-media-represents-female-athletes/">jugées davantage pour leur apparence</a> que pour leurs compétences athlétiques dans les médias grand public. Cette focalisation erronée a créé une <a href="https://www.sportanddev.org/latest/news/15-rules-sports-media-representation-female-athletes">pression supplémentaire</a> pour les athlètes féminines, souvent au détriment de leurs véritables capacités et de leur potentiel. Cette situation a longtemps entretenu un <a href="https://rm.coe.int/bis-factsheet-gender-equality-sport-media-en/1680714b8f">manque persistant d’égalité</a> entre les hommes et les femmes dans le sport.</p>
<p>En fait, les sports féminins ont été globalement <a href="https://insider.fitt.co/changing-the-game-a-new-era-in-womens-sports/">mis à l’écart</a>, confrontés à des problèmes de sous-représentation ou de sous-financement par rapport aux sports masculins. Mais les médias sociaux contribuent désormais à changer la donne. Les athlètes féminines disposent en effet des outils nécessaires pour développer leurs propres récits, définir leur identité et amplifier leur voix.</p>
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<p>En créant du contenu et en interagissant avec les fans, ces athlètes ne sont donc plus seulement reconnues pour leurs prouesses sur le terrain : elles encouragent <a href="https://www.heraldsun.com.au/sport/womens-sport/insight/social-media-posts-pay-up-to-50k-each-for-australian-athletes-who-tops-the-rich-list/news-story/711551b4917ebd64473fb0a15b279079">l’esprit d’entreprise</a>, le sens de la communauté et l’autonomisation de leurs <em>followers</em>.</p>
<p>Par exemple, Olivia Dunne, gymnaste de l’université d’État de Louisiane, influenceuse et mannequin pour le magazine Sports Illustrated, a lancé le Livvy Fund en juillet 2023 pour aider les athlètes féminines de son université à obtenir des contrats de <a href="https://deadline.com/2023/07/lsu-gymnast-and-influencer-olivia-dunne-sets-fund-to-promote-lsu-women-college-athletes-1235432481/">nom, d’image et de licence (NIL)</a>. Dunne, considérée comme l’une des athlètes féminines les mieux payées en raison de ses gains considérables sur les médias sociaux, cherche ainsi à partager ses connaissances du secteur et ses relations avec d’autres étudiantes-athlètes et à élever le sport féminin dans le processus.</p>
<p><div data-react-class="TiktokEmbed" data-react-props="{"url":"https://www.tiktok.com/@livvy/video/7278801190639537454 ?lang=fr"}"></div></p>
<p>Alors que les médias traditionnels n’ont pas réussi à capturer la véritable essence des athlètes féminines, les médias sociaux ont semble-t-il été en mesure d’ouvrir la voie à cet égard. Les consommateurs se sont ainsi détournés de la tendance des médias traditionnels à se focaliser sur l’apparence des athlètes féminines plutôt que sur leurs exploits sportifs.</p>
<h2>Au-delà des performances sportives</h2>
<p>En effet, les médias sociaux ont pu développer de nouveaux types de liens entre les consommateurs et leurs idoles.</p>
<p>D’abord, <strong>l’inspiration et l’autonomisation</strong> (<em>empowerment</em>) : de nombreuses personnes, en particulier les jeunes filles, considèrent les athlètes féminines comme des figures d’inspiration. Elles admirent le dévouement, le travail acharné et la persévérance dont ces athlètes font preuve dans leur carrière sportive. Les athlètes féminines utilisent les médias sociaux pour partager leurs histoires personnelles, leurs luttes et leurs réussites, ce qui constitue une source de motivation et d’encouragement pour ceux qui les suivent.</p>
<p>De même, de nombreuses athlètes féminines représentent des groupes sous-représentés dans le monde du sport, tels que les femmes, les personnes de couleur et la communauté LGBTQI+. Les fans sont attirés par ces athlètes parce qu’elles incarnent l’esprit d’autonomisation et de dépassement des barrières. Les fans peuvent s’identifier à leur parcours et éprouver un sentiment de fierté à soutenir des athlètes qui remettent en cause le statu quo.</p>
<p>Les <em>followers</em> apprécient également <strong>l’authenticité et les liens créés par le biais du divertissement</strong> : les médias sociaux offrent en effet une ligne de communication directe entre les athlètes et leurs fans. Les athlètes féminines utilisent ces plates-formes pour donner à leurs fans un aperçu des coulisses de leur vie, de leurs routines d’entraînement et des défis quotidiens auxquels elles sont confrontées. Cette authenticité aide les fans à se connecter à un niveau plus personnel, ce qui rend les athlètes accessibles.</p>
<p>Dans le même ordre d’idées, le divertissement peut également provenir de l’esprit de communauté créé par les athlètes sur les médias sociaux. Les fans se divertissent en se connectant avec des personnes partageant les mêmes idées et en partageant leur enthousiasme pour les athlètes et les sports qu’ils aiment.</p>
<p>Enfin, <strong>le militantisme par le biais de la popularité</strong> constitue un dernier levier d’engagement des utilisateurs de médias sociaux : les athlètes féminines tirent souvent parti de leur notoriété pour défendre des causes sociales et politiques importantes. Cela permet non seulement de sensibiliser les gens, mais aussi de les encourager à les suivre pour qu’ils relayent à leur tour les messages.</p>
<p>Ce faisant, les athlètes féminines, autrefois peu appréciées, transforment aujourd’hui le paysage sportif, inspirent une nouvelle génération, défendent une culture d’égalité et de respect. Leurs activités en ligne ont un impact positif sur le développement de jeunes talents dans une variété de sports.</p>
<p>De cette manière, ces sportives brisent les barrières, créent une image accessible et alignent leur marque sur des causes sociales et politiques importantes, attirant ainsi des supporters qui partagent leurs valeurs et leurs croyances. En ce sens, ils établissent une marque personnelle polyvalente et durable qui va au-delà de leurs performances sur le terrain.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/216664/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Depuis quelques années, les athlètes de haut niveau s’emparent des plates-formes comme Instagram ou TikTok pour changer la perception du public sur l’image traditionnellement véhiculée.Helmi Issa, Professeur assistant, Burgundy School of Business Roy Dakroub, UX Research Manager - Sports Research Lead at EPAM Systems, Adjunct Professor, Neoma Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2156152023-10-25T16:00:05Z2023-10-25T16:00:05ZLinguistique, éducation… Quand les médias confondent opinion et expertise<blockquote>
<p>« Moi je suis amoureux de la langue française. J’ai envie que la langue française reste comme elle est. Je ne vois pas pourquoi on transformerait. Je suis partisan de la richesse, de la beauté des mots comme on les a lus, comme on les a appris ! »</p>
</blockquote>
<p><a href="https://www.youtube.com/embed/bmCfj9QTd8A">Cette récente saillie de Pascal Obispo</a> signe une tendance largement partagée : les individus sont souvent amenés à penser que leur expérience personnelle leur confère une expertise dans un domaine. C’est particulièrement le cas pour la langue et l’éducation. Les médias partageraient-ils cette perception ? Ils font facilement appel aux chercheurs pour traiter des actualités liées à la santé, à la politique et à l’économie, mais on observe une certaine confusion lorsqu’il s’agit d’aborder des sujets relevant d’autres sciences humaines et sociales.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/bmCfj9QTd8A?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p><a href="https://theconversation.com/lexpertise-en-sciences-ou-comment-se-decide-ce-qui-est-publiable-noblesse-et-de-rives-77925">L’expertise des chercheurs</a> a-t-elle la même fonction que d’autres discours sur les plateaux télévisés ? Plutôt que de s’intéresser directement au statut des individus (experts, chercheurs, etc.), les sciences du langage analysent la manière dont les discours publics sont perçus. On examinera ici le statut de ces discours d’expertise en cherchant à comprendre leur nature – oscillant entre opinion basée sur une expérience personnelle et expertise répondant aux critères scientifiques de la recherche – et leur positionnement dans les débats publics.</p>
