Le 20 juin 1944, trois miliciens viennent chercher Jean Zay à la maison d’arrêt de Riom où l’ancien ministre du Front populaire est incarcéré depuis 1941 et l’assassinent dans un bois près d’une carrière à Molles, dans l’Allier.
Pour le régime de Vichy et la presse collaborationniste, Jean Zay est une figure honnie. Ce radical, né en 1904 à Orléans, issu d’une famille juive, mais élevé dans la foi protestante, franc-maçon et membre de la Ligue des droits de l’homme, est pour le camp nationaliste l’incarnation même de cette IIIe République abhorrée et rendue responsable du désastre de 1940.
Durant ses trois années à la tête du ministère de l’Éducation nationale et des Beaux-Arts, du 4 juin 1936 au 10 septembre 1939, Jean Zay a été constamment ramené par ses adversaires à un poème antimilitariste écrit à l’âge de 19 ans, Le Drapeau, pastiche des textes enfiévrés du très nationaliste Gustave Hervé et opportunément transmis par un ancien ami de jeunesse à un journal conservateur du Loiret pour affaiblir Jean Zay lors de sa candidature aux législatives de 1932.
Au-delà d’un poème qui constitue, selon Olivier Loubes « une transgression de la culture de guerre mais aussi […] de la culture scolaire telle qu’elle se continue après 1918 », c’est l’action de Jean Zay en faveur de la démocratisation de l’école qui est jugée néfaste par les cercles conservateurs qui défendent l’élitisme scolaire et inspirent les réformes du ministère Jérôme Carcopino, notamment l’ensemble des décisions du 15 août 1941, publiées au Journal officiel du 2 et 3 septembre.
Une action déterminée en faveur de la démocratisation de l’école
De fait, durant les trois années qu’il a passées à la tête du ministère de l’Éducation nationale et des Beaux-Arts, Jean Zay se révèle un réformateur audacieux.
Parallèlement à la construction de plus de cinq mille nouveaux groupes scolaires, la loi du 9 août 1936 sur l’instruction primaire obligatoire prolonge de 13 à 14 ans l’obligation scolaire dès la rentrée 1936. À une époque où l’école secondaire est réservée aux enfants des familles plus aisées qui intègrent les petites classes des lycées, seuls les meilleurs élèves issus des classes populaires accèdent à l’enseignement primaire supérieur (EPS), prolongement de l’école primaire.
L’objectif de Jean Zay est de décloisonner l’enseignement secondaire et de l’ouvrir aux élèves issus des classes populaires. À cet effet, dans le but de rapprocher écoles primaires supérieures et petits lycées, Jean Zay fixe le même programme pour le premier cycle du second degré et pour l’enseignement primaire supérieur et unifie les enseignements secondaires masculins et féminins.
Le 5 mars 1937, il dépose sur le bureau de la Chambre des députés un projet de loi dont l’exposé des motifs affirme que « L’heure est venue de donner aux enseignements secondaire, primaire, supérieur et technique, le statut d’ensemble qu’ils attendent depuis des années […]. L’école unique, telle qu’elle s’affirme dans ce projet, sera tout à la fois une œuvre de justice et un instrument de progrès social ».
Hostile à ce projet qui mécontente la droite et une partie du parti radical, la commission de l’enseignement de la Chambre des députés enterre son projet qui visait à transformer les petites classes des lycées en écoles primaires de droit commun.
La création de classes d’orientation et la mise en place des loisirs dirigés
Jean Zay choisit de contourner les blocages en ouvrant à titre expérimental par décret à la rentrée de 1937, « 250 classes d’orientation » qui réunissent dans une même structure pédagogique les élèves des 6eA (avec latin obligatoire) et B des lycées et collèges ainsi que les élèves des cours préparatoires des EPS. Trois types de classe d’orientation sont créés, qui se définissent par rapport au latin.
Le premier trimestre de sixième reste commun pour tous les élèves, puis une orientation s’opère en fonction de trois options (classique, moderne, technique), même si les élèves conservent des enseignements communs.
Trois départements sont choisis comme terrain d’expérimentation de ses réformes scolaires : le Loiret, dont Jean Zay est conseiller général, l’Aude, d’où est issu Léon Blum et la Meurthe-et-Moselle, du président Albert Lebrun.
En outre, Jean Zay va, de concert avec Léo Lagrange, le secrétaire d’État aux sports, rendre l’éducation physique obligatoire à raison d’une heure par semaine, intégrer le brevet sportif populaire au certificat d’études primaires et mettre en place un après-midi réservé aux loisirs en plein air. L’expérience est élargie à 29 départements en 1937, et à 40 en 1938.
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Jean-François Condette note que « les loisirs dirigés tentent ainsi de créer, le samedi après-midi dans les collèges, les lycées et les écoles primaires supérieures, un espace de liberté pédagogique qui doit permettre aux élèves et aux enseignants de travailler différemment, en s’inspirant des idées de l’Éducation nouvelle et des méthodes scoutes ».
Critiqués par la droite qui taxe Jean Zay de « ministre de la récréation nationale », les loisirs dirigés rencontrent un succès limité dû au manque de personnel rémunéré pour les encadrer et à l’absentéisme des élèves dans la mesure où l’arrêté du 22 mai 1937 indique que les loisirs dirigés ne sont pas obligatoires mais facultatifs.
Jean Zay et la question de la neutralité de l’école
Jean Zay a été un ardent promoteur de la laïcité comme l’établit sa circulaire du 31 décembre 1936 interdisant tout port d’insignes politiques, complétée par une circulaire du 15 mai 1937 interdisant également la propagande confessionnelle.
« Ici, le tract politique se mêle aux fournitures scolaires. L’intérieur d’un buvard d’apparence inoffensive étale le programme d’un parti » déplore Jean Zay dans son texte de 1936. De fait, dans le climat de guerre civile larvée qui caractérise la période du Front populaire, les établissements scolaires ne sont pas à l’abri de la propagande politique comme le montre la dramatique affaire de la mort du petit Paul Gignoux, tué à Lyon, en avril 1937, par des enfants de dix ans de son quartier sur fond d’injures politiques contre son père bourgeois et Croix de Feu.
Jean Zay s’intéresse aussi à l’amélioration des cantines scolaires à la suite du rapport de Cécile Brunschvicg, sous-secrétaire d’État à l’Éducation nationale dans le premier gouvernement de Léon Blum du 5 juin 1936 au 21 juin 1937.
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Il plaide aussi pour une plus grande place de l’oral dans les enseignements, démocratise l’accès aux bourses et est à l’origine de la création de l’ENA pour former les futurs hauts fonctionnaires.
À la Libération, le plan Langevin-Wallon élaboré en 1947, qui prévoit un tronc commun à tous les élèves au début du secondaire et fixe la fin de la scolarité obligatoire à 18 ans constituera l’aboutissement du grand mouvement d’idées mené par Jean Zay. Le plan ne sera jamais présenté devant le Parlement pour cause d’entrée en guerre froide. Il faudra attendre les années 1960 et 1970 pour que ses dispositions soient partiellement mises en œuvre. De ce point de vue, c’est bel et bien Jean Zay qui a inventé l’école d’aujourd’hui.