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Kobe Bryant
Kobe Bryant, lors d'un match des Lakers de Los Angeles contre les Orlando Magic, le 7 juin 2009. Il a été un modèle pour toute une génération de jeunes, dont l'auteur de cet article. (AP Photo/Mark J. Terrill, File)

Ce que Kobe Bryant m’a appris

J’ai beaucoup hésité à parler de Kobe Bryant, mort dans un accident d’hélicoptère il y a un an. D’abord, je ne savais où commencer, tant les apprentissages à tirer de sa vie sont grands. Mais je vais essayer d’y aller simplement, sans le faire sous le filtre de ma propre culture ou spiritualité, de sorte que tous les lecteurs et lectrices puissent entendre ce que j’ai à dire.

Je veux toucher à ce que nous avons, tous et toutes, en commun, dans notre condition humaine.

Quand nous étions jeunes, au Sénégal, nous aimions Bob Marley. Cela suscitait la réprobation de certains, car Bob Marley n’avait pas les mêmes valeurs spirituelles que nous. Nous étions, en effet, bien loin de sa religion, et du mouvement rastafari. Mais ceux, parmi nous, qui en avaient le discernement, ont pu tirer de cette admiration des points positifs indéniables : apprendre une nouvelle langue (l’anglais), refuser la domination, et l’esclavage mental (« Emanticipate yourself from mental slavery »)…

J’ai ensuite grandi avec l’esprit et l’exemple de Kobe. Nous l’émulions tous, et il nous inspirait, de l’autre côté de l’Atlantique. En repensant à sa vie, je me dis qu’en général, c’est après leur carrière sportive professionnelle que les grands athlètes révèlent et exposent certains aspects de leur vie. Par contre, pour lui, je sais juste que sa vie a connu un tournant, sous l’aile de Phil Jackson, The Zen Master, le mentor de Michael Jordan. Star à 16 ans, Bryant avait de quoi prendre la grosse tête, et était bien difficile à gérer. Phil Jackson l’a aidé à se recentrer et à s’assagir.

Je suis aujourd’hui romancier et chargé de cours en linguistique, éducation et analyse du discours à l’Université Bishop et à l’Université de Sherbrooke. Je suis spécialiste en sciences du langage. Je garde toujours en tête la détermination de Kobe Bryant, l’homme et l’athlète, cinq fois champion de la NBA et deux fois médaillé d’or olympique.

Le basket-ball comme métaphore

Le basket-ball a toujours été mon sport préféré, à regarder comme à pratiquer. Ce jeu correspondait à ma sensibilité d’artiste. Le basket-ball est un art en mouvement, dans le style, l’habillement, l’expression du corps, le shoot, la forme du poignet après le shoot, l’harmonie musculaire… Un équilibre entre la force et la finesse. La force, pour se libérer des contraintes de l’adversaire ; la finesse au lancer de la balle ; l’abandon et l’espoir quand la balle flotte et vrille dans l’air vers le panier. Une belle leçon de force, et d’équilibre. Une leçon pour tout humain : riches, pauvres, chanteurs, politiciens, techniciens, scientifiques… L’expérience peut être différente. Mais l’essence reste la même.

Par la suite, dans ma vie, j’ai revu mes priorités. Ma vision du monde a considérablement changé. J’ai dû abandonner beaucoup de choses… Et du basket-ball, j’en ai gardé le côté divertissement. Je suis les matchs, de temps en temps, pour décompresser. Mais j’ai conservé la motivation, une motivation assez forte pour mettre un équipement, attacher mes chaussures, et aller sur un terrain, se dégourdir le corps. Comme dit Robert Jones, maître en art martial et préparateur mental, « Train the mind and the body will follow ». Le corps a besoin de l’esprit, et l’esprit a besoin du corps, une interdépendance fondamentale.

La mentalité du Mamba

De Kobe Bryant, le Mamba noir, comme on le surnommait, j’ai toujours admiré le souci du détail, l’envie du dépassement, le sens de l’observation, la culture de l’excellence, le refus de la tricherie. L’humain est une source de potentialité inouïe. Il avait cultivé, à son paroxysme son « Drum Major Instinct », cette flamme que chaque humain abrite dans le ventre, et que Martin Luther King jr. appelait à canaliser, afin qu’elle nous éclaire et nous serve, à la place de nous consumer…

Kobe Bryant au sommet de son art, lors d’une partie des Lakers contre les Indiana Pacers, à Los Angeles, le 4 janvier 2015. AP Photo/Mark J. Terrill

Alors qu’il était encore une recrue chez les Bobcats de Charlotte, en 2009, Kobe Bryant a dit aux techniciens, avant un match, qu’un des paniers n’était pas au point. Les officiels étaient formels. Les paniers avaient été vérifiés, comme avant chaque début de match, selon le protocole établi. De plus dans la NBA, les panneaux étaient dans une condition infaillible depuis qu’un géant nommé Shaq (Shaquille O’Neal) s’est amusé à les démolir, en s’accrochant dessus. Devant son insistance, les officiels se sont résolus à refaire le contrôle. Le panier était effectivement de travers, de quelques millimètres.

Cette acuité de l’observation et de l’analyse est, au final, le propre de l’humain. Chacun de nous l’a. Et il lui appartient de la raffiner, de la nourrir et de l’entretenir dans son domaine de prédilection.

Maintenant, la question est : dans quelle direction exercer cette perspective, où dépenser cette formidable énergie ? Dans quel but ? Être intransigeant dans l’exercice de ses activités, autant que dans le choix du ou de ses champs d’activités. Et faire preuve de constance, surtout, pour ne pas (s’) oublier. Parlant de la condition humaine, l’oubli est un fait si inhérent à notre déterminisme, car il nous aide à ne pas saturer, que dans la littérature orientale, l’humain est appelé « l’oublieux ».

Un homme rend hommage à Kobe Bryant et à sa fille Gianna, devant une peinture murale de l’artiste Louie Sloe Palsino, le 26 janvier 2021, à Los Angeles, un an après leur mort dans un accident d’hélicoptère. AP Photo/Jae C. Hong

Juste après la fin d’une carrière exceptionnelle, alors qu’il s’apprêtait à relâcher, élargir ses horizons et parfaire la préparation de sa fille, basketteuse, il meurt, avec celle-ci, dans un accident d’hélicoptère, le 26 janvier 2020, à Calabasas, en Californie.

L’idée de la mort semble être un sujet démodé, réservé aux vieux philosophes du passé : Sophocle, Kant, Ésope… « Et pourtant », comme aurait pu dire l’illustre Galileo Galilei. Elle, la mort, est encore bien jeune, et vivante. Doit-on arrêter de se poser une question (celle de la vie, de la mort) si la réponse à cette question est nécessairement insatisfaisante ?

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