<p>Prenons le cas de l’analyse de la langue, qui fait l’objet <a href="https://www.slate.fr/story/199326/medias-linguistique-langue-vulgarisation-reseaux-sociaux-youtube-podcasts">d’un intérêt particulier dans les médias</a> en France. Cet engouement est étayé par la participation de différents linguistes aux questions sociétales : <a href="https://www.youtube.com/watch?v=m5Ia-CxaD00">Maria Candea</a> sur le fait que le langage est politique, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=3D_ABYMMPak">Philippe Blanchet</a> concernant la glottophobie, <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/les-chemins-de-la-philosophie/les-chemins-de-la-philosophie-du-vendredi-04-fevrier-2022-2334444">Bernard Cerquiglini</a> ou <a href="https://www.youtube.com/watch?v=7PW8pPWCkKk">Anne Abeillé</a> sur l’évolution des langues, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=PtkujdTDv2o">Mathieu Avanzi</a> sur le français de nos régions, Jean Pruvost sur les <a href="https://www.lefigaro.fr/langue-francaise/actu-des-mots/jean-pruvost-notre-passion-pour-la-langue-et-les-dictionnaires-est-liee-a-notre-histoire-20211227">dictionnaires</a> et <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/la-chronique-linguiste-de-laelia-veron">Laélia Véron</a> sur la langue dans une <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/la-chronique-linguiste-de-laelia-veron">chronique radio humoristique</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1695366975675924629"}"></div></p>
<p>Cette présence médiatique peut sembler importante, mais elle se concentre sur des thématiques spécifiques, parfois en raison d’une actualité brûlante : la <a href="https://theconversation.com/ecriture-inclusive-un-premier-bilan-de-la-controverse-147630">polarisation autour de certaines évolutions de la langue</a>, par exemple. Et elle reste périphérique. Sur cette thématique, les <a href="https://shs.hal.science/halshs-00731499/document">« experts-profanes »</a> sont légion. Pour le média Slate.fr, l’Académie française <a href="http://www.slate.fr/story/199326/medias-linguistique-langue-vulgarisation-reseaux-sociaux-youtube-podcasts">« comblerait également un vide médiatique laissé par les sciences du langage »</a>. En effet, celle-ci <a href="https://theconversation.com/debat-lecriture-inclusive-un-peril-mortel-vraiment-86522">critique régulièrement les évolutions de la langue française</a> dans une vision décliniste. Or, sa légitimité à parler de la langue est <a href="https://lactualite.com/societe/trop-de-romanciers-pas-assez-de-linguistes/">régulièrement mise en cause du fait de l’écrasante majorité de non-linguistes en son sein</a>. Lassé de la « désinformation sur la langue » et des « paniques morales propagées sans rencontrer de discours contradictoire », le collectif des <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/tracts-le-podcast/les-linguistes-atterres-repenser-les-debats-sur-le-francais-6935492">linguistes atterré·e·s</a> publie en 2023 un court ouvrage revendiquant que <a href="https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Tracts/Le-francais-va-tres-bien-merci">« le français va très bien, merci ! »</a> Mais ce tract est rapidement contesté par une tribune dans <em>Le Figaro</em> intitulée <a href="https://www.lefigaro.fr/langue-francaise/actu-des-mots/le-francais-ne-va-pas-si-bien-helas-20230524">« Le français ne va pas si bien, hélas »</a>.</p>
<p>Maria Candea remarque que les médias ont peu tendance à se tourner vers des linguistes (ou leurs travaux) pour vérifier, au moyen de données issues de la recherche, des idées communément admises alors qu’il s’agit parfois de lieux communs.</p>
<h2>Sur les plateaux, opinion = expertise ?</h2>
<p>Dans les médias, opinions et expertises semblent par moments se valoir. Une émission <a href="https://www.publicsenat.fr/emission/deshabillons-les">« Déshabillons-les »</a> propose ainsi :</p>
<blockquote>
<p>« Des images décodées et mises en perspective par des experts qu’ils soient communicants, linguistes, psychologues, politologues mais aussi par les politiques eux-mêmes. »</p>
</blockquote>
<p>On note cependant parfois un mélange des genres avec une confusion sur ce que serait un discours d’expert, comme c’est le cas d’une tentative d’analyse de l’anglais du président Emmanuel Macron par une intervenante dont « l’expertise » viendrait de sa nationalité (américaine) et son métier (enseignante d’anglais). Le discours se transforme rapidement en une évaluation relativement imprécise, basée sur des arguments intuitifs plutôt que sur une grille de lecture spécifique :</p>
<blockquote>
<p>« C’est pas un accent tout à fait français, ni c’est un accent qui est un peu… c’est comme… il essaie un peu trop d’avoir un accent et des fois ça passe pas. »</p>
</blockquote>
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<p><a href="https://larevuedesmedias.ina.fr/invites-des-talk-shows-et-emissions-de-divertissement-tous-les-memes">L’INA</a> a répertorié les intervenants sur l’éducation dans les médias entre 2010 et 2015. Si sur 72 intervenants, une quarantaine sont enseignants-chercheurs, seuls trois ont une spécialité en lien direct avec l’éducation (formation des enseignants, sciences de l’éducation). Douze se dédient à la politique, onze aux lettres/littérature, six à l’histoire géographie, quatre à la philosophie et c’est le reflet du prisme pris par les médias sur cette question. Dix-huit enseignants (dont une partie importante d’agrégés) ont également été invités. Ces intervenants combinent la plupart du temps leur fonction académique avec celle de politique, écrivain, essayiste, éditeur ou encore réalisateur – ce qui brouille encore plus la fonction de ces discours.</p>
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<p>Même des chaînes qui ne courent pas après le divertissement du spectateur tombent dans ce travers. En 2023, sur Public Sénat, pour une émission sur la thématique <a href="https://www.youtube.com/watch?v=9jEve-Ckkac">« École : des réformes passéistes »</a> les invités sont un sénateur, une éditorialiste, une agrégée d’histoire-géographie et un ancien professeur d’anglais ayant quitté l’Éducation nationale. </p>
<p>Ce dernier, qui est invité à l’occasion de la <a href="https://editions.flammarion.com/lex-plus-beau-metier-du-monde/9782080298119">sortie de son livre</a>, relate sa formation d’il y a plus de 10 ans, sans que ne soit mise en perspective une vision sur les multiples réformes engagées dans cette période (masterisation, création des écoles supérieures du professorat et de l’éducation puis INSPE) qui ont bouleversé la formation initiale et continue des enseignants. Il s’agit donc, tel qu’il est présenté, d’un discours de témoignage basé sur l’expérience vécue, et non d’une expertise ayant une vocation de généralisation.</p>
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<p>Même constat en septembre 2023, lorsque le ministre de l’Éducation nationale Gabriel Attal réintroduit des sujets récurrents dans le débat public : <a href="https://www.lepoint.fr/education/gabriel-attal-annonce-une-serie-de-mesures-pour-renforcer-l-ecrit-des-eleves-15-09-2023-2535594_3584.php">port de l’uniforme, séparation de groupes de niveaux, (re)création d’une École Normale, etc.</a> Si les réactions à ces annonces de la part des acteurs du terrain de l’éducation <a href="https://www.cafepedagogique.net/2023/10/06/annonces-dattal-reactions-syndicales/">ont été nombreuses</a>, l’absence de visibilité des chercheurs du domaine (sciences de l’éducation et de la formation, didactique des différentes disciplines) et plus encore des formateurs des Instituts Nationaux Supérieur du Professorat et de l’Éducation (INSPE, ex–Ecole Normale ou IUFM) pose question, puisqu’ici encore leurs discours ne sont pas médiatisés.</p>
<h2>Prendre la parole à la TV : un combat de voix</h2>
<p>Les médias, forts de la nécessité de maintenir l’attention du public par le spectacle, peuvent considérer ces sujets en sciences humaines (la langue, l’école) comme des <a href="https://www.huffingtonpost.fr/julien-longhi/assez-des-mots-pretextes-en-cette-rentree-politique-comment-penser-le-renouvellement-de-l-analyse-politique_a_23511609/">« prétextes »</a>, en orientant leur traitement vers des approches clivantes. Pour cela, le recours à des invités dont le discours est tranché (notamment en pour/contre) s’avère un bon moyen de générer des débats voire des <a href="https://www.theses.fr/2012LYO20088">polémiques</a>, alors même que le discours scientifique fait une place centrale au doute. Avec cette concurrence effrénée des « experts plateaux » parfois autoproclamés, friands de médiatisation quel que soit les sujet, les connaissances médiées deviennent plus superficielles, et les discours d’informations peuvent alors relever de <a href="https://www.youtube.com/watch?v=f89WVeqWe-M">l’ultracrépidarianisme, c’est-à-dire « l’art de parler de ce qu’on ne connaît pas »</a>.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/f89WVeqWe-M?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Or, la temporalité des sciences n’est pas celle des médias, et la posture des experts-chercheurs diffère des autres experts, puisque si la <a href="https://www.cairn.info/revue-hermes-la-revue-2012-3-page-9.htm">« recherche vise à augmenter progressivement, suivant un rythme souvent lent, le stock de connaissances, l’expertise se fait sur le temps court »</a>. Et l’expertise est d’ailleurs tributaire d’une instance qui la sollicite : le discours scientifique nécessite une mise en débat avec les pairs, une prise en compte précise des connaissances actuelles et évolutions possibles. Les experts-chercheurs délivrent ainsi une analyse située, ce qui nécessite une méthodologie, des outils théoriques, et un peu plus de temps parfois que ne peuvent exiger les agendas médiatiques.</p>
