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Manuscrit du Chant des Partisans. Musée de l’ordre de la Libération.

Ce que la chanson engagée nous enseigne sur la liberté d’expression en France

Les chansons racontent la société (Louis-Jean Calvet) et le patrimoine français compte bon nombre de chansons engagées, subversives et contestataires, qu’il s’agisse d’attaquer la monarchie au début du XIXe siècle, de soutenir la lutte des résistants pendant la deuxième guerre mondiale, de défendre la liberté d’expression ou l’antiracisme.

Certaines de ces chansons françaises – et leurs auteurs – ont subi des procès, suscité des débats politiques. D’autres sont devenus de véritables monuments culturels.

Selon Morgan Jouvenet, ce phénomène culturel s’explique par le fait que l’artiste ne se limite pas à manipuler paroles et musique ; il est aussi le membre d’une communauté culturelle, qui exprime avec ses chansons un point de vue sur la société.

Béranger : en prison pour avoir critiqué la monarchie

Deux fois emprisonné en raison de ses chansons engagées, considéré comme un poète majeur l’auteur Pierre-Jean de Béranger a été un des artistes les plus importants de la première moitié du XIXe siècle.

Il fut un artiste très populaire, apprécié et admiré pour ses paroles subversives à la fois sensibles et profondes. Le clergé, la noblesse et Napoléon étaient ses sujets les plus récurrents ; mais ses attaques les plus virulentes visaient la monarchie des Bourbons (1814–1830).

Pierre-Jean de Béranger. Victor Frond/Wikimedia

Les paroles antimonarchiques et favorables à la liberté de la presse de ses chansons lui ont valu d’en découdre avec la justice. Il fut emprisonné pendant trois mois en 1821, puis dix mois en 1829. Tout comme lui, au début du XIXe siècle, plus de deux mille personnes ont été emprisonnées pour délits d’opinion.

Son deuxième emprisonnement le rendit encore plus populaire et fit de lui une véritable légende. Plus de deux cents personnes lui rendirent visite, y compris les intellectuels, romanciers et poètes les plus prestigieux du moment. En prison, il continua à écrire et publier de paroles subversives, et son incarcération lui fit gagner encoe plus d'influence.

D’âpres le critique littéraire Visarión Belinski, avec Béranger, la poésie est devenue politique, et la politique, poésie.

Le chant des partisans, un monument historique

Lors de la Seconde Guerre mondiale et sous l’Occupation, les chansons représentaient symboliquement le camp que l’on soutenait. Le Chant des partisans (1943) était l’hymne de la Résistance. Cachés dans les bois, prévoyant des sabotages, les maquisards savaient qu’ils n’étaient pas seuls s’ils entendaient au loin quelqu’un siffler l’air de cette chanson.

Les chansons permettaient concrètement d’étendre le soutien à la Résistance. Mais il fallait faire attention et esquiver la censure. Les chansons étaient envoyées par courrier à trois personnes proches et partageant les mêmes convictions. Dans l’enveloppe, on trouvait la partition, les paroles, les instructions précises pour poursuivre la chaîne et, surtout, pour ne pas être découverts.

La France considère que le rôle de ces chansons pour la Libération a été si important que le manuscrit des paroles du Chant des partisans, composé par Maurice Druon et Joseph Kessel, a été déclaré monument historique en 2006. Il est conservé depuis au Musée de la Légion d’honneur.

Germaine Sablon – Le Chant des partisans.

« Le bruit et l’odeur »

Le 20 juin 1991, le maire de Paris, Jacques Chirac, à l’occasion du dîner de son parti à Orléans, évoqua les immigrés en les associait au « bruit et l’odeur » supposément supportés par leurs voisins, affirmant : « ce n’est pas raciste de dire cela ».

Cette déclaration a suscité une vive polémique. La contestation musicale est venue du groupe Zebda avec une chanson qui reprend cette partie du discours et dont le titre est aussi celui du deuxième album du groupe, Le bruit et l’odeur (1995).

Leurs paroles rappellent l’histoire de l’immigration en France, avec ces ouvriers arrivés de l’étranger qui ont tant oeuvré à l’heure de la reconstruction du pays suite à la Seconde Guerre mondiale :

« Qui a construit cette route ? Qui a bâti cette ville ? Et qui l’habite pas ? À ceux qui se plaignent du bruit, à ceux qui condamnent l’odeur, je me présente : je m’appelle Larbi, Mamadou, Juan et faites place. »

Désormais, évoquer « Le bruit et l’odeur » renvoie à la fois au discours de Chirac et à la chanson de Zebda, et c’est devenu une expression qui évoque le racisme en général. Ce n’est qu’en 2009 que Jacques Chirac avouera son erreur lors d’une interview à la radio.

Zebda – Le Bruit Et L’Odeur.

Contre l’extrême droite

Dans l’ouvrage Cette chanson qui emmerde le Front national on trouve une compilation de 50 chansons qui s’en prennent à ce parti politique d’extrême droite.

Des groupes célèbres comme IAM, Assassin, NTM, Zebda et les chanteurs tels que Francis Cabrel, Renaud ou Diam’s attaquent à travers leurs paroles non seulement aux idées extrémistes du Front national, mais aussi à leurs dirigeants, insultes incluses. Un phénomène qui peut surprendre dans d’autres pays où la liberté d’expression ne permet pas s’exprimer d’une manière si explicite.

C’est le cas de Nique le système de Sniper :

« Si Auschwitz n’est qu’un détail, c’est parce Le Pen est un sale cochon. ».

Au deuxième tour des élections présidentielles de 2002, Jacques Chirac affrontait Jean‑Marie Le Pen. C’était donc la première fois qu’un candidat d’extrême droite arrivait à ce stade du scrutin. Les artistes se sont mobilisés et ont organisé des concerts contre Le Pen. Les rappeurs français ont sorti un album collectif intitulé Sachons dire non dans lequel ils demandaient avec insistance d’aller voter et rejetaient de façon catégorique le Front national.

Insultes et menaces à la République

« La France est une garce et on s’est fait trahir. Le système voilà ce qui nous pousse à les haïr […] Pour mission exterminer les ministres et les fachos […] À croire que le seul moyen de se faire entendre est de brûler des voitures […] l’État nique sa mère. »

Ces vers sont extraits du titre La France (2001), du groupe de rap Sniper. Les paroles signalent le racisme, la discrimination, mais elles insultent aussi la République et menacent ses politiciens.

Le groupe Sniper a été mis en cause le 27 juillet 2004 pour incitation à blesser ou tuer des fonctionnaires du ministère de l’Intérieur ainsi que pour injure, trois mois après avoir interprété la chanson La France. Le procès s’est terminé par une relaxe. De son côté, le groupe a exigé des excuses de la part du ministre, menaçant de porter plainte contre lui pour ses déclarations populistes et diffamatoires.

Peu de temps après, Sniper a publié une nouvelle version de la chanson avec le titre France, itinéraire d’une polémique. Les paroles disent la même chose que sur le titre France, mais d’une autre manière, et relatent les ennuis du groupe avec la justice :

« La France est une farce et on s’est fait trahir ; Tu sais, ils ont tenté de nous salir ; Oui moi j’ai parlé de garce, notamment de la France ; Ils m’interdisent de dire en face mais t’inquiète, je le pense ; Accusés d’inciter à prendre les armes. »

De Béranger à Sniper, il semble que la chanson contestataire, en France, reste un fil rouge de la liberté d’expression.

This article was originally published in Spanish

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