Menu Close
Le Major, un cerveau déconnecté du corps. Paramount Pictures/Allociné

Ce que « Ghost in the shell » aurait à nous dire sur demain

Le film Ghost in the shell met en scène des humains greffés de prothèses artificielles en tous genres, des androïdes et autres gynoïdes, ces robots anthropomorphes sexués à l’apparence toujours avantageuse. Toute cette faune technologique illustre la pénétration toujours plus profonde de la machine dans le corps de l’humain. Pénétration qui va jusqu’à effacer la distinction entre être biologique et machine pensante. La confusion est d’autant plus grande que le monde de Ghost in the shell a fait le choix de l’utilisation de machines à l’apparence toujours plus humaine, dans toutes les strates des activités courantes, que l’on parle de travail ou de loisirs, de vie privée ou publique.

Qu’est-ce qu’un être humain ?

Le vibrant exemple de cette confusion inhérente au film est le Major, le personnage joué par Scarlett Johansson. Tout au long du film, elle n’aura de cesse de s’interroger sur sa propre nature… Et pour cause : de l’être humain qu’elle fut, ne reste que le cerveau. Tout le reste de son être est un corps artificiel remarquablement conçu tant en termes d’apparence que de performances. « Elle allie la souplesse et la créativité de l’humain à la puissance et la précision du robot » dit d’elle un des autres protagonistes qui ne voit dans le Major qu’une arme quasi parfaite, oubliant commodément l’origine de ce qui anime la mécanique qu’il vend.

Or, dans le contexte du film, ce qui anime le corps du Major se nomme un ghost, essence digitale d’une personnalité. Le ghost, c’est l’équivalent informatique de l’âme, concept imaginé par Masamune Shirow, auteur du manga original, paru en 1989. Ainsi, âme enfermée dans une coquille et privée de sa mémoire soi-disant pour lui permettre de survivre au traumatisme de la destruction de son corps, le Major agit en bon petit soldat et dézingue du terroriste à qui mieux mieux et sans état d’âme.

Cette bonne conscience est entretenue par le charmant docteur Ouelet, incarné par Juliette Binoche. Cette dernière conforte chez la jeune femme la conviction que sa survie ne passait que par cette folle expérience : greffer son cerveau mourant sur un corps robotique, mettre un ghost dans une enveloppe artificielle.

Pourtant, à plusieurs reprises, le Major, dans son corps réparable à l’infini, lance, désespérée : « Qui suis-je ? Que suis-je ? », interrogations qu’il faut entendre comme : « Suis-je encore humaine quand d’humain il ne me reste qu’un organe : mon cerveau ? »

Le film suggère une réponse grâce à une autre affirmation du Major : « Ils nous ont volé notre mémoire… mais ce sont nos actes qui nous définissent ! » L’humain se définirait-il alors uniquement au travers de ses actes, dissociés de tout contexte historique ? Cependant, pour qu’il y ait acte, il faut une intention. Cette intention peut avoir deux origines : l’instinct – de survie, faim, soif, peur – ou la volonté, a priori nourrie de l’expérience.

Un cerveau dissociable du corps ?

Ce que sous-entend également l’affirmation du Major c’est que l’humain pourrait être réduit aux seules capacités de son cerveau, indépendamment des interactions qu’il entretient avec l’ensemble du corps, indépendamment des interactions avec son environnement… un cerveau librement dissociable de son corps. Pourtant, les dernières recherches laissent apparaître une diffusion des neurones bien au-delà de la seule boîte crânienne et de son extension naturelle, la moelle épinière… un déploiement qui va jusqu’à l’estomac et ses 200 millions de neurones… jusqu’aux quelques 40 000 autres neurones qui font battre le cœur.

Et si l’humain, sa personnalité, était un tout qui dépasse la somme des éléments, des organes qui le composent ? Et si la quête du Major était vaine ? Car, séparée de son corps, elle ne serait plus qu’une fraction d’elle-même… mieux encore : implanté dans un nouveau corps originel, peu importe que celui-ci soit biologique ou artificiel… son cerveau ne développerait-il pas alors une tout autre personnalité ?

Sans convoquer un Robocop à l’allure de dinosaure en comparaison de la plastique parfaite de Scarlett Johansson qui prête son corps au Major et sans attendre le monde de Ghost in the shell, on peut observer ce que, dès aujourd’hui, informaticiens et médecins mettent en œuvre pour réparer un corps blessé. La chirurgie réparatrice s’applique à faire des merveilles et cela d’autant mieux avec de nouveaux alliés technologiques toujours plus efficaces telle que les imprimantes 3D. Celle-ci permettant de fabriquer des prothèses à la mesure de chaque individu.

Par contre, quand on aborde le remplacement d’organes, tels les organes sensoriels, les choses se compliquent : en effet, l’implantation d’une oreille, d’un œil artificiel nécessitent que le biologique sache communiquer avec l’artificiel, difficulté joliment illustrée au début du film par le mariage, l’alliance, la fusion d’un neurone biologique avec une extension artificielle.

De l’homme au cyborg. sashimomura/Flickr, CC BY

On connaît les implants cochléaires qui permettent, dans certaines conditions, à des malentendants de recouvrer l’ouïe. Depuis quelques années, d’autres implants, posés sur le nerf optique, rendent à des non-voyants la vue, au moyen d’une caméra. Ce nouveau miracle de la technologie est lui aussi soumis à condition : il faut, entre autres, que le patient ait, un jour, vu ; il faut que le cerveau sache ce qu’est voir…

Les sourds entendent, les aveugles verront (à ce jour, la résolution accessible est de l’ordre de 60 pixels), les paralytiques marcheront au moyen de muscles artificiels, les malades du cœur seront pourvus d’un organe infatigable… On pourrait sans peine continuer la liste des technologies de remplacement des déficiences organiques humaines. Tous ces « éléments », les uns mis à côté des autres, sont autant d’espoir pour les patients… Mais ce sont aussi les briques d’un Lego qui, une fois assemblé, pourrait bien remplacer une proportion toujours plus grande du corps biologique chez un même individu.

Ces prothèses développées et utilisées par nécessité médicale deviendront, un jour, des améliorations techniques, puis ludiques. Et l’état corporel extrême du Major – un individu composé majoritairement d’organes artificiels – ne semble plus tant appartenir à la fiction que cela… Alors, à quelles conditions et jusqu’à quelle proportion de prothèses artificielles serons-nous prêts à implanter dans un même corps ? Une quantité croissante de prothèses au risque de perdre sa propre personnalité ? À chacun de chercher la réponse… en lui-même !

Vidéo coproduite par le Huffington Post et Futur Hebdo

Want to write?

Write an article and join a growing community of more than 182,100 academics and researchers from 4,941 institutions.

Register now