<p>Cette réflexion n’amène pas à penser qu’il y aurait une hiérarchisation à faire entre les discours dans les médias. Elle s’intéresse à la manière dont ces discours peuvent être perçus comme plus ou moins experts et leur impact sur l’opinion. À ce titre, notons qu’il existe une hiérarchisation implicite de ces discours. On ne permet pas à certains de s’exprimer, par exemple, les « jeunes » qui <a href="https://www.lefigaro.fr/langue-francaise/expressions-francaises/2017/09/29/37003-20170929ARTFIG00003-l-appauvrissement-du-francais-est-en-marche.php">« appauvriraient la langue »</a>, tandis que la perception du discours des autres peut être biaisée par des représentations – les enseignants qui <a href="https://www.researchgate.net/publication/281831286_LA_RESISTANCE_AU_CHANGEMENT_UN_CONCEPT_DESUET_ET_INVALIDE_EN_EDUCATION_Resistance_to_change_an_outdated_and_invalid_concept_in_education">« résisteraient en permanence au changement »</a>. Le rôle de l’expert-chercheur en sciences du langage est aussi d’analyser ces rapports de pouvoir et parfois de les rééquilibrer.</p>
<p>En matière d’éducation ou de langue, la multiplication conséquente des <a href="https://shs.hal.science/halshs-00731499/document">« experts-profanes »</a> pose des questions pour le débat public, notamment face aux (non) interventions des experts-chercheurs. Si le « profane » ne doit pas être <a href="https://www.cairn.info/revue-questions-de-communication-2010-1-page-19.htm">« condamné à vivre sous tutelle des experts, à ne pas penser par lui-même »</a>, la mise en valeur des <a href="https://u-bourgogne.hal.science/hal-01622245/document">méthodes scientifiques auprès du grand public</a> dans les médias pourrait amener à l’identification d’experts en éducation ou en langues. Cela clarifierait, sans forcément tout résoudre, la distinction entre expertise et opinion, notamment sur des sujets qui se trouvent simplifiés ou caricaturés.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/215615/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>L’engouement des médias pour les chercheurs semble être à géométrie variable. S’il est légion dans certains domaines, en linguistique et éducation, la parole d’usagers qui se sentent experts domine.Grégory Miras, Professeur des Universités en didactique des langues, Université de LorraineJulien Longhi, Professeur des universités en sciences du langage, AGORA/IDHN, CY Cergy Paris UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2161302023-10-25T14:59:50Z2023-10-25T14:59:50ZLa confiance envers les médias au Québec varie beaucoup selon le parti politique auquel on s’identifie<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/555621/original/file-20231024-23-uocdqx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C7326%2C4880&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Une enquête inédite associe l'adhésion à un parti politique et la confiance - ou non - dans les médias. Les citoyens aux extrémités de l'échiquier politique sont les plus méfiants.</span> <span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span></figcaption></figure><p>Dans plusieurs sociétés démocratiques, la multiplication de sondages <a href="https://reutersinstitute.politics.ox.ac.uk/digital-news-report/2023">ne cesse de confirmer une chute de la confiance des citoyens envers les médias</a> et les journalistes. Le Québec ne fait pas exception.</p>
<p>La plupart des sondages se limitent à des questions très générales sur la confiance, une notion somme toute imprécise. Mais une vaste enquête réalisée en avril 2023 par moi-même et la collègue Marie-Ève Carignan, de l’Université de Sherbrooke, a recouru à une variable majeure à prendre en considération, soit l’affiliation partisane. <a href="https://www.uottawa.ca/notre-universite/toutes-nouvelles/credibilite-medias-est-baisse-au-quebec-revele-vaste-enquete">Voici le rapport complet issu de cette recherche</a>. </p>
<p>Nous avons utilisé des indicateurs reconnus, par le biais de 40 questions et propositions précises. Elle a été réalisée avec le panel en ligne Léger Opinion (LEO), auprès d’un échantillon représentatif de 1 598 Québécois et Québécoises.</p>
<p>Il est inédit au Québec, à ma connaissance, de considérer l’affiliation partisane comme facteur pertinent de l’évaluation des médias, chose pourtant coutumière aux <a href="https://news.gallup.com/poll/403166/americans-trust-media-remains-near-record-low.aspx">États-Unis</a>. Au Québec, on estime que le <a href="https://www.lapresse.ca/affaires/chroniques/2022-09-17/cadres-financiers/comment-la-gauche-et-la-droite-jouent-avec-nos-finances.php">cadre financier des formations politiques, lors d’élections générales</a>, permet de les situer sur l’axe idéologique gauche droite. C’est ainsi qu’on retrouve respectivement Québec Solidaire (QS), le Parti Québécois (PQ), le Parti Libéral du Québec (PLQ), la Coalition Avenir Québec (CAQ) et le Parti conservateur du Québec (PCQ).</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-confiance-des-canadiens-envers-les-medias-a-son-plus-bas-184998">La confiance des Canadiens envers les médias à son plus bas</a>
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<h2>Plus de méfiance aux extrêmes de l’échiquier politique</h2>
<p>La confiance est une évaluation globale qu’on élabore sur la base de perceptions et d’expériences vécues directement ou rapportées par des tiers. Elle n’a pas la même signification pour chacun et chacune. C’est une notion polysémique. De là l’importance de se pencher sur certaines de ses composantes.</p>
<p>Quand il est question de médias d’information, la confiance comme la méfiance se manifestent surtout quant à la perception de l’indépendance et de la neutralité des journalistes. Cela est nettement plus visible chez les répondants qui affichent une préférence pour le PCQ. Par exemple, quand il est question de l’influence des préférences politiques des journalistes dans leur travail d’information, près de la moitié des gens s’identifiant au PCQ estiment que cela arrive souvent.</p>
<p>Ce sont également eux qui estiment davantage que les journalistes ne résistent ni aux pressions de l’argent ni aux pressions des partis politiques et du pouvoir politique comme le montrent les deux graphiques suivants.</p>
<p>C’est aussi à droite du spectre idéologique que se manifeste la méfiance envers les aides publiques accordées aux médias d’information. Ils sont suivis de loin par les gens s’identifiant à QS, probablement pour des raisons différentes qu’il faudrait explorer éventuellement.</p>
<p>Les personnes sondées ne se font pas trop d’illusions quant à l’influence des annonceurs sur le travail journalistique, mais dans ce cas-ci, les gens s’identifiant à QS ne sont pas très loin de ceux du PCQ.</p>
<p>Faut-il s’étonner de constater que les perceptions varient considérablement en fonction du positionnement idéologique quand vient le temps de se prononcer sur l’orientation idéologique des médias ?</p>
<p>La méfiance s’observe aussi dans la préférence déclarée envers les médias traditionnels ou les médias sociaux. On peut anticiper que plus on se méfie des premiers, plus on aura tendance à s’informer auprès des seconds. Cela se vérifie dans le graphique suivant :</p>
<p>Finalement, quand on leur demande de se prononcer sur une échelle d’intensité (où 1 signifie désaccord total et 5 signifie accord total avec la proposition soumise), les moyennes des répondants et répondantes à droite du spectre idéologique se démarquent nettement. Les deux graphiques suivants l’illustrent à leur tour.</p>
<h2>Deux sources de méfiance : l’ignorance et la connaissance des médias</h2>
<p>À la lumière de ces résultats, je crois qu’au lieu de se contenter de questions aussi générales qu’imprécises pour mesurer le niveau de confiance/méfiance envers les médias et les journalistes, il est préférable de recourir à des indicateurs reconnus d’une part, et chercher d’autre part des variables qui permettent d’y voir plus clair.</p>
<p>Pour mieux comprendre ce qui motive la méfiance envers les médias, l’affiliation partisane, avec ce qu’elle charrie de convictions idéologiques et normatives, est des plus pertinentes.</p>
<p>Par ailleurs, on présume trop souvent que la méfiance repose sur un manque de littératie des médias, et que combler cette méconnaissance <a href="https://www.ledevoir.com/lire/798246/coup-d-essai-redorer-blason-medias">serait « LA » solution</a>. Or, s’il existe bien une méfiance basée sur l’ignorance ou des a priori idéologiques, il y a aussi une méfiance « éclairée ». </p>
<p>En effet, il est permis de croire que bon nombre de gens très familiers avec les journalistes (personnalités publiques, relationnistes, chercheurs, journalistes, <a href="https://ecosociete.org/livres/la-collision-des-recits">essayistes</a>, etc.) sont loin de leur accorder une grande confiance. Bien souvent, ces acteurs expriment leurs doutes quant à la véracité ou l’indépendance des journalistes et des médias. Ils le font dans des <a href="https://www.quebec-amerique.com/index.php?id_product=10528&controller=product&search_query=intox&results=1">essais</a>, des entrevues, des biographies ou mémoires, des <a href="https://www.lapresse.ca/debats/opinions/2021-11-16/confiance-envers-les-medias/ca-ne-va-pas-dans-le-bon-sens-groupe.php">interventions publiques</a> et, bien entendu, sur les médias sociaux.</p>
<p>Le sondage a aussi révélé que 41 % des répondants et répondantes estiment qu’il y a trop de chroniques, alors que 34 % croient que les journalistes sont réceptifs à la critique, et 41 % qu’ils essaient de cacher leurs erreurs. Ces facteurs ne favorisent ni la confiance ni la crédibilité, qui est une autre notion critique quand il est question d’information.</p>
<h2>L’intensité des convictions idéologiques, une variable déterminante</h2>
<p>Pour l’instant, on doit conclure que la méfiance envers les médias et leurs journalistes est nettement plus accentuée à droite du spectre idéologique qu’à gauche. C’est à droite qu’on fait le moins confiance à bon nombre d’acteurs et d’institutions (experts, scientifiques, justice, système démocratique, gouvernements, institutions internationales et médias locaux).</p>
<p>Les répondants du centre gauche (PQ) comme du centre droit (PLQ et CAQ), leur font davantage confiance, mais dans tous les cas, elle est fragile.</p>
<p>Il y aurait lieu d’explorer comment la confiance envers les médias et leurs journalistes varie, non seulement en fonction de l’affiliation partisane, mais aussi selon divers enjeux qui font réagir l’opinion publique. En demandant, par exemple, à quel média on fait confiance lorsqu’il est question d’immigration, d’environnement, de santé, de politique ou d’économie, on pourrait mieux observer les fluctuations au sein de groupes de répondants s’identifiant à un parti politique ou un autre.</p>
<p>Par ailleurs, une méthode qualitative (par enquête ou entrevues) permettrait de mieux comprendre les multiples raisons que mobilisent nos répondants. Cela pourrait expliquer les écarts qui existent surtout chez ceux s’identifiant au Parti conservateur, mais aussi, dans une moindre mesure chez ceux de Québec Solidaire : sentiment d’hostilité des médias envers eux ou leurs convictions, méfiance des élites, cynisme, mauvaises expériences avec des journalistes, méconnaissance des médias, facteurs culturels ou socio-économiques, etc.</p>
<p>Quand il est question de faire confiance aux médias et à leurs journalistes, ou de s’en méfier, on ne peut pas écarter l’hypothèse que l’intensité des convictions idéologiques, morales et politiques soit une variable déterminante.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/216130/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marc-François Bernier (Ph. D.) est membre de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ). L'analyse soumise n'est liée à aucun financement. Le sondage a été réalisé avec ma collègue Marie-Ève Carignan (Université de Sherbrooke) dans le cadre de nos activités universitaires. Le Ministère de la Culture et des Communications du Québec a versé une subvention de recherche uniquement pour couvrir les frais de la firme Léger Marketing.</span></em></p>Pour mieux comprendre ce qui motive la méfiance envers les médias, il faut regarder du côté de l’affiliation partisane des citoyens, et de la manière dont les convictions idéologiques l’influencent.Marc-François Bernier (Ph. D.), Professeur titulaire au Département de communication de l'Université d'Ottawa, spécialisé en éthique, déontologie et sociologie du journalisme, L’Université d’Ottawa/University of OttawaLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2152792023-10-24T17:12:44Z2023-10-24T17:12:44ZÀ l’école, apprendre à évaluer l’information dans un monde numérique<p>Sujet relativement marginal il y a une vingtaine d’années, <a href="https://theconversation.com/in-extenso-decrypter-linfo-sur-ecran-ca-sapprend-155506">l’évaluation de l’information sur Internet</a> est aujourd’hui un enjeu majeur pour notre société. Le nombre très important de messages frauduleux, douteux ou biaisés publiés tous les jours sur les réseaux sociaux et sur le web en général rend tout un chacun vulnérable à la désinformation. On l’a vu avec des sujets d’actualité comme la vaccination contre le <a href="https://theconversation.com/science-et-Covid-19-pourquoi-une-telle-crise-de-confiance-147808">Covid-19</a>, les <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/le-choix-franceinfo/election-au-bresil-une-campagne-de-fake-news-et-de-desinformation-dans-le-camp-bolsonaro-comme-dans-celui-des-partisans-de-lula_5425105.html">élections présidentielles au Brésil</a>, ou encore la <a href="https://www.la-croix.com/France/Guerre-Ukraine-France-denonce-vaste-campagne-desinformation-provenance-Russie-2023-06-13-1201271314">guerre en Ukraine</a>.</p>
<p>Si l’évaluation est plus que jamais essentielle à tous les citoyens, et ce dès le plus jeune âge, elle est aussi une compétence complexe. Elle requiert des connaissances sur les règles de publication sur Internet et les critères de fiabilité de l’information, mais aussi une motivation et des habilités métacognitives, c’est-à-dire la capacité à réfléchir sur ses actions et à les réguler. Ces compétences posent de nombreux défis aux internautes et interrogent le rôle de l’école.</p>
<h2>Aller au-delà des indices superficiels</h2>
<p>Prenons le cas d’un élève de CM2 qui a pour consigne de trouver des informations sur les causes du réchauffement climatique sur Internet pour une présentation en classe. Après avoir saisi des mots-clés dans un moteur de recherche, il trouve plusieurs articles en apparence intéressants. L’un d’entre eux s’intitule « Les zones climatiques : causes et conséquences ». Des <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0959475210000216">recherches</a> auxquelles j’ai pu contribuer montrent que le fait de trouver des mots-clés de la requête dans le titre de l’article augmente beaucoup les chances que l’élève considère l’article comme pertinent pour sa recherche, alors même que celui-ci ne traite pas de son sujet…</p>
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<p>Jusqu’à un certain âge et niveau scolaire, les élèves se laissent influencer très facilement par des indices superficiels, tels que la présence de mots-clés, la taille et le type de police de caractères utilisés dans les pages de résultats de recherche. Vers la fin du collège, ces effets s’atténuent considérablement, mais d’autres défis de l’évaluation prennent le pas, tels que le fait de ne pas savoir ce qu’il faut évaluer exactement quand on demande de juger la fiabilité d’une page web pour une recherche.</p>
<p>Ainsi, dans une <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0360131517301252">étude menée auprès d’élèves de troisième en France et en Allemagne</a>, publiée dans la revue <em>Computers & Education</em>, mes collègues et moi-même avons montré que la quasi-totalité des participants ne prête pas attention à la source des informations lorsqu’on leur demande de répondre à une question telle que « L’aspartame est-il mauvais pour la santé ? » à partir de quatre pages web sur le thème. Ils se centrent sur le contenu des articles, alors même que certains sites ont un conflit d’intérêts notoire vis-à-vis du sujet (par exemple, un fabricant de sodas qui contiennent de l’aspartame).</p>
<p>Interrogés sur les raisons pour lesquelles ils ne prêtent pas attention à la source de l’information, les élèves évoquent le manque de consignes explicites de la part de l’enseignant, le type de tâche et leur motivation personnelle à trouver des informations fiables sur le sujet.</p>
<p>Pour autant, ils ne sont pas insensibles ni incapables de percevoir les enjeux liés à la source pour l’évaluation de la fiabilité de l’information. Lorsqu’on leur pose la question directement, ils perçoivent rapidement le conflit d’intérêts derrière certaines sources. Le problème est que la recherche d’informations et la consultation quotidienne des réseaux sociaux ne se font pas avec un adulte à côte pour poser ce genre de questions…</p>
<h2>Faut-il appliquer la méthode des « check lists » ?</h2>
<p>Que peut faire l’école pour aider les élèves à développer des compétences d’évaluation de l’information sur Internet ? La réponse à cette question est moins évidente qu’elle n’y paraît. Il existe en effet une multitude de méthodes, contenus et approches pédagogiques aujourd’hui disponibles sur Internet et dans les écoles. Cependant, la plupart de ces approches manquent de preuves empiriques de leur efficacité.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/pour-contrer-infox-et-propagande-le-fact-checking-ne-suffit-pas-179984">Pour contrer infox et propagande, le fact-checking ne suffit pas</a>
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<p>Pour donner un exemple, une approche couramment utilisée se base sur l’application de « check lists » à l’analyse des sites web trouvés par les élèves dans le cadre de leurs recherches. On demande ainsi aux élèves de vérifier, pour chaque site, si les informations sont « à jour », le texte « lisible » et la source « fiable », entre autres critères d’évaluation. Les revues de la littérature scientifique par <a href="https://crl.acrl.org/index.php/crl/article/view/24799">Ziv et Benne</a>, en 2022, et <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0360131519302647">Sarah McGrew</a>, en 2020, montrent que cette approche est prépondérante, voire exclusive, dans un grand nombre d’universités et d’écoles. Or, elle est inefficace pour l’apprentissage de l’évaluation de l’information car la plupart des critères demandent des connaissances relativement expertes et/ou ne sont pas suffisamment objectifs pour permettre un jugement indépendant de l’avis de l’élève ou étudiant.</p>
<p>Une formation à l’évaluation de l’information efficace demande de bases théoriques solides sur les processus sociocognitifs de lecture et compréhension de « documents » (textes, images, vidéos…), ainsi que des preuves empiriques obtenues à travers des études scientifiques rigoureuses et impliquant une collaboration étroite entre chercheurs et praticiens. Ces recherches existent depuis quelques années, mais elles ne sont pas encore assez nombreuses pour couvrir tous les domaines et problématiques pédagogiques liées à l’évaluation de l’information.</p>
<p>Dans mon livre <a href="https://cfeditions.com/savoir-chercher/"><em>Savoir chercher. Pour une éducation à l’évaluation de l’information</em></a>, je passe en revue les théories et études scientifiques réalisées à l’échelle internationale, dans les années récentes, sur ce sujet. Ce n’est pas une revue exhaustive, mais elle couvre un grand nombre d’études et de synthèses d’études montrant que les défis de l’éducation à l’évaluation de l’information peuvent être surmontés à certaines conditions (par exemple, proposer des exercices structurés d’évaluation de l’information, créer des liens entre l’évaluation et d’autres activités scolaires tels que la lecture et la résolution de problèmes).</p>
<p>Il n’existe pas de recette miracle, mais un nombre croissant d’études pointe vers la nécessité d’un enseignement explicite de cette compétence à l’école, c’est-à-dire, un enseignement qui combine des phases de réactivation des connaissances préalables, de modelage, de pratique guidée et autonome des élèves. Par exemple, l’enseignant peut partir de l’expérience des élèves sur des informations fausses ou erronées diffusées sur Internet, pour leur expliquer la notion de source d’information et montrer pas à pas les étapes d’évaluation de la source. Ensuite, les élèves s’exercent sur des exercices partiellement résolus par/avec l’enseignant pour aller progressivement vers des exercices en autonomie.</p>
<h2>Imaginer de nouvelles formes d’apprentissage</h2>
<p>Les recherches pointent vers la nécessité d’imaginer de nouvelles formes de collaboration entre les enseignants de différentes disciplines, par exemple en identifiant un corpus de textes dans différentes disciplines qui peuvent se prêter à un travail d’évaluation des informations. Ceci afin de montrer l’importance de l’évaluation dans tous les domaines de connaissances, et en même temps sa complexité car les critères d’évaluation ne sont pas absolus, ils demandent une adaptation au contexte.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/au-dela-du-fact-checking-cinq-pistes-pour-renforcer-leducation-aux-medias-127524">Au-delà du fact-checking, cinq pistes pour renforcer l’éducation aux médias</a>
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<p>Les liens entre les processus cognitifs fondamentaux, tels que la compréhension de textes, et l’évaluation de l’information, que l’on peut considérer comme un processus de lecture finalisée ou « fonctionnelle », pour utiliser les termes de <a href="https://www.oecd.org/fr/presse/la-derniere-enquete-pisa-de-l-ocde-met-en-lumiere-les-difficultes-des-jeunes-a-l-ere-du-numerique.htm">l’enquête PISA de l’OCDE</a> et de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Observatoire_national_de_la_lecture">l’Observatoire national de la lecture</a>, mission ministérielle d’expertise menée au début des années 2000, sont à creuser et à développer dans les recherches actuelles.</p>
<p>L’évaluation est une compétence que l’on souhaite voir s’appliquer non seulement aux tâches scolaires, mais aussi à toutes les tâches de la vie courante qui demandent une vigilance particulière quant à la qualité et à la crédibilité de l’information. Pour cette raison, impliquer les élèves dans la formation de leurs pairs, par exemple en les incitant à animer des ateliers (pour lesquels ils devraient être préparés) sur l’évaluation des l’information dans les réseaux sociaux, est sans doute une piste prometteuse pour identifier des situations intéressantes et pertinentes pour les jeunes, et promouvoir l’engagement de tous dans cette activité, l’évaluation, aujourd’hui essentielle.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/215279/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mônica Macedo-Rouet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Si l’évaluation de l’information est plus que jamais une compétence essentielle à tous les citoyens, elle est complexe à acquérir. Retour sur les défis qu’elle pose à l’école.Mônica Macedo-Rouet, Professeure des universités en psychologie cognitive, CY Cergy Paris UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2129282023-09-12T21:50:15Z2023-09-12T21:50:15ZLes correspondants de guerre russes et la propagande du Kremlin<p><a href="https://theconversation.com/disparition-de-prigojine-quelles-consequences-pour-les-ultra-nationalistes-russes-212404">La mort d’Evguéni Prigogine</a>, le patron de Wagner, dans le crash aérien survenu le 23 août, n’est pas sans conséquence pour le microcosme des <a href="https://thefix.media/2023/1/31/how-russian-pro-kremlin-military-correspondents-cover-the-invasion-of-ukraine"><em>voenkory</em></a> – littéralement « correspondants de guerre » russes – et, donc, pour l’ensemble de la propagande déployée par Moscou à propos de la guerre en Ukraine.</p>
<p>Le terme <em>voenkory</em>, <a href="https://www.bbc.com/news/world-europe-65179954">désormais entré dans le langage courant</a>, désigne des blogueurs au pedigree varié – journalistes diplômés ou non, anciens de l’armée, autodidactes, aventuriers divers… –, spécialisés dans le domaine militaire, qui écrivent au quotidien pour des médias officiels ou sur les réseaux sociaux (spécialement sur Telegram) à propos de la guerre en Ukraine, souvent depuis le théâtre des opérations. Certains d’entre eux sont très suivis et exercent une influence réelle. Ils ont en partage un nationalisme véhément et un soutien sans faille à l’invasion de l’Ukraine, qu’ils jugent souvent trop lente et mal organisée.</p>
<h2>Des positions parfois trop belliqueuses pour le Kremlin</h2>
<p><a href="https://www.7sur7.be/monde/prigojine-sen-prend-violemment-a-lelite-russe-envoyez-vos-pu-de-fils-a-la-guerre%7Ea44698c0/">Dans le sillage du fameux « cuisinier de Poutine »</a>, un grand nombre des <em>voenkory</em> n’ont pas hésité, depuis le début de l’attaque russe en février 2022, à critiquer l’armée, le système et les élites corrompues, et à réclamer le limogeage du ministre de la Défense Sergueï Choïgou et du chef d’état-major <a href="https://theconversation.com/nomination-du-general-guerassimov-a-la-tete-des-operations-en-ukraine-un-tournant-dans-la-guerre-197827">Valéri Guerassimov</a>.</p>
<p>La mort brutale du correspondant « indépendant » <a href="https://www.france24.com/fr/%C3%A9missions/vu-de-russie/20230407-qui-%C3%A9tait-vladlen-tatarsky-le-blogueur-russe-pro-guerre-tu%C3%A9-dans-un-attentat-%C3%A0-saint-p%C3%A9tersbourg">Vladlen Tatarsky</a> (de son vrai nom Maxime Fomine) dans un attentat le 2 avril et <a href="https://meduza.io/en/feature/2023/07/22/i-pulled-the-trigger-on-the-war">l’arrestation du virulent Igor Guirkine (Strelkov)</a> le 21 juillet avaient déjà suscité certains remous au sein du petit monde digital des <em>voenkory</em>, mais le crash du 23 août aura eu un impact nettement plus considérable.</p>
<p>Si ces propagandistes ultra-nationalistes ont pu sembler, un temps, incarner une élite militaro-impérialiste montante et susceptible de déstabiliser le pouvoir, il y a peu de doute que le sort réservé à Prigojine deux mois après sa <a href="https://theconversation.com/cinq-questions-apres-la-marche-pour-la-justice-de-wagner-208593">« marche sur Moscou »</a> a refroidi – peut-être seulement provisoirement – leur <a href="https://www.spectator.co.uk/article/putins-real-threat-comes-from-russias-turbo-patriots/">« turbo-patriotisme »</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1653242485475356677"}"></div></p>
<p>Après le flottement observé parmi les correspondants « officiels » durant la rébellion menée par Prigogine le 24 juin, leur distanciation vis-à-vis du « traître », y compris chez ceux à qui il avait accordé de longues interviews, et enfin, le silence à l’annonce de sa mort sont révélateurs. Si les « indépendants » peuvent encore se permettre des critiques ou des railleries visant les forces armées russes, leur relative liberté à l’égard de la ligne officielle est aujourd’hui en sursis.</p>
<h2>Telegram, un terrain d’expression privilégié</h2>
<p>Pour comprendre l’émergence des correspondants de guerre et leur rôle dans la communication russe, il convient de dresser un tableau du champ informationnel digital en Russie.</p>
<p>Dès les premiers jours suivant le début de l’invasion de l’Ukraine, les points de situation télévisés énoncés par le porte-parole de l’armée russe se sont rapidement révélés être d’un autre âge (soviétique) et insuffisants pour une population connectée à 88 % et s’informant en ligne à plus de 68 % (chiffres en constante augmentation comme dans de nombreux autres pays). Le contrôle étatique sur l’information digitale, repris en main par le pouvoir au début des années 2010, <a href="https://www.rfi.fr/fr/emission/20140705-russie-retour-affaire-bolotnaia">à la suite des manifestations de la place Bolotnaïa à Moscou</a>, s’est accompagné d’une volonté de faire du « Runet » (l’Internet russe), non sans difficultés techniques, un espace « nettoyé » des influences étrangères – et, principalement, américaines.</p>
<p>La guerre en Ukraine n’a fait que renforcer cette stratégie, avec l’interdiction de nombreuses plates-formes digitales, comme Instagram ou Meta et la valorisation de leurs versions russes telles que le réseau social VK ou encore le lancement de RuTube, une version russe de YouTube avec un projet de <a href="https://academic.oup.com/ia/article/99/5/2015/7239803?nbd=31019539789&nbd_source=campaigner">communication de propagande</a> qui s’est rapidement révélé inefficace. Aujourd’hui, parmi les réseaux sociaux les plus utilisés par les Russes, WhatsApp et Telegram figurent respectivement à la première et à la deuxième place.</p>
<p>Les <em>voenkory</em> se sont « naturellement » imposés sur Telegram, où ils diffusent une propagande patriotique bien plus efficace que celle, laborieuse, mise en œuvre par l’État lui-même. Sous l’apparence d’une information « brute », venue directement depuis le terrain, souvent « indépendante », propre aux comptes personnels sur les réseaux sociaux, comme il en existe en France, les <em>voenkory</em> sont devenus une source d’information fondamentale à propos de ce qui se passe sur le front – tout en ne se départissant jamais d’un ultra-patriotisme conforme aux orientations générales du Kremlin. </p>
<p>Le réseau social Telegram, crée en 2013 par le Russe Pavel Dourov, <a href="https://www.lexpress.fr/monde/europe/pavel-dourov-fondateur-du-facebook-russe-a-quitte-la-russie_1510562.html">qui a quitté le pays en 2014</a>, a déjà fait l’objet d’un <a href="https://www.lepoint.fr/high-tech-internet/la-russie-bloque-des-millions-d-adresses-ip-liees-a-telegram-17-04-2018-2211427_47.php">blocage par l’organe russe de contrôle, Roskomnadzor en 2018</a>, blocage qui avait été levé en 2020. Aujourd’hui, la messagerie « étrangère » et ses contenus, <a href="https://www.themoscowHmes.com/2023/01/23/telegram-surpasses-whatsapp-trafficvolume-in-russia-a80012">dont le trafic en volume a dépassé en Russie celui de WhatsApp</a>, sont au centre de toutes les attentions du pouvoir. La traque aux propos décrédibilisant les forces armées, <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/russie-plus-de-3300-affaires-pour-discreditation-de-l-armee-selon-une-ong-20220722">encadrée par de nouvelles lois et sévèrement punie</a>, est lancée.</p>
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<a href="https://theconversation.com/comment-le-kremlin-assoit-toujours-davantage-son-controle-de-linternet-russe-212070">Comment le Kremlin assoit toujours davantage son contrôle de l’Internet russe</a>
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<h2>Décorés par Poutine</h2>
<p><a href="https://www.newyorker.com/magazine/2008/09/22/echo-in-the-dark">La mise au pas des médias russes</a>, particulièrement durant les guerres menées par la Russie post-soviétique (Tchétchénie, Géorgie) n’étant pas si loin, le phénomène « voenkor » n’est pas passé inaperçu à Moscou. Les correspondants militaires sont apparus comme étant particulièrement utiles au moment où le pays procède à une mobilisation largement impopulaire. La première rencontre de Vladimir Poutine avec certains d’entre eux se serait déroulée lors du Forum économique de Saint-Pétersbourg au moins de juin 2022, l’intermédiaire n’étant autre que <a href="https://www.lexpress.fr/monde/europe/margarita-simonian-et-tigran-keosayan-un-couple-infernal-au-coeur-de-la-propagande-russe_2180586.html">Margarita Simonian</a>.</p>
<p>La directrice de <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/11/17/russia-today-rt-un-media-d-influence-au-service-de-l-etat-russe-la-tele-qui-venait-du-froid_6102344_3232.html">RT</a> depuis ses débuts, elle-même ancienne reporter de guerre en Tchétchénie, avait alors présenté « ses amis, ses collègues, ses patriotes » au chef de l’État. C’est également Simonian qui, au mois d’octobre 2022, coupera court aux rumeurs d’affaires judiciaires qui auraient été ouvertes contre certains <em>voenkory</em> qui seraient allés trop loin dans leurs critiques de l’armée et du commandement.</p>
<p>Loin d’être inquiétés par l’appareil judiciaire, certains correspondants se sont même vu remettre de prestigieuses distinctions, et les plus connus d’entre eux, tels Evguéni Poddoubny, Alexandre Sladkov, Semion Pegov (WarGonzo), Mikhaïl Zvintchouk (Rybar) et Alexandre Kots, ont été <a href="https://www.gazeta.ru/tech/news/2022/12/22/19333711.shtml">intégrés au groupe parlementaire de coordination pour « l’opération spéciale »</a>, créé par ordonnance présidentielle à la fin de l’année 2022.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/546709/original/file-20230906-34535-s2mobg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/546709/original/file-20230906-34535-s2mobg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=403&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/546709/original/file-20230906-34535-s2mobg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=403&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/546709/original/file-20230906-34535-s2mobg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=403&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/546709/original/file-20230906-34535-s2mobg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=506&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/546709/original/file-20230906-34535-s2mobg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=506&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/546709/original/file-20230906-34535-s2mobg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=506&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Vladimir Poutine décore Semion Pegov de l’Ordre du Courage au Kremlin, 20 décembre 2022.</span>
<span class="attribution"><span class="source">www.kremlin.ru</span></span>
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<p>Le processus d’« élitisation », si souvent employé par le pouvoir russe ou soviétique, consiste à s’assurer la loyauté d’un groupe à travers un système de récompenses, la distribution de pouvoir ou de richesses. Mais la mort de Prigojine, la <a href="https://www.marianne.net/monde/europe/invasion-de-lukraine-ces-generaux-russes-un-peu-trop-bavards-qui-disparaissent">mise au pas des voix discordantes au sein de l’armée</a> et l’arrestation de Guirkine sont autant de messages qui ont rappelé aux <em>voenkory</em> que le patriotisme affiché ne suffit pas à protéger les élites : seule la loyauté absolue au régime et à son président garantit leur liberté et leur survie.</p>
<p>Si certains correspondants sont récompensés, <a href="https://telepot.ru/channels/voenkory?page=1">parmi les quelque 150 comptes russes</a> sur Telegram consacrés exclusivement à la guerre en Ukraine, la raison incombe notamment à leur notoriété dans l’espace digital, leur profession ou leur ancienneté : plus d’un million d’abonnés pour – WarGonzo, Rybar et OperaHonZ, quelques centaines de milliers pour ColonelCassad, quelques centaines seulement pour les moins connus.</p>
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<p>Certains reporters de guerre sous contrat avec la rédaction d’un média d’État se sont souvent rendus par le passé sur d’autres fronts (Donbass avant 2022, Syrie ou Afghanistan) et ont été formés au reportage de guerre par l’Union des journalistes de Moscou (organisme agissant, entre autres, sous la tutelle du FSB et des ministères de la Défense et des Affaires étrangères). Semion Pegov, Irina Kouksenkova ou Iouri Podoliak y ont été formés avant d’être récompensés pour leur couverture de la guerre en 2022.</p>
<p>Mais tous ne sont pas issus de la sphère journalistique. Certains indépendants sont d’anciens membres des forces de sécurité devenus blogueurs militaires, tels Igor Guirkine (Strelkov), vétéran des guerres de Yougoslavie et de Tchétchénie. Parfois même, des <a href="https://www.bbc.com/news/world-europe-65675102">adolescents sont recrutés dans les territoires occupés</a> pour s’exercer au « vrai journalisme russe des nouvelles régions » et sont plus tard récompensés de l’Ordre du Courage au Kremlin.</p>
<h2>Un phénomène durable</h2>
<p>Le phénomène <em>voenkory</em> semble avoir gagné une certaine popularité auprès des internautes russes, mais aussi ukrainiens ou occidentaux, lesquels suivent les messages, scrutent les réactions, démasquent la désinformation, analysent les renseignements et considèrent globalement ces blogueurs comme des sources dignes d’intérêt pour ce qui est communément appelé l’OSINT (Open Source Intelligence).</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/invasion-russe-de-lukraine-lheure-de-gloire-de-losint-187388">Invasion russe de l’Ukraine : l’heure de gloire de l’OSINT</a>
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<p>Toutefois, s’il est difficile de mesurer l’impact supposé de ces comptes Telegram auprès de la population russe, au-delà du nombre d’abonnés, il conviendrait de ne pas surestimer le phénomène.</p>
<p>Selon les données relatives aux usages des internautes russes dont nous disposons, 39 % de la population adulte suit les actualités sur les réseaux sociaux, alors que plus de 68 %, nous l’avons dit, suit l’actualité sur Internet en général. La répression extrêmement sévère portant sur les propos anti-guerre, dans la rue mais aussi dans les mémoires des téléphones portables, qui s’est aujourd’hui étendue aux critiques visant les forces armées ou le gouvernement et à la diffusion de « fausses » informations, incite de nombreux Russes à chercher à ne laisser aucune trace sur la toile. Il est, dès lors, peu étonnant que parmi les dix premières applications téléchargées sur les portables russes figurent <a href="https://www.meilleure-innovation.com/guerre-ukraine-achat-vpn-russe/">plusieurs logiciels VPN</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/un-manuel-de-survie-numerique-pour-sinformer-et-eviter-la-censure-en-russie-181889">Un manuel de survie numérique pour s’informer et éviter la censure en Russie</a>
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<p>Il est donc quasiment <a href="https://datareportal.com/reports/digital-2023-russian-federation">impossible d’évaluer la popularité des <em>voenkory</em></a> en Russie sur la simple base du nombre de lecteurs ou d’abonnés. Ils n’en restent pas moins un <a href="https://digitalmediaknowledge.com/medias/russie-ukraine-quand-la-guerre-devient-virtuelle/">vecteur utile pour la propagande de guerre du Kremlin</a>, en ciblant particulièrement les jeunes générations, ce que l’État n’avait pas réussi à faire, et les Russes de l’étranger, dans la volonté de contrer la presse russe exilée. </p>
<p>Enfin, le succès des <em>voenkory</em> russes dans l’information et la communication de guerre est similaire au succès des chaînes Telegram personnelles de militaires ou de journalistes occidentaux, si l’on en croit les résultats d’une recherche effectuée par l’auteure pour l’Institut méditerranéen des Sciences de l’information et de la Communication (IMSIC) auprès d’étudiants francophones interrogés durant huit mois. L’information « brute », en donnant aux récepteurs l’illusion d’être dans le feu de l’action, en dit plus que le 20h. Même si leur liberté de parole a dernièrement été nettement restreinte par le pouvoir, les <em>voenkory</em> ont donc encore de beaux jours devant eux.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/212928/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Carole Grimaud est fondatrice du think tank CREER (Center for Russia and Eastern Europe Research) à Genève, membre du Collège académique de l'Observatoire Géostratégique de Genève </span></em></p>Quelque 150 chaînes Telegram, très suivies en Russie, racontent au quotidien la guerre en Ukraine, avec un point de vue très nationaliste… parfois trop pour le Kremlin lui-même.Carole Grimaud, Chercheure Sciences de l'Information IMSIC, Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2094812023-08-23T20:20:25Z2023-08-23T20:20:25ZLe vox pop, une pratique plus complexe qu'on le croit<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/540523/original/file-20230801-15-5f1zo2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=1%2C2%2C997%2C661&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le vox pop est une pratique complexe et digne d'intérêt : l'assemblage de quelques interventions individuelles suffit pour faire allusion au public dans les médias. </span> <span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span></figcaption></figure><p>Omniprésents dans les médias, les vox pop font souvent l’objet de rires, de critiques ou d’indifférence dans le discours populaire. Cette pratique complexe en mal d’amour et de reconnaissance se targue pourtant de « nous » représenter à divers degrés en tant que public dans les médias. </p>
<p>Et s’il était temps de lui accorder davantage d’intérêt et de soin ?</p>
<p>Le vox pop ou micro-trottoir est <a href="https://vitrinelinguistique.oqlf.gouv.qc.ca/fiche-gdt/fiche/8365690/vox-pop?utm_campaign=Redirection%20des%20anciens%20outils&utm_content=id_fiche%3D8365690&utm_source=GDT">généralement défini</a> comme un sondage d’opinion informel réalisé auprès de membres du public pour être diffusé dans les médias, principalement dans un contexte journalistique. </p>
<p>Ce format, qui est tenu pour acquis collectivement, fait parfois l’objet de critiques ou de parodies. </p>
<p>Ces dernières années, le populaire <em>Bye bye</em> de fin d’année québécois s’est par exemple moqué des <a href="https://ici.radio-canada.ca/ohdio/premiere/emissions/le-15-18/segments/entrevue/149516/bye-bye-a-w-bienveillance-internautes-parodie-controverse-michel-olivier-girard">publicités de hamburgers de A&W</a> sous forme de micro-trottoir (2019) et des capsules de l’humoriste Guy Nantel (2018). </p>
<p>Les <a href="https://www.youtube.com/watch?v=13b1CNHjZcc">vox pop produits par Nantel</a> à partir de mauvaises réponses de ses interlocuteurs à des questions de connaissances générales ont d’ailleurs soulevé une rare <a href="https://ici.radio-canada.ca/ohdio/premiere/emissions/medium-large/segments/entrevue/25163/guyn-nantel-voxpop-375e-anniversaire-montreal">réflexion publique</a> sur cette pratique, certains qualifiant sa démarche de <a href="https://www.ledevoir.com/opinion/chroniques/499872/le-mepris">méprisante</a>. </p>
<p>C’est afin de creuser les dessous fascinants de cette pratique plus complexe qu’il n’y paraît que j’ai consacré une thèse doctorale en communication au vox pop.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/86doxhkVB6c?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">L’humoriste Guy Nantel a inclus des extraits de ses discussions de consentement à la participation dans un vox pop publié sur YouTube en septembre 2021.</span></figcaption>
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<h2>D’où viennent les vox pop ?</h2>
<p>Selon les dictionnaires, le vox pop tire son nom de l’expression latine <em>vox populi, vox Dei</em>, dont les <a href="https://www.press.jhu.edu/books/title/7794/vox-populi">premières traces</a> remontent au VIII<sup>e</sup> siècle. Cette formule, traduite par « la voix du peuple est la voix de Dieu », pourrait suggérer que cette prise de parole a une autonomie ou un pouvoir intrinsèque.</p>
<p>Les <a href="https://editions-metailie.com/livre/vox-populivox-dei/">études sur son usage</a> suggèrent que cette « voix » a plutôt été forgée sur mesure au fil des siècles afin de refléter les intérêts dominants du clergé, puis de la royauté. Il faudra attendre les grandes révolutions sociales du XVIII<sup>e</sup> siècle, ainsi que la montée subséquente des concepts de « classe ouvrière » et « d’opinion publique » avant que ces prises de parole issues de la population soient valorisées.</p>
<p>Le développement des médias a joué un rôle important dans l’émergence du vox pop, en particulier <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/016344379401600403">l’introduction vers 1860</a> d’une technique journalistique inédite : l’interview. En effet, il était jusque-là peu commun pour les journalistes de citer directement leurs sources. Cette technique a aussi favorisé la création d’enquêtes plus approfondies à travers la <a href="https://corpus.ulaval.ca/entities/publication/cd1b746f-d4ad-4dde-a893-4021999d441a">mise en série d’interviews</a> d’abord avec des personnalités connues, puis des personnes « anonymes ». </p>
<p>Rappelant les vox pop actuels, on rassemblait dorénavant plusieurs interventions sur un thème d’actualité, par exemple la controverse suscitée par le <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k529229p/f2.item.zoom">port du pantalon chez les femmes à bicyclette</a> dans un article du Gaulois de 1895 !</p>
<p>Le vox pop a également été influencé par la <a href="https://www.hup.harvard.edu/catalog.php?isbn=9780674027428">montée du marketing et des sondages d’opinion</a> au XX<sup>e</sup> siècle qui tentaient de définir ce qu’on considérait désormais comme le public de masse. On entend en effet communément que le vox pop s’adresse à des gens supposément « ordinaires » et qu’il représente l’opinion de « monsieur et madame Tout-le-Monde ».</p>
<h2>Quelques exemples précurseurs dans les médias</h2>
<p>Même si les conditions médiatiques et sociales d’existence des vox pop étaient présentes près d’un siècle plus tôt en Europe et en Amérique du Nord, mes recherches m’ont principalement permis de retracer des exemples concrets de vox pop à partir de 1930. Réalisé à Paris en 1932, le reportage photographique <a href="https://collections.museeniepce.com/fr/app/collection/7/author/9437/view?idFilterThematic=0">« Mesdames, voulez-vous voter ? »</a> accompagne chaque cliché de courts témoignages de passantes dont certaines semblent peu convaincues de la nécessité de permettre le vote aux femmes. </p>
<p>De 1932 à 1948, c’est au tour de l’émission radiophonique américaine <a href="https://archives.lib.umd.edu/repositories/2/resources/606">Vox Pop</a> de profiter des récentes avancées technologiques pour sortir ses microphones filaires du studio vers la rue et sonder le public sur toutes sortes de sujets. Au fil des années, les créateurs de l’émission travailleront consciemment à <a href="https://www.routledge.com/Radio-Reader-Essays-in-the-Cultural-History-of-Radio/Hilmes-Loviglio/p/book/9780415928212?gclid=CjwKCAjwq4imBhBQEiwA9Nx1Bh3Ircd1VhNThKmIbzu2tYV_9SfmHXGzEcaRJkuDgFjmOsfK-5KaTxoCx0EQAvD_BwE">représenter le public américain de façon exemplaire</a> et idéalisée à la radio, y compris lorsqu’il sera appelé à se mobiliser pendant la Deuxième Guerre mondiale. </p>
<h2>Un tour de force de représentation</h2>
<p>D’hier à aujourd’hui, l’une des particularités du vox pop est de faire appel à un échantillon limité de personnes triées sur le volet et d’amplifier leurs propos pour les amener à représenter plus largement le « grand public ». </p>
<p>Le linguiste américain <a href="https://www.cambridge.org/core/books/matters-of-opinion/D9DB315616B798ADCEC44621DEFDAB04">Greg Myers</a> écrira, dans son ouvrage <em>Matters of Opinion</em>, que pour le vox pop, </p>
<blockquote>
<p>La règle semble être qu’une seule personne ne peut pas parler au nom du « public », mais que n’importe quelle combinaison de trois personnes peut le faire. (traduction libre)</p>
</blockquote>
<p>Contrairement aux sondages d’opinion réalisés par des firmes professionnelles, la représentation qui est évoquée ici n’a rien de statistique. Cette citation résume cependant bien le pouvoir sous-estimé du vox pop et de ses créateurs et créatrices à générer des images plus ou moins déformées de certaines portions du public à destination d’auditoires médiatiques variés.</p>
<h2>Une pratique complexe et ses enjeux</h2>
<p>De ses origines à sa documentation, le vox pop est souvent associé à la pratique du journalisme. Ce format flexible qui permet de prendre le pouls de la population rapidement est fréquemment inséré dans les reportages. </p>
<p>Son utilisation est cependant plus problématique qu’il n’y paraît. </p>
<p>Les quelques études réalisées sur le vox pop journalistique nous apprennent qu’il est <a href="https://doi.org/10.1515/commun-2017-0040">malaimé des journalistes</a>, le plus souvent <a href="https://doi.org/10.1080/1461670X.2016.1187576">conçu de façon biaisée</a> et utilisé pour <a href="https://doi.org/10.1177/0267323118793779">soutenir le narratif du reportage</a> plutôt que l’expression autonome des opinions du public.</p>
<p>Le vox pop peut également être utilisé pour faire la promotion d’un produit ou de sa propre image de marque. Cet usage est particulièrement présent sur les réseaux sociaux. </p>
<p>Avec <a href="https://www.tiktok.com/tag/microtrottoir">7 milliards de vues associées au mot-clic #microtrottoir</a> à ce jour, les vox pop sont par omniprésents sur le réseau social TikTok du <a href="https://www.tiktok.com/@netflixfr/video/7099814861667896581?q=%40daetienne%20%23Netflix&t=1690489693841">jeu-questionnaire commandité</a> jusqu’à la <a href="https://www.tiktok.com/@jeremydruaux/video/7075397062832999686?is_copy_url=1">drague auprès de jeunes femmes</a> parfois en état d’ébriété.</p>
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<img alt="Popularité du mot-clic #microtrottoir sur TikTok" src="https://images.theconversation.com/files/539858/original/file-20230727-17-hyvw1u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/539858/original/file-20230727-17-hyvw1u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=303&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/539858/original/file-20230727-17-hyvw1u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=303&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/539858/original/file-20230727-17-hyvw1u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=303&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/539858/original/file-20230727-17-hyvw1u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=380&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/539858/original/file-20230727-17-hyvw1u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=380&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/539858/original/file-20230727-17-hyvw1u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=380&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">On dénombrait 7 milliards de visionnements associés au mot-clic #microtrottoir sur le réseau social TikTok en juillet 2023.</span>
<span class="attribution"><span class="source">TikTok</span></span>
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<p>La complexité du vox pop est manifeste lorsqu’on le considère comme <a href="https://voxpop.media/">pratique à part entière</a> portée par des créateurs et créatrices médiatiques d’horizons variés, allant de journalistes régis par un code de déontologie à des influenceurs sociaux peu encadrés. </p>
<p>Parmi les enjeux rencontrés sur le terrain, on dénote, sans pouvoir tous les nommer, le consentement de participation parfois absent, la déformation potentielle des propos, l’impossibilité de faire retirer des contenus problématiques ou encore leur risque de devenir viral. Sans suggérer que la participation à un vox pop se doit nécessairement d’être rémunérée, certains questionnements peuvent également être soulevés lorsque des contenus produits à partir de contributions d’inconnus sont monétisés.</p>
<p>La collaboration à des vox pop peut être une source de fierté, mais aussi potentiellement dommageable. Leur écho est aussi social puisque leur accumulation influence positivement ou négativement notre perception collective. À l’image de la maxime <em>vox populi, vox Dei</em>, les créateurs et créatrices médiatiques ont en effet un pouvoir énorme sur les propos et gestes qu’ils décident de mettre en scène, de récolter et de faire circuler dans l’espace médiatique.</p>
<h2>Pour des vox pop responsables</h2>
<p>À mon sens, il importe de valoriser une <a href="https://voxpop.media/hero">approche où la responsabilité collective des vox pop serait davantage partagée</a>. </p>
<p>Les créateurs et créatrices médiatiques sont d’abord invités à concevoir et réaliser leurs vox pop dans le respect des contributeurs à toutes les étapes et à faire preuve de plus de transparence sur leur démarche. </p>
<p>Les participants et participantes ont également un rôle clé à jouer : contribuer de façon assumée et mesurée aux vox pop ou exprimer leur refus si la démarche présentée ne leur convient pas. </p>
<p>Finalement, il incombe aux membres de l’auditoire de soulever des interrogations devant les contenus potentiellement problématiques et de donner de l’amour à ceux qu’ils jugent réalisés avec respect, quel que soit leur propos… </p>
<p>Oui, de l’amour, le vox pop en a bien besoin et il s’enrichit en sa présence !</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/209481/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Cynthia Noury a reçu des financements des Fonds de recherche du Québec - Société et Culture, du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada et du Réseau international de recherche-création Hexagram.</span></em></p>Les vox pop sont omniprésents dans les médias. Ils sont cependant méconnus et souvent malaimés du public et médias.Cynthia Noury, Docteure en communication, Université du Québec à Montréal (UQAